Programmation et simplification dans le secteur économique de l'énergie
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie, présentée par M. Daniel Gremillet, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Bruno Retailleau et plusieurs de leurs collègues, à la demande du groupe Les Républicains.
Discussion générale
M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Louault applaudit également.) La loi quinquennale sur l'énergie se fait attendre. Sur l'initiative des commissions des affaires économiques du Sénat et de l'Assemblée nationale, la loi Énergie-climat en a fixé le principe, pour consacrer la préséance du Parlement sur l'administration, de la politique sur la technique, dans ce secteur stratégique.
Cette loi doit déterminer les objectifs de notre politique énergétique dans plusieurs grands domaines : la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), celle de la consommation énergétique, le développement des énergies renouvelables, la diversification du mix électrique, la rénovation énergétique des bâtiments et l'autonomie énergétique dans les outre-mer.
Elle prévaudra sur quatre documents réglementaires : la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), le plan national intégré en matière d'énergie et de climat et la stratégie de rénovation à long terme.
Seulement voilà : de loi quinquennale, il n'y a point.
Certes, Agnès Pannier-Runacher avait présenté un projet de loi sur la souveraineté énergétique, dont le titre premier était consacré à la programmation énergétique. Mais il n'a pas survécu au remaniement de janvier dernier.
Voici donc notre propre texte, très largement adopté en commission et dont la dissolution a reporté l'examen en séance, initialement prévu en juin.
Le pacte législatif d'urgence présenté par les présidents des groupes Les Républicains des deux assemblées prévoit une loi de programmation et de transition énergétiques. Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a annoncé que les travaux de planification énergétique reprendraient immédiatement. Le moment est venu d'avancer de manière transpartisane sur ce sujet crucial.
Car l'absence de loi quinquennale sur l'énergie, donc de stratégie énergétique, pose une vraie difficulté politique et juridique. Elle est source d'incertitude, alors que la transition énergétique nécessite une stratégie claire, des normes adaptées et des moyens suffisants.
Cette absence pose problème au regard des engagements pris. La loi quinquennale sur l'énergie, proposée par l'Assemblée nationale puis élargie par le Sénat, est un élément du compromis de la commission mixte paritaire sur la loi Énergie-climat. Respecter les compromis de CMP, c'est une marque de confiance essentielle en la démocratie parlementaire.
Elle pose problème aussi au regard de l'application de la loi. Le code de l'énergie prévoit en effet qu'une loi de programmation intervienne à compter du 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, et que les documents réglementaires soient compatibles avec ses objectifs. Par ailleurs, la PPE et la SNBC doivent être élaborées dans les six mois suivant son adoption. Des outils concrets - appels d'offres, zones d'accélération - doivent concourir à l'atteinte de ses objectifs.
Elle pose problème, d'autre part, au regard du cadre européen. Nos objectifs énergétiques sont à jour du paquet d'hiver de 2016, mais non du paquet Ajustement 55 de 2021. Il nous faut intégrer les mesures prises, s'agissant en particulier du climat, de l'aviation et des énergies renouvelables. Les directives doivent être transposées - et non surtransposées, j'insiste... - d'ici à 2025. Nous devons nous y atteler, en choisissant toujours les options les moins créatrices de normes et les plus favorables à nos intérêts.
Elle pose problème, en outre, au regard des attentes soulevées. Dès 2021, des concertations ont été lancées. Les entreprises, les collectivités territoriales et les citoyens consultés sont dans l'expectative.
Dans sa délibération du 19 janvier dernier, le Conseil national de la transition écologique (CTE) a demandé la présentation d'un calendrier de travail sur l'élaboration de la programmation Énergie-Climat. La semaine suivante, le Conseil supérieur de l'énergie (CSE) a regretté la suppression du titre programmatique qui aurait permis de fixer un cap indispensable à la réussite de la transition.
L'absence de loi de programmation pose problème, par ailleurs, au regard des besoins. Les filières économiques attendent un État stratège, un cap clair et prévisible, pour réaliser leurs investissements. Ainsi, la filière nucléaire est demandeuse d'une assise législative actant la construction de nouveaux réacteurs. Nous estimons aussi que seule la loi peut offrir à la relance du nucléaire l'ambition politique et la protection juridique nécessaires. On a trop reproché au plan Messmer d'avoir été décidé de manière technocratique. Légiférons pour donner à la relance du nucléaire une légitimité démocratique et la mettre à l'abri des soubresauts politiques et des accroches contentieuses !
Les filières renouvelables sont aussi demandeuses d'une loi, pour diversifier la production ou modérer la consommation. Le fonctionnement des marchés ne conduira pas naturellement à la transition énergétique : nous devons mettre en place des outils pour catalyser les investissements et infléchir les comportements.
À cet égard, nous soutenons une ambition forte en matière d'hydroélectricité, de chaleur, de biogaz et de biocarburants, toutes énergies indispensables pour diffuser la transition énergétique dans les territoires ruraux.
