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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Rappel au règlement

Conférence des présidents

Commissions (Nominations)

Croissance de la dette publique

M. Albéric de Montgolfier, pour le groupe Les Républicains

M. Laurent Saint-Martin, ministre chargé du budget et des comptes publics

Mme Florence Blatrix Contat

M. Aymeric Durox

M. Emmanuel Capus

M. Jean-François Husson

M. Didier Rambaud

M. Christian Bilhac

Mme Nathalie Goulet

M. Éric Bocquet

M. Thomas Dossus

M. Claude Raynal

Mme Christine Lavarde

M. Vincent Delahaye

M. Laurent Saint-Martin, ministre chargé du budget et des comptes publics

M. Michel Canévet, pour le groupe UC

Crise agricole

M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt

M. Vincent Louault

M. Jean-Claude Anglars

M. Bernard Buis

M. Henri Cabanel

M. Franck Menonville

Mme Marie-Claude Varaillas

M. Daniel Salmon

M. Sebastien Pla

M. Daniel Laurent

Mme Anne-Catherine Loisier

M. Denis Bouad

M. Pierre Cuypers

M. Lucien Stanzione

Mme Martine Berthet

Mme Christine Bonfanti-Dossat

M. Hervé Reynaud

M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains

Nécessité de former davantage de médecins et soignants

Mme Céline Brulin, pour le groupe CRCE-K

Mme Corinne Bourcier

Mme Corinne Imbert

Mme Solanges Nadille

M. Raphaël Daubet

Mme Nadia Sollogoub

Mme Cathy Apourceau-Poly

Mme Anne Souyris

Mme Émilienne Poumirol

M. Bruno Rojouan

Mme Brigitte Devésa

Mme Anne Ventalon

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins

Mme Céline Brulin, pour le groupe CRCE-K

Conférence des présidents

Situation des urgences pendant l'été 2024

Mme Annie Le Houerou, pour le groupe SER

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins

M. Jean Sol

Mme Solanges Nadille

Mme Guylène Pantel

M. Olivier Henno

Mme Silvana Silvani

Mme Anne Souyris

M. Jean-Luc Fichet

M. Daniel Chasseing

Mme Florence Lassarade

Mme Brigitte Devésa

Mme Audrey Bélim

M. Alain Milon

M. Franck Montaugé

M. Khalifé Khalifé

Mme Sabine Drexler

Mme Laurence Muller-Bronn

M. Serge Mérillou, pour le groupe SER

Ordre du jour du mercredi 9 octobre 2024




SÉANCE

du mardi 8 octobre 2024

3e séance de la session ordinaire 2024-2025

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. François Bonhomme, Mme Nicole Bonnefoy.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral, est adopté.

Rappel au règlement

Mme Nathalie Goulet.  - Au lendemain des commémorations du pogrom du 7 octobre, je tiens à exprimer ma colère et mon incompréhension.

Il y a quelques mois, après le versement de plus de 800 000 euros de la Commission européenne à des associations liées aux Frères musulmans, j'ai appelé à juguler le financement public de telles associations. Le ministre m'a répondu qu'il interrogerait la Commission... Faut-il voir une réponse dans la décision récente de celle-ci de déléguer quatre programmes Erasmus à l'association Al Sharq et d'intégrer à ce programme la faculté des sciences islamiques de Skopje et l'université de Gaziantep, qui vient de rendre un hommage vibrant à Ismaël Haniyeh ? Je pense aussi aux financements reçus par Femyso.

Monsieur le ministre, repartons du bon pied avec votre gouvernement. Erasmus vise à former la jeunesse aux principes de l'Union européenne : je doute que le culte du Hamas et la promotion de l'antisémitisme en fassent partie.

Monsieur le président, je souhaite la tenue d'un débat dans notre assemblée sur ce sujet.

Arrêtons, au nom de la diversité, de financer les ennemis de la République ! (Applaudissements sur de nombreuses travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Pierre Jean Rochette applaudit également.)

M. André Reichardt.  - Bravo !

M. Michel Savin.  - Le ministre n'a rien à répondre ?

Acte en est donné.

Conférence des présidents

M. le président.  - Les conclusions adoptées par la conférence des présidents du 2 octobre 2024 sont consultables sur le site internet du Sénat.

En l'absence d'observations, je les considère comme adoptées.

Commissions (Nominations)

M. le président.  - Des candidatures pour siéger au sein de la commission des affaires économiques, de la commission des lois et de la commission des finances ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.

Croissance de la dette publique

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la croissance de la dette publique de la France, à la demande des groupes Les Républicains et UC.

M. Albéric de Montgolfier, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Pendant longtemps, le Sénat et, en particulier, sa commission des finances ont été un peu seuls à s'inquiéter de la dette. Après des années d'aveuglement, la gravité de la situation fait consensus : c'est une prise de conscience salutaire.

M. André Reichardt.  - Il était temps !

M. Albéric de Montgolfier.  - En effet... Il y a peu encore, Bruno Le Maire se félicitait d'avoir sauvé l'économie française ! (On ironise à droite.) Le « quoi qu'il en coûte », qu'il a inventé, nous a coûté très cher.

M. François Patriat.  - Il fut un bon ministre.

M. Albéric de Montgolfier.  - Je me félicite que le gouvernement de Michel Barnier ait renoué avec un discours de vérité.

Ce qui est en jeu, ce sont nos marges de manoeuvre pour faire face aux défis économiques, sociaux, démographiques, environnementaux et géopolitiques de notre temps. C'est aussi notre crédibilité vis-à-vis de nos partenaires européens qui, dans leur immense majorité, ont consenti d'importants efforts de redressement ; placés en procédure de déficit excessif, nous sommes devenus le mauvais élève.

Rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État », j'ai pu mesurer les conséquences concrètes de notre endettement. À la veille de la présentation du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, je vous en présenterai certaines, à la lumière de mon rapport d'information de juillet dernier sur la charge de la dette.

Revenons d'abord sur l'évolution de la dette publique. En 2008, elle se montait à 1 290 milliards d'euros, soit 67 % du PIB. Nous étions alors à un niveau assez proche de l'Allemagne et du seuil de 60 % fixé par les traités européens. À la suite de la crise financière, notre dette a explosé, comme dans la plupart des pays qui ont dû sauver leurs banques. En 2012, elle s'élevait ainsi à 1 890 milliards d'euros, soit 92 % du PIB. Importante, cette augmentation était imputable au contexte international de crise.

M. François Patriat.  - Et pas aujourd'hui ?

M. Albéric de Montgolfier.  - En 2017, notre endettement était de 2 250 milliards d'euros, quasiment 100 % du PIB. Deux ans plus tard, à la veille de la pandémie, ce ratio était peu ou prou inchangé.

En d'autres termes, malgré l'absence de crise majeure depuis 2008, notre endettement a continué de croître, de 360 milliards d'euros sous François Hollande, puis de 120 milliards d'euros au début de la présidence d'Emmanuel Macron. Au même moment, de nombreux pays européens, à commencer par l'Allemagne, ont, eux, réduit leur endettement.

La pandémie a entraîné une nouvelle envolée de la dette. De 2 821 milliards d'euros fin 2021, elle atteignait 113 % du PIB. Certes, tous les pays ont pris des mesures pour soutenir l'économie. Mais, contrairement à nous, les autres ont eu une stratégie de sortie de « quoi qu'il en coûte ». Notre dette a ainsi continué sa progression, pour atteindre 3 230 milliards d'euros au printemps, soit 112 % du PIB. À 64 %, le ratio de l'Allemagne est presque deux fois inférieur...

Notre endettement résulte de cinquante ans de déficits, mais, depuis 2017, il a crû de plus de 1 000 milliards d'euros, et un tiers de cette augmentation est lié à la politique budgétaire menée depuis sept ans. (M. André Reichardt renchérit.)

Même en légère baisse par rapport à 2021, notre ratio d'endettement stable à un niveau élevé nous singularise fortement dans la zone euro, dont les autres membres ont emprunté des trajectoires de désendettement rigoureuses. En particulier, certains pays d'Europe du Sud, naguère dans une situation difficile, ont fait les efforts nécessaires.

Cette dette relève, pour 2 630 milliards d'euros, de l'État et, pour 70 milliards d'euros, des organismes divers d'administration centrale ; 250 milliards d'euros relèvent des administrations publiques locales et 280 milliards d'euros de la sécurité sociale. La dette de l'État représente donc 80 % de l'ensemble. Depuis 2017, elle a contribué pour 95 % à l'augmentation de l'endettement total.

Cette spirale a des conséquences concrètes. La charge des intérêts annuels dépasse déjà 50 milliards d'euros et pourrait dépasser 70 milliards en 2027. Je rappelle qu'il ne s'agit pas d'un amortissement, mais des seuls intérêts versés à nos créanciers. Ainsi, le contribuable français paie pour la retraite du fonctionnaire néerlandais, américain ou singapourien ! Si rien n'est fait, les intérêts de la dette absorberont bientôt le rendement de l'impôt sur le revenu.

De fait, nous sommes clairement sortis de la période des taux bas, voire négatifs - nous empruntons aujourd'hui autour de 3,5 %. Les gouvernements ont commis l'erreur d'être anesthésiés par ces taux bas, croyant que les arbres continueraient de monter au ciel...

L'aveuglement du précédent gouvernement a affecté la confiance des investisseurs, la divergence de notre taux avec ceux de nos voisins en témoigne. Nous devons emprunter une trajectoire crédible de retour à l'équilibre. C'est tout l'enjeu du PLF 2025.

Autre signe inquiétant, la maturité de la dette augmente. Traditionnellement de sept ans, elle est passée à huit ans et demi. Nous nous endettons donc plus cher et plus longtemps. C'est, hélas, une hypothèque sur les générations futures.

Stabiliser notre dette est un enjeu de soutenabilité et de souveraineté. Il est urgent d'avoir une stratégie claire et résolue ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Louis Vogel applaudit également.)

M. Laurent Saint-Martin, ministre chargé du budget et des comptes publics .  - (M. François Patriat applaudit.) Je vous remercie pour l'organisation de ce débat important. Je remercie également M. de Montgolfier pour son rapport sur la charge de la dette.

Le Sénat a davantage l'habitude que l'Assemblée nationale d'organiser ce débat. Député, j'avais souhaité qu'un débat sur la dette publique se tienne de façon obligatoire chaque année. La loi organique que nous avons préparée, avec Claude Raynal et Jean-François Husson, l'a instauré. Particulièrement actuelle, cette question est cruciale en tout temps ; c'est un enjeu de soutenabilité et surtout de souveraineté, comme vous l'avez dit.

Dans deux jours, le Gouvernement présentera au Parlement le PLF et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025. La gravité de la situation de nos finances publiques est connue - gravité n'étant pas anxiété. Le risque est réel que le déficit dépasse 6 % cette année et, si nous ne faisions rien, il pourrait dépasser 7 % l'année prochaine. Nous devons tout mettre en oeuvre pour l'éviter.

Sur l'origine de l'endettement, ma lecture différera peut-être quelque peu de la vôtre.

M. François Patriat.  - Heureusement !

M. Laurent Saint-Martin, ministre.  - Notre objectif est de contenir le déficit à 5 % en 2025. L'effort à fournir représente 60 milliards d'euros, deux points de PIB. C'est historique, mais à la mesure de la situation.

Notre méthode est de réaliser 40 milliards d'euros de baisses de dépenses et d'instaurer des contributions temporaires et ciblées pour 20 milliards d'euros.

Oui, nous avons accumulé une dette de 3 200 milliards d'euros, soit 112 % du PIB, et la charge de la dette atteindrait 54 milliards d'euros l'an prochain, plus que le budget des armées. C'est autant d'argent qui ne va pas aux services publics.

M. Michel Savin.  - Évidemment !

M. Laurent Saint-Martin, ministre.  - La hausse de la charge de la dette s'explique d'abord par la forte hausse des taux d'intérêt. De ce point de vue, la donne a complètement changé. En 2020, nous empruntions en étant payés pour cela... C'était une autre époque.

Cette évolution résulte des mesures prises par la BCE pour lutter contre l'inflation et des diverses crises, dont la crise inflationniste. Mais ne nous trompons pas : elle résulte aussi d'une dégradation de la signature de la France, dont témoigne le creusement de notre écart de taux avec l'Allemagne, passé de 0,5 en début d'année à 0,8 aujourd'hui.

Si nous ne redressons pas la barre rapidement, nous risquons de financer notre dette à des coûts de plus en plus élevés. S'il se produisait demain un choc de taux de 1 %, la charge de notre dette croîtrait de 33 milliards d'euros à horizon neuf ans. Nous ne pouvons nous le permettre.

Je me suis engagé à tenir un discours de vérité. Pour ma part, je considère que la dette actuelle est la conséquence de choix politiques forts, ...

M. Pascal Savoldelli.  - C'est bien vrai !

M. Laurent Saint-Martin, ministre.  - ... qui étaient nécessaires et utiles. (Murmures désapprobateurs à droite) Le Gouvernement doit assumer des choix tout aussi forts de redressement des comptes.

Malgré des efforts de maîtrise réels, une hausse structurelle des dépenses s'est produite ces dernières années. Comme rapporteur général à l'Assemblée nationale, j'ai eu l'impression de contenir la volonté collective de hausse plutôt que l'inverse...

Nous pouvons être fiers d'avoir protégé les entreprises, les salariés, les collectivités territoriales, face à la crise sanitaire puis la crise inflationniste. (M. André Reichardt s'exclame.) De façon transpartisane, nous avons choisi de déployer un filet de sécurité parmi les plus efficaces, mais aussi les plus généreux, en Europe. Nous avons assumé un creusement temporaire du déficit, et peu l'ont contesté.

Nous avons ainsi préservé la croissance, qui est supérieure à la moyenne de la zone euro. À cet égard, si notre dette a progressé de 1 000 milliards d'euros depuis 2017, notre PIB a, lui, crû de 569 milliards d'euros. Notre taux d'endettement a progressé de 34 points entre 2007 et 2017 et de 12 points seulement entre 2017 et 2022. Factuel, ce constat n'enlève rien à la gravité de la situation.

Le redressement passera prioritairement par la réduction de la dépense. Mais nous devrons éviter de casser le moteur de la croissance, car on ne redressera pas les comptes sans activité. Il n'y aura donc pas de cure d'austérité.

Nous agirons en ce sens pour préserver notre capacité à préparer l'avenir et à faire face aux crises futures. Le redressement sera ardu, mais il y a un chemin. Avant la pandémie, nous avions ramené le déficit sous les 3 %. Puisque nous avons su redresser les comptes à ce moment-là, nous saurons le faire à nouveau. (MM. François Patriat et Didier Rambaud applaudissent.)

Mme Florence Blatrix Contat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La France se retrouvera-t-elle au bord du gouffre ? Nous pouvons légitimement nous le demander.

De dérapage en dérapage, l'illusion d'une bonne tenue des comptes s'est dissipée. La gestion calamiteuse de nos finances est avérée, doublée d'un mensonge : il y a un mois encore, Bruno Le Maire affirmait pouvoir respecter cette année un objectif de déficit de 5,1 %...

Supérieur à 6 %, notre déficit est l'un des plus élevés de la zone euro. Notre dette dépasse 112 % du PIB et son service, 50 milliards d'euros annuels. Ces 1 000 milliards d'euros de dette supplémentaire depuis 2018 pèsent lourd, et notre taux d'emprunt à cinq ans dépasse aujourd'hui celui de la Grèce.

Le précédent gouvernement a tenté de se défausser sur les collectivités locales, mais les chiffres sont têtus. Les collectivités territoriales ne sont comptables que de 10 milliards d'euros par an sur les 880 milliards de dette cumulés entre 2018 et 2023. Par ailleurs, elles assurent plus de la moitié de l'investissement public.

Pour justifier ces échecs, on invoque aussi la covid, la guerre en Ukraine... Mais nos voisins européens, qui ont aussi connu une augmentation de leur endettement de quinze points, ont su ensuite le réduire ou le stabiliser. D'autre part, selon l'OFCE, seule la moitié de la dette nouvelle est imputable aux crises.

L'autre révèle l'échec de la politique de l'offre menée, tambour battant, pendant sept ans. Baisses d'impôts et aides massives aux entreprises devaient favoriser l'emploi et la croissance ? Les 450 milliards d'euros de baisses d'impôt consenties depuis 2018 sont un pari perdu : création d'emplois surtout peu qualifiés et décrochage de la productivité, lequel a entraîné, selon le Conseil d'analyse économique, la perte de 65 milliards d'euros de recettes fiscales.

Les conséquences de cette gestion calamiteuse n'ont pas tardé : la Commission européenne a ouvert une procédure pour déficit excessif contre la France et notre signature est affectée. C'est notre capacité à investir pour répondre aux urgences climatiques et sociales qui est en jeu. Chaque euro affecté au service de la dette est un euro en moins pour nos services publics.

Les solutions que vous proposez sont celles qui ont échoué par le passé. Votre remède, l'austérité, serait pire que le mal. Vous voulez économiser 40 milliards d'euros dans les dépenses, alors qu'Olivier Blanchard et Patrick Arthus recommandent 20 milliards. Comment trouver 40 milliards d'euros de dépenses inefficaces dans un État aux services publics déjà exsangues ? Selon le Trésor, une baisse de 15 milliards d'euros des dépenses équivaut en réalité à 27 milliards d'euros, du fait de l'effet multiplicateur. Nous espérons que vous supprimerez les aides les moins efficientes aux entreprises. Nous formulerons des propositions pour rompre avec votre dogme des baisses d'impôts et renouer avec la justice fiscale.

Après avoir accumulé les milliards de dettes, sacrifié nos services publics et compromis l'investissement, comment pouvez-vous affirmer encore que votre politique trace la bonne voie ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Jacques Fernique applaudit également.)

M. Aymeric Durox .  - Pour avoir un débat constructif sur un sujet de cette importance, encore faudrait-il s'accorder sur les chiffres.

Il y a un an, le Gouvernement promettait un déficit à 4,5 % et une maîtrise des dépenses « à l'euro près » ... Puis, malgré 10 milliards d'euros d'annulations de crédits, des rumeurs de dérapage ont commencé à circuler. Mais Bercy a refusé de donner au Parlement les documents nécessaires à son contrôle. En juillet dernier, l'Union européenne a lancé une procédure pour déficit excessif contre notre pays.

Le déficit dépasse en réalité 6 % du PIB, alors que la dette bat un record, à 3 228 milliards d'euros - pour l'instant. Le bilan du Mozart de la finance, ce sont des taux d'emprunt supérieurs à ceux de la Grèce, 400 milliards d'euros de prestations sociales supplémentaires et un endettement alourdi de 1 000 milliards d'euros malgré des services publics malmenés.

L'État représente 80 % de la dette : c'est à lui de fournir l'effort et non aux collectivités territoriales, injustement montrées du doigt par Bruno Le Maire.

Ce n'est ni aux retraités ni aux ménages français de payer votre incompétence. Faites des économies sur ceux qui profitent des largesses du système ! Je pense à l'immigration et à la fraude fiscale et sociale. Le Rassemblement national demande de longue date la mise en place de la carte Vitale biométrique. Par ailleurs, l'État dépense 750 millions d'euros par an pour subventionner des associations immigrationnistes.

M. Claude Raynal.  - À la maille...

M. Aymeric Durox.  - Cessez d'engraisser des associations dont l'objectif avoué est d'empêcher la reconduite à la frontière des clandestins !

Quand j'entends le ministre affirmer que les 1 000 milliards d'euros de dette résultent de choix pertinents, les bras m'en tombent. Quand je l'entends parler de souveraineté alors que notre dette est largement détenue par des fonds souverains étrangers, je m'étouffe.

Décidément, le nouveau monde n'a toujours pas entendu le cri de colère du peuple français, malgré trois désaveux successifs il y a quelques mois. L'alternance, vite !

M. Emmanuel Capus .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Jean-François Longeot applaudit également.) Je veux vous parler d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître...

La dette de la France avoisinait 60 % du PIB et le déficit, 3 %. Notre situation était à peu près la même qu'outre-Rhin. La France et l'Allemagne respectaient les critères de Maastricht, montrant l'exemple aux autres pays européens. C'était au début du siècle.

Aujourd'hui, notre dette dépasse les 100 % de PIB et le déficit s'est installé durablement au-dessus des 5 %.

L'effort pour 2025 est annoncé entre 45 et 60 milliards d'euros, en fonction de la référence choisie. Nous considérons qu'il doit reposer bien davantage sur les dépenses que sur les recettes. Au reste, malgré cet effort difficile, la dette continuera d'augmenter.

Si nous en sommes là, c'est que, pendant plus d'un demi-siècle, la France a voté des budgets en déficit. Cette incurie est une faute collective, qu'il faut à présent corriger. La solution la plus évidente serait de voter un budget en excédent, au moins à l'équilibre. Mais ce remède, certes un brin radical, pourrait être pire que le mal.

Le mal profond, c'est notre addiction chronique à la dépense publique. Après 50 ans d'accoutumance, on ne peut se soigner que de façon progressive... Comme disent les médecins, il faut surtout ne pas nuire.

Le chemin sera long et douloureux. Nous sommes nombreux ici à tenir ce discours depuis plusieurs années. Je pense en particulier à notre rapporteur général, Jean-François Husson, et à son prédécesseur.

