Renforcer l'indépendance des médias et mieux protéger les journalistes

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à renforcer l'indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes, présentée par Mme Sylvie Robert et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe SER.

Discussion générale

Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi et rapporteure de la commission de la culture .  - Albert Camus, dans son Hommage à un journaliste exilé, en référence à Eduardo Santos, explique que « la presse libre peut sans doute être bonne ou mauvaise, mais assurément, sans la liberté, elle ne sera jamais autre chose que mauvaise », et qu'il n'y a pas de droit des peuples sans expression de ce droit.

Une presse libre a toujours suscité l'inquiétude des pouvoirs, notamment autoritaires. La France n'échappe pas à la règle. Ainsi, Napoléon Bonaparte rétablit la censure en 1800, et Charles X suspend la liberté de la presse en 1830, entraînant sa chute. C'est l'honneur de notre République d'avoir adopté la loi de 1881 sur la liberté de la presse, jamais remise en cause, toujours adaptée.

La liberté de la presse n'est jamais acquise : les journalistes paient un lourd tribut pour la faire vivre.

Nous sommes à une période charnière. Nous avons suffisamment de recul pour agir, grâce aux nombreux travaux menés ces dernières années, et dans les pas de l'Union européenne, qui a intégré cette question majeure pour nos démocraties.

Ces dernières sont en zone de turbulences, victimes de la désinformation, qui mine notre débat public et appelle une véritable éducation aux médias, mais aussi aux ingérences étrangères et à la polarisation à outrance du débat public.

Il revient au législateur de sauvegarder la liberté de la presse et des médias et de mieux protéger les journalistes ; tel est l'objet de ce texte, qui tire les enseignements des travaux parlementaires sur les médias.

On m'a objecté qu'il arrivait trop tôt par rapport aux conclusions des états généraux de l'information, trop tard par rapport à la situation des médias... Mais il y a urgence ! Les médias souffrent et menacent ruine - chaque année, Michel Laugier, notre rapporteur pour avis, le montre.

Une presse qui s'effondre entraîne avec elle le débat public. La « conversation publique » est dominée par le fracas des déclarations péremptoires et par les ingérences étrangères - je vous renvoie aux travaux angoissants de la commission d'enquête sur la concentration des médias. Les causes sont multiples : dilution des sources fiables dans un flot ininterrompu de faits non vérifiés et de propos haineux ; captation des ressources publicitaires par les grands acteurs du numérique ; segmentation des publics, qui s'enferment dans des « bulles de filtre ».

Cette proposition de loi traduit le refus de baisser les bras.

En attendant une réforme en profondeur la loi de 1986, nous proposons d'inscrire dans la loi la jurisprudence du Conseil d'État du 13 février dernier, qui contraint l'Arcom à faire évoluer ses pratiques.

L'article 2 offre de nouveaux outils au régulateur en cas d'atteintes graves et manifestes à la vie démocratique de la nation.

L'article 3 vise à faire des comités d'éthique et de déontologie issus de la loi Bloche de 2016 un levier efficace pour améliorer la confiance dans l'information.

L'article 4 vise à améliorer la visibilité et le contenu les chartes de déontologie dans la presse écrite.

L'article 5 est délégué à la commission des lois : je remercie Lauriane Josende pour son travail constructif. Madame la ministre, il faudra traiter de manière globale la question du secret des sources, pendante depuis 2016, qui nous met en porte-à-faux vis-à-vis de l'Union européenne.

L'article 6, qui instaure un droit d'agrément des rédactions sur le choix de leur directeur, fait débat, je le sais. Il ne s'agit pourtant pas d'une marque de défiance envers les propriétaires des titres : une entreprise de presse sera d'autant plus performante que la confiance régnera entre les parties prenantes.

L'article 7 traite des droits voisins, sujet cher à David Assouline, dont je salue l'engagement en faveur d'une presse libre et indépendante. Les négociations n'ont progressé qu'à coups d'amendes colossales de l'Autorité de la concurrence - 750 millions d'euros ! Cinq ans après la loi de juillet 2019, il est temps de tirer les enseignements d'une négociation déséquilibrée.

Nous avons examiné cette proposition de loi en une semaine : je remercie les collègues qui ont participé aux seize auditions, menées tambour battant.

Nous avons adopté un amendement de réécriture à l'article 1er pour mentionner explicitement « la liberté éditoriale » dont doivent bénéficier les chaînes de télévision. Nous sommes parvenus à un point d'équilibre, car c'est au législateur et à lui seul de fixer l'interprétation de la loi.

La commission a amélioré les articles 3 et 4 : les comités d'éthique des chaînes seront rendus plus transparents. Nous avons assuré une meilleure diffusion des chartes de déontologie. En revanche, si le chantier de leur généralisation demeure ouvert, le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) n'a pas vocation à opérer un contrôle de conformité.

En commission, nous avons renforcé l'article 7 sur les droits voisins, précisé le contenu du décret et confié à l'Autorité de la concurrence le soin de faire respecter ces dispositions.

Nous devons agir, car le temps médiatique est infiniment bref ; chaque jour, les médias et le débat démocratique ploient un peu plus. Madame la ministre, prendrez-vous des engagements devant notre assemblée ? Nous les attendons, et nous les entendrons avec exigence. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDSE ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. Christophe-André Frassa, en remplacement de Mme Lauriane Josende, rapporteure pour avis de la commission des lois .  - La commission des lois est saisie pour avis, avec délégation au fond de l'article 5. Il s'agissait initialement d'étendre la protection pénale sur le secret des sources aux directeurs de publication et aux collaborateurs des rédactions, de soumettre toute levée du secret des sources au juge des libertés et de la détention (JLD) et d'augmenter le quantum de peines applicable en cas d'atteinte au secret des sources. Ces dispositions de la loi Bloche avaient été censurées par le Conseil constitutionnel.

Le secret des sources, dont la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) fait l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse, découle de la loi du 4 janvier 2010, qui a mis en conformité le droit français avec la jurisprudence de la Cour.

Or l'immunité accordée pour protéger les sources doit être proportionnée par rapport à l'objectif constitutionnel de recherche des auteurs d'infraction et au droit à un procès équitable.

Les conclusions des états généraux de l'information appellent à une clarification des exceptions prévues au secret des sources ; or le règlement européen sur la liberté des médias conduira à des évolutions législatives, car il prévoit de nouvelles procédures de protection.

Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la commission des lois a jugé que l'extension de la protection du secret des sources aux collaborateurs était disproportionnée. Elle s'est opposée au transfert au JLD de la compétence des actes de procédure relatifs au secret des sources. Évitons d'alourdir la procédure pénale que l'on cherche à la simplifier. Enfin, l'alourdissement des peines n'offrirait aucune protection supplémentaire.

Ainsi, ces différents points ne peuvent être conservés.

À l'inverse, l'extension de la protection du secret des sources à tous les journalistes et aux directeurs de publication a paru proportionnée et conforme à la jurisprudence.

Aussi, Lauriane Josende a proposé une nouvelle rédaction de l'article 5.

Des sujets restent en suspens. Madame la Ministre, un projet de loi devra tirer les conséquences du règlement européen, ainsi que de la directive contre les procédures-bâillons du 11 avril 2024.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture .  - Il n'y a pas de démocratie et de débat public équilibré sans pluralisme des idées. L'information est un bien public qu'il faut préserver.

Un sentiment de défiance ou de rejet s'installe chez nos concitoyens, sous l'effet des algorithmes : la désinformation, accentuée par l'intelligence artificielle (IA), mine la confiance.

Face à ce constat, le Président de la République a réuni les états généraux de l'information. De grande qualité, ces travaux ont été colossaux - je salue la mémoire de Christophe Deloire, paix à son âme - et les résultats ont été à la hauteur des attentes de l'ensemble des acteurs : une réflexion de grande qualité ; une feuille de route ambitieuse ; quinze recommandations sur les programmes scolaires, la lutte contre les ingérences étrangères, la labellisation ou encore le partage des recettes publicitaires.

Votre proposition de loi ne traite pas de l'éducation aux médias ; elle aborde la question du modèle économique seulement sous l'angle des droits voisins, ce qui est réducteur - je salue d'ailleurs les travaux de Laurent Esquenet-Goxes sur le sujet.

Avec cette proposition de loi, nous restons au milieu du gué. Nous devons aborder la question dans sa globalité et approfondir l'analyse, par exemple sur le contrôle des concentrations et sur la protection du secret des sources -  l'avis du Conseil d'État sera très utile. Lors de l'examen de la loi de 2010 que j'avais fait adopter, tous les groupes politiques étaient favorables au secret des sources. Mais ne légiférons pas, sachant qu'il faudra remettre l'ouvrage sur le métier dans quelques mois puisque le règlement européen nous impose de revoir notre droit avant le 8 août 2025. Votre texte est à contretemps.

Nous devons avoir une approche globale, en nous appuyant notamment sur les travaux de Violette Spillebout et Jérémie Patrier-Leitus.

Je le répète, l'information est un bien public, qu'il faut préserver ; mais il nous faut apporter une réponse plus complète, transpartisane, qui s'appuie sur tous les travaux en cours, dont les vôtres. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Laurent Lafon applaudit également.)

M. Max Brisson .  - Madame la rapporteure, ce texte, aux intentions louables, arrive trop tôt - avant les conclusions des états généraux de l'information - ou trop tard. Auriez-vous un objectif caché ?

L'article 1er consacre la décision du Conseil d'État selon laquelle le contrôle du pluralisme doit s'appliquer à tous les intervenants - chroniqueurs, animateurs, invités compris. Le juge ne s'est-il pas appuyé sur le droit existant, notamment pour adresser ses recommandations à l'Arcom ? Celle-ci a obtempéré, et la situation s'est apaisée. Pourquoi ouvrir le débat ? Est-il nécessaire de légiférer sur une décision du Conseil d'État ? N'auriez-vous pas un autre but ?

Mme Rachida Dati, ministre.  - Au moins, c'est clair...

M. Max Brisson.  - Tout aussi gênant, l'article 2 renforce le pouvoir de sanction de l'Arcom en introduisant la notion « d'atteinte grave et manifeste à la vie démocratique de la nation ». Mais une autorité administrative indépendante (AAI) est-elle légitime pour en juger ? Dans ma conception de l'État de droit et de la souveraineté nationale, on ne saurait confier le pouvoir de suspendre le droit d'antenne à une interprétation subjective ou à un contexte politique ambiant.

Plusieurs voix à droite.  - Très bien !

M. Max Brisson.  - Le rapport issu des états généraux de l'information ne préconise d'ailleurs pas une telle mesure.

Cet article porte atteinte au principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre, qui implique la liberté pour l'employeur de choisir ses collaborateurs. Une telle obligation dissuadera les investissements, alors que le secteur est fragilisé. La clause de conscience et de cession garantit déjà l'autonomie des journalistes vis-à-vis de l'éditeur. Vous faites de la surenchère !

Cette proposition menace la liberté éditoriale des médias audiovisuels, au coeur de la loi de 1986 ; elle est en outre prématurée et ses apports, guère utiles.

Note groupe rejettera les articles 1, 2 et 6 et émettra des réserves sur l'article 7. En revanche, nous attendons que le Gouvernement prenne en compte les recommandations des états généraux et porte une vision plus équilibrée et consensuelle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Michel Laugier applaudit également.)

Mme Marie-Laure Phinera-Horth .  - Je salue le travail de l'auteure de la proposition de loi et de la commission de la culture. Nous partageons le même constat et la même ambition. D'une part, la presse se porte mal, son indépendance n'est pas assurée ; d'autre part, il faut garantir aux journalistes un cadre protecteur.

Je regrette néanmoins que ce texte arrive en séance alors que les états généraux de l'information ont remis leurs conclusions il y a un mois à peine. Les travaux ont duré un an, réuni cinq groupes de travail, 22 assemblées citoyennes, mené plus de 160 auditions et fait quinze recommandations. Au Gouvernement d'en tirer les enseignements et de prendre les mesures qui s'imposent.

Cela dit, nous saluons certaines avancées de cette proposition de loi : à l'article 3, qui donne davantage de visibilité aux comités d'éthique des chaînes de télévision ; à l'article 4, qui améliore le contenu des chartes de déontologie ; à l'article 7, qui crée les conditions d'une négociation plus équilibrée de la rémunération entre éditeurs, agences de presse et plateformes.

Prudence sur d'autres propositions, à l'instar de la sanctuarisation de la jurisprudence du Conseil d'État du 13 février 2024, qui ne nous paraît pas pertinente, d'autant que l'Arcom a démontré ces derniers mois sa capacité à faire respecter les principes d'indépendance et de pluralisme.

Concernant la protection du secret des sources, notre groupe rejoint les conclusions de la commission des lois.

Enfin, l'instauration d'un droit d'agrément des rédactions dans la presse écrite et audiovisuelle pour le choix du directeur de la rédaction soulève des questions économiques et juridiques.

Notre groupe conditionnera son vote à l'adoption des amendements déposés par plusieurs de nos collègues.

M. Bernard Fialaire .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La multiplication des supports de presse, la diffusion rapide des contenus et l'essor de l'IA invitent à la réflexion.

