Fermetures abusives de comptes bancaires

M. le président.  - Mes chers collègues, je vous rappelle que le présent texte a été inscrit à l'ordre du jour dans le cadre d'un espace réservé au groupe UC, je me verrai donc dans l'obligation d'interrompre les débats au plus tard à 20 h 45.

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires, présentée par M. Philippe Folliot et plusieurs de ses collègues à la demande du groupe UC.

Discussion générale

M. Philippe Folliot, auteur de la proposition de loi .  - Je diminuerai par deux le temps qui m'est imparti pour que cette proposition de loi, attendue par nombre de nos concitoyens, puisse prospérer et être votée.

Le secteur bancaire est essentiel. Avoir les plus grandes banques du monde fait honneur à notre pays.

Ce secteur, qui emploie 350 000 salariés, se porte bien, avec 29 milliards d'euros de résultats cumulés en 2023. Cette proposition de loi n'a pas pour objectif de remettre en cause cette situation.

Le droit à fermeture d'un compte bancaire est maintenu pour trois raisons : non-respect des conditions générales de la banque, indélicatesse des clients ou mouvements de comptes considérés comme suspects.

Mais la fermeture abusive de comptes bancaires est un problème social à bas bruit. Personne ne dira en ville, dans un dîner entre copains, que son compte bancaire a été fermé ! Il règne ici une forme d'omerta.

C'est toute la stratégie de déshumanisation des agences bancaires qui est aussi ici pointée du doigt. On ferme les agences, on numérise tout... Chacun n'a plus son conseiller dédié, désormais.

Combien de personnes sont-elles concernées par la fermeture abusive de son compte ? Impossible de le savoir, faute de statistiques.

Mais j'ai reçu de nombreux témoignages. Quel est le profil des clients concernés ? Il s'agit souvent d'artisans commerçants, de professions libérales ou d'agriculteurs. La stratégie consiste à se défaire de clients dont la sinistralité est jugée trop importante.

Des associations peuvent aussi être victimes de ce phénomène. Une association que je préside, qui gère un tiers lieu culturel, a ainsi été victime d'une fermeture brutale, du jour au lendemain, de son compte bancaire qui fonctionnait pourtant très bien.

Plusieurs personnes d'origine étrangère, régulièrement installées en France, sont aussi victimes ; Albanais, Chinois ou Russes peuvent ainsi connaître des difficultés. Il en va de même pour des Français domiciliés à l'étranger.

Des personnalités politiques sont aussi exposées : membres du Gouvernement, parlementaires, certains fonctionnaires, notamment, soit des milliers de personnes.

Quelles sont les conséquences ? La personne concernée a deux mois de préavis pour trouver une autre banque. Elle peut accéder à un compte à la Banque de France, mais en mode dégradé. Et pour peu qu'elle vive dans un endroit isolé, comme dans la commune de Saint-Pierre-de-Trivisy dans le Tarn, où il n'y a qu'une seule agence bancaire, trouver une nouvelle banque est une affaire complexe.

Et on ne vous dit pas pourquoi votre compte est fermé ! Il faut que l'on puisse comprendre les raisons de cette décision. Si le présent texte est adopté, les banques y réfléchiront à deux fois.

Je remercie le président de la commission, le rapporteur et les collègues de la commission des finances. L'honneur du Parlement est de faire progresser le droit, et les droits. C'est l'objet de ce texte. (M. Marc Laménie applaudit.)

M. Marc Laménie, rapporteur de la commission des finances .  - Je remercie l'auteur de la proposition de loi, qui en a bien présenté les enjeux.

Le texte a été examiné en juin par la commission des finances. Il relaie une demande légitime.

La fermeture d'un compte se fait à la discrétion de la banque. Avec ce texte, les fermetures ne seraient motivées que si le client en fait la demande. Le dispositif qui vous est proposé ce soir est équilibré.

La seule difficulté que posait la version initiale du texte avait trait à la possibilité de rompre la relation contractuelle pour des raisons liées à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent. Ces sujets sont sensibles.

Les amendements déposés sur le texte ont reçu un avis défavorable de la commission des finances.

Je vous invite à adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et UC ; M. Claude Raynal applaudit également.)