Nous devons dire et répéter cette vérité : la croissance de la dette menace notre souveraineté. Car rien ne garantit que les acteurs étrangers qui détiennent plus de la moitié de notre dette soient alignés avec l'intérêt général de la nation. Ne cédons pas à la paranoïa, car un créancier tient d'abord à être payé. Et c'est notre devoir de payer nos dettes.

La charge de la dette sera bientôt le premier budget de l'État : ce n'est pas la meilleure façon d'employer les deniers publics... Pour éviter des solutions plus radicales et moins souhaitables, nous devons de toute urgence bifurquer vers la décroissance. La décroissance de la dette, bien sûr ! (Marques d'amusement au centre et à droite)

Ce chemin est à notre portée. La preuve : de 2017 à 2019, sous le gouvernement d'Édouard Philippe, la France a ramené son déficit sous les 3 % ; la dette était stabilisée et la croissance au rendez-vous.

L'Allemagne, qui a connu les mêmes crises que nous, respecte les critères de Maastricht. Nous devons nous remettre à ce niveau. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Olivier Bitz applaudit également.)

M. Jean-François Husson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Entre juin 2017 et juin 2024, le stock de la dette publique a augmenté de 1 000 milliards d'euros et le taux d'endettement est passé de 99,2 à 112 %. Seule une partie de cette hausse résulte des crises que le pays a traversées. En 2017, la France était le sixième pays le plus endetté d'Europe ; désormais, seules la Grèce et l'Italie sont devant nous.

La dette n'est pas mauvaise en soi : une politique contracyclique est recommandable en cas de récession et s'endetter pour investir renforce le potentiel de l'économie. Mais il faut la maîtriser et, dans certains cas, la réduire. La dette écologique aussi doit être prise en compte - Christine Lavarde en parlera.

Un endettement maîtrisé est bénéfique. L'État, réputé éternel, fait rouler sa dette. Mais il faut s'acquitter d'une charge d'intérêts : si la croissance est inférieure à l'évolution des taux d'intérêt, c'est l'effet boule de neige. Or, depuis 2020, cette charge est à la hausse du fait de l'augmentation du stock de dette, de l'inflation et de la hausse des taux d'intérêt. La trajectoire est dangereuse, et l'effet boule de neige n'est pas loin.

Les économistes ayant travaillé sur les seuils critiques de dette s'accordent à considérer que c'est surtout la trajectoire qui compte. Se fixer une trajectoire et ne pas la respecter, c'est un grave signal d'alarme pour les marchés. Or c'est ce que nous avons fait : du fait d'une mauvaise gestion budgétaire, la dette est devenue un sérieux problème.

Notre déficit est trop élevé et nous ne respectons pas la trajectoire que nous nous sommes fixée. Le mélange est possiblement explosif. Depuis juin dernier, l'instabilité politique et la succession de mauvaises nouvelles sur notre capacité à tenir la trajectoire dégradent nos conditions d'emprunt. Bref, nous empruntons plus dans de moins bonnes conditions - notre spread de taux avec l'Allemagne oscille entre 60 et 80 points.

Dans une note du 17 juillet dernier, la direction générale du Trésor avertissait le ministre : il faut « éviter des hausses de programmes de financement trop importantes pour pouvoir être absorbées par la base d'investisseurs sans dégradation des conditions de financement » ; cette dernière contrainte, concluait-elle, risque d'être plus forte que la contrainte européenne.

Cette gestion calamiteuse des finances publiques lie le nouveau Gouvernement comme elle liera les suivants. On est très loin de la souveraineté prônée depuis 2017 par le Président de la République, d'autant que plus de la moitié de notre dette est détenue par des investisseurs non résidents. Il faut absolument éviter le cercle vicieux qui nous entraînerait dans la situation de la Grèce en 2010.

En cas de crise, pourrions-nous recourir à une part de financement hors marché ? La France a déjà eu recours à ces instruments : grand emprunt, circuit du Trésor... La réflexion sur leur utilisation sous une forme adaptée est assurément de longue haleine. Mais gérer le présent ne doit pas interdire de penser à l'avenir, pour le préserver au mieux. C'est notre devoir commun. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.)

M. Didier Rambaud .  - (Mme Patricia Schillinger applaudit.) Dire la vérité, c'est reconnaître les faits. Notre dette publique s'établit à plus de 3 228 milliards d'euros et notre taux d'endettement atteint 112 % du PIB, contre 98,1 % en 2017. Oui, l'état de nos comptes publics doit nous préoccuper.

Mais dire la vérité, c'est aussi contextualiser. Le point de départ de la situation actuelle est bien antérieur à 2017. En réalité, notre taux d'endettement ne cesse d'augmenter depuis 2007. Et, s'il y a eu de rares moments de stabilisation, il n'y a pas eu de diminution importante de ce taux depuis les années 1980.

La dette de la France a dépassé les 100 % du PIB pour la troisième année consécutive. Mais, dans la période récente, trois crises majeures sont survenues : covid, guerre en Ukraine, inflation. Des difficultés considérables en sont résultées pour notre économie.

Sous l'impulsion du Président de la République, les gouvernements successifs ont privilégié la sauvegarde de milliers d'entreprises, de millions d'emplois et le maintien des salaires.

M. François Patriat.  - Très bien !

M. Didier Rambaud.  - Dans quel état serait notre économie si nous avions fait autrement ? Fallait-il s'endetter moins au risque de voir le chômage augmenter, les faillites s'accumuler et les factures d'énergie flamber davantage ? Tout n'a pas été parfait, car il fallait agir vite. Mais je suis fier d'avoir soutenu des gouvernements qui ont pris des décisions difficiles, mais responsables.

Cet hémicycle a bien souvent soutenu les décisions liées au « quoi qu'il en coûte ». Qui parmi vous a dit que nous dépensions trop ? Plusieurs nous ont même reproché de ne pas en faire assez...

Il nous faut à présent relever collectivement le défi immense de la réduction de la dette. Traduisons nos intentions dans nos actes et nos votes, notamment dans le cadre du PLF pour 2025.

J'entends souvent des critiques sur la gestion de nos finances par les derniers gouvernements. Mais n'est-il pas curieux d'exiger plus de rigueur alors que l'on dépose et vote des amendements aux PLF qui représentent plusieurs milliards d'euros de dépenses supplémentaires, sans nouvelles recettes ?

M. François Patriat.  - Bravo !

M. Didier Rambaud.  - Nous n'avons pas à rougir de notre bilan. Nous avons notamment baissé le chômage, grâce à la politique de l'offre. Nous avons amorcé la réindustrialisation et fait revenir les investisseurs.

En commission des finances, le rapporteur général a présenté un état des lieux des finances publiques objectif et sans esprit de polémique. Des questions ont porté sur l'augmentation de la masse salariale. Mais regrettons-nous la création de 50 000 emplois publics depuis 2017 ?

M. Albéric de Montgolfier.  - Oui !

M. Didier Rambaud.  - Lesquels ?

M. Albéric de Montgolfier.  - Les agences ! Les ARS et l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ! (M. Jean-François Husson renchérit.)

M. Didier Rambaud.  - J'ose espérer ne plus entendre que le compte n'y est pas et qu'on ne crée pas assez d'emplois dans la santé, la sécurité ou la justice...

Le groupe La Poste a annoncé des coupes budgétaires, ce qui menaçait certains bureaux communaux. Le Gouvernement vient de revenir sur cette décision, mais cette affaire illustre la difficulté des arbitrages pour réduire la dépense publique.

Comment dépenser moins et surtout mieux ? Nos concitoyens sont exigeants : ils s'inquiètent, à juste titre, de savoir où vont leurs impôts.

Les Français attendent de nous de la responsabilité. Abordons donc l'examen du budget avec un esprit constructif et d'ouverture, pour voter les mesures d'économie et de justice indispensables à la réduction de notre dette. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Christian Bilhac .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La dette et le déficit : voilà de vieux marronniers parlementaires ! Depuis cinquante ans, nous n'équilibrons pas nos comptes, collectionnant les médailles d'or aux jeux Olympiques de la finance...

L'intérêt d'avoir un nouveau ministre, c'est qu'on peut se répéter. (Sourires)

Mme Nathalie Goulet.  - Le tout, c'est de ne pas se contredire ! (Nouveaux sourires)

M. Christian Bilhac.  - Pierre Mendès France disait avec sagesse : « Les comptes en désordre sont la marque des nations qui s'abandonnent ». En 2007, le Premier ministre d'alors, M. Fillon, parlait d'un État en faillite, alors qu'il y avait seulement - si l'on peut dire - 1 150 milliards d'euros de dette, soit 63 % du PIB. Nous en sommes à 3 228 milliards, soit 112 % du PIB. Quel qualificatif faut-il donc employer pour caractériser cette dette abyssale ?

Il y a bien longtemps, mon professeur de droit financier disait : les dettes d'aujourd'hui sont les impôts de demain. Les réveils seront douloureux, alors ne nous endormons pas !

Monsieur le ministre, vous voulez agir à la fois sur les dépenses et les recettes. Je m'en réjouis, mais vous visez un retour sous les 3 % en 2029. Or les lois de programmation et autres prévisions pluriannuelles sont rarement, voire jamais, respectées, notamment parce que le courage et l'imagination manquent. Comme le savent les marins, à mesure qu'on se rapproche de l'horizon, il s'éloigne...

Reste que, pour la France et nos enfants, nous devons y croire. Comme le chantait le poète sétois Georges Brassens dans Le Mécréant, « mettez-vous à genou, priez et implorez, faites semblant de croire et bientôt vous croirez ! » Mais, avec mon esprit laïc, j'ai du mal à y croire... (Sourires) Le retour aux 3 % n'est pas gagné.

Monsieur le ministre, je vous souhaite de réussir à faire enfin baisser la dette. Voici quelques suggestions pour prendre le taureau par les cornes. Supprimez des opérateurs ! Au hasard, l'ARS (« Oui ! » sur plusieurs travées à droite et au centre), l'Office français de la biodiversité (OFB) (« Très bien ! » sur plusieurs travées à droite et au centre), l'Ademe et les agences de l'eau ! (Mêmes mouvements) On en a 493, vous pouvez y aller... Supprimez carrément des ministères ! (On s'en amuse à droite et au centre.) Donnez des responsabilités aux collectivités territoriales, qui, elles, votent des budgets à l'équilibre.

Comment diantre font les 30 000 maires ruraux, qui n'ont pas fait de grande école et sont assistés par une secrétaire de mairie qui parfois n'a pas le bac, pour voter des budgets à l'équilibre, quand tous nos ministres, compétents et entourés des hauts fonctionnaires les plus diplômés, n'y arrivent pas ? (Assentiment sur de nombreuses travées) Faut-il nommer un maire auvergnat pour y parvenir ? (Nombreuses marques d'amusement)

Comme Pierre Mendès France le disait aussi, il ne faut jamais sacrifier l'avenir au présent ! (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Guillaume Chevrollier.  - Bravo !

Mme Nathalie Goulet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ce débat annuel est une bonne idée. Comme le dit l'inoxydable Jean Artuis, « le déficit annihile la liberté ». Le réveil est difficile, mais prévisible après des années de taux négatifs, et leur effet totalement anesthésiant.

Avec Vincent Delahaye, je ne cessais d'alerter sur la situation, mais, telle soeur Anne, je ne voyais rien venir, et il a fallu attendre que les taux remontent : nous voilà menottés pour un certain temps désormais !

Qui sont les propriétaires de notre dette, monsieur le ministre ? Comment comptez-vous gérer les engagements hors bilan, qui représentent 3 756 milliards d'euros ?

Nous étions opposés à la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), de la taxe d'habitation, ou encore de la redevance qui finançait l'audiovisuel public.

Nous étions favorables à des taxes sur les superprofits et sur les rachats d'actions.

Nous avons formulé des propositions pour lutter contre les fraudes sociale et fiscale. Cette année, le déficit de la sécurité sociale s'élèverait à 18 milliards d'euros, prenons ce problème à bras-le-corps !

Je l'ai dit à maintes reprises : il n'y a pas de lien entre le service des étrangers et les organismes de sécurité sociale ; un titre de séjour arrivant à échéance n'entraîne pas automatiquement la fin des prestations. C'est la porte ouverte à toutes les fraudes ; les prestations liées à un domicile régulier doivent être versées aux gens disposant d'un domicile régulier !

Il me reste un peu de temps pour vous dire tout le mal que je pense du versement social unique, qui, certes, règle le problème du non-recours, mais qui est un aimant à fraudeur. La base des bénéficiaires est truffée de fraudeurs et les données de 33 millions de Français ont été piratées : n'ouvrons pas une banque de fraudeurs tant que la base n'est pas apurée ! Un fraudeur content est un fraudeur qui revient.

Nous serons attentifs à vos propositions ; soyez attentif aux nôtres. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Éric Bocquet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Florence Blatrix Contat applaudit également.) Il était une fois le grand méchant loup de la dette publique... La préparation du budget 2025 est très tendue : les gouvernements veulent non pas faire réfléchir la population, mais lui faire peur.

Cette année, l'État empruntera 285 milliards d'euros aux marchés financiers, c'est un record historique ; 150 milliards serviront à équilibrer le budget et 135 milliards à rembourser des emprunts. La République française me semble parfois être cliente de Sofinco ou de Cofidis.

Or nous paierons à nos créanciers la jolie somme de 55 milliards d'euros d'intérêts : ce monde marche sur la tête ou plutôt sur la dette.

On nous explique que l'on vit au-dessus de nos moyens. Pourtant, avec d'autres, nous avons regardé du côté des recettes : on ne compte plus que cinq tranches d'impôt sur le revenu avec un taux maximum de 45 %, l'impôt sur les sociétés a été ramené à 25 % aujourd'hui, contre 50 % en 1986, l'ISF a été supprimé, l'imposition des dividendes a été plafonnée à 30 %... Et la TVA compensera les pertes, dites-vous ? Mais elle ne représente plus que 27 % des recettes de l'État, contre 47,3 % en 2017.

Le problème du déficit, c'est celui des recettes. Or le discours anxiogène s'accompagne aussi de propos culpabilisateurs. Nous serions une horrible génération de profiteurs.

M. Vincent Delahaye.  - C'est vrai !

M. Éric Bocquet.  - La maturité de la dette est de huit ans et 173 jours : c'est bien nous qui la remboursons ! Depuis 1979, nous avons versé 1 350 milliards d'euros aux marchés financiers pour payer les intérêts. Combien cette somme représente-t-elle d'enseignants, d'aides-soignants, de médecins ? Combien de places de crèches ? Faites le compte !

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la dette représentait 160 % du PIB. Quelque trente ans plus tard, ce taux était tombé à 20 %, grâce à une politique de croissance. La Banque de France collectait alors l'épargne des Français et faisait des avances à l'État. Mais ce système vertueux fut démantelé au tournant des années 1970 et 1980.

Les placements financiers de la nation s'élèvent à 6 111 milliards d'euros. Ne serait-ce pas une piste pour imaginer un autre mode de financement de l'État ?

La BCE n'a pas le droit de financer la dette des États membres aux termes de l'article 127 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Or elle détient aujourd'hui 25 % de la dette française : autrement dit, elle s'est affranchie de ses propres règles ! N'est-ce pas le moment de repenser ses missions ?

Le débat sur la dette publique est une question non pas technique et financière, mais politique. Libérons-nous de la tutelle des marchés financiers sur les États. En 1797, la dernière année où la France a fait défaut, le deuxième président des États-Unis, John Adams, s'exprimait ainsi : « Il y a deux manières de conquérir et d'asservir une nation, l'une est par les armes, l'autre est par la dette. » (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées des groupes SER et UC)

M. Thomas Dossus .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre a affirmé son objectif principal : la réduction de la dette budgétaire et écologique. La première s?élève à 3 228 milliards d'euros, avec un déficit qui devrait dépasser les 6 % selon les dernières prévisions.

En quittant Bercy, le précédent ministre de l'économie a laissé un bilan incomparable : plus de 1 000 milliards d'euros de dette, la crise sanitaire et énergétique ne comptant que pour 458 milliards selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). La gabegie vient donc d'ailleurs : de nombreux cadeaux fiscaux non financés aux entreprises et aux plus aisés ! Ces mesures ont été efficaces pour certains : le patrimoine des 500 plus grandes fortunes françaises est passé de 600 à 1 200 milliards d'euros entre 2017 et 2023. Tous ces cadeaux représentent moins de rentrées fiscales et moins d'argent pour les services publics, qui se déprécient. Nous connaissons la justification de cette idéologie : affamer la bête, pour la livrer en pâture au secteur privé.

Nous ne sommes pas dupes. Si le Gouvernement a évoqué de timides hausses d'impôt, nous verrons ce qu'il prévoit vraiment lors de la présentation du projet de loi de finances. Ce sont les ministères qui préparent l'avenir qui devront assumer la plupart des efforts. En définitive, on change d'équipe, on change un peu de méthode, mais on ne touche pas au fond du programme.

Le deuxième pilier évoqué par le Premier ministre est le plus important : la dette écologique, c'est-à-dire un bilan de l'activité humaine qui peut être quantifié à 1 700 milliards de tonnes de CO2 émises par l'humanité depuis le début de l'ère industrielle, dont 1 032 milliards de tonnes émises par l'Europe et l'Amérique du Nord.

Pourtant, les populations les plus violemment impactées sont les moins responsables de la situation. Combien d'espèces vivantes disparues ? Combien d'habitats dégradés ? Combien de limites planétaires dépassées chaque jour de plus en plus tôt ? Cette dette écologique se paiera cash.

Face à l'urgence, nous devons investir dans la transition écologique. France Stratégie a réévalué hier les besoins décrits par le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz passant de 65 à 85 milliards euros d'investissements. L'état dégradé des finances publiques ne doit pas nous détourner de cet objectif. Nous devons accepter de nous endetter pour un avenir viable. Dettes budgétaire et écologique sont liées. Ce sont les deux faces d'un même problème, telle est la conviction profonde des écologistes. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Claude Raynal .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Étant le dixième orateur, que puis-je dire de nouveau ? Aussi, je commencerai par une série de questions : pourquoi ce débat sur la dette aujourd'hui ? Est-ce à cause de son montant ? Pas moins de 3 228 milliards d'euros, nous dit la presse, qui s'inquiète d'une banqueroute. Si telle est la véritable raison du débat, les Français n'ont pas fini d'en entendre parler : la dette ne va pas cesser d'augmenter. Aussi, il est inutile de les inquiéter exagérément, sauf à vouloir faire passer des mesures impopulaires.

La dette est-elle un gros mot ? Les Français savent bien que les seules familles qui s'enrichissent sont celles qui s'endettent. (Murmures sur les travées des groupes UC et Les Républicains) C'est la même chose pour l'État, qui finance des infrastructures ou la transition écologique, ou renfloue des banques. Aujourd'hui, tous les pays sont endettés.

Nos enfants doivent-ils bénéficier d'une croissance économique forte dans un pays viable ou être en difficulté et faiblement endettés ? Faut-il mourir sans dette ? (M. Jean-François Husson ironise.)

Cela dit, la qualité de la dette est un préalable. Malheureusement, le ratio dette sur PIB a augmenté de plus de 12 points entre 2017 et 2023 et cette progression n'est due que pour moitié aux crises -  les baisses d'impôts de 60 milliards d'euros ont beaucoup joué.

En définitive, nous sommes enfin entrés dans le vrai débat : la dette n'est qu'un clignotant, seule compte la trajectoire du solde de nos comptes publics. Je vous donne rendez-vous dans quelques jours pour en parler ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Même en onzième position, on peut être original, je vais vous le montrer !

M. Claude Raynal.  - J'en suis sûr ! C'est le talent !

Mme Christine Lavarde.  - Le Premier ministre a parlé de la réduction d'une double dette : écologique et financière. Nous avons beaucoup parlé de la dette financière, évoquons donc la dette écologique.

La dette climatique a une valeur économique calculée comme le coût des dommages engendrés par le rejet d'une tonne supplémentaire de CO2 dans l'atmosphère. Le prix social du carbone suit une évolution exponentielle. Tout retard dans la décarbonation aujourd'hui aura des répercussions demain. Selon l'Insee, le prix social du carbone représentera 2 050 euros en 2050, contre 500 euros en 2030. La trajectoire de notre dette écologique n'est pas soutenable. Plusieurs textes sont attendus : programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), stratégie nationale bas-carbone (SNBC), plan d'adaptation, notamment. Malheureusement, la dissolution ne porte pas la responsabilité de tous ces retards. (M. Jean-François Husson renchérit.)

Depuis le mouvement des gilets jaunes, la fiscalité carbone est devenue un sujet tabou. Dans un rapport de 2024, la Cour des comptes invite le législateur à une réflexion structurante tant pour garantir l'atteinte de nos objectifs environnementaux que pour préserver les grands équilibres budgétaires de l'État.

Réduire notre dette climatique repose sur l'électrification des usages. Or les investissements sont colossaux. Je renvoie aux travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur la tarification de l'électricité.

L'affaiblissement du puits de carbone forestier est également un signe ; la capacité d'absorption des forêts a été divisée par trois entre 2005 et 2023. Nous ne pourrons pas infléchir la trajectoire de notre dette climatique sans des politiques volontaristes permettant d'accroître la résilience de nos systèmes forestiers.

Nous sommes tous responsables de la réduction de la dette : selon un rapport de l'inspection générale des finances (IGF), les ménages doivent réduire leur consommation d'énergie et les collectivités territoriales devront investir 21 milliards d'euros par an pour réussir la transition d'ici 2030.