Alors que seuls 16 % des Français feraient confiance aux journalistes, selon un sondage Ipsos de 2021, il importe d'améliorer le cadre déontologique de la profession. En effet, la confiance du public est plus importante envers les journalistes quand il existe un conseil déontologique. La proposition de loi encadre les chartes déontologiques et renforce leur visibilité, avec une obligation de publicité par l'éditeur.

Je propose d'aller au bout de la logique et de créer un ordre des journalistes, composé de membres de la profession. Cet ordre devra aussi délivrer la carte de presse, qui l'est actuellement uniquement sur critères économiques, dès lors que l'on tire 50 % de ses ressources de cette activité. Or la chute des revenus liés au journalisme ne permet plus, par exemple, à des journalistes d'investigation ou à des producteurs de documentaires d'obtenir la carte de presse. En outre, la commission qui la décerne est composée pour moitié de représentants des employeurs, ce qui est discutable. La reconnaissance du statut de journaliste devrait relever d'un collège de pairs.

Madame la ministre, à l'issue des états généraux de l'information, vous avez annoncé une grande loi sur les médias. Définissons un cadre déontologique qui garantira la confiance dans la presse, la qualité de l'information et la protection des journalistes. Espérant vous avoir convaincue, madame la ministre, je retire mes amendements d'appel. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Michel Laugier .  - « La liberté de la presse présente des inconvénients. Mais moins que l'absence de liberté. » Nous partageons tous ici ces mots de François Mitterrand. Tous, nous défendons la liberté de la presse. Tous, nous défendons les 580 journalistes emprisonnés dans 70 pays. Le Sénat est d'ailleurs la première chambre à avoir transposé la directive sur les droits voisins.

Oui, tous, ici, nous défendons la liberté de la presse, mais aussi toutes les libertés, dont celle des parlementaires de déposer une proposition de loi, et ce même si elle vient à contretemps - avant la décision de l'Arcom de juillet dernier et avant les conclusions des états généraux de l'information, et alors qu'un projet de loi est annoncé pour 2025.

Au-delà du calendrier, et si certaines propositions sont directement inspirées du rapport de notre commission d'enquête de 2022, certains articles suscitent des questionnements.

Il en va ainsi de la liberté éditoriale. L'information n'est pas un bien de consommation comme les autres - c'est un journaliste de formation qui vous l'affirme. L'entreprise de presse a une responsabilité particulière : informer honnêtement. C'est un médium entre ceux qui font l'actualité et les lecteurs ou téléspectateurs. Mais un titre de média ne pourrait-il pas exprimer une sensibilité ? Sa ligne éditoriale peut être libérale, proeuropéenne, conservatrice ou progressiste. Nous devons protéger cette liberté, qui permet à tout lecteur de trouver en kiosque l'éventail des publications, quelles que soient leur ligne éditoriale.

Le législateur est aussi le garant de l'indépendance du régulateur et de sa liberté d'action.

Ce texte souhaite graver dans la loi le contrôle du pluralisme exercé par l'Arcom. Or le Conseil d'État en a précisé les contours dans sa décision du 13 février 2024 : la proposition de loi n'apporterait aucune protection supplémentaire. L'Arcom dispose déjà d'une boîte à outils complète et dissuasive, qu'elle sait mobiliser, on l'a vu récemment. Faisons confiance au régulateur.

Les dispositions sur le droit d'agrément sur la nomination du directeur de la rédaction outrepassent le principe de liberté de la presse et entrent en collision avec le droit de propriété de l'actionnaire. Un patron de presse n'aurait pas le droit de nommer les cadres dirigeants de ses propres entreprises ?

Cela découragerait les financements et contribuerait à la paupérisation de l'information. Pourtant des dispositifs existent déjà : droit de veto, droit de cession, clause de conscience.

Je rappelle l'attachement du groupe UC à l'indépendance de la presse et à la liberté rédactionnelle, qui passent d'abord par la solidité économique du secteur. Nous soutiendrons le texte sous réserve des aménagements que j'ai évoqués. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Jérémy Bacchi .  - Le droit de chacune et chacun d'accéder à une information libre, pluraliste et de qualité est de plus en plus remis en cause : privatisation voulue de l'audiovisuel par l'extrême droite pour donner les clés aux propagandistes du pire ; prise de contrôle de titres, de télévisions, de radios par des milliardaires au service de leurs propres intérêts.

Alors oui, débattre est plus que nécessaire. Merci à Sylvie Robert et au groupe SER d'avoir pris l'initiative de ce texte.

Nous saluons le renforcement des sanctions de l'Arcom pour les rendre plus dissuasives. Mais attention à la suspension sans mise en demeure préalable, qui s'inspire d'une décision du Conseil européen de 2022, très critiquée par la Fédération européenne des journalistes. Qualifier certains propos de « propagandistes » est dangereux. La liberté d'expression est protégée -  que les propos fassent consensus ou non.

Nous regrettons que les aides de l'État et des collectivités territoriales ne soient pas conditionnées. Ce texte s'inscrit en effet dans l'esprit de la loi Bloche qui entend responsabiliser les groupes de médias plutôt que de les contraindre -  ce qui ne vient qu'a posteriori, quand le mal est fait.

Enfin, parmi les conclusions des états généraux de l'information, figure la modernisation des seuils anticoncentration, pour définir un seuil unique que les grands groupes plurimédias ne pourraient pas dépasser.

Nous voterons toutefois ce texte qui aura sans aucun doute des effets positifs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ainsi que sur quelques travées du groupe SER)

Mme Monique de Marco .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) La crise institutionnelle nous impose de repenser notre façon de légiférer. C'est dans cet état d'esprit que j'ai accompagné Sylvie Robert lors de ses auditions. Les professionnels entendus nous ont rappelé les dangers d'un cadre imposé par les actionnaires et évoqué les menaces judiciaires qui pèsent sur eux et sur leurs sources : procédures bâillons, perquisitions, gardes à vue d'intimidation.

Après la révolution internet, plusieurs lois sont devenues obsolètes, ainsi la loi de 1986 n'est plus adaptée aux nouveaux usages.

Les obligations qui pèsent sur les réseaux sociaux sont insuffisantes. La valorisation des contenus journalistiques dans les algorithmes est incontournable. Il est urgent de légiférer, alors qu'une nouvelle révolution de l'intelligence artificielle s'annonce et que des transpositions européennes s'imposeront à nous -  quoiqu'en disent certains ici...

Mes chers collègues, si vous êtes des républicains, vous voterez ces mesures en faveur du pluralisme, de l'indépendance et de l'honnêteté. Sous couvert de liberté d'entreprendre et de liberté d'expression, certains font leur miel de la désinformation : « du pain et des jeux »...

Je ne me résous pas à ce que la liberté de presse soit restreinte. Je ne me résous pas à ce que certains ici défendent des intérêts particuliers. « La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c'est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous. Attenter à l'une, c'est attenter à l'autre » disait Victor Hugo. Le rapport des états généraux rappelle que l'inquiétude est grande et que l'information est un bien public, un bien commun qui donne son unité à la cité.

Ce texte arriverait trop tard ou trop tôt ? Ce ne sont que des prétextes pour ne pas le voter.

La Conseil national de la Résistance appelait à « assurer la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l'égard de l'État, des puissances d'argent et des influences étrangères ». Votons ce texte, pour garantir l'indépendance des rédactions, pour mettre les journalistes à l'abri des procédures judiciaires qui veulent les faire taire et pour faire vivre le pluralisme des courants de pensée. (Applaudissements sur les travées du GEST, du CRCE-K et du groupe SER)

Mme Colombe Brossel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Après les Ehpad à but lucratif ou la mixité sociale et scolaire, ce sujet résonne fortement dans la société. Nous poursuivons les travaux de David Assouline, que je salue en tribune.

Alors que de grands groupes vampirisent le paysage médiatique et font infuser leurs idées, le législateur doit réguler cet espace démocratique.

La loi Bloche de 2016 a déjà permis de nombreuses avancées pour plus de pluralisme et de transparence dans les médias. Mais, depuis, la société a changé : certains médias ont disparu, d'autres ont été créés et les réseaux sociaux comme les plateformes ont pris de l'importance.

Je salue le travail de Sylvie Robert, qui a enrichi un texte utile.

L'article 34 de la Constitution prévoit bien qu'il nous appartient de garantir « la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias ».

Pour renforcer notre démocratie, nous avons besoin d'une information de qualité et diversifiée. C'est pourquoi l'article 1er sanctuarise la jurisprudence du Conseil d'État de février dernier. La réécriture de l'article par la rapporteure va dans le bon sens. Nous nous opposerons à sa suppression.

La volonté d'un actionnaire peut faire changer la ligne éditoriale d'un média, du tout au tout, du jour au lendemain. C'est pourquoi l'article 6 prévoit une procédure de validation de la nomination du directeur par la rédaction, nécessaire contrepoids à cette toute-puissance des actionnaires. Cela fera-t-il courir un risque économique au secteur ? Non, car cela fonctionne déjà dans de grands médias. Les droits individuels seraient suffisants ? Nous répondons droits collectifs, régulation et bon fonctionnement d'une rédaction.

Nous devons aller plus loin en matière de droits voisins, sujet sur lequel le Sénat a toujours été à l'avant-garde. Les agences de presse doivent percevoir les droits qui leur reviennent et que les Gafam leur refusent. C'est peu de dire que l'attente est forte au sein de l'écosystème, pour sortir du combat entre le pot de fer et le pot de terre.

L'article 5 étend la protection du secret des sources au directeur de la publication et à l'ensemble des journalistes. La contribution de la commission des lois prouve que des chemins existent pour avancer.

Cette proposition de loi reprend plusieurs des conclusions des états généraux de l'information publiées en juillet.

Fake news, défiance populaire, concentration économique, évolution des usages, développement des plateformes numériques, intelligence artificielle : tels sont les défis que tente de résoudre cette proposition de loi. Je vous invite à la voter avec enthousiasme et gravité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du CRCE-K)

M. Christopher Szczurek .  - Le rôle des médias n'est plus de respecter le pluralisme d'opinion, mais de faire l'opinion : j'admets que cela pose problème. Quand on est systématiquement épargné, on ne voit pas la même chose que lorsque l'on est toujours accablé, croyez-moi.

Les journalistes sont essentiels à la bonne santé intellectuelle d'une nation. Mais leurs droits doivent être assortis de devoirs tout aussi essentiels, que certains bafouent allègrement. Être journaliste ce n'est pas bénéficier d'un totem d'immunité ! On peut être un journaliste d'opinion, mais le respect du contradictoire et la vérification des sources ne sont pas des options.

C8 et CNews sont clairement visées par cette proposition de loi, mais comment qualifier un journaliste qui serait libéral-libertaire ? Pascal Praud est-il de gauche lorsqu'il défend la gestation pour autrui (GPA) ? Cela n'a aucun sens...

Et que dire de l'audiovisuel public qui ne propose que cinquante nuances de gauche ? Ayons pour lui la même capacité d'indignation et les mêmes exigences. Oui, l'audiovisuel public doit être encore plus neutre et impartial, car il est financé par les impôts de tous les Français, qui méritent la juste représentation de toutes les opinions.

Oui au renforcement de l'Arcom, mais à condition qu'elle ne tombe pas dans toutes les turpitudes que je viens d'évoquer.

Je salue la nomination de mon ami et frère d'armes Bruno Bilde au Conseil supérieur de l'Agence France-Presse. (Protestations à gauche) Je sais qu'il fera respecter les dispositions de la loi de 1957, notamment sur l'objectivité de l'information.

Mme Audrey Linkenheld.  - Ce n'est pas rassurant !

M. Christopher Szczurek.  - Certes, cette proposition de loi renforce la protection des sources, mais elle est partiale et très politique, sans garantie pour l'indépendance des journalistes ni le pluralisme d'opinion ; nous nous y opposerons.

M. Pierre-Jean Verzelen .  - Cette proposition de loi part d'un bon sentiment, mais l'enfer est pavé de bonnes intentions.

Certaines mesures vont dans le bon sens - protection des sources, renforcement des droits voisins -, mais la vraie raison d'être du texte est de traduire l'arrêt du Conseil d'État du 13 février qui demande à l'Arcom de prendre en compte les sensibilités politiques de l'ensemble des intervenants, chroniqueurs, animateurs et invités compris. Il s'agit bien sûr de s'attaquer aux médias du groupe Bolloré, dans la droite ligne de la commission d'enquête sur la concentration dans les médias. (MMOlivier Paccaud et Stéphane Sautarel renchérissent.)

Mais le Conseil d'État n'est pas non plus le gardien absolu de la vérité. Pourquoi se mêle-t-il de l'organisation du débat public à la télévision et à la radio ? Ce truc est injouable ! On va mettre le doigt dans un engrenage... Imaginez le salarié de l'Arcom qui, chronomètre à la main, va devoir déterminer si les propos sont de gauche, de droite ou d'ailleurs... Bon courage avec Michel Onfray ou Philippe Caverivière ! C'est lunaire de vouloir mettre ainsi des étiquettes partout... (« Bravo » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Tout n'est pas motivé par des intentions partisanes ou électorales !

Chacun a le droit de zapper et de changer de chaîne. Moi-même, il m'arrive d'écouter France Inter (rires à droite) et j'espère que d'autres prennent le temps de regarder L'heure des Pros.

Mme Audrey Linkenheld.  - (Brandissant le journal) Nous, on lit Le Figaro !

M. Pierre-Jean Verzelen.  - Je vois une forme de mépris social, voire de mépris de classe, dans la décision de l'Arcom d'exclure CNews et NRJ12 de la TNT. (Applaudissements à droite, protestations indignées à gauche) Qui sont ceux qui savent pour les autres ce qui est beau, bon et bien ? C'est la diversité qui fait la saveur de l'audiovisuel.

Il y a quarante ans, on assistait à la création des radios libres et à l'arrivée de Canal+. Aujourd'hui, le projet politique de certains, c'est le retour à l'ORTF (applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Christopher Szczurek applaudit également.), alors que le vrai sujet de l'indépendance se joue en réalité sur internet et sur les réseaux sociaux.

Une grande majorité du groupe Les Indépendants est hostile à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Cédric Vial .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi touche au coeur même de notre démocratie. En 1986, les enjeux étaient radicalement différents. Les évolutions technologiques et les réseaux sociaux sont passés par là, supprimant bon nombre de filtres. Il faut donc ajuster notre droit, mais avec précaution.

La loi ne se fait pas sur de bonnes intentions, ni sur de mauvaises - que l'exposé des motifs ne cherche d'ailleurs pas à dissimuler, à l'égard d'un certain groupe médiatique... (M. Olivier Paccaud renchérit.)

Le Conseil d'État a imposé davantage de contrôles. La régulation est devenue plus complexe et le bon équilibre est délicat à atteindre. La loi de 1986 peut être complétée pour répondre aux enjeux actuels, dont l'indépendance des journalistes, pour une presse libre et forte.

Autre combat : la lutte contre les fake news, qui sèment méfiance et haine au sein de nos sociétés. Il ne s'agit pas de museler l'information, mais de disposer d'informations vérifiées, fiables et pluralistes.

Ne sombrons pas dans un bavardage législatif. L'Arcom a déjà suffisamment de pouvoirs. (M. Max Brisson le confirme.)

Je valide votre démarche, madame la rapporteure, mais pas vos solutions, qui me semblent à contretemps des états généraux de l'information. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. M. Pierre-Jean Verzelen applaudit également.)

Discussion des articles

Article 1er

M. Olivier Paccaud .  - Vos ambitions sont nobles - mais en ciblant Le JDD, Europe 1 et CNews, vous légiférez ad personam, ce qui est bien moins chevaleresque ! Vous convoquez les grands principes, mais, tout comme le bon journaliste, le bon législateur doit vérifier ses sources : la référence, c'est l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et non l'article 11 !

Votre redéfinition de la liberté d'expression ne peut que ressusciter la censure et elle nie la spécificité de la presse d'opinion.

Oui, il y a toujours eu des noces prodigues entre presse et politique, et heureusement ! Heureusement qu'en 1898 L'Aurore de Clemenceau a publié le J'accuse de Zola. Heureusement que L'Humanité, de Jaurès à Fabien Gay, exprime sa vérité, qui n'est pas la mienne.

M. Pierre Ouzoulias.  - Je suis lecteur de La Croix. (Sourires)

M. Olivier Paccaud.  - Heureusement que CNews est différente de France Télévisions, qu'Europe 1 contrebalance France Inter... Personne n'a le monopole du coeur. Dans une démocratie, le droit au désaccord est fondamental. La tirade de Beaumarchais devenue la devise du Figaro est bien connue. Sans Le JDD, sans CNews, sans Europe 1 notre paysage démocratique perdrait de sa vitalité : un tout petit peu de bleu, à côté du blanc et du rouge, nous fait beaucoup de bien ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Adel Ziane .  - Il n'est jamais trop tôt pour défendre le pluralisme et le cadre républicain et démocratique.

M. Max Brisson.  - Ils ne sont pas menacés.

M. Adel Ziane.  - Quand le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a été créé, on ne comptait que six chaînes de télévision et quelques journaux. Aujourd'hui, ce sont 27 chaînes, plus celles de la TNT. Saluons l'arrêt du Conseil d'État, qui a fait évoluer l'interprétation de la loi Léotard.

L'attribution des fréquences répond à des règles. C8 aurait été la cible d'une prétendue vindicte ? Non, C8 a été sanctionnée pour de la publicité clandestine, des propos discriminatoires, stigmatisants et complotistes, pour des insultes et de la désinformation.

M. Max Brisson.  - Double peine ! Ils ont payé des amendes.

M. Thomas Dossus.  - C'est la récidive !

M. Roger Karoutchi.  - Sur le service public, la désinformation, ce n'est pas mal non plus.

M. Adel Ziane.  - Pour apaiser nos débats, il convient de rappeler que cette sanction est justifiée par des manquements. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Jérémy Bacchi et Mme Mathilde Ollivier applaudissent également.)

M. le président.  - Amendement n°10 rectifié de M. Brisson et alii.

M. Max Brisson.  - MM.  Verzelen et Paccaud ont dit haut et fort ce que nombre d'entre nous pensent sur ces travées.

Rappel des faits : le recours de Reporters sans frontières a conduit à un revirement de jurisprudence du Conseil d'État. Le contrôle s'étend désormais à tous les participants, chroniqueurs et invités compris. En juillet dernier, l'Arcom a pris une délibération équilibrée, qui tient compte de ce revirement de jurisprudence.

Ce nouveau cadre a apaisé les craintes et il n'est pas nécessaire de l'inscrire dans la loi. Supprimons donc cet article inutile et obsessionnel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre-Alain Roiron proteste.)

Mme Sylvie Robert, rapporteure.  - La commission a émis un avis favorable. Je vous le dis calmement - je ne suis pas obsessionnelle : à titre personnel, je le regrette. Il serait préférable que le Parlement fixe sa propre interprétation de la loi de 1986.

L'arrêt du Conseil d'État fait date et il va dans la bonne direction. Nous avions là, sur le plan symbolique, une excellente raison d'adopter cet article 1er que j'avais rendu conforme à la délibération de l'Arcom. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Rachida Dati, ministre.  - Je suis d'accord avec les arguments de M. Brisson. Vous l'avez dit, la décision du Conseil d'État est très claire et d'application directe : à quoi bon l'inscrire dans la loi ? Avis favorable. (Mme Audrey Linkenheld proteste.)

M. Pierre Ouzoulias.  - Votre argumentaire me surprend, mes chers collègues. Vous dénoncez souvent le gouvernement des juges - or vous dites ici que la jurisprudence du Conseil d'État serait équivalente à la loi.

Je vous rappelle que la programmation doit refléter « la diversité de la société française », selon les termes de l'article 3-1 de la loi de 1986, et c'est bien ce qui vous ennuie.

Vous défendez dans cet hémicycle l'action de Vincent Bolloré, qui mène un « combat civilisationnel » - c'est son droit. Il est préjudiciable pour la démocratie qu'il se saisisse de la totalité des médias français : voilà le problème ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER)

M. Olivier Paccaud.  - Il ne possède pas L'Humanité...

M. Max Brisson.  - Nous connaissons l'habileté de notre rapporteure, qui fait dire à la commission le contraire de ce qu'elle a voulu exprimer...

M. Patrick Kanner.  - Un peu de respect !

M. Max Brisson.  - ... et qui lui permet de camoufler le but caché de ce texte, qui apparaît pourtant au grand jour.

M. Thomas Dossus.  - Complotiste !

M. Max Brisson.  - Vous avez des obsessions, je le confirme. (On s'exclame à gauche.)

Mme Sylvie Robert.  - C'est vous qui en avez, monsieur Brisson !

M. Max Brisson.  - Nous défendons la diversité, pas vous. Ayez un peu plus de tolérance à l'égard de ceux qui ne pensent pas comme vous ! (Mme Jacqueline Eustache-Brinio renchérit.)

Mme la rapporteure nous a parlé de symbole. Tout est dit ! Nous ne sommes pas d'accord : on ne légifère pas par symbole. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

À la demande des groupes Les Républicains et SER, l'amendement n°10 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°11 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 328
Pour l'adoption 215
Contre 113

L'amendement n°10 rectifié est adopté et l'article 1er est supprimé.

(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Article 2

M. le président.  - Amendement n°6 rectifié bis de M. Vial et alii.

M. Cédric Vial.  - Il s'agit de supprimer l'article 2 qui complète le régime de sanctions de l'Arcom. Or ses pouvoirs sont suffisants pour faire respecter les principes d'indépendance et de pluralisme de l'information.

Mme Sylvie Robert, rapporteure.  - Avis favorable de la commission, mais je ne suis pas surprise... Réfléchissons tout de même à des mesures permettant de préserver plus rapidement notre souveraineté audiovisuelle, ainsi que le respect des engagements des chaînes. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER)

Mme Rachida Dati, ministre.  - Avis favorable : l'article remet en cause le principe de la mise en demeure préalable ; l'automaticité de la publication de la sanction est une peine en soi.

Mme Mathilde Ollivier.  - Cet article est nécessaire : la multiplication des atteintes décomplexées, débridées de certaines chaînes à leurs obligations le montre. Le nombre de sanctions contre C8 ou CNews a considérablement augmenté depuis 2021. Il aura fallu 47 amendes pour qu'une décision soit enfin prise, mais le mal a été fait. La boîte à outils de l'Arcom n'est pas suffisante. On a connu la droite plus prompte à réclamer l'ordre et l'autorité...

La liberté d'expression, ce ne sont pas les fausses informations, les discriminations ou les humiliations, qui minent notre vie démocratique et notre cohésion nationale. Il faut légiférer ! (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. Cédric Vial.  - On peut convenir que l'échelle des sanctions pourrait être revue. Il y a aussi un problème de délais : on peut le regretter, mais c'est la rançon des garanties prévues, comme les droits de la défense, l'indépendance de la personne qui juge... Un ancien ministre de gauche avait fait l'éloge de la rapidité du système judiciaire chinois. Rapide, il l'est incontestablement plus que le nôtre... (On proteste à gauche.)

Le système n'est sans doute pas parfait. (M. Thomas Dossus ironise.) Mais cet article relève plus d'un tir ciblé - l'intervention de Mme Ollivier vient de le prouver - que d'une nouvelle règle de droit.

Sortir de la grille de la TNT n'est pas une sanction. Deux chaînes sortent, deux autres entrent : c'est comme pour la Ligue 1, dont les vingt clubs se renouvellent en partie chaque année...

M. Patrick Kanner.  - D'autant qu'il y en a dix-huit ! (On se gausse à gauche.)

M. Cédric Vial.  - Il y aura peut-être des ajustements à faire, mais cet article n'est pas satisfaisant.

M. Max Brisson.  - La gauche ferait bien d'être un peu plus prudente avec la liberté de la presse... En vérité, nous sommes à fronts renversés ! Votre obsession ciblée vous conduit à remettre en cause un principe que, dans l'histoire, vous avez beaucoup défendu. (Vives dénégations à gauche ; M. Mickaël Vallet s'indigne.)

M. Thomas Dossus.  - Les propos racistes sont interdits !

M. Max Brisson.  - Dans les cas qui le nécessitaient, des amendes ont été prononcées.

Mme Colombe Brossel.  - Au bout de combien de temps ?

M. Yan Chantrel.  - Les chaînes les budgétisent...

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°6 rectifié bis est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°12 :

Nombre de votants 333
Nombre de suffrages exprimés 333
Pour l'adoption 221
Contre 112

L'amendement n°6 rectifié bis est adopté et l'article 2 est supprimé.

Après l'article 2

M. le président.  - Amendement n°12 rectifié de Mme de Marco et alii.

Mme Monique de Marco.  - Cet amendement renforce l'efficacité de la régulation de l'Arcom en prévoyant des délais de procédure réduits pour les cas d'urgence, par exemple en période électorale.

Mme Sylvie Robert, rapporteure.  - Je souscris à votre intention, mais j'ai plusieurs objections à l'amendement. Il manque de précision juridique, notamment sur la notion d'urgence. Il sous-estime le temps nécessaire à l'élaboration de décisions complexes, car touchant à un principe essentiel. Enfin, l'accélération des procédures est aussi une question de moyens. Avis défavorable.

Mme Rachida Dati, ministre.  - Toutes les sanctions prononcées l'ont été dans un délai tout à fait raisonnable eu égard à la nature des affaires. Avis défavorable.

L'amendement n°12 rectifié n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté.

Article 4

M. le président.  - Amendement n°13 rectifié de Mme de Marco et alii.

Mme Monique de Marco.  - Alors que des algorithmes des plateformes procèdent en toute opacité à la priorisation de certains contenus, nous proposons d'améliorer la visibilité des contenus journalistiques à travers des chartes déontologiques. Cet amendement reprend la proposition 11 des états généraux de l'information, pour un pluralisme effectif des algorithmes.

Mme Sylvie Robert, rapporteure.  - Je souscris à votre intention de favoriser la transparence et le pluralisme, mais votre amendement vise un article de la loi de 1881 qui ne concerne que la presse écrite. Par ailleurs, une charte déontologique n'aurait pas de caractère contraignant. La suppression des comptes propageant des contenus signalés est déjà une obligation. Enfin, l'amendement est incompatible avec le DSA ; malheureusement, la législation nationale ne peut aller au-delà des obligations que celui-ci prévoit. Avis défavorable.

Mme Rachida Dati, ministre.  - Nous sommes favorables à une visibilité améliorée des contenus journalistiques, mais nous ne pouvons pas aller au-delà des obligations prévues par le règlement. Ce travail doit être mené au niveau européen. Avis défavorable.

L'amendement n°13 rectifié n'est pas adopté.

L'article 4 est adopté.

Article 5

M. Pierre-Alain Roiron .  - Nous regrettons que la commission des lois ait restreint le champ de cet article. La protection qu'il prévoit ne concerne plus les personnes susceptibles d'être impactées par les atteintes au secret des sources. Espérons que la portée de cette protection ne sera pas encore réduite en séance...

M. le président.  - Amendement n°14 rectifié de Mme de Marco et alii.

Mme Monique de Marco.  - L'European Freedom Medias Act rend nécessaires des adaptations législatives en matière de protection du secret des sources avant le 8 août 2025. C'est l'objet de cet article, que nous prévoyons de rétablir dans toute sa portée.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur pour avis.  - Ma chère collègue, j'imagine que, à la lecture du rapport pour avis de Mme Josende, les raisons qui nous ont conduits à amender l'article 5 ne vous ont pas échappé. Oui, le règlement européen appelle une évolution de notre droit, mais dans le respect de la Constitution. Ce problème d'articulation des normes devrait être traité dans un projet de loi. Madame la ministre, ce travail est devant nous. Faute de retrait, avis particulièrement défavorable.

Mme Rachida Dati, ministre.  - En 2009, nous avons, pour la première fois, consacré la protection des sources dans notre droit. J'avais été très loin en la matière.

Nous devons avoir sur cette question un débat exigeant et apaisé, qui tienne compte des états généraux de l'information, des contraintes constitutionnelles et du droit européen. Cet amendement ne permettrait pas un tel débat. Avis défavorable.

L'amendement n°14 rectifié n'est pas adopté.

L'article 5 est adopté.

Article 6

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié quinquies de M. Laugier et alii.

M. Michel Laugier.  - Il va de soi que je ne suis pas un ennemi de l'indépendance de la presse - je pense que nul d'entre nous ne l'est. Mais il nous appartient de fixer les moyens les plus appropriés à sa réalisation. Or les états généraux de l'information ont écarté le droit d'agrément des rédactions pour le choix de leur directeur, instauré par cet article.

Cette mesure affaiblirait économiquement la presse, au moment où elle a besoin d'investisseurs, notamment pour sa transition numérique - je l'ai montré dans mon rapport sur la presse quotidienne régionale. De fait, qui se lancerait dans l'aventure sans possibilité de diriger le titre ?

En outre, l'agrément instaurerait un climat de défiance généralisée. Je n'ignore pas que des tensions peuvent exister, mais cela ne correspond pas au plus grand nombre de situations dont j'ai eu à connaître, depuis sept ans, comme rapporteur pour avis des crédits de la presse. Rédaction et direction ont un intérêt commun : le succès du titre.

Enfin, un tel droit serait-il compatible avec les protections spécifiques accordées aux journalistes, dont la clause de conscience ?

D'autres pistes existent. La commission d'enquête sur la concentration des médias recommande ainsi de moduler les aides à la presse en fonction de critères d'indépendance.

Mme Sylvie Robert, rapporteure.  - La commission est favorable à cet amendement. Je le regrette, même si j'entends les arguments de M. Laugier.

Mon intention n'est nullement d'instaurer de la défiance entre les journalistes et les actionnaires. Il s'agit de rechercher un mécanisme qui crée des conditions de travail apaisées.

L'information préalable a été entérinée par les états généraux de l'information. Qu'en pensez-vous, madame la ministre ?

Continuons à travailler sur ce sujet, sans polarisation binaire et avec intelligence collective.

Mme Rachida Dati, ministre.  - Le droit d'agrément existe dans certains médias. Nous pourrons en rediscuter lors de l'examen du texte reprenant les recommandations des états généraux. Avis favorable.

M. Yan Chantrel.  - Le droit d'agrément reconnu aux membres de la rédaction vise à éviter la remise en cause de la ligne éditoriale après le rachat d'un titre. L'écrasante majorité des journalistes est favorable à cet outil de démocratie interne.

La presse n'est pas un bien comme les autres. Accorder ce droit serait un signe fort en faveur du pluralisme et de la protection de l'indépendance des rédactions.

Votre volonté de supprimer cet article montre que vous n'êtes pas du côté de la défense du pluralisme. Vous donnez plutôt l'impression d'être les petits télégraphistes de Bolloré... N'oubliez pas que cette mesure concerne tous les médias, y compris ceux que vous montrez du doigt !

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°1 rectifié quinquies est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°13 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 330
Pour l'adoption 220
Contre 110

L'amendement n°1 rectifié quinquies est adopté.

L'article 6 est supprimé.

Après l'article 6

M. le président.  - Amendement n°15 rectifié de Mme de Marco et alii.

Mme Monique de Marco.  - Pour garantir la liberté de la presse, la loi reconnaît des droits individuels aux journalistes et leur impose des contraintes déontologiques. Mais ces droits individuels ne sont plus suffisants dans un contexte de précarisation de la profession. Le récent rapport d'évaluation de l'Assemblée nationale sur la loi Bloche le prouve : les jeunes journalistes n'ont d'autre choix que d'accepter des conditions de travail peu propices à leur épanouissement et dans le cadre desquelles la déontologie est un luxe.

Nous reprenons une proposition de Nathalie Goulet : accorder la personnalité juridique aux rédactions pour reconnaître à leurs membres des droits collectifs et défendre leur indépendance éditoriale.

Mme Sylvie Robert, rapporteure  - Je regrette l'avis défavorable émis par la commission. Alors que la défiance d'une partie de la société à l'égard des journalistes est préoccupante, cette mesure proposée par notre collègue centriste est importante - et réclamée de longue date par les intéressés.

Mme Rachida Dati, ministre.  - La rédaction ne peut pas être une entité juridique au sein d'une entreprise. De plus, rien n'empêche les journalistes de s'organiser en association. Enfin, ce type d'amendement affaiblit les formations syndicales. Avis défavorable.

À la demande du groupe, l'amendement n°15 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°14 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 330
Pour l'adoption 110
Contre 220

L'amendement n°15 rectifié n'est pas adopté.

Article 7

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié quinquies de M. Laugier et alii.

M. Michel Laugier.  - Nous voulons supprimer la nouvelle définition de la publication de presse proposée par les auteurs, qui souhaitent conforter la place des agences de presse.

Or la définition de la loi du 24 juillet 2019 reprend exactement la directive européenne du 17 avril 2019. Les autres pays européens l'ont eux aussi adoptée ; il serait dangereux de s'en éloigner, à peine de faire peser sur les négociations de forts risques contentieux.

Mme Sylvie Robert, rapporteure.  - Avis favorable de la commission, malheureusement. M. Laugier m'invite à être prudente, je l'entends, mais ces dispositions sont fondées sur la réalité de l'application des droits voisins, notamment pour les agences de presse.

Mme Rachida Dati, ministre.  - L'effectivité des droits voisins des éditeurs de presse doit effectivement être améliorée. Mais la définition figurant dans la loi nous est imposée par la directive ; son élargissement serait contraire au droit européen. Avis favorable.

À la demande des groupes UC et Les Républicains, l'amendement n°2 rectifié quinquies est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°15 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 330
Pour l'adoption 220
Contre 110

L'amendement n°2 rectifié quinquies est adopté.

L'article 7, modifié, est adopté.

Les articles 7 bis et 8 sont successivement adoptés.

Vote sur l'ensemble

Mme Monique de Marco .  - Que reste-t-il du texte initial ? Raboté, dépouillé, réduit, il a été voté à coups de scrutins publics, faute d'un nombre suffisants de sénateurs de la majorité.

Je remercie le groupe SER et Sylvie Robert d'avoir ouvert ce débat.

Madame la ministre, vous avez annoncé un projet de loi ambitieux : nous espérons qu'il reprendra les propositions des états généraux de l'information et l'attendons avec impatience.

Dans l'attente, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)

M. Patrick Kanner .  - La droite sénato-gouvernementale a amoindri ce texte. Nous le regrettons, mais nous voterons malgré tout cette proposition de loi, fruit d'un travail remarquable de Sylvie Robert.

Monsieur Brisson, nous n'avons que moyennement apprécié les attaques ad hominem à l'encontre de Mme Robert. C'est comme si je vous avais accusé d'être le porte-parole de M. Bolloré -  ce que vous n'êtes sûrement pas en la matière.

Peut-être ce texte n'était-il pas parfait, mais vous auriez pu vous en saisir plus que vous ne l'avez fait, madame la ministre. Ces propositions devront être reprises, car il y a un malaise dans la presse nationale.

Comme le dit l'adage sud-américain, peut-être pensiez-vous nous avoir enterrés, mais vous avez oublié que nous étions une graine ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Monique de Marco applaudit également.)

M. Max Brisson .  - Nous allons voter les mesures consensuelles et équilibrées qui demeurent - et qui figuraient dans les conclusions de la commission d'enquête. Avez-vous oublié l'ampleur des débats de l'époque ?

Président Kanner, il n'y avait nulle attaque contre Mme Robert. Voilà bien longtemps que nous nous opposons sur ce sujet.

Si nous votons ce qui reste du texte, c'est parce qu'il correspond à un travail partagé.

Seul point commun avec Mme de Marco ce matin (Mme Monique de Marco s'en amuse.) : puisse le Gouvernement se saisir des conclusions des travaux des états généraux pour proposer un texte équilibré et consensuel - ce qui n'est pas le cas de la proposition de loi de Mme Robert. (Murmures sur les travées du groupe SER et du GEST)

Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi et rapporteure de la commission de la culture .  - Je vous remercie d'avoir débattu d'un enjeu absolument essentiel pour notre démocratie.

Je suis peinée que mon texte ait été autant amoindri. Certes, je ne me faisais pas d'illusions sur les articles 2 et 6, mais j'espérais tout de même que l'article 1er, certes symbolique, et qui ne faisait que reprendre la jurisprudence du Conseil d'État, serait adopté. Hélas, le pluralisme n'a pas été défendu sur tous les bancs. C'est très grave ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

Cher Max Brisson, j'ai appris que j'étais obsessionnelle, que j'avais des intentions cachées, que j'étais très habile... Arrêtons avec ces fixations ! Du reste, on se demande de quel côté se trouve l'obsession !

On m'a rétorqué que cette proposition de loi était trop réductrice, mais elle avait le mérite d'ouvrir un débat indispensable. De nombreux documents ont été publiés depuis des années, sans que rien n'avance !

Madame la ministre, avez-vous l'intention de déposer un projet de loi ? L'Europe agit, et la France attend encore. J'espère qu'il y aura une initiative gouvernementale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Maryse Carrère applaudit également.)

M. Laurent Lafon .  - Je remercie Sylvie Robert avoir permis ce débat, duquel nous ne sortons pas sans rien. (Mme Sylvie Robert en doute.)

On ne peut pas légiférer sans prendre en compte les travaux des états généraux de l'information. J'étais dubitatif sur cette initiative - mais ses propositions sont consensuelles et souhaitées par les acteurs du secteur. Je souhaite qu'un texte gouvernemental en fasse la synthèse, afin d'avancer de façon calme et efficace. Il faut prendre en compte l'ensemble des initiatives parlementaires, celle de Mme Robert mais aussi celles de l'Assemblée nationale.

Cela dit, cette proposition de loi existe désormais. Certaines mesures ont été votées à l'unanimité, pour approfondir la loi Bloche et les droits voisins, entre autres. Elle constitue notre apport à la réflexion globale. Nous auditionnerons prochainement Bruno Patino pour qu'il nous présente les résultats des états généraux.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture .  - Je remercie Mme Robert pour cette proposition de loi. La qualifier de réductrice n'est pas une critique, mais un appel à un débat plus large, car l'enjeu est démocratique. La société française est fracturée, on le voit.

Vous vous offusquez d'être traitée d'obsessionnelle, mais j'ai entendu certains ici, à gauche, accuser leurs collègues d'être les télégraphistes d'un groupe médiatique (Mme Sylvie Robert s'en défend) ; ce n'est pas non plus très agréable.

Je suis fière d'avoir consacré le principe de protection des sources des journalistes en 2009, lorsque j'étais garde des sceaux.

Mes services ont commencé à rédiger un projet de loi issu des conclusions des états généraux de l'information. Nous y travaillerons ensemble, je l'espère, mais sans doute pas avant le début 2025. Nous avons tous à y gagner. (M. Pierre-Antoine Levi applaudit.)

La séance est suspendue quelques instants.