Travail à temps partagé aux fins d'employabilité (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à poursuivre l'expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d'employabilité.

Discussion générale

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée des personnes en situation de handicap .  - Veuillez excuser l'absence de Mme Panosyan-Bouvet, retenue pour une audition à l'Assemblée nationale.

La création du CDI employabilité (CDIE) poursuivait un objectif louable : ramener vers l'emploi les publics qui en sont les plus éloignés.

Même si le taux de chômage baisse depuis 2017, le Gouvernement est mobilisé pour que chacun ait accès à un emploi et à une formation, c'est un impératif de justice sociale. Il sera attentif à toutes les propositions formulées par le Parlement pour avancer vers le plein emploi, sans sacrifier l'impératif du bon emploi.

Le CDIE sécurise le parcours professionnel grâce à une embauche en CDI d'un genre particulier, assoupli par rapport à l'intérim. L'entreprise de travail à temps partagé (ETTP) est tenue de mettre en place les conditions d'une insertion pérenne dans l'emploi. Cette promesse de faciliter l'accès à l'emploi stable et durable doit être tenue.

Avec 5 000 CDIE signés depuis le début de l'expérimentation, en 2018, d'après l'Igas, il n'est possible de parler ni d'échec ni de réussite. Le pérenniser serait imprudent ; l'abandonner, un gâchis. Les critiques portées contre le CDIE doivent être entendues ; ce souci de transparence a justifié la transmission au Sénat du rapport d'étape de l'Igas.

Difficile d'évaluer quand les données manquent - or l'absence de déclaration des CDIE dans la déclaration sociale nominative (DSN) fait obstacle à l'analyse. Nous nous engageons à assurer un suivi efficace de l'expérimentation.

Pour mieux cibler les publics les plus vulnérables, la durée d'inscription à France Travail requise a été relevée de six à douze mois, et le critère d'âge alternatif de 50 à 55 ans. Cette restriction répond aux craintes de voir le CDIE concurrencer d'autres types de contrats comme le CDI Intérim (CDII).

Je crois aux solutions concrètes éprouvées aux réalités du terrain. Prolongeons d'abord l'expérimentation avant de la généraliser, si ses résultats sont probants. La durée de quatre ans me semble opportune pour avoir un retour d'expérience objectif.

Les travaux parlementaires ont conservé le caractère expérimental du dispositif et cherché à en limiter les effets de bord. Je m'en félicite. Toutefois, nous aurons à suivre de près les éventuels effets de concurrence entre les différents types de contrats.

Merci à Mme la rapporteure pour son travail. Soyez assurés de l'engagement du Gouvernement pour le plein emploi et l'accès de chacun à un emploi, stable, rémunérateur et de qualité.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Solanges Nadille applaudit également.) Ce texte ne se résume pas à la poursuite pure et simple de l'expérimentation, mais prévoit des évolutions importantes.

Le CDIE, créé à titre expérimental par la loi du 5 septembre 2018, s'adresse à un public rencontrant des difficultés d'insertion professionnelle, appréciées selon des critères alternatifs : bénéfice d'un minimum social, inscription depuis six mois à Pôle emploi, situation de handicap, âge de plus de 50 ans, niveau de formation infra-bac.

Il s'adosse au régime du temps de travail partagé existant depuis 2005 en faveur des PME : les ETTP recrutent du personnel qu'elles mettent à disposition d'une entreprise utilisatrice pour une mission. L'expérimentation assouplit les conditions de mise à disposition, en contrepartie des critères restreignant l'éligibilité au dispositif.

Il vise un public plus éloigné de l'emploi que la moyenne. L'ETTP doit leur proposer des actions de formation d'une part, abonder le compte personnel de formation (CPF), à hauteur de 500 euros supplémentaires par salarié à temps complet et par année de présence, d'autre part.

Prolongée jusqu'au 31 décembre 2023 pour tenir compte de la crise sanitaire, cette expérimentation est arrivée à échéance voilà dix mois. La proposition de loi entend la prolonger pour une durée de quatre ans.

S'il y a controverse, c'est que le CDIE est à certains égards plus flexible que le CDI intérimaire. Le secteur de l'intérim dénonce une situation inéquitable - j'y reviendrai.

L'évaluation de l'expérimentation a connu des rebondissements : un premier rapport intermédiaire a été remis au Parlement en 2022, mais le rapport de l'Igas de juillet 2023 n'a été rendu public que le 25 octobre 2024, à la veille de l'examen en commission.

L'article 1er relance l'expérience pour quatre ans et resserre les conditions d'éligibilité en prévoyant que les demandeurs d'emploi devront être inscrits sur les listes de France Travail depuis douze mois - six mois pour les salariés de plus de 55 ans ou les moins de 26 ans ayant une formation de niveau inférieure au bac.

L'article 1er ter renforce le droit des salariés embauchés par une entreprise utilisatrice à l'issue d'une mise à disposition : ils pourront rompre leur CDIE sans préavis, et la durée des missions préalablement accomplies dans l'entreprise sera prise en compte pour le calcul de l'ancienneté et de la période d'essai.

Ces droits alignent le régime de mise à disposition du TTP sur celui applicable au CDI intérimaire, sachant que la moitié des salariés en CDIE sont recrutés par l'entreprise utilisatrice à la suite de leur mission.

La commission a adopté sans modification la proposition de loi.

Le CDIE est-il ciblé sur les salariés les plus éloignés de l'emploi ? Environ 80 % des salariés en CDIE sont éligibles au titre de leur inscription sur les listes de Pôle emploi ou de leur niveau de diplôme infra-bac : leurs difficultés d'insertion ne sont pas à démontrer. Ce meilleur ciblage répond aux écueils soulevés par le rapport de l'Igas.

Les ETTP font-elles une concurrence déloyale au secteur de l'intérim ? Le chiffre de 12 % de différence de coût sur la masse salariale, non sourcé, correspond en réalité à une différence de modèle d'entreprise. Nous avons entendu les inquiétudes, parfois légitimes, mais un travail de bonne foi des parties prenantes doit pouvoir dissiper les réserves qui demeurent. Les services de l'État devront assurer l'accompagnement.

Il faudrait commencer par établir une convention collective de branche pour le secteur du travail à temps partagé, ou le rattacher à une branche existante. Une convention gagnerait également à être conclue avec un opérateur de compétences (Opco), afin de sécuriser les abondements au CPF. Pour ce faire, les partenaires sociaux doivent se mettre à la table des négociations ; les services déconcentrés de l'État devront assurer un suivi robuste.

Le CDIE est une mesure novatrice pour un public fragile sur le marché du travail. Il offre des souplesses aux entreprises mais évite le risque de permittence des personnes les plus éloignées de l'emploi.

La commission vous invite à adopter ce texte sans modification. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que du RDPI)

Mme Pascale Gruny .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Tous, nous voulons agir pour atteindre le plein emploi, pour que ceux qui ont perdu leur place dans la société la retrouvent par le travail. Donnons aux personnes en situation de rupture, d'échec ou de découragement les moyens de se reconstruire.

Le marché du travail ne peut pas tout résoudre, il faut donc des outils. Expérimenté depuis 2018, le CDIE est une solution bénéfique tant pour les employeurs que pour les salariés. Aux entreprises, il offre une alternative à l'intérim, leur permettant de mutualiser les ressources humaines et d'optimiser la gestion de leur main-d'oeuvre. Aux salariés, il offre la stabilité et la sécurité financière. Il est la preuve que l'on peut concilier flexibilité et sécurité.

En 2010, alors député européen, j'ai publié un rapport sur la flexisécurité en Europe. En France, nous faisons beaucoup pour la sécurité, mais oublions l'indispensable flexibilité dont le marché a tant besoin ! La flexibilité n'empêche pas l'octroi de garanties aux salariés - que renforce cette proposition de loi, avec la possibilité pour le salarié de rompre son contrat sans préavis et la prise en compte de la durée des missions précédentes.

Le ciblage des publics, aujourd'hui trop large, vient renforcer la philosophie sociale du dispositif.

Je regrette le manque de réactivité du gouvernement précédant sur ce dossier : pas d'évaluation, publication tardive du rapport de l'Igas.

Résultat : depuis onze mois, plus aucun CDIE ne peut être conclu, faute de prolongation de l'expérimentation. Pour ne pas perdre plus de temps, la commission des affaires sociales a adopté ce texte sans modification, tout en considérant que le dispositif est perfectible.

Un meilleur suivi statistique est nécessaire, en vue d'une évaluation indiscutable. Veillons toutefois à ne pas charger la barque de France Travail, déjà submergée par ce type de collectes. Le temps passé à l'administratif, c'est du temps perdu pour l'accompagnement.

Il conviendrait d'encourager certains acteurs de l'emploi à s'emparer du CDIE, notamment les groupements d'employeurs pour l'insertion et la qualification (GEIQ). Je suis également favorable au rattachement des entreprises de travail à temps partagé à une convention collective de branche. Il me semble important de confier aux partenaires sociaux la négociation des modalités de ce dispositif.

L'adoption de cette proposition de loi ne doit pas nous exonérer d'une réflexion sur la lisibilité de l'éventail de contrats disponibles : CDI apprenant, CDI intermittent, CDD insertion, CDD intérim, portage salarial, groupements d'employeurs, travail à temps partagé, prêt de main-d'oeuvre ... Cette dispersion est source de complexité pour les salariés comme pour les employeurs.

Nous sommes favorables à une prolongation de cette expérimentation parce qu'il est nécessaire d'investir dans un avenir où le travail contribue à l'épanouissement personnel et à la justice sociale.

J'ai souvent rencontré des personnes au parcours chaotique, pour qui tout semblait perdu, et qui ont finalement découvert une vocation, appris un métier, trouvé un milieu professionnel dans lequel elles s'épanouissent. Le travail reste un espace d'émancipation et d'estime de soi.

Je voterai ce texte volontiers, pour avoir accompagné ce type de salariés dans l'entreprise où j'ai travaillé ; cet engagement prend du temps mais est source de profonde satisfaction. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)

Mme Solanges Nadille .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Le travail est au coeur de la préoccupation des Français.

Depuis 2017, des réformes ambitieuses ont été menées en faveur du plein emploi : lycées professionnels, assurance chômage, France Travail. Les résultats sont incontestables, notamment sur le chômage des jeunes.

Il faut agir aussi pour les publics les plus éloignés de l'emploi. C'est dans cet esprit que la loi de 2018 a prévu l'expérimentation du CDIE, pour les publics rencontrant des difficultés particulières d'insertion professionnelle : chômeurs de longue durée, bénéficiaires de minima sociaux, personnes en situation de handicap, notamment.

Le CDIE offre plus de souplesse à l'employeur que le CDII, du fait de l'absence de limite de temps et de justification du recours. En contrepartie, l'ETTP doit proposer au salarié des formations qui le font monter en qualification et abonder son CPF de 500 euros supplémentaires par an.

L'expérimentation, qui devait s'achever au 31 décembre 2021, a été prolongée une première fois, de deux ans. Il nous appartient de décider de la suite.

Les données disponibles sont très incomplètes. Environ 5 000 CDIE ont été signés, dont 1 500 seraient en cours.

La mission d'évaluation de l'Igas porte un regard très critique sur le dispositif, le jugeant trop confidentiel et constatant des détournements. Les inspecteurs généraux doutent de son effet en matière d'employabilité.

Ces conclusions nous paraissent particulièrement sévères au regard de la crise sanitaire, qui a entravé le déploiement du dispositif. Nous soutenons la réactivation de l'expérimentation en vue d'une évaluation plus approfondie.

Le dispositif nous paraît avoir rempli une bonne part de ses objectifs : près de 80 % des titulaires de CDIE étaient inscrits à France Travail depuis au moins six mois ou présentaient un niveau de formation inférieur au CAP ou BEP ; et près de 46 % ont été embauchés en CDI à l'issue de leur mission.

Nous voterons ce texte qui prolonge l'expérimentation de quatre ans en apportant au dispositif des évolutions bienvenues. En particulier, il en resserre les conditions d'accès pour un meilleur ciblage. Le salarié sera également sécurisé : en cas d'embauche en CDI, il sera dispensé de préavis et une partie de son ancienneté sera reprise.

Nul ne doit être laissé au bord du chemin de l'insertion professionnelle.

Mme Guylène Pantel .  - Le CDIE, créé en 2018, a vu son expérimentation reconduite de deux ans, jusqu'au 31 décembre dernier. Variante du CDI, il s'adresse à des publics présentant des difficultés particulières d'insertion professionnelle : chômeurs de longue durée, titulaires de minima sociaux, jeunes faiblement qualifiés, personnes en situation de handicap, notamment.

Ce contrat offre de nombreuses garanties : formations certifiantes, abondement supplémentaire du CPF, rémunération des périodes d'intermission sur la base de l'ancien salaire.

Mais la durée d'une mission et le nombre de renouvellements ne sont pas limités. Ce dispositif est donc précaire pour le salarié, qui pâtit d'un rapport de force défavorable lors des négociations. Les conventions collectives ne protègent pas les salariés, qui ne bénéficient pas non plus des avantages liés au comité social et économique.

Comme le relève l'Igas, le principal intérêt du CDIE est ainsi de faire travailler des salariés sans limite de temps, tout en ayant la faculté de s'en séparer rapidement. En 2018, le RDSE a salué l'intention de favoriser l'insertion professionnelle, mais mis en garde contre des effets pervers.

Une pérennisation n'aurait pas été judicieuse, mais nous nous satisfaisons des évolutions apportées au dispositif par les députés, à la lumière notamment des travaux de la mission flash de l'Assemblée nationale. Le RDSE est donc plutôt ouvert à redonner sa chance à l'expérimentation.

M. Olivier Henno .  - (Mme Frédérique Puissat et M. Laurent Burgoa applaudissent.) Je salue le travail rigoureux et efficace de la rapporteure.

Nous sommes toujours favorables à la facilitation du retour à l'emploi et à la défense de la valeur travail. Comme le disait Raymond Barre, la meilleure façon de lutter contre le chômage, c'est de faciliter l'emploi sous toutes ses formes. (M. Yannick Jadot ironise.)

Issu d'une initiative de terrain, le CDIE s'est vu conférer une base légale par amendement parlementaire, lors de l'examen de la loi de 2018, avant que son expérimentation ne soit prolongée jusqu'au 31 décembre 2023.

Ce CDIE, plus souple que le CDII, évite notamment à l'employeur de justifier le recours et peut être renouvelé sans limitation. Il vise des personnes plus éloignées de l'emploi, dont l'ETTP doit accompagner la montée en qualification.

La proposition de loi Turquois ne prévoit plus la pérennisation de l'expérimentation, mais sa simple prolongation. De fait, la montée en charge plutôt lente du dispositif nous prive de données suffisantes pour prendre une décision définitive. Au reste, il est regrettable que le rapport de l'Igas ait été communiqué au Parlement quinze mois après sa remise.

Ce rapport exprime des réserves, mais les ajustements apportés au dispositif par la proposition de loi y répondent, rendant celui-ci plus pertinent et plus robuste. Nous estimons que quatre ans supplémentaires d'expérimentation seront suffisants pour conclure.

Les critères d'éligibilité sont revus pour recentrer le dispositif sur les personnes en ayant le plus besoin. Les droits et garanties du salarié sont renforcés lorsqu'il est embauché en CDI par l'entreprise utilisatrice : il sera dispensé de préavis et verra son ancienneté reprise.

Le groupe UC est favorable à la poursuite de cette expérimentation aux contours sécurisés. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains)

Mme Silvana Silvani .  - Ce texte prolonge l'expérimentation du CDIE, supposé faciliter l'accès à l'emploi et lutter contre la « smicardisation » de la société - 17,3 % des travailleurs sont rémunérés au Smic, un niveau historique, en hausse de cinq points en moins de deux ans.

La généralisation du dispositif était initialement envisagée. Face à l'hostilité des organisations syndicales unanimes, mais aussi des agences d'intérim, et à l'indifférence manifeste des entreprises, les parlementaires se sont rabattus sur une prolongation de quatre ans.

Il aura fallu un an et demi pour que le Gouvernement autorise la publication de l'étude de l'Igas. À la lecture de celle-ci, on comprend mieux les raisons de cette rétention d'information. Le CDIE est jugé confidentiel et souvent confondu avec le CDII. Selon l'Igas, il n'est pas utilisé pour mutualiser l'emploi, mais très majoritairement pour mettre à disposition des salariés auprès d'une seule entreprise pour des durées plus longues que celles d'un intérim classique. Le rapport dénonce ainsi un CDI au rabais : les salariés ne bénéficient d'aucune convention collective, non plus que des avantages du comité social et économique (CSE).

Le CDIE, présenté comme un outil d'insertion pour les chômeurs de longue durée et les salariés âgés ou en situation de handicap, a été détourné de son objectif initial. Il concerne surtout des ouvriers ayant traversé une période de chômage. Pourquoi faudrait-il leur proposer autre chose qu'un contrat classique ?

Une nouvelle fois prolongée, l'expérimentation atteindra dix ans, sans doute un record. Les résultats obtenus ne justifient pas cette mesure. Reconnaissez que vous avez fait fausse route, au lieu de persister dans l'erreur. Nous voterons contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Nous nous opposons à la prolongation de cette expérimentation, comme tous les partenaires sociaux de la branche du travail temporaire. L'Igas elle-même recommande de ne pas prolonger l'expérimentation, encore moins de la pérenniser. C'est parce que son rapport est sans appel que vous l'avez mis sous embargo.

Le CDIE aggrave la sédimentation et la dispersion des contrats, source de complexité. Il doit être réexaminé par l'Assemblée nationale à la lumière des travaux de l'Igas. Voter ce texte conforme serait consentir à ce que le Parlement délibère sans être éclairé.

Le CDIE s'inscrit dans l'inflation de contrats dérogatoires, de plus en plus flexibles. Sous prétexte de favoriser le plein emploi, on crante à chaque fois un dispositif plus précaire - en attendant le suivant.

L'Igas montre que ce contrat cannibalise le CDII. Il n'est pas utilisé dans un objectif de mutualisation de l'emploi mais, très majoritairement, pour mettre un salarié à disposition d'une seule entreprise pour une durée plus longue qu'un intérim classique.

Les entreprises se désengagent de leurs responsabilités d'employeurs. Plus le surcoût du recours au CDIE par rapport à l'embauche directe est modéré, plus ce contrat se substitue à l'embauche directe, risquant d'enfermer les salariés dans une relation triangulaire. Une distorsion est ainsi créée par rapport au CDII. De plus, aucun recours n'est prévu en cas d'abus.

Le CDIE n'est mieux-disant que sur un point : le niveau de couverture des salariés entre deux missions. Souhaitons que le dialogue social dans la branche du travail temporaire améliore la situation des intérimaires sur ce point.

Nous considérons que le CDI de droit commun doit rester la règle et les contrats atypiques, l'exception. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Monique Lubin .  - Les orateurs précédents ont rappelé la genèse du CDIE. En 2018, il s'agissait d'expérimenter - pendant trois ans - un nouveau dispositif de temps partagé s'appuyant sur les ETTP, destiné aux personnes présentant des difficultés d'insertion, alors que la loi de 2005 visait plutôt des personnes qualifiées.

C'est avec attention que nous venons de prendre connaissance du rapport de l'Igas, curieusement resté sous embargo. De fait, il fait état d'un succès tout relatif - 5 000 contrats signés, dont 1 500 en cours - et n'est guère favorable à la prolongation de l'expérimentation.

Les entreprises bénéficient d'une main-d'oeuvre très flexible, avec un faible risque de requalification. On peut y voir un avantage, mais c'est une vision assez particulière du droit du travail...

Les intérêts des salariés ne dépendent que de la bonne volonté des ETTP. Or l'Igas relève une grande hétérogénéité des pratiques.

Selon l'Igas, il ne s'agit pas de mutualiser les salariés, mais de mettre des employés à la disposition d'une seule entreprise, pour des durées plus longues que l'intérim classique. L'objectif de favoriser le travail à temps partagé n'est donc pas atteint.

La Poste est l'un des plus grands utilisateurs du CDIE, alors qu'elle aurait les moyens d'embaucher par le biais de CDI traditionnels.

L'Igas estime que ce contrat n'est pas un instrument efficace de requalification : les critères sont trop larges et toutes les entreprises n'ont pas procédé à l'abondement supplémentaire du CPF. Il est à craindre que des acteurs peu scrupuleux se servent du dispositif pour enfermer des salariés dans ce type de contrats.

Ce coup de canif dans le droit du travail ne vise qu'à satisfaire des visions managériales discutables. Arguer qu'un travail avec une moindre protection vaut mieux que pas de travail du tout n'est pas acceptable. Nous voterons contre ce texte, même modifié. Il existe suffisamment d'outils en faveur de l'insertion par l'activité économique pour ne pas en créer un autre qui risque d'être détourné. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

Mme Corinne Bourcier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Je remercie Frédérique Puissat pour son travail.

Le CDIE a été instauré à titre expérimental par loi du 5 septembre 2018, en s'appuyant sur la loi de 2005 relative au travail à temps partagé. La différence entre le dispositif de 2005 et celui de 2018 tient aux personnes ciblées : le CDIE vise les personnes les plus éloignées de l'emploi.

L'entreprise utilisatrice est dispensée de certaines obligations  - comme la justification du recours à ce dispositif -, mais doit proposer au salarié des actions de formation certifiantes et abonder de 500 euros supplémentaires par an son CPF.

L'expérimentation, déjà renouvelée une fois, est arrivée à son terme le 31 décembre dernier.

Comme nombre d'entre vous, j'ai parcouru le rapport de l'Igas, guère favorable à une nouvelle prolongation. Je me réjouis que la pérennisation ait été abandonnée au profit d'une prolongation qui devrait permettre de renforcer la remontée des données et de corriger les lacunes du dispositif. Le texte resserre le public visé : les demandeurs d'emploi devront l'être depuis un an et non plus six mois, les seniors être âgés de plus de 55 ans.

Ce texte nous paraît s'inscrire dans la logique des réformes importantes votées par le Sénat en 2023 : retraite, loi sur le plein emploi.

Le CDIE nous semble aller dans le sens de l'accompagnement vers l'emploi de publics qui en sont éloignés. Le groupe Les Indépendants soutient donc la prolongation de son expérimentation. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains)

Discussion des articles

Article 1er

Mme la présidente.  - Amendement n°1 rectifié de Mme Poncet Monge et alii.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Le bilan des quatre ans d'expérimentation du CDIE est non conclusif. À cet égard, le rapport de l'Igas est sans appel : la prolongation n'est pas souhaitable, quand bien même elle s'accompagnerait d'une évolution substantielle du dispositif. En pratique, ce contrat se substitue à des CDII. Il ne présente donc aucune valeur ajoutée, mais risque d'enfermer les salariés dans une relation de travail triangulaire.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur.  - Avis défavorable, pour quatre raisons. Supprimer l'article 1er viderait le texte de sa substance. Le CDIE n'est pas un contrat précaire, puisque les salariés touchent entre deux missions une rémunération égale au dernier salaire perçu. Dans le contexte actuel - nous avons parlé lors de la séance de questions d'actualité des licenciements chez Michelin et Auchan -, peut-on se passer de 5 000 emplois qui ne coûtent rien à l'État ? Il ne s'agit pas d'une pérennisation, mais de la prolongation d'une expérimentation dans un cadre modifié. J'ajoute que le rapport de l'Igas, en fait, préconise de rapprocher le CDII des conditions du CDIE : je ne suis pas sûre que vous souhaitiez aller au bout de cette logique...

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée.  - Je regrette le délai de communication du rapport de l'Igas. Dès son entrée en fonction, Mme Panosyan-Bouvet a souhaité qu'il vous soit rapidement transmis.

Le Gouvernement a bien entendu les réserves et critiques émises à l'égard de ce dispositif. C'est pourquoi il a souhaité que la copie initiale de la proposition de loi soit revue : resserrement des critères, pas de généralisation avant une évaluation convenable.

Les personnes bénéficiaires devront être bien suivies et le dispositif doit demeurer une étape vers l'insertion professionnelle.

Avis défavorable à l'amendement.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Cinq mille emplois, dit la rapporteure, c'est bon à prendre. Mais, je le répète, il y a substitution de CDII par des CDIE ; il ne s'agit donc pas d'emplois nouveaux.

En outre, si un rapprochement entre CDIE et CDII est envisagé, ce ne sera pas pour accroître la flexibilité et faire disparaître le risque de requalification, mais pour améliorer la rémunération de l'intermission.

Mme Silvana Silvani.  - Je salue l'enthousiasme de la rapporteure pour voter le texte à l'identique. C'est vrai qu'il y a urgence...

Cela dit, ce n'est pas correct ; c'est même plutôt curieux de faire des rapprochements entre des plans de licenciements scandaleux et ce type de contrat.

Si 5 000 contrats ont été signés depuis 2018, seuls 1 200 étaient en cours en 2023 : ce sont des CDD !

Ensuite, Mme la ministre prétend que le dispositif doit être évalué, mais il l'a été ! Ne disqualifiez pas le travail de l'Igas : le problème, c'est l'absence de remontée de données.

M. Grégory Blanc.  - Pas plus tard que cette après-midi, j'ai eu un échange téléphonique avec le président de la chambre de commerce et d'industrie du Maine-et-Loire au sujet de Michelin Cholet : c'est avant tout un problème de sous-investissement capitalistique, pas de coût du travail.

Les annonces actuelles sont liées à ce PLF qui approche. Ne soyons pas naïfs, les entreprises veulent peser.

Pourquoi est-il si difficile de renoncer à des dispositifs pourtant évalués ? Voilà qui me rappelle le « quoi qu'il en coûte ».

S'il s'agit d'accorder davantage de souplesse, nous pouvons en discuter, mais au moins l'objectif sera clair. S'il s'agit d'augmenter l'offre d'insertion, nous pouvons en débattre dans le cadre de l'examen du PLF.

Vous allez encore alourdir le code du travail. Écoutons les organisations syndicales et les représentants du travail temporaire !

L'amendement n°1 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°2 rectifié de Mme Poncet Monge et alii.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Cet amendement de repli vise à réduire à deux ans la durée de l'expérimentation. Deux ans supplémentaires devraient suffire à confirmer ou infirmer les conclusions de l'Igas sur le CDIE.

Le texte ne doit pas être voté en l'état, ne serait-ce pour que l'Assemblée nationale puisse prendre connaissance du rapport de l'Igas qu'on lui avait caché. (On s'offusque à droite.)

Mme la présidente.  - Amendement identique n°8 de Mme Aeschlimann.

L'amendement n°8 est retiré.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur.  - J'ai conscience de la détresse des salariés ; je ne méprise pas les gens. Si nous votons le texte conforme, le Gouvernement peut promulguer la loi et relancer le dispositif.

Quatre ans, ce n'est pas disproportionné. Les ETTP déclarent ne pas arriver à faire remonter les informations ; l'expérimentation permettrait d'avoir des données plus fiables. Avis défavorable.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée.  - Le dispositif a été recalibré, et nous avons pris des engagements sur son suivi. Ce texte doit être adopté conforme pour être mis en oeuvre rapidement. Avis défavorable.

Mme Silvana Silvani.  - Nous avons reçu le rapport de l'Igas le 25 octobre : l'Assemblée a donc voté un texte sans données, et vous voulez voter le texte conforme ? Je comprends mieux pourquoi le Sénat refuse les demandes de rapport !

À la demande du GEST, l'amendement n°2 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°31 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l'adoption 110
Contre 230

L'amendement n°2 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°6 rectifié de Mme Poncet Monge et alii.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Le CDIE doit atteindre un objectif d'insertion professionnelle. Cet amendement restreint les conditions d'éligibilité : le CDIE ne serait ouvert qu'aux demandeurs d'emploi de catégorie A.

La notion d'inemployabilité n'existe pas dans le code du travail - elle fait d'ailleurs l'objet de critiques légitimes.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur.  - Je comprends l'objet, mais il existe plusieurs catégories de demandeurs d'emploi, A, B et C, et ces trois catégories doivent rester éligibles à un CDIE. Avis défavorable.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée.  - Même avis, pour les mêmes raisons que Mme la rapporteure.

L'amendement n°6 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°5 rectifié de Mme Poncet Monge et alii.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Cet amendement de repli vise à rétablir des sanctions en cas de non-respect des conditions instaurées par l'article 1er.

La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a justifié la suppression de l'article 2 par l'abandon de la pérennisation du dispositif. Cet argument est spécieux ! Vous proposez une prolongation de quatre ans, sans aucune sanction !

Mme Frédérique Puissat, rapporteur.  - Avis défavorable. Les députés n'ont pas été éclairés par le rapport de l'Igas, mais par un rapport intermédiaire et par le travail de fond de deux députés, Stéphane Viry et Fanta Berete. Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'amendes que les entreprises de travail à temps partagé font ce qu'elles veulent : elles sont contrôlées par les directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) et par l'Urssaf.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée.  - La proposition de loi prévoyait initialement une généralisation du dispositif et non une expérimentation. N'allons pas alourdir le code du travail. (M. Grégory Blanc lève les bras.)

L'amendement n°5 rectifié n'est pas adopté.

L'article 1er est adopté.

L'article 1er bis est adopté.

Article 1er ter

Mme la présidente.  - Amendement n°3 rectifié de Mme Poncet Monge et alii.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Nous proposons que soit pris en compte l'ensemble des missions accomplies dans l'entreprise utilisatrice pour le calcul de l'ancienneté. Ne reconnaître que trois mois d'ancienneté alors que des salariés ont travaillé cinq ans dans la même entreprise, voilà qui est étonnant.

Selon l'Igas, le CDIE n'est pas utilisé dans un objectif de temps de travail partagé, mais de mise à disposition de salariés au sein d'une même entreprise. La différence : le CDIE ne bénéficie pas d'un environnement de branche...

Mme Frédérique Puissat, rapporteur.  - L'article 1er ter renforce les droits des salariés mis à disposition dans le cadre d'un travail à temps partagé. On passe de zéro à trois mois, pour converger avec le CDII : c'est une avancée. Avis défavorable.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée.  - Même avis.

L'amendement n°3 rectifié n'est pas adopté.

L'article 1er ter est adopté.

Après l'article 1er ter

Mme la présidente.  - Amendement n°4 rectifié de Mme Poncet Monge et alii.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Les salariés en CDIE sont vulnérables, et ont d'autant plus besoin des droits ouverts par une convention collective, notamment en matière de formation.

Selon l'Igas, le CDIE échappe à un encadrement qui vise à limiter les risques sociaux liés à l'externalisation de l'emploi. Or le ministre du travail encourage tous les employeurs à être couverts par un accord de branche. Après quatre ans d'expérimentation, les ETTP présentent un bilan de formation professionnelle très pauvre.

Il s'agit de rendre obligatoire l'ouverture d'une négociation de branche ou son adossement à une branche existante.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur.  - Avis défavorable. L'obligation légale de négocier ne change rien à l'intention réelle des partenaires sociaux.

Alors que l'on termine l'examen de ce texte, j'en viens à ma liste de courses, madame la ministre : il est urgent d'évaluer le dispositif sérieusement, et de permettre aux ETTP de se rapprocher d'une convention collective et d'un opérateur de compétences.

Enfin, le CDII est un bon dispositif. Dans la continuité du rapport de l'Igas, réfléchissons à sa borne temporaire et à une forme de flexisécurité pour un tel contrat.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée.  - Engager une négociation avant l'évaluation de l'expérimentation me semble décalé. Il n'est pas prudent d'imposer des objets de négociation dont les partenaires sociaux ne se sont pas eux-mêmes saisis. Le Gouvernement partagera les modalités de cette évaluation de façon lisible, en associant les parlementaires qui le souhaitent.

M. Grégory Blanc.  - J'ai entendu l'ensemble des codicilles présentés par madame la rapporteure, mais alors quel serait l'avantage opérationnel du CDIE ? Il n'y en a plus. CQFD.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Je n'ai jamais entendu un argument aussi spécieux : il n'y aurait pas lieu de prévoir des sanctions pour non-respect de la loi que nous nous apprêtons à voter car il s'agirait d'une expérimentation ? C'est incroyable ! Si le salarié est resté 18 mois dans l'entreprise, il perd 15 mois d'ancienneté ; et s'il est resté cinq ans, c'est 57 mois qu'on lui chourave !

Mme Silvana Silvani.  - L'évaluation ne vient pas de commencer ! Le dispositif existe depuis 2018, il a fait l'objet de deux rapports. Comment peut-on dire qu'il faut attendre quatre ans de plus pour en tirer des conclusions ? L'expérimentation n'aura pas duré quatre ans, mais dix !

D'ailleurs, avec toutes les conditions que vous proposez, le dispositif retombe dans le droit commun. Pourquoi donc le mettre en place ?

L'amendement n°4 rectifié n'est pas adopté.

Vote sur l'ensemble

Mme Monique Lubin .  - Mes chers collègues, je vous ai entendus plusieurs fois fustiger le manque d'études d'impact, rappeler l'importance des partenaires sociaux, comme nous au reste. Or vous vous apprêtez à voter une proposition de loi fondée sur rien du tout, après que le rapport très négatif de l'Igas a été - pourquoi ? - mis sous le boisseau. Et tous les partenaires sociaux de la branche du travail temporaire se sont accordés pour refuser le texte. Pourquoi donc vous acharner à voter cette prolongation, qui dans quatre ans se terminera par une généralisation - on le sait bien !

C'est mettre un nouveau coup de canif dans le code du travail !

La proposition de loi est définitivement adoptée.

Mme Pascale Gruny, vice-présidente de la commission.  - Je remercie notre rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Corinne Bourcier applaudit également.) Le texte est arrivé tardivement, alors même que nous examinons le PLFSS. Je remercie les collègues qui ont enrichi le débat, même si nous ne sommes pas d'accord, bien sûr. Je vous remercie également, madame la ministre : vous repartez avec une liste de courses, nous saurons vous le rappeler. (Sourires ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et INDEP)