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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Questions d'actualité

Économies demandées aux collectivités territoriales (I)

Mme Cécile Cukierman

M. Michel Barnier, Premier ministre

Liban (I)

Mme Olivia Richard

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Soutien du Gouvernement à la filière biologique

M. Daniel Salmon

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt

Proche-Orient

M. Roger Karoutchi

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Martinique

M. Frédéric Buval

M. François-Noël Buffet, ministre chargé des outre-mer

Crise du logement

M. Dany Wattebled

Mme Valérie Létard, ministre du logement et de la rénovation urbaine

Liban (II)

Mme Sophie Briante Guillemont

Mme Sophie Primas, ministre déléguée chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger

Narcotrafic

Mme Marie-Arlette Carlotti

M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice

Loyers impayés des gendarmeries

Mme Lauriane Josende

M. Bruno Retailleau, ministre de l'intérieur

Économies demandées aux collectivités territoriales (II)

M. Thierry Cozic

M. Laurent Saint-Martin, ministre chargé du budget et des comptes publics

Nouvelle-Calédonie

M. Georges Naturel

M. François-Noël Buffet, ministre chargé des outre-mer

Crise de la filière volaille

M. Yves Bleunven

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt

Liban (III)

M. Khalifé Khalifé

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Précarité étudiante et difficultés financières des universités

M. Yan Chantrel

M. Patrick Hetzel, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

Reconversion du site de Saint-Avold

Mme Catherine Belrhiti

Mme Olga Givernet, ministre déléguée chargée de l'énergie

Assurance chômage des travailleurs transfrontaliers

Mme Annick Jacquemet

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du travail et de l'emploi

Budget 2025

M. Stéphane Ravier

M. Laurent Saint-Martin, ministre chargé du budget et des comptes publics

Avis sur une nomination

Réduction du nombre de conseillers municipaux dans les petites communes

Discussion générale

M. François Bonneau, auteur de la proposition de loi

Mme Nadine Bellurot, rapporteure de la commission des lois

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité, du commerce et de l'artisanat

M. Bernard Buis

M. Michel Masset

M. Hervé Maurey

Mme Cécile Cukierman

M. Guy Benarroche

M. Pierre-Alain Roiron

M. Joshua Hochart

M. Dany Wattebled

M. Philippe Bas

M. Olivier Paccaud

Mme Marie-Jeanne Bellamy

Discussion de l'article unique

M. Henri Cabanel

M. Jean-Baptiste Lemoyne

M. Philippe Grosvalet

M. Gérard Lahellec

M. André Reichardt

M. Bernard Delcros

M. Jean-Gérard Paumier

M. Éric Kerrouche

M. Jean-Marie Mizzon

M. Christian Bilhac

M. Daniel Chasseing

Mme Anne Chain-Larché

M. Guillaume Gontard

Vote sur l'ensemble

M. Henri Cabanel

Mme Anne Chain-Larché

M. Olivier Paccaud

M. Laurent Somon

M. Guy Benarroche

M. Éric Kerrouche

Mme Céline Brulin

M. Vincent Louault

M. François Bonneau

M. Fabien Genet

M. Bernard Buis

M. Stéphane Sautarel

Fermetures abusives de comptes bancaires

Discussion générale

M. Philippe Folliot, auteur de la proposition de loi

M. Marc Laménie, rapporteur de la commission des finances

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État chargée de la consommation

M. Christian Bilhac

M. Bernard Delcros

M. Pascal Savoldelli

M. Grégory Blanc

Mme Isabelle Briquet

M. Louis Vogel

Mme Évelyne Renaud-Garabedian

M. Bernard Buis

M. Ronan Le Gleut

Discussion des articles

Avant l'article unique

Article unique

Mme Olivia Richard

M. Jean-Baptiste Lemoyne

Mme Corinne Bourcier

Après l'article unique

Conseil européen des 17 et 18 octobre 2024

M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe

Mme Catherine Dumas, vice-présidente de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes

M. Claude Kern

Mme Silvana Silvani

Mme Mathilde Ollivier

M. Didier Marie

M. Louis Vogel

M. Cyril Pellevat

Mme Nadège Havet

M. Ahmed Laouedj

M. François Bonneau

M. André Reichardt

Mme Marta de Cidrac

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes

Ordre du jour du jeudi 10 octobre 2024




SÉANCE

du mercredi 9 octobre 2024

4e séance de la session ordinaire 2024-2025

Présidence de M. Alain Marc, vice-président

Secrétaires : Mme Alexandra Borchio Fontimp, Mme Catherine Conconne.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement. Le Président du Sénat, M. Gérard Larcher, ne peut présider notre séance, car il se rend en Côte d'Ivoire, à l'invitation de la Présidente du Sénat ivoirien, Mme Kandia Camara, dont il est l'invité d'honneur à l'occasion de l'ouverture de la session parlementaire du Sénat ivoirien et du colloque des Sénats africains qui doit aboutir à la création d'une association des Sénats d'Afrique.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et du temps de parole.

Économies demandées aux collectivités territoriales (I)

Mme Cécile Cukierman .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER) Monsieur le Premier ministre, vous vous êtes longuement exprimé devant l'Assemblée nationale et le Sénat pour votre déclaration de politique générale. Mais à aucun moment vous n'avez présenté votre projet austéritaire, pourtant déjà prévu.

Un effort supplémentaire de 5 milliards d'euros va être demandé aux collectivités territoriales, alors que nous connaissons tous les terribles difficultés auxquelles elles doivent actuellement faire face. Cette ponction accrédite l'idée inacceptable répandue par MM. Le Maire et Cazenave que les collectivités seraient responsables de l'endettement. C'est honteux, alors qu'elles assument elles-mêmes leur dette !

Votre plan de casse du service public local va mettre à mal l'investissement local, qui représente pourtant plus de deux tiers de l'investissement public et alors que les collectivités sont bien souvent le dernier rempart contre les coups de boutoir du libéralisme, un bouclier contre la paupérisation.

Monsieur le Premier ministre, confirmez-vous votre choix, contre les collectivités et leur population, contre votre pays et ses territoires ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur quelques travées du groupe SER et du GEST)

M. Michel Barnier, Premier ministre .  - Mesdames et messieurs les députés... (on s'en amuse sur toutes les travées), sénateurs, pardon. Je viens de l'Assemblée nationale, je suis encore dans une ambiance différente...

M. Mickaël Vallet.  - Deux salles, deux ambiances ! (Sourires)

M. Michel Barnier, Premier ministre.  - Vous ne pouvez pas dire que nous faisons des choix contre la France : ce n'est pas vrai ! J'ai l'honneur d'être le Premier ministre de notre pays, confronté à une situation que nous devons traiter, en responsabilité, devant les Français.

Votre question est légitime ici, compte tenu du rôle du Sénat.

Les dépenses des collectivités territoriales ont beaucoup augmenté ces dernières années, et nous savons pourquoi. Cet argent a été bien utilisé et nombre de ces dépenses sont subies ou contraintes, en raison de l'inflation ou de décisions de l'État.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Eh oui !

M. Michel Barnier, Premier ministre.  - Je sais tout cela. Mais ces dépenses sont là et elles contribuent aussi au déficit de la France, dont nous sommes comptables, et qui crée du doute tout autour de nous : en Europe, comme chez nous.

Nous avons donc la responsabilité, que j'assume, de réduire le déficit à 5 % du PIB l'année prochaine, et d'essayer d'atteindre 3 % en 2029.

Mais cet effort doit être partagé de la façon la plus juste possible.

Président d'une assemblée départementale pendant dix-sept ans, je ne mettrai jamais les collectivités territoriales en accusation. Jamais ! Elles gèrent des projets, au plus près des gens.

Au travers du projet de loi de finances que nous présenterons demain, nous protégeons les collectivités territoriales les plus fragiles ; nous reverserons des sommes retenues ou prélevées ; nous préserverons les dépenses d'investissement.

Nous leur demanderons néanmoins un effort, dans un esprit de partenariat. C'est le travail de Catherine Vautrin et de Françoise Gatel. Nous proposerons un pacte pour identifier les besoins et nous mettre d'accord sur les chiffres.

Nous souhaitons éviter que des dépenses nouvelles soient imposées aux collectivités territoriales, alléger les contraintes qui pèsent sur elles, réduire des dépenses qui n'ont pas de sens, donner plus de liberté locale, car cela coûte souvent moins cher et peut rapporter beaucoup.

Je souhaite évoquer le sujet de l'eau et de l'assainissement. (« Ah ! » à droite et au centre)

Je remercie Jean-Michel Arnaud pour son engagement, mais aussi Alain Marc, Jean-Yves Roux et Mathieu Darnaud...

M. Jean-François Husson.  - Merveilleux !

M. Michel Barnier, Premier ministre.  - Depuis la loi NOTRe, dix ans se sont écoulés, mais une difficulté subsiste, presque une blessure, dans la confiance entre le Gouvernement et le Sénat.

Nous souhaitons clarifier les choses. Nous ne reviendrons pas sur les transferts déjà réalisés, mais il n'y aura plus de transfert obligatoire en 2026. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, ainsi que sur quelques travées des groupes RDSE, RDPI, SER et CRCE-K) Cela vaudra pour les communes n'ayant pas encore opéré le transfert.

Nous souhaitons donner plus de liberté aux collectivités territoriales et leur faire davantage confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Cécile Cukierman.  - Il ne suffira pas de revenir sur les difficultés issues de la loi NOTRe, que j'avais moi-même contestée, mais je vous en sais gré.

Vous avez raison, tout le monde doit prendre ses responsabilités. Dans un pays où il n'y a jamais eu autant de riches ni autant de pauvres, les riches doivent contribuer à l'effort pour sortir notre pays de la logique austéritaire que vous nous proposez ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)

Mme Céline Brulin.  - Exactement !

Liban (I)

Mme Olivia Richard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Permettez-moi d'associer Olivier Cadic à ma question.

Ce lundi 7 octobre, nous avons commémoré les attentats terroristes qui ont endeuillé Israël.

Aujourd'hui, alors que la France connaît une augmentation alarmante des actes antisémites, nous affirmons notre solidarité avec Israël dans son aspiration à la sécurité et au retour des otages et nous redisons notre solidarité avec les populations civiles qui souffrent et meurent tous les jours à Gaza et au Liban.

Le Hezbollah a entraîné le Liban dans un conflit dont les Libanais ne veulent pas ; le Liban n'est pas le Hezbollah. Dans ce pays frère de la France, la situation se dégrade de jour en jour : plus de 2 000 morts, des milliers de blessés, un million de personnes qui fuient. Ce pays était pourtant déjà à genoux !

La solidarité s'organise localement, mais cela ne suffira pas. La population ne pourra pas répondre seule aux besoins humanitaires immenses.

Dans ce contexte alarmant, que peut la France, la « tendre mère » ? Quid de nos 700 soldats engagés au sein de la Finul ? Quel accompagnement pour nos 24 000 compatriotes au Liban, qu'il faudra sans doute évacuer bientôt ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains et du RDPI)

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Le Liban, pays frère de la France, est aujourd'hui au bord du gouffre. Avant l'intervention israélienne, sa situation était dramatique ; elle est aujourd'hui catastrophique : des milliers de morts, des centaines de milliers de déplacés. Si rien n'est fait, le Liban pourrait ressembler à la Syrie : un foyer d'instabilité où prospèrent le terrorisme et les gangs et d'où partent des centaines de milliers de civils pour trouver asile en Europe.

Le Gouvernement agit pour assurer la sécurité de nos ressortissants, de nos agents et de nos militaires.

Il agit pour amener les deux parties à un cessez-le-feu dans ce conflit déclenché par le Hezbollah. Nous avons déposé une proposition de cessez-le-feu il y a dix jours.

Il agit en apportant au Liban toute l'aide dont il a besoin. Je vous l'annonce : la France accueillera le 24 octobre une conférence internationale pour le soutien au Liban.

Enfin, il agit en encourageant les responsables politiques libanais à se doter d'un président.

Vous le voyez, le Gouvernement est pleinement engagé au service du Liban et de la paix. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe UC)

Soutien du Gouvernement à la filière biologique

M. Daniel Salmon .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER) Parlons dette écologique. L'agriculture biologique connaît une crise sans précédent depuis trois ans : engagements non tenus, multiplication des labels plus ou moins fallacieux, suppression de l'aide au maintien, retards dans le paiement des aides. Tout est fait pour freiner le développement de la bio !

Avec des conséquences désastreuses : de plus en plus d'agriculteurs bio déconvertissent leurs fermes. Un immense gâchis d'argent public ! Les pertes économiques ont été estimées entre 250 et 300 millions d'euros en 2023. La surface agricole utile en bio stagne.

Non, il n'y a pas deux modèles qui se valent : la bio est le plus abouti pour la santé et l'environnement. La bio n'est ni une niche ni une option ; elle doit être le cap.

Il n'y a plus de temps à perdre pour respecter les objectifs de l'État à horizon 2030. Le fonds d'urgence de 105 millions d'euros mis en place en début d'année est insuffisant. Il est impératif de créer de nouveaux débouchés et de poser les bases d'un financement équilibré !

Madame la ministre, vous engagez-vous à mener une politique ambitieuse pour sauver l'agriculture biologique ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt .  - Monsieur Salmon, vous qui êtes un bon connaisseur de la filière biologique, vous savez que la crise est conjoncturelle, mais aussi structurelle.

L'inflation a conduit à une diminution de la part de l'alimentation biologique dans les dépenses des ménages. Mais il y a aussi des difficultés à trouver les débouchés à la mesure de l'intérêt de la filière et des efforts consentis, par elle comme par l'État.

C'est un enjeu de revenu des agriculteurs, de souveraineté alimentaire et de transition écologique.

Le Gouvernement n'a jamais cessé d'apporter son aide, que vous considérez insuffisante, mais tout de même : aides d'urgence de trésorerie -  104 millions d'euros en 2023 et 90 millions d'euros en 2024 ; aides pérennes - un crédit d'impôt à hauteur de 109 millions d'euros et plus de 50 millions d'euros pour l'écorégime ; le budget du Fonds Avenir Bio est en hausse de 5 millions d'euros ; le budget de communication pour valoriser les productions biologiques a été porté à 5 millions d'euros par an. Je pense aussi aux 20 % de produits issus de l'agriculture biologique dans la restauration collective.

C'est un pan très important de notre agriculture, qui fait vivre nos agriculteurs. Je le dis solennellement : je serai à leurs côtés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC et du RDPI)

M. Daniel Salmon.  - Le bilan de la dernière décennie, c'est 100 000 fermes en moins, des agriculteurs déprimés et en colère, l'effondrement de la biodiversité. Ce sont surtout 19 milliards d'euros de coûts cachés pour la santé ! Faisons la vérité sur les prix : non, la bio n'est pas chère !

Monsieur le Premier ministre, faisons vivre le principe pollueur-payeur que vous avez initié et nous verrons quelle est l'agriculture la moins chère ! (Applaudissements sur les travées du GEST)

Proche-Orient

M. Roger Karoutchi .  - Il y a trois jours, l'Élysée publiait un communiqué réaffirmant « l'amitié indéfectible » de la France avec Israël. Pourriez-vous nous décoder la formule ? (Rires et vifs applaudissements à droite)

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Merci beaucoup pour votre question (sourires), qui me permet de rappeler que la France se tient aux côtés d'Israël, pays auquel l'attachent des liens nombreux et anciens et où vivent 180 000 de nos compatriotes.

La France est attachée de manière indéfectible à la sécurité d'Israël. Ce ne sont pas seulement des mots, ce sont des actes. Lorsque le Hamas perpètre contre Israël le pire massacre antisémite depuis la Shoah, la France sanctionne les responsables du Hamas. Lorsque l'Iran déclenche une attaque balistique d'ampleur contre Israël, la France mobilise ses moyens militaires pour lui faire échec. Lorsque l'Iran menace Israël avec son programme nucléaire, la France est en première ligne.

Mais la force seule ne peut suffire à garantir la sécurité d'Israël et des Israéliens. Le recours à la force doit désormais céder la place au dialogue et à la diplomatie. C'est pourquoi la France, avec d'autres, appelle au cessez-le-feu. Mais quand on appelle au cessez-le-feu, on ne peut en même temps livrer des armes offensives à l'un des belligérants... (On s'en émeut à droite ; applaudissements sur les travées du GEST et du groupe CRCE-K.)

M. Jacques Grosperrin.  - Naïveté !

M. Jean-Noël Barrot, ministre.  - C'est une question de cohérence. Mais la France n'en demeure pas moins indéfectiblement attachée à la sécurité d'Israël. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Roger Karoutchi.  - Apprendre que la France a pris des sanctions contre les dirigeants du Hamas seulement après le 7 octobre m'étonne. J'ose espérer qu'il y en a eu avant ! On ne négocie pas avec un mouvement terroriste.

Être ami, c'est se dire la vérité. Mais ce n'est pas dire à Israël, deux jours avant la commémoration du 7 octobre, « vous n'aurez plus d'armes » (« très bien ! » et applaudissements à droite et sur quelques travées des groupes UC et SER), surtout quand nous n'en livrons pas à Israël, mais au Qatar... (Mêmes mouvements)

On demande à Israël de ne pas réagir trop fortement pour ne pas embraser la région. Mais quel pays au monde accepterait de recevoir 200 missiles sans réagir ?

La guerre au Liban est un crève-coeur, vu les liens de la France avec ce pays. Depuis le 8 octobre de l'année dernière, le Hezbollah bombarde tous les jours les villes du nord d'Israël, dans une indifférence quasi générale. C'est inacceptable ! Quel pays au monde accepterait de vivre cela et de s'entendre dire qu'il ne doit pas réagir ?

Israël regarde beaucoup la France, mais la France sait-elle encore où elle habite ? Faites en sorte que les Israéliens retrouvent l'adresse de la France ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP ; M. Patrick Kanner applaudit également.)

Martinique

M. Frédéric Buval .  - Blocages, affrontements avec les forces de l'ordre et violences urbaines se propagent peu à peu outre-mer, que ce soit en Guyane ou à la Martinique. Nous condamnons ces actes de violence et appelons au retour au calme.

Les causes de cette colère sont profondes. À la Martinique, la vie chère cristallise les mécontentements. Alors que le coût de la vie est 40 % plus élevé que dans l'Hexagone, les ménages martiniquais sont asphyxiés, au mépris de la promesse républicaine d'égalité, de solidarité et de fraternité.

Nous avons fait des propositions pour faire baisser durablement les prix : supprimer l'octroi de mer régional et la TVA sur 54 produits ; constituer un fonds de compensation des frais d'approche pour les produits de première nécessité ; renforcer le contrôle des marges des distributeurs et des grossistes-importateurs ; accompagner l'autonomie alimentaire en diversifiant et en structurant les filières.

Le Gouvernement doit valider rapidement ce protocole d'accord. Quand allez-vous venir sur place et quelles sont les mesures envisagées pour répondre au mécontentement légitime de la population martiniquaise ? (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe INDEP)

M. François-Noël Buffet, ministre chargé des outre-mer .  - Je salue d'abord votre engagement en Martinique et la condamnation claire des violences contre les forces de l'ordre. Partout sur le territoire, l'ordre républicain doit être assuré.

Les écarts de prix entre l'outre-mer et l'Hexagone sont anciens et inexplicables. Nous devons travailler pour que ceux-ci diminuent.

Les pistes que vous évoquez font partie des propositions qui sont actuellement étudiées et discutées avec la collectivité territoriale de Martinique et les acteurs économiques. La réponse du Gouvernement interviendra rapidement, car, demain, une réunion importante aura lieu avec le préfet.

L'État va également renforcer les moyens de l'Observatoire des prix, des marges et des revenus dans les outre-mer. Nous savons que certains mécanismes de formation des prix ne sont pas explicables, mais les contrôles doivent être réalisés, sans faiblir.

En 2022, la Martinique était autosuffisante à 32 %. Afin d'améliorer ce taux, nous devons progresser dans la diversification des filières.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. François-Noël Buffet, ministre.  - Au-delà de la crise actuelle, nous allons répondre aux enjeux structurels de moyen et de long termes. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Crise du logement

M. Dany Wattebled .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Alors que la France affronte une grave crise du logement - les ventes dans le neuf ont chuté de moitié au premier trimestre par rapport à l'an dernier -, le Premier ministre a appelé les maires à revitaliser la construction de logements. L'objectif est louable, mais risque de rester un voeu pieux.

Car, dans les faits, les maires ne sont guère incités à construire. ZAN, protection des espèces, des zones humides et autres normes environnementales freinent leurs initiatives, d'autant que les recours se multiplient. Résultat : les chantiers prennent des mois, voire des années, de retard, décourageant les investisseurs. Par ailleurs, la suppression de la taxe d'habitation prive les communes d'une source majeure de revenus. Quant aux départements, ils pâtissent de la baisse des droits de mutation - pour le Nord, 100 millions d'euros en moins.

Les maires sont face à un paradoxe : construire plus, sans nouvelles recettes. Le précédent ministre du logement avait proposé d'élargir le prêt à taux zéro (PTZ), d'augmenter le logement intermédiaire détenu par les organismes d'HLM ou encore de généraliser les permis d'aménager multisites.

Quelles mesures concrètes allez-vous prendre pour accélérer la construction de logements neufs et inciter les maires à agir ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

Mme Valérie Létard, ministre du logement et de la rénovation urbaine .  - C'est parce que le Premier ministre a bien compris que la crise du logement est au coeur des préoccupations des Français qu'il a décidé d'un effort particulier dans ce domaine. En témoigne la création d'un ministère de plein exercice, une première depuis 2017.

Mme Audrey Linkenheld.  - C'est vrai !

Mme Valérie Létard, ministre.  - Cette crise, qui s'inscrit dans un contexte de dette budgétaire et écologique, appelle des propositions pragmatiques. Plusieurs mesures concrètes ont été annoncées dès la déclaration de politique générale, notamment pour relancer la primoaccession. Le Premier ministre entend développer le PTZ, qui a fait ses preuves, en tout point du territoire, pour aider nos compatriotes, notamment les jeunes ménages, à devenir propriétaires et à préparer leur retraite.

Nous devons aussi relancer l'investissement locatif, pour loger étudiants, travailleurs et agents publics. Plusieurs travaux, notamment parlementaires, ouvrent des pistes. (Mme Sonia de La Provôté approuve.) J'ouvrirai rapidement des consultations sur ce sujet.

Nous serons également au rendez-vous du logement social. Des engagements ont été pris par le gouvernement précédent, à hauteur de 1,2 milliard d'euros. Un gel a été décidé cet été, compte tenu de la situation budgétaire : il mettait en difficulté la rénovation thermique des logements sociaux. Je vous confirme que l'intégralité des crédits gelés, 200 millions d'euros, seront reportés en 2025.

Enfin, d'autres chantiers sont engagés, notamment sur le diagnostic de performance énergétique (DPE) et la rénovation thermique. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur de nombreuses travées du groupe UC)

Liban (II)

Mme Sophie Briante Guillemont .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Alors que le Proche-Orient est au bord de l'embrasement, la France se doit d'assurer la protection de nos compatriotes.

Les 21 000 Français du Liban sont extrêmement angoissés. La France n'a pas encore, contrairement à d'autres pays, fait le choix d'évacuer ses ressortissants. Or les bombardements sont nombreux, y compris sur la route de l'aéroport, et nombre de nos compatriotes n'ont pas les moyens de payer leur billet d'avion et de s'installer en France. Ceux qui restent devront faire face à la perte de leur activité, et un de nos lycées, Abdel Kader, ne rouvrira pas ses portes.

Comment aider ceux qui veulent rentrer en France ou s'y installer, notamment lorsqu'ils n'y ont pas de famille ? Comment aider ceux qui choisissent de rester, notamment en matière sociale et scolaire ? Quel message adressez-vous à la communauté française au Liban, qui vit dans l'angoisse d'un bombardement mal ciblé et du bourdonnement incessant des drones ? (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Xavier Iacovelli applaudit également.)

Mme Sophie Primas, ministre déléguée chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger .  - Madame la sénatrice, je vous félicite pour votre première question d'actualité. Elle m'offre l'occasion de ma première réponse... (Sourires ; applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, du RDSE et sur quelques travées du groupe SER)

Oui, nos compatriotes établis au Liban sont angoissés. Nous avons beaucoup renforcé les moyens de l'ambassade et du consulat pour les écouter, les recevoir et les soutenir. Mon collègue Jean-Noël Barrot, en liaison avec le ministre des armées, a permis, hier, à plus de cinquante de nos compatriotes vulnérables de regagner la France en utilisant le retour d'un vol humanitaire de l'armée. Nous travaillons à l'organisation d'autres vols et à l'ouverture de places sur les vols commerciaux.

M. Xavier Iacovelli.  - Très bien !

Mme Sophie Primas, ministre déléguée.  - J'étais à Roissy pour accueillir cette cinquantaine de ressortissants : ils sont reconnaissants à l'État d'avoir répondu présent face à leur détresse. Oui, les enfants que j'ai rencontrés parlaient du bourdonnement des drones -  c'était poignant.