Selon le Giec, 75 % des leviers d'une transition écologique réussie sont territoriaux. Or leur modèle de financement est mis à rude épreuve actuellement !

Du reste, selon Christophe Béchu, alors ministre de la transition écologique, l'emprunt est justifié pour de tels investissements. Par exemple, seules 15 % des communes utilisent des ampoules à LED.

L'accroissement de la dette est perçu comme un signe de mauvaise gestion des deniers publics. Pourtant, la dette économique nous oblige à changer de paradigme : le coût de l'inaction est bien supérieur à celui de l'action.

La loi de finances pour 2024 permet aux collectivités d'isoler leurs dettes vertes. Au-delà du symbole, cet outil doit permettre d'exercer un effet de levier sur l'investissement.

La fiscalité environnementale ne doit pas être un tabou. Sinon, nous n'arriverons jamais à faire coïncider transition écologique et justice sociale. Pensons comme Churchill : la responsabilité est le prix du succès ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC et sur quelques travées du GEST ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

M. Vincent Delahaye .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Non seulement la dette augmente, mais en plus elle accélère : il a fallu vingt-trois ans pour parvenir à 1 000 milliards d'euros, onze ans pour 2 000 milliards, et seulement sept à huit ans pour les derniers 1 000 milliards. Et si encore c'était de la bonne dette, c'est-à-dire celle qui finance des dépenses d'avenir... Mais non, c'est de la mauvaise dette, car elle finance des dépenses courantes.

En préambule, nous devons nous mettre d'accord sur le diagnostic : je regrette à cet égard que les travaux de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la formation de la dette aient été clôturés par la dissolution.

D'où viennent les 1 000 milliards d'euros supplémentaires de dette depuis sept ans ? Les dépenses liées « quoi qu'il en coûte » représentent un quart de cette somme - il aurait fallu des aides courtes et ciblées, elles ont été longues et larges ; un autre quart, des baisses d'impôt non financées ; le reste, soit la moitié, est lié - et aucun des précédents orateurs n'a prononcé le mot - aux retraites. Cette année, nous paierons 75 milliards d'euros de déficit lié à notre système de retraites.

Faute d'aborder cette question autrement que de façon démagogique, nous ne réglerons jamais les problèmes. Les retraités votent, chacun y fait attention, je le sais, mais disons la vérité : il faut aborder ce sujet si l'on veut résoudre le déficit. J'ai écrit un ouvrage, Les vertus de l'équilibre ou l'anti « quoi qu'il en coûte ». Personne parmi vous ne l'a lu, j'imagine... (Sourires ; M. Michel Canévet fait signe que si.)

Nous devons nous diriger vers un endettement raisonnable, je crois aux vertus de l'équilibre. Nous serons attentifs à vos propositions de réduction de la dépense. Nous souhaitons mettre un terme aux baisses d'impôts qui ne seraient pas financées par une réduction équivalente d'autres dépenses. L'ensemble de la population doit être mis à contribution, tout le monde doit s'y mettre ! Ne faisons pas des retraites un totem.

Je serai constructif, mais également vigilant pendant ces débats. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Emmanuel Capus applaudit également.)

M. Laurent Saint-Martin, ministre chargé du budget et des comptes publics .  - Le débat sur la dette publique -  d'hier, d'aujourd'hui et de demain  - est éminemment politique. D'où vient l'endettement actuel ? Qu'en faisons-nous ?

Vous me demandez si nous allons changer de politique. Si j'ai bien compris, Vincent Delahaye n'était pas pour le « quoi qu'il en coûte ». Pourtant, la baisse de fiscalité instaurée depuis 2017 a renforcé l'attractivité de notre pays et contribué à la création d'emplois industriels. D'aucuns peuvent considérer que cette politique coûte cher au vu de ses résultats, mais nous avons rendu notre pays plus compétitif ; investir y est plus rentable.

Faut-il être pour autant inflexible sur la politique fiscale de notre pays ? Non. Nous formulerons des propositions dans les jours à venir sans casser cette politique de l'offre qui a fait ses preuves.

Il serait erroné de croire que la seule baisse de la fiscalité est à l'origine de la dette actuelle.

Des mesures -  consensuelles  - ont été prises pendant la crise et la relance, par exemple lors du Ségur de la santé. Mais nous avons financé ces programmes avec des taux négatifs, ce qui signifie qu'ils n'ont pas été réellement financés.

N'oublions pas l'éléphant au milieu de la pièce : notre dette sociale. Le rôle de la BCE a été essentiel à cet égard, avec le quantitative easing, mais celui-ci n'est plus d'actualité.

Faut-il cantonner la dette ? Nous le faisons pour la dette sociale, qui est remboursée par la Cades. Les fruits de la croissance contribuent à hauteur de 250 milliards d'euros au remboursement de la dette, via un programme budgétaire spécifique.

Quelle trajectoire doit-on donner à la dette de demain ? Quel avenir pour la dette écologique ? Cette dernière n'a jamais été sacrifiée sur l'autel de la dette financière ; les crédits en la matière ont toujours augmenté et ce sera encore le cas en 2025.

Nous devrons faire des choix forts pour redresser nos comptes ; je suis sûr que le Sénat formulera des propositions.

À la suite de M. Bilhac, je citerai Pierre Mendès France : « un pays qui ne sait pas redresser ses comptes publics est un pays qui s'abandonne ». (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Michel Canévet, pour le groupe UC .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Jean-François Husson et Emmanuel Capus applaudissent également.) Pour Emmanuel Capus, la croissance de la dette menace notre société. Florence Blatrix Contat a demandé si nous étions au bord du gouffre. Pour Éric Bocquet, on marche sur la dette, et sur la tête.

À cette dette financière, il faut ajouter la dette écologique - Thomas Dossus et Christine Lavarde l'ont évoquée.

Nous voyons qu'il nous faut dégager des marges de manoeuvre pour répondre aux enjeux du monde de demain.

En 2017, nous étions le sixième plus mauvais élève de l'Union européenne. Nous sommes devenus le troisième plus mauvais. Nous ne pouvons pas continuer ainsi.

Certes, les crises sont passées par là, mais elles expliquent seulement un quart de la dette. Le Sénat formulera des propositions ; Jean-François Husson l'a déjà fait. Il serait bon que le Sénat soit entendu ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées des groupes Les Républicains et INDEP)

M. Jean-François Husson.  - En effet !

M. Michel Canévet.  - Ce niveau d'endettement est problématique. Il faut veiller à ce que la dette soit productive. Les collectivités territoriales doivent présenter des comptes à l'équilibre, pourquoi ne pas imposer cette règle aussi à l'État ? Nous devons nous préoccuper de la question des prêteurs. La dette japonaise, bien plus élevée que la nôtre, est détenue par la banque centrale du Japon et les taux d'intérêt sont nuls, ce qui signifie qu'elle ne pèse pas sur le budget de l'État.

Un grand emprunt est peut-être une réponse appropriée, comme l'a suggéré le rapporteur général.

La charge de la dette risque de grever notre capacité à agir. Deux tiers d'économies et un tiers en ressources supplémentaires : voilà les efforts que l'on nous annonce. Nous devrons trouver ces économies, le Sénat sera au rendez-vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Emmanuel Capus applaudit également.)

La séance est suspendue quelques instants.

Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président

Crise agricole

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la crise agricole, à la demande du groupe Les Républicains.

M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce n'est un secret pour personne, l'année 2023 a été plutôt favorable pour les agriculteurs : les cours des céréales, du lait et, dans une moindre mesure, de la viande, ont été élevés. Pourtant, c'est à ce moment-là que les agriculteurs se sont révoltés, qu'ils ont retourné les panneaux d'entrée de ville pour nous dire qu'on marchait sur la tête. Pourquoi une telle révolte ? L'épidémie de maladie hémorragique épizootique (MHE), les retards des versements des aides de la PAC peuvent l'expliquer, entre autres.

Tocqueville l'a écrit dans L'Ancien Régime et la Révolution, le mécontentement éclate dans les périodes prospères : « Ce n'est pas toujours en allant de mal en pis que l'on tombe en révolution. Il arrive le plus souvent qu'un peuple qui avait supporté sans se plaindre, et comme s'il ne les sentait pas, les lois les plus accablantes, les rejette violemment dès que le poids s'en allège. »

Les économistes savent que la crise n'est pas le point bas, mais le point haut ; c'est le retournement, le point de bascule.

L'année agricole qui s'achève a été calamiteuse, et même l'une des plus mauvaises depuis plusieurs décennies : par exemple, le rendement moyen du blé tendre a été inférieur à 17 %. Sans la PAC, nos céréaliers auraient enregistré des pertes de 550 euros par hectare. La pression sur la viticulture s'est encore accentuée.

La multiplication des crises sanitaires, comme la MHE, la fièvre catarrhale ovine (FCO) ou l'influenza aviaire, entraîne des pertes indirectes et directes. Sans oublier l'abandon de certains producteurs de lait par Lactalis.

Si l'on suit l'adage de Tocqueville, il n'y aura peut-être pas de révolte agricole cet hiver. Peut-être... Mais est-ce une raison pour oublier les revendications des agriculteurs et les engagements pris l'hiver dernier ? Résolument, non !

La Commission européenne et les États membres ont temporisé à juste titre sur le Pacte vert ; le groupe de suivi sur la réforme de la PAC a salué cette décision dans une résolution adoptée le 9 avril dernier.

Mais, selon un principe bien connu, c'est à la fin de la foire que l'on fait le décompte. Or il reste beaucoup à faire.

Je citerai quatre chantiers. Le premier concerne les prêts garantis. Alors que les taux d'intérêt sont désormais élevés, cette mesure est prioritaire pour l'agriculture.

Le deuxième chantier a trait à la réflexion lancée par le Gouvernement sur la mise à jour des lois Egalim. Il est nécessaire d'apporter une réponse ; avec Anne-Catherine Loisier, nous travaillons à des propositions en la matière.

Le troisième chantier est celui de la pause sur les normes, comme l'a annoncé Michel Barnier. En février dernier, nous avions organisé un débat sur l'avenir de notre modèle agricole. Avec tous ces carcans administratifs, une vache n'y retrouverait pas son veau ! Le Premier ministre n'est pas le premier à promettre une pause, salutaire au demeurant. Ce ne sont pas les normes qui font pousser les choux ou les céréales, nourrissent les vaches ou remplissent les assiettes des Français !

M. Vincent Louault.  - Bravo !

M. Daniel Gremillet.  - Je regrette que la proposition de règlement sur les nouvelles techniques génomiques n'ait pu aboutir avant le début de la présidence hongroise de l'Union européenne ; nous plaidions pourtant d'agir en ce sens dans une résolution adoptée par la commission des affaires européennes le 20 mars dernier. C'est la dernière chance pour préserver l'indépendance des semenciers dans notre pays !

Lors du débat de février, je soulignais l'importance d'octroyer des perspectives à l'agriculture française. Il faut redonner confiance en l'avenir aux jeunes, leur redonner l'esprit d'entreprendre. Ainsi, nous garantirons la souveraineté alimentaire de la France et l'assurance de bien vivre dans nos territoires ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Vincent Louault applaudit également.)

M. le président.  - Bienvenue au Sénat, madame la ministre.

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Bernard Buis applaudit également.) Ce n'est pas sans émotion que je monte pour la première fois à la tribune du Sénat. Je remercie Daniel Gremillet de ses propos, ainsi que l'ensemble des sénateurs de cette invitation à débattre de la crise agricole et de la ferme France. Le Sénat a envoyé un signal fort au monde agricole. Votre assemblée joue encore une fois son rôle de lanceur d'alerte !

La chambre haute a toujours visé juste sur le sort des territoires et sur la condition des hommes et des femmes qui les façonnent. Élue de terrain moi-même, je souhaite travailler - si j'ose dire, selon une méthode sénatoriale - avec les élus locaux, les députés et vous-mêmes. C'est un véritable pacte de travail que je vous propose aujourd'hui.

J'ai été frappée à mon arrivée par la crise que connaissent toutes les filières agricoles : grandes cultures, élevage, viticulture, industries agroalimentaires, tous souffrent. En outre, les agriculteurs ont le sentiment que les promesses de l'hiver dernier n'ont pas encore été tenues.

Avec le Premier ministre, nous avons souhaité agir immédiatement. Nous avons apporté des garanties pour accélérer l'indemnisation des éleveurs. Pour la viticulture, j'ai obtenu que l'Union européenne valide un dispositif d'arrachage, à hauteur de 120 millions d'euros.

Je travaille sans relâche pour trouver des réponses aux problèmes de trésorerie des agriculteurs et veillerai à ce que les engagements pris l'hiver dernier soient tenus dans le cadre du projet de loi de finances.

Sortir l'agriculture de la crise, c'est aussi lui donner un cap pour attirer les jeunes vers ces métiers.

Nous connaissons les grands défis de l'agriculture, notamment grâce aux travaux parlementaires. Le renouvellement des générations, tout d'abord. Près d'un agriculteur sur deux a plus de 55 ans, le nombre d'exploitations continue de décroître. En cause : le revenu, la surcharge administrative, le manque de considération.

S'agissant du revenu, nous reprendrons les réflexions sur l'évolution du cadre d'Egalim. Avec Laurence Garnier, nous étudions la meilleure façon d'y travailler avec vous, en lien avec votre groupe de suivi.

Ma mission est que l'exploitant agricole, chef d'entreprise, passe plus de temps dans les champs que devant un ordinateur. L'heure est à la pause sur les normes, comme l'a annoncé le Premier ministre. Il faut aussi remettre du bon sens dans la réglementation. Comment expliquer à un agriculteur qu'il ne peut entreprendre de travaux d'épandage au-delà d'une date fixée à Paris, alors qu'il pleut depuis des semaines ?

Ce Gouvernement a pour philosophie d'apporter des solutions rapides aux problèmes concrets.

Il est primordial de rappeler que l'agriculture est d'intérêt général majeur et que la souveraineté alimentaire de la nation contribue à la défense de ses intérêts fondamentaux - comme le Sénat avait souhaité l'inscrire dans la loi dès 2023. L'Assemblée nationale a enrichi et adopté cette proposition dans le projet de loi d'orientation agricole (LOA) qui, sans résoudre tous les problèmes, comporte des avancées essentielles. Aussi, je propose qu'il soit examiné très rapidement par le Sénat, dont les travaux sont ancrés dans la réalité du terrain. Ce texte pourra être complété, le cas échéant sur votre proposition. Je suis prête à y travailler avec vous.

Nous devons aussi répondre aux défis du temps long, penser l'agriculture de demain à l'heure du changement climatique, avec nos voisins européens.

En matière de souveraineté alimentaire, l'année 2025 sera très mauvaise pour les exports, notamment pour le lait et le cognac (M. Daniel Laurent le confirme), tandis que les Français consomment des produits importés sans même le savoir. Nous devrons lutter contre les distorsions de concurrence subies par nos producteurs. Je défendrai le projet européen de clauses miroirs, qui suppose une action internationale résolue. M. Gremillet a évoqué les nouvelles techniques génomiques ; il faudra y revenir. Michel Barnier est un parfait connaisseur des arcanes européens, ce qui sera précieux.

Ma porte sera toujours ouverte à quiconque souhaite faire progresser notre agriculture. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; MM. Michel Masset et Bernard Buis applaudissent également.)

M. Vincent Louault .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Nos paysans, qui ont manifesté en début d'année, vont aujourd'hui encore plus mal. Nous avons un besoin urgent de trésorerie. J'espère à tout le moins que le paiement des acomptes de la PAC sera au rendez-vous le 15 octobre.

Mais la crise est structurelle, comme l'a montré le rapport Duplomb sur la compétitivité de la ferme France. Fiscalité, main-d'oeuvre et surréglementation doivent être adaptées, sinon il faudra augmenter les aides directes européennes.

L'Union européenne est bien naïve : elle troque la préférence communautaire contre des importations à prix bas et aux OGM. Elle a signé un accord de quasi libre-échange avec l'Ukraine, sans droits de douane ni clauses miroirs. Et il est question de signer le Mercosur avant la fin de l'année ! La France aurait-elle changé de position depuis les propos du Président de la République et du Premier ministre en début d'année ? Allez-vous enfin renverser la table et sauver la souveraineté agricole ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Daniel Gremillet applaudit également.)

Mme Annie Genevard, ministre.  - Le paiement des avances de la PAC est attendu au 16 octobre. Mon directeur de cabinet fait un point précis chaque semaine, nous n'avons aucune alerte à cette heure. Je mets un point d'honneur à ce que l'échéance soit respectée. Les derniers arrêtés ont été publiés ce matin. Les montants unitaires sont supérieurs ou égaux à ceux versés à la même date en 2023, avec un léger effet de vases communicants entre aides découplées. Le taux d'avance sera porté à 70 % pour le premier pilier et à 85 % pour l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), soit le maximum permis par la réglementation européenne.

L'ouverture du marché européen à l'Ukraine a affecté les filières du blé, de la volaille et du sucre, avec l'importation de produits ne respectant pas les standards européens. L'accord a été reconduit jusqu'à juin 2025. Un accord de libre-échange est en cours de négociation, intégrant les exigences sanitaires. Il n'y aura pas de réouverture du marché européen sans respect de standards européens. Il s'agit de faire de l'origine un facteur de différenciation visible de nos produits.

L'Union européenne et le Mercosur ont conclu un accord de principe en 2019 mais il n'a jamais été ratifié, et la France n'y est pas pour rien. Mon groupe politique a toujours dénoncé cet accord, et je n'ai pas changé d'avis. Nous continuerons à défendre les clauses miroirs.

M. Vincent Louault.  - La souveraineté agricole n'est pas la souveraineté alimentaire, qui tient compte des importations. J'insisterai sur cette notion cruciale lors de l'examen du projet de loi d'orientation agricole. (M. Pierre Jean Rochette applaudit.)

Mme Annie Genevard, ministre.  - J'entends. Une ancienne présidente de formation syndicale me disait qu'on la regardait avec des yeux éberlués à Bruxelles lorsqu'elle évoquait la souveraineté alimentaire, perçue comme un repli nationaliste. Aujourd'hui, la France n'est plus autosuffisante, or l'alimentation est devenue une arme, on l'a vu avec le conflit russo-ukrainien. Cette souveraineté est nécessaire pour nos producteurs. Et nous n'avons d'ailleurs jamais cessé de défendre la notion de production dans la LOA.

M. Vincent Louault.  - Le projet de LOA, élaboré par les conseillers de l'Élysée plus que par Marc Fesneau, ne promouvait pas la production. Nous ne lâcherons pas, car les agriculteurs sont écoeurés de voir les vendeurs de tracteurs ou de phytosanitaires s'enrichir, et d'être les seuls couillons de l'histoire. Moi-même agriculteur, je comprends leur résignation. Ils n'ont même plus envie de manifester, tant ils sont dégoûtés. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

M. Jean-Claude Anglars .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La rentrée agricole se fait sous haute tension. Situation sanitaire, système assurantiel, prix du fermage, attractivité du métier... Les annonces du précédent Gouvernement à l'issue des mobilisations du monde agricole n'ont pas eu l'effet escompté et la situation pourrait empirer. Au sommet de Cournon, la semaine dernière, nous avons constaté les difficultés de l'élevage, confronté à la FCO et MHE. Vous avez pris le dossier en main.

Le retard pris par l'Agence de services et de paiement (ASP) se répercute sur le paiement des acomptes des aides de la PAC. En Aveyron, entre 300 et 400 exploitations sont concernées. Allez-vous faire en sorte que les délais soient tenus ?

Nous devons avoir de l'ambition pour l'agriculture française. Notre souveraineté alimentaire, notre compétitivité sont en jeu. Il y a urgence à reprendre le projet de loi d'orientation agricole et à fixer un cap et une stratégie de production. Quelles en seront les lignes directrices ?

Enfin, je plaide pour que les bâtiments agricoles soient sortis de la nomenclature des surfaces artificialisées, dans le cadre du ZAN.

M. Vincent Louault.  - Bravo !

Mme Annie Genevard, ministre.  - Je mets un point d'honneur à ce que les aides de la PAC soient versées dans les temps. S'il y a une difficulté en Aveyron, nous nous y pencherons et reviendrons vers vous.

Je mesure les contraintes qui pèsent sur l'activité agricole. L'exercice du métier d'agriculteur est devenu très compliqué, au point que certains en viennent à douter de son sens même.

Il est évident que l'alourdissement des contraintes et la surtransposition attentent à la compétitivité des entreprises agricoles.

Vous demandez une dérogation au ZAN pour les bâtiments agricoles. J'y suis ouverte, ayant souvent entendu cette demande de la part d'agriculteurs empêchés dans leurs projets de construction. Nous avons un peu de temps pour traiter de cette question complexe mais légitime.

M. Bernard Buis .  - Depuis la fin de l'été, la FCO gagne du terrain. Dans la Drôme, plus de 300 exploitations sont touchées, et la mortalité des ovins atteint 25 à 30 %. Il faudra deux à trois ans pour reconstituer les cheptels.

À Cournon, le Premier ministre a annoncé 75 millions d'euros pour faire face à la FCO de sérotype 3, et vous avez annoncé la commande de 11,7 millions de doses de vaccins, pour vacciner 40 % des bovins et 100 % des ovins, ainsi que la prise en charge financière par l'État de la vaccination, ouverte à toute la France. Selon quel calendrier ? Quid du remboursement des vaccins contre la FCO de sérotype 8 ? D'autres mesures collectives européennes sont-elles prévues ?

Il faudrait également garantir le maintien des aides PAC, de l'ICHN et des mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec), souvent liés au nombre d'agneaux vendus.

Des prêts garantis de l'État seront-ils accordés aux éleveurs pour les aider à reconstituer les cheptels ?

Enfin, il faudra tirer les enseignements de cette crise pour éviter que certains dysfonctionnements ne se reproduisent.

Mme Annie Genevard, ministre.  - La FCO est une maladie vectorielle émergente, si elle est de sérotype 3, et endémique, si elle est de sérotype 8. Si le virus est émergent, l'État finance ; s'il est endémique, c'est à la charge des éleveurs - sachant que le sérotype 8 est mutant...

La filière ovine subit un cataclysme, avec un taux de mortalité considérable. Les éleveurs sont au désespoir. La décapitalisation est brutale et pose des problèmes d'équarrissage. Si l'on y ajoute la prédation du loup, c'est l'apocalypse.

Nous disposons de vaccins suffisants pour couvrir la totalité des ovins et une partie des bovins, et j'ai demandé au Premier ministre un fonds d'urgence, car les revenus s'effondrent. Il n'y aura pas de réfaction des aides européennes.

S'agissant de la FCO 8, nous n'avons pas de vaccins disponibles. Le laboratoire français susceptible d'en fournir ne sera pas prêt avant juin 2025 et les laboratoires espagnols n'arrivent déjà pas à répondre à la demande en Espagne... Cette question doit être traitée au niveau européen. Les maladies vectorielles se rient des frontières.

M. Henri Cabanel .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Quelle agriculture voulons-nous pour demain ? Cette question recouvre des enjeux environnementaux, économiques, fonciers, sanitaires, de renouvellement des générations et d'attractivité du métier.

La profession est en danger, tant la lourdeur administrative met en péril la santé des entreprises et affaiblit notre compétitivité. Alors que les charges sociales et les normes environnementales sont plus lourdes qu'ailleurs, les crises, sanitaires, climatiques ou politiques, se succèdent.

Les agriculteurs sont à bout de souffle, à bout de forces. Prédations et épidémies affaiblissent les éleveurs, les rendements des céréaliers sont très faibles cette année, les vendanges catastrophiques.

Le RDSE place l'agriculture au coeur de la ruralité et ne veut pas baisser les bras. Des solutions existent, à commencer par les paiements pour services environnementaux, qui encouragent les agriculteurs à adopter des pratiques vertueuses. Avez-vous prévu des mesures en ce sens dans la future loi d'orientation, qui manque encore de vision stratégique ? (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Annie Genevard, ministre.  - Je veux d'abord vous féliciter pour votre rapport sur les suicides dans l'agriculture.

Je suis très favorable à ce qu'on valorise mieux les externalités positives de l'agriculture : stockage du carbone dans les sols, préservation de la biodiversité, aménagement du territoire, entre autres. Attention toutefois à ne pas réduire les aides au revenu de la PAC.

Le projet de loi d'orientation agricole reconnaît, dans son article 1er, ces externalités positives. Je veillerai à ce que cela demeure.

Il n'y a pas forcément besoin de la loi : des paiements pour services environnementaux peuvent être déployés par des collectivités ou les agences de l'eau. Il faut faciliter ce déploiement. Mon ministère pourra y travailler, y compris avec le sénateur Montaugé.

J'ai beaucoup travaillé sur le sujet de la prédation dans le cadre de l'Association nationale des élus de la montagne (Anem). La semaine dernière, les États membres de l'Union se sont accordés pour un affaiblissement du niveau de protection du loup - ce qui ne signifie nullement son éradication.

Nous travaillons avec la filière viti-vinicole. La ruralité qui ne baisse pas les bras, c'est celle que je connais, que j'aime et que je défends.

M. Henri Cabanel.  - Il faut coconstruire la stratégie avec les filières, car les agriculteurs ont besoin de vision de long terme, non d'une nouvelle loi à chaque nouveau gouvernement.

Mme Annie Genevard, ministre.  - Le projet de loi est pendant : ce n'est pas une nouvelle loi. J'espère qu'elle prospérera au Sénat.

M. Franck Menonville .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Après la météo catastrophique, la propagation de la FCO est un nouveau coup dur pour les agriculteurs. Vingt-deux territoires sont concernés. Le 4 octobre, dans la Meuse, on comptait 507 foyers, contre 188 quinze jours avant. Les conséquences sont dramatiques : pertes directes d'animaux, pertes indirectes de production, frais vétérinaires mettent en péril les exploitations.

Les éleveurs se sont sentis démunis face au manque d'anticipation, tant européen que national. Les réponses apportées par le Gouvernement lors du sommet de l'élevage vont dans le bon sens. Nos agriculteurs doivent être soutenus pour faire face aux surcoûts et reconstituer leurs cheptels. Quelles mesures prendrez-vous et dans quelle temporalité ? Quelles leçons tirer du manque de coordination européenne ? Comment expliquer le retard de la réponse vaccinale française face à une maladie connue et à la propagation fulgurante ?

Mme Annie Genevard, ministre.  - À Cournon, le Gouvernement a annoncé la vaccination contre la FCO 3 pour les ovins et bovins, dans la France entière. Pour la MHE, nous avons retenu la stratégie du cordon sanitaire - qui peut bouger en fonction de l'évolution de l'infection.

Le Premier ministre a annoncé un fonds d'urgence de 75 millions d'euros pour indemniser les éleveurs touchés par la FCO 3. Pour la FCO 8, nous ouvrons le fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE) jusqu'à la fin de l'année.

J'ai souhaité l'instauration d'un comité de suivi des besoins, auquel participent la direction générale de l'alimentation (DGAL), celle de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE), les directions régionales et interdépartementales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Driaaf) et mon cabinet. Pour bien calibrer la réponse, nous devons savoir sur quoi fonder nos calculs, a fortiori dans la situation budgétaire actuelle. Nous verrons s'il faut aller au-delà.

Oui, une stratégie européenne est indispensable. J'ai demandé que le sujet soit mis à l'ordre du jour de la prochaine réunion des ministres de l'agriculture de l'Union européenne.

M. Franck Menonville.  - C'est en effet indispensable. Des moyens importants, y compris satellitaires, sont mobilisés pour contrôler nos agriculteurs : il en faut aussi pour anticiper les crises sanitaires et y réagir rapidement.

Mme Annie Genevard, ministre.  - Oui, il faut bien identifier l'apparition de la maladie. Les vaccins contre la FCO 3 ont été commandés début juillet, dès les premiers foyers. Un mois plus tard, on en comptait déjà 3 700. La croissance est exponentielle, d'où l'importance de capteurs de terrain efficaces.

Cette crise sanitaire ne date pas d'hier ! La FCO existait déjà en 2008, quand Michel Barnier était ministre de l'agriculture. On a connu la FCO 3, le sérotype 8 mutant, la MHE, on parle aujourd'hui du sérotype 1... Sans stratégie européenne d'anticipation et de prévention, nous sommes condamnés à courir après le virus !

Mme Marie-Claude Varaillas .  - Les promesses du précédent gouvernement au monde agricole ont fait les frais de la dissolution. Durant l'été, nos agriculteurs ont subi de nombreux aléas : chute des récoltes de céréales de 23 %, réduction de la collecte de lait unilatérale décidée par Lactalis, baisse de la production viticole de 10 à 16 % par rapport à 2023, et jusqu'à 30 % dans le Gard... Confronté à trois épizooties, l'élevage traverse une crise profonde : la Dordogne a ainsi perdu 24 % de ses éleveurs en dix ans.

Si les récentes annonces sur la vaccination sont salutaires, il est urgent de repenser la gestion des risques et des aléas en agriculture.

Pour garantir la souveraineté alimentaire, il faut donner la priorité à l'approvisionnement des populations locales par des productions locales.

L'échec des lois Egalim impose de changer de logique. Seul un prix minimum d'entrée garantira un revenu digne pour nos paysans.

Les braises de la colère ne sont pas éteintes. Confirmez-vous que le budget de l'agriculture baissera de 9,5 % en autorisations d'engagement, soit 6,8 milliards d'euros, et de 4,5 % en crédits de paiement, soit 6,6 milliards ? Ce serait ouvrir la voie à l'extrême droite qui instrumentalise le désespoir du monde paysan. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Sebastien Pla applaudit également.)

Mme Annie Genevard, ministre.  - Quand je vois les volumes d'eau qui tombent en ce moment, je pense aux producteurs de maïs, notamment. La baisse de rendement est réelle.

La perte de collecte de 450 millions de litres, soit 8 % du lait collecté par Lactalis, est une terrible nouvelle pour plus de 700 éleveurs. Cela va porter préjudice à la vie rurale. Je recevrai le dirigeant de Lactalis très prochainement.

La filière viticole a fait un gros travail d'analyse. Il y a les aléas climatiques, mais aussi les changements de consommation, le vieillissement de la profession... Le programme d'arrachage, demandé par la filière, a été validé au niveau européen pour 120 millions d'euros.

Les productions locales sont très importantes - l'élue de la terre du Comté ne dira pas le contraire ! - mais ne sauraient assurer seules l'autonomie alimentaire.

Sur le prix minimum, nous ne serons pas d'accord : le prix plancher peut être un plafond. Si c'est ce que vous entendez par prix minimum, nous avons là une différence d'approche stratégique. Il faut un prix juste.

Sur le budget, nous vous en dirons davantage jeudi prochain.

M. Daniel Salmon .  - Le 25 septembre, Lactalis a annoncé réduire ses volumes de collecte de 450 millions de litres d'ici à 2030. Avec 300 exploitations concernées, c'est un plan social sans précédent pour la filière, un choc terrible pour les producteurs. L'opacité est totale. Quid des marges et valorisations de Lactalis ? De ses importations ? Quel message, alors que les agriculteurs se battent pour redynamiser le secteur et renouveler les générations !

En Bretagne, Lactalis abandonne les éleveurs bio, à moins qu'ils ne passent en conventionnel ; c'est un chantage difficile à avaler pour eux, qui sont engagés dans des pratiques vertueuses, qui ont adapté leurs prairies, leurs haies, pour, finalement, se faire jeter ! Où est l'humain ?

Il faut régulation publique des marchés, avec des prix rémunérateurs et une répartition des volumes. La stratégie mortifère de Lactalis, dictée par la soif du profit, est celle du marché mondialisé, cher à certains ici : moins-disant social et environnemental, mieux-disant fiscal ! Y apporterez-vous une réponse politique, pour instaurer enfin des règles justes et équitables ? (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Annie Genevard, ministre.  - Le 27 septembre, coup de tonnerre : Lactalis annonce 450 millions de litres de collecte de lait en moins, soit 8 % de sa collecte totale, invoquant son exposition accrue à la volatilité des marchés extérieurs et une meilleure rémunération des producteurs : les prix, au détriment du volume. Cela signifie l'interruption ou le non-renouvellement du contrat et une perte sèche de production, alors même que le marché est porteur, qu'on a besoin de lait en France !

Je suis sensible à la dimension humaine. Pour les éleveurs, c'est une déflagration dans leur vie professionnelle, personnelle, familiale. Le soir même, j'appelais le président de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL). Un député m'a dit chercher des débouchés pour ses éleveurs lâchés par Lactalis. C'est l'état d'esprit de la FNPL : apporter un soutien individualisé. Nous serons à ses côtés.

M. Sebastien Pla .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Deux minutes, c'est peu pour dire la souffrance de la filière viticole. Dans l'Aude, j'entends tous les jours : « Dites-leur à Paris ce qui se passe ici ! Aidez-nous ! » Alors, écoutons-les.

Ludovic, qui qualifie l'arrachage de « plus grand plan social de l'histoire du Languedoc ». Frédéric, qui ne veut pas mettre fin à l'histoire de générations de vignerons. Maxime et Émilie, qui veulent « faire évoluer leur exploitation pour la rendre compétitive » - mais comment investir en période de crise ? Amandine, qui demande comment payer ses charges et ses emprunts quand « tout augmente, sauf le prix du vin ». Lilian, qui souligne que l'outil de production n'est utilisé qu'à moitié, mais amorti à taux plein.

Le destin climatique se joue chez nous, dans l'Aude et les Pyrénées Orientales. C'est pourquoi il faut une exception méditerranéenne. Il pleut moins à Leucate qu'au Sahara ! « Sans eau, pas de vigne, ni de vie », disent Roland et Annie. « La vigne est plus efficace que les canadairs contre les incendies », rappelle Philippe. La loi Evin, inadaptée, empêche Gérard de promouvoir ses vins sur les réseaux sociaux, comme le font ses concurrents américains.

La viticulture ne doit pas subir le sort de la sidérurgie. Ce que nous ne produirons plus en France le sera ailleurs. Sebastien, vigneron et sénateur, vous invite à venir dans l'Aude constater l'ampleur de la crise ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme Annie Genevard, ministre.  - Ce week-end, à Dijon, la France accueille le sommet mondial du vin. En même temps, la viticulture vit un drame, notamment dans votre département, qui manque cruellement d'eau. Je viendrai en Occitanie.

M. Sebastien Pla.  - Dans l'Aude !

Mme Annie Genevard, ministre.  - J'ai réuni les acteurs autour d'une table ronde. Arracher des vignes, c'est arracher quelque chose à notre terroir, à notre identité. Mais ce plan était demandé par la filière. Il y a surproduction et déconsommation. Les Français consomment le vin différemment : moins de rouge, plus de blanc, de rosé, de boissons alternatives. Or la France est peu présente sur l'entrée de gamme. Ces réalités s'imposent, tout comme le changement climatique.

Il faut aussi se battre pour l'arrachage temporaire, car on peut y revenir. Ce sera notre deuxième combat.

Des prêts bonifiés ont été mis en place pour les entreprises viticoles qui peinent à rembourser les prêts garantis par l'État (PGE) durant la crise sanitaire.

M. Daniel Laurent .  - La filière viticole est en crise. La Chine menace nos exportations de cognac et d'armagnac, comme naguère la taxe Trump, dont le moratoire s'achève en 2026. Or nous apprenons que la Chine imposera dès le 11 octobre des droits additionnels de 35 % sur les spiritueux européens, notamment ceux que je viens de citer, en rétorsion aux surtaxes européennes sur ses véhicules électriques. Il est urgent de trouver une solution négociée pour sortir par le haut de ce blocage. Après la manifestation du 17 septembre, attendez-vous à d'autres mobilisations si rien n'est fait.

La filière viticole sollicite l'allègement des démarches administratives, l'alignement de la transmission sur le modèle du pacte Dutreil, l'application du principe « pas d'interdiction sans solution » pour les produits phytosanitaires...

M. Vincent Louault.  - Bravo !

M. Daniel Laurent.  - ... la révision de la moyenne olympique pour l'assurance climatique, une fiscalité permettant une consommation modérée mais accessible, la pérennisation du dispositif TO-DE (travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi) et une meilleure gestion des vignes en friche. Elle souhaite enfin que la France pèse dans la préparation de la prochaine PAC. Il y va de l'avenir et de la survie de notre viticulture ! (Applaudissements sur les travées sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

Mme Annie Genevard, ministre.  - Je salue le président du groupe d'études Vigne et vin du Sénat !

Les mesures de rétorsion chinoises contre le cognac sont préoccupantes. J'espère comme vous l'ouverture de négociations, mais la France est devant un choix difficile, entre la préservation de sa filière automobile électrique et celle d'un des fleurons de son agriculture. On me dit en revanche que l'armagnac est moins exposé, car moins consommé en Chine.

Je recevrai les responsables de la filière lundi. L'interprofession réfléchit à des mesures pour anticiper l'impact d'éventuelles décisions chinoises, sachant que le marché chinois représente 40 % du chiffre d'affaires du cognac. Nous l'accompagnerons dans ces réflexions.

L'Union européenne a annoncé qu'elle contesterait la décision chinoise devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Mme Anne-Catherine Loisier .  - Merci de votre engagement pour nos agriculteurs, madame la ministre.

Les défis intérieurs sont nombreux, les défis extérieurs aussi, à commencer par le Mercosur. Les négociateurs européens sont réunis en ce moment même à Brasilia pour tenter de finaliser l'accord avant le 18 novembre, date du G20 à Rio. La Commission a annoncé le report du règlement visant à lutter contre la déforestation importée, qui était l'un des principaux points de blocage. L'Allemagne a redit sa détermination à conclure l'accord, quelle que soit la position de la France.

Comment faire pour que cet accord ne soit pas conclu sans les fameuses clauses miroirs ? La France dispose en théorie d'un droit de veto, s'agissant d'un accord mixte. Or la Commission envisage de modifier ses règles, et a déjà soumis à majorité qualifiée l'approbation de l'accord Union européenne - Chili. Que comptez-vous répondre ?

Enfin, serez-vous prête à sanctionner les grosses centrales d'achat à l'étranger, comme Everest, qui ne respecteraient pas les lois Egalim ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Henri Cabanel applaudit également.)

Mme Annie Genevard, ministre.  - La France est hostile à la stratégie promue par le Green Deal, notamment la décapitalisation. L'agriculture doit être préservée de toute concurrence déloyale. Nous ne pouvons pas ignorer l'accord de Paris, ni accepter que nos agriculteurs se voient imposer des normes environnementales et sanitaires dont leurs concurrents seraient exemptés.

Il faut donc des clauses de sauvegarde pour protéger les filières qui risquent de pâtir de l'accord avec le Mercosur.

Nous travaillons avec l'Union européenne sur l'approbation des clauses miroirs, pour protéger consommateurs et producteurs. Nous avons recueilli l'accord de l'Allemagne, des Pays Bas, de l'Autriche et de l'Irlande. La France n'est pas isolée. Nous avons fait adopter un protocole annexe à l'accord qui, de fait, le bloque. Impossible de laisser entrer 90 000 tonnes de boeuf, 100 000 tonnes de volaille, 180 000 tonnes de sucre, qui ne respecteraient pas nos exigences.

M. Denis Bouad .  - Mon département du Gard connaîtra en 2050 le climat de l'Andalousie. Si nous n'intégrons pas cette donnée dans la façon dont nous pensons notre agriculture, nous courons à la catastrophe !

Le Premier ministre a annoncé une grande conférence sur l'eau. Sans eau, pas d'agriculture, pas d'agriculteurs. Tous les acteurs doivent être associés à la définition d'une stratégie globale pour un usage raisonné et un juste partage de la ressource.

Le Gard connaît aussi bien les sécheresses que les inondations. Il faut pouvoir stocker l'eau quand elle est excédentaire.

Les aléas se multiplient, les pertes de récolte sont désormais la règle. Dès lors, le principe de la moyenne olympique fait perdre toute attractivité à l'assurance récolte. Il est urgent de réviser le référentiel.

Enfin, il faut reconnaître les spécificités de l'agriculture méditerranéenne -  qui est axée vers la qualité mais qui demeure fragile  - dans nos politiques publiques, via une révision de l'ICHN.

Quelles seront vos orientations sur ces trois sujets ?

Mme Annie Genevard, ministre.  - Sans eau, pas d'agriculture ni d'agriculteurs. Le changement climatique entraîne davantage de sécheresses et d'inondations.

Ma philosophie est simple : quand l'eau coule en abondance, il faut la capter pour la libérer quand elle manquera. C'est du bon sens. Avec les progrès technologiques, il sera possible demain d'irriguer avec moins d'eau, et de développer des plantes moins gourmandes en eau.

En 2022, 93 départements étaient concernés par des restrictions d'eau ; cette année, moins d'une trentaine. Les années ne se ressemblent pas, avec trop d'eau ou pas assez : ce n'est satisfaisant dans aucun des cas.

Voilà pourquoi l'État cherche à anticiper avec l'assurance récolte ; il veut plus de résilience et d'adaptation des filières et favoriser enfin l'accès raisonné à la ressource.

Explorons la piste de la réutilisation des eaux usées, technique que j'ai vue en Israël, et investissons dans l'hydraulique. Un fonds de 20 millions d'euros permet déjà de moderniser les équipements d'irrigation et de stockage.

Le Premier ministre a annoncé la tenue d'une conférence sur l'eau. Je serai à Avignon au salon Med'Agri, où il sera question de l'agriculture méditerranéenne, monsieur le sénateur !

M. Pierre Cuypers .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Louault applaudit également.) La récolte céréalière désastreuse de 2024 a durement frappé les filières végétales. Les rendements sont historiquement bas, alors que nos agriculteurs sont fragilisés par l'inflation et pressurisés par la surtransposition. Ils ont perdu 25 à 50 % de leur production en cinq ans et subissent des pertes de 1 200 euros de l'hectare. La qualité des récoltes est aussi affectée, avec une baisse du taux de protéines et du poids spécifique des céréales.

Cela a des conséquences sur les organismes stockeurs, avec 300 millions d'euros de pertes pour les coopératives et le négoce ; pour les transformateurs, avec 100 millions de pertes pour les meuniers et 10 millions de pertes pour les semouliers, mais aussi des pertes pour les malteurs et les amidonniers ; pour les exportateurs et les transporteurs avec une baisse d'activité portuaire et routière de 60 %.

La baisse des volumes fragilise tout l'écosystème, notamment le financement des instituts comme Arvalis, et ralentit les actions collectives de recherche et développement. Enfin, cela a des conséquences directes pour les agriculteurs qui doivent faire face aux échéances de la Mutualité sociale agricole (MSA) et des impôts.

Le Gouvernement doit soutenir et protéger les agriculteurs, conserver notre compétitivité à l'export et renforcer la résilience de la filière face aux aléas climatiques, sous peine d'une crise frumentaire mettant en péril notre souveraineté alimentaire ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Louault applaudit également.)

Mme Annie Genevard, ministre.  - Vous connaissez parfaitement le sujet. Nous déclencherons l'assurance-récolte pour les grandes cultures, afin que tous les exploitants soient bien indemnisés. Avant la réforme de 2023, les grandes cultures ne bénéficiaient pas du régime des calamités agricoles.

Nous mettrons en oeuvre un dégrèvement d'office des taxes sur le foncier non bâti en cas de perte ; cela représente 4,8 millions d'euros pour la Seine-et-Marne.

Les caisses locales de la MSA pourront octroyer des reports de paiement de cotisations sociales et prendre en charge ces cotisations. Le taux d'avance des aides de la PAC sera rehaussé à 70 % au 16 octobre, soit le maximum autorisé par l'Union européenne ; cela représente un apport de trésorerie important.

Les organisations professionnelles agricoles ont imaginé un mécanisme de soutien intéressant : des prêts bancaires adossés à une garantie d'État. Nous en débattons avec les banques et Bercy, pour que le dispositif soit le plus simple possible. Le Premier ministre l'a évoqué au Sommet de l'élevage et il sera rapidement mis en oeuvre. Nous travaillons aussi à l'anticipation et à l'adaptation au changement climatique.

M. Lucien Stanzione .  - L'agriculture du sud de la France est au bord du gouffre. Nos éleveurs en sont les premières victimes : leur horizon se rétrécit de jour en jour ; avec plus de 4 600 foyers touchés, la FCO et la MHE ne cessent de s'étendre et touchent non seulement les ovins, mais aussi les bovins et les caprins. Face à cette menace, les mesures gouvernementales sont insuffisantes. Le fonds de 75 millions d'euros contre la FCO 3 est loin de couvrir les pertes subies, et notamment les conséquences indirectes comme la stérilité, les avortements et la baisse de production laitière ; quant à la FCO 8, la situation frôle l'abandon ! Les vaccins, pas disponibles avant fin juin prochain, ne sont pas pris en charge...

Il faut indemniser au juste prix chaque bête perdue, chaque bête qui ne verra pas le jour sur la base des indemnisations pour les pertes dues au loup, au minimum 250 euros par bête. Nos éleveurs, déjà fragilisés par les prédateurs, subissent une pression constante qui les conduit droit vers une détresse psychologique alarmante. Un soutien psychologique est indispensable, sans quoi ils seront épuisés mentalement, ou pire. Il ne faut pas de rustines, mais des réponses concrètes et durables.

Le moment est venu de réviser le plan Loup pour répondre aux attentes des éleveurs et aux enjeux environnementaux. Êtes-vous prête pour un plan ambitieux ? Des promesses, oui ; mais surtout, des actes ! À bientôt au salon Med'Agri !

Mme Annie Genevard, ministre.  - La FCO 3 se propage de façon exponentielle. En revanche, je puis vous dire combien la filière ovine se satisfait des mesures prises par l'État sur la vaccination et le fonds de soutien d'urgence de 75 millions d'euros.

M. Laurent Duplomb.  - Sur la moitié de la France !

Mme Annie Genevard, ministre.  - Vous ne pouvez pas parler d'abandon pour les victimes de la FCO 8. Nous allons évaluer les besoins d'indemnisation. (M. Laurent Duplomb proteste.) Nous calibrerons les aides en fonction. Le Fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE) sera mobilisé. Des régions s'engagent également. La gestion de la crise est régionalisée en Espagne -  certes, l'organisation territoriale est différente de la nôtre.

Vous avez raison de parler d'épuisement mental lorsque des bovins sont attaqués par le loup. Les plus solides de nos éleveurs craquent lorsqu'ils découvrent l'état de leurs animaux. C'est un sujet majeur. Le déclassement du statut du loup est prometteur, je l'espère, en matière de prélèvements.

Mme Martine Berthet .  - Voilà plusieurs années que les éleveurs nous alertent sur l'augmentation de la population lupine, fléau pour le pastoralisme. Nous avons accueilli avec satisfaction la récente décision de l'Union européenne d'abaisser le statut de protection du loup. Le comité permanent de la convention de Berne doit adopter cette mesure et la directive Habitats-Faune-Flore doit être amendée en conséquence. Êtes-vous confiante à ce sujet ?

Que pensez-vous du statut de chien de troupeau ? Pouvons-nous espérer une reprise de l'article 16 du dernier projet de loi d'orientation agricole dans le futur projet de loi ?

L'expérimentation de tirs de défense simple pour protéger les troupeaux de bovins, très efficace, pourra-t-elle être généralisée ? Le nombre de bovins prédatés a augmenté de 30 % en Savoie en un an, soit 110 bêtes tuées par le loup.

Vous avez mentionné les compensations pour les pertes directes, mais quid des pertes indirectes ? Elles ne sont pas assez valorisées : 2 millions d'euros, contre 10 millions en réalité ! Et le retard de traitement des dossiers oblige les éleveurs à avancer près d'un an de trésorerie : ce n'est pas soutenable.

Mme Annie Genevard, ministre.  - Le résultat obtenu à Bruxelles est inespéré, et nous nous en réjouissons. Il va être inscrit à la prochaine réunion du comité permanent de la convention de Berne, où l'Union européenne dispose de la majorité qualifiée. J'ai donc bon espoir, mais il faut aussi modifier, à l'unanimité, la directive Habitats qui protège également le loup. Trois pays y sont opposés à ce jour : l'Espagne, le Portugal et l'Irlande ; le travail doit continuer.

Il faut limiter les risques juridiques associés aux chiens de troupeau et réformer leur statut : si le chien cause des problèmes aux promeneurs, c'est l'éleveur qui en est responsable. L'article du projet de loi, amélioré à l'Assemblée nationale, sera maintenu dans le texte.

Le préfet coordonnateur du Plan national loup avait acté le principe d'une expérimentation de la non-protégeabilité des bovins, notamment dans ma région ; nous attendons les résultats et la généralisation du statut.

Mme Christine Bonfanti-Dossat .  - L'agriculteur, acteur économique majeur du Lot-et-Garonne, est très inquiet ; un nouveau mouvement d'ampleur est à redouter. Six mois après les vives préoccupations exprimées, un regain de tension est à constater, comme en témoignent les débats de vendredi dernier à la chambre d'agriculture. M. Masset peut en témoigner.

Les revendications sont connues : gestion de l'eau, revenu des agriculteurs, normes et réglementations, problèmes climatiques affectant les productions de blé, soja, maïs, sorgho, pruneau d'Agen et la vigne. La FCO se propage dangereusement. La profession agricole a l'impression d'être délaissée et se demande si son activité a encore du sens. Sans jouer les Cassandre, le feu couve sous la braise.

Mme Annie Genevard, ministre.  - Je sais combien vous êtes vigilante sur ces sujets. Les parlementaires sont attentifs aux territoires, aux agriculteurs, aux filières, et cela vous donne un statut particulier d'observateurs.

La dissolution, le retard dans la mise en oeuvre des annonces de mon prédécesseur, l'aggravation de la crise climatique - sécheresses, inondations -, la baisse de la production, les inquiétudes sur l'avenir, le devenir du monde agricole en Lot-et-Garonne, le sentiment d'être incompris, nourrissent cette colère, parfois de façon excessive. Mais ces excès sont à la mesure de l'inquiétude : ils ne veulent pas disparaître, je le comprends. Je suis attentive à ce qui se joue sur votre territoire, d'où est partie l'expression d'une profonde colère, à la mesure du désespoir.

Tous les dispositifs évoqués ce soir seront ouverts aux agriculteurs de votre département.

Mme Christine Bonfanti-Dossat.  - Il est temps de rendre son rang à l'agriculture française.

M. Hervé Reynaud .  - Nos agriculteurs sont confrontés à de nombreuses crises, auxquelles il faut ajouter la FCO, qui touche désormais les bovins dans mon département et en Haute-Loire. Les pertes sont énormes : 80 à 90 % des élevages sont touchés, avec la perte d'animaux, des avortements, des problèmes de fertilité, des difficultés d'exportation - l'Espagne, l'Italie ont fermé leurs portes, même avec un test PCR négatif.

La vaccination est le seul remède. Je salue votre annonce de la gratuité des vaccins contre la FCO 3, mais c'est le sérotype 8 qui fait des ravages dans la Loire : 798 foyers sont recensés. Les éleveurs réclament la gratuité des vaccins pour toutes les maladies vectorielles. À l'échelle nationale, 3 800 foyers de contamination sont recensés. L'enveloppe de 75 millions d'euros annoncée par le Premier ministre ne suffira pas ; il faut entre 100 et 150 millions, selon la profession. Je vous invite à venir dans mon département pour le constater.

Le Gouvernement s'engage-t-il à une prise en charge globale de ces dépenses pour stopper la contagion ?

Mme Annie Genevard, ministre.  - La fièvre catarrhale est le sujet du moment. Nous voulons lever les blocages à l'exportation - notre filière d'élevage est exportatrice -, comme nous l'avons fait avec l'Italie, grâce à des tests PCR négatifs et au vaccin. Le ministre espagnol a confirmé la reprise des échanges à ces conditions. Les maladies vectorielles se jouant des frontières, il faut réfléchir à l'échelle européenne : la FCO 3 est venue du Nord, la MHE et la FCO 8 du Sud. Nous sommes toujours en retard d'un vaccin. Il faut travailler à une banque d'antigènes pour des vaccins multicibles, comme l'évoquait mon prédécesseur. Le ministre espagnol souhaite présenter une résolution conjointe lors du prochain conseil des ministres de l'Union européenne. Chacun ne peut se débrouiller seul. En juillet, le problème majeur était la FCO 3, en septembre, c'est la FCO 8... En plus de l'urgence, il faut anticiper et prévenir, c'est indispensable, sans quoi nos budgets nationaux n'y suffiront pas.

M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Un spectre hante la France agricole : la décapitalisation de notre cheptel bovin et ovin, durement touché par les crises sanitaires, qui s'amplifient aujourd'hui.

Ce spectre, c'est le déclin de notre compétitivité et la perte de marchés au sein de l'Union européenne. En 2019, je prédisais que la balance commerciale serait déficitaire : nous y sommes. Ce spectre, c'est aussi celui de la menace sur notre souveraineté alimentaire. Celui, selon les mots d'Éric Thirouin, président de l'AGPB, d'une « véritable liquidation planifiée de l'agriculture française », fruit de la sainte alliance d'une technocratie abrutissante et des dogmes environnementaux.

Madame la ministre, votre programme est-il à la hauteur des périls ?

Je suis favorable à mener à terme le projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture, enrichi de volets sur la souveraineté et la simplification des normes environnementales. Il suffira juste d'enlever les contraintes de l'article 14 sur les haies, fruit du « en même temps » dévastateur de vos prédécesseurs.

Nous ne pouvons pas ne pas traiter les problèmes récurrents qui entravent notre agriculture. La LOA ne répond pas suffisamment aux problèmes rencontrés par les agriculteurs sur le terrain, qui veulent qu'on desserre l'étau normatif et qu'on les sorte des impasses dans lesquels on les a mis, année après année. (M. Pierre Cuypers applaudit.)

J'ai proposé une méthode -  saucissonner et conditionner  - , en quatre temps, pour sortir plus efficacement de cette crise. Premièrement, l'examen du PLF et du PLFSS avec la traduction législative des engagements du précédent Gouvernement : pérennisation des TO-DE, abandon de la suppression de l'exonération sur le gazole non routier (GNR), budget de crise, réouverture de la possibilité de mise en place des prêts bonifiés.

Deuxièmement, il faut adopter un texte législatif de format réduit, concentré sur les principales entraves aux activités agricoles, et apporter plus de souplesse pour l'usage de l'eau et des produits phytosanitaires autorisés en Europe mais interdits, par surtransposition, en France. Il faut mieux encadrer les contrôles, notamment ceux de l'Office français de la biodiversité (OFB).

Troisièmement, et seulement si nous obtenons des avancées tangibles, nous ouvrirons la possibilité de réétudier la LOA.

Quatrièmement, je vous propose d'avancer sur des mesures de simplification par voie réglementaire. Je vous soumettrai une liste de propositions.

Êtes-vous prête à nous suivre dans cette direction ? Les agriculteurs vous attendent pour les sortir du mauvais pas dans lequel vos prédécesseurs les ont mis. Je mettrai un point d'honneur à ne pas les décevoir. Sinon, ce sera sans moi et je ne rapporterai pas la LOA.

Comme le disait Tocqueville, et tous ceux qui sont assis sur les bancs du Gouvernement devraient s'en inspirer, « cet État se veut si bienveillant envers ses citoyens qu'il entend se substituer à eux dans l'organisation de leur propre vie. Ira-t-il jusqu'à les empêcher de vivre pour mieux les protéger d'eux-mêmes ? Le plus grand soin d'un bon gouvernement devrait être d'habituer peu à peu les peuples à se passer de lui. »

Les agriculteurs méditent Tocqueville. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.)

La séance est suspendue quelques instants.

Nécessité de former davantage de médecins et soignants

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la nécessité de former davantage de médecins et soignants, à la demande du groupe CRCE-K.

Mme Céline Brulin, pour le groupe CRCE-K .  - Trouver un rendez-vous chez un généraliste, spécialiste, psy ou kiné est une galère quotidienne face à laquelle nos concitoyens et les élus locaux sont démunis. La mission d'information du Sénat sur l'avenir de la santé périnatale a montré le défaut de sages-femmes et de gynéco-obstétriciens, alors que 40 % des maternités ont fermé en trente ans.

De plus en plus de services d'urgences ferment temporairement, comme à Lillebonne ou Fécamp. Au Havre, les agents sont mobilisés depuis onze semaines pour alerter sur cette situation. Les gouvernements successifs ont réduit le numerus clausus, faisant passer le nombre d'étudiants en médecine de 8 500 en 1971 à 3 500 en 1990.

Cette solution austéritaire est une bombe à retardement. La population a vieilli et le nombre de médecins a diminué à mesure que les besoins augmentaient. Le numerus clausus a été supprimé en 2021 mais la réforme des études de médecine a laissé sur le carreau nombre d'étudiants. Ils sont trois fois plus nombreux à redoubler leur deuxième année ; le taux d'abandon des étudiants en soins infirmiers a doublé en dix ans. Parcoursup et ses choix par défaut y sont pour quelque chose.

En 2022, les ministres de la santé et de l'enseignement supérieur avaient pour objectif d'augmenter de 20 % le nombre d'étudiants en médecine d'ici à 2027, 14 % en odontologie, 8 % en pharmacie... Nous n'y sommes pas : 1 100 places étaient vacantes en pharmacie en 2022, 500 en 2023.

La faculté de médecine de Rouen a augmenté ses capacités d'accueil de 200 % en vingt ans. Mais comment faire plus sans bâtiments ni services universitaires supplémentaires ?

Nous ne pouvons accepter que les internes compensent la pénurie de médecins pour seulement 6 euros de l'heure.

Comme le disait le Premier ministre, le temps est révolu où nous avions peur de former trop de médecins. Il faut partir des besoins des territoires et non des capacités universitaires. Le nombre de médecins repart légèrement à la hausse, de 0,8 %.

Mais les inégalités territoriales se creusent, comme dans l'Eure, où l'on compte 80 médecins pour 100 000 habitants, soit la moitié de ce que l'on trouve dans les départements incluant une métropole. Les praticiens diplômés hors Union européenne (Padhue) sont en première ligne des hôpitaux désertés et connaissent une grande précarité administrative. À quelques jours des épreuves de vérification des connaissances, améliorez leurs conditions de travail et de vie. Le programme Hippocrate, annoncé par le Premier ministre, pour inciter internes français et étrangers à exercer dans les territoires déficitaires, ne doit pas être hypocrite.

Les collectivités territoriales n'ont pas attendu pour financer les logements d'étudiants venus sur leur territoire, accompagner les professionnels qui viennent s'installer, voire financer des postes de chefs de clinique. Mais elles ne peuvent continuer à le faire seules. Selon une étude de la Drees de juin, les médecins en zone rurale ont fait au moins un stage ou fait des remplacements d'au moins trois mois en zone rurale, ou bien y ont vécu pendant leur enfance. Plusieurs facultés proposent de décentraliser la première année des études de santé vers des villes plus petites, comme Pontivy, rattachée à la faculté de Rennes, et Périgueux pour Bordeaux.

Les stages de médecine dans les territoires ruraux doivent être déployés ; c'est une condition pour l'installation future en zone rurale. Il faut démocratiser les études de santé. En effet, plus il y aura de jeunes médecins issus de quartiers populaires ou de zones rurales, moins ils verront d'obstacles à s'y installer.

Des mesures pour orienter les jeunes vers les études de santé sont nécessaires, comme le contrat d'engagement de service public, ou une école normale préparatoire aux études de santé.

L'accès aux soins est une des premières préoccupations de nos concitoyens, qui ne peuvent admettre qu'on ne puisse accéder à un médecin en cas de besoin. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du RDSE ; Mme Nadia Sollogoub et M. Olivier Bitz applaudissent également.)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins.  - Je remercie Mme Brulin d'avoir suscité ce débat.

Nous devons tout mettre en oeuvre pour favoriser l'accès à tous les types de soins. Nous avons encore beaucoup de travail en dépit des réalisations déjà opérées.

La situation actuelle est issue des impensés des d'années précédentes. Nous devons travailler dans une perspective de moyen et long terme, afin d'éviter de nous retrouver dans des situations d'entonnoir à l'avenir. Je suis sûre que ce débat sera d'un grand intérêt.

Mme Corinne Bourcier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Dans de nombreux territoires, il suffit de tenter de prendre un rendez-vous avec un médecin ou d'aller aux urgences pour se rendre compte que nous manquons de médecins.

En 2024, le nombre de médecins est d'environ 237 000, contre 215 000 il y a quinze ans, soit une légère augmentation. Comment ne peut-on pas faire mieux avec plus ?

Tout d'abord, les jeunes médecins recherchent un équilibre entre vie personnelle et professionnelle. Ils ne sont plus prêts à travailler 12 heures par jour, six ou sept jours sur sept.

Le vieillissement de la population, la dépendance, l'explosion des maladies chroniques et des maladies mentales expliquent aussi l'augmentation des besoins.

Les difficultés sont bien connues, parmi lesquelles la surcharge administrative lors d'un arrêt de travail et les nombreux certificats médicaux inutiles demandés.

L'informatique est aussi une source ahurissante de perte de temps : comment expliquer qu'un logiciel unique n'existe pas pour accéder aux différents examens au sein d'un hôpital ? Un urgentiste me disait récemment que pour cinq minutes devant un patient, il devait ensuite passer quinze minutes devant l'ordinateur.

La répartition des médecins sur le territoire est aussi en question : la pédopsychiatrie est par exemple en souffrance. Je salue la décision du Premier ministre de faire de la santé mentale la grande cause nationale de 2025. Il y a quelques mois, le Sénat adoptait une résolution similaire en faveur de la santé mentale des jeunes.

Nous manquons de médecins généralistes et de nombreux spécialistes -  urgentistes, chirurgiens pédiatriques, gastro-entérologues...

Optimiser le temps médical relève aussi de la responsabilité des patients. Il est inacceptable que ces derniers se rendent aux urgences pour un nez qui coule, et y retournent le lendemain pour les mêmes symptômes, alors qu'on leur a donné un traitement pour cinq jours. C'est une réalité, heureusement rare. Il faut responsabiliser les patients, et donc sanctionner les abus.

Il faut revoir les capacités d'accueil des universités, revoir les logiciels, tout comme le dossier médical partagé (DMP), et alléger la charge administrative.

À l'heure de choix budgétaires contraints, parmi toutes les orientations possibles, laquelle est prioritaire pour aider les médecins ? (M. Daniel Chasseing applaudit.)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Votre question est importante : comment faire en sorte que les médecins fassent de la médecine et soignent leurs patients ? Les assistants médicaux, qui leur apportent une aide, existent depuis fin 2019 : nous en comptons 6 700. Plus de 500 000 patients ont trouvé un médecin traitant grâce à ce dispositif.

Les infirmiers en pratique avancée (IPA) peuvent soulager les médecins de certains actes ou d'un temps passé à des actions de prévention. Autant de temps médical libéré !

En effet, chacun a son outil informatique, pas forcément compatible avec celui des autres, des laboratoires par exemple. Tout cela doit être fluidifié.

Mme Corinne Bourcier.  - Des choix importants doivent être faits. Les assistants médicaux sont une solution. Mais il faut s'interroger sur les études de médecine : beaucoup d'étudiants ne peuvent suivre ce parcours et partent à l'étranger.

Mme Corinne Imbert .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie nos collègues du groupe CRCE-K de ce débat. Ce sujet de santé relève aussi de l'aménagement du territoire. Nous avons perdu dix ans, soit le temps de formation d'un médecin.

L'accès aux soins est un enjeu politique majeur. Je me réjouis de l'élan donné par le Gouvernement, notamment grâce au programme Hippocrate. Comme le Premier ministre l'a souligné dans sa déclaration de politique générale, le temps est révolu où nous craignions de former trop de médecins.

J'espère, madame la ministre, que vous vous saisirez des travaux du groupe Les Républicains pour une loi santé. Nous manquons aussi de soignants et de techniciens médicaux tels que des manipulateurs radio.

Je parlerai surtout de médecine générale. Former davantage de médecins, c'est territorialiser les études de médecine, créer des antennes universitaires locales pour renforcer l'accessibilité géographique et financière. C'est aussi revoir la réforme du parcours accès santé spécifique (Pass) et de la licence accès santé (LAS) qui n'est pas appliquée de la même façon partout. Certaines universités ont inventé la LAS 50-50... C'est faire en sorte que la quatrième année d'étude de médecine générale ne soit pas détournée de la volonté du législateur. Il faut veiller à la réalisation de stages en ambulatoire en zone sous-dense en priorité, et non à l'hôpital par dérogation. La qualité d'accueil des futurs médecins doit être au rendez-vous.

Selon la Drees, la médecine générale est à la 42e place des spécialités choisies à l'internat sur un total de 44. Même si le nombre de médecins a légèrement augmenté - 1 672 médecins en plus en 2024  - cela ne répond pas à l'augmentation des besoins avec le vieillissement de la population et les maladies chroniques. Si l'âge moyen des médecins continue de baisser, passant de 48,5 à 48,1 ans, le temps médical diminue.

Depuis la réforme, la filière pharmacie ne fait plus le plein d'étudiants. Après les déserts médicaux, on parle de déserts pharmaceutiques.

Que reprendrez-vous des propositions des Républicains en matière de santé ? Comment allez-vous corriger la réforme des études de santé ? Qu'en est-il des décrets d'application de la loi Valletoux, et de l'élargissement du contrat d'engagement de service public (CESP) ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Corinne Bourcier et M. Raphaël Daubet applaudissent également.)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Avant d'ajuster, nous attendons l'évaluation de la Cour des comptes sur la réforme des études de médecine. Mais je serai très attentive à ce que les principes fondamentaux de la loi -  favoriser la réussite des étudiants et diversifier leur profil  - soient conservés.

Oui, il faut développer les stages en zone sous-dense. Les CHU y envoient déjà leurs étudiants de quatrième année. C'est un enjeu d'irrigation des territoires les plus ruraux.

Pas moins de 34 textes d'application de la loi Valletoux étaient attendus, dont 14 pour le seul article 36 sur les Padhue. À date, 10 décrets ont été publiés, 8 sont prêts, 2 sont soumis à la concertation et 14 ne sont pas encore prêts.

Mme Corinne Imbert.  - Qu'un étudiant en LAS, qui a la moyenne en santé, mais pas dans l'autre matière, ne puisse pas passer en deuxième année est incompréhensible.

Le stage de quatrième année doit se faire dans les territoires sous-dotés. Attention à ne pas dévoyer la volonté du législateur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Solanges Nadille .  - Merci au groupe CRCE-K d'avoir proposé ce débat : cette préoccupation nous rassemble tous. La France fait face à une pénurie croissante de soignants et près d'un Français sur trois vit dans un désert médical.

Le vieillissement des médecins et de la population exige une augmentation de l'offre de soins. Tous les lieux de soins sont sous tension : postes vacants, services saturés, listes d'attente...

La solution la plus évidente est d'augmenter le nombre de praticiens, en formant davantage. Le numerus clausus a été supprimé en 2020 sous l'impulsion du Président de la République. Quatre ans plus tard, on constate une nette augmentation du nombre d'étudiants admis en deuxième année, passant à 10 000 en 2023, à 12 000 en 2025 et à 16 000 en 2027, soit deux fois leur nombre d'avant 2017. Mais cela pose des difficultés logistiques aux facultés, qui doivent s'adapter rapidement.

Tout dépend également de la mise en place d'une politique incitative, voire coercitive, pour que les jeunes médecins s'installent davantage dans les zones sous-dotées.

L'exercice de la pratique médicale a beaucoup évolué depuis les années 1970, avec un temps de travail plus faible. Il faut désormais trois jeunes médecins pour remplacer un médecin qui part à la retraite. La suppression du numerus clausus est un premier pas majeur, mais ses effets se feront sentir surtout dans quelques années.

Une autre solution serait d'aller chercher des praticiens à l'étranger et de faire revenir des Français installés ailleurs. En 2022, on dénombrait 52 000 médecins étrangers en Allemagne, contre 20 000 en France. Je me réjouis que le statut des Padhue ait été amélioré par la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels.

Une plus grande collaboration entre les différents professionnels de santé est également encouragée. Dans la ligne de la démarche du Gouvernement visant à retrouver 15 à 20 millions de rendez-vous chez le médecin dès 2024, seize procédures ont été simplifiées en juin 2024 : les pharmaciens peuvent prescrire des antibiotiques en cas d'angine ou de cystite, les opticiens peuvent renouveler certaines ordonnances de lunettes, une expérimentation permet l'accès direct à un kinésithérapeute ou à un médecin spécialiste. Le nombre d'assistants médicaux passera de 6 000 à 10 000 en fin d'année et les services d'accès aux soins (SAS) ont été généralisés en juin dernier.

Continuer de former davantage de médecins et de soignants, aller chercher les médecins à l'étranger et libérer du temps médical sont autant de solutions complémentaires. Mais il faut aussi une stratégie globale de gestion des ressources humaines. Déterminer le nombre de professionnels à former n'a que peu d'intérêt si l'on ne s'assure pas qu'ils accomplissent les missions attendues. Auditionné en mai dernier, le président de l'Observatoire national de la démographie des professionnels de santé avait souligné la nécessité d'une évaluation des besoins territoriaux.

Nous devons construire ensemble une feuille de route. Le groupe RDPI soutiendra le Gouvernement, avec exigence. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Notre système de santé se restructure progressivement, grâce aux acteurs de terrain.

En médecine, nous sommes passés de 8 700 places avant 2017, à 11 000 aujourd'hui ; en pharmacie, de 3 200 à 3 600 ; en odontologie, de 1 250 à 1 450 ; en maïeutique, de 1 020 à 1 100. La réalité des admissions est bonne en médecine et en odontologie, plus difficile en maïeutique et en pharmacie.

On ne peut décréter arbitrairement qu'il faut 20 000 étudiants, il faut d'abord évaluer les besoins de la population, l'évolution de la consommation des soins, le progrès médical et technologique.

Il faut former assez de médecins, mais pas trop non plus. (Protestations sur diverses travées)

M. Michel Savin.  - On ne sait jamais !

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Trop de médecins, maintenant !

Mme Solanges Nadille.  - On n'en est pas là ! Le groupe CRCE-K a mis le doigt sur un sujet d'actualité.

M. Raphaël Daubet .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Quand on connaît le nombre de villages qui cherchent un généraliste...

M. Michel Savin.  - Et de villes !

M. Raphaël Daubet.  - ... -  j'ai moi-même fermé mon cabinet, sans successeur  - , le thème de ce débat peut sembler presque provocant. Merci au groupe CRCE-K qui nous permet de poser des questions essentielles : les projections démographiques sont-elles suffisantes ? Comment résorber les inégalités territoriales ?

Le manque de professionnels de soins alimente le sentiment de déliquescence et l'angoisse de nos concitoyens. Le numerus apertus n'est pas à la hauteur des enjeux.

On nous annonce que la densité en médecins généralistes augmentera de 23 % d'ici à 2050, soit 172 généralistes pour 100 000 habitants, la densité qui prévalait dans le Limousin en 2012 !

Pour les dentistes, ce sera plus 40 % d'ici à 2050 -  78 praticiens pour 100 000 habitants  - , soit 8 de moins qu'aujourd'hui en Paca...

Or ces prévisions ne tiennent pas compte des facteurs sociétaux et de la baisse du temps médical.

C'est particulièrement inquiétant pour les chirurgiens-dentistes : la moitié des inscrits au tableau de l'Ordre ont des diplômes étrangers.

Plutôt que d'ouvrir le robinet du numerus clausus, on a laissé nos jeunes se former à 10 000 ou 12 000 euros l'année à l'étranger, ce qui exclut les plus modestes...

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Exactement !

M. Raphaël Daubet.  - ... et remet en cause notre souveraineté, car sans les diplômés étrangers, nous sommes incapables de soigner.

Il faut augmenter le nombre de places au concours pour atteindre des seuils de densité suffisants bien avant 2050. La massification est nécessaire, mais insuffisante ; il faut aussi de la régulation, avec une stratégie d'aménagement du territoire -  des options de santé dans les lycées, des stages dans les territoires, des internes dans nos hôpitaux périphériques.

Sage-femmes, kinésithérapeutes, aides-soignants ... Tant de professions de soignants sont en difficulté.

Former des soignants, c'est investir dans l'humain et l'avenir. Madame la ministre, recalibrez vos ambitions ! Nous nous tenons à votre disposition pour vous proposer des solutions concrètes.

Comment comptez-vous vous y prendre ? (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées des groupes SER et UC)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Mon analyse est la même : on a vraiment manqué d'anticipation. Depuis 2017, il y a tout de même eu un rebond avec la suppression du numerus clausus et l'accueil de plus d'étudiants dans les universités. (M. Pascal Savoldelli proteste.)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Pour cela, il faut des locaux, des professeurs, des stages à la hauteur. Cela se met en place avec un temps de latence.

Je suis très favorable à une politique déconcentrée pour les formations, afin de faire connaître les territoires à nos jeunes étudiants.

La loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé de 2019, dite OTSS, a mis en place une planification pluriannuelle du nombre de professionnels à former. Des objectifs nationaux ont été arrêtés à la suite d'une conférence nationale de mars 2021. Il revient ensuite aux universités et aux écoles de maïeutique de déterminer le nombre d'étudiants à accueillir. Avec le numerus clausus on donnait directement un nombre d'étudiants à former. Désormais, l'approche est territoriale, en fonction des besoins de santé. Cela offre plus de latitude aux acteurs locaux. Nous allons travailler sur la feuille de route 2026-2030.

Mme Nadia Sollogoub .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Bruno Rojouan applaudit également.) Vaste débat ! Dans cette situation de pénurie, il serait dangereux d'amalgamer différents problèmes : l'accès aux soins des territoires ruraux, qui pose aussi la question du transport vers les lieux de soins, les généralistes et les spécialistes, les soins de ville et l'hôpital, les soins urgents et les soins programmés, le public et le privé...

Pas moins de 12 000 médecins formés actuellement ne produisent pas autant de temps médical que leurs prédécesseurs des années 1980. En réalité, ils n'en produisent que la moitié. Les infirmiers n'ont jamais été formés en si grand nombre, mais ils n'ont jamais eu une durée d'exercice aussi courte, sans doute usés très vite.

Le report de tâches vers d'autres professionnels de santé est une solution à développer. La réforme des études médicales est une piste. Nous nous réjouissons de l'arrivée, en octobre 2026, des docteurs juniors en zone rurale. Mais tout sera-t-il prêt pour les accueillir dans les meilleures conditions ?

Des passerelles sont-elles à l'étude, pour les jeunes qui sont en Roumanie ou en Espagne, pour un retour en troisième ou quatrième année ? Peut-on redonner la possibilité de réussir le classement de troisième année à ceux qui ont commencé leurs études de médecine à l'étranger ? Pourquoi ne pas favoriser le retour en France des internes, par exemple en contrepartie d'un exercice en zone sous-dense ?

Une exonération totale des cotisations sociales avait été promise aux médecins en cumul travail-retraite. Quand cette disposition sera-t-elle effective ?

Tous ces leviers peuvent être actionnés simultanément afin que plus aucun patient ne se sente abandonné. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Comment faire en sorte que les jeunes médecins soient utiles sur tous les territoires, en particulier les plus en difficulté ? Jusqu'à maintenant, la médecine générale était la seule spécialité à n'avoir que trois années d'internat. La nouvelle maquette des études de médecine prévoit une année supplémentaire.

Nous avons aussi besoin de médecins qui accompagnent les 3 600 docteurs juniors qui pourront ainsi consulter en 2026. Ils pourront aussi aller dans les déserts médicaux, grâce à des incitations. C'est un tournant majeur pour les territoires en déprise.

Les Français qui étudient ailleurs en Europe peuvent bénéficier d'équivalences pour postuler au sein des universités françaises, notamment pour accéder au 3e cycle des études médicales. Ils peuvent aussi signer des contrats d'engagement de service public, mais prendre ainsi la place d'étudiants français : c'est donc à étudier avec finesse.

Mme Nadia Sollogoub.  - Élue de la Nièvre, j'entends dire par les potentiels tuteurs de ces étudiants que leur formation n'est pas opérationnelle, d'où mon alerte.

Quant aux jeunes qui sont en Roumanie, ils toquent à la porte. C'est peut-être l'année idéale pour les faire revenir, dans des territoires sous-dotés. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - Avoir un médecin traitant, obtenir un rendez-vous médical, c'est un parcours du combattant. Les maires ne savent plus à quel saint se vouer.

Dans le Pas-de-Calais, le président de la communauté de communes du Ternois, Marc Bridoux, a rédigé une motion, signée par plus de 90 maires, avec des propositions pleines de bon sens. Je vous invite à y répondre, madame la ministre.

Nous payons la politique de non-formation des quarante dernières années. Il y a urgence à former des professionnels de santé et des paramédicaux.

Le remplacement du numerus clausus par le numerus apertus a augmenté le nombre d'internes en médecine, mais cela reste insuffisant. Il faut revaloriser les carrières, la rémunération et améliorer les conditions de travail.

Le dogme de la réduction des dépenses de santé a fait fuir des milliers de soignants, écoeurés et lessivés.

Le budget que vous déciderez d'octroyer aux universités et au système de santé sera crucial. Mais résistez aux injonctions de Bruxelles, qui vous invite à réduire les dépenses publiques, en abaissant l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). Madame la ministre, les services publics et la sécurité sociale doivent être sanctuarisés, alors qu'Emmanuel Macron a réduit de 5 % les capacités d'accueil de nos hôpitaux !

La répartition territoriale des médecins est également essentielle. L'instauration d'un service médical citoyen d'un an dans les zones sous-denses pour les médecins nouvellement diplômés a été récemment suggérée. Nous y sommes favorables, ainsi qu'à la régulation de l'installation et à la réquisition des médecins spécialistes des cliniques privées pour assurer la permanence des soins.

L'opérateur de télémédecine H4D vient de cesser ses activités, privant les habitants de Seine-et-Marne d'une solution qui avait le mérite d'exister. L'entreprise a empoché 100 000 euros par machine et près de 1,5 million d'euros de crédit d'impôt recherche (CIR). Les élus ont été mis devant le fait accompli et cet argent public a été perdu, pour rien.

Madame la ministre, allez-vous réguler l'installation ? Instaurerez-vous une obligation de participation à la permanence des soins, quel que soit le mode d'exercice ? Comptez-vous augmenter le nombre de professionnels de santé, leurs salaires et améliorer leurs conditions de travail ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER ; Mme Solanges Nadille applaudit également.)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Les moyens en santé n'ont jamais diminué : l'Ondam augmente tous les ans. (Mme Émilienne Poumirol proteste.)

Plutôt que la coercition, nous avons choisi l'incitation et la construction avec les médecins. D'ailleurs, la contrainte ne fonctionne pas en situation de pénurie.

Il existe des voies de contournement, bien sûr : départ à l'étranger, choix d'une autre voie professionnelle, déconventionnement...

Depuis le PLFSS 2022, chaque profession peut inclure des mesures démographiques dans ses négociations conventionnelles avec l'assurance maladie. Ainsi, les chirurgiens-dentistes ont signé un accord le 21 juillet 2023 : à partir de 2025, dans certaines zones du territoire, l'installation ne sera possible qu'à la condition du départ d'un autre chirurgien-dentiste. C'est une première. Je fais confiance au dialogue social.

De nombreux dispositifs ont été mis en oeuvre pour la permanence des soins, y compris avec les médecins du secteur privé.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Votre réponse est éclairante : vous ne voulez aucune solution !

Vous dites que les chirurgiens-dentistes vont instaurer une régulation à l'installation.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Ce sont eux qui le disent !

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Idem pour les pharmaciens. Mais vous ne voulez pas essayer de le faire pour les médecins ! Parce que vous êtes sous le joug de l'Ordre des médecins, qui s'y oppose.

Mais quoi que vous disiez, il faudra le faire. De nombreuses personnes n'ont plus de médecin généraliste depuis un ou deux ans. Sans régulation de l'installation, le problème ne se réglera pas. C'est le serpent qui se mord la queue ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER)

Mme Anne Souyris .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) En ce moment même, plus de 8 000 étudiants de médecine révisent les épreuves dématérialisées nationales qui débuteront dans six jours, pour 7 974 places d'internat, soit 1 510 postes d'internes en moins que l'an dernier. Votre réforme, sous-financée, peu transparente et approximative, met les étudiants en difficulté.

Une enveloppe de 17 millions d'euros avait été prévue pour la financer. C'est sur cette faible somme que reposait l'annonce illusoire de voir s'ouvrir des places supplémentaires, dans des facultés déjà largement saturées. Et l'augmentation du nombre d'étudiants doit aussi s'articuler avec la capacité d'accueil des stages.

Entre 2020 et 2024, seules 1 600 places supplémentaires en deuxième année de médecine ont été recensées, un chiffre comparable à celui de la période 2016-2020.

Changer la sémantique de numerus clausus à numerus apertus ne suffira pas à faire venir les 6 000 médecins généralistes demandés par les maires ruraux, ni à remplir les 30 % de postes de psychiatres hospitaliers vacants, ni à remplacer les 700 médecins généralistes partis à la retraite à Paris en 2023...

Oui, face à la pénurie de soignants, il faudra donner les moyens de former davantage au travers du PLF 2025 et flécher les financements avec transparence.

Des réformes similaires pour les infirmiers, aides-soignants, sage-femmes, pharmaciens, kinésithérapeutes sont nécessaires, car nous manquons de toutes ces professions.

Il faudra de nouvelles écoles normales des métiers de la santé, avec une formation gratuite et rémunérée, accompagnée d'un engagement à exercer dans les zones sous-dotées. Ces écoles augmenteraient le nombre de soignants, éradiqueraient les déserts médicaux, garantiraient l'égalité des chances et revaloriseraient des professions délaissées.

Une formation d'aide-soignant coûte entre 6 000 et 10 000 euros à l'étudiant, pour un salaire inférieur à 2 000 euros en début de carrière. Comment attirer les professionnels du care quand ils doivent payer si cher leurs études ?

Investissons pour la formation des professionnels de santé et pour l'accès aux soins ! (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Je vous l'assure, quelque 11 000 places sont désormais disponibles chaque année, contre 8 700 en 2017.

Certains étudiants, en raison de choix personnels, souhaitent redoubler leur internat pour repasser le concours, d'où la diminution constatée cette année. Mais nous espérons que les chiffres repartiront à la hausse dès l'année prochaine.

Je vois bien ce que représenteraient des écoles normales de la santé, mais je suis plus favorable à des campus santé, où des formations seraient dispensées dans tous les métiers de la santé, de l'aide-soignant au médecin. Les étudiants de l'environnement du care pourraient ainsi mieux se connaître. Nous allons y travailler avec le ministre de l'enseignement supérieur et les organismes de formation, et sortir des silos que nous connaissons aujourd'hui.

Les instituts de formation d'aide-soignant sont majoritairement publics et sont éligibles aux financements prévus pour les organismes de formation. Les régions aident aussi les personnes à financer leur formation.

Mme Anne Souyris.  - Oui, il est possible de se faire financer sa formation par la région, mais cela implique des démarches administratives. C'est un obstacle supplémentaire.

Encore faut-il pouvoir accéder à ces campus ! Les années de médecine sont longues et les internes sont payés à peine deux euros par heure. Si on n'a pas les moyens, on ne devient pas médecin.

Mme Émilienne Poumirol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Merci au groupe CRCE-K d'avoir organisé ce débat.

Je relève que vous êtes ministre de la santé, mais aussi de l'accès aux soins : c'est une lueur d'espoir.

Plus de 6 millions de personnes, dont 800 000 patients en affection de longue durée (ALD), n'ont pas de médecin traitant : la promesse d'égalité dans l'accès à la santé est brisée pour de nombreux Français.

Les maires tirent la sonnette d'alarme, partout sur le territoire. Dans les Côtes-d'Armor, des dizaines de maires ont pris des arrêtés mettant l'État en demeure d'établir un plan d'urgence pour l'accès à la santé, au nom du respect de la dignité de la personne humaine.

La mise en place du numerus clausus en 1970 est la cause principale de la pénurie actuelle. Le numerus apertus tient certes compte des besoins des territoires, mais aussi des capacités d'accueil des universités. En 2019, 9 571 étudiants ont été inscrits en deuxième année, en 2022, 11 300, en légère progression.

Mais la demande de soins est croissante, du fait de l'augmentation de la population, de son vieillissement et des lacunes de la prévention.

En 2015, une étude de la Cnam a montré que chaque année, 25 % des médecins diplômés décidaient de ne pas s'inscrire à l'Ordre des médecins.

Entre 2017 et 2022, on compte 11 % de médecins généralistes en moins. Ce chiffre est de 17 % pour les gynécologues, 19 % pour les dermatologues, et 6 % pour les psychiatres. La santé mentale a été érigée en priorité de l'action gouvernementale : avec quels moyens ?

Il faut tenir compte de l'évolution des pratiques médicales, des mutations de la société, et des besoins des territoires, et mettre en oeuvre une politique budgétaire appropriée. Décréter un chiffre serait trop simple, il faut aussi des moyens.

Or les capacités des universités sont contraintes : elles manquent de moyens matériels et d'enseignants. On compte un enseignant pour 86 étudiants en médecine générale, contre un pour 10 dans les autres spécialités. Il faut donc augmenter les moyens des universités.

Il faut aussi augmenter et diversifier les lieux de stage de médecine, notamment en zone sous-dense, former plus de maîtres de stage universitaires, voire obliger tout nouvel installé à devenir maître de stage universitaire.

Selon la Drees, l'origine sociale des médecins est un facteur déterminant de leur lieu d'installation : s'il est originaire d'un milieu rural ou qu'il y a été scolarisé, le médecin a deux fois plus de chance de s'y installer.

La région Occitanie a créé dès le lycée une spécialité santé : cette initiative mériterait d'être généralisée. Des antennes universitaires délocalisées peuvent aussi être déployées. À Nevers, une trentaine d'étudiants suivent à distance leurs études de médecine.

La France souffre aussi d'une pénurie d'infirmiers et d'aides-soignants, liée à la dureté des conditions de travail. Quelque 200 000 infirmiers diplômés n'exercent plus et 25 % des élèves infirmiers abandonnent leurs études. On compte seulement 630 000 infirmiers en exercice...

La Dares prévoit que le métier d'aide-soignant est celui qui verra ses besoins en recrutement augmenter le plus fortement d'ici à 2030, or le nombre de jeunes diplômés couvrira moins des deux tiers des besoins.

Nous devons former plus de soignants, mais travailler aussi sur l'organisation de l'exercice médical, notamment en équipes de soins pluriprofessionnelles de premier recours, pour mettre fin aux inégalités.

Face à cette situation, que les Français vivent comme un déclassement, faire appel aux médecins retraités ne suffira pas. Ils sont déjà 15 000 à exercer au-delà de l'âge légal de la retraite.

Investissons dans l'avenir et dans l'humain !

Comptez-vous mettre en place ces équipes pluridisciplinaires de premier recours ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Un plan a été lancé en 2023 pour trouver des médecins traitants pour 240 000 patients en ALD. Il reste du travail -  472 000 patients sont encore sans médecin traitant  - , mais les choses avancent.

L'exercice pluridisciplinaire permet d'attirer des confrères. Travailler ensemble, ce n'est pas la même chose que de travailler en solitaire.

Nous faisons du soin, mais pas assez de prévention : primaire, sur les modes de vie, comme secondaire, pour les malades. Cela peut être développé dans les maisons pluridisciplinaires, notamment grâce aux infirmiers en pratique avancée. C'est un objectif pour les années à venir.

Mme Émilienne Poumirol.  - Seulement 3 % du budget de la sécurité sociale est consacré à la prévention ; cela montre que nous sommes restés axés depuis trop longtemps sur le seul curatif.

Le travail conjoint entre les professionnels de santé - aides-soignants, kinés, dentistes, pharmaciens - est très important. C'est attractif pour le jeune médecin qui souhaite s'installer.

Y a-t-il une solution simple à un problème si complexe ? Je ne le crois pas...

M. Bruno Rojouan .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Former davantage de médecins ? C'est nécessaire. Davantage de soignants ? Plus encore. Mais comment faire en sorte qu'ils s'installent dans les territoires qui en ont le plus besoin ? Comment utiliser leur formation comme un levier de résorption des inégalités territoriales d'accès aux soins ?

Rapporteur d'une mission d'information sur les disparités territoriales de l'accès aux soins, j'ai entendu récemment nombre de propositions : faire évoluer la sélection des médecins pour favoriser les étudiants issus de zones sous-dotées, comme la ruralité ou les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Or ces étudiants sont les plus enclins à s'y installer. Pourquoi ne pas définir des taux minimaux d'étudiants issus de ces territoires, comme c'est déjà le cas pour les boursiers ? Ce serait plus efficace que le très cher CESP, dont les résultats sont insuffisants.

Par ailleurs, il faut mener un choc de territorialisation de la formation. Les professionnels de santé s'installent souvent à proximité du lieu de leurs études. Lançons donc un plan d'urgence pour ouvrir de nouvelles antennes de faculté de médecine, sur le modèle de ce qui a été déployé en odontologie en 2021, qui a déjà porté ses fruits. Ce même modèle doit s'appliquer aux stages, trop CHU-centrés. Ceux-ci doivent s'exercer en médecine de ville, notamment au sein des maisons de santé. Faire venir les jeunes dans les territoires sous-dotés est l'une des clefs. Un tel changement de logiciel suppose d'instaurer des indemnités de logement et de déplacement suffisantes.

Enfin, il faut lever le tabou de la régulation des installations. La situation actuelle est le résultat de décennies d'incitations financières. Or le bilan est sans appel, avec un accroissement des inégalités et 6 millions de Français sans médecin traitant. Cessons de gaspiller l'argent public !

Une régulation pourrait être instaurée pour les étudiants à l'issue de leur formation. Je suis favorable à de telles évolutions. La profession pourrait prendre des décisions de régulation ; le législateur n'interviendrait qu'en dernier ressort.

Madame la ministre, comptez-vous soumettre les études de santé à un véritable choc ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Oui, nous devons évoluer. Certaines universités prônent déjà des évolutions : je suis profondément convaincue de l'importance des stages dans les territoires. Il faut amplifier ce dispositif ; travaillons sur ce sujet avec le ministre de l'enseignement supérieur.

L'important est de sortir des CHU, au profit de stages en maison de santé, dans des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), continuons à former des maîtres de stage - 25 % en plus ont été formés récemment. Ne soyons pas « empêchants », si je puis dire, mais des « facilitants » ! Je ne puis qu'être d'accord avec ce que vous avez proposé.

Les chirurgiens-dentistes ont fait des propositions en matière d'installation. Incitons les professionnels à se les approprier.

M. Bruno Rojouan.  - J'apprécie vos propos, madame la ministre. Mais vos réponses relèvent du moyen voire du long terme. Or les Français attendent une réponse immédiate. Dans les territoires, deux professions sont encore très présentes : les infirmiers et les pharmaciens. Déléguez-leur donc plus de compétences, en attendant d'avoir plus de médecins.

Mme Brigitte Devésa .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Frédérique Puissat applaudit également.) Nul doute, notre pays est confronté à une crise aiguë : le manque de médecins. Dans les territoires ruraux ou les quartiers populaires, l'accès à un médecin relève du parcours du combattant : il faut attendre plusieurs semaines pour voir un généraliste, plusieurs mois pour un spécialiste.

Le législateur a pris conscience de l'ampleur de cette crise, et a supprimé en 2019 le numerus clausus, qui étouffait l'offre médicale en France. Nous avons donc mis en place un numerus apertus, réforme dont les effets ne seront constatés que dans plusieurs années -  former un médecin prend du temps.

À court terme, le Gouvernement a délégué de plus en plus de tâches aux autres professionnels de santé, comme l'administration de vaccins par les infirmiers ou le renouvellement d'ordonnances par les pharmaciens pour les maladies chroniques, notamment. Attention, tout de même : on peut déléguer, mais cela ne doit pas mordre sur le temps médical. Poser un diagnostic est une compétence qui ne se délègue pas. (Mme Marie Mercier renchérit.)

De plus, les infirmiers et les aides-soignants sont eux-mêmes en sous-effectif et épuisés ; leur charge de travail s'alourdit considérablement. Cela pourrait nuire à la qualité des soins qu'ils prodiguent. Nous ne pouvons faire peser tout le poids de la crise sur les épaules des soignants. Certes, cette solution permet de tenir dans l'immédiat, mais il faut trouver d'autres solutions.

Nous devons ainsi former davantage de médecins. Se pose néanmoins la question du nombre de places disponibles dans les facultés de médecine : le numerus apertus vise à ce que le nombre d'étudiants admis soit cohérent avec la capacité d'accueil de chaque faculté. Pour accueillir plus d'étudiants, il faudrait plus de moyens ; or la situation de nos finances publiques ne semble pas nous le permettre.

La médecine est un art qui se transmet. Or, sous l'effet des départs à la retraite, le nombre de médecins expérimentés diminue. Comment réussir à former en nombre suffisant une nouvelle génération de médecins compétents ?

Madame la ministre, ce Gouvernement aura une double responsabilité : à long terme, trouver les moyens humains et financiers pour former une nouvelle génération de soignants, et, à court terme, imaginer des solutions innovantes pour répondre dès maintenant au manque de médecins. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Oui, nous manquons de médecins et aussi d'infirmiers, même si beaucoup ont été formés ces dernières années ; ce métier redevient attractif dans les hôpitaux (Mme Anne-Sophie Romagny en doute.)

L'autre problème, c'est l'organisation territoriale. Il faut des médecins pour poser les diagnostics, mais la complémentarité entre médecins, infirmiers et aides-soignants est nécessaire. Pouvoir évoluer en tant qu'aide-soignant vers le métier d'infirmier, d'infirmier vers des pratiques avancées - et pourquoi pas reprendre des études de médecine - voilà ce qui garantit également l'attractivité de ces professions !

Certains territoires connaissent des difficultés, mais les organisations locales construites avec les élus sont remarquables, notamment pour régler la question des soins non programmés. En Creuse, l'association Médecins solidaires réalise un travail formidable : chaque semaine, un médecin différent s'y déplace.

Restons toutefois modestes, les ressources humaines manquent.

Mme Brigitte Devésa.  - Le problème des soignants ne date pas d'hier. Cessons d'en parler et passons aux actes ! Je compte sur vous, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Anne Ventalon . (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La formation des soignants est une préoccupation phare de notre société ; les maux dont souffre le corps médical sont bien connus. C'est une ALD qui perdure au sein de notre société. Pourtant, les prémisses d'une rémission se dessinent : 1 672 médecins supplémentaires sont entrés en fonction en 2024, soit une augmentation de 0,8 % par rapport à 2023. Pourtant, les déserts médicaux progressent. Dans mon département, l'Ardèche, 35 000 personnes n'ont pas accès à un médecin traitant.

La catastrophe quotidienne aurait pu être évitée, si tout d'abord le numerus clausus avait été supprimé plus tôt ! Nous savons que les effets de la réforme du numerus apertus ne se feront pas sentir avant 2030, date de la fin des études de la première promotion. Elle aurait pu être évitée, ensuite, si notre offre de soins n'était pas centrée sur l'hôpital : cela accroît une répartition inégale de l'offre sur le territoire. Face à ce fléau qui gangrène nos communes, les élus locaux ont été inventifs, avec la création de maisons de santé pluriprofessionnelles ou le recrutement de personnel déchargeant les médecins de tâches administratives, notamment.

Malheureusement, ces dispositifs ne suffisent pas à régler le problème. Écouter les propositions de la Haute Assemblée aurait permis un gain de temps considérable. Le 18 octobre 2022, nous avons adopté la proposition de loi de Bruno Retailleau visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale.

Ce texte visait à créer une quatrième année d'internat, pour inciter les jeunes médecins à effectuer leur dernière année de formation dans des zones sous-dotées, en cabinet médical, en maisons de santé, avec une rémunération à l'acte. Quoique dénaturée, la mesure a été retenue dans le PLFSS 2022, et la première promotion a fait sa rentrée en 2023. Quel bilan en tirer, madame la ministre ? Comment assurer le déploiement rapide des assistants médicaux, des 2 000 nouvelles maisons de santé et des bus santé promis par le Premier ministre ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - La création de cette quatrième année a pour objectif d'inciter les jeunes médecins à exercer dans des territoires en difficulté -  c'est l'une des solutions. Il faut des maîtres de stage pour former les internes - on en compte 25 % de plus, je l'ai déjà dit -, mais il faut faire encore davantage, pour développer les possibilités d'accueil de jeunes dans tous les territoires.

D'autres solutions ont été avancées : des infirmiers en pratique avancée, la télémédecine... Aussi longtemps que nous n'aurons pas davantage de médecins sur le terrain, au moins jusqu'en 2030, nous rencontrerons des difficultés.

Aidons les élus locaux, qui sont très inventifs : accompagnons les maisons de santé et augmentons le nombre de professionnels de santé qui y exercent.

M. le président.  - Je vous invite à conclure le débat, madame la ministre.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins .  - Notre débat, très intéressant, traduit l'inquiétude qui émane de nos territoires : quand vous parlez des déserts médicaux, je sais de quoi vous parlez, je viens d'un territoire rural, mais il en existe aussi dans les zones urbaines. Le sujet est vaste et varié.

La France est confrontée à la raréfaction des ressources humaines médicales et non médicales. Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), il manquera 10 millions de professionnels de santé à l'horizon 2030, car les besoins de santé seront supérieurs à l'offre ; en outre, la répartition des professionnels entre les différents offreurs de soins n'est pas équitable.

Toutefois, nous constatons des signes encourageants ces derniers temps en France. Selon la Fédération hospitalière de France (FHF), l'attractivité des métiers hospitaliers a augmenté en 2023, ce qui signifie que l'amélioration des conditions de travail a porté ses fruits. Ainsi, le taux d'absentéisme s'élève à 9,5 %, contre 11,1 % en 2022.

Les métiers de la santé ont été les plus demandés sur Parcoursup en 2024. Afin de répondre aux besoins de nos concitoyens, le Gouvernement a augmenté les places disponibles en formation. La suppression du numerus clausus en 2021, remplacé par le numerus apertus, a conduit à l'augmentation considérable du nombre d'étudiants en médecine, au nombre de 11 000 chaque année. Pour l'odontologie, la progression est de 15 %, pour les infirmiers et les aides-soignants, le nombre de places offertes a augmenté de 20 % depuis 2019.

L'effet de ces mesures prend du temps à se faire sentir, car la durée des formations médicales est longue.

Nous devons repenser notre système de santé à partir des métiers ; la refondation du métier d'infirmier est à cet égard une priorité, un projet de loi sera prochainement examiné par le Parlement.

Les métiers et les organisations sont en pleine évolution. Je sais pouvoir compter sur vous pour accompagner ces changements. (Applaudissements sur quelques travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Céline Brulin, pour le groupe CRCE-K .  - Des pistes et chantiers méritent d'être ouverts à l'issue de ce débat. Nous sommes quasiment unanimes sur l'ensemble des travées : il faut fournir un effort important en matière de formation des médecins.

Madame la ministre, pour le Gouvernement actuel, en recherche permanente de majorité, voilà une majorité toute trouvée !

Certains disaient que si le système de santé était mieux organisé, nous y arriverions mieux. Certes, mais nous devons lancer un chantier de formation. Nous ne sommes pas encore au niveau de l'effort nécessaire, en dépit de la suppression du numerus clausus.

Les professionnels de santé doivent venir de toute la société et de tous les territoires -  c'est ce que j'appelle la démocratisation. Or les étudiants sont toujours issus des mêmes catégories sociales. Là encore, nous ne sommes pas au niveau de l'effort nécessaire. Pourtant, les jeunes sont intéressés par ces formations -  sur ce point, je vous rejoins, madame la ministre.

En revanche, la situation n'est pas le fruit d'un impensé, comme vous l'avez dit, mais de la théorie selon laquelle la baisse du nombre de médecins diminuerait les dépenses de santé ! (Mme Émilienne Poumirol applaudit ; Mme Anne-Sophie Romagny renchérit.) Aujourd'hui, nous devons dire avec force que non, il n'en est rien.

Nous ne pouvons pas pousser les murs de nos universités, nous disent nos rapporteurs généraux. Pourtant, c'est ce que nous devons faire. La politique de santé du pays ne saurait être guidée par le nombre d'offres de stages et par la superficie des universités. Nous le rappellerons à votre homologue de l'enseignement supérieur, car c'est une responsabilité partagée.

Nous n'avons pas évoqué la médecine scolaire, les soins palliatifs, la médecine du travail, autant de domaines sinistrés. Toutes les propositions méritent d'être creusées.

Sur les docteurs juniors, j'émets un bémol : on ne peut demander uniquement aux jeunes d'aller dans les territoires difficiles. C'est la même chose dans l'éducation nationale ; pourtant, les plus expérimentés devraient parfois être sollicités. Il faut aller vers une régulation de l'installation. Il ne faut pas seulement plus de médecins, mais aussi en avoir là où nous en avons besoin ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)

La séance est suspendue à 20 h 05.

Présidence de M. Loïc Hervé, vice-président

La séance reprend à 21 h 35.

Conférence des présidents

M. le président.  - Les conclusions adoptées par la Conférence des Présidents réunie ce jour sont consultables sur le site du Sénat.

En l'absence d'observations, je les considère comme adoptées.

Situation des urgences pendant l'été 2024

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la situation des urgences pendant l'été 2024, à la demande du groupe SER.

Mme Annie Le Houerou, pour le groupe SER .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Solanges Nadille applaudit également.) Au travers de ce débat, le groupe SER souhaite prendre la mesure des difficultés structurelles affectant notre système de santé et interroger le Gouvernement sur les solutions pour que chacun ait accès partout aux urgences. Malgré les réformes amorcées à la suite de la mission flash de François Braun en 2022, l'été 2024 a confirmé une aggravation des difficultés, chaque année.

Des patients passent de longues heures sur des brancards, les soignants épuisés ne peuvent prendre de congés. Cette situation, illustrée tristement par le « mur de la honte » du CHU de Brest -  qui recense 130 patients de plus de 75 ans ayant passé plus de douze heures sur un brancard  - est indigne de notre système de santé, de notre service public, de notre République.

L'arrêté du 2 juillet 2024 apporte une solution transitoire et partielle. Il désengorge les services en priorisant les urgences vitales, mais quid des autres urgences ? L'offre de soins en ville à cette fin n'existe souvent pas. Les professionnels de santé nous alertent sur des prises en charge trop tardives, mettant en danger les patients.

Selon le Samu, la tension sur les lits d'aval a augmenté encore cet été. Pas moins de 84 départements ont été affectés par des fermetures d'urgences, ponctuelles ou continues, augmentant l'activité dans d'autres établissements, déjà sous pression.

Qu'avez-vous fait ? Réguler, filtrer, mutualiser, dégradant au passage la prise en charge, notamment pour les plus vulnérables, qui n'ont pas d'autres recours que les urgences.

Cette situation des urgences reflète une crise plus large, celle de notre système de santé publique, qui souffre d'un manque de soignants et de moyens structurels.

La mission Braun avait pourtant esquissé des pistes : régulation médicale, création des services d'accès aux soins (SAS), renforcement des assistants de régulation, télémédecine, meilleure rémunération des gardes, entre autres. Mais ce sont des pansements sur une plaie béante.

En juillet dernier, la Cour des comptes a publié des données accablantes, notamment sur le recours à l'intérim médical, en hausse de 25 %. Les dépenses liées au temps de travail additionnel ont doublé, et atteignent 402 millions d'euros. Les emplois des praticiens contractuels ont augmenté, pour un coût total de plus d'un milliard d'euros.

Qu'en est-il du bilan de l'application de la loi Rist sur les dérives financières de l'intérim ?

Le déficit des hôpitaux publics pourrait atteindre 2 milliards d'euros en 2024 ; quelles mesures comptez-vous prendre ?

En janvier dernier, le Président de la République voulait « régulariser nombre de médecins étrangers qui tiennent à bout de bras nos services de soins ». Les Padhue exercent sous un statut d'interne très peu rémunéré. Alors que de nombreux services d'urgence ne pourraient fonctionner sans eux. Ces médecins vivent dans une précarité financière ou administrative et doivent renouveler chaque année -  voire tous les six mois  - leur autorisation de séjour ; parfois, ils bénéficient de récépissés valables trois mois. Quand comptez-vous les régulariser pour leur donner, ainsi qu'aux équipes d'urgentistes, de la visibilité ?

La même urgence s'impose pour les étudiants français ayant fait leurs études à l'étranger. Nous ne pouvons pas nous priver de ces compétences. Quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il pour les rapatrier ou éviter leur départ ?

Cet été, le système d'urgence était à deux vitesses : des moyens exceptionnels ont été déployés pendant les jeux Olympiques, alors que les fermetures d'urgences se sont multipliées ailleurs en France.

L'AP-HP s'est félicitée de la robustesse du dispositif de prise en charge des athlètes et du public, avec 370 lits supplémentaires. Nous nous réjouissons de ce succès, qui démontre qu'avec une organisation adéquate et des moyens appropriés, le système fonctionne, et fonctionne même très bien !

Notre système est en sursis. Cessons de le rafistoler avec des solutions de court terme !

Depuis la prévention et la médecine de ville jusqu'à l'hôpital, il faut recréer un maillage cohérent, et redonner aux soignants les moyens de travailler correctement, en lien avec les collectivités territoriales, en première ligne pour répondre aux besoins de nos concitoyens.

La situation n'est plus tenable. Remettons la santé publique au coeur de nos priorités.

Selon Virginie, infirmière dans mon département, « l'accès aux services des urgences oblige les pompiers et les ambulanciers privés à des trajets bien trop importants. Ces prises en charge sont indignes. Les médecins intérimaires doivent être réaffectés sur des postes vacants. Nos maternités ferment, la mortalité infantile augmente, nos anciens ont des fins de vie inacceptables ». Tout est dit. Que lui répondez-vous ?

Quelle organisation des soins pour une fluidité d'accès entre la ville, les urgences et l'hôpital ? Quelles mesures pour anticiper l'été 2025 et limiter les fermetures temporaires ou durables dues, entre autres, à un manque de personnel ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Solanges Nadille applaudit également.)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l'accès aux soins .  - Je vous remercie de me donner l'opportunité de débattre de la situation des urgences. J'ai pris mes fonctions le 21 septembre, dernier jour de l'été. Mais je tâcherai de répondre à vos questions le plus précisément possible, et suis, bien sûr, à votre écoute.

Quelques chiffres, d'abord : la fréquentation des urgences a été relativement stable entre l'été 2023 et l'été 2024, avec une augmentation des passages de 1 %. Le système de santé s'est organisé par rapport à 2022, grâce à une plus grande anticipation, à la coordination des ARS, aux mesures de soutien du Gouvernement, et à la mobilisation des professionnels de la ville, de l'hôpital et des élus locaux.

L'impact des jeux Olympiques et Paralympiques sur les hôpitaux à proximité des sites de compétition a été restreint.

Cependant, cela masque des situations très diverses. Les représentants des urgentistes nous ont alertés : une cinquantaine d'hôpitaux ont été confrontés à des tensions importantes à partir d'août, et une dizaine ont déclenché le plan blanc. Notre pays compte 620 services d'urgence et certains sont sursollicités durant l'été par les touristes, d'autant que les périodes de congé annuel engendrent des manques d'effectifs. Mais, partout, des solutions ont été trouvées.

Des initiatives locales ont stabilisé les organisations, en s'appuyant sur tous les acteurs du système de santé, dont je salue le professionnalisme.

La communauté hospitalière s'est organisée. Les médecins des urgences, les personnels d'accueil et d'orientation, les personnels administratifs se sont engagés et ont reporté voire annulé leurs congés.

Les difficultés rencontrées s'expliquent par des problèmes structurels, notamment l'augmentation du nombre de passages aux urgences. L'activité de ces services a augmenté de 3 % par an depuis 1996. Depuis 2019, le nombre de passages aux urgences est resté stable en dehors de la période du covid, autour de 21 millions de passages par an, contre 10 millions en 1996. Cette augmentation s'explique par le vieillissement de la population, la progression des maladies chroniques, l'augmentation des soins non programmés.

Au-delà de la gestion estivale, nous devons ajuster nos organisations pour anticiper les périodes de tension.

De nombreuses réformes ont été engagées, notamment par le ministre Braun. Depuis 2017, les gouvernements successifs ont augmenté tous les ans l'Ondam.

Le sous-objectif des établissements de santé a dépassé les 100 milliards d'euros, contre 80 milliards d'euros en 2017. Cette année encore, l'Ondam augmentera de 2,8 % - soit 9 milliards d'euros de plus qu'en 2024.

M. Mickaël Vallet.  - C'est l'inflation !

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Une politique d'attractivité des métiers sans précédent a été menée. Le Ségur de la santé a lancé des mesures historiques. La revalorisation du travail de nuit et durant le week-end a été pérennisée.

L'entrée en vigueur progressive de la réforme des autorisations de la médecine d'urgence du 29 décembre 2023 permettra de lutter contre l'engorgement des urgences ; elle offrira plus de souplesse aux services. Je pense notamment à la création d'antennes de médecine d'urgence à la main des établissements, à l'intégration de la paramédicalisation des SMUR dans la réponse à l'urgence, mais aussi à la possibilité de régulation à l'entrée des urgences ou à la réorientation vers les médecins de ville des patients qui ne relèvent pas de la médecine d'urgence. Ces mesures, très attendues des acteurs de terrain, sont accompagnées de guides pour leur mise en place.

Le déploiement des services d'accès aux soins (SAS) est aussi important. À toute heure, les citoyens doivent pouvoir trouver une réponse pour des soins non programmés, par un simple appel téléphonique. Une meilleure organisation du système de soins soulage les services d'urgences. Près de 94 % de la population est désormais couverte par un SAS, le reste le sera d'ici à la fin de l'année. En moyenne, 1,2 million d'appels par mois sont traités. Cela témoigne de la nouvelle relation de confiance, indispensable, qui se noue entre la ville et l'hôpital.

Ne nions pas pour autant les difficultés persistantes. Il faut continuer de réorganiser, notamment les urgences, en y instaurant des filières actives. Des initiatives ont été prises pour la pédiatrie ou la santé mentale. Nous poursuivrons ces efforts, en lien avec les acteurs des services et des territoires. N'imposons pas en bas un système inventé en haut, mais faisons de l'accès aux soins une réalité concrète partout dans notre pays.

M. Jean Sol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En 2018, déjà, j'alertais le Gouvernement sur la situation de notre hôpital public, et en avril dernier, sur la situation des Pyrénées-Orientales où le service des urgences de Perpignan baissait le rideau durant la nuit. L'été dernier, des personnes ont attendu 24 heures pour être prises en charge, résultat d'une moyenne de 188 passages par jour. La réouverture annoncée des urgences de la clinique Saint-Pierre sera un soulagement, mais ne suffira pas. Les usagers sont angoissés à l'idée de se rendre aux urgences, et les élus sont impuissants. Je pousse un cri d'alarme.

Des familles attendent des informations pendant des heures, des personnes âgées restent parfois 24, 48 voire 72 heures sur un brancard avant d'être renvoyées chez elles faute de place. Des décès surviennent, comme des exemples récents en attestent. Le personnel croule sous une charge administrative chronophage, tout en devant faire face à des incivilités.

Madame la ministre, envisagez-vous d'améliorer le partenariat entre hôpital public, hôpital privé et médecine de ville ? Que comptez-vous faire pour améliorer la régulation des passages aux urgences ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Dans les Pyrénées-Orientales, on compte cinq services d'urgences, dont quatre cliniques, un Smur et une antenne transférée sur l'hôpital transfrontalier de Cerdagne. Deux cliniques de Perpignan ont fermé la nuit. L'une d'elles a rouvert récemment. C'est une région touristique, donc en grande difficulté l'été.

L'ARS Occitanie a annoncé la mise en oeuvre d'une mission d'appui sur les urgences pour produire un état des lieux des manquements et instaurer un cadre de fonctionnement départemental assurant la coopération entre secteur public et secteur privé.

Ce partenariat va donc se construire, également avec les praticiens libéraux, pour décharger les urgences de nombreux patients qui n'ont rien à y faire et relèvent en réalité de la médecine générale. J'espère qu'il produira des effets rapidement.

Mme Solanges Nadille .  - Je remercie le groupe SER d'avoir été à l'initiative de ce débat.

L'été 2024 a révélé, une nouvelle fois, la crise aux urgences. Des urgences ont fermé le soir, la nuit, le week-end. Des patients ont été laissés sur des brancards pendant de longues heures, rappelant de sombres épisodes de la crise sanitaire.

Outre-mer, c'est encore plus difficile. En Nouvelle-Calédonie, plusieurs hôpitaux ont fermé leurs services d'urgences la nuit et le week-end. En Guadeloupe, le centre hospitalier de l'île de Marie-Galante n'a parfois plus de médecin pour les urgences. En juillet et août, on a craint une fermeture du service.

Les insuffisances du transport maritime et le peu de rotations compliquent la vie personnelle des médecins, ce sont des contraintes fortes. Les médecins qui pourraient venir à Marie-Galante sont découragés. Une collaboration avec les entreprises privées de transport pourrait y remédier. J'espère que l'État soutiendra cette solution.

Quel regard portez-vous sur la situation des urgences en outre-mer ?

Êtes-vous prête à travailler à un plan d'action pour ces territoires ? (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Je suis consciente des difficultés particulières dans les outre-mer, notamment en matière de continuité territoriale des soins. Mes prédécesseurs ont lancé des travaux spécifiques pour réorganiser la santé dans ces territoires. La mesure 23 du Comité interministériel des outre-mer (Ciom) vise à fluidifier les prises en charge, notamment pour les pathologies lourdes comme les cancers. Ces initiatives s'inscrivent dans la démarche plus large de réorganisation des soins.

Le Premier ministre a annoncé un nouveau Ciom, début 2025, qui offrira l'occasion de réévaluer les priorités, notamment des urgences dans le champ sanitaire.

Je serai aux côtés des élus locaux et je travaillerai avec tous les partenaires concernés. En effet, les solutions valables en outre-mer ne sont pas les mêmes que pour le reste du territoire.

Mme Guylène Pantel .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI) Je tiens à remercier le groupe SER d'avoir proposé ce débat.

Professionnels de santé, élus locaux et services déconcentrés de l'État sont unanimes : les services d'urgences sont en danger. Cas atypique, l'hôpital de Lozère n'a pas fermé un seul jour ni régulé l'accès au service depuis la crise sanitaire. Je remercie les équipes pour leur engagement quotidien.

Néanmoins, les chiffres sont édifiants : selon une enquête d'une association professionnelle, 202 services d'urgences ont dû fermer au moins une ligne médicale cet été, un risque réel pour la sécurité sanitaire des patients.

À Saint-Affrique, en Aveyron, l'accès aux urgences de l'hôpital est régulé depuis début juin ; un seul médecin est en poste pendant 24 heures pour assurer notamment les sorties du Smur. Ce fonctionnement en mode dégradé décourage les usagers de s'y rendre. C'est un cercle vicieux. Dans les zones rurales, on constate le report de la patientèle sans médecin sur les services d'urgence pour des problèmes de santé qui relèvent de la bobologie. Enfin, les Padhue sont toujours confrontés à des difficultés administratives freinant leur intégration dans nos hôpitaux.

Madame la ministre, existe-t-il une évaluation régulière et qualitative des usagers qui se rendent aux urgences par manque de médecin traitant ? Les Padhue pourraient-ils être une solution ? (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Je suis contente que la Lozère, pourtant département touristique, ne soit pas trop affectée, mais des départements plus en difficulté l'entourent.

Le médecin traitant reste l'interlocuteur privilégié des patients pour les interventions non programmées.

Selon une étude réalisée par le site Doctolib, 41 % des consultations de médecine générale sont réalisées dans les 48 heures qui suivent la prise de rendez-vous. Pour 20 % des patients devant être hospitalisés, souvent le passage aux urgences est allongé faute de lit disponible en aval dans les services. Il n'y a pas suffisamment de fluidité.

De nombreux patients en affection de longue durée (ALD) n'avaient pas de médecin traitant. Grâce aux actions menées depuis le début de l'année, près de 240 000 d'entre eux en ont désormais un. Mais il en reste 472 000 qui n'en ont pas, sur un total de 13 millions de patients.

Beaucoup a été fait pour les Padhue, mais nous devons analyser toutes les situations tout en préservant la qualité et la sécurité des soins. Ces médecins rendent des services inestimables à notre système de santé.

M. Olivier Henno .  - Je salue l'organisation de ce débat et la décision du Gouvernement et du Premier ministre de faire de la santé mentale la grande cause nationale en 2025.

En tant que maire, j'ai présidé un hôpital psychiatrique pendant vingt ans. La psychiatrie a connu une sorte de massacre à la tronçonneuse en matière budgétaire. La maladie mentale n'est pas honteuse, il est possible d'en guérir. Les soins de ville sont défaillants, le métier de psychiatre est de moins en moins attractif. En cas de crise, les patients se dirigent là où il y a de la lumière, donc aux urgences.

Comment comptez-vous articuler la grande cause nationale et la réorganisation des urgences ?

Que pensez-vous de l'expérimentation Samu psy et envisagez-vous sa généralisation ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - La psychiatrie est un sujet à part entière et le Premier ministre a fait de la santé mentale, qui dépasse la psychiatrie, une grande cause pour l'année 2025.

Les financements de l'assurance maladie pour les activités de psychiatrie ont augmenté de 32 % entre 2020 et 2023 et atteignent 12 milliards d'euros. Je ne sais si on peut parler de tronçonneuse, il reste des branches... (Sourires) Un plan en matière de psychiatrie est en oeuvre depuis quatre ans. Des délégations de crédits pérennes ont été prévues à la suite des assises nationales de la psychiatrie en septembre 2021.

Une réforme des autorisations a été engagée pour intégrer davantage le secteur privé dans la prise en charge des urgences. Les établissements doivent proposer trois formes de prise en charge : séjour à temps complet, séjour à temps partiel, ambulatoire. Un fonctionnement en réseau a également été instauré. Il faut réfléchir à la prise en charge des patients en amont et en aval de l'hospitalisation. Un fonds d'innovation de 226 millions d'euros a été alloué. Les SAS peuvent inclure une prise en charge psychiatrique. La prévention peut aussi éviter les crises aiguës des patients.

Mme Silvana Silvani .  - Les étés se suivent et se ressemblent aux urgences. Les gouvernements sont satisfaits quand seulement 46 % des services ferment pendant l'été, alors que pour les élus locaux, juillet et août sont des mois d'angoisse. Aux urgences, dans les services de soins et en psychiatrie, les tensions sont généralisées. En Meurthe-et-Moselle, les urgences du centre hospitalier de Briey ont été fermées temporairement et la prise en charge des accouchements a été suspendue. Faut-il que les maires prennent des arrêtés pour mettre en demeure l'État afin qu'il assure l'égalité des soins, comme cela a été le cas dans au moins un département ?

Madame la ministre, les femmes enceintes ne peuvent attendre le mois de septembre pour accoucher. Allez-vous déployer les moyens nécessaires dans le prochain PLFSS ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Oui, le centre hospitalier de Briey rencontre des difficultés de recrutement depuis plusieurs années, tout particulièrement pour les urgentistes.

Nous travaillons avec le centre hospitalier de Metz-Thionville pour apporter des solutions. Une organisation adaptée a été conçue en lien avec le Samu 57, le Samu 54 et avec l'appui du Sdis 57. Des mesures d'exception -  fermeture et réorientation  - ont été prises cet été, mais avec toujours la présence d'un infirmier et l'appui d'un médecin anesthésiste-réanimateur en cas d'urgence vitale.

S'agissant de la maternité, l'appui du centre hospitalier de Metz-Thionville a été important. Une seule garde en juillet a posé problème.

Cet établissement bénéficie d'un suivi resserré des équipes de l'ARS. Un groupe de travail sur l'urgence a été mis en place. Le centre hospitalier de Metz-Thionville et celui de Briey s'engagent sur le renforcement des collaborations entre eux. Tout le territoire est, sinon au chevet, à tout le moins en soutien à l'hôpital de Briey.

En revanche, même si vous me demandez beaucoup de médecins, je ne peux les inventer : ils sont en formation. Nous devons trouver des solutions sécurisées, pour la bonne prise en charge de nos patients.

Cet hôpital aura toute mon attention.

Mme Silvana Silvani.  - Je vous en remercie. La position stratégique de l'hôpital de Briey a été reconnue par l'ARS. Ses difficultés datent d'il y a plus de quinze ans. Les établissements désignés pour agir en soutien sont dans des villes éloignées. En 2018, un audit a été lancé par l'ARS, mais nous attendons toujours sa mise en oeuvre. Chaque été, nous sommes très inquiets.

Avec un Ondam à 2,8 % nous n'y arriverons pas. La Fédération hospitalière de France (FHF) demande une revalorisation à 6 %. Les dépenses de santé augmentent, c'est vrai, mais elles ne sont toujours pas à la hauteur des besoins.

M. le président.  - Votre réplique a duré plus du double du temps prévu. Merci d'y veiller à l'avenir, c'est une question d'équité entre collègues.

Mme Anne Souyris .  - Je souhaite vous interroger sur la répartition des obligations de garde entre l'hôpital, les cliniques privées et les professionnels de ville, car l'injuste répartition actuelle explique en partie la saturation des urgences.

En 2023, selon l'Igas, la permanence des soins était assumée à 82 % par les hôpitaux publics, quand les établissements privés n'en prenaient en charge que 13 %. Seuls 39,34 % des médecins libéraux participaient à la permanence des soins ambulatoires.

Comptez-vous rendre obligatoire la participation des médecins libéraux à la permanence des soins ? Quelles mesures comptez-vous mettre en place pour que les établissements privés prennent leur juste part dans cette permanence ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - L'engagement des médecins de ville est indispensable. Même si la permanence des soins s'organise sur la base du volontariat, le code de déontologie médicale précise qu'il est du devoir du médecin d'y participer.

En cas de carence, les préfets peuvent réquisitionner des médecins, sur proposition des ARS. Près de 1 019 médecins ont ainsi été réquisitionnés en 2023. Quelque 39 % des médecins généralistes ont participé à la permanence des soins en 2023, pour une moyenne de 28 gardes par an. Il s'agit d'éviter l'engorgement des structures d'urgence, mais aussi de faciliter le parcours des patients les soirs, week-ends et jours fériés.

Je préconise une campagne d'information des patients ainsi qu'une meilleure collaboration, sous la forme de partenariats, avec les établissements médico-sociaux, afin d'éviter que des personnes âgées restent des heures sur des brancards aux urgences.

Mme Anne Souyris.  - Vous parlez incitation et non pas obligation, alors que 60 % des médecins de ville ne participent pas à la permanence des soins, c'est beaucoup ! La loi du 27 décembre 2023 prévoyait que l'ARS devait, au moment de l'autorisation d'installation des médecins, s'assurer qu'ils participent à la permanence des soins. Cela a-t-il été appliqué et évalué ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - C'est l'Ordre des médecins qui autorise l'installation. Praticien moi-même et membre du Conseil de l'Ordre, j'ai constaté le désengagement des médecins de cette permanence des soins, parce que les urgences promettaient d'accueillir tout le monde.

Je ne sais pas si la coercition est la solution, mais nouer des partenariats de confiance et modifier l'organisation de notre système de santé en sera une à moyen et long terme.

Notre politique devra bien entendu être évaluée, pour être réorientée le cas échéant.

M. Jean-Luc Fichet .  - Les urgences sont le recours de l'immédiat, l'endroit où l'on sauve des vies. D'après l'AP-HP, une nuit passée aux urgences sur un brancard augmente de plus de 40 % la mortalité des patients de 75 ans et plus.

Cet été, sur un « mur de la honte » à l'hôpital de Brest, on pouvait lire les prénoms et l'âge des patients concernés, et le nombre d'heures passées sur un brancard. C'est ainsi que M. S, 89 ans, a passé près de trente heures sur un brancard. À Carhaix, les urgences sont toujours régulées par le 15, depuis octobre 2023. Cet été, à Morlaix, les urgences ont été en très grande difficulté face à l'afflux de population estivale.

Nous n'attendons pas de miracles, seulement ce qui est dû.

Comment comprendre que les cliniques privées refusent de prendre en charge des actes jugés non lucratifs ? Comment comprendre que les groupements hospitaliers de territoire (GHT) doivent gérer la pénurie en concentrant les moyens dans les métropoles, alors qu'ils devaient contribuer à la bonne répartition des moyens sur les territoires ?

À la désertification de la médecine de ville s'ajoute celle des urgences hospitalières.

Madame la ministre, allez-vous rogner sur le budget des hôpitaux publics ou le défendre fermement ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Bien sûr que nous défendrons l'hôpital public ! Sur nos 620 services d'urgence, une soixantaine ont rencontré des problèmes : les autres fonctionnent...

Donnons aussi une image positive de l'hôpital de France, qui est un bel hôpital, avec des services spécialisés qui prennent en charge les pathologies de façon incroyable. Ne ternissons pas l'image de l'hôpital ! (Protestations sur les travées du groupe SER)

Oui, les établissements privés doivent participer à la permanence des soins. Des mesures conventionnelles ont été prises -  elles doivent s'appliquer  - et des budgets ont été alloués aux établissements en contrepartie de leur participation à cette permanence. Je ferai tout pour créer des ponts entre hospitalisation privée et publique. C'est indispensable.

Je ne me réjouis pas de l'existence de ce mur de la honte. Cela me navre et me donne encore plus envie d'agir.

M. Daniel Chasseing .  - À l'été 2024, la situation des urgences a été difficile dans de nombreux territoires. En Corrèze, les services ont tenu : je salue l'action du personnel.

Ces fermetures sont dues à des tensions sur les ressources humaines, notamment un manque de médecins urgentistes, et à une hausse de la fréquentation.

La mise en place des SAS est certes une solution, mais elle est limitée par le manque de médecins de ville. Et malheureusement, beaucoup ne font pas le 15 et vont directement aux urgences...

Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) doivent néanmoins être développées, en complément des SAS.

Il faut aussi former davantage de médecins généralistes. En novembre 2026, ils devraient être renforcés par l'arrivée de médecins juniors.

Il faudrait généraliser le triage à l'entrée afin que les urgences mineures soient identifiées et prises en charge par un médecin généraliste, dans une salle différente.

Il faudrait aussi davantage de lits d'aval pour les personnes qui doivent rester à l'hôpital pour un bilan plus approfondi, mais qui souvent encombrent les urgences et attendent sur un brancard.

Ne faudrait-il pas mettre en oeuvre rapidement ces deux dispositifs ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Ce sont des problèmes d'organisation. Certains hôpitaux ont un fonctionnement proche de celui que vous décrivez. Travaillons avec les ARS et les groupements hospitaliers de territoires, à une organisation plus logique et plus fluide.

L'enjeu, ce sont les lits d'aval. Il nous faut davantage de soins de suite, pour libérer des places pour ceux qui arrivent aux urgences avec un besoin aigu. Nous allons y travailler.

M. Daniel Chasseing.  - Les lits d'aval sont très importants. Aux urgences, une infirmière à plein temps est souvent désignée pour chercher des lits. Il faudrait des lits de médecine polyvalente en aval.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Je suis d'accord !

Mme Florence Lassarade .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dès 2014, la Cour des comptes nous alertait sur l'augmentation continue du recours aux urgences, souvent pour des cas ne nécessitant pas l'hospitalisation, en raison de l'insuffisance de la médecine de ville. Cette pénurie se traduit par un engorgement des services d'urgence, des conