Renouvellement du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, présentée par M. Patrick Kanner, Mmes Corinne Narassiguin, Viviane Artigalas, M. Rachid Temal et plusieurs de leurs collègues.

Ce texte a fait l'objet d'une consultation du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, en application de l'article 90 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

M. Patrick Kanner, auteur de la proposition de loi organique .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Pourquoi en sommes-nous arrivés là ?

La Nouvelle-Calédonie fait face à un cataclysme : plus de 2 milliards d'euros de dégâts, treize décès et un taux de chômage record, sans oublier la fermeture de l'usine de nickel du Nord. Le risque d'émeutes de la faim à court terme est bien là !

J'ai une pensée émue pour les familles des victimes et salue nos forces de sécurité intérieure. La crise en Nouvelle-Calédonie illustre le professionnalisme de nos armées, notamment nos forces aériennes, sans lesquelles l'aide n'aurait pas pu être déployée si rapidement.

La situation reste très fragile : en témoigne le maintien du couvre-feu depuis mai dernier.

Nous n'avons pu revenir à la normale ; les désordres causés par les décisions mortifères du précédent gouvernement ont fragilisé non seulement ce territoire, mais aussi la France vis-à-vis des États de la région. Certaines influences étrangères ont cherché à profiter de la situation. Une mission d'information du Forum des îles du Pacifique est attendue sur le territoire pour dresser un état des lieux.

Depuis bientôt un an, avec Corinne Narassiguin, Viviane Artigalas, et Rachid Temal, nous ne cessons d'alerter par tous les moyens possibles sur la nécessité d'un plan global et d'accorder du temps au temps.

Dès avril 2024, nous avions écrit au président de la commission des affaires économiques et au précédent président de la commission des lois - qui se reconnaîtra (sourires) - pour interroger Bruno Le Maire sur le pacte nickel. Par deux fois, nous avons demandé au Président du Sénat de réunir le groupe de contact sur la Nouvelle-Calédonie. En mai, avec Boris Vallaud et Olivier Faure, nous avons demandé par écrit au Président de la République de suspendre le processus constitutionnel en repoussant la convocation du Congrès.

Nous avions demandé une mission de dialogue sur place sous l'autorité du Premier ministre. Je me réjouis d'ailleurs que Michel Barnier ait repris la Nouvelle-Calédonie sous son autorité : depuis Édouard Philippe, les premiers ministres se désintéressaient du Caillou. Son discours de politique générale a été conforme à ce qu'on peut attendre d'un Premier ministre se réclamant de Michel Rocard et Lionel Jospin.

Le président Macron a installé une mission de travail de trois fonctionnaires. En tant que sénateurs, nous n'avons été destinataires d'aucune information à ce sujet. Je le déplore ; c'est l'objet de ma lettre au Président du Sénat du 30 novembre. L'information du Parlement sur les mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence est prévue par la loi.

La proposition de loi organique que nous avons fort opportunément déposée le 16 septembre n'est que l'ultime étape de notre mobilisation face à un exécutif indifférent.

Nous avons bien fait, puisque le Conseil d'État a émis un avis favorable à notre démarche. Dans la nuit de lundi, le Congrès de Nouvelle-Calédonie a émis un avis favorable sur notre texte par 47 voix sur 50.

Notre initiative vous offre aujourd'hui un véhicule législatif pour enfin mettre en oeuvre une politique basée sur le dialogue. Nous ne pouvons que nous en réjouir, mais ce n'est pas un blanc-seing : la complexité de la situation en Nouvelle-Calédonie appelle une réponse globale.

Après un long déplacement, monsieur le ministre, vous aviez commis un rapport d'information en juillet 2022 avec Philippe Bas, Hervé Marseille et Jean-Pierre Sueur. (M. Philippe Bas le confirme.)

Vous préconisiez de ne surtout pas imposer ni contraindre. Vous prôniez un processus global de concertation associant la société civile, les autorités coutumières et les élus locaux. Mais le président Macron et ses gouvernements successifs ne l'ont pas lu, et ils n'ont pas écouté le Sénat et les acteurs locaux.

Monsieur le ministre, François-Noël Buffet, ministre des outre-mer, sera-t-il en osmose avec Buffet François-Noël, ancien président de la commission des lois ? (M. François-Noël Buffet sourit.)

Nous, socialistes, sommes constants dans notre position ; c'est elle qui a sorti la Nouvelle-Calédonie d'une situation dramatique en 1988, qui a ramené la paix durable sur le territoire, et qui a mené aux accords de Nouméa de 1998. Nous sommes en cohérence avec l'avis clairvoyant du Conseil d'État qui privilégie le temps long et avec les travaux récents du Sénat.

Monsieur le ministre, nous n'avons fait que reprendre les recommandations de votre rapport. Emmanuel Macron est responsable de la crise, mais vous êtes maintenant aux affaires.

La gestion de la situation en Nouvelle-Calédonie aura été l'acmé de son entêtement qui, en quelques mois, en quelques semaines, en quelques jours, a remis en cause 36 ans de réconciliation, de reconstruction, de vivre-ensemble. Même si le Premier ministre Barnier a pris le contre-pied, exprimant le souhait de se rendre sur place, nous serons très attentifs. Le soin apporté à la mise en place de la délégation interministérielle sera un signe de l'attention portée à cette question.

Les annonces ne semblent pas totalement à la hauteur des enjeux : des morts, dont deux gendarmes, une économie massacrée et une situation sanitaire qui ne cesse de se dégrader.