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État chargée de la consommation .  - Permettez-moi de vous dire le plaisir que j'ai à me trouver dans cette maison, que je connais un peu... Je souhaite que nous travaillions en étroite collaboration.

La proposition de loi que nous examinons entend garantir la transparence quant aux motifs de fermeture abusive des comptes bancaires ; les banques devraient motiver leur décision.

Les travaux du rapporteur et de la commission des finances ont fait évoluer le texte afin d'exonérer les établissements bancaires de cette obligation lorsque la divulgation du motif contreviendrait aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l'ordre public.

Je salue l'initiative prise pour renforcer les droits du consommateur dans la relation qui le lie aux banques. Il faut davantage de transparence, élément clé de l'économie.

Les banques seraient obligées de motiver la fermeture du compte sur demande expresse du client.

Cette proposition de loi a bien un objectif de protection des consommateurs, non d'accès aux services bancaires. Elle répond aussi à des difficultés rencontrées par nos compatriotes résidant hors de France. Je l'ai donc étudiée avec intérêt. Le Gouvernement en partage le principe, mais a des divergences d'analyse, non sur l'objectif en lui-même, mais sur certains éléments qui se heurtent à des obstacles importants.

Le premier est la liberté fondamentale du choix du cocontractant entériné dans notre code civil. De même que le client peut choisir de changer de banque librement, la banque doit, elle aussi, pouvoir choisir de sortir de la relation contractuelle. Mais il faut un dispositif dérogatoire, assuré aujourd'hui par la Banque de France.

Le deuxième obstacle, plus significatif, a trait à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Nous sommes tous attachés à ces enjeux. Le blanchiment d'argent est un coup porté à notre contrat social.

Les banques peuvent clôturer un compte après une déclaration de soupçon au renseignement financier national. Mais la loi leur interdit de porter cette déclaration à la connaissance de l'auteur des opérations suspectes. C'est indispensable pour garantir l'efficacité des services de renseignement financier.

Si le texte était voté, un client pourrait demander la raison de la clôture de son compte à la banque et, en l'absence de réponse, en déduire que la fermeture a été effectuée en raison du soupçon d'opérations frauduleuses. S'il s'agit bien d'un fraudeur, il pourra déplacer ses fonds ailleurs.

En outre, seuls 30 000 comptes relèvent du droit au compte tandis que le dispositif que vous examinez concerne 80 millions de comptes bancaires classiques.

Ces réserves étant faites, nous partageons l'objectif de meilleure information des consommateurs.

Il faudrait pouvoir quantifier finement l'ampleur du phénomène. Une analyse plus approfondie est nécessaire.

Le Gouvernement s'engage donc à saisir rapidement le Comité consultatif du secteur financier (CCSF), que vous connaissez bien, car il a souvent contribué à éclairer les débats du Sénat. Ainsi, nous pourrons mieux cerner le phénomène ; cela facilitera le dialogue entre les deux chambres au cours de la navette.

Compte tenu des questions importantes que ce texte soulève et des réponses fragiles qui y sont apportées, et en attendant l'avis du CCSF, le Gouvernement émet un avis de sagesse. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

M. Christian Bilhac .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) L'accès à un compte bancaire est un service de première nécessité. Depuis 1984, le législateur a garanti l'accès à un moyen de paiement pour tous en garantissant l'accès à un service bancaire de base universel.

L'ouverture d'un compte bancaire repose sur la signature d'une convention de compte, qui peut être rompue à l'initiative du client ou de la banque.

Un client peut fermer un compte bancaire à tout moment sans préavis ni justificatif.

La banque doit pour sa part respecter un préavis de deux mois.

Certaines fermetures de compte sont décidées par les banques pour des comptes inactifs ou peu rentables ; c'est problématique. La lutte contre le terrorisme et le blanchiment peut être invoquée pour justifier ces fermetures. Le texte ne modifie pas ces dispositions. Toutefois, si à l'avenir l'absence de motivation des décisions des banques était cantonnée à ces seules situations, cela pourrait éveiller les soupçons d'un client malhonnête, qui pourrait faire disparaître d'éventuelles preuves, contrariant ainsi le travail des enquêteurs.

Ne minimisons pas les conséquences pour les titulaires d'une fermeture brutale de compte. Toutefois, cette proposition de loi mettra-t-elle fin à la fermeture abusive de compte ? Je ne le crois pas ! Au mieux, elle aboutirait à la rédaction d'un courrier semblable aux conditions générales que l'on doit souvent signer et auxquelles personne ne comprend rien...

On y verrait écrit qu'au vu de tel rapport de l'OCDE, de telle décision de la Commission européenne, la banque est dans l'obligation de fermer le compte. Merci, circulez, il n'y a rien à voir ! (Sourires)

Je suis partagé. Au sein du groupe RDSE, les votes seront divers.

On nous reproche parfois de légiférer pour légiférer. Je me demande si ce n'est pas le cas avec cette proposition de loi...

Je ne vois pas comment cette proposition de loi pourrait vraiment réduire le nombre de fermetures abusives de comptes bancaires. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Bernard Delcros .  - (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC) Merci à Philippe Folliot d'aborder ce sujet et d'avoir rédigé ce texte pour lutter contre la fermeture abrupte de comptes bancaires subie, sans justification, par nombre de nos concitoyens.

Cette fermeture est souvent vécue comme arbitraire et injuste.

Elle n'est certes pas sans solution. Le client peut demander à la Banque de France de bénéficier d'un droit au compte. Mais encore faut-il qu'il sache quelles démarches entreprendre. Celles-ci sont aisément remplies par une partie de nos concitoyens, mais elles sont insurmontables pour d'autres !

À cela s'ajoute l'accumulation des démarches dématérialisées.

La situation s'aggrave pour les Français éloignés des villes centres. Nos concitoyens sont démunis face à une situation qui peut être vécue comme une humiliation.

Il paraît nécessaire de garantir l'accès à l'information du client, qui doit pouvoir tirer les leçons de la fermeture de son compte.

Cette proposition de loi est juste pour le consommateur et équilibrée pour la banque ; nous ne créons aucune réelle contrainte nouvelle pour les banques.

D'autres éléments fondamentaux ont été insérés dans l'examen du texte en commission, au nom de la sécurité nationale : en cas de soupçon de blanchiment d'argent ou de financement du terrorisme, il n'y aura pas de justification de la fermeture du compte. Je salue le travail de Marc Laménie.

Ce texte fait évoluer le droit dans le bon sens.

Les sénateurs du groupe UC voteront ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Marc Laménie et Daniel Chasseing applaudissent également.)

M. Pascal Savoldelli .  - Sans compte bancaire, aucune activité sociale n'est possible : pas de versement de salaire, de loyer, ou de pension de retraite. Nous voterons cette proposition de loi, même si elle ne s'attaque pas frontalement aux fermetures abusives de compte.

Nous proposons par amendement de rendre la justification de la fermeture systématique, et non sur demande du client.

Nous devons rompre avec le non-droit bancaire qui frappe les particuliers et certaines entreprises.

Nous proposons d'interdire, dans le respect de la liberté contractuelle, les clôtures décidées par les banques ayant pour motif le défaut de rentabilité.

L'obligation sociale de détenir un compte bancaire ne peut s'accompagner d'une obligation de rentabilité, sinon c'est la double peine ! L'obligation sociale passe avant l'obligation de rendement.

Nous devons rompre avec le non-droit bancaire.

Nous avons examiné cinq textes relatifs aux comptes bancaires au cours de la dernière session. Nous sommes face à un problème systémique. Les banques s'adonnent à ce que j'appelle une concurrence non libre et légèrement faussée. La population se trouve dans un rapport de force défavorable.

Ce système organisé a fait émerger des professionnels du litige bancaire, à plus de 200 euros la conciliation. C'est une organisation qui mise, pour prospérer, sur la dissuasion des clients lésés ; bref, c'est faire de l'argent sur le malheur des autres !

Et tout cela dans une situation où le résultat net des six principaux groupes bancaires progresse, en 2023, à 32,3 milliards d'euros, quand même ! Par la gestion des 2 179 milliards d'euros de dépôts des ménages, les banques facturent, selon la Banque de France, des commissions qui s'inscrivent à un niveau stable de 54,7 milliards d'euros.

La motivation prévue par le texte n'alourdira pas à l'excès la charge administrative des banques ; on parle bien d'un simple courriel envoyé à un client dont on ferme unilatéralement le compte, et ce, sur demande du client uniquement. Et ce serait déjà trop...

Nous prônons la création d'un pôle public bancaire chargé d'une mission de service public du crédit et de l'épargne ainsi que la séparation des banques de dépôt des banques d'investissement, afin de protéger les consommateurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe UC ; M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Grégory Blanc .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Cette proposition de loi va dans le bon sens. Nous la voterons.

Tout d'abord, elle renforce la protection du consommateur. Elle participe de la transparence que l'on est en droit d'attendre du système bancaire. Trop souvent les clôtures de compte sont opaques. Il est temps d'assumer, pour éviter toute accusation de discrimination ou d'arbitraire.

Ensuite, cette proposition de loi est simple et non coûteuse.

La ministre a fait part de réserves. Nous voterons toutes les mesures qui les lèveraient.

Enfin, nous avons déposé un amendement concernant la situation spécifique des Français de l'étranger. Pour eux, la fermeture d'un compte bancaire en France peut être terriblement problématique. Résidant à l'étranger, ils ne pourraient plus payer leurs impôts. Les envois postaux sont plus lents, les notifications électroniques ne sont pas garanties. Le préavis de deux mois peut se révéler trop court. Aussi, nous défendrons son allongement à quatre mois.

Nous souhaitons que cette proposition de loi puisse être améliorée. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Marc Laménie et M. Philippe Folliot applaudissent également.)

Mme Isabelle Briquet .  - Avec l'émergence des néobanques et des plateformes bancaires en ligne, le phénomène de fermetures abusives a pris de l'ampleur. Certaines plateformes ont mis en avant la lutte contre le blanchiment. En 2024, 800 000 clients d'Orange Bank ont vu leur compte fermé.

Les délais de remboursement des avoirs peuvent être longs et nombre de clients ont été privés de leurs fonds pendant plusieurs mois.

Les clients se trouvent souvent démunis face à la puissance des banques. Ils peuvent contacter le médiateur bancaire, mais les démarches sont souvent longues et incertaines.

Les banques peuvent être tenues pour responsables, mais il est alors nécessaire de prouver un préjudice réel.

La convention de compte régit les procédures entre la banque et le client. L'obligation de motiver la fermeture de compte est peu opérante en l'absence de sanction.

Le texte ne prend pas en compte les différences de législation entre les pays, ce qui pose problème pour les clients des néobanques, dont les comptes sont domiciliés à l'étranger.

Néanmoins, le groupe SER votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe UC ; MM. Marc Laménie et Daniel Chasseing applaudissent également.)

M. Louis Vogel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC) L'accès au système bancaire est un élément clé pour assurer la cohésion sociale et territoriale de notre pays.

Sociale d'abord, car sans compte en banque l'intégration à la collectivité est difficile, sinon impossible : se loger, se nourrir, travailler, tout dans la société impose aux citoyens de disposer d'un compte en banque.

Territoriale ensuite, car tous les Français n'ont pas égal accès aux agences bancaires. En milieu rural, il n'est pas rare de devoir prendre sa voiture pour se rendre dans une agence -  la seule à des kilomètres à la ronde.

La fermeture de compte peut être un facteur d'exclusion. L'importance du phénomène est mal connue. En 2019, une enquête d'UFC-Que Choisir estimait à 11 % la proportion de personnes ayant déjà subi une fermeture de compte. Or parmi ces fermetures certaines étaient justifiées.

Aussi, cette proposition de loi vise les personnes qui ne comprennent pas la raison de la fermeture de leur compte et ne peuvent pas en ouvrir d'autre.

Ces personnes disposent du droit au compte prévu par la loi. En outre, nous bénéficions du maillage territorial bancaire le plus important d'Europe.

Certains membres du groupe INDEP s'interrogent sur la pertinence de cette proposition de loi ; vous connaissez les mots de Richelieu : « Faire une loi et ne pas la faire exécuter, c'est autoriser la chose qu'on veut défendre »...

Majoritairement, le groupe INDEP soutiendra la position du rapporteur. Les banques seront obligées de motiver leur décision, sauf si cela contrevient au maintien de l'ordre public et aux objectifs de sécurité nationale.

Il était indispensable de réécrire le texte. Toutefois l'absence de réponse peut faire peser un soupçon.

Nous espérons que le texte sera encore amélioré tout au long des travaux parlementaires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mmes Olivia Richard et Sophie Briante Guillemont applaudissent également.)

Mme Évelyne Renaud-Garabedian .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) « Pendant trente-cinq ans j'ai eu un compte bancaire en France sans incident. Une fois partie à l'étranger, j'ai été notifiée de la fermeture de mon compte bancaire. » Voilà le genre de messages que les Français de l'étranger, en proie au désarroi et à l'incompréhension, m'adressent régulièrement à la suite de la fermeture soudaine de leur compte bancaire.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Tout à fait !

Mme Évelyne Renaud-Garabedian.  - Or ce compte bancaire leur permet de recevoir la pension de retraite française, le remboursement de leurs soins, les loyers qu'ils tirent des biens dont ils sont propriétaires en France, de payer leurs impôts en France, ou tout simplement d'épargner.

Quelles raisons justifient de telles fermetures ? Aucune selon les banques ; deux selon les collaborateurs bancaires : premièrement, la réglementation européenne sur la corruption, le financement du terrorisme, le blanchiment, qui suffit à faire fermer le compte d'un résident d'un pays jugé sensible, comme c'est le cas en Afrique de l'Ouest, au Moyen-Orient ou en Amérique latine. Deuxièmement, la réglementation américaine - la Foreign Account Tax Compliance Act (Facta) -, qui impose aux autorités françaises de déclarer aux autorités américaines de déclarer les comptes détenus par les citoyens américains ou franco-américains.

Pour éviter de gérer des obligations complexes, des établissements français préfèrent clôturer les comptes des non-résidents. Par prudence, des banques surinterprètent des textes qui n'ont pas pour objectif de faire fermer ces comptes. Or il n'y a aucune raison d'empêcher par principe les Français habitant dans des pays sensibles d'exercer leur droit au compte.

La banque désignée par la Banque de France pour le droit au compte donne uniquement accès à des services bancaires de base. En outre, elle peut à son tour fermer le compte, si elle dit ne pouvoir satisfaire aux obligations de vigilance, ce qui est le motif principal de fermeture des comptes bancaires des Français de l'étranger.

L'État ne peut pas soutenir le déploiement des Français à l'international et ne pas défendre leurs droits.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Exactement !

Mme Évelyne Renaud-Garabedian.  - Il est anormal que les Français doivent souscrire des comptes dans des établissements étrangers parce que les banques françaises leur refusent l'accès. N'est-il pas grand temps de faire appliquer le droit ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains et du RDPI ; Mme Sophie Briante Guillemont, MM. Michel Canévet et Marc Laménie applaudissent également.)

M. Bernard Buis .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Cette proposition de loi corrige une injustice. Actuellement une banque peut résilier unilatéralement un compte bancaire sans se justifier. Elle peut tout à fait laisser le client dans un vide intersidéral.

Cela nourrit la défiance vis-à-vis d'un secteur décrié.

Cette proposition de loi rééquilibre la situation. La transparence éviterait les abus. Nous sommes donc en faveur de l'adoption de cette proposition de loi. Toutefois, des zones d'ombre devront être éclaircies lors de la navette.

Le droit européen est-il ici respecté ? La motivation de la résiliation n'y est pas prévue. Il convient d'évacuer tout risque de non-conformité au droit de l'Union européenne.

Un client soupçonné de blanchiment pourrait considérer qu'il faut l'objet d'une enquête s'il voit son compte fermé. Cela empêcherait la manifestation de la vérité. Je crains que l'amendement du rapporteur ne soit pas suffisant. C'est pourquoi j'ai proposé une piste de réflexion sur le sujet.

Néanmoins, ne laissons pas le droit en vigueur figé. Je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Ronan Le Gleut .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les Français établis hors de France sont les premières victimes tragiques de fermetures de comptes abusives. Combien de fois ai-je été sollicité par des retraités, des entrepreneurs ? N'oublions pas non plus les « Américains accidentels », trop nombreux à être concernés.

Depuis la loi du 24 janvier 1984, tout Français a le droit de posséder un compte de dépôt dans une banque en France.

L'éloignement de la France complexifie les procédures, surtout pour les naufragés du numérique. En outre, le droit au compte n'offre qu'une version dégradée du service bancaire.

Les clients se voient notifier la fermeture de leur compte bancaire après avoir été prévenus deux mois auparavant, mais les arguments de la lutte contre le terrorisme, le blanchiment ou la fraude ne s'appliquent pas à ces Français exemplaires, dont le seul crime serait de participer au rayonnement de la France.

Les plus concernés sont ceux qui habitent dans une zone qui n'est pas soumise à l'échange automatique de données - en anglais, Automatic Exchange Of Information (AOEI) -, dont l'objet est de lutter contre l'évasion fiscale mondiale. Le Groupe d'action financière (Gafi) définit un cadre permettant aux États de lutter contre le blanchiment de capitaux et le terrorisme.

Concrètement, plutôt que de faire du cas par cas, des Français de l'étranger se font fermer leur compte sans solution alternative. Les banques procèdent souvent sans discernement.

Madame la ministre, nous savons pouvoir compter sur votre rigueur et votre ténacité. Nous saluons votre engagement de saisir le comité consultatif du secteur financier.

Formons le voeu que la Fédération bancaire française (FBF) et le gouverneur de la Banque de France entendent notre appel à plus de justice bancaire pour les Français de l'étranger. Ils ont besoin de leur compte pour de multiples motifs. Nous sommes leurs avocats face aux abus bancaires. Rendons justice aux Français de l'étranger ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Discussion des articles

Avant l'article unique

M. le président.  - Amendement n°7 de Mme M. Vogel.

Mme Mélanie Vogel.  - Peu de gens en sont conscients, mais, quand on vit à l'étranger, on a besoin d'un compte en France pour certaines opérations fondamentales - recevoir des prestations, par exemple. Or nombre de nos compatriotes de l'étranger voient leur compte fermé par la banque, parfois sans même qu'on le leur notifie. Cet amendement porte à quatre mois le délai de réponse après notification, pour éviter des situations concrètes de détresse.

M. Marc Laménie, rapporteur.  - Je comprends vos arguments, mais votre amendement induirait une inégalité de traitement entre résidents et non-résidents. Avis défavorable.

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État.  - Le délai actuel de deux mois, fixé par le droit européen, tient compte de la situation des personnes internationalement mobiles. Les échanges entre les banques et leurs clients sont aujourd'hui largement dématérialisés. En outre, il existe sur le marché français une offre concurrentielle d'établissements en ligne permettant de répondre rapidement à un besoin d'ouverture de compte, même à distance. Avis défavorable.

L'amendement n°7 est adopté et devient un article additionnel.

Article unique

Mme Olivia Richard .  - Le problème est récurrent : les Français de l'étranger n'ont pas tous une fortune en France, et leur compte leur sert simplement pour des actes de la vie quotidienne.

L'enjeu est d'assurer l'effectivité du droit au compte. Même si un nouveau compte peut être ouvert - parfois difficilement à distance -, le problème est de le maintenir, car il peut être fermé à son tour.

Je pense au cas d'un journaliste français travaillant en Iran, qui ne peut plus être payé, ou à celui de conseillers des Français de l'étranger qui ne peuvent pas toucher leurs indemnités.

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - Il faut légiférer sur cette question. Voilà sept ans que les parlementaires y oeuvrent, mais nous nous heurtons à un mur : celui de l'administration et d'intérêts bien compris. Le Parlement doit prendre ses responsabilités.

Madame la ministre, si nous avions suivi les recommandations des organismes représentatifs du secteur et de la direction qui siège à vos côtés, il n'y aurait pas eu le texte de 2022 sur le droit à l'oubli. Heureusement, le Parlement a dit « stop ».

Je salue la volonté de compromis du rapporteur, mais la rédaction initiale de M. Folliot était parfaite. Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement.

Si nous n'aboutissons pas ce soir, il faudra trouver un autre vecteur pour avancer - c'est le serment du 9 octobre !

Mme Corinne Bourcier .  - En parlant de fermeture abusive, on minimise la législation existante, qui impose un préavis de deux mois. Au demeurant, les banques n'ont pas intérêt à fermer un compte. Ne stigmatisons pas les employés de tout un secteur, chargés de clientèle ou directeurs d'agence.

Ils risquent de se retrouver coincés entre des règles contradictoires, notamment en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. L'amendement du rapporteur adopté en commission va dans le bon sens : il faut prévoir une exception en matière de sécurité nationale ou de trouble à l'ordre public.

En plus d'affaiblir l'action commune des autorités dans la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, ce texte risque d'accroître les incivilités et les violences dont sont victimes les employés de banque.

Je m'abstiendrai donc, dans l'attente de la saisine du comité consultatif.

M. le président.  - Amendement n°6 de M. Bilhac.

M. Christian Bilhac.  - Défendu.

M. le président.  - Amendement n°4 de M. Bocquet.

M. Pascal Savoldelli.  - Défendu. Si le temps manque pour terminer la discussion, ce sera en raison des trois prises de parole précédentes.

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié de Mme Briquet.

Mme Isabelle Briquet.  - Défendu.

M. le président.  - Amendement n°8 de Mme Conway-Mouret.

Mme Hélène Conway-Mouret.  - Cet amendement prévoit une solution pour que la situation des Français de l'étranger soit prise en compte.

M. Marc Laménie, rapporteur.  - Avis défavorable aux amendements nos6, 4 et 1 rectifié. Sagesse sur l'amendement n°8.

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État.  - Les amendements nos6, 4 et 1 rectifié ont le même objet : systématiser la justification de la clôture d'un compte, même en l'absence de demande du client. Cette règle entrerait en conflit avec le principe de confidentialité de la déclaration de soupçon à Tracfin. Je remercie Mme Bourcier, notamment, de l'avoir souligné.

Le fait de ne pas recevoir de réponse à la demande de motivation conduirait le fraudeur à soupçonner l'opération en cours. L'amendement multiplierait les cas où une banque devrait soit révéler l'existence d'une déclaration de soupçon, soit contrevenir à la loi en présentant des motivations inexactes. (M. Jean-François Husson le conteste.)

Bref, l'adoption de ces amendements renforcerait les injonctions contradictoires. Avis défavorable.

Sagesse sur l'amendement n°8, qui nous paraît satisfait.

L'amendement n°6 est retiré.

L'amendement n°4 est adopté.

Les amendements nos1 rectifié et 8 n'ont plus d'objet.

M. le président.  - Amendement n°5 de M. Bocquet.

M. Pascal Savoldelli.  - Défendu.

L'amendement n°5, repoussé par la commission et le Gouvernement, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°11 de M. Laménie, au nom de la commission des finances.

M. Marc Laménie, rapporteur.  - Amendement de coordination pour les outre-mer.

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État.  - Cette mesure de coordination ne répond pas aux difficultés mentionnées en discussion générale. Sagesse.

L'amendement n°11 est adopté.

L'article unique, modifié, est adopté.

Après l'article unique

M. le président.  - Amendement n°9 de M. Buis.

M. Bernard Buis.  - Défendu.

M. Marc Laménie, rapporteur.  - Avis défavorable.

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État.  - C'est à dessein qu'il n'y a pas de lien entre l'existence d'une déclaration de soupçons et la poursuite ou non de la relation d'affaires. Maintenir ouvert un compte dont on sait qu'il est lié à des infractions pénales rend la banque et ses dirigeants complices d'un crime ou d'un délit. Le compte ne peut donc être maintenu ouvert que sur réquisition expresse du ministère public. Retrait, sinon avis défavorable.

L'amendement n°9 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°10 de M. Buis.

M. Bernard Buis.  - Défendu.

M. Marc Laménie, rapporteur.  - Avis défavorable.

Mme Laurence Garnier, secrétaire d'État.  - Sagesse.

L'amendement n°10 n'est pas adopté.

L'amendement n°2 n'est pas défendu.

La proposition de loi, modifiée, est adoptée.

La séance est suspendue à 20 h 45.

Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente

La séance reprend à 22 h 15.