En plus de travailler à associer les uns et les autres en vue d'un cessez-le-feu, nous poursuivrons le soutien à nos services sur place. Nous n'envisageons pas d'autres mesures pour l'instant. Nos compatriotes ne demandent pas à être évacués : ils attendent de l'attention et du soutien, que nous continuerons de leur prodiguer. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe INDEP et sur des travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Sophie Briante Guillemont.  - C'est une très bonne première réponse, madame la ministre. Les Français du Liban ont grand besoin d'être rassurés ! (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Narcotrafic

Mme Marie-Arlette Carlotti .  - (Vifs applaudissements sur les travées du groupe SER) La guerre des gangs fait rage à Marseille. Après l'assassinat d'un adolescent de quinze ans, son gang commandite, depuis une cellule de la prison de Luynes, un tueur à gages. Une fois encore, on déplore un mort innocent : rendons hommage à Nessim Ramdane.

Ce mécanisme, nous l'avons décortiqué dans le rapport de la commission d'enquête sur le narcotrafic. Seul fait nouveau, et qui fait frémir : l'extrême jeunesse du tueur - 14 ans. L'effroi saisit les populations, à commencer par les familles des victimes, souvent des mères célibataires, dépassées et qui nous demandent de l'aide.

À nos concitoyens qui ont le sentiment que la République les a quittés, disons que nous ne les abandonnerons pas et que le travail du Sénat sera suivi d'effets. Nous ne nous contenterons pas d'« opérations place nette XXL » certes spectaculaires, mais qui ne visent que très peu le haut du spectre. Nous voulons une loi ambitieuse, qui reprenne les recommandations de notre rapport, adopté à l'unanimité. Je pense notamment au statut des repentis, à la lutte contre le blanchiment et aux conditions de détention des narcotrafiquants. Nos prisons sont des passoires, monsieur le garde des sceaux ! C'est depuis leur cellule que les narcos dirigent leur business, et tout circule dans nos prisons. Les surveillants saisissent en moyenne quatre téléphones portables par cellule...

Pourquoi la proposition de loi d'Étienne Blanc et Jérôme Durain, rapporteur et président de la commission d'enquête, a-t-elle été retirée de l'ordre du jour à la demande du Gouvernement ? Notre pays est submergé par le narcotrafic : aujourd'hui même, la DZ Mafia s'offre une conférence de presse ! Le Gouvernement ferait une grave erreur s'il pensait qu'il n'y a pas urgence à agir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées des groupes CRCE-K, INDEP, UC et Les Républicains)

M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice .  - La criminalité organisée prend une ampleur inquiétante : j'en suis parfaitement conscient et les événements récents que vous avez rappelés le confirment, comme l'a souligné le procureur Nicolas Bessone.

Nous devons être à la hauteur de ce phénomène grave et qui se développe, en formulant des propositions dans les meilleurs délais.

Des travaux ont été entrepris par l'ancien gouvernement et le Sénat a aussi mené les siens. L'examen de la proposition de loi issue de ces derniers a été seulement reporté.

Mmes Marie-Arlette Carlotti et Marie-Pierre de La Gontrie.  - Pourquoi ?

M. Didier Migaud, garde des sceaux.  - Pour nous permettre, au ministre de l'intérieur et à moi-même, d'expertiser les mesures envisagées. Un certain nombre de vérifications sont nécessaires, mais nous souhaitons avancer sur ce sujet avant la fin de l'année.

Il est évident que la poursuite d'activités criminelles en prison n'est pas admissible. Je poursuivrai l'action engagée par mon ministère pour lutter contre l'introduction dans les cellules d'objets illicites. La sécurisation de nos prisons, et donc de leurs personnels et de nos concitoyens, est une priorité absolue de mon action. Pour comprendre ce qui s'est passé à Aix-Luynes, j'ai confié à l'Inspection générale de la justice une mission d'inspection de ce centre.

Enfin, je me rendrai prochainement à Marseille, conjointement avec le ministre de l'intérieur. Nous travaillons ensemble, sur la base de vos propositions, pour avancer sur ce sujet grave. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur des travées du RDSE)

Loyers impayés des gendarmeries

Mme Lauriane Josende .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Vendredi dernier, plusieurs maires des Pyrénées-Orientales ont appris que la gendarmerie nationale ne pourrait pas payer ses loyers jusqu'à la fin de l'année. Cette annonce a suscité une vive inquiétude, car, dans certaines communes, ces loyers représentent des sommes importantes.

Comment est-il possible que l'État soit incapable de payer les loyers de la gendarmerie ? Alors que les contrats de location ne sont pas nouveaux et que ces dépenses étaient inscrites dans la loi de finances pour 2024, comment expliquer à nos élus que les crédits n'existent pas ou plus ?

Je suis consciente, monsieur le ministre, que vous n'êtes pas à l'origine de cette situation. (On ironise à gauche.) Mais c'est à vous, comme ministre de l'intérieur, d'en répondre. Que ferez-vous pour que ces loyers soient payés dans les meilleurs délais et que cette situation ne se reproduise pas ? Le programme d'investissement pour la construction de nouvelles gendarmeries sera-t-il respecté ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Bruno Retailleau, ministre de l'intérieur .  - C'est la première fois que je m'exprime devant vous depuis le banc du Gouvernement. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Hervé Maurey applaudit également.) Je garde en moi la conviction que le Sénat est une institution nécessaire à la République française, surtout dans un contexte politique instable. Nonobstant la séparation des pouvoirs, rien ne pourra jamais me séparer de cette institution, qui est aussi, pour moi, une affection.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Et la question ?

M. Bruno Retailleau, ministre.  - J'ai trouvé ce problème en prenant mes fonctions : la gendarmerie nationale n'avait plus de crédits pour payer aux collectivités territoriales les loyers des casernes.

M. Mickaël Vallet.  - Il faut virer les squatteurs !

M. Bruno Retailleau, ministre.  - Les crédits ont sans doute été sous-évalués au départ. Les dépenses liées aux événements en Nouvelle-Calédonie et à la sécurisation des jeux Olympiques ont aussi joué.

J'ai estimé qu'il était impossible de laisser les bailleurs sociaux et les collectivités territoriales sans réponse. J'ai donc décidé d'honorer la parole de l'État. Nous le ferons en deux temps : les grandes collectivités et les gros bailleurs, qui ont de la trésorerie, seront payés en fin d'année ; les plus petits, qui n'en ont pas, seront payés très rapidement.

Je remercie les bailleurs sociaux et surtout les collectivités territoriales, qui investissent pour donner à nos gendarmes des conditions d'hébergement dignes.

Nous honorerons les engagements pris. C'est l'idée que je me fais de l'État. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC)

Mme Lauriane Josende.  - Merci pour votre réponse. Je sais que vous savez, vous, prendre vos responsabilités. (Exclamations ironiques à gauche) Il est grand temps que chacun fasse de même ! Une telle défaillance ne devrait pas se produire, car la sécurité des Français est en jeu. L'État doit montrer l'exemple ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Économies demandées aux collectivités territoriales (II)

M. Thierry Cozic .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.) « La situation que je découvre est extrêmement grave », a dit le Premier ministre. Il est bien le seul à la découvrir ! (Quelques sourires) Nous n'avons eu de cesse d'avertir sur les choix budgétaires iniques faits depuis sept ans, avec le quitus de la droite sénatoriale. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains ; applaudissements sur les travées du GEST)

Avec un déficit de 6 %, reconnaissons que le macronisme finissant a fait fort cette année.

M. Xavier Iacovelli.  - Plus fort que le socialisme !

M. Thierry Cozic.  - Vous dénoncez l'impéritie des gouvernements macronistes, mais prenez comme directeur de cabinet celui de Bruno Le Maire. On ne change pas une équipe qui perd !

Il vous faut trouver 60 milliards d'euros - soit l'équivalent des recettes fiscales détruites chaque année par le président Macron. Comme votre prédécesseur, vous préférez tailler dans les dépenses que mettre à contribution les profiteurs de crise. Pour réduire la crise, commencez par ne pas l'aggraver !

Ce n'est pas en faisant porter le chapeau aux collectivités, comme l'a fait Bruno Le Maire, que vous y parviendrez.

Voix à droite.  - Il est parti !

M. Thierry Cozic.  - On annonce 5 milliards d'euros de coupes budgétaires pour les collectivités, qui sont déjà à l'os. 

Alors que la droite sénatoriale a toujours voté tous les budgets des gouvernements macronistes (vives dénégations sur les travées du groupe Les Républicains), changerez-vous enfin de doctrine ? (Applaudissements à gauche, protestations à droite)

M. Laurent Saint-Martin, ministre chargé du budget et des comptes publics .  - Le Premier ministre l'a clairement dit, en ligne avec Catherine Vautrin : nous ne sommes pas là pour incriminer quiconque du dérapage des finances publiques. (Protestations à gauche)

Mme Laurence Rossignol.  - Vous n'avez fait que cela depuis des années !

M. Laurent Saint-Martin, ministre.  - Le solde 2024 des finances publiques n'est pas la responsabilité des collectivités territoriales, je le redis ici. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Le redressement des comptes publics est néanmoins l'affaire de tous, de toutes les administrations publiques. Dans le projet de loi de finances pour 2025, des efforts sont demandés à toutes - à la hauteur de ce qui est possible et de ce qui est juste.

L'État sera le premier contributeur au redressement des comptes.

Mme Laurence Rossignol.  - Ce sont les Français qui paieront !

M. Laurent Saint-Martin, ministre.  - Sur les 40 milliards d'euros d'économies à réaliser pour réduire le déficit public à 5 %, il prendra sa part à hauteur de 20 milliards.

Mme Laurence Rossignol.  - Sur les plus pauvres !

M. Laurent Saint-Martin, ministre.  - Notre projet prévoit que les administrations de la sécurité sociale contribuent à hauteur de 15 milliards d'euros ; les collectivités territoriales, à hauteur de 5 milliards. Pas toutes au même niveau, car nous prenons en considération l'hétérogénéité des situations.

Les propositions faites hier devant le Comité des finances locales sont soumises à discussion, comme tout projet de loi. Vous en débattrez.

Les 450 collectivités prioritairement visées contribueront via un fonds de précaution, à destination des territoires, auquel s'ajouteront un mécanisme d'écrêtement de la dynamique de TVA et une diminution de deux points du FCTVA. C'est notre proposition, soumise au débat. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Thierry Cozic.  - Ce n'est pas l'État qui fournira l'effort, mais les Français ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La justice fiscale et le pouvoir de vivre ne sont pas de vains mots, mais le préalable à l'acceptation des efforts que vous demandez. Nous veillerons, au cours du débat budgétaire, à ce que l'addition soit équitablement partagée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Ian Brossat applaudit également.)

Nouvelle-Calédonie

M. Georges Naturel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La semaine prochaine, vous effectuerez votre premier déplacement en tant que ministre des outre-mer en Nouvelle-Calédonie. Cette collectivité traverse une crise politique, économique et sociale sans précédent : on compte treize morts liés aux émeutes, et les Calédoniens entament leur sixième mois de couvre-feu, après douze jours d'état d'urgence.

Les maires calédoniens sont contraints d'arbitrer entre des dépenses toutes essentielles : transports et cantines scolaires, salaire des agents municipaux, subventions aux associations... Comment reconstruire les édifices détruits quand les communes ne parviennent plus à assumer les charges de fonctionnement ? Les quatre communes du Grand Nouméa sont particulièrement éprouvées, et plus encore les 12 000 habitants du Mont-Dore Sud, isolés depuis cinq mois.

Quelles actions prioritaires le Gouvernement entend-il engager pour sortir la Nouvelle-Calédonie de cette crise ? Sera-t-il aux côtés des communes calédoniennes, qui sont des collectivités de la République ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Teva Rohfritsch applaudit également.)

M. François-Noël Buffet, ministre chargé des outre-mer .  - Je me rendrai en Nouvelle-Calédonie dès la semaine prochaine, pour témoigner de notre solidarité à nos compatriotes calédoniens. Je tiens à saluer les forces de l'ordre, mais aussi tous ceux qui continuent de faire vivre la Nouvelle-Calédonie dans ces circonstances difficiles - les enseignants et les services de santé notamment.

Jusqu'ici, l'État a répondu à l'urgence, en versant plus de 400 millions d'euros à la Nouvelle-Calédonie, y compris pour des compétences qui n'étaient pas les siennes. Priorité a été donnée au régalien.

Ma visite portera d'abord sur l'effort de reconstruction, qui est urgent pour nos écoles, nos bâtiments publics, nos entreprises. Elle vise aussi à tracer une stratégie économique de plus longue durée, pour donner des perspectives.

Je viendrai aussi expliquer notre décision de reporter les élections provinciales à la fin de l'année. Je tiens à cet égard à remercier le président Larcher et le président Kanner, dont la proposition de loi, qui sera examinée ici le 23 octobre prochain, nous servira de véhicule législatif, ce qui permettra d'apporter une réponse rapide.

Nous rencontrerons évidemment les maires calédoniens pour échanger et tenter de leur apporter des réponses. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Crise de la filière volaille

M. Yves Bleunven .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je félicite la ministre de l'agriculture pour sa nomination. Nous partageons la volonté de porter la souveraineté alimentaire au rang de priorité nationale. Le monde agricole demande une reprise rapide des débats sur la future loi d'orientation agricole.

La crise de la filière volaille est emblématique de l'abandon de notre souveraineté. Selon un rapport alarmant de la Cour des comptes, la consommation de volaille progresse, elle est en passe de devenir la viande préférée des Français, or la filière n'a jamais été aussi peu compétitive. Nous importons une volaille sur deux consommées sur notre territoire ! La filière est sous tension : influenza aviaire, déferlement de poulets ukrainiens, blocages juridiques des projets par des d'associations au nom d'un prétendu bien-être animal.

Comment comptez-vous agir contre les importations déloyales et assurer la transparence sur l'origine des volailles dans les produits transformés ? Comment défendrez-vous les exploitants contre les activistes anti-élevage ? Redéfinirez-vous leur prétendu « intérêt à agir » à l'aune de la défense de notre souveraineté alimentaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt .  - Les Français aiment le poulet, mais 80 % du poulet consommé hors domicile n'est pas français ! (Marques d'étonnement) Je le déplore. Nous sommes pris en défaut de souveraineté alimentaire. Nous ne consommons pas suffisamment de poulet français.

Le soutien apporté à l'Ukraine par la levée des droits de douane a eu des effets indéniables sur la filière avicole, je le vois dans ma région. Les accords à venir seront nettement moins permissifs.

Deuxième problème : on voudrait tous manger du poulet français, mais on ne veut pas d'élevages près de chez soi. C'est une contradiction qu'il faudra résoudre. Dans bien des régions, impossible de s'installer en raison des réactions du voisinage et des associations environnementales contre les élevages couverts, considérés à tort comme intensifs.

Quant à l'intrusion dans les bâtiments d'élevage, donc dans un lieu privé, elle est bien sûr condamnable.

Enfin, le danger sanitaire, malgré la résurgence de cinq foyers de grippe aviaire, est aujourd'hui maîtrisé, grâce aux éleveurs.

Liban (III)

M. Khalifé Khalifé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La tragédie que vit la population libanaise depuis cinquante ans se poursuit dans une guerre qui n'est pas la sienne. Les innombrables résolutions prises par la communauté internationale n'ont pas été efficaces. Au contraire, elles ont renforcé les intérêts de certaines factions, libanaises ou non, au détriment de ceux du Liban et de son peuple. Nous savons désormais à qui profite le crime. La résurgence d'un plan ancien visant à la désintégration du Liban inquiète.

Les liens entre le Liban et la France sont séculaires et profonds, vous l'avez à nouveau démontré, monsieur le ministre. Mais le peuple libanais espère une initiative internationale efficace afin de mettre fin à l'anarchie persistante, reconstruire son pays et lui redonner sa place parmi les nations civilisées. Comment aider le Liban à retrouver durablement sa souveraineté territoriale et son indépendance politique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Le Liban, pays frère de la France, est au bord du gouffre. La communauté internationale s'est mobilisée à plusieurs reprises pour définir un cadre qui assurerait à la fois la sécurité d'Israël et la souveraineté et l'intégrité territoriale du Liban. Je pense notamment à la résolution 1701 du conseil de sécurité des Nations unies, qui a mis fin aux hostilités en 2006, et pour laquelle la France a tenu la plume.

Nous souhaitons trouver un dispositif politique permettant d'atteindre l'objectif de 2006, afin que le Liban redevienne ce pays divers, multiconfessionnel, cet exemple de pays ouvert sur le monde.

Monsieur le sénateur, le Liban coule dans vos veines, mais ce sujet n'est pas l'apanage des experts. L'embrasement régional nous concerne tous. Les prix de l'essence et du gaz, la menace terroriste, les migrations : tout cela se joue pour partie au Proche-Orient. Le Gouvernement est pleinement mobilisé pour porter un message de paix et oeuvrer par la voie diplomatique pour que cesse le feu, que cessent les souffrances, et que le Liban retrouve son intégrité territoriale, sa souveraineté, son identité.

M. Khalifé Khalifé.  - Pensez-vous réellement que la résolution 1701 de 2006 est d'actualité ?

Précarité étudiante et difficultés financières des universités

M. Yan Chantrel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Avant de partir, votre prédécesseure adressait un courrier au Premier ministre pour tirer la sonnette d'alarme sur le budget de votre ministère. Elle jugeait les économies demandées aux universités irréalistes et dangereuses.

Cette année, 60 des 75 universités sont en déficit, le double de l'an dernier. Inflation, surcoûts énergétiques et annulation de crédits de près d'un milliard d'euros en février : les établissements sont à bout de souffle.

Les premières victimes en sont les étudiantes et les étudiants, avec la fermeture d'antennes locales et le report ou l'annulation de recrutements, entre autres. Cela remettra en cause la réussite de tous et toutes.

Pis, depuis la rentrée, les files d'attente d'étudiants devant l'aide alimentaire réapparaissent, sans parler des problèmes de logement. Cette précarité étudiante est une honte pour notre pays.

Monsieur le ministre, les universités préparent l'avenir du pays et forment notre jeunesse. Saurez-vous les défendre ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE-K et du GEST)

M. Patrick Hetzel, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Sur la question étudiante, la gestion de l'accès aux bourses étudiantes est quasi équivalente à celle des années précédentes. Nous avons 750 000 boursiers, tous ministères confondus.

Les boursiers reçoivent de 145 à 633 euros ; cela représente un budget global de 2,24 milliards d'euros : la Nation est donc pleinement au rendez-vous.

Les boursiers sont aussi exonérés de frais d'inscription et ils bénéficient d'un accès prioritaire aux logements gérés par les Crous. Depuis un an, 22 millions de repas à 1 euro ont été proposés aux étudiants les plus précaires.

L'explosion du coût des fluides et l'inflation expliquent largement la dégradation de la situation financière des établissements depuis 2022. Mes services dialoguent étroitement avec les établissements et les recteurs pour que le service public de l'enseignement supérieur soit pleinement au rendez-vous. (Quelques applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Yan Chantrel.  - Votre réponse n'est pas à la hauteur de la précarité étudiante. Lors de votre arrivée au ministère, vous avez déclaré que l'enseignement et la recherche sont non pas une dépense, mais un investissement. Prouvez-le en actes ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE-K et du GEST)

Reconversion du site de Saint-Avold

Mme Catherine Belrhiti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) J'associe à ma question les plus de 450 élus, maires, conseillers départementaux, conseillers régionaux et parlementaires ayant cosigné une lettre au Président de la République sur l'avenir de la centrale Émile-Huchet de Saint-Avold. Les salariés, qui ont fait grève durant plusieurs semaines, sont inquiets, car le gouvernement précédent n'a pas apporté les réponses attendues.

Il y a un an, le Président de la République s'était engagé à convertir les centrales à charbon vers la biomasse d'ici à 2027. Hélas, depuis, rien n'a avancé.

Mme Pannier-Runacher s'était mobilisée. Elle avait soutenu le projet de production d'hydrogène sur le site. Or il y a urgence à agir. Les contrats d'une centaine d'emplois directs prennent fin en avril 2025, avec des conséquences pour les 150 sous-traitants.

Nous avons besoin d'une feuille de route claire pour la mise en oeuvre des engagements de l'État. Les projets en cours seront-ils soutenus ? Rassurerez-vous les élus et les salariés ? Sauverez-vous les emplois ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Olga Givernet, ministre déléguée chargée de l'énergie .  - La France s'est donné un objectif clair : sortir des énergies fossiles et arrêter la production d'électricité à partir de charbon d'ici à 2027, afin de lutter contre le changement climatique. Nous devons concilier cet objectif avec la recherche de solutions pour les sites concernés.

Lorsqu'un employé s'engage, et qu'on lui apprend que son usine devra fermer, c'est difficile. Il ne faut pas renier les progrès apportés par cette énergie, mais nous devons aussi prendre en compte les impacts environnementaux.

M. Fabien Gay.  - Ce n'est pas le sujet !

Mme Olga Givernet, ministre déléguée.  - Je reprends le flambeau d'Agnès Pannier-Runacher et je travaille à ses côtés en vue d'assurer une transition écologique juste : personne ne doit être laissé sur le carreau.

Des discussions sont en cours pour la reconversion au biogaz de la centrale de Saint-Avold. D'autres projets sont aussi à l'étude afin d'assurer un avenir au site. L'État se tient aux côtés des salariés pour trouver un projet économique robuste et pérenne. Nous sommes à vos côtés également.

Mme Catherine Belrhiti.  - Je prends note de vos promesses. Maintenant, nous attendons des actes ! Trop d'emplois sont menacés par cette inertie. Ne laissez pas la Moselle passer à côté de l'occasion que représente la transition énergétique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Assurance chômage des travailleurs transfrontaliers

Mme Annick Jacquemet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ma question concerne les départements de l'Est de la France, de la Meurthe-et-Moselle à la Haute-Savoie. Lorsqu'un salarié transfrontalier est licencié, les allocations chômage sont à la charge du pays de résidence selon le droit européen : elles sont donc financées par l'Unédic qui perçoit en contrepartie une maigre compensation des pays voisins. Dans mon département, le Doubs, la Suisse n'a ainsi reversé que 23 % des dépenses assumées par l'Unédic entre 2012 et 2023.

L'effet est double. D'une part, les anciens salariés restent souvent au chômage longtemps alors que nombre d'entreprises et de services publics frontaliers peinent à recruter. D'autre part, ils contribuent au renchérissement du coût du logement en raison de leur niveau de vie.

Pour l'Unédic, le manque à gagner est en outre considérable : 800 millions d'euros pour la seule année 2023 ! Depuis 2011, ce surcoût atteint 9 milliards d'euros. Loïc Hervé a posé une question à ce sujet en avril dernier.

À l'heure où Bercy cherche désespérément des recettes supplémentaires, n'est-il pas temps de rediscuter avec nos voisins des règles encadrant l'indemnisation chômage des travailleurs transfrontaliers ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Louis Vogel applaudit également.)

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du travail et de l'emploi .  - Vous avez tout dit ; il y a là un vrai problème. Cette question relève d'un règlement européen. Nous avons pris contact avec la future présidence polonaise, qui semble plus allante sur le sujet. La France n'est pas le seul pays concerné par cette question.

Certaines actions peuvent être menées d'ores et déjà ici, à commencer par la redéfinition de l'offre raisonnable d'emploi.

M. Loïc Hervé.  - Très bien !

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre.  - Nombre de travailleurs frontaliers inscrits à France Travail ont le droit de refuser une offre d'emploi française au motif que celle-ci n'est pas raisonnable, en comparaison des salaires pratiqués de l'autre côté de la frontière, tant en Suisse qu'au Luxembourg. Nous voulons agir sur ce point.

Quelque dix-neuf agences France Travail accueillent l'essentiel des 77 000 travailleurs transfrontaliers au chômage et leur offrent un accompagnement renforcé afin de les inciter à un retour rapide à l'emploi.

Croyez à ma détermination sur ce sujet. Dans le contexte de nos finances publiques, ce genre de chiffres n'est plus acceptable. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)

Budget 2025

M. Stéphane Ravier .  - (De nombreux sénateurs des groupes CRCE-K, SER et du GEST se lèvent et quittent l'hémicycle.) Monsieur le Premier ministre, vous cherchez désespérément 60 milliards d'euros pour boucler le budget. Pourtant, il existe un gisement de plusieurs dizaines de milliards d'euros, non par des hausses d'impôts, mais par des baisses de dépenses.

Dans son récent ouvrage, Le prix de l'insécurité, Enquête sur une défaillance d'État, le conseiller d'État Christophe Éoche-Duval estime à 170 milliards d'euros le coût de l'insécurité chaque année dans notre pays, soit 7 % du PIB.

À Marseille, le 4 octobre, au bois de Boulogne, le 21 septembre, à Subles, le 29 septembre, Nessim, Philippine et Kylian avaient la vie devant eux, comme Thomas, Lola et tant d'autres. Leur point commun : leur mort était évitable. Ils sont les victimes de l'impunité organisée, du laxisme judiciaire, de l'immigration incontrôlée et du trafic de drogue trop souvent toléré. Il faut briser le cercle vicieux de l'insécurité.

À Marseille, les mafieux commanditent des assassinats depuis les prisons. Ce matin, la tristement célèbre DZ Mafia donnait son point de vue sur la situation, une humiliation pour les institutions !

Les Français attendent non pas un tournant d'austérité, mais un tournant d'autorité. Vous avez là un gisement d'économies et de popularité garanties. Mais, pour cela, il faut assumer la rupture.

Lèverez-vous le tabou du coût de l'insécurité en proposant à la Cour des comptes d'évaluer annuellement son impact ? (MM. Aymeric Durox, Christopher Szczurek et Alain Duffourg applaudissent.)

M. Laurent Saint-Martin, ministre chargé du budget et des comptes publics .  - Je ne sais pas s'il s'agit d'une question pour moi (sourires sur plusieurs travées) ... Mais je vous répondrai sur la baisse de la dépense publique et la question des moyens en faveur de la sécurité.

Nous devons redresser les comptes publics. C'est l'affaire de tous. Les deux tiers des 60 milliards d'euros d'économies auront pour origine la baisse des dépenses publiques.

Quelles dépenses pouvons-nous diminuer sans porter atteinte aux services publics ?

D'abord, retirer les boucliers de protection instaurés durant les crises. La dépense publique doit aussi gagner en efficience, en fusionnant des opérateurs ou en repensant par exemple les aides à l'emploi.

Mais cela ne doit pas se faire au détriment des fonctions régaliennes de l'État, parmi lesquelles assurer la sécurité de nos concitoyens. Nous veillerons à la bonne application des lois de programmation pour nos armées, pour nos forces de sécurité et pour la justice. Les crédits de ces ministères resteront préservés.

La dépense publique doit diminuer non pas par des coups de rabot, mais avec intelligence. Le Gouvernement assume ses priorités : la sécurité de nos concitoyens en est une. (M. Bernard Buis applaudit.)

La séance, suspendue à 16 h 30, reprend à 16 h 35.

Avis sur une nomination

M. le président.  - En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010 837 et de la loi n°2010 838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a émis un avis favorable (39 voix pour, aucune voix contre) à la nomination de M. Jean Castex aux fonctions de président-directeur général de la Régie autonome des transports parisiens (RATP).

Réduction du nombre de conseillers municipaux dans les petites communes

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à réduire le nombre de conseillers municipaux dans les petites communes, présentée par M. François Bonneau et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

M. François Bonneau, auteur de la proposition de loi .  - La vie d'élu est d'abord un engagement personnel, pas toujours rationnel, au service de sa commune ; c'est un CDD qui sera ou non renouvelé par les habitants.

Dans nos petites communes, c'est un engagement largement bénévole, souvent à temps plein, malgré des incivilités croissantes. Près de 10 000 élus ont démissionné depuis 2020.

Dans nos territoires ruraux, la dynamique démographique évolue.

Les petites communes, tissu essentiel de notre ruralité, peinent à maintenir un conseil municipal complet et opérationnel. Atteindre le quorum est un obstacle récurrent.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Il a raison !

M. François Bonneau.  - Cette situation paralyse la prise de décision et compromet l'administration de la commune.

Nous sommes témoins d'un taux alarmant de démission des élus. La Charente a connu une centaine de démissions pour 362 communes. Cela nécessite des élections partielles et fragilise la démocratie locale.

Le processus électoral lui-même pose problème : constituer des listes électorales complètes est un véritable casse-tête. Dans certaines communes, des candidats s'engagent simplement pour compléter des listes ! La commune risque de se retrouver sous tutelle préfectorale faute de candidats. Au fil des ans, ce désintérêt se transforme en absentéisme, compromettant l'efficacité du conseil municipal.

Soulignons l'inadéquation entre le nombre de conseillers municipaux requis et la réalité démographique de nos communes rurales. Cela peut représenter jusqu'à 10 % de la population.

En 2023, la France comptait 3 379 communes de moins de 100 habitants et 14 977 communes de 100 à 500 habitants. Si l'on s'en tient à l'état actuel du droit, il faut 23 653 élus pour les communes de moins de 100 habitants et 164 747 élus pour celles comprises entre 100 et 500 habitants. Cela rappelle combien la France est majoritairement rurale.

Ma proposition de loi concerne principalement les communes qui peinent à recruter suffisamment d'élus, pour mieux les accompagner.

Je propose, après examen en commission des lois, de réduire le nombre de conseillers municipaux à sept pour les communes de moins de 100 habitants, à neuf pour celles comptant entre 100 et 500 habitants, à onze pour celles de 500 à 1 500 habitants, à quinze pour les communes de 1 500 à 2 500 habitants et enfin à dix-neuf pour les villes de 2 500 à 3 500 habitants.

Cette réduction facilitera la prise de décision et assurera une gestion municipale plus efficiente et plus proche des besoins réels.

Une libre définition du nombre d'élus se heurterait aux exigences du Conseil constitutionnel et conduirait potentiellement à des disproportions.

Nos communes sont souvent les premières victimes des rigidités administratives. La situation est d'autant plus problématique si l'on exclut les résidents non permanents, les étudiants : le nombre de personnes éligibles se réduit drastiquement ! En allégeant ces contraintes, nous permettons aux communes de mieux servir leurs administrés.

Ne craignons pas la perte d'influence des petites communes dans les intercommunalités. La proposition de loi réduit le nombre de conseillers municipaux, sans toucher à leur poids politique dans les instances intercommunales ; son objet est de simplifier le fonctionnement local sans affaiblir la voix des communes dans les instances supérieures.

Cette proposition de loi s'inscrit dans une démarche de bon sens et de pragmatisme, afin de répondre au besoin de fluidité et d'efficacité de nos petites communes. La mairie est la porte d'entrée de nombreuses démarches. Aidons les élus locaux à mieux gérer leur municipalité.

Je remercie la ministre pour son écoute attentive, et vous invite à voter en faveur de cette proposition de loi pour renforcer la vitalité de notre démocratie locale, afin que nos communes restent des lieux de vie, de solidarité et d'engagement citoyen. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Nadine Bellurot, rapporteure de la commission des lois .  - Nous sommes actuellement confrontés à une crise des vocations locales, régulièrement mise en lumière par les travaux du Sénat. Depuis leur élection en 2020, 1 787 maires, soit plus de 5 %, ont démissionné ainsi que 29 000 conseillers municipaux -  des chiffres sans précédent !

Le nombre de candidats diminue. En 2020, 345 communes ne disposaient pas d'un conseil municipal complet contre 228 en 2014, soit une augmentation de 51 %. Cette situation crée de nombreuses difficultés de fonctionnement des conseils municipaux, notamment ruraux. Cela se traduit par le recrutement de conseillers municipaux moins motivés, un absentéisme élevé et des élections municipales complémentaires plus fréquentes.

La dégradation implacable des conditions d'exercice des mandats locaux est à l'origine de ce problème : violences, indemnités insuffisantes, complexification administrative, poids croissant des exigences locales, manque d'autonomie financière. Cela entrave l'action concrète de terrain, alors que les élus locaux, sentinelles de la République, sont garants du lien social. Nous avons besoin de ces hommes et de ces femmes.

À l'initiative du Sénat, de nombreuses mesures ont été prises, comme le vote d'une proposition de loi portant création d'un statut de l'élu local et la loi renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux.

Je salue l'initiative de François Bonneau, avec qui j'ai travaillé en étroite collaboration, et les collègues cosignataires de mon texte portant sur le même sujet. Afin de combattre la crise des vocations dans la perspective des élections de 2026 et faciliter la constitution des conseils municipaux, l'article unique de la proposition de loi prévoyait initialement d'abaisser le nombre de conseillers municipaux dans les communes de moins de 500 habitants : de sept à cinq dans les communes de moins de 100 habitants et de onze à sept dans les communes de 100 à 499 habitants.

À titre d'exemple, le conseil municipal de Giroux, dans l'Indre, représente plus de 9 % de la population, contre 0,09 % des habitants à Châteauroux. Cet écart de représentativité est considérable.

La commission des lois a accueilli favorablement la proposition de loi, qui ne supprime pas les causes de la crise, mais facilitera la constitution du conseil municipal. Elle a apporté cinq modifications. Elle a étendu la baisse à l'ensemble des communes de moins de 3 500 habitants. Elle a modifié l'effectif des conseils municipaux pour les communes de moins de 500 habitants, pour éviter une baisse trop brutale du nombre de conseillers municipaux.

L'effectif des conseils municipaux des communes de moins de 100 habitants est porté à sept, et celui des communes de moins de 500 habitants à neuf. Les communes de moins de 100 habitants devront réunir sept conseillers municipaux, mais leur conseil municipal sera réputé complet avec cinq conseillers municipaux, ce qui évitera les élections complémentaires. Les communes de moins de 500 habitants devront en élire neuf, mais le conseil municipal sera réputé complet à sept.

La commission des lois a veillé à éviter tout effet de bord indésirable, notamment en abaissant le nombre maximal de conseillers forains dans les communes de moins de 500 habitants. Elle a enfin insisté sur la nécessité de garantir aux communes concernées de conserver le nombre d'adjoints au maire. En raison de l'application de l'article 40, nous n'avons pu l'adopter. J'en appelle à la ministre.

M. André Reichardt.  - Très bien.

Mme Nadine Bellurot, rapporteure.  - Il est urgent de résoudre les causes de la crise de la démocratie locale, en améliorant les conditions d'exercice de mandats locaux.

Il faudra mettre en place un statut de l'élu protecteur et généraliser le scrutin de liste à l'ensemble des communes. Je salue les travaux de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, qui a adopté un rapport relatif à l'efficacité des conseils municipaux, en vue du dépôt d'une proposition de loi transpartisane.

Sous réserve de l'adoption de certains amendements, je vous propose d'adopter ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité, du commerce et de l'artisanat .  - La commune est le coeur de la démocratie et le premier kilomètre d'une action publique efficace. Élus et citoyens, nous savons tous combien l'engagement municipal est précieux et exigeant.

Le conseiller municipal, dans une petite commune, s'applique à résoudre les problèmes du quotidien, donne de son temps pour ses concitoyens, écoute les parents d'élèves et prête toujours une attention bienveillante à ses concitoyens. Il y consacre énergie et générosité ; c'est la force et l'honneur de notre République. C'est la « démocratie implicative », pour reprendre les termes des travaux de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales.

Or nous connaissons tous la fragilité grandissante de cet engagement citoyen. Nos territoires ruraux ne sont pas épargnés par la lassitude qui frappe les élus locaux.

Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a affirmé la haute idée qu'il se fait du rôle de nos collectivités territoriales dans la République. Il appelle à bâtir un nouveau contrat de responsabilité entre les collectivités et l'État.

Le Sénat connaît les difficultés, François Bonneau les a rappelées. Dans près de 3 700 communes soumises au scrutin de liste, les électeurs ont voté pour une liste unique. Depuis mars 2023, 1 466 élections partielles se sont tenues du fait de l'incomplétude des conseils municipaux. Inlassablement, le Sénat a oeuvré pour la protection des élus. Il a adopté la proposition de loi relative au statut de l'élu.

La proposition de loi examinée aujourd'hui est la première pierre d'une réflexion plus large à conduire avec les associations d'élus et les deux chambres du Parlement.

Elle apporte une réponse concrète et attendue par les communes de moins de 500 habitants. Elle s'inscrit dans le prolongement de la souplesse offerte par la loi Engagement et proximité de 2019, qui a prévu l'exception d'incomplétude des conseils municipaux.

Le texte de la proposition de loi reprend un certain nombre d'éléments issus du rapport d'information de Nadine Bellurot, Éric Kerrouche et Didier Rambaud.

Votre travail collectif et transpartisan a élargi la réflexion à l'ensemble des communes de moins de 3 500 habitants, confrontées à la difficulté de constituer une assemblée municipale.

Le Gouvernement partage votre préoccupation. Nous soutiendrons les évolutions proposées par strates de communes. Il est cependant nécessaire de veiller au respect des strates existantes dans le code général des collectivités territoriales, qui correspondent à des droits et obligations.

Au vu des échanges avec les associations d'élus, il ne nous semble pas pertinent de faire évoluer les effectifs pour les communes de plus de 3 500 habitants.

Je tiens à rassurer Lana Tetuanui : ce texte ne s'appliquera pas à la Polynésie française.

Prolongeant l'esprit d'équilibre du sénateur Bonneau, le texte tire les conséquences des modifications des conseils municipaux sur la représentation des communes de moins de 3 500 habitants au sein du collège électoral du Sénat. Le Gouvernement est très attaché à la représentation des communes rurales. Aussi, nous n'approuvons pas les amendements tendant à remettre en cause la place des petites communes dans le collège électoral des sénateurs, pour préserver le lien essentiel entre le Sénat et les territoires.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Tout à fait.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - L'exception d'incomplétude est importante : les conseillers municipaux peuvent ainsi élire leur exécutif sans devoir procéder à un renouvellement intégral. L'extension proposée pour les communes de plus de 1 000 habitants répond à un besoin fortement exprimé sur le terrain. Pour autant, il faut respecter le principe d'égalité devant la loi : les dispositifs laissant aux communes la liberté de déterminer elles-mêmes le nombre de représentants posent problème.

Aujourd'hui, la proportion des femmes dans les conseils municipaux de moins de 1 000 habitants est de 38 % contre 49 % dans les communes de plus de 1 000 habitants. Je salue les propositions sur le scrutin de liste, mais un tel sujet mérite une réflexion approfondie, avec le Parlement et les associations d'élus, et non d'être mis en place par amendement. Je connais la persévérance du Sénat, nous en reparlerons.

Nous sommes tous profondément attachés à l'engagement des élus locaux : la commune est le fondement de la République ; les élus locaux en sont le coeur. Nous devons leur donner les moyens de réussir. Faciliter la constitution des conseils municipaux est une conviction que nous partageons tous ici.

Mme Vautrin et moi-même sommes là pour trouver des solutions utiles à nos élus. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

M. Bernard Buis .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) La République et la démocratie vivent dans nos territoires grâce à l'engagement des élus locaux. J'en profite pour saluer la présence en tribunes de Pierre Colomb, maire de Saint-Michel-sur-Savasse, commune de 600 habitants dans la Drôme, et de son conseil municipal. (Applaudissements) Nous applaudissons l'engagement de tous ces élus.

Or l'engagement diminue : selon le ministère de l'intérieur, 106 communes n'avaient aucun candidat en 2020. Au 31 janvier 2024, 1 454 maires élus en 2020 avaient démissionné de leur mandat, et 30 000 conseillers municipaux en mai 2023. C'est une situation très inquiétante, qui engendre des difficultés de fonctionnement, notamment dans les communes de moins de 500 habitants, où des élections partielles doivent être organisées.

Il y a plusieurs causes à cela : l'inflation normative, le manque de reconnaissance de l'engagement, ou encore les contraintes réglementaires, comme l'obligation d'atteindre le quorum ou la parité. C'est un véritable casse-tête pour les élus !

Cette proposition de loi apporte des dispositifs adaptés : la réduction du nombre de conseillers municipaux pour les communes de moins de 500 habitants est nécessaire ; l'extension aux communes de moins de 3 500 habitants est parfaitement adaptée. Les autres dispositifs apportent une souplesse bienvenue.

C'est une réponse utile, équilibrée et adaptée à la crise de l'engagement, d'autant que le corps électoral des élections sénatoriales n'en serait pas modifié.

Cela dit, ne devrions-nous pas élargir la réflexion au mode de scrutin électoral ? Il faut aussi bien faire évoluer le statut de l'élu que ses prérogatives, à l'instar de ce que nous avons fait pour les secrétaires de mairie.

Un an et demi avant les prochaines municipales, notre groupe votera ce texte.

Nous aurons l'occasion d'aborder ces questions lors de l'examen des textes portant sur l'efficacité du fonctionnement des conseils municipaux et l'extension du scrutin de liste paritaire aux communes de moins de 1 000 habitants. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Michel Masset .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Le constat est partagé : l'engagement public local est en crise. Nous le voyons dans nos territoires. Une société fragmentée est une société désarmée, dans laquelle l'idéal républicain ne peut s'épanouir.

Les conseils municipaux sont souvent incomplets ; c'est le cas dans le Lot-et-Garonne où 80 % des communes ont moins de 1 000 habitants.

Plus que de traiter le fond du sujet, ce texte vise à en traiter les conséquences.

Comme plusieurs de mes collègues, j'ai consulté les maires de mon département : les opinions ont été mitigées. Cela ne fait pas partie de leurs priorités - les communes rurales font moins face à une crise des vocations qu'à la complexité normative. La mesure risquerait de réduire l'engagement actuel : la réduction du nombre de conseillers accroîtrait le travail des autres, qui n'est déjà pas simple. Les conséquences des modifications doivent être évaluées précisément.

La proposition de loi avait initialement pour objet les communes de moins de 500 habitants ; sont désormais concernées toutes les communes de moins de 3 500 habitants. C'est une décision verticale.

Ces questions relayées par les maires devraient nous conduire à prendre le temps de la concertation. N'apportons pas une réponse trop hâtive !

Je le sais, le Gouvernement est prêt à discuter d'un texte sur le statut de l'élu, protecteur, sur la base des travaux du Sénat.

Le RDSE est partagé sur cette question. Ses membres voteront, comme toujours, en leur âme et conscience. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Hervé Maurey applaudit également.)

M. Hervé Maurey .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je félicite François Bonneau de son initiative bienvenue. La question des effectifs des conseils municipaux est souvent évoquée lors de mes rencontres avec les maires. Voilà onze ans, nous en avions déjà débattu ici même à l'occasion du projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires. Le Sénat avait mis en garde contre une réduction du nombre de conseillers municipaux, qui se ferait au détriment des territoires ruraux.

La loi Engagement et proximité de 2019 a également assoupli les dispositions pour les conseils municipaux des petites communes.

Cette proposition de loi prolonge donc plusieurs initiatives législatives. Le périmètre concerné a été élargi : toutes les communes de moins de 3 500 habitants sont désormais concernées.

Dans l'Eure, j'ai souvent évoqué cette question de la réduction des conseillers municipaux avec les maires, que j'ai consultés. Les opinions sont partagées : certains y sont favorables, parce qu'ils pensent que ce sera plus facile d'atteindre le quorum ; d'autres s'y opposent, car cela poserait un problème pour l'accomplissement de certaines tâches - la tenue des bureaux de vote, l'administration de la vie locale. Ce serait selon eux « un nouveau mauvais coup porté à la ruralité ».

Réduire le nombre de conseillers municipaux pourrait entraîner une réduction du nombre d'adjoints. Face à des attentes différentes, offrons de la souplesse aux élus : permettons aux communes de moins de 3 500 habitants de choisir le nombre de leurs élus au moment de leur renouvellement, en votant mon amendement.

M. André Reichardt.  - Très bien !

M. Hervé Maurey.  - La diminution du nombre d'adjoints serait de près de la moitié dans certains cas. Dans mon département, la commune de Clef-Vallée-d'Eure verrait son nombre de conseillers municipaux réduit. Cela pose des problèmes dans des communes nouvelles où figurent beaucoup de communes historiques et un grand territoire.

J'avais déposé un amendement visant à garantir aux communes nouvelles le droit de conserver le même nombre d'adjoints à l'issue du deuxième renouvellement suivant leur création. Je regrette qu'il ait été déclaré irrecevable au titre de l'article 40 puis de l'article 45.

Une réduction imposée, rigide et uniforme du nombre de conseillers municipaux et d'adjoints créerait des problèmes et serait mal accueillie par les élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE, et du groupe Les Républicains ; M. Guy Benarroche applaudit également.)

Mme Cécile Cukierman .  - Nous nous retrouvons une nouvelle fois pour lutter contre un phénomène que nous connaissons bien : la crise de l'engagement local.

Dans les communes les moins peuplées - elles sont nombreuses - les difficultés à constituer des listes complètes lors des élections sont, hélas, habituelles et significatives lors de leur renouvellement. L'enquête de l'institut CSA montre que plus de la moitié des 500 élus interrogés dans les communes de moins de 3 500 habitants ont rencontré des difficultés à constituer un conseil municipal lors des renouvellements.

À la fin du mois de mars dernier, j'ai interrogé les élus de la Loire : nombre d'entre eux y sont favorables, en raison des difficultés à trouver des volontaires pour s'investir dans la vie communale, notamment dans les communes de moins de 2 500 habitants.

Fonction exigeante et manque d'accompagnement sont des facteurs qui découragent l'exercice d'élu local. Les responsabilités augmentent, alors que les moyens stagnent.

Toutefois, prudence sur les inquiétudes des élus locaux ; prudence sur la réduction du nombre des élus locaux des communes de moins de 3 500 habitants. S'il est cohérent de réduire la demande face au manque d'offre, n'oublions pas l'ensemble des paramètres de l'équation. La démocratie locale doit être préservée ; les élus locaux témoignent de l'abondance de leurs tâches ; comment faire mieux avec moins ?

Il y a une dichotomie entre les communes de moins de 3 500 habitants et celles de moins de 500 habitants, avec des élus bénévoles : diminuer leur nombre risque de les pressurer davantage. En commission, nous avons réajusté les seuils pour tenir compte de cette réalité, mais entre 500 et 3 500 habitants il y a des marges, pour ne pas dire un univers des possibles. En l'état, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

M. Guy Benarroche .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Voilà un sujet qui concerne particulièrement le Sénat ! Le GEST défend toujours les mesures incitant les citoyens à s'engager au service de leur commune et dans la vie politique.

Nous sommes tous à l'écoute de nos territoires et de la grande fatigue qui émane des élus. Néanmoins, la France comptait près de 1 million de candidats sur les listes électorales lors des dernières municipales ; le ratio est le plus élevé au monde. L'étude du Cevipof l'a illustré. Les missions sont de plus en plus nombreuses, mais il n'y a jamais eu autant de maires qui se représentent.

Les auteurs de la proposition de loi espéraient, en réduisant le nombre de conseillers municipaux dans les petites communes, éviter l'absence de liste candidate et donc une tutelle préfectorale.

La commission a mis en oeuvre la notion d'incomplétude de conseil municipal pour les petites communes, solution la mieux adaptée pour le fonctionnement des institutions locales.

Le rapporteur a étendu cette réduction du nombre de conseillers municipaux aux communes de moins de 3 500 habitants, mais les élus craignent l'augmentation de leur charge de travail. Certaines associations d'élus sont également plus nuancées.

Petit aparté, que vient faire le scrutin de liste dans un tel véhicule législatif, hormis pour une raison politicienne ? (Mme Françoise Gatel s'en étonne.)

Nous devons conforter l'attachement des Français à leur commune par diverses réformes : le référendum local, les conventions citoyennes, les budgets citoyens, et pourquoi pas les grands débats. Mieux former, mieux écouter, mieux rémunérer les élus, voilà comment faire vivre notre démocratie locale !

Si vous me permettez une image, plutôt que de réduire le nombre de joueurs de football d'une équipe qui a du mal à recruter - c'est exactement le raisonnement des auteurs de ce texte -, formons davantage ! (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Pierre-Alain Roiron .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nous examinons aujourd'hui une proposition de loi qui conserve toute son importance en dépit de la dissolution.

La délégation des collectivités territoriales a poursuivi ses travaux sur l'efficacité des conseils municipaux. Je remercie François Bonneau ainsi que la rapporteure.

Les petites communes sont le coeur battant de la démocratie locale, là où s'exprime pleinement l'idéal démocratique. Pourtant, elles sont particulièrement touchées par la crise de l'engagement local, auquel nous avons tenté d'apporter une première réponse par loi de 2019 et par la proposition de loi adoptée ici même, à l'unanimité, le 7 mars dernier.

Ce texte vise à répondre à un phénomène bien connu : la difficulté croissante à constituer des listes complètes dans les petites communes. En Indre-et-Loire, nous ne sommes pas épargnés par ces difficultés. L'enquête menée par l'institut CSA dans les communes de moins de 3 500 habitants montre que la moitié des élus font état de telles difficultés. Ce constat appelle une action forte.

Reste que réduire le nombre de conseillers municipaux n'est pas anodin : il faut procéder à une analyse fine et prévoir de la souplesse. En commission, nous avons exposé nos réserves sur une réduction uniforme et permanente. Nous les réaffirmons. La vraie réponse à la crise des vocations, c'est de mieux reconnaître et valoriser le statut de l'élu local, d'encourager l'engagement.

M. Michel Masset.  - Très bien !

M. Pierre-Alain Roiron.  - Nous proposons une marge d'adaptation de deux conseillers, pour que les communes soient libres d'ajuster le nombre de ceux-ci en fonction de leur situation. C'est le sens de l'amendement de M. Kerrouche, qui vise à étendre le dispositif dérogatoire du « réputé complet » aux communes de moins de 3 500 habitants.

Dans les communes de moins de 1 000 habitants, nous appelons à une réflexion plus large. Il faut notamment mettre un terme au panachage, qui conduit parfois à une chasse à l'élu. Les avantages du scrutin de liste ont été soulignés par le rapport de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, notamment en ce qui concerne la parité -  une exigence démocratique.

Cet ajustement pragmatique répond aux réalités de terrain et aux besoins exprimés par les élus. Nous voterons donc très majoritairement ce texte.

M. Joshua Hochart .  - Légiférer sur la démocratie locale et les élus locaux est essentiel. Nous devons reconnaître leur rôle crucial auprès des citoyens : ils sont les garants du lien de proximité et du fonctionnement des services publics -  ou de ce qu'il en reste.

Mais nous devons aussi admettre que la multiplication des conseillers dans certaines communes entraîne parfois des difficultés : listes incomplètes, débats qui s'éternisent. La réduction de leur nombre pourrait favoriser une réactivité et une efficacité plus grandes. La présente proposition de loi favoriserait ainsi une gestion locale plus agile, adaptée aux nécessités actuelles.

Reste que le manque de participation démocratique des citoyens doit nous inquiéter. Dans nombre de territoires, une désaffection croissante envers la vie municipale se manifeste : participation aux élections locales en baisse, réunions publiques peu fréquentées, initiatives participatives faiblement mobilisatrices. Il faut, en particulier, trouver des moyens d'impliquer la jeunesse. Sur ce problème d'engagement, votre récent tour de passe-passe électoral n'est pas propre à arranger les choses...

Cette réforme doit aussi s'accompagner de mesures pour renforcer la compétence et la formation des conseillers et favoriser une meilleure conciliation entre vie politique et vie professionnelle.

Les conseillers municipaux sont les premières pierres de notre structure démocratique. Pour leur donner un statut, vous avez, madame la ministre, trouvé sur votre bureau une magnifique proposition de loi...

Nous prenons acte de la réduction du nombre de conseillers municipaux dans les communes de moins de 3 500 habitants et souhaiterions l'étendre à toutes les communes jusqu'à 30 000 habitants.

Dans une situation très préoccupante, la chambre haute doit se tenir au plus près de nos élus. Ne les abandonnons pas !

M. Dany Wattebled .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Comme l'écrivait Alexis de Tocqueville, « c'est dans la commune que réside la force des peuples libres. [...] Sans institutions communales, une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n'a pas l'esprit de la liberté. » Rurale ou urbaine, petite ou grande, la commune est la cellule de base de la démocratie. La vitalité du monde rural doit beaucoup à l'engagement et l'abnégation des élus municipaux.

Mais, depuis plusieurs années, des inquiétudes se font jour sur le nombre de candidats, surtout en milieu rural. Ce problème risque de porter atteinte à la démocratie locale.

Le rapport d'information sur l'avenir de la commune et du maire fait état de 106 communes ne disposant pas de candidat lors du premier tour des élections municipales en 2020, soit 75 % de plus qu'en 2014. Inquiétant, ce phénomène risque d'entraîner une crise de la démocratie locale en 2026.

Notre collègue François Bonneau tente de remédier à ce désengagement en proposant que les communes rurales puissent constituer leur conseil municipal plus facilement. De fait, dans certaines communes, le nombre de conseillers peut être source de difficultés. La démocratie n'est pas un modèle figé : elle doit s'adapter aux évolutions des territoires.

Toutefois, cette proposition de loi suscite aussi des inquiétudes parmi les élus, car la réduction des équipes pourrait entraîner un alourdissement des tâches.

Cette initiative constitue un progrès, mais ne résoudra pas la crise de la démocratie locale. Il est nécessaire d'améliorer les conditions d'exercice du mandat et d'instaurer un véritable statut de l'élu.

Le groupe INDEP votera, dans sa grande majorité, cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC)

M. Philippe Bas .  - (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains) Je salue Mme la ministre avec amitié et félicite M. Bonneau, ainsi que notre rapporteure, pour cette initiative utile.

En vérité, j'aurais préféré ne pas avoir à la soutenir ; cela aurait été un indice de vitalité de notre démocratie locale. Hélas, les faits démentent cet espoir, même si d'autres preuves existent du dynamisme de nos communes rurales.

La baisse du nombre de candidatures aux élections municipales inquiète, de même que l'augmentation des démissions : sans qu'on puisse parler de flambée, plus de 4 % des maires ont démissionné depuis 2020. La situation est suffisamment grave pour justifier une prise de conscience et des correctifs.

Mais nous devons nous attacher aux causes au moins autant qu'aux effets. Au premier chef, il faut un choc de simplification : les élus s'impatientent, madame la ministre, et nous sommes heureux de vous savoir à nos côtés.

La réduction proposée est raisonnable -  il ne faudrait pas aller trop loin. Elle sera accueillie avec soulagement par certaines communes. Ses effets seront neutralisés sur le nombre des adjoints, qui doit être lié non à la taille du conseil, mais à celle de la population, dont dépend le niveau de services à fournir à la population.

Le Sénat a eu raison de refuser d'appliquer le scrutin de liste aux communes de moins de 1 000 habitants. Dans plus de 40 % des communes entre 1 000 et 3 500 habitants, les électeurs n'ont plus de choix, du fait d'une liste unique. Ce système laisse à désirer du point de vue de la démocratie locale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC, INDEP et du RDPI)

M. Olivier Paccaud .  - Savez-vous quel est le point commun entre Jacques Chirac et François Mitterrand, mais aussi Guy Roux, Francis Cabrel et Stéphane Bern ? (Marques d'amusement) Ils ont tous été ou sont conseillers municipaux ! (La gaieté redouble.)

C'est au Sénat que les débats les plus approfondis ont eu lieu sur la loi de 1884 qui régit toujours la vie de nos communes. Depuis cette loi, la France est devenue la championne du monde de la démocratie de proximité, avec plus de 500 000 élus locaux.

On compte un élu pour 130 habitants en France, contre un pour 530 en Allemagne et un pour 2 600 au Royaume-Uni.

Oui, certaines communes rencontrent des difficultés pour avoir des listes complètes. Peut-être faut-il s'adapter à cette situation en réduisant le nombre de conseillers. Mais n'est-il pas paradoxal d'entériner un phénomène que l'on déplore ? Ne devrions-nous pas plutôt chercher à y remédier ? Cette réduction obligatoire et uniforme risque de priver notre pays de dizaines de milliers de bonnes volontés précieuses ! (Marques d'approbation sur plusieurs travées à droite et au centre)

M. André Reichardt.  - Absolument !

Mme Évelyne Perrot.  - C'est juste !

M. Olivier Paccaud.  - Pourquoi ne pas maintenir le nombre de conseillers municipaux là où il n'y a pas de problème de recrutement et le baisser là où c'est nécessaire, comme l'a suggéré M. Maurey ?

Les élus locaux sont les fantassins de la République, toujours en première ligne. Plus ils sont nombreux, mieux c'est. Abondance de biens ne nuit jamais...

Je défendrai donc un amendement autorisant les communes qui le souhaitent à conserver leur nombre actuel de conseillers. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Michel Masset applaudit également.)

Mme Marie-Jeanne Bellamy .  - (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi met en lumière les difficultés rencontrées dans les petites communes pour constituer les listes. Pour avoir été maire pendant seize ans et présidente de l'association des maires de la Vienne pendant quatre ans, je connais parfaitement ces difficultés.

Mon département comprend 265 communes et 25 communes associées. Les deux tiers d'entre elles comptent moins de 1 000 habitants.

Les communes de moins de 100 habitants peuvent compter 7 conseillers municipaux ou, de manière dérogatoire, 5. Pour les communes de 100 à 499 habitants, l'effectif est de 11. Jusqu'à 3 499 habitants, le nombre de conseillers varie de 7 à 23. Une ville de plus de 300 000 habitants en compte 69.

Ces seuils n'ont plus de sens face à la crise sans précédent de l'engagement local. Il est souvent difficile de former des listes, et les défections en cours de mandat se multiplient.

Ce texte répond à une attente forte des élus et je me félicite que la commission ait élargi la réduction aux communes jusqu'à 3 500 habitants, en corrigeant les effets de bord.

Mais il faudra traiter aussi les causes de ce désarroi local. Elles sont liées aux attentes nombreuses de nos concitoyens, au millefeuille administratif, à la violence dont certains élus sont victimes. Dans la Vienne, 19 maires et 147 adjoints ont démissionné depuis 2022.

Travaillons ensemble à un véritable statut de l'élu. Pour qu'une réforme soit applicable en 2026, il faudra se saisir du sujet rapidement. Le Sénat répondra présent.

Le groupe Les Républicains votera ce texte, si le nombre des adjoints n'est pas modifié. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains ; Mme Sonia de La Provôté applaudit également.)

Discussion de l'article unique

M. Henri Cabanel .  - Je suis assez sceptique, car le fond du problème, c'est l'engagement citoyen. Pourquoi est-il en déclin ?

Plutôt que de nous en remettre à une solution partielle, il faut instaurer un statut de l'élu et réfléchir aux nombreuses compétences transférées aux communautés de communes, dans les exécutifs desquelles certains maires ruraux ne siègent même plus. La violence croissante envers les élus locaux est également une question importante.

Le socle de notre démocratie, ce sont les élus locaux. Je ne voterai pas cette proposition de loi. (M. Guy Benarroche applaudit.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - Les difficultés sont grandissantes, ce dont témoigne l'augmentation des démissions et élections partielles. C'est ce que me disaient, tout récemment, des élus du canton de Courson-les-Carrières.

Ce texte est donc utile, même s'il n'épuise pas le sujet. Les élus de l'Yonne m'ont fait des propositions sur le statut de l'élu, par exemple en matière de formation. Des progrès ont été accomplis en 2019, mais beaucoup reste à faire. Il faut, par exemple, mieux valoriser les compétences acquises en fin de mandat.

Un chantier se rouvre : nous devrons poursuivre ce travail.

M. Philippe Grosvalet .  - Comme le disait non pas Coluche, mais Jean Lecanuet, je ne suis ni pour ni contre - bien au contraire... (Sourires) Demain ou dans dix ans, le législateur sera-t-il obligé de réduire à nouveau le nombre des élus ? Et pourquoi pas celui des communes ? Pour que les conseils municipaux puissent se renouveler et ne soient pas uniquement des regroupements de retraités, il faut absolument un statut de l'élu !

M. Gérard Lahellec .  - Je ne peux pas ne pas mentionner dans ce débat Plussulien, commune de 500 habitants des Côtes-d'Armor dont le maire vient de démissionner, de guerre lasse et malgré les efforts de trois sénateurs pour l'en dissuader. Il n'avait pas été écouté sur la réforme de la carte scolaire.

Je reprends les termes employés dans un grand quotidien régional : cette démission ne fera pas trembler la République, mais il faut en tenir compte. J'y vois, pour ma part, une raison supplémentaire de nous abstenir sur ce texte.

M. André Reichardt .  - Je suis perplexe. On justifie la réduction du nombre de conseillers municipaux par la difficulté de trouver des candidats en nombre suffisant, mais aussi l'absentéisme de certains conseillers municipaux qui auraient été pour ainsi dire racolés, sans avoir bien conscience des responsabilités.

De nombreux maires sont satisfaits de leur équipe : respectons ces situations. Quant à l'absentéisme, je signale qu'il existe dans le droit local d'Alsace-Moselle - dont tout le monde se fiche, mais qui existe - une disposition permettant de sanctionner les absences injustifiées. Elle est rarement mise en oeuvre, mais sa seule existence incite parfois des conseillers à se déplacer. Pourquoi ne pas s'en inspirer ? (M. Olivier Paccaud renchérit.)

M. Bernard Delcros .  - Je suis favorable à ce texte, compte tenu de la souplesse introduite par la notion de conseil réputé complet. Dans la grande majorité des cas, le nombre maximal de conseillers sera atteint.

M. Jean-Gérard Paumier .  - Du fait des intercommunalités, nombre d'élus s'estiment dépossédés de leurs compétences de proximité. Si les maires le pensent, imaginez ce que ressent un adjoint ou un simple conseiller. Nous devons réexaminer l'articulation entre communes et intercommunalité.

S'agissant de la réduction proposée, fixer une mesure obligatoire pour tout le monde - la toise - me gêne. Laissons un peu de liberté aux communes ! (MM. André Reichardt et Olivier Paccaud renchérissent.)

M. Éric Kerrouche .  - Notre collègue Roiron a fait état des hésitations de notre groupe. Pour répondre aux attentes des élus locaux, le travail sur le statut est essentiel. J'espère que le texte déposé pourra prospérer avec votre aide, madame la ministre.

Certains aménagements sont possibles, mais ne perdons pas de vue qu'il y a une relation directe entre la démographie et la représentation politique. Au sein de la délégation aux collectivités territoriales, nous avons travaillé sur ce sujet ; lors des auditions, la question du nombre de conseillers est revenue régulièrement, finissant par emporter mon adhésion à titre individuel.

Dans une commune de 300 000 habitants, un élu représente 4 348 personnes ; dans une commune de 100 habitants, quatorze personnes. Certes, les missions ne sont pas les mêmes, mais la dissymétrie est forte. Une approche équilibrée est nécessaire pour que la baisse du nombre de conseillers ne soit pas source de difficultés.

M. Jean-Marie Mizzon .  - La première attente des élus, c'est le statut. Nous comptons sur vous à cet égard, madame la ministre.

Les situations communales sont très diverses, y compris au sein d'une même strate. L'amendement de M. Maurey introduit donc une souplesse nécessaire.

Je ne voterai ce texte qu'à deux conditions : l'adoption de cet amendement et le maintien du nombre des adjoints.

M. Christian Bilhac .  - La démocratie communale est malade. Les symptômes sont connus : absentéisme, démissions... Mais ce qu'on nous propose, c'est d'administrer un sédatif !

La multitude des compétences transférées à des intercommunalités trop vastes fait des mairies des chambres d'enregistrement. Les contraintes administratives étouffent les maires et les moyens manquent. Un vrai statut de l'élu s'impose.

Au lieu de travailler sur ces problèmes, on choisit le sédatif, comme pour dire aux maires : calmez-vous, vous continuerez à porter l'écharpe, à célébrer les mariages et à poser des gerbes le 11 novembre ou le 14 juillet... Ce n'est pas l'idée que je me fais de la démocratie locale ! Je voterai contre ce texte.

M. Guy Benarroche.  - Bravo !

M. Daniel Chasseing .  - Pendant l'été, j'ai rencontré 270 maires sur les 280 de Corrèze. Nombre des maires des communes de moins de 100 habitants souhaitent en effet une diminution du nombre de conseillers municipaux.

On a parlé de fusions de communes, mais il n'est pas possible de fusionner sans l'accord des populations ; il faut être constant sur ce point.

Il faut une certaine souplesse entre ce qui existe et ce qui est proposé. Laissons le conseil municipal se prononcer, au plus tard six mois avant les élections. Une même souplesse pourrait d'ailleurs s'envisager pour le nombre d'adjoints.

Mme Anne Chain-Larché .  - Je suis extrêmement réservée. Certes, l'horizon s'annonce sombre en 2026, mais souvenons-nous du contexte de 2020, marqué par la crise du covid.

Mon village a moins de 1 000 habitants, mais compte quatorze hameaux : il est important que siègent au conseil municipal des représentants de chaque partie de la commune. (M. Hervé Maurey renchérit.) En outre, plus on diminue le nombre de conseillers, plus les tâches seront lourdes pour chacun.

La diminution proposée me paraît excessive et autoritaire. Je réserve mon vote final en fonction de la discussion.

M. Guillaume Gontard .  - La crise démocratique est réelle, notamment dans les plus petites communes. Le conseil municipal est pourtant le coeur battant de notre République.

Ce texte apporte une mauvaise réponse à un vrai problème. Il faut convaincre de l'intérêt de l'engagement et instaurer un statut de l'élu, pour qu'il soit moins difficile de concilier mandat, vie professionnelle et vie familiale.

J'ajoute que certaines petites communes gèrent parfois des budgets très importants - je pense, en Isère, aux régies de stations de ski. Si l'on se retrouve à cinq pour décider de l'affectation de plusieurs millions d'euros, il y a un problème démocratique.

M. le président.  - Amendement n°9 de M. Benarroche.

M. Guy Benarroche.  - Nous proposons, plutôt que de réduire la taille des conseils municipaux, d'étendre l'assouplissement lié à la présomption de complétude aux communes jusqu'à 3 500 habitants.

Cette solution présente l'avantage de ne pas pénaliser les communes qui sont en mesure de réunir suffisamment d'élus. Ce que ferait, au contraire, la mesure prévue par le texte, laquelle affecterait en outre le nombre des adjoints et le respect de la parité.

Pour résoudre vraiment la crise des vocations, réfléchissons à une augmentation des ressources, notamment en ingénierie, pour mieux aider les élus dans l'exercice de leur mandat.

M. le président.  - Amendement n°7 de M. Rochette.

M. Pierre Jean Rochette.  - C'est un amendement de liberté - de libération de la ruralité ! Il n'impose rien, mais fixe un nombre minimal et un nombre maximal de conseillers. La mesure prévue par le texte résoudrait certes des problèmes, mais tout en en créant d'autres.

M. le président.  - Amendement n°17 rectifié decies de M. Maurey.

M. Hervé Maurey.  - Cet amendement ménage de la souplesse. Il est exact que certains maires souhaitent une réduction du nombre de conseillers. Mais d'autres n'en veulent pas du tout, et même y voient un mauvais coup supplémentaire contre la ruralité. Laissons le conseil municipal définir son effectif, six mois avant le renouvellement, dans la limite d'une fourchette. Cet amendement n'affecte pas le collège électoral.

M. le président.  - Amendement n°16 de M. Paccaud.

M. Olivier Paccaud.  - La souplesse, voilà un mot qui nous plaît ! C'est dans cet esprit que le Premier ministre a annoncé, lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement, que le transfert de la compétence eau et assainissement deviendrait optionnel. Il est toujours préférable que la décision vienne du terrain. Évitons la toise, pour reprendre l'expression de M. Paumier.

Le problème de représentation des différentes parties de la commune, soulevé par Anne Chain-Larché, se retrouve fréquemment dans l'Oise. En outre, il ne faudrait pas se priver de bonnes volontés. Le conseil municipal doit pouvoir décider lui-même du nombre de ses membres.

M. le président.  - Amendement n°8 de M. Rochette.

M. Pierre Jean Rochette.  - Amendement de repli.

M. le président.  - Amendement n°13 rectifié de M. Vial.

M. Cédric Vial.  - Cet amendement respecte l'esprit du texte, mais ajuste les seuils en reprenant celui qui détermine le changement de régime électoral. Plus précisément, l'effectif serait maintenu à 11 élus jusqu'à 1 000 habitants, puis porté à 15 jusqu'à 2 000 habitants et 23 jusqu'à 3 500, pour permettre un bon fonctionnement des collectivités.

M. le président.  - Amendement n°6 de Mme Cukierman.

Mme Céline Brulin.  - Dans le même esprit, nous proposons de distinguer les communes de moins de 1 000 habitants des communes de plus de 1 000 habitants. En Seine-Maritime aussi, le problème du manque de candidats se pose, plutôt dans les très petites communes. Mais, alors que le travail des élus se complexifie, la diminution du nombre de conseillers peut vite s'avérer une mauvaise idée.

Nous devons nous interroger sur les raisons de la crise de l'engagement. L'exemple pris par mon collègue Lahellec est révélateur : quand un maire ne sait pas, trois jours avant la rentrée, si une classe menacée sera maintenue, beaucoup sont dissuadés de s'engager. De même quand les collectivités sont montrées du doigt comme les principales responsables des dérapages budgétaires. Ce n'est pas ainsi que nous redonnerons du sens aux mandats locaux.

M. le président.  - Amendement n°4 rectifié de Mme Pluchet.

Mme Kristina Pluchet.  - Nous proposons de réduire à 13 plutôt que 11 l'effectif des conseils municipaux des communes de 500 à 1 500 habitants. Cette mesure serait moins brutale. Nous prévoyons une flexibilité à 11 dans les communes de moins de 1 000 habitants. Cet amendement nous paraît de bon sens.

M. le président.  - Amendement n°15 rectifié de M. Kerrouche.

M. Éric Kerrouche.  - Il y a la souplesse souhaitable et la souplesse possible... Encore une fois, une trop forte réduction du nombre de conseillers municipaux risquerait d'induire des variations excessives de représentativité, donc d'être inconstitutionnelle.

Dans le cadre de la mission sur les collectivités territoriales que j'ai conduite avec Françoise Gatel, nous proposions que la notion de conseil réputé complet s'applique également aux communes comptant de 500 à 1 000 habitants.

M. le président.  - Amendement identique n°19 rectifié de Mme de La Provôté.

Mme Sonia de La Provôté.  - Cet amendement introduit une souplesse de nature à simplifier la vie démocratique.

M. le président.  - Amendement identique n°21 rectifié de M. Pointereau.

M. André Reichardt.  - Étendons aux communes de 500 à 999 habitants le dispositif dérogatoire adopté en 2019 dans la loi Engagement et proximité.

M. le président.  - Amendement n°24 de Mme Bellurot au nom de la commission des lois.

Mme Nadine Bellurot, rapporteure.  - C'est un amendement de coordination.

Nous avons tous à coeur d'accompagner au mieux nos élus locaux, et le Sénat y a déjà beaucoup travaillé : statut de l'élu, formation des élus, textes sur les secrétaires de mairie, ou encore sur les violences contre les élus. Nous essayons d'aider les élus, particulièrement ruraux. Il peut y avoir des communes où l'engagement est dynamique, mais ce n'est hélas pas le cas partout. Nous avons beaucoup travaillé avec l'AMF et l'AMRF, qui demandent une réduction du nombre de conseillers municipaux jusqu'au seuil de 3 500 habitants. Un sondage réalisé à la demande de la délégation aux collectivités territoriales a également montré que ce seuil était pertinent.

Il ne s'agit pas de défendre cette solution à tout prix, mais de faciliter la constitution de listes.

Au-dessus de 1 000 habitants, c'est un scrutin de liste : il est donc possible d'ajouter deux candidats. En dessous, c'est un panachage.

À la demande de l'AMRF, nous avons donc prévu que le conseil municipal serait réputé complet avec deux conseillers municipaux en moins, soit cinq sur un conseil de sept, sept sur un conseil de neuf. Je serai favorable aux amendements qui prévoient que le conseil municipal de onze membres soit réputé complet à neuf.

L'amendement n°9 supprime la diminution du nombre de conseillers municipaux dans les communes de moins de 3 500 habitants. Pour enrayer le désengagement, il est essentiel de permettre aux communes rurales de fonctionner malgré la raréfaction des engagements.

L'extension de la présomption de complétude à l'ensemble des communes de 3 500 habitants est difficile : au-delà de 1 000 habitants, c'est un scrutin de liste, avec possibilité de deux conseillers municipaux supplémentaires. Avis défavorable.

Avis défavorable aux amendements nos7, 17 rectifié decies, 16 et 8 qui instaurent une variable pour les communes. Il serait certes pratique de pouvoir choisir le nombre de conseillers, mais il faut bien fixer dans la loi un nombre de conseillers municipaux par strate. La souplesse est déjà possible, avec un conseil municipal réputé complet à deux conseillers près. L'amendement est partiellement satisfait puisque cette souplesse existe pour les communes de moins de 500 habitants. Du reste, le réputé complet est robuste juridiquement, et a été validé par le Conseil constitutionnel.

Un nombre de conseillers municipaux variable, c'est alléchant, mais fait courir un risque constitutionnel. Le nombre de conseillers doit refléter la démographie de la commune, or, en l'espèce, une commune de 150 habitants pourrait avoir le même nombre de conseillers qu'une de 1 400 habitants. Une telle rupture d'égalité n'est pas justifiée.

Le nombre de conseillers municipaux des communes de moins de 3 500 habitants ne serait pas inscrit dans la loi, alors qu'il l'est au-delà de ce seuil. Ce n'est pas possible.

Pour les communes de plus de 1 000 habitants, le mode de scrutin permet d'avoir deux noms supplémentaires sur la liste.

L'amendement n°13 rectifié de Cédric Vial modifie considérablement les strates, avec pour effet qu'une commune de 2 200 habitants passerait de 19 à 23 conseillers municipaux. Difficile d'aller en ce sens. L'instauration d'une nouvelle strate démographique au-dessus de 1 000 habitants est compliquée, car on passe alors sur un scrutin de liste.

Avis défavorable à l'amendement n°6. Le seuil de 3 500 habitants a été établi à la suite d'un long travail de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales avec l'AMF et l'AMRF. De même qu'il faut représenter les différents quartiers des grandes villes, il importe que les différents hameaux des communes rurales soient représentés. Le nombre de conseillers municipaux que nous proposons devrait le permettre.

J'ai été maire d'une commune de 2 000 habitants, nous étions dix-neuf conseillers ; avec ce texte, nous serons à quinze plus deux.

L'amendement n°4 rectifié porte le nombre de conseillers municipaux de treize à onze dans les communes entre 500 et 1 500 habitants : c'est insuffisant pour faire face aux difficultés rencontrées. L'amendement est en outre partiellement satisfait puisque le conseil municipal sera réputé complet à neuf conseillers, pour les communes entre 500 et 1 000 habitants.

La commission a émis un avis défavorable mais on pourrait estimer qu'entre 1 000 et 1 500 habitants, le nombre de conseillers municipaux soit à treize, comme vous le proposez.

Avis favorable aux amendements identiques nos15 rectifié, 19 rectifié et 21 rectifié qui répondent à une demande de l'AMF et qui offrent une latitude bienvenue.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - On voit là toute la difficulté des seuils et des décisions monolithiques. Il y a 35 000 communes et autant de situations différentes.

Nous ne pouvons faire fi du principe constitutionnel d'égalité devant la loi. Comment expliquer que deux communes de même taille se retrouvent avec un nombre différent d'élus ? Laisser chaque conseil municipal choisir me paraît une solution très fragile, d'autant que les conseillers municipaux eux-mêmes ne seront peut-être pas d'accord entre eux ! On ne peut pas non plus renouveler la taille de l'effectif à chaque élection.

La proposition de loi de François Bonneau n'est ni une résignation ni une reddition en pleine campagne. Elle apporte des solutions à un problème bien identifié : la fragilité de l'engagement, municipal comme associatif. Nous croyons tous à la force de la représentation citoyenne dans les communes. La diminution du nombre de conseillers municipaux par strate est une réponse juridiquement sécurisée.

Il existe une batterie d'outils pour soutenir les élus. Il faudra aussi, un jour, s'atteler à la complexité.

Les associations d'élus sont en phase avec ces propositions. Au-delà de 3 500 habitants, il n'y a globalement pas de demande de modification, au-delà de ce qui a été proposé.

Avis défavorable à l'amendement n°9. Le travail intense de la commission des lois et de la délégation aux collectivités territoriales montre que l'on ne peut pas traiter les communes de 3 500 habitants de la même manière que les plus petites.

Cher sénateur Rochette, laisser chacun décider comme il le veut est impossible, constitutionnellement. Avis défavorable à l'amendement n°7.

Même avis pour l'amendement n°17 rectifié decies de M. Maurey : gare à la rupture d'égalité de représentation entre les communes.

J'apprécie fort la prose du sénateur Paccaud, moins le fond. (Sourires) Au-delà de 1 000 habitants, votre proposition est fragile. Et je doute que l'on trouve des majorités au sein des conseils municipaux !

M. Olivier Paccaud.  - On vote, cela s'appelle la démocratie !

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Nous avons une différence d'approche.

Avis défavorable à l'amendement n°8.

Idem sur l'amendement n°13 rectifié qui prend un risque en modifiant les strates de communes, sans étude d'impact. Et qui augmente le nombre de conseillers...

Même avis sur l'amendement n°6.

L'amendement n°4 rectifié pose un vrai problème constitutionnel. Retrait ou avis défavorable.

Avis favorable aux amendements identiques nos15 rectifié, 19 rectifié, 21 rectifié qui apportent une solution équilibrée.

Avis favorable à l'amendement de coordination n°24.

M. Olivier Paccaud.  - J'ai bien entendu notre rapporteur et notre chère ministre. Votre principal argument est l'éventuelle inconstitutionnalité des amendements, mais bien malin qui lit dans la boule de cristal du Conseil constitutionnel. Nous avons voté ici même des mesures qui ont été retoquées, sur l'immigration notamment.

Le « réputé complet » et le « plus 2 », qui donnent de la souplesse, n'ont-ils pas été validés par le Conseil constitutionnel ?

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Ce n'est pas pareil !

M. Olivier Paccaud.  - Votons nos amendements, et nous verrons bien s'ils sont déclarés inconstitutionnels.

Les communes de 5 000 à 9 999 habitants sont très différentes, pourtant elles ont le même nombre de conseillers municipaux.

M. André Reichardt.  - J'ai cosigné l'amendement n°17 rectifié decies, car j'y voyais la mise en oeuvre de la différenciation prônée - sinon mise en oeuvre - par le Président de la République. Un certain nombre de maires ne voient pas l'intérêt de réduire le nombre de conseillers municipaux. Pourquoi les y forcer ? Notre amendement ne fait que permettre de choisir entre le nombre actuel et le nombre prévu par la proposition de loi. Il n'y a pas de lézard !

Pourquoi la différenciation ne serait-elle pas possible ? Le Conseil constitutionnel accepte déjà des solutions différentes lorsque les situations sont différentes. Je ne comprends pas l'avis défavorable de principe. Essayons, votons, et nous verrons bien ce qu'en dira le Conseil.

L'amendement n°9 n'est pas adopté.

L'amendement n°7 est retiré.

M. Hervé Maurey.  - L'argument de l'éventuelle inconstitutionnalité, c'est l'argument de ceux qui n'en ont pas ! (M. Olivier Paccaud renchérit.) Le Conseil constitutionnel accepte le « réputé complet ». La seule différence est que la situation est alors subie, tandis que nous proposons une solution choisie, au demeurant très encadrée par la loi. Cela mérite d'être tenté !

La ministre prône la confiance envers les élus, la souplesse, la différenciation, mais on impose ici une règle à des élus qui n'en veulent pas au motif que d'autres la souhaiteraient. C'est un mauvais signe, alors que le Premier ministre dit vouloir être à l'écoute des élus.

M. Olivier Paccaud.  - Bravo !

M. Éric Kerrouche.  - Les propositions de MM. Maurey et Paccaud paraissent séduisantes, mais on ne peut pas traiter différemment des situations identiques.

M. André Reichardt.  - Elles ne sont pas identiques ! (M. Olivier Paccaud renchérit.)

M. Éric Kerrouche.  - Quand la population est identique, il y a bien une rupture du principe d'égalité !

M. Hervé Maurey.  - Et en matière fiscale ?

M. Éric Kerrouche.  - S'écarter de la démographie, qui a guidé le redécoupage des circonscriptions, nous condamne. D'où notre solution.

M. Daniel Chasseing.  - J'ai cosigné l'amendement n°17 rectifié decies, et je le voterai. Il faut de la souplesse. Dans une commune rurale où la population diminue, il peut être difficile de trouver des candidats ; dans une commune périurbaine où elle augmente, ce sera plus facile.

M. Vincent Louault.  - Plus c'est simple, plus c'est compliqué ! (Sourires) Le principe de l'amendement me rappelle le mode dérogatoire dans les EPCI, qui n'a pas été censuré par le Conseil constitutionnel. L'argument n'est pas infondé !

M. Bernard Buis.  - Pour ma part, je ne voterai pas l'amendement.

Laisser un conseil municipal en fin de mandat dire qu'il veut deux conseillers municipaux de moins ou deux de plus risque d'apparaître comme une magouille. Ce n'est pas au conseil municipal sortant de décider du nombre d'élus, mais à la loi.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Sans doute me suis-je mal exprimée. Chacun ici sait combien je suis persuadée que la différenciation est une solution à nombre de problèmes.

Permettre à chaque conseil municipal sortant, six mois avant les élections municipales, de « tailler » la dimension du conseil municipal, ce n'est plus de la différenciation, mais un menu à la carte.

Je n'ai jamais dit du mal des élus, qui sont des gens responsables. Mais protégeons-les des contestations qu'entraînera forcément pareille décision du conseil municipal sortant !

Le législateur est responsable de ce qu'il vote. Il y a une grande différence entre la liberté pour chaque conseil municipal de décider, six mois avant les élections, et ce qui est permis aujourd'hui. On ne peut décider de l'incomplétude d'un conseil municipal six mois avant les élections. Si le quorum n'est pas atteint, une tolérance existe. Attention à la différence de traitement !

Je ne m'oppose ni à la différenciation ni à la souplesse, mais je veux protéger les élus locaux. Jamais je n'ai entendu l'AMF ou l'AMRF réclamer qu'on laisse les communes fixer le nombre de leurs conseillers. C'est une question de sécurité juridique et de protection des élus.

L'amendement n°17 rectifié decies n'est pas adopté.

M. Olivier Paccaud.  - L'amendement n°16 étant le même que le précédent, je le retire. Je ne suis pas masochiste... (Sourires)

M. Jean-François Husson.  - Il est lucide en plus !

L'amendement n°16 est retiré, de même que les amendements nos8 et 13 rectifié.

L'amendement n°6 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°4 rectifié.

Les amendements identiques nos15 rectifié, 19 rectifié et 21 rectifié sont adoptés, de même que l'amendement n°24.

M. le président.  - Amendement n°23 de M. Hochart.

M. Joshua Hochart.  - Défendu.

L'amendement n°23, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°14 de Mme Tetuanui.

M. Michel Canévet.  - Défendu.

Mme Nadine Bellurot, rapporteure.  - Mme Tetuanui souhaite préciser clairement que le texte n'est pas applicable à la Polynésie française. Le Gouvernement peut-il le confirmer ? Sagesse positive.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Ces dispositions ne sont pas applicables à la Polynésie française, je le confirme. Retrait ?

L'amendement n°14 est retiré.

Vote sur l'ensemble

M. Henri Cabanel .  - Certaines petites communes rencontreraient des problèmes. Je n'en doute pas, mais avons-nous les chiffres ? Est-ce la majorité ? Je pense que cela ne concerne pas toutes les communes.

L'adoption de cette proposition de loi interdira à des candidats potentiels de s'engager comme conseiller municipal. Pour ma part, je ne la voterai pas.

Mme Anne Chain-Larché .  - Je ne remets pas en question le travail de la rapporteure, mais ce texte, c'est cautère sur jambe de bois !

Le vrai problème des élus n'est pas leur nombre, mais l'opprobre subi, le manque de respect de la part des administrés, quand ce ne sont pas les agressions, le manque d'autonomie financière, la difficulté à concilier leur mandat avec leur vie professionnelle et personnelle.

Au contraire, le nombre est une garantie d'engagement civique. Empêcher des habitants de s'engager dans leur commune - bénévolement, à 99 % - me semble une erreur. La démarche est trop autoritaire. Je voterai contre ce texte.

M. le président.  - Je rappelle qu'il s'agit d'un espace réservé. Si vous voulez examiner le deuxième texte, il faut accélérer.

M. Jean-François Husson.  - Très bien !

M. Olivier Paccaud .  - Je ne voterai pas le texte. Je ne suis pas hostile à une baisse du nombre des conseillers municipaux, mais pas de façon autoritaire.

Savez-vous combien de conseillers municipaux vont disparaître avec votre texte ? Pouvez-vous me le dire, Monsieur Bonneau ? (Silence) Presque 40 000 ! Des cost killers disent que ça coûte cher ? Hop : 40 000 d'un coup !

Savez-vous combien il y a de communes entre 0 et 3 500 habitants ? (Silence) Non ? 13 600 !

On se prive de bonnes volontés précieuses. Je ne comprends pas.

M. Laurent Somon .  - Si je comprends bien, on veut stimuler la participation citoyenne en réduisant le nombre de conseillers municipaux ? (M. Olivier Paccaud renchérit.) Cela revient à amputer quelqu'un pour mieux le faire marcher !

Va pour les communes de moins de 500 habitants, mais l'extension à 3 500 va trop loin.

Pour redonner du souffle à l'engagement citoyen, il faut accorder un statut de l'élu local, redonner des moyens aux communes, cesser de transférer leurs compétences aux EPCI !

Ce texte, dont le champ s'est fortement étendu par rapport au projet initial, crée plus de problèmes qu'il n'en résout.

M. Guy Benarroche .  - Les raisons qui obèrent l'engagement citoyen sont connues. La solution proposée ici, dont l'efficacité n'a pas été évaluée, permettra surtout à un certain nombre de conseils municipaux de continuer à siéger ; rien ne dit que cela suscitera des vocations !

Au demeurant, c'est loin d'être une demande généralisée, ou même majoritaire, chez les maires. La sagesse commanderait de retirer le texte. Notre groupe votera contre.

M. Éric Kerrouche .  - La tournure que prend le débat m'étonne.

La baisse de l'engagement local appelle plusieurs réponses. D'abord, le statut de l'élu, sur lequel nous attendons des avancées.

Ensuite, ce texte, qui ne part pas de rien. Si l'on a placé le curseur à 3 500 habitants, c'est que, selon les données dont nous disposons, il n'y a pas de demande au-delà de ce seuil. Mais en deçà, il y a bien une demande majoritaire des élus ! On constate un problème d'assiduité des conseillers municipaux, notamment depuis 2020. Le texte introduit simplement de la souplesse, en répondant aux demandes des élus.

Mme Céline Brulin .  - Nous nous abstiendrons, car s'il y a une vraie demande des petites communes de réduire le nombre de conseillers, ce n'est pas le cas dans les communes de la strate au-dessus de 1 000 habitants. (M. Stéphane Sautarel renchérit.) Les communes de 3 500 habitants sont souvent des bourgs ou de centres-bourgs : leurs conseillers municipaux ont un travail important ; réduire leur nombre n'est pas leur rendre service !

Il y a le texte et le contexte. Le rapport Woerth, commandé par le précédent gouvernement, propose de réduire de 100 000, soit 20 %, le nombre de conseillers municipaux ; un récent rapport de la Cour des comptes prône la suppression de 100 000 agents dans les collectivités.

Nous ne nions pas la crise de l'engagement, mais ce n'est pas en disant à ceux qui se démènent qu'ils sont trop nombreux qu'on les remerciera de leur engagement ou qu'on suscitera des vocations !

Les obstacles sont financiers, et tiennent au poids des intercommunalités, à l'abandon des services de l'État dans nos territoires. Nous ne pourrons faire l'économie de cette réflexion.

M. Vincent Louault .  - Certes, il n'est guère motivant pour les élus municipaux de s'occuper des chiens écrasés, dès lors que toutes les compétences sont confiées aux EPCI.

Mais il y a aussi un principe de réalité : le covid a eu des séquelles, et les conseillers élus en 2020 sont moins investis.

Dans les communes entre 1 000 et 3 000 habitants, il n'y a souvent qu'une seule liste - et ils ne veulent pas que cela change. La démocratie est abîmée, la diversité absente. Dans une vingtaine de communes de mon département, il n'y avait aucune alternative à l'équipe sortante. Envoyons un autre message politique que celui de ne rien changer !

M. François Bonneau .  - Ce texte ne prétend pas répondre à tous les problèmes de nos communes ; il faudra travailler au statut de l'élu, entre autres.

Mais il fait suite à nos échanges avec les maires et reflète leurs préoccupations. L'enjeu est de défendre les maires qui sont en difficulté. Si nous ne faisons rien, nous accentuerons les problèmes.

Je remercie les rapporteurs. J'entends qu'il faut de la souplesse pour s'adapter aux différentes situations, mais le mieux est l'ennemi du bien. Je crois que ce texte va dans le bon sens.

M. Fabien Genet .  - Je ne doute pas de la volonté des auteurs de répondre à des situations qu'ils ont pu observer, mais il demeure que ce texte affectera la grande majorité des communes où tout se passe bien. Je voterai contre, car je ne partage pas le message politique envoyé. Réduire de 40 000 le nombre d'élus locaux ne saurait être une réponse aux problèmes de notre pays. Délitement social, montée de la violence, augmentation des querelles de voisinage : nous avons besoin de plus d'engagement citoyen pour traiter les maux de la société !

Je crains en outre que la collégialité de la délibération soit affectée. Entre les absences et les démissions, les délibérations seront adoptées par très peu d'élus, leur qualité en pâtira.

M. Bernard Buis .  - Pour ma part, je voterai ce texte. J'étais défavorable à la proposition de loi initiale qui ne visait que les communes de moins de 500 habitants. Mais les demandes de l'AMF et de l'AMRF ont été prises en compte. Ce week-end, lors de l'assemblée générale des maires ruraux de la Drôme, tous ont dit appeler de leurs voeux un tel texte. Il ne résoudra pas tout, mais c'est une pierre à l'édifice.

M. Stéphane Sautarel .  - Je suis très embêté : j'étais initialement favorable au texte, mais je m'interroge désormais. Il y a une vraie attente des petites communes, mais l'extension de la diminution du nombre de conseillers municipaux aux communes de moins de 3 500 habitants pose un vrai problème. Nous enverrions un très mauvais message politique.

L'objectif a été dénaturé dans la version issue de nos travaux, que je ne peux voter à ce stade.

M. André Reichardt.  - Bravo !

À l'issue d'une épreuve à main levée déclarée douteuse, la proposition de loi, mise aux voix par assis et levé, n'est pas adoptée.

La séance, suspendue à 19 h 30, reprend à 19 h 35.

Fermetures abusives de comptes bancaires

M. le président.  - Mes chers collègues, je vous rappelle que le présent texte a été inscrit à l'ordre du jour dans le cadre d'un espace réservé au groupe UC, je me verrai donc dans l'obligation d'interrompre les débats au plus tard à 20 h 45.

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires, présentée par M. Philippe Folliot et plusieurs de ses collègues à la demande du groupe UC.

Discussion générale

M. Philippe Folliot, auteur de la proposition de loi .  - Je diminuerai par deux le temps qui m'est imparti pour que cette proposition de loi, attendue par nombre de nos concitoyens, puisse prospérer et être votée.

Le secteur bancaire est essentiel. Avoir les plus grandes banques du monde fait honneur à notre pays.

Ce secteur, qui emploie 350 000 salariés, se porte bien, avec 29 milliards d'euros de résultats cumulés en 2023. Cette proposition de loi n'a pas pour objectif de remettre en cause cette situation.

Le droit à fermeture d'un compte bancaire est maintenu pour trois raisons : non-respect des conditions générales de la banque, indélicatesse des clients ou mouvements de comptes considérés comme suspects.

Mais la fermeture abusive de comptes bancaires est un problème social à bas bruit. Personne ne dira en ville, dans un dîner entre copains, que son compte bancaire a été fermé ! Il règne ici une forme d'omerta.

C'est toute la stratégie de déshumanisation des agences bancaires qui est aussi ici pointée du doigt. On ferme les agences, on numérise tout... Chacun n'a plus son conseiller dédié, désormais.

Combien de personnes sont-elles concernées par la fermeture abusive de son compte ? Impossible de le savoir, faute de statistiques.

Mais j'ai reçu de nombreux témoignages. Quel est le profil des clients concernés ? Il s'agit souvent d'artisans commerçants, de professions libérales ou d'agriculteurs. La stratégie consiste à se défaire de clients dont la sinistralité est jugée trop importante.

Des associations peuvent aussi être victimes de ce phénomène. Une association que je préside, qui gère un tiers lieu culturel, a ainsi été victime d'une fermeture brutale, du jour au lendemain, de son compte bancaire qui fonctionnait pourtant très bien.

Plusieurs personnes d'origine étrangère, régulièrement installées en France, sont aussi victimes ; Albanais, Chinois ou Russes peuvent ainsi connaître des difficultés. Il en va de même pour des Français domiciliés à l'étranger.

Des personnalités politiques sont aussi exposées : membres du Gouvernement, parlementaires, certains fonctionnaires, notamment, soit des milliers de personnes.

Quelles sont les conséquences ? La personne concernée a deux mois de préavis pour trouver une autre banque. Elle peut accéder à un compte à la Banque de France, mais en mode dégradé. Et pour peu qu'elle vive dans un endroit isolé, comme dans la commune de Saint-Pierre-de-Trivisy dans le Tarn, où il n'y a qu'une seule agence bancaire, trouver une nouvelle banque est une affaire complexe.

Et on ne vous dit pas pourquoi votre compte est fermé ! Il faut que l'on puisse comprendre les raisons de cette décision. Si le présent texte est adopté, les banques y réfléchiront à deux fois.

Je remercie le président de la commission, le rapporteur et les collègues de la commission des finances. L'honneur du Parlement est de faire progresser le droit, et les droits. C'est l'objet de ce texte. (M. Marc Laménie applaudit.)

M. Marc Laménie, rapporteur de la commission des finances .  - Je remercie l'auteur de la proposition de loi, qui en a bien présenté les enjeux.

Le texte a été examiné en juin par la commission des finances. Il relaie une demande légitime.

La fermeture d'un compte se fait à la discrétion de la banque. Avec ce texte, les fermetures ne seraient motivées que si le client en fait la demande. Le dispositif qui vous est proposé ce soir est équilibré.

La seule difficulté que posait la version initiale du texte avait trait à la possibilité de rompre la relation contractuelle pour des raisons liées à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent. Ces sujets sont sensibles.

Les amendements déposés sur le texte ont reçu un avis défavorable de la commission des finances.

Je vous invite à adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et UC ; M. Claude Raynal applaudit également.)

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État chargée de la consommation .  - Permettez-moi de vous dire le plaisir que j'ai à me trouver dans cette maison, que je connais un peu... Je souhaite que nous travaillions en étroite collaboration.

La proposition de loi que nous examinons entend garantir la transparence quant aux motifs de fermeture abusive des comptes bancaires ; les banques devraient motiver leur décision.

Les travaux du rapporteur et de la commission des finances ont fait évoluer le texte afin d'exonérer les établissements bancaires de cette obligation lorsque la divulgation du motif contreviendrait aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l'ordre public.

Je salue l'initiative prise pour renforcer les droits du consommateur dans la relation qui le lie aux banques. Il faut davantage de transparence, élément clé de l'économie.

Les banques seraient obligées de motiver la fermeture du compte sur demande expresse du client.

Cette proposition de loi a bien un objectif de protection des consommateurs, non d'accès aux services bancaires. Elle répond aussi à des difficultés rencontrées par nos compatriotes résidant hors de France. Je l'ai donc étudiée avec intérêt. Le Gouvernement en partage le principe, mais a des divergences d'analyse, non sur l'objectif en lui-même, mais sur certains éléments qui se heurtent à des obstacles importants.

Le premier est la liberté fondamentale du choix du cocontractant entériné dans notre code civil. De même que le client peut choisir de changer de banque librement, la banque doit, elle aussi, pouvoir choisir de sortir de la relation contractuelle. Mais il faut un dispositif dérogatoire, assuré aujourd'hui par la Banque de France.

Le deuxième obstacle, plus significatif, a trait à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Nous sommes tous attachés à ces enjeux. Le blanchiment d'argent est un coup porté à notre contrat social.

Les banques peuvent clôturer un compte après une déclaration de soupçon au renseignement financier national. Mais la loi leur interdit de porter cette déclaration à la connaissance de l'auteur des opérations suspectes. C'est indispensable pour garantir l'efficacité des services de renseignement financier.

Si le texte était voté, un client pourrait demander la raison de la clôture de son compte à la banque et, en l'absence de réponse, en déduire que la fermeture a été effectuée en raison du soupçon d'opérations frauduleuses. S'il s'agit bien d'un fraudeur, il pourra déplacer ses fonds ailleurs.

En outre, seuls 30 000 comptes relèvent du droit au compte tandis que le dispositif que vous examinez concerne 80 millions de comptes bancaires classiques.

Ces réserves étant faites, nous partageons l'objectif de meilleure information des consommateurs.

Il faudrait pouvoir quantifier finement l'ampleur du phénomène. Une analyse plus approfondie est nécessaire.

Le Gouvernement s'engage donc à saisir rapidement le Comité consultatif du secteur financier (CCSF), que vous connaissez bien, car il a souvent contribué à éclairer les débats du Sénat. Ainsi, nous pourrons mieux cerner le phénomène ; cela facilitera le dialogue entre les deux chambres au cours de la navette.

Compte tenu des questions importantes que ce texte soulève et des réponses fragiles qui y sont apportées, et en attendant l'avis du CCSF, le Gouvernement émet un avis de sagesse. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

M. Christian Bilhac .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) L'accès à un compte bancaire est un service de première nécessité. Depuis 1984, le législateur a garanti l'accès à un moyen de paiement pour tous en garantissant l'accès à un service bancaire de base universel.

L'ouverture d'un compte bancaire repose sur la signature d'une convention de compte, qui peut être rompue à l'initiative du client ou de la banque.

Un client peut fermer un compte bancaire à tout moment sans préavis ni justificatif.

La banque doit pour sa part respecter un préavis de deux mois.

Certaines fermetures de compte sont décidées par les banques pour des comptes inactifs ou peu rentables ; c'est problématique. La lutte contre le terrorisme et le blanchiment peut être invoquée pour justifier ces fermetures. Le texte ne modifie pas ces dispositions. Toutefois, si à l'avenir l'absence de motivation des décisions des banques était cantonnée à ces seules situations, cela pourrait éveiller les soupçons d'un client malhonnête, qui pourrait faire disparaître d'éventuelles preuves, contrariant ainsi le travail des enquêteurs.

Ne minimisons pas les conséquences pour les titulaires d'une fermeture brutale de compte. Toutefois, cette proposition de loi mettra-t-elle fin à la fermeture abusive de compte ? Je ne le crois pas ! Au mieux, elle aboutirait à la rédaction d'un courrier semblable aux conditions générales que l'on doit souvent signer et auxquelles personne ne comprend rien...

On y verrait écrit qu'au vu de tel rapport de l'OCDE, de telle décision de la Commission européenne, la banque est dans l'obligation de fermer le compte. Merci, circulez, il n'y a rien à voir ! (Sourires)

Je suis partagé. Au sein du groupe RDSE, les votes seront divers.

On nous reproche parfois de légiférer pour légiférer. Je me demande si ce n'est pas le cas avec cette proposition de loi...

Je ne vois pas comment cette proposition de loi pourrait vraiment réduire le nombre de fermetures abusives de comptes bancaires. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Bernard Delcros .  - (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC) Merci à Philippe Folliot d'aborder ce sujet et d'avoir rédigé ce texte pour lutter contre la fermeture abrupte de comptes bancaires subie, sans justification, par nombre de nos concitoyens.

Cette fermeture est souvent vécue comme arbitraire et injuste.

Elle n'est certes pas sans solution. Le client peut demander à la Banque de France de bénéficier d'un droit au compte. Mais encore faut-il qu'il sache quelles démarches entreprendre. Celles-ci sont aisément remplies par une partie de nos concitoyens, mais elles sont insurmontables pour d'autres !

À cela s'ajoute l'accumulation des démarches dématérialisées.

La situation s'aggrave pour les Français éloignés des villes centres. Nos concitoyens sont démunis face à une situation qui peut être vécue comme une humiliation.

Il paraît nécessaire de garantir l'accès à l'information du client, qui doit pouvoir tirer les leçons de la fermeture de son compte.

Cette proposition de loi est juste pour le consommateur et équilibrée pour la banque ; nous ne créons aucune réelle contrainte nouvelle pour les banques.

D'autres éléments fondamentaux ont été insérés dans l'examen du texte en commission, au nom de la sécurité nationale : en cas de soupçon de blanchiment d'argent ou de financement du terrorisme, il n'y aura pas de justification de la fermeture du compte. Je salue le travail de Marc Laménie.

Ce texte fait évoluer le droit dans le bon sens.

Les sénateurs du groupe UC voteront ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Marc Laménie et Daniel Chasseing applaudissent également.)

M. Pascal Savoldelli .  - Sans compte bancaire, aucune activité sociale n'est possible : pas de versement de salaire, de loyer, ou de pension de retraite. Nous voterons cette proposition de loi, même si elle ne s'attaque pas frontalement aux fermetures abusives de compte.

Nous proposons par amendement de rendre la justification de la fermeture systématique, et non sur demande du client.

Nous devons rompre avec le non-droit bancaire qui frappe les particuliers et certaines entreprises.

Nous proposons d'interdire, dans le respect de la liberté contractuelle, les clôtures décidées par les banques ayant pour motif le défaut de rentabilité.

L'obligation sociale de détenir un compte bancaire ne peut s'accompagner d'une obligation de rentabilité, sinon c'est la double peine ! L'obligation sociale passe avant l'obligation de rendement.

Nous devons rompre avec le non-droit bancaire.

Nous avons examiné cinq textes relatifs aux comptes bancaires au cours de la dernière session. Nous sommes face à un problème systémique. Les banques s'adonnent à ce que j'appelle une concurrence non libre et légèrement faussée. La population se trouve dans un rapport de force défavorable.

Ce système organisé a fait émerger des professionnels du litige bancaire, à plus de 200 euros la conciliation. C'est une organisation qui mise, pour prospérer, sur la dissuasion des clients lésés ; bref, c'est faire de l'argent sur le malheur des autres !

Et tout cela dans une situation où le résultat net des six principaux groupes bancaires progresse, en 2023, à 32,3 milliards d'euros, quand même ! Par la gestion des 2 179 milliards d'euros de dépôts des ménages, les banques facturent, selon la Banque de France, des commissions qui s'inscrivent à un niveau stable de 54,7 milliards d'euros.

La motivation prévue par le texte n'alourdira pas à l'excès la charge administrative des banques ; on parle bien d'un simple courriel envoyé à un client dont on ferme unilatéralement le compte, et ce, sur demande du client uniquement. Et ce serait déjà trop...

Nous prônons la création d'un pôle public bancaire chargé d'une mission de service public du crédit et de l'épargne ainsi que la séparation des banques de dépôt des banques d'investissement, afin de protéger les consommateurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe UC ; M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Grégory Blanc .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Cette proposition de loi va dans le bon sens. Nous la voterons.

Tout d'abord, elle renforce la protection du consommateur. Elle participe de la transparence que l'on est en droit d'attendre du système bancaire. Trop souvent les clôtures de compte sont opaques. Il est temps d'assumer, pour éviter toute accusation de discrimination ou d'arbitraire.

Ensuite, cette proposition de loi est simple et non coûteuse.

La ministre a fait part de réserves. Nous voterons toutes les mesures qui les lèveraient.

Enfin, nous avons déposé un amendement concernant la situation spécifique des Français de l'étranger. Pour eux, la fermeture d'un compte bancaire en France peut être terriblement problématique. Résidant à l'étranger, ils ne pourraient plus payer leurs impôts. Les envois postaux sont plus lents, les notifications électroniques ne sont pas garanties. Le préavis de deux mois peut se révéler trop court. Aussi, nous défendrons son allongement à quatre mois.

Nous souhaitons que cette proposition de loi puisse être améliorée. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Marc Laménie et M. Philippe Folliot applaudissent également.)

Mme Isabelle Briquet .  - Avec l'émergence des néobanques et des plateformes bancaires en ligne, le phénomène de fermetures abusives a pris de l'ampleur. Certaines plateformes ont mis en avant la lutte contre le blanchiment. En 2024, 800 000 clients d'Orange Bank ont vu leur compte fermé.

Les délais de remboursement des avoirs peuvent être longs et nombre de clients ont été privés de leurs fonds pendant plusieurs mois.

Les clients se trouvent souvent démunis face à la puissance des banques. Ils peuvent contacter le médiateur bancaire, mais les démarches sont souvent longues et incertaines.

Les banques peuvent être tenues pour responsables, mais il est alors nécessaire de prouver un préjudice réel.

La convention de compte régit les procédures entre la banque et le client. L'obligation de motiver la fermeture de compte est peu opérante en l'absence de sanction.

Le texte ne prend pas en compte les différences de législation entre les pays, ce qui pose problème pour les clients des néobanques, dont les comptes sont domiciliés à l'étranger.

Néanmoins, le groupe SER votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe UC ; MM. Marc Laménie et Daniel Chasseing applaudissent également.)

M. Louis Vogel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC) L'accès au système bancaire est un élément clé pour assurer la cohésion sociale et territoriale de notre pays.

Sociale d'abord, car sans compte en banque l'intégration à la collectivité est difficile, sinon impossible : se loger, se nourrir, travailler, tout dans la société impose aux citoyens de disposer d'un compte en banque.

Territoriale ensuite, car tous les Français n'ont pas égal accès aux agences bancaires. En milieu rural, il n'est pas rare de devoir prendre sa voiture pour se rendre dans une agence -  la seule à des kilomètres à la ronde.

La fermeture de compte peut être un facteur d'exclusion. L'importance du phénomène est mal connue. En 2019, une enquête d'UFC-Que Choisir estimait à 11 % la proportion de personnes ayant déjà subi une fermeture de compte. Or parmi ces fermetures certaines étaient justifiées.

Aussi, cette proposition de loi vise les personnes qui ne comprennent pas la raison de la fermeture de leur compte et ne peuvent pas en ouvrir d'autre.

Ces personnes disposent du droit au compte prévu par la loi. En outre, nous bénéficions du maillage territorial bancaire le plus important d'Europe.

Certains membres du groupe INDEP s'interrogent sur la pertinence de cette proposition de loi ; vous connaissez les mots de Richelieu : « Faire une loi et ne pas la faire exécuter, c'est autoriser la chose qu'on veut défendre »...

Majoritairement, le groupe INDEP soutiendra la position du rapporteur. Les banques seront obligées de motiver leur décision, sauf si cela contrevient au maintien de l'ordre public et aux objectifs de sécurité nationale.

Il était indispensable de réécrire le texte. Toutefois l'absence de réponse peut faire peser un soupçon.

Nous espérons que le texte sera encore amélioré tout au long des travaux parlementaires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mmes Olivia Richard et Sophie Briante Guillemont applaudissent également.)

Mme Évelyne Renaud-Garabedian .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) « Pendant trente-cinq ans j'ai eu un compte bancaire en France sans incident. Une fois partie à l'étranger, j'ai été notifiée de la fermeture de mon compte bancaire. » Voilà le genre de messages que les Français de l'étranger, en proie au désarroi et à l'incompréhension, m'adressent régulièrement à la suite de la fermeture soudaine de leur compte bancaire.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Tout à fait !

Mme Évelyne Renaud-Garabedian.  - Or ce compte bancaire leur permet de recevoir la pension de retraite française, le remboursement de leurs soins, les loyers qu'ils tirent des biens dont ils sont propriétaires en France, de payer leurs impôts en France, ou tout simplement d'épargner.

Quelles raisons justifient de telles fermetures ? Aucune selon les banques ; deux selon les collaborateurs bancaires : premièrement, la réglementation européenne sur la corruption, le financement du terrorisme, le blanchiment, qui suffit à faire fermer le compte d'un résident d'un pays jugé sensible, comme c'est le cas en Afrique de l'Ouest, au Moyen-Orient ou en Amérique latine. Deuxièmement, la réglementation américaine - la Foreign Account Tax Compliance Act (Facta) -, qui impose aux autorités françaises de déclarer aux autorités américaines de déclarer les comptes détenus par les citoyens américains ou franco-américains.

Pour éviter de gérer des obligations complexes, des établissements français préfèrent clôturer les comptes des non-résidents. Par prudence, des banques surinterprètent des textes qui n'ont pas pour objectif de faire fermer ces comptes. Or il n'y a aucune raison d'empêcher par principe les Français habitant dans des pays sensibles d'exercer leur droit au compte.

La banque désignée par la Banque de France pour le droit au compte donne uniquement accès à des services bancaires de base. En outre, elle peut à son tour fermer le compte, si elle dit ne pouvoir satisfaire aux obligations de vigilance, ce qui est le motif principal de fermeture des comptes bancaires des Français de l'étranger.

L'État ne peut pas soutenir le déploiement des Français à l'international et ne pas défendre leurs droits.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Exactement !

Mme Évelyne Renaud-Garabedian.  - Il est anormal que les Français doivent souscrire des comptes dans des établissements étrangers parce que les banques françaises leur refusent l'accès. N'est-il pas grand temps de faire appliquer le droit ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains et du RDPI ; Mme Sophie Briante Guillemont, MM. Michel Canévet et Marc Laménie applaudissent également.)

M. Bernard Buis .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Cette proposition de loi corrige une injustice. Actuellement une banque peut résilier unilatéralement un compte bancaire sans se justifier. Elle peut tout à fait laisser le client dans un vide intersidéral.

Cela nourrit la défiance vis-à-vis d'un secteur décrié.

Cette proposition de loi rééquilibre la situation. La transparence éviterait les abus. Nous sommes donc en faveur de l'adoption de cette proposition de loi. Toutefois, des zones d'ombre devront être éclaircies lors de la navette.

Le droit européen est-il ici respecté ? La motivation de la résiliation n'y est pas prévue. Il convient d'évacuer tout risque de non-conformité au droit de l'Union européenne.

Un client soupçonné de blanchiment pourrait considérer qu'il faut l'objet d'une enquête s'il voit son compte fermé. Cela empêcherait la manifestation de la vérité. Je crains que l'amendement du rapporteur ne soit pas suffisant. C'est pourquoi j'ai proposé une piste de réflexion sur le sujet.

Néanmoins, ne laissons pas le droit en vigueur figé. Je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Ronan Le Gleut .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les Français établis hors de France sont les premières victimes tragiques de fermetures de comptes abusives. Combien de fois ai-je été sollicité par des retraités, des entrepreneurs ? N'oublions pas non plus les « Américains accidentels », trop nombreux à être concernés.

Depuis la loi du 24 janvier 1984, tout Français a le droit de posséder un compte de dépôt dans une banque en France.

L'éloignement de la France complexifie les procédures, surtout pour les naufragés du numérique. En outre, le droit au compte n'offre qu'une version dégradée du service bancaire.

Les clients se voient notifier la fermeture de leur compte bancaire après avoir été prévenus deux mois auparavant, mais les arguments de la lutte contre le terrorisme, le blanchiment ou la fraude ne s'appliquent pas à ces Français exemplaires, dont le seul crime serait de participer au rayonnement de la France.

Les plus concernés sont ceux qui habitent dans une zone qui n'est pas soumise à l'échange automatique de données - en anglais, Automatic Exchange Of Information (AOEI) -, dont l'objet est de lutter contre l'évasion fiscale mondiale. Le Groupe d'action financière (Gafi) définit un cadre permettant aux États de lutter contre le blanchiment de capitaux et le terrorisme.

Concrètement, plutôt que de faire du cas par cas, des Français de l'étranger se font fermer leur compte sans solution alternative. Les banques procèdent souvent sans discernement.

Madame la ministre, nous savons pouvoir compter sur votre rigueur et votre ténacité. Nous saluons votre engagement de saisir le comité consultatif du secteur financier.

Formons le voeu que la Fédération bancaire française (FBF) et le gouverneur de la Banque de France entendent notre appel à plus de justice bancaire pour les Français de l'étranger. Ils ont besoin de leur compte pour de multiples motifs. Nous sommes leurs avocats face aux abus bancaires. Rendons justice aux Français de l'étranger ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Discussion des articles

Avant l'article unique

M. le président.  - Amendement n°7 de Mme M. Vogel.

Mme Mélanie Vogel.  - Peu de gens en sont conscients, mais, quand on vit à l'étranger, on a besoin d'un compte en France pour certaines opérations fondamentales - recevoir des prestations, par exemple. Or nombre de nos compatriotes de l'étranger voient leur compte fermé par la banque, parfois sans même qu'on le leur notifie. Cet amendement porte à quatre mois le délai de réponse après notification, pour éviter des situations concrètes de détresse.

M. Marc Laménie, rapporteur.  - Je comprends vos arguments, mais votre amendement induirait une inégalité de traitement entre résidents et non-résidents. Avis défavorable.

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État.  - Le délai actuel de deux mois, fixé par le droit européen, tient compte de la situation des personnes internationalement mobiles. Les échanges entre les banques et leurs clients sont aujourd'hui largement dématérialisés. En outre, il existe sur le marché français une offre concurrentielle d'établissements en ligne permettant de répondre rapidement à un besoin d'ouverture de compte, même à distance. Avis défavorable.

L'amendement n°7 est adopté et devient un article additionnel.

Article unique

Mme Olivia Richard .  - Le problème est récurrent : les Français de l'étranger n'ont pas tous une fortune en France, et leur compte leur sert simplement pour des actes de la vie quotidienne.

L'enjeu est d'assurer l'effectivité du droit au compte. Même si un nouveau compte peut être ouvert - parfois difficilement à distance -, le problème est de le maintenir, car il peut être fermé à son tour.

Je pense au cas d'un journaliste français travaillant en Iran, qui ne peut plus être payé, ou à celui de conseillers des Français de l'étranger qui ne peuvent pas toucher leurs indemnités.

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - Il faut légiférer sur cette question. Voilà sept ans que les parlementaires y oeuvrent, mais nous nous heurtons à un mur : celui de l'administration et d'intérêts bien compris. Le Parlement doit prendre ses responsabilités.

Madame la ministre, si nous avions suivi les recommandations des organismes représentatifs du secteur et de la direction qui siège à vos côtés, il n'y aurait pas eu le texte de 2022 sur le droit à l'oubli. Heureusement, le Parlement a dit « stop ».

Je salue la volonté de compromis du rapporteur, mais la rédaction initiale de M. Folliot était parfaite. Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement.

Si nous n'aboutissons pas ce soir, il faudra trouver un autre vecteur pour avancer - c'est le serment du 9 octobre !

Mme Corinne Bourcier .  - En parlant de fermeture abusive, on minimise la législation existante, qui impose un préavis de deux mois. Au demeurant, les banques n'ont pas intérêt à fermer un compte. Ne stigmatisons pas les employés de tout un secteur, chargés de clientèle ou directeurs d'agence.

Ils risquent de se retrouver coincés entre des règles contradictoires, notamment en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. L'amendement du rapporteur adopté en commission va dans le bon sens : il faut prévoir une exception en matière de sécurité nationale ou de trouble à l'ordre public.

En plus d'affaiblir l'action commune des autorités dans la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, ce texte risque d'accroître les incivilités et les violences dont sont victimes les employés de banque.

Je m'abstiendrai donc, dans l'attente de la saisine du comité consultatif.

M. le président.  - Amendement n°6 de M. Bilhac.

M. Christian Bilhac.  - Défendu.

M. le président.  - Amendement n°4 de M. Bocquet.

M. Pascal Savoldelli.  - Défendu. Si le temps manque pour terminer la discussion, ce sera en raison des trois prises de parole précédentes.

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié de Mme Briquet.

Mme Isabelle Briquet.  - Défendu.

M. le président.  - Amendement n°8 de Mme Conway-Mouret.

Mme Hélène Conway-Mouret.  - Cet amendement prévoit une solution pour que la situation des Français de l'étranger soit prise en compte.

M. Marc Laménie, rapporteur.  - Avis défavorable aux amendements nos6, 4 et 1 rectifié. Sagesse sur l'amendement n°8.

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État.  - Les amendements nos6, 4 et 1 rectifié ont le même objet : systématiser la justification de la clôture d'un compte, même en l'absence de demande du client. Cette règle entrerait en conflit avec le principe de confidentialité de la déclaration de soupçon à Tracfin. Je remercie Mme Bourcier, notamment, de l'avoir souligné.

Le fait de ne pas recevoir de réponse à la demande de motivation conduirait le fraudeur à soupçonner l'opération en cours. L'amendement multiplierait les cas où une banque devrait soit révéler l'existence d'une déclaration de soupçon, soit contrevenir à la loi en présentant des motivations inexactes. (M. Jean-François Husson le conteste.)

Bref, l'adoption de ces amendements renforcerait les injonctions contradictoires. Avis défavorable.

Sagesse sur l'amendement n°8, qui nous paraît satisfait.

L'amendement n°6 est retiré.

L'amendement n°4 est adopté.

Les amendements nos1 rectifié et 8 n'ont plus d'objet.

M. le président.  - Amendement n°5 de M. Bocquet.

M. Pascal Savoldelli.  - Défendu.

L'amendement n°5, repoussé par la commission et le Gouvernement, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°11 de M. Laménie, au nom de la commission des finances.

M. Marc Laménie, rapporteur.  - Amendement de coordination pour les outre-mer.

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État.  - Cette mesure de coordination ne répond pas aux difficultés mentionnées en discussion générale. Sagesse.

L'amendement n°11 est adopté.

L'article unique, modifié, est adopté.

Après l'article unique

M. le président.  - Amendement n°9 de M. Buis.

M. Bernard Buis.  - Défendu.

M. Marc Laménie, rapporteur.  - Avis défavorable.

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État.  - C'est à dessein qu'il n'y a pas de lien entre l'existence d'une déclaration de soupçons et la poursuite ou non de la relation d'affaires. Maintenir ouvert un compte dont on sait qu'il est lié à des infractions pénales rend la banque et ses dirigeants complices d'un crime ou d'un délit. Le compte ne peut donc être maintenu ouvert que sur réquisition expresse du ministère public. Retrait, sinon avis défavorable.

L'amendement n°9 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°10 de M. Buis.

M. Bernard Buis.  - Défendu.

M. Marc Laménie, rapporteur.  - Avis défavorable.

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État.  - Sagesse.

L'amendement n°10 n'est pas adopté.

L'amendement n°2 n'est pas défendu.

La proposition de loi, modifiée, est adoptée.

La séance est suspendue à 20 h 45.

Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente

La séance reprend à 22 h 15.

Conseil européen des 17 et 18 octobre 2024

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2024.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe .  - Je suis honoré de m'exprimer pour la première fois dans votre hémicycle - faisant ainsi quelques infidélités à mon assemblée de coeur - pour présenter les thèmes que nous aborderons lors du prochain Conseil européen.

J'accorde une grande importance à la diplomatie parlementaire. J'espère que ce débat sera le premier d'une longue série, dans une culture de dialogue et de respect avec toutes les forces politiques.

Les chefs d'État aborderont des sujets majeurs, qui reflètent les priorités de l'agenda d'autonomie stratégique de l'Union européenne, déclinées depuis 2017. L'Union européenne commence enfin à être moins naïve, moins dépendante ; elle défend ses frontières et ses intérêts économiques, développe son outil militaire pour développer sa défense.

Alors que nos partenaires rechignaient à l'utiliser, le terme d'autonomie stratégique est aujourd'hui une évidence dans le débat public européen.

Nous parlerons du soutien à l'Ukraine, du conflit au Proche-Orient, de la compétitivité -  à la suite du rapport Draghi  - , du défi migratoire, de la COP29 et de la COP16, des luttes contre les discriminations et des défis de politique étrangère qui se posent en Moldavie, en Bolivie ou au Soudan, notamment.

Sur l'Ukraine, nous discuterons de la finalisation du volet européen de l'emprunt ; le G7 s'y est engagé en juin sur le fondement des revenus tirés des actifs souverains russes immobilisés. Il est urgent de doter l'Ukraine de ressources financières stables. La guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine, je le rappelle, menace à la fois notre sécurité et nos valeurs.

Le soutien à l'Ukraine doit également se faire sur le volet militaire.

Nous saluons les nouvelles sanctions prises pour lutter contre l'ingérence étrangère russe -  la France en a fait une priorité.

Au Proche-Orient, nous plaidons pour accentuer encore davantage l'engagement européen en faveur d'un cessez-le-feu à Gaza et au Liban, à accroître l'aide humanitaire en faveur de la population civile et de soutenir l'armée libanaise. Nous présenterons les contours de la Conférence internationale pour le Liban, qui se tiendra à Paris à la fin du mois.

Nous rappellerons nos fondamentaux : libération inconditionnelle des otages, acheminement de l'aide humanitaire vers les civils, solution à deux États, respect du principe d'une sécurité inaliénable d'Israël.

Nous saluerons les nouvelles sanctions prises contre l'Iran après le transfert de missiles à la Russie.

Le Conseil fera également un point sur les relations entre l'Union européenne et le Golfe.

Le Conseil se saisira des enjeux de compétitivité, avant le sommet informel du 8 novembre consacré à cette question. Nous souhaitons une feuille de route concrète et ambitieuse afin de mettre en oeuvre les recommandations du rapport Draghi, qui dresse un constat sévère, mais lucide, sur le décrochage économique de notre continent face à nos concurrents, qu'il s'agisse de la Chine ou des États-Unis. Nous sommes confrontés à un triple défi énergétique, commercial et sécuritaire, dans un contexte de transitions écologique et numérique et de vieillissement de notre population.

Profitons-en pour mettre en place une stratégie industrielle ambitieuse. C'est à cette condition que l'Union européenne pourra relever le défi existentiel posé par la concurrence croissante de la Chine et des États-Unis.

Libérons l'épargne publique et privée pour investir dans l'intelligence artificielle, dans le quantique, dans toutes les technologies d'avenir, faute de quoi nous accumulerons un retard irrattrapable.

La maîtrise des migrations est un enjeu majeur. Notre priorité est de renforcer les dispositifs existants : nous veillerons à la mise en oeuvre du Pacte sur la migration et l'asile, une petite révolution ; nous faciliterons les procédures d'éloignement des déboutés du droit d'asile ; nous devons favoriser les coopérations avec les pays tiers, en utilisant tous les leviers dont dispose l'Union européenne.

Nous préparerons également les prochaines COP, qui se tiendront à Bakou et en Colombie.

Alors que les actes antisémites et racistes se multiplient, le Conseil européen réitérera sa ferme condamnation de toutes les discriminations.

Nous évoquerons aussi la situation en Moldavie, qui subit des manoeuvres russes, et en Géorgie, qui doit se prononcer sur son avenir européen le 20 octobre. Nous devrons maintenir une posture ferme face à l'absence de transparence dans le processus électoral au Venezuela. La discussion s'achèvera sur le conflit au Soudan, l'une des crises humanitaires les plus graves du XXIe siècle. Tous les États membres en profiteront pour réaffirmer leur engagement collectif en faveur du dialogue intersoudanais.

Mme Catherine Dumas, vice-présidente de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - Je parlerai au nom de la commission des affaires étrangères, présidée par Cédric Perrin.

Le Président de la République a promis à la tribune des Nations unies que la France ferait tout ce qui est en son pouvoir pour que l'Ukraine tienne bon, se mette hors de danger et obtienne justice, notamment en lui fournissant des équipements indispensables à sa défense. Cette question a agité le débat public cet été : faut-il aider l'Ukraine à se défendre en frappant la Russie grâce à des missiles occidentaux ? Le président russe a prévenu que cela appellerait une réponse symétrique... La question semble avoir été tranchée par la négative aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne, après un débat public nourri. Quelle est la position de la France à ce jour sur ce sujet ?

Le Président de la République souhaite également bâtir une paix juste et durable en Ukraine. Dans un quotidien allemand, vous avez avancé que l'envoi de troupes au sol n'était pas exclu. Quelle forme prendra donc notre soutien à l'Ukraine ? À plus long terme, le Gouvernement se projette-t-il déjà dans l'après-guerre ?

Trois jours avant son discours à l'ONU, M. Macron a pensé à une nouvelle forme d'organisation de l'Europe et repensait notre rapport à la Russie une fois la guerre terminée.

Les sénateurs sont plus que jamais désireux de participer au débat sur l'architecture de la sécurité européenne du futur ; nous sommes à l'écoute des propositions du Gouvernement.

J'en viens à l'influence française au sein de l'Union européenne. Le Président de la République nous invite à penser la réalité d'une Europe dans sa forme géographique, qui n'est ni l'Union européenne ni l'Otan. Est-ce à dire qu'il ne se fait plus guère d'illusions sur l'influence française dans l'Union ?

Thierry Breton a récemment regretté la grande dilution du poids de la France dans l'Union européenne : son portefeuille a été éclaté entre cinq commissaires ; les portefeuilles énergie et transition économique ont été confiés à des commissaires notoirement antinucléaires. Il a également alerté sur le poids croissant de l'Allemagne dans les institutions européennes.

L'état de nos finances publiques ne nous aide pas à peser. Face à ce constat, comment entendez-vous mettre un terme à l'affaiblissement continu de nos positions au sein de l'Union européenne ? Comment faire pour que la voix de la France porte en Europe ?

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - C'est toute l'architecture sécuritaire européenne qui a été agressée par la Russie. Notre soutien à l'Ukraine se poursuivra aussi longtemps que nécessaire.

Le Président de la République a été très clair. Nous avons fixé beaucoup de lignes rouges à l'Ukraine. Nous ne les communiquerons pas ; c'est là toute l'ambiguïté stratégique voulue par le Président de la République.

L'enjeu actuel est de dégager des ressources financières pour que les Ukrainiens puissent tenir sur le plan militaire. La priorité est de rassembler les 50 milliards d'euros de prêts décidés par les pays du G7 ; l'une des pistes est de mobiliser les avoirs russes gelés. La situation est bloquée par la Hongrie, nous aurons des discussions à ce sujet. C'est là un enjeu majeur à l'heure de l'élection présidentielle américaine.

Sur l'influence française, je constate que les priorités que nous défendons depuis quelques années sont au coeur des priorités de la Commission.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - La réunion du Conseil européen préparera la COP29 sur le changement climatique et la COP16 sur la biodiversité. Le suivi de ces négociations est pour nous une priorité.

La COP29 se déroulera du 11 au 22 novembre à Bakou. La conférence devra négocier la nouvelle cible en matière de financement ; celle-ci aura vocation à remplacer l'objectif de 100 milliards de dollars par an fixé en 2009 à Copenhague. Sans accord sur l'aide à accorder aux pays en voie de développement, ces derniers pourraient relâcher leurs efforts.

Les parties auront à concilier des nombreuses divergences, notamment sur la liste des pays contributeurs et sur le montant des contributions.

La France, qui a contribué au financement de l'ambition climatique à hauteur de 7,6 milliards d'euros en 2022, a dépassé son objectif de 6 milliards d'euros par an. Elle est un moteur de la négociation climatique à l'échelle de l'Union européenne ; elle l'a montré voilà neuf ans, à l'occasion des négociations de l'accord de Paris.

L'autre temps fort diplomatique est la COP16 consacrée à la biodiversité ; celle-ci se tiendra à Cali, en Colombie, du 21 octobre au 1er novembre. C'est un rendez-vous plus technique que politique, afin de mettre en oeuvre l'accord de la COP15 signé à Montréal en 2022 auquel nous sommes particulièrement attachés. Celui-ci définit un nouveau cadre mondial en faveur de la biodiversité, avec 23 cibles mondiales à atteindre en 2030 pour vivre en harmonie avec la nature.

Une délégation de sénateurs, composée de Guillaume Chevrollier, Denise Saint-Pé et Jean-Michel Houllegatte, s'était d'ailleurs rendue au Canada ; un rapport saluait l'ambition de cet accord tout en soulignant ses fragilités. Deux ans plus tard, il convient d'assurer sa mise en oeuvre concrète. Il est temps de définir un cadre de financement.

La répartition des financements entre pays du Nord et du Sud constituera une épineuse question. J'invite le Gouvernement à se saisir de ces enjeux majeurs afin que l'Union européenne reste une force motrice pour répondre aux multiples défis environnementaux.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - Nous partageons les objectifs et les constats énoncés.

L'adoption d'un nouvel objectif financier est une priorité majeure de la COP29. Tous les pays doivent participer à la solidarité financière internationale. La France est l'une des principales contributrices ; nous avons dépassé notre objectif.

La COP16 doit nous permettre de mettre en oeuvre des stratégies nationales concrètes. La mise en place d'un mécanisme de suivi est cruciale. La France est particulièrement engagée dans la mobilisation des financements et dans l'élargissement de la base des donateurs. Elle excède ses engagements, en ayant atteint, avec deux ans d'avance, son objectif d'un milliard d'euros d'aide publique au développement (APD) consacrée à la biodiversité et à la suppression des subventions néfastes.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances .  - La réunion du Conseil européen s'inscrit dans un contexte économique et financier particulier, puisque le Conseil de l'Union européenne a approuvé le 26 juillet dernier l'ouverture de la procédure pour déficit excessif à l'encontre de 7 États membres, dont la France.

Alors qu'à la fin de la crise sanitaire, le déficit de la zone euro convergeait vers les 3 %, celui de la France n'a cessé de diverger depuis. La Commission européenne dresse un constat sans appel. La France, avec un déficit public de 5,5 % du PIB et une dette de 110 % dépasse largement les règles du pacte de stabilité et de croissance.

Cette trajectoire préoccupante ne sera pas corrigée en 2024, bien au contraire. La France s'était engagée à réduire son déficit à 5,1 % du PIB en 2024 ; l'objectif ne sera pas tenu. Le ministre des comptes publics vient de l'estimer à 6,1 %.

La dette atteignait 112 % à la fin du deuxième trimestre. Si nous ne faisons rien, la situation se dégradera encore en 2025. Cette situation est injustifiable hors période de crise ; elle nous singularise en Europe. Cette situation détériorée ne saurait être imputée aux seules crises sanitaire ou énergétique.

La Commission européenne souligne que la situation des finances publiques de la France n'est ni exceptionnelle ni temporaire : avec un déficit à 6,5 % du PIB en 2025, nous sommes très loin des 3 % prévus par le pacte de stabilité. Si rien n'est fait, la dette publique dépassera 114 % du PIB en 2025, bien au-delà des 60 % du traité.

La dégradation des finances publiques de la France en 2023 est avant tout le résultat de prévisions macroéconomiques imprudentes, et d'une forme de déni dans lequel les gouvernements précédents se sont enfermés.

Pourtant, le Sénat n'a eu de cesse d'alerter sur l'état de nos finances publiques. Nous avons proposé de nombreuses pistes d'économies, toutes ont été balayées d'un revers de main.

Notre pays se trouve dans une situation délicate. Sa crédibilité apparaît durablement entamée face à nos partenaires.

Il faudra présenter un ensemble de réformes vérifiables et assorties d'échéances à la Commission européenne.

Comment entendez-vous mettre la France face à ses engagements européens ? À défaut, le Conseil européen pourrait enjoindre la France à prendre des mesures économiques sous six mois.

Vous avez déclaré avoir obtenu un délai supplémentaire de la Commission, jusqu'au 31 octobre. Quand informerez-vous le Parlement, comme le prévoit la Lolf ?

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - La France a fait l'objet, aux côtés de six autres pays de l'Union européenne, d'une procédure pour déficit excessif. C'est la crédibilité de notre pays qui est en jeu, oui, mais c'est aussi un enjeu de crédibilité pour toutes les politiques que nous défendons. La voix de la France en Europe dépendra de notre trajectoire financière et budgétaire.

Le Premier ministre et le Gouvernement en ont fait une priorité majeure. Nous engagerons le redressement de nos comptes publics, à l'aide d'un budget ambitieux pour 2025, avec un horizon de déficit à 3 % d'ici à 2029. Nos partenaires nous attendent sur ce sujet. Nous serons au rendez-vous.

L'Union européenne devra dégager des ressources tant publiques que privées pour investir dans les industries d'avenir.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - J'apprécie le ton de votre réponse, qui change radicalement. Vous avez repris calmement nos arguments développés depuis un certain temps sur le dérapage de nos comptes publics, qui nous empêche d'atteindre les objectifs du pacte de stabilité et de croissance. En effet, il s'agit d'un enjeu de souveraineté. Nous nous plaçons dans la main des marchés, qui ne nous font pas de cadeaux. Les taux montent et les conditions risquent de peser lourdement sur notre dette. Relayez notre position à l'échelle européenne, cela se joue là-bas !

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes .  - Bienvenue dans cet hémicycle. Au Sénat, c'est comme dans Bienvenue chez les Ch'tis : on pleure quand on arrive, mais aussi quand on part. (Sourires)

Aujourd'hui, notre pays semble enfin se remettre en ordre de marche, mais le monde ne nous a pas attendus ; l'ordre du jour du prochain Conseil en témoigne.

L'Union européenne semble bien impuissante à mettre fin à la guerre en Ukraine, à éviter l'embrasement en Israël ou à apaiser la situation au Soudan.

Même sur son coeur de métier, l'Union est à la peine. Près d'un tiers des États membres ont rétabli temporairement les contrôles aux frontières, conformément au code Schengen.

La pression politique a augmenté d'un cran avant-hier à la suite de l'appel d'une majorité d'États membres, dont la France, à modifier la législation sur le retour des migrants irréguliers.

La triste actualité nous le rappelle trop souvent : il est indispensable de garantir l'éloignement des personnes non autorisées à rester, sans quoi notre politique d'asile ne pourra être menée.

Après les Pays-Bas, la Hongrie a demandé une exemption de l'application des règles européennes en matière d'asile et de migration.

Que compte proposer la France à ses partenaires pour répondre aux défis migratoires ? J'y suis confronté quotidiennement dans mon département, le Pas-de-Calais. C'est un défi européen qui appelle une réponse européenne, j'en suis convaincu.

Autre défi proprement européen : la compétitivité du marché intérieur. L'instabilité géopolitique transforme nos dépendances économiques en vulnérabilités. C'est ce qu'ont montré les rapports Letta sur le marché intérieur ou Draghi sur la compétitivité européenne ; ceux-ci ne sauraient rester lettre morte.

Le constat est sombre pour l'Union européenne qui ambitionne d'être leader des nouvelles technologies, phare de l'ambition climatique tout en gardant son modèle social. C'est un défi existentiel, pour reprendre les termes de Mario Draghi.

Le Conseil européen risque de reporter le sujet à sa rencontre informelle de novembre. Mais, monsieur le ministre, nous ne pouvons pas attendre !

La France, très occupée à rétablir sa crédibilité budgétaire, sort affaiblie par le changement in extremis de son candidat pour la Commission européenne ; elle ne doit pas rester à l'écart.

Ces réformes ambitieuses ne seront durables que si elles bénéficient d'un soutien démocratique ; Mario Draghi l'a lui-même rappelé. Les parlements doivent être étroitement associés aux réorientations profondes qui s'annoncent.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - Ces enjeux migratoires, que vous connaissez bien, appellent des réponses européennes robustes, fermes et humaines -  je vous remercie de l'avoir souligné.

La crédibilité de l'Union européenne sera jugée sur sa capacité à obtenir des résultats concrets sur les flux migratoires.

Le Pacte asile et sur la migration et l'asile est une avancée majeure. Nous appelons désormais à sa mise en oeuvre rapide et globale - et non différenciée ; c'est important.

Il faudra penser aux prochaines étapes : la directive retour, afin de permettre une expulsion plus rapide des déboutés du droit d'asile, mais aussi repenser les instruments de la politique extérieure de l'Union européenne, notamment le levier des visas, les accords commerciaux ou la conditionnalité de l'APD.

L'Union européenne devra opérer un changement de braquet en matière de compétitivité. Nous avons jusqu'à présent mis l'accent sur la régulation pour nous protéger des grandes plateformes et préserver notre industrie ; nous devons désormais créer un environnement propice à l'innovation, à l'entrepreneuriat et à l'unification des marchés de capitaux - une étape essentielle.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes.  - Je vis la fermeture des frontières intérieures européennes comme un échec. Ce qui compte avant tout, c'est la protection des frontières extérieures. Le Sénat a réalisé un travail important sur Frontex. Utilisez-le.

Vous avez évoqué l'union des marchés des capitaux, c'est essentiel : l'épargne des Européens représente 30 000 milliards d'euros ! Voilà une piste intéressante avant d'envisager d'autres emprunts.

M. Claude Kern .  - J'aborderai la situation internationale, point essentiel de la réunion du Conseil.

Les négociations en vue de l'adhésion de l'Ukraine et de la Moldavie ont débuté le 25 juin. La route de l'adhésion ukrainienne sera plus longue que prévu. Malgré la guerre avec la Russie, il est important de ne pas griller les étapes : toute procédure d'adhésion doit se faire sans précipitation et dans le respect des règles.

Les dirigeants de l'Union européenne ont pris acte en février 2023 des efforts considérables de l'Ukraine. Monsieur le ministre, des points litigieux sont-ils susceptibles de retarder le processus ?

Les échéances électorales américaines ne sont pas neutres. La réélection de Donald Trump serait inquiétante pour l'Ukraine - et pas seulement d'ailleurs : l'ancien président, dont la proximité avec Vladimir Poutine n'est plus à démontrer, estime pouvoir régler le conflit en quelques heures seulement...

En cas d'arrêt de la livraison d'armes par les États-Unis, l'Union européenne serait-elle capable de pallier ce manque ?

Au Proche-Orient, la situation est dramatique. Israël est attaqué de toutes parts et son souhait de se défendre est compréhensible.

La situation au Liban, pays historiquement lié à la France, est particulièrement inquiétante. Je salue l'aide de 30 millions d'euros débloquée par l'Union européenne en faveur de la population libanaise. Plus de 1 000 personnes ont été tuées et plus d'un million de personnes ont été déplacées.

Est-il utile de rappeler que le Hezbollah est une organisation terroriste aux ordres de l'Iran ?

Cela dit, il est impératif lors du Conseil d'appeler à une désescalade du conflit au Liban, dont la situation intérieure est déjà tendue.

Je regrette de ne pas avoir plus de temps pour parler de la COP29 : que celle-ci se déroule à Bakou est une hérésie ! Je fais partie des 76 parlementaires inscrits sur la liste des persona non grata établie par l'Azerbaïdjan.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - Vous pouvez être fier de cette interdiction de séjour, monsieur le sénateur ! Vous connaissez l'engagement de la France en faveur de la liberté de l'Arménie.

Vous soulignez à raison les incertitudes que fait peser l'élection américaine, sur le soutien à l'Ukraine et sur l'avenir de la relation transatlantique. Nous devons investir massivement dans notre outil de défense, dans la coopération industrielle européenne, pour avoir une base industrielle de défense autonome.

J'ai mentionné le prêt financé sur les avoirs gelés de la Russie. C'est une priorité pour la France que les 50 milliards d'euros soient fléchés sur l'achat de matériel militaire pour les Ukrainiens. Le renouvellement de la facilité européenne de paix doit également être débattu.

Nous partageons votre message sur le Moyen-Orient. Il y a deux jours nous commémorions l'attaque barbare du Hamas, le 7 octobre, contre la population civile israélienne, qui a tué 48 de nos compatriotes ; deux sont encore otages. Nous appelons à la libération inconditionnelle des otages, au cessez-le-feu, à la relance du dialogue régional.

Vous avez raison de souligner la responsabilité du Hezbollah et de l'Iran dans la déstabilisation régionale ; les conclusions du Conseil européen en feront état, assorties de paquets de sanctions et d'un appel à la protection des civils et à la désescalade.

Mme Silvana Silvani .  - Le déchaînement de violence à l'encontre des populations civiles, au Proche-Orient, en Ukraine ou au Soudan, ne connaît aucune trêve.

Après des bombardements qui ont déplacé 1,2 million de Libanais et fait 2 000 victimes, après deux attentats meurtriers les 17 et 18 septembre, l'armée israélienne envahit désormais le Liban, et bombarde le point de passage vers la Syrie emprunté par les réfugiés.

Rappelons sans cesse le bilan de l'acharnement à Gaza : 40 000 morts, dont 16 756 enfants, d'innombrables disparus, un exode massif. Nourrissant les germes d'une guerre totale qui ferait taire toute dissidence, le gouvernement israélien - et non le peuple - bénéficie de l'hypocrisie complice des États-Unis et de la majorité des pays européens. D'une main, ils appellent timidement au cessez-le-feu ; de l'autre, ils fournissent des armes à Israël.

Israël a le droit de se défendre contre le terrorisme, assurément. Mais peut-on imaginer éradiquer le Hamas ou le Hezbollah par les bombes, alors qu'ils bénéficient d'un ancrage dans la population ? La guerre en Afghanistan et en Irak a coûté 21 000 milliards de dollars, pour un résultat navrant. Al-Qaïda en a profité pour recruter massivement en Irak, avant de laisser la place à Daech.

Ce n'est pas de guerre dont les peuples ont besoin mais de justice et surtout de paix : cela ne peut s'obtenir sous les bombes. Nous demandons justice pour le peuple palestinien, pour le peuple libanais, et aussi pour le peuple israélien. Pour cela, les instruments diplomatiques de l'Union européenne doivent frapper fort et juste contre le gouvernement de Netanyahou.

Quand mettrons-nous hors d'état de nuire la machine de guerre israélienne ? Combien de massacres encore avant que vous ne déclariez un embargo contre l'exportation des armes vers Israël, des sanctions financières ou le gel des avoirs des criminels de guerre ? 

Reconnaître l'État palestinien, ce n'est pas affaiblir l'État d'Israël.

Les sanctions n'ont pas tardé contre la Russie, qui, elle aussi, mène une guerre d'agression contre son voisin. En Ukraine, la guerre s'enlise et le risque d'escalade augmente à mesure qu'aucune solution diplomatique n'émerge. La révision de la doctrine nucléaire de la Russie, le 25 septembre dernier, fait planer le risque d'un conflit nucléaire.

En laissant la guerre se propager de Gaza à Kiev et à Beyrouth, l'Europe préfère l'engrenage belliciste -  qui légitime sa course à la remilitarisation  - à l'action pour le développement économique, social et écologique. Il faut sortir de la logique de blocs pour construire la paix. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du GEST)

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - La diplomatie française s'engage, au Conseil européen mais aussi à travers le récent déplacement du ministre Barrot au Liban et dans la région, et l'engagement personnel du Président de la République.

Notre position est ferme et équilibrée : condamnation sans faille du terrorisme et de l'attaque barbare du 7 octobre ; aide humanitaire - 12 000 tonnes livrées à la population civile libanaise la semaine dernière ; engagement en faveur du dialogue politique et de la relance d'un processus de paix régional pour aboutir à deux États.

Je rappelle le rôle du Hamas dans le déclenchement de cette guerre, et celui de l'Iran via son soutien à des proxys terroristes dans la région.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - On est d'accord !

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - Cela sera rappelé dans les conclusions du Conseil européen.

Merci d'avoir cité la situation au Soudan, qui a fait plus de 11 millions de réfugiés et provoqué une grave crise humanitaire. Près de 90 % des engagements pris lors de la conférence de Paris ont été décaissés. Nous nous mobilisons pour aider la population et trouver une solution politique.

Mme Silvana Silvani.  - À aucun moment, je n'ai contesté le caractère terroriste du Hamas. J'ai souhaité souligner le rôle de l'armée israélienne dans les dégâts causés à la population civile. Or certaines de nos positions diplomatiques nous empêchent d'intervenir...

Mme Mathilde Ollivier .  - Alors que l'ONU réclame un cessez-le-feu, que Gaza vit un cauchemar, le gouvernement israélien attaque le Liban. L'argument sécuritaire ne tient pas face à tant de victimes civiles : 41 000 morts et 100 000 blessés à Gaza, un million de déplacés et 2 000 morts au Liban. Cela fait un an, depuis les attaques terroristes du 7 octobre, que nous demandons la libération des otages - nous ne les oublions pas - et la fin de cette escalade de violences.

Le droit international doit être respecté, le massacre de civils doit cesser. Nous saluons la récente décision d'Emmanuel Macron de mettre fin aux livraisons d'armes à Israël. Mais il faut aussi agir à l'échelle européenne. La France, lors du prochain Conseil, plaidera-t-elle pour la suspension de l'accord entre l'Union européenne et Israël ?

Plusieurs États membres ont saisi la Commission européenne pour accélérer les négociations en vue de la signature de l'accord de libre-échange avec le Mercosur. La France, elle, bloque tout accord qui ne comporterait pas de clauses miroirs sur les normes environnementales et sociales. Michel Barnier s'est d'ailleurs déclaré opposé à un tel accord. Comptez-vous retarder la signature, voire abandonner l'accord ?

En 2020, Josep Borrell affirmait que le Sahara occidental était un territoire non autonome, dont le statut relevait du processus en cours à l'ONU. En 2022, l'ONU appelait le Maroc et le Front Polisario à trouver un compromis qui permette l'autodétermination du peuple sahraoui. Pourtant, le 30 janvier 2024, Emmanuel Macron a estimé que le plan du Maroc était la seule base de règlement du conflit, en contradiction avec les résolutions de l'ONU ! La France ne semble pas prendre en considération le droit international et le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination. Comment sa position évoluera-t-elle ?

Greta Thunberg et des dizaines d'activistes ont été arrêtés samedi à Bruxelles alors qu'ils manifestaient pour la fin des subventions accordées par l'Union aux énergies fossiles - qui, selon le FMI, représentent 50 milliards d'euros par an. Une résolution votée lors de la COP28 et soutenue par le Parlement européen appelle à ne plus utiliser les deniers publics au profit d'un secteur climaticide d'ici à 2025. Où en sommes-nous ? Quelle position défendez-vous en la matière ? (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - Sur le Proche-Orient, je vous renvoie à mes réponses précédentes, mais je suis ouvert pour échanger. Je viendrai rendre compte des conclusions du Conseil européen.

Sur le Mercosur, la position de la France est ferme. Nous soutenons les accords de libre-échange lorsqu'ils respectent les clauses miroirs et environnementales, par exemple avec la Nouvelle-Zélande. Mais le Mercosur n'est pas un accord satisfaisant : nous nous y opposons. J'ai évoqué ce sujet à Strasbourg hier, lors de la plénière. Nous réaffirmons cette position avec nos partenaires. Il s'agit de protéger nos intérêts, mais aussi de faire respecter la souveraineté de l'Union européenne.

Sur le Sahara occidental, le Gouvernement réaffirme son attachement indéfectible au partenariat avec le Maroc. La relation entre l'Union européenne et le Maroc revêt un caractère stratégique. Nous appelons donc nos partenaires à renforcer nos échanges, notamment économiques, avec ce pays. Le Président de la République a écrit au roi du Maroc que la France accompagne ses efforts pour développer le Sahara occidental, au bénéfice des populations locales.

En matière de décarbonation, nous soutenons les objectifs ambitieux du Pacte vert pour un continent neutre en carbone d'ici à 2050, ce qui suppose d'investir dans le renouvelable, la décarbonation et le nucléaire.

Mme Mathilde Ollivier.  - Je vous ai interrogé sur le droit à l'autodétermination du Sahara occidental, vous me répondez partenariat stratégique avec le Maroc...

J'ai également posé la question de la suspension de l'accord entre l'Union européenne et Israël. Je ne vous ai pas entendu sur ce point.

M. Didier Marie .  - À mon tour de vous présenter mes voeux de réussite dans vos nouvelles fonctions, dans l'intérêt de la France et de la construction européenne.

Ce débat est bienvenu, car nous sommes inquiets. Nous découvrons un exécutif européen qui ne respecte pas les équilibres politiques ayant permis de bâtir des compromis par le passé. Nous constatons que la France perd sa capacité à peser dans le jeu européen.

Alors que l'Europe est face à une question existentielle, une chappe conservatrice s'abat sur elle et menace ses valeurs et objectifs. Nous défendons le modèle de la démocratie européenne fondé sur l'État de droit, le respect des droits humains et la solidarité. Pourtant, deux commissaires issus de partis antieuropéens d'extrême droite ont été nommés, l'un au rang de vice-président exécutif ! Nous assistons à l'alliance de l'aile droite du PPE et des groupes d'extrême droite patriotes et souverainistes, illustrée par la résolution commune sur le Venezuela. Le Gouvernement n'a pas réagi à ces ronds de jambe faits à l'extrême droite.

Nous avons également assisté avec stupeur au changement express du commissaire européen français...

M. André Reichardt.  - Tout à fait !

M. Didier Marie.  - ... signe de notre soumission à un diktat de la présidente de la Commission, qui ne tolérait plus le poids politique et la liberté de parole de Thierry Breton. Cela devait garantir à la France une vice-présidence exécutive et un périmètre élargi, mais le portefeuille de M. Séjourné est finalement plus restreint que celui de M. Breton, et il sera encadré par trois commissaires issus du PPE. Mme von der Leyen a bien compris l'adage « diviser pour mieux régner » !

Cette mise au pas de la Commission inquiète, d'autant que l'Allemagne place de nombreux chefs de cabinet dans les instances européennes, d'où les Français ont disparu. L'absence de commissaire à l'emploi et aux droits sociaux est un mauvais signal. Faute d'avoir su ou pu peser sur la constitution de la Commission von der Leyen 2, nous risquons d'être relégués au second plan.

Nous ne transigerons pas sur nos priorités. Nous serons vigilants à l'évolution du Pacte vert - la nomination de Teresa Riviera est une bonne nouvelle, mais son portefeuille est saucissonné. Les reculs se multiplient. « Si l'on ouvre la boîte de Pandore, ce sera demain l'abandon de la taxe carbone aux frontières ; toutes les pièces du Green Deal tomberont l'une après l'autre », redoute Pascal Canfin.

Confier l'agriculture à un commissaire luxembourgeois n'est guère rassurant, alors que la prochaine PAC sera déterminante.

Nous attendons que vous clarifiiez votre position sur l'accord avec le Mercosur. Certains voudraient qu'il soit scindé en deux pour faciliter son adoption. La France aurait donné des gages à ses partenaires européens, le report du règlement sur la déforestation serait un signal envoyé au Brésil. Alors que la crise agricole couve toujours, la signature de cet accord en catimini serait un déni de démocratie.

Autre sujet : la gestion des migrations. Les propos du ministre de l'intérieur sur Schengen et sur la politique européenne d'asile nous ont choqués.

À peine adoptée, la récente réforme du pacte Schengen est déjà victime de la surenchère politique, au mépris des droits humains. Nous constatons une fuite en avant dans l'externalisation du traitement des demandes d'asile. Pour notre part, nous plaidons pour une profonde révision de la politique migratoire européenne : création de voies légales et sécurisées de migration, organisation de réadmissions via des accords bilatéraux, développement de l'Agence européenne pour l'asile, entre autres. Sur ce sujet, la France doit défendre une politique humaniste et solidaire, conforme à son histoire.

Nous ne doutons pas de vos compétences ni de celles du Premier ministre, mais nous n'oublions pas les propos de Michel Barnier remettant en cause la primauté du droit européen sur le droit national en matière migratoire : nous n'y souscrivons pas.

Quel soutien à l'Ukraine pour non seulement résister mais gagner ?

Quel cadre financier pluriannuel pour répondre au défi de la compétition mondiale et au changement de paradigme climatique ? Avec quelles ressources, quelle capacité d'emprunt mutualisé ?

Comment répondre aux attentes légitimes de la Moldavie, de l'Ukraine, de la Géorgie, des Balkans occidentaux de rejoindre l'Union ?

Comment défendre l'État de droit, aujourd'hui remis en cause par des gouvernements illibéraux ?

Nous vous demandons de défendre et poursuivre le projet européen. Nous sommes inquiets, mais restons combatifs et vigilants. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; M. Henri Cabanel applaudit également.)

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - Je vous remercie de ce discours exigeant et proeuropéen.

Au-delà du seul portefeuille de notre commissaire, les priorités de la France se reflètent dans celles de cette Commission : défense, nucléaire, souveraineté industrielle et technologique, droits sociaux. L'influence se construit, patiemment, avec humilité, notamment au travers du dialogue permanent avec les parlementaires, avec le Conseil et la Commission. J'y veillerai dans mon action, avec tous les ministres. Nous sommes là pour défendre une Europe forte, qui assume de défendre sa sécurité, ses intérêts et sa place sur la scène internationale.

Nous sommes très attachés à l'État de droit. L'Union européenne est une union de valeurs. L'extension du domaine de la conditionnalité des fonds de cohésion à l'État de droit a connu des succès, on l'a vu avec la clôture des procédures concernant la Pologne.

La France soutient la perspective d'élargissement à l'Ukraine, à la Géorgie, à la Moldavie et aux pays des Balkans occidentaux, et s'engage à accompagner les pays candidats, sur la base du mérite. Ce sera un processus exigeant, garant de notre sécurité et de la stabilité géopolitique de notre continent.

M. Didier Marie.  - Je salue votre optimisme. Les résultats des élections au Parlement européen - et encore récemment en Autriche - attestent d'une forte poussée de l'extrême droite, ce qui modifiera les rapports de force. Il faudra constituer des majorités d'intérêt ; à cet égard, je suis inquiet des relations entre la France et l'Allemagne. La priorité doit être de restaurer la confiance.

M. Louis Vogel .  - Au nom du groupe INDEP, toutes nos félicitations, monsieur le ministre. J'espère que cet hémicycle saura toucher votre coeur. (Sourires)

Le prochain Conseil européen devra affronter deux défis : diplomatique, avec l'Ukraine et le Proche-Orient, et structurel, car il faut investir massivement pour préparer l'avenir.

Le contexte est lourd, entre l'élection d'un nouveau président américain et les auditions à venir des commissaires européens.

L'Union européenne doit se donner les moyens pour éviter que la situation au Proche-Orient ne dégénère en conflit généralisé. Les États-Unis ont dépêché un premier porte-avions, puis un second, sur les onze que compte leur flotte. Les 27, eux, ne peuvent compter que sur le Charles-de-Gaulle. En d'autres temps, Staline demandait à Churchill et à Roosevelt : « Le pape, combien de divisions ? » Si l'on veut peser, il faut avoir les moyens de faire entendre sa voix, fortement. Il faut un acte II de la politique européenne de sécurité et de défense. Le rôle du futur commissaire lituanien à la défense et à l'espace sera déterminant.

Nous nous trouvons à la croisée des chemins. Pour protéger nos frontières à l'est, l'Union doit devenir une vraie puissance militaire. « Si tu veux la paix, prépare la guerre. » Pouvez-vous préciser les objectifs capitaux de la boussole stratégique ? Quel chemin reste-t-il à parcourir ?

L'extension de la procédure de la majorité qualifiée est un moyen pour accélérer les réformes.

Il est fondamental de renforcer notre productivité, pour échapper au déclin annoncé par Mario Draghi dans son rapport. L'écart de PIB entre l'Union européenne et les États-Unis a doublé en notre défaveur au cours des vingt dernières années. L'effort d'investissement de 800 milliards d'euros préconisé par le rapport Draghi est-il réaliste ?

Il est nécessaire de refonder certaines règles du traité. Nous nous félicitons de la nomination de Stéphane Séjourné, qui est doté de l'un des portefeuilles les plus stratégiques, dont il faudra tout de même préciser la portée. Il est grand temps de réformer le droit européen de la concurrence. Sera-ce de son ressort ?

Pour être réellement au service de nos concitoyens, l'Europe doit se doter de ressources propres. Sans argent, on ne fera rien ! Peut-on espérer des ressources propres ? Ou au moins supprimer les rabais accordés à certains États membres ?

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - Les Soviétiques ont peut-être eu tort de sous-estimer les divisions spirituelles du pape, qui ont aussi contribué à la chute de l'URSS. (Sourires)

En matière de politique étrangère et de sécurité, l'Union européenne ne peut se contenter de déclarations. Quel que soit le résultat de l'élection américaine, celle-ci marquera un éloignement vis-à-vis des priorités de l'Union européenne, qui doit résolument investir dans son autonomie stratégique. Nous plaidons pour le soutien à notre base industrielle de défense européenne, avec la préférence européenne, mais devons être plus ambitieux, plus créatifs pour trouver des ressources. Kaja Kallas propose ainsi un grand emprunt européen pour soutenir nos capacités de défense mais aussi nos amis ukrainiens.

Les 800 milliards d'euros proposés par Mario Draghi correspondent au grand emprunt du covid, qui était une crise existentielle. Si nous ne voulons pas être tenus à l'écart des grands enjeux de demain, nous devons libérer l'épargne publique et privée et investir dans les industries d'avenir. C'est le message que nous porterons au Conseil.

M. Louis Vogel.  - Le ministre n'a pas parlé de la réforme du droit de la concurrence.

M. Cyril Pellevat .  - Nous commémorions avant-hier la tragique attaque terroriste du 7 octobre, qui a coûté la vie à 1 200 Israéliens et fait 250 otages - dont une centaine serait encore détenus.

J'adresse tout mon soutien aux victimes, ainsi qu'au peuple israélien et aux Français de confession juive, blessés dans leur chair. Israël était fondé à faire usage de la légitime défense, en limitant autant que possible les répercussions sur les civils. Or un an plus tard, force est de constater que la proportionnalité n'est pas de mise. Deux millions de Gazaouis ont été déplacés, 42 000 sont morts, les bombardements ont dévasté les infrastructures de santé. J'adresse mes pensées aux victimes civiles palestiniennes ainsi qu'à ceux qui les aident.

Les bombardements israéliens au Liban, en réaction aux attaques de l'Iran et du Hezbollah libanais, ont fait 2 000 morts et un million de déplacés. La situation humanitaire est extrêmement dégradée et la région fait face à un risque d'embrasement qui menace les États voisins - le tourisme est à l'arrêt en Jordanie, alors que ce secteur représente 60 % de son PIB. L'urgence est de stopper l'escalade avant qu'une guerre totale, impliquant l'Iran, ne devienne inexorable.

L'Union européenne doit fournir une aide humanitaire et être un moteur dans les négociations pour obtenir la paix.

La France versera une aide de 10 millions d'euros au Liban, celle de l'Union européenne s'élèvera à 30 millions d'euros. Mme von der Leyen a indiqué être prête à mobiliser tous les outils disponibles, y compris le mécanisme de protection civile RescUE. La France soutiendra-t-elle l'activation de ce mécanisme ? Le Liban en a désespérément besoin.

Les États-Unis auraient suggéré à Bruxelles de réactiver sa mission d'assistance au poste-frontière de Rafah, afin de surveiller le passage de l'aide humanitaire en provenance d'Égypte. Cette éventualité sera-t-elle abordée par le Conseil européen ?

Il va sans dire que la situation humanitaire à Gaza et au Liban n'est pas soutenable. Il faut un cessez-le-feu immédiat et la reprise du processus de paix. Une pression diplomatique accrue et coordonnée de l'Union européenne est cruciale dans cette perspective. La situation peut-elle se débloquer à l'occasion du prochain Conseil ?

La suspension de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël est-elle envisageable ?

L'Union européenne a initié une nouvelle coalition avec les pays du Golfe pour relancer le processus de paix sur la base d'une solution à deux États. Mais Israël n'a pas répondu favorablement à l'invitation qui lui a été lancée pour le 26 septembre. Je suis circonspect sur les capacités de l'Union européenne à peser, alors même qu'elle n'arrive pas à se mettre d'accord sur une déclaration commune pour un cessez-le-feu au Liban... Quelles ont été les conclusions de la réunion d'il y a quelques jours et quelles suites le Conseil compte-t-il y donner ? Des négociations sont-elles en cours avec les États-Unis ?

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - Je n'ai pas d'éléments précis à vous apporter sur la réunion dont vous parlez, mais je m'engage à vous répondre ultérieurement.

Nous nous engageons à mobiliser nos partenaires pour le soutien aux populations civiles et la reprise du dialogue politique. La coordination et l'unité des Européens sont essentielles. C'est le cas aussi pour aider les ressortissants européens qui le souhaitent à quitter la région. Jean-Noël Barrot a livré douze tonnes d'aide humanitaire lors de son récent déplacement au Proche-Orient et la France poursuivra son effort particulier dans ce domaine. Par ailleurs, elle accueillera le 24 octobre une conférence des donateurs pour le Liban.

Mme Nadège Havet .  - Le Parlement européen vient de publier une vaste enquête d'opinion dont il ressort que les Français sont plus pessimistes que leurs voisins et que la perception négative du Parlement européen l'emporte chez eux. Voilà qui interroge.

Depuis quatre mois, les équilibres ont évolué au sein de la délégation française, avec une poussée de l'extrême droite. Cette tendance s'observe ailleurs en Europe : dernièrement, le FPÖ s'est assuré la première place en Autriche et l'AfD a beaucoup progressé en Thuringe. Le phénomène nous inquiète, car nous sommes opposés à leurs idées sur la construction européenne, les valeurs, l'économie, la géopolitique ou l'environnement. Songez que l'AfD rejette toute responsabilité climatique de l'Allemagne...

La dynamique européenne ne doit pas être entravée. Il faut au contraire consolider et amplifier les nombreuses avancées de ces dernières années : taxe carbone aux frontières, taxonomie réformée, pacte vert, plan de relance.

Le prochain Conseil se penchera sur le renforcement de la compétitivité européenne, à la suite des rapports Letta et Draghi. Le second prône des réformes sans précédent et un investissement massif afin d'enrayer le déclin de l'Europe face à la concurrence de la Chine et des États-Unis. Il faudrait, selon lui, investir 800 milliards d'euros par an. Il recommande de recourir à l'emprunt, mais aussi de passer des commandes communes dans le domaine de la défense, avec une règle de préférence européenne. Enrico Letta, quant à lui, appelle à accélérer l'intégration européenne dans les télécoms, l'énergie ou la défense. Il prône notamment la création d'un produit d'épargne de long terme.

Le Conseil européen tiendra également un débat approfondi sur les migrations, en particulier le renforcement du contrôle des frontières extérieures et l'accélération des retours. Monsieur le ministre, vous avez dit qu'il n'y a pas de réponse au défi migratoire dans le repli national. C'est ce dont témoigne la désillusion britannique : trois ans après le Brexit, 53 % des Britanniques pensent que la situation s'est détériorée. Face aux initiatives individuelles de certains membres, quel calendrier de mise en oeuvre pour le Pacte sur la migration et l'asile ?

Nous avions évoqué avant l'été les nouvelles sanctions envers la Russie. Des mesures urgentes sont nécessaires pour accroître la sécurité énergétique de l'Ukraine.

Alors que la situation au Proche-Orient est dramatique, le Conseil doit réaffirmer son soutien à une formule de paix fondée sur la Charte des Nations unies. L'Union européenne a toujours condamné les attentats terroristes du Hamas. Un an après le 7 octobre, qui a fait plus de 1 200 morts, mon groupe s'associe à la douleur des familles et aux appels à la libération de nos deux otages. Ce pogrom a été suivi d'une vaste campagne de bombardements de la bande de Gaza, faisant plus de 40 000 morts. Le conflit s'étend en Cisjordanie et au Liban. Quels moyens déployer face à une situation catastrophique ?

Nous avons éminemment besoin de l'Europe et éminemment besoin de l'expliquer pour qu'elle soit mieux comprise.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - Sur nombre des sujets que vous avez évoqués, la solution réside dans la coopération et la solidarité européennes.

La France soutiendra la mise en oeuvre accélérée du Pacte sur la migration et l'asile dans sa globalité et son équilibre.

L'Union européenne a pris des engagements forts en matière de décarbonation. La taxe carbone aux frontières évite que nous nous fassions imposer un moins-disant environnemental.

Je partage vos recommandations sur la mise en oeuvre du rapport Draghi. Nous devons investir massivement et lever les barrières réglementaires à l'innovation. Il faut aussi réfléchir aux règles concurrentielles, pour que nous puissions faire émerger des champions européens.

M. Ahmed Laouedj .  - (M. Henri Cabanel applaudit.) Nous sommes à l'aube d'un nouveau chapitre, décisif pour l'avenir de l'Union européenne. Notre avenir sera-t-il prospère ou nous laisserons-nous entraîner par les courants populistes ? Les dernières élections ont montré que le projet européen est fragile.

Rappelons-nous que c'est un idéal de paix et de prospérité qui nous guide. Malgré les obstacles, nous avons accompli de grandes choses : nous avons créé un espace de liberté, de sécurité et de justice et un marché unique source de richesses pour nos concitoyens. Nos concitoyens ont exprimé des inquiétudes et des attentes fortes. L'Europe est un levier d'action essentiel. Nous devons être à la hauteur des enjeux actuels.

Au Conseil, les États membres présenteront leur plan pour la mise en oeuvre du Pacte sur la migration et l'asile. La crise migratoire ne cesse de s'amplifier, suscitant des crises. Certains pays, dont l'Allemagne, ferment leurs frontières. Le principe de libre circulation des personnes est pourtant un élément fondateur de la construction européenne. La décision allemande risque d'ouvrir une dangereuse boîte de Pandore.

La situation humanitaire à Gaza et au Liban est très grave. Au Liban, le bilan humain de la guerre de 2006 a été dépassé en moins d'une semaine ! Les frappes se sont intensifiées ces dernières heures, semant la peur et la désolation. Sans but de guerre explicite, l'incursion dans le sud du pays pourrait se transformer en colonisation. Cette intervention ne sert que les intérêts du Premier ministre israélien. Pour Emmanuel Macron, la priorité est le retour à une solution politique, ce qui pourrait inclure un embargo sur les livraisons d'armes à Israël. L'Union européenne doit s'aligner sur cette position.

Rappelons notre attachement à l'intégrité du territoire ukrainien. Notre soutien est crucial pour les Ukrainiens. Nous devons notamment les aider à renforcer leurs infrastructures énergétiques.

Enfin, le RDSE propose d'améliorer la taxe carbone aux frontières, d'actionner le levier sur le surplus des résultats d'exploitation et de mettre en oeuvre un impôt commun sur les entreprises transnationales pour financer les investissements massifs dont notre continent a besoin.

Monsieur le ministre, bon vent dans vos nouvelles missions ! (MM. Henri Cabanel et Marc Laménie applaudissent.)

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - Nous partageons votre constat sur la fragilité économique et géopolitique de l'Union européenne.

Un rétablissement temporaire et proportionné du contrôle aux frontières est prévu par Schengen - nous y avons eu recours en 2015. Mais une telle situation ne peut durablement nous satisfaire. Elle doit nous pousser à prendre des mesures collectives : renforcement de Frontex, mécanisme de solidarité entre pays européens. Il faut une réponse européenne à ce défi qui touche l'ensemble des États.

Oui, il faut soutenir les infrastructures énergétiques de l'Ukraine à l'approche d'un hiver difficile et alors que la Russie multiplie les frappes cyniques contre les équipements civils. La France continuera de soutenir aussi la défense antimissile des Ukrainiens.

M. François Bonneau .  - Le mois dernier, Mario Draghi a dévoilé son rapport tant attendu sur l'avenir de la compétitivité européenne. Il identifie trois grands chantiers pour relancer la croissance : innover, décarboner et réduire les dépendances.

On apprend notamment dans ce rapport que, entre juin 2022 et juin 2023, 78 % des dépenses d'approvisionnement en matériels de défense ont bénéficié à des pays étrangers, et d'abord aux États-Unis. Le rapport formule 170 propositions pour une nouvelle stratégie industrielle. Il s'agit de libérer le potentiel d'innovation dans l'Union européenne et d'investir davantage en mutualisant les ressources. M. Draghi estime que la mise en oeuvre de ses propositions nécessiterait entre 750 et 800 milliards d'euros d'investissements par an d'ici à 2030, soit 4,5 % du PIB européen.

L'une de ses propositions dans le domaine de la souveraineté stratégique est la mise en place d'une véritable politique économique étrangère, afin de réduire nos dépendances. Il recommande en particulier de créer une plateforme d'agrégation des demandes en matières premières critiques.

Selon Ursula von der Leyen, beaucoup d'éléments de son rapport seront intégrés aux lettres de mission des nouveaux commissaires européens. J'en profite pour revenir sur l'affaire Breton. La présidente de la Commission européenne a posé un ultimatum à la France, ce qui a conduit à la nomination d'un commissaire aux compétences plus larges mais plus docile. Après un tel désaveu, quel peut être le poids de la France dans l'Union européenne ?

Enfin, quel sera le sort du projet de loi de transposition relatif aux activités d'importance vitale et à la protection des infrastructures critiques, notamment dans le domaine de la cybersécurité ? Sera-t-il réinscrit à l'ordre du jour de nos travaux ?

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - Je partage nombre de vos constats. Le taux d'acquisition de matériels militaires non européens soulève la question de notre dépendance. D'où l'importance d'instituer une préférence européenne.

S'agissant du projet de loi dont vous avez parlé, notre souhait est de le réinscrire rapidement à votre ordre du jour.

M. André Reichardt .  - Le mois dernier, l'Allemagne a réintroduit les contrôles à ses frontières. L'Alsacien que je suis ne peut que regretter une telle décision prise, une nouvelle fois, sans concertation ni information. Récemment, les Pays-Bas et la Hongrie ont également demandé à bénéficier des clauses dérogatoires en la matière.

Le pacte adopté avant l'été a eu au moins le mérite d'amorcer un changement de paradigme et une approche plus en phase avec les attentes des Européens. Mais les nouvelles règles sont encore loin d'offrir la marge nécessaire à une bonne maîtrise des flux migratoires. Au surplus, elles n'entreront en vigueur qu'en 2026 - une éternité au vu de l'impatience exprimée par nos concitoyens aux dernières élections européennes.

Il semble qu'il faille déjà remettre l'ouvrage sur le métier, mais sur quelles bases ? Ces hésitations sont illustrées par la lettre de mission du nouveau commissaire aux affaires intérieures. Je pense aux évolutions à apporter à la notion de pays tiers, à l'externalisation partielle des demandes d'asile ou à l'indispensable révision de la directive retour. Quelles seront les positions de la France sur ces sujets ?

Enfin, j'attire votre attention sur le rappel au règlement d'hier relatif à la décision de la Commission européenne d'intégrer au programme Erasmus plusieurs établissements étonnants, comme la faculté des sciences islamiques de Skopje et l'université de Gaziantep, qui a rendu un vibrant hommage à Ismaël Haniyeh... Il me semble qu'Erasmus a vocation à former la jeunesse aux valeurs européennes et que l'islamisme radical n'en fait pas partie. Pourriez-vous regarder cette affaire de près ?

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - Nous ne laisserons rien passer en la matière : aucune forme d'incitation à la haine ou à la radicalisation ne sera soutenue par des financements européens.

J'ai proposé plusieurs pistes, telles que la mise en oeuvre accélérée du Pacte sur la migration et l'asile et des partenariats plus robustes avec les pays de transit et de départ.

Mme Marta de Cidrac .  - Nous sortons d'une séquence politique inédite : les élections européennes ont provoqué de profonds bouleversements en France ; mais les institutions européennes ne nous ont pas attendus pour fonctionner.

De 2010 à 2023, le taux de croissance cumulé du PIB atteint 34 % aux Etats-Unis, mais seulement 21 % dans l'Union européenne. Sur cette même période, la productivité du travail a progressé de 22 % aux États-Unis, contre 5 % dans la zone euro.

La mère de toutes les batailles est le financement de la recherche. Le rapport Draghi montre que les entreprises européennes investissent moins que les entreprises américaines - 270 milliards d'euros de moins l'année dernière. Ainsi, nos industries automobiles sont en retard par rapport aux chinoises, qui avancent sur les technologies électriques. En Chine, l'automobile demeure le fer de lance de la recherche et de l'innovation, pour répondre aux impératifs environnementaux.

Les entreprises européennes dépendent de l'emprunt bancaire pour se financer. L'augmentation des taux d'intérêt affecte leurs capacités d'emprunt. L'économie américaine est massivement financée par l'État fédéral. Le vieillissement de la population européenne et l'abaissement du niveau d'éducation, facteurs structurels, jouent également, notamment face aux Brics qui montent en puissance.

Nous devons améliorer le financement de l'économie et relancer la recherche, la démographie et l'éducation. Je compte sur la diplomatie française pour défendre ces priorités.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - Vous pouvez compter sur la diplomatie française pour les promouvoir.

La France soutient les conclusions de l'enquête de la Commission européenne sur les subventions chinoises à l'industrie électrique. Nous ne pouvons pas le dernier continent au monde à être naïf. Les États-Unis investissent dans l'innovation et imposent des taxes douanières de 100 % sur les véhicules électriques chinois, qui bénéficient de subventions. Nous demanderons à la Commission européenne de mettre en place des mesures de compensation. Nous devons soutenir notre recherche et nous protéger contre les pratiques abusives.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes .  - Merci de vous être prêté à cet exercice que je sais physique, monsieur le ministre, dans un format encore un peu nouveau pour nous.

Ma conclusion sera une forme d'introduction aux réflexions que nous aurons à mener à moyen terme.

Draghi or not Draghi ? Kallas or not Kallas ? Les débats auront lieu lors de la préparation du cadre de financement pluriannuel. Des dérapages budgétaires européens ne seraient pas acceptables. Les ambitions de Mario Draghi sont fortes, mais à hauteur de 850 milliards d'euros par an, c'est insoutenable. Il faudra mobiliser l'épargne européenne - 30 000 milliards d'euros.

Une proposition m'inquiète dans le rapport Draghi : le report du début du remboursement de l'emprunt européen. Puissions-nous ne pas être contraints d'expliquer à nos concitoyens l'état des finances de l'Union européenne comme nous devons le faire aujourd'hui pour celles de la France.

Prochaine séance aujourd'hui, jeudi 10 octobre 2024, à 10 h 30.

La séance est levée à minuit vingt-cinq.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 10 octobre 2024

Séance publique

À 10 h 30 et 14 h 30

Présidence : M. Loïc Hervé, vice-président du Sénat, Mme Sylvie Robert, vice-présidente du Sénat

Secrétaires : Mme Catherine Di Folco, Mme Véronique Guillotin

1. Proposition de loi visant à mettre en place une imposition des sociétés plus juste et plus écologique, présentée par M. Rémi Féraud et plusieurs de ses collègues (n°862, 2022-2023)

2. Proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d'enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degrés et à garantir davantage de transparence dans les procédures d'affectation et de financement des établissements privés sous contrat, présentée par Mme Colombe Brossel et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°678, 2023-2024)