Nous voyons le déplacement prochain des présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat comme un signal fort : les accords de Nouméa et de Matignon ne doivent pas être une parenthèse. Nous appelons l'État à retrouver son rôle impartial, modérateur, facilitateur de dialogue. Sinon, ce texte n'aura été qu'un leurre et le chemin de la paix et de la sérénité restera introuvable. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; M. Jean-Yves Roux applaudit également.)

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) Nous sommes ici pour reporter, au plus tard au 30 novembre 2025, les élections qui devaient se tenir initialement le 12 mai 2024, puis le 14 décembre 2024. Dès le départ, la date du 14 décembre 2024 semblait très optimiste si la conclusion d'un accord global incluant le corps électoral était considérée comme un préalable à l'organisation des élections - position constante de notre commission. Je salue le travail de Philippe Bas, Jean-Pierre Sueur, François-Noël Buffet et Hervé Marseille, qui le disaient déjà dans leur rapport de 2023.

Ce n'est pas le rôle du Parlement ni du Gouvernement de décider pour les Calédoniens si un accord est possible ou non. Le nouveau gouvernement l'a mieux compris que le précédent, heureusement. Forcer la main des acteurs locaux a mené à une crise politique, économique et sociale d'une rare gravité dans l'archipel.

Abandonner la convocation du Parlement en Congrès pour dégeler le corps électoral était un signe bienvenu. Il est urgent de revenir à la méthode consensuelle et au processus de décolonisation et d'autodétermination.

Nous voulons donner le plus de temps possible à l'apaisement et au dialogue. L'accord politique doit être trouvé avant l'intervention du législateur.

La commission des lois a adopté cette proposition de loi avec trois amendements. Nous avons amélioré la lisibilité du dispositif, conformément aux recommandations du Conseil d'État. À la demande de l'ensemble des membres du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, nous avons prorogé les fonctions des membres de son bureau pour éviter deux renouvellements successifs. Afin de garantir l'entrée en vigueur avant le 17 novembre prochain, date de convocation des élections, et éviter tout contentieux, nous avons prévu une entrée en vigueur dès le lendemain de sa publication au Journal officiel.

Ce texte est soutenu par la quasi-totalité des acteurs locaux et a été approuvé à une très large majorité du Congrès de Nouvelle-Calédonie. C'est un signe d'espoir.

Le report des élections doit être la première étape de la reconstruction du destin commun des Calédoniens. Pour conclure, je citerai les mots récents de Lionel Jospin : « L'accord à construire demain doit permettre de fonder un nouveau contrat social entre les communautés qui vivent sur une même terre. Il pourrait aussi ouvrir le chemin d'une évolution des relations de la Nouvelle-Calédonie avec la France, conduisant le moment venu à une émancipation plus complète. » (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; M. Jean-Yves Roux applaudit également.)

M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois .  - Quand les forces de gouvernement de ce pays engagent un travail commun (on ironise sur les travées du groupe SER), il peut aboutir ! Grâce au Gouvernement qui a inscrit cette proposition de loi à son ordre du jour prioritaire, elle pourra être adoptée rapidement.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Heureusement que nous étions là !

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Notre commission des lois est cohérente dans son approche du dossier néo-calédonien - à laquelle son ancien président a hautement contribué avec le rapport de juillet 2022 - autour de l'exigence d'un État impartial et néanmoins actif, et de la recherche d'un accord entre les parties comme préalable à toute intervention constitutionnelle, organique ou législative.

Monsieur le ministre, vous avez effectué votre premier déplacement outre-mer en Nouvelle-Calédonie, ce qui a contribué à rétablir la confiance. Vous avez annoncé des mesures d'urgence bienvenues. Enfin, vous avez engagé un nouveau dialogue avec les formations politiques, les élus et les forces vives de Nouvelle-Calédonie.

Il faut appréhender la situation telle qu'elle est, sans revenir sur les fautes des gouvernements précédents. La vie démocratique de l'archipel est suspendue. Les destructions d'infrastructures, d'équipements publics et d'entreprises ont interrompu un grand nombre d'activités ; le chômage atteindrait 30 %. Les départs de cadres - médecins, enseignants - se multiplient, et un fossé s'est creusé entre les communautés, avec des manifestations de haine jamais vues. J'espère qu'il sera comblé, car il n'y a pas d'avenir sans le rétablissement de la concorde civile et un nouveau dialogue pour explorer les voies d'un destin commun.

Les conditions sont réunies ; j'espère que la mission des présidents des deux assemblées y contribuera. Il s'agira de discuter avec un État bienveillant, accompagnateur des institutions calédoniennes, de la composition des listes électorales, de l'évolution, de la relation entre la Nouvelle-Calédonie et l'Hexagone, des modalités d'exercice du droit à l'autodétermination qui figure dans la Constitution comme dans nos engagements à l'égard des Nations unies. Pour cela, nous avons besoin de reporter les élections provinciales.

Ce temps ne devra pas être gaspillé, car le délai n'est pas excessif. Dans le cas d'un report au 30 novembre 2025, le motif d'intérêt général est évident et le délai de 18 mois est respecté. C'est pourquoi, avec Corinne Narassiguin, nous vous demandons d'adopter ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER)

M. François-Noël Buffet, ministre chargé des outre-mer .  - La situation en Nouvelle-Calédonie est très préoccupante. Les événements du 13 mai et des jours suivants ont été d'une violence inouïe. Les conséquences ont été dramatiques.

La situation économique et sociale est extrêmement grave : 15 % du PIB calédonien a été perdu, 6 000 salariés ont perdu leur poste, 30 % des salariés bénéficient du chômage partiel, 910 travailleurs indépendants sont partis, 11 % des médecins ont demandé à être radiés, les entreprises ont subi des dégâts importants et les collectivités sont dans les plus grandes difficultés.

À l'origine de ces émeutes : la volonté d'organiser les élections provinciales en fin d'année et la nécessité de modifier le corps électoral, conformément à la décision du Conseil d'État.

Les plus belles plaidoiries sont toujours celles qui sont faites après l'audience (Mme Marie-Pierre de La Gontrie apprécie.). Il n'y a donc pas lieu de revenir sur le passé... (Quelques protestations sur les travées du groupe SER) Le Gouvernement souhaitant reporter les élections provinciales et du Congrès à fin 2025, il a saisi l'opportunité de cette proposition de loi pour régler la situation juridique dans un délai court : le texte sera à l'Assemblée nationale le 6 novembre, puis nous espérons le publier très rapidement.

Trouver un consensus sur ce report n'était pas une évidence. Lors de mon déplacement de la semaine dernière, j'ai discuté avec l'ensemble des interlocuteurs, qui souhaitent d'abord répondre à la crise et ne peuvent se projeter immédiatement dans des perspectives électorales.

Le Conseil d'État a donné un avis favorable à ce report, de même que le Congrès de Nouvelle-Calédonie, par 47 voix pour, une voix contre et deux abstentions.

Il s'agit d'entamer un processus de reconstruction, mais aussi de rouvrir des discussions institutionnelles dans un climat apaisé.

Je m'inscris dans la suite du rapport de 2022 : je vous rassure, François-Noël Buffet, ministre des outre-mer, est le même que François-Noël Buffet, président de la commission des lois. (Sourires)

Le Gouvernement soutient ce texte. Je salue le travail de la commission des lois, notamment le prolongement des instances internes du Congrès. Une mission de techniciens sera mise en place rapidement pour faciliter les procédures, offrir de l'oxygène aux territoires, travailler avec les assurances et se pencher sur le nickel - bref, pour soutenir l'ensemble des Calédoniens.

Je salue le déplacement des présidents des deux assemblées, qui nous sera utile. Il faudra poser toutes les questions, et elles sont nombreuses, qu'il s'agisse de l'avenir institutionnel ou du développement économique et social de la Nouvelle-Calédonie.

Nos compatriotes sont inquiets ; ils ont besoin de stabilité, de vision.

L'État et le Gouvernement prendront leurs responsabilités avec impartialité, mais avec détermination. Les élus, particulièrement les maires, doivent être associés, comme les entreprises. L'enjeu est quasi vital pour la Nouvelle-Calédonie.

Je salue solennellement les forces de l'ordre qui luttent contre les violences inimaginables qui ont secoué l'île - et le feu couve encore. Elles ont besoin d'entendre le soutien de la représentation nationale.

Je crois sincèrement que nous pouvons aborder une nouvelle période en Nouvelle-Calédonie.

Merci au Sénat et au président Kanner d'avoir accepté que le Gouvernement inscrive ce texte à son ordre du jour pour l'examiner au plus vite. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SER ; Mme Cécile Cukierman applaudit également.)

M. Stéphane Ravier .  - Après l'annonce par Michel Barnier de l'abandon du dégel du corps électoral voté par le Parlement au printemps, la République française est encore, avec ce nouveau report des élections, sur le reculoir - elle fait donc preuve de faiblesse.

Ces élections auraient dû avoir lieu en 2024. Si le report est désormais inéluctable, il est inacceptable d'avoir tant attendu pour s'en inquiéter. Pendant cinq longs mois, l'État a été aux abonnés absents : élections européennes, législatives, jeux Olympiques, absence de gouvernement... Depuis mai, les Français calédoniens ont été abandonnés à la violence des séparatistes : cinq églises catholiques brûlées, 1 500 bâtiments publics incendiés, 700 entreprises saccagées, treize morts, dont deux gendarmes, 24 000 salariés mis au chômage...

Il faut cesser de craindre ceux qui haïssent la France. C'est l'ordre qui apporte la paix. L'ordre est légitime grâce à la démocratie, laquelle a confirmé que la Nouvelle-Calédonie était française, par trois référendums successifs. On ne négocie pas avec les tueurs de gendarmes, les racistes anti-blancs, les incendiaires et les pillards  - on les met hors d'état de nuire.

Les élections doivent se tenir au plus tôt avant la fin de l'hiver ; les repousser d'un an, c'est abandonner l'avenir de la France dans l'Indo-Pacifique.

Les dislocateurs de notre pays agiraient au nom de la liberté, alors qu'ils sont soutenus par le « front international de décolonisation » de l'autocrate Aliev ? Qu'a-t-il fait de la liberté de l'Artsakh et des 23 otages arméniens qu'il détient encore ? Il est temps de nous faire respecter. Nos renoncements sont des compromissions inacceptables avec nos pires ennemis. Bakou réclame désormais l'indépendance de la Polynésie et de la Corse ; en Martinique, nos services sentent le souffle chaud de l'Azerbaïdjan. Cessons la politique des grands pas en arrière sur le sol calédonien, qui est et restera français.

Mme Cécile Cukierman.  - Le temps des colonies, c'est terminé !

M. Pierre Médevielle .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Nous avons une impression de déjà-vu. Ce report des élections est toujours aussi nécessaire, mais les raisons ne sont plus les mêmes. Il y a huit mois, il fallait laisser le temps de trouver un accord local, ou que le Parlement vote le dégel du corps électoral ; aujourd'hui, la situation rend impossible la tenue des élections.

Car depuis six mois, la situation est tragique, pour les Calédoniens et pour la France. Le bilan s'élève à treize morts ; des patrouilles de quartier sont organisées, car des centaines de maisons ont été incendiées ; à ce propos, je salue nos forces de l'ordre, qui font ce qu'elles peuvent... Des entreprises ont été détruites et l'activité des autres s'est effondrée, sans parler de la crise du nickel. Les recettes des collectivités se sont écroulées et de nombreuses infrastructures publiques ont été détruites. Le montant des dégâts dépasse les 2 milliards d'euros. Une partie du personnel soignant a quitté le territoire, pourtant déjà défavorisé pour l'accès aux soins. La situation économique et sociale est catastrophique.

Comment faire campagne quand l'accès à certaines parties de l'archipel est impossible ? Un nouveau report s'impose.

Accompagnons la Nouvelle-Calédonie, ne l'abandonnons pas aux forces étrangères comme l'Azerbaïdjan, qui souffle sur les braises.

Il faut mettre à profit ce délai. Sur le plan sécuritaire, les émeutes de Saint-Louis doivent être réglées. Il faudra prévoir des observateurs de l'État dans tous les bureaux de vote. Sur le plan politique, cherchons un accord avec tous, sans naïveté.

Le monde nous observe, en outre-mer comme à l'étranger ; le Gouvernement français ne doit faire preuve d'aucune faiblesse.

Le groupe Les Indépendants votera la proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC, et du RDPI)

M. Georges Naturel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie le président Kanner d'avoir déposé cette proposition de loi organique. En juillet, j'avais alerté mes collègues sénateurs sur la situation catastrophique de la Nouvelle-Calédonie. Je remercie le ministre de nous en avoir rendu compte ici.

La question est éminemment politique. En mars dernier, nous avions déjà reporté les élections à fin 2024. Aujourd'hui, nous les reportons au 30 novembre 2025.

Pourquoi est-ce indispensable ? Depuis le 13 mai dernier, la Nouvelle-Calédonie est ébranlée par une vague de violence sans précédent, qui lui a porté des plaies au coeur. Je porte la voix d'un territoire de la République profondément meurtri : la paix civile demeure fragile, l'économie est à terre, la sécurité pas encore restaurée, le couvre-feu encore en vigueur depuis plus de six mois...

L'État a été aux abonnés absents depuis cinq mois. Si des renforts en gendarmes mobiles et en CRS ont été envoyés, si des crédits budgétaires ont été redéployés, aucune initiative politique majeure n'a été prise par l'État depuis le début des émeutes. Les campagnes électorales, la démission du Gouvernement, les jeux Olympiques et la trêve estivale ont eu raison de son implication politique.

L'idée n'est pas de repousser indéfiniment l'échéance électorale, mais de laisser le temps nécessaire pour que les forces vives calédoniennes puissent envisager un avenir, pour que les visions s'affrontent dans l'arène électorale et non dans la rue. Organiser les élections provinciales avant le 15 décembre est impossible.

Comment pourrait-on mener une campagne ? Comment les candidats pourraient-ils porter des projets clairs et fondateurs alors même que les fondements de notre société sont ébranlés ?

Le Congrès a donné un avis favorable à la quasi-unanimité. La Nouvelle-Calédonie a besoin de stabilité pour se reconstruire. Le Conseil d'État, dans son avis du 26 décembre 2023, a rappelé le délai maximum de dix-huit mois pour organiser de nouvelles élections provinciales. Il serait souhaitable qu'elles aient lieu au cours du premier semestre 2025 ; cela permettrait un débat de fond qui ne s'entremêlerait pas avec les autres échéances électorales - je pense aux municipales de mars 2026, ou à d'éventuelles élections nationales anticipées. Nos concitoyens aspirent à la clarté et à la stabilité.

La Nouvelle-Calédonie a besoin d'une gouvernance légitime et forte. Un report au-delà du premier semestre la fragiliserait.

La responsabilité du Parlement dans la résorption de la crise est importante. L'implication de l'État est une impérieuse nécessité : nous, Calédoniens, avons beaucoup de mal à définir un avenir commun sans elle. Les acteurs politiques locaux, indépendantistes ou non, ne parviennent plus à discuter ensemble ; comment pourraient-ils négocier un nouveau projet statutaire, alors que les indépendantistes refusent de s'associer à la table des négociations ? Nous ne pouvons pas attendre indéfiniment que la situation se résolve d'elle-même.

Les accords de Matignon auraient-ils été signés sans l'implication forte de Michel Rocard ? Non. L'État doit redevenir ce partenaire d'équilibre entre les forces politiques du territoire et, par un soutien financier massif, permettre à la Nouvelle-Calédonie de se relever.

Monsieur le ministre, votre venue sur place était attendu et je vous en remercie. J'approuve la proposition du Premier ministre de confier aux présidents des deux assemblées une mission de concertation et de dialogue, qui se concrétisera par un déplacement du 9 au 14 octobre.

C'est dans un cadre démocratique apaisé que les Calédoniens pourront choisir sereinement leurs élus.

Je vous invite à approuver largement ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Saïd Omar Ouali applaudit également.)

Mme Salama Ramia .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Laurence Harribey applaudit également.) Ce nouveau report est indispensable au regard des événements dramatiques qui ont secoué la Nouvelle-Calédonie ces derniers mois. Les émeutes ont fait treize victimes, dont des membres des forces de l'ordre, et plongé l'archipel dans une crise politique, économique et sociale dont il ne s'est pas encore relevé.

Le comité interinstitutionnel calédonien a présenté son plan pluriannuel de reconstruction auprès de l'État. Le Conseil d'État a considéré qu'un report en novembre 2025 au plus tard, bien qu'inhabituel, est acceptable, car il garantit que l'ensemble des textes et des réformes indispensables soient adoptés avant les élections. Cela laissera le temps de trouver un compromis sur le terrain.

Près de cinq mois après le début de la crise, la Nouvelle-Calédonie reste marquée par les désordres. Il y a une crise de confiance entre les différentes composantes de la société, et la tenue de nouvelles élections raviverait encore les tensions. Il faut laisser les parties trouver un nouvel équilibre institutionnel acceptable par tous.

Ce report n'est pas un choix politique, mais un impératif de stabilité et de responsabilité. Je vous invite donc à voter ce texte. Notre responsabilité est de soutenir cette transition dans un esprit de sérénité et de cohésion nationale. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mmes Laurence Harribey et Jocelyne Guidez applaudissent également.)

Mme Maryse Carrère .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Mes pensées vont aux Néo-Calédoniens, endeuillés, appauvris, traumatisés. Depuis mai dernier, près de 700 entreprises ont été pillées ou vandalisées ; des écoles, des médiathèques, des infrastructures médicales sont parties en fumée. Plus de 6 000 personnes sont privées d'emploi et plusieurs milliards d'euros seront nécessaires à la reconstruction du Caillou.

Le gouvernement calédonien a proposé une feuille de route sur trois ans pour repenser le système économique, social et institutionnel. L'État prend en charge la réfection des bâtiments scolaires ainsi que le chômage partiel. C'est essentiel pour relancer la vie locale.

La société calédonienne est inégalitaire : le haut de l'échelle est européen, le bas kanak. Il faut s'attaquer à ces disparités.

Le plan de reconstruction doit être interministériel et associer particulièrement l'éducation nationale - du reste, un intérêt particulier doit être porté à la jeunesse. L'école s'est massifiée mais pas démocratisée. Peu de place est laissée à l'enseignement de l'histoire des peuples premiers. Difficile dès lors de développer un projet éducatif local, commun et émancipé de la tutelle métropolitaine.

Un retour à la paix civile passe par une paix sociale. C'est ainsi que l'on bâtira un avenir commun aux Calédoniens.

Dans ce contexte tendu, notre responsabilité est de reporter les élections provinciales. Les forces politiques locales se sont exprimées en ce sens hier au Congrès. Le RDSE est favorable à ce report.

D'ici là, il faut reprendre les négociations. Selon le Conseil d'État, le dépôt d'un projet de loi constitutionnelle constitue un but d'intérêt général suffisant, ce qui donne une assise au possible dégel.

Monsieur le ministre, nous saluons votre volonté de discuter avec toutes les parties et d'être à l'écoute. Votre récent déplacement a montré que la gouvernance partagée autour d'un « partenariat-indépendance » était souhaitée au-delà du camp indépendantiste. Les discussions devront se faire dans un cadre global, pour parvenir à un projet juste, où tous les Calédoniens trouvent leur place. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe SER)

Mme Jocelyne Guidez .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) À cette tribune, Hervé Marseille avait qualifié le projet de loi constitutionnelle de solution « partielle et unilatérale » qui, loin d'aiguillonner le dialogue, risquait d'aggraver les tensions. Nous n'avons pas été entendus. La Nouvelle-Calédonie en a payé le prix, après 36 années de paix. Depuis le 13 mai 2024, treize personnes ont perdu la vie, des centaines ont été blessées, 3 000 émeutiers ont été interpellés. Un couvre-feu est toujours en vigueur.

La situation économique et sociale, fragilisée par la crise du nickel, est dramatique : 2,2 milliards d'euros de dégâts, 700 entreprises saccagées, 10 000 emplois détruits, 20 000 salariés au chômage partiel... Dans le secteur privé, un salarié sur trois est au chômage. Même l'hôpital a fait l'objet de blocages. À Dumbéa, le Médipôle a perdu 30 % de ses médecins. Le centre hospitalier du Nord ferme des lits.

L'État financera la reconstruction des infrastructures publiques ; c'est bien, mais pas suffisant. Le Congrès de Nouvelle-Calédonie a voté une résolution demandant l'adoption d'un plan quinquennal de reconstruction et d'accompagnement, inspiré de la réponse apportée à Saint-Martin et Saint-Barthélemy après le cyclone Irma. C'est un appel à la solidarité nationale lancé par les élus, de façon transpartisane. S'il n'est pas entendu, la situation risque de déboucher sur des émeutes de la faim.

Or le PLF pour 2025 ne prévoit qu'une seule mesure pour la Nouvelle-Calédonie : la possibilité de contracter un prêt de 500 millions d'euros auprès de l'Agence française de développement (AFD) pour rembourser les avances de l'État. C'est un acte d'abandon ! Nous veillerons au financement de ce plan quinquennal dans le PLF.

Comme l'a déclaré le Premier ministre, vu le contexte, il n'est pas possible de tenir des élections provinciales en décembre prochain.

Nous nous félicitons de la mission de concertation et de dialogue conduite par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat.

L'examen de ce texte doit ouvrir une nouvelle page pour réamorcer le dialogue entre les formations politiques, afin de permettre l'émergence d'un consensus, dans l'esprit des accords de Matignon et de Nouméa. Le groupe UC votera pour. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, SER et du RDSE)

M. Robert Wienie Xowie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) « Le terreau sur lequel on moissonne est vaseux, les équilibres sont fragilisés et les signaux sociétaux s'allument en orange. Ne faisons pas de ce texte le déclencheur d'une crise que personne ne pourra maîtriser. » Ces mots, je les prononçais dans cet hémicycle le 2 avril dernier.

Depuis le 13 mai, on dénombre treize morts, 800 entreprises détruites, 24 000 emplois suspendus ou détruits, 2 milliards d'euros de dégâts. Ayons une pensée pour les familles endeuillées, pour tous ceux qui ont perdu leur travail ou l'investissement d'une vie.

Les vieux réflexes coloniaux se répètent inlassablement. Au lieu de réussir ensemble la sortie de l'accord de Nouméa, qui est un processus de paix et de décolonisation, l'État impose et se braque sur une réforme unilatérale du corps électoral. Vous connaissez la suite.

Le précédent gouvernement a décidé de reporter les élections provinciales, prévues en mai 2024. Le mouvement indépendantiste, très attaché à l'accord de Nouméa, s'est toujours opposé à cette démarche et au fait que la question du corps électoral soit sortie de la discussion globale. Il a alerté sur les risques engendrés par un tel texte.

Michel Barnier a dit souhaiter reprendre le dialogue et rechercher un consensus politique et a annoncé que le projet de loi constitutionnelle ne serait pas soumis au Congrès de Versailles. Nous nous en félicitons mais restons vigilants.

Depuis le 13 mai, une défiance, une rancoeur, une haine se sont exprimées. Pourtant, il va falloir se reparler, vivre à nouveau ensemble.

Je regrette le rejet de mon amendement en commission. Comme une majorité des membres du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, je ne suis pas opposé au report des élections, pour permettre l'adoption d'un budget 2025, traiter les urgences sociales et organiser la rentrée scolaire. Mais pour combien de temps ? Le mouvement du 13 mai a exprimé une défiance envers la classe politique. Il faudra rapidement retourner aux urnes, pour redonner une légitimité politique aux responsables qui auront à écrire une nouvelle page de notre histoire.

Monsieur le ministre, votre réponse à ma question d'actualité ne m'a pas satisfait ; vous affirmez que le principe d'autodétermination est inscrit dans la Constitution française, or seul l'accord de Nouméa garantit le processus d'accession à la pleine souveraineté.

Puisse l'État porter un regard décomplexé sur son histoire coloniale ; ainsi, nous pourrons espérer une décolonisation réussie et définir ensemble les fondations d'une nouvelle relation. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme Mélanie Vogel .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) C'est avec gravité que nous abordons ce sujet. La dernière fois, nous avons commis une faute, contre laquelle nous avions alerté. Elle était évitable, son résultat prévisible.

Mme Cécile Cukierman.  - Très bien.

Mme Mélanie Vogel.  - Cette faute a coûté la vie à treize personnes, qui seraient encore là si nous avions été plus responsables, plus humbles.

M. Mickaël Vallet.  - Bien dit !

Mme Mélanie Vogel.  - Ne reproduisons pas les mêmes erreurs ! La première a été d'isoler la question du dégel du corps électoral de la question de la citoyenneté calédonienne et du statut de la Nouvelle-Calédonie. La deuxième, de rompre avec la promesse d'impartialité, en privilégiant clairement un camp. La troisième, de passer en force en persistant, malgré les alertes, à faire voter un texte sans accord local. La quatrième a été de répondre aux violences par la répression, en incarcérant des militants kanaks en métropole, ce que la Cour de cassation a désavoué. Voilà ce qu'il ne faut plus jamais faire.

La tenue d'élections d'ici décembre est trop difficile - c'est le sens de l'avis du Congrès de Nouvelle-Calédonie. La Nouvelle-Calédonie est souffrante, son économie dévastée, ses habitants meurtris - 29 % des salariés du privé sont au chômage partiel. Les exportations de nickel ont été divisées par trois. La reconstruction, l'apaisement, l'amorce de nouvelles négociations peuvent déboucher sur du mieux.

Cela dépend de nous. Faisons mieux, retrouvons l'esprit de concorde des accords de Nouméa ; ne ratons pas, pour une fois, le processus de décolonisation. Les récentes déclarations du Premier ministre ont rassuré ; il faut maintenant un débouché concret.

Aussi, je demande au Gouvernement de s'engager sur certains points. Le texte ne fixe pas de date pour le scrutin. Or certains acteurs souhaitent que le vote ait lieu au printemps prochain. Convoquerez-vous les élections au moment approprié, y compris au premier semestre 2025 ? Le Gouvernement s'engage-t-il à prendre part au dialogue de façon impartiale ?

S'il n'y a toujours pas de perspective d'accord en novembre 2025, vous engagez-vous à ne pas présenter une réforme unilatérale, qui aurait les mêmes effets que la précédente ?

Selon Einstein, « la folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent ». Gardez-vous de cette folie ! (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Viviane Artigalas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La Nouvelle-Calédonie traverse une crise si grave qu'elle touche tous les secteurs d'activité. La vie quotidienne est devenue intenable, au point que nombre d'habitants ont quitté le territoire. La cause des émeutes ? L'adoption à marche forcée du dégel du corps électoral, sans accord politique global.

Il est salutaire que le Premier ministre se réapproprie ce dossier, hélas bien tardivement. Notre groupe a dénoncé le passage en force du précédent gouvernement. Nous avons réclamé inlassablement un report des élections, préalable à un accord global sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie qui intégrerait éventuellement la question du dégel. Ce n'est ni à l'État ni au Parlement d'imposer un calendrier. L'État doit être un arbitre facilitateur pour la recherche d'un consensus.

Depuis les accords de Matignon en 1988, et de Nouméa en 1998, cette méthode a fait ses preuves. Il faut s'en inspirer, pour construire un destin commun des communautés en Nouvelle-Calédonie. Reprenons le chemin de la concertation. Grâce à ces accords, la Nouvelle-Calédonie est dotée d'institutions locales qui font rempart contre l'effondrement.

Pour résoudre la crise politique, il faut acter le report des élections, mais aussi répondre à l'urgence économique, sociale et humanitaire.

D'où notre proposition de loi organique, jugée indispensable par les protagonistes - j'en veux pour preuve l'avis du Congrès de Nouvelle-Calédonie d'hier, par 47 voix sur 50. Tous les groupes politiques calédoniens s'accordent sur ce constat : il faut prendre le temps d'élaborer un nouvel accord. Notre texte redonne sa place au temps long, à la médiation, à la négociation. En la reprenant à son compte, le Gouvernement démontre sa volonté de renouer ce dialogue.

Face à la deuxième urgence - 6 000 emplois et 700 entreprises détruits ; 25 000 personnes au chômage partiel ou total ; 2,2 milliards d'euros de dégâts -, l'aide de 400 millions d'euros apportée par l'État est insuffisante. Les troubles à l'ordre public, les difficultés matérielles rendent impossible la tenue rapide d'élections.

Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a présenté un plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction. Le Congrès, lui, appelle à la solidarité nationale avec un plan quinquennal de 4,2 milliards d'euros pour soutenir les collectivités locales et les régimes sociaux, l'accès aux soins, les entreprises et la filière du nickel.

Faute de traduction budgétaire dans le PLF, le Parlement s'en chargera par voie d'amendement.

Pour rétablir le dialogue, il faut confirmer que la réforme constitutionnelle est retirée et non pas ajournée, dépêcher une mission de dialogue, créer une instance permanente et commune au sein du Parlement. La situation actuelle révèle les profondes inégalités entre les communautés. Pour compenser les torts subis par les Kanaks, réfléchissons à une solution institutionnelle innovante et consensuelle.

La commission des lois a sécurisé juridiquement notre proposition de loi organique, a renforcé son opérationnalité et garanti son application en temps utile, je l'en remercie. Je vous invite à voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDSE ; M. Bernard Buis applaudit également.)

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Deux précisions pour M. le sénateur Xowie.

Les notions d'indépendance et de décolonisation sont distinctes. Le processus politique et institutionnel initié par les accords de Nouméa et achevé au terme des trois consultations n'emporte pas la fin du processus de décolonisation culturelle, économique et sociale. Le Gouvernement poursuivra les actions engagées en la matière.

Chaque année, les transferts de l'État vers la Nouvelle-Calédonie s'élèvent à un peu plus de 1,7 milliard d'euros. Les 400 millions annoncés par le précédent Gouvernement sont en supplément. Sur le budget 2024, on dégagera 250 millions d'euros pour le soutien aux collectivités et le chômage partiel ; s'y rajouteront 4 millions d'euros pour les navettes maritimes, la route de Saint-Louis étant encore dangereuse.

Pour 2025, 500 millions d'euros de prêt aux collectivités territoriales, auxquels s'ajouteront 170 millions de garanties supplémentaires.

Enfin, il y a la circulaire reconstruction, qui est une dépense de guichet : l'État assumera à 100 % la reconstruction des écoles et à 70 % celle des autres bâtiments publics.

Au total, c'est donc environ 1,3 milliard d'euros consacrés au redressement de la Nouvelle-Calédonie.

Le plan du Gouvernement, c'est le programme S2R (sauvegarde, refondation, reconstruction). Le Congrès en a présenté un autre. Il faudra trouver les points de convergence, puis apporter un financement - les sommes finales seront donc encore plus importantes.

Discussion des articles

Article 1er

Mme la présidente.  - Amendement n°1 de M. Xowie.

M. Robert Wienie Xowie.  - Je propose un report à mai 2025, plutôt qu'à novembre 2025. Avancer les élections provinciales à mai assurerait une légitimité nouvelle aux acteurs qui devront engager les discussions.

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure.  - La commission a souhaité desserrer l'étau du calendrier, afin d'éviter ce qui pourrait être perçu comme de nouvelles pressions. C'est pourquoi nous privilégions le délai maximal autorisé par le Conseil constitutionnel et la jurisprudence du Conseil d'État. Bien sûr, si les parties prenantes en Nouvelle-Calédonie parviennent à un accord permettant d'anticiper la tenue des élections, nous serons heureux de les accompagner dans sa mise en oeuvre législative. Avis défavorable.

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Avis défavorable - mais j'espère vous convaincre de le retirer. (Mme Cécile Cukierman sourit.)

Quand le projet de loi constitutionnelle fixait l'échéance à juillet, j'avais, en d'autres fonctions, plaidé pour un report à décembre, pour laisser le temps à l'accord de se nouer. Mon état d'esprit n'a pas changé.

J'ajoute que les délais administratifs incompressibles pour préparer l'élection s'élèvent à quasiment six mois. Il faudrait donc avoir trouvé un accord avec l'ensemble des élus de Nouvelle-Calédonie d'ici décembre...

M. Patrick Kanner.  - Ça va être compliqué...

Mme Laurence Harribey.  - Même si c'est Noël !

M. François-Noël Buffet, ministre.  - En l'espèce, je ne crois pas au Père Noël.

Si les discussions vont plus vite, on verra bien.

M. Georges Naturel.  - Borner le report à mai 2025 ferait courir le risque de devoir réengager une procédure législative en cas de léger retard. Par sécurité, ne changeons pas le délai maximum du Conseil d'État. Toutefois, j'encourage vivement le Gouvernement à prévoir l'organisation des élections au premier semestre 2025 - c'est une période où il n'y aura aucune interférence électorale.

Nous les insulaires, n'aimons pas la pression ! Laissons-nous le temps, même si notre rôle est de faire au plus tôt.

M. Victorin Lurel.  - J'interviens à titre personnel. Je viens d'entendre le ministre distinguer indépendance et décolonisation. J'exhorte le Gouvernement à ouvrir le champ des possibles. Si vous avez confiance dans la République française et dans ses promesses, il faut laisser les Calédoniens libres de décider. On ne peut pas limiter la discussion, jusqu'en novembre 2025, à l'économie, au social et au culturel. Il y a le politique, l'autodétermination des peuples !

Évoquez toutes les possibilités. Les Calédoniens décideront.

Mme Cécile Cukierman.  - Merci au ministre pour la qualité de nos échanges. Celle-ci a manqué l'an dernier !

J'entends les arguments, factuels, de la rapporteure et du ministre.

Avec cet amendement, notre collègue ne joue pas au loto avec les dates : mai 2025, c'est un an après la date initialement prévue pour les élections. Fin 2025, le report aura été en réalité d'un an et demi.

Nous ne souhaitons pas le pire, mais manquerions d'humilité si nous affirmions qu'aucune embûche ne se présentera d'ici novembre...

Nous ne faisons pas de la date un obstacle irréductible, mais nous voulons acter que le report d'un an respecte mieux le temps démocratique que celui d'un an et demi.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

L'article 1er est adopté.

Les articles 2 et 3 sont successivement adoptés.

Vote sur l'ensemble

M. Patrick Kanner, auteur de la proposition de loi .  - Nous allons sortir par le haut de cette crise. Espérons que l'Assemblée nationale confirmera le vote que nous émettrons dans quelques instants.

Le 7 avril 1988, dans sa Lettre à tous les Français, François Mitterrand écrit : « La Nouvelle-Calédonie avance dans la nuit, se cogne aux murs, se blesse. La crise dont elle souffre rassemble, en miniature, toutes les composantes du drame colonial. Il est temps d'en sortir. (...) Le garant de la paix en Nouvelle-Calédonie ne peut être que la République française. La France ne peut être arbitre que si sa parole inspire confiance. »

Je veux saluer deux personnages majeurs : Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur. Le 26 juin 1988, Michel Rocard disait d'eux qu'ils avaient « fait preuve de courage et de responsabilité sans rien abandonner, su donner et pardonner ». Que ces mots nous inspirent ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Bernard Buis et Mme Marie Mercier applaudissent également.)

M. Georges Naturel .  - La situation économique est catastrophique. Si nous voulons que les Calédoniens puissent débattre sereinement, il faudra que l'État nous accompagne financièrement. Le débat politique ne doit pas se mener dans la rue, mais de façon démocratique. Les élections sont donc essentielles.

En Nouvelle-Calédonie, où je rentre demain, ce sont les coeurs qu'il faut reconstruire. Nous avons besoin de sérénité pour reconstruire la société calédonienne. Je m'y attellerai.

Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER)

Mme Cécile Cukierman .  - Il faut aborder ce sujet avec humilité. Le mot-clé est celui de légitimité. Légitimité des institutions d'abord, pour que les budgets puissent être adoptés d'ici la fin de l'année. Légitimité de ceux qui, demain, devront reconstruire en évitant de nouveaux drames.

La situation de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie ne peut être comparée à la tempête Irma. Ce n'est pas une catastrophe naturelle qui s'est abattue, mais les conséquences du choix de certains de ne pas écouter l'ensemble des forces présentes, ou de n'en écouter qu'une seule, malgré les alertes lancées ici et au Congrès de Nouvelle-Calédonie.

D'où la question de la légitimité démocratique et politique de ceux qui seront les acteurs de la reconstruction.

Parce que nous ne voulons pas être bloquants, que nous voulons que le débat se poursuive à l'Assemblée nationale, parce que « palabrer » est crucial pour construire du commun, nous nous abstiendrons.

La proposition de loi organique est mise aux voix par scrutin public de droit.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°22 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 324
Pour l'adoption 324
Contre    0

La proposition de loi organique est adoptée.

(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER, UC, INDEP et du RDSE)

La séance est suspendue quelques instants.