Enfin et surtout, l'absence de loi de programmation pose problème sur le plan démocratique. Même au Parlement européen, un débat a eu lieu sur ces sujets, dans le cadre de l'examen du paquet Ajustement 55. C'est à la représentation nationale de se prononcer.
Le texte présenté par Dominique Estrosi Sassone, Bruno Retailleau et moi-même vise à acter la relance du nucléaire pour maintenir la part de cette énergie dans notre mix aux deux tiers en 2030 et à plus de la moitié en 2050.
Président du groupe d'études Énergie depuis près de dix ans, j'ai acquis la conviction que, dans le secteur de l'énergie, l'essentiel des sujets peut et doit relever d'un compromis national. Pour atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050, la promotion de toutes les énergies décarbonées, nucléaire comme renouvelables, est une évidence. Sortons des postures et avançons de manière ambitieuse, mais concrète, dans le sens de la transition et de la souveraineté énergétiques.
Je souhaite que ce débat nous conduise à poser les bases d'un mix plus résilient, plus décarboné et de nature à relever les défis de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, de la réduction de la consommation fossile et de l'augmentation de la consommation électrique. Nous devons à la fois maximiser la production, adapter les réseaux, réduire la consommation, favoriser les rénovations et protéger les consommateurs.
Je remercie Mme Estrosi Sassone et le président Darnaud, qui ont permis ce débat, ainsi que les rapporteurs Cadec, Chauvet et Mandelli. Ce texte est le fruit du travail du Sénat. Je salue particulièrement les membres du groupe Énergie et ceux de la commission des affaires économiques, ainsi que les associations que nous avons consultées. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Alain Cadec, rapporteur de la commission des affaires économiques . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Louault applaudit également.) J'ai été désigné rapporteur du titre Ier de la proposition de loi, relatif à la programmation.
Le texte fixe une programmation ambitieuse. Pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, il prévoit de maximiser la production, nucléaire comme renouvelable, et de maîtriser la consommation via les rénovations énergétiques et les économies d'énergie.
L'article 1er consacre les grands principes des systèmes électriques et gaziers, dont les participations de l'État dans certaines entreprises, la propriété publique de certains réseaux, la péréquation tarifaire en électricité et le prix de référence du gaz.
L'article 2 abroge la trajectoire de hausse de la composante carbone des taxes intérieures sur la consommation d'énergie.
L'article 3 acte la relance du nucléaire, avec au moins 27 gigawatts de nouveau nucléaire, dont quatorze EPR2 et quinze SMR. L'objectif est de garantir dans la loi le scénario N03, de RTE, le plus nucléarisé, et de maintenir un mix nucléaire aux deux tiers en 2030 et majoritairement en 2050. Six EPR2 supplémentaires sont proposés pour couvrir les besoins de la réindustrialisation. Un effort de recherche et d'innovation dans ce domaine est également prévu.
L'article 4 consacre les différentes flexibilités, dont au moins 6,5 gigawatts d'hydrogène, 1 gigawatt de batteries et 4 mégatonnes de captage du carbone d'ici à 2030.
L'article 5 promeut les énergies renouvelables, avec au moins 29 gigawatts pour l'hydroélectricité, 45 % de chaleur, 20 % de biogaz, et 50 térawattheures (TWh) de biocarburants d'ici à 2030 ou 2035.
Les articles 6 et 7 prévoient une baisse de 15 % des émissions de gaz à effet serre du secteur du transport et une part de 5,5 % de carburants renouvelables d'ici à 2030.
Les articles 8 et 11 consacrent une réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre, de 30 % de la consommation finale totale et de 45 % de la consommation primaire fossile d'ici à 2030. Sous réserve de la sécurité d'approvisionnement, la fin du recours aux centrales à charbon est prévue d'ici à 2027.
L'article 9 prévoit 900 000 rénovations énergétiques par an, soutenues par MaPrimeRénov', dès 2030, et jusqu'à 2 500 TWh d'économies annuelles, soutenues par les certificats d'économies d'énergie (C2E), dès 2026.
Dans le cadre de nos travaux, nous avons auditionné une trentaine de personnalités, issues d'une vingtaine d'organismes. Toutes ont indiqué soutenir la proposition de loi.
S'agissant du nucléaire, EDF a salué l'inscription de six EPR2, correspondant à 10 gigawatts, et précisé que d'autres réacteurs sont nécessaires. La Société française d'énergie nucléaire a appelé à inscrire dans la loi l'objectif de 25 gigawatts d'ici à 2050. Quant à RTE, il a confirmé que le texte semble se rapprocher de son scénario N03. S'agissant des filières renouvelables et de l'hydrogène, les organismes consultés ont jugé pertinents les objectifs prévus.
En commission, nous avons ajusté les objectifs pour l'énergie nucléaire en ce qui concerne la disponibilité des installations, le recours au recyclage et le développement des réseaux. Nous avons aussi conforté les objectifs pour les énergies renouvelables, en promouvant l'énergie hydrolienne, le froid renouvelable et le stockage hydraulique.
En séance, nous proposerons de consolider les objectifs de production nucléaire, de compléter celui de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d'ajuster celui de réduction des consommations totales.
La programmation proposée offre un horizon mobilisateur en faveur de la transition énergétique. Je vous invite donc à adopter le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Patrick Chauvet, rapporteur de la commission des affaires économiques . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) J'ai rapporté le titre II, consacré à la simplification.
S'agissant du nucléaire, l'article 14 modifie la loi afin de prolonger l'existant, de faciliter l'installation des SMR et d'allonger les concessions maritimes à cinquante ans. L'article 15 modifie la loi pour l'appliquer au projet Iter. L'article 16 renforce les sanctions contre les intrusions dans les installations nucléaires.
S'agissant des collectivités territoriales, l'article 17 étend le champ des sociétés locales de production d'énergie renouvelable à l'hydrogène. L'article 18 élargit la contribution au partage territorial de la valeur à l'éolien en mer et à l'hydrogène.
S'agissant des énergies renouvelables, l'article 19 applique le bilan carbone aux projets hydroélectriques soutenus par guichets ouverts. L'article 20 facilite les dérogations aux débits réservés et les augmentations de puissance pour les installations hydroélectriques. L'article 21 autorise à titre expérimental et pour les concessions hydroélectriques échues le passage du régime des concessions à celui des autorisations. L'article 22 renforce les sanctions contre les projets agrivoltaïques alibis.
S'agissant de la protection des consommateurs, l'article 23 dote la Commission de régulation de l'énergie (CRE) de compétences pour surveiller les contrats de long terme d'électricité et de gaz renouvelables et favorise l'essor des installations d'hydrogène et de captage du carbone. L'article 24 encadre la définition des offres, la modification des contrats et l'information des consommateurs.
Ces dispositions sont issues des travaux de la commission des affaires économiques du Sénat sur l'application des lois. Daniel Gremillet et moi-même avions identifié des dispositions à ajuster ou à compléter.
Les acteurs auditionnés ont accueilli très favorablement nos propositions. La CRE et le Médiateur national de l'énergie ont également suggéré des compléments.
En commission, nos amendements ont concerné l'application des mesures de simplification aux installations d'entreposage liées au nucléaire, un éventuel recours aux centrales à charbon après 2027, l'intégration des technologies de captage du carbone dans la prochaine loi de programmation, la définition d'une base légale pour la détermination du prix de référence du gaz, la déclinaison opérationnelle des compétences de la CRE en matière d'hydrogène et de captage du carbone et enfin, la protection du consommateur, suivant les propositions de la CRE et du Médiateur national de l'énergie.
En séance, nous proposerons des amendements relatifs au bilan carbone des projets hydroélectriques, aux contrôles d'urbanisme des installations agrivoltaïques, au rôle de la CRE dans la détermination du prix de référence du gaz et dans la certification des réseaux d'hydrogène.
Voilà des outils concrets pour la transition énergétique.
Merci à Daniel Gremillet pour ce texte d'intérêt général qui, je l'espère, accompagnera une vraie politique de réindustrialisation de notre pays et que je vous invite à adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Didier Mandelli, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable partage pleinement les objectifs des auteurs de ce texte. La transition énergétique est une nécessité évidente. Nous devons être collectivement à la hauteur des ambitions.
Mais il faut définit l'objectif stratégique avant de réfléchir aux moyens de l'atteindre. Or les gouvernements précédents ont fait l'inverse : la loi du 10 mars 2023 a prévu de développer les énergies renouvelables et celle du 22 juin 2023 de relancer le nucléaire, sans qu'à aucun moment nous ne débattions du mix énergétique ! Un débat parlementaire sur un sujet aussi crucial est indispensable.
Je remercie Daniel Gremillet, Dominique Estrosi Sassone et Bruno Retailleau pour ce texte qui comble une lacune regrettable.
Je souscris pleinement à ses objectifs : la baisse des émissions brutes de gaz à effet de serre de 50 % d'ici à 2030, grâce à la réduction de 30 % de la consommation énergétique par rapport à 2012 et à des énergies décarbonées pour plus de 50 % de notre mix énergétique.
Mais en 2030, la relance du nucléaire n'aura pas encore produit ses effets ; il est donc nécessaire d'accélérer la production d'énergies renouvelables. Nous avons enrichi la programmation prévue avec des objectifs pour le photovoltaïque et l'hydrolien.
Nous souhaitons également alerter sur la question des puits de carbone dont la capacité d'absorption doit augmenter si nous voulons atteindre nos objectifs. Malheureusement, elle a été divisée par deux au cours des dernières décennies. Le Gouvernement doit engager sans délai un plan de restauration des puits de carbone. Les technologies de captage et de stockage de CO2 doivent être réservées aux émissions incompressibles et ne doivent pas servir de prétexte pour retarder les efforts nécessaires.
Espérons que le Gouvernement saura organiser un véritable débat au Parlement sur ce sujet qui suscite tant d'attentes chez nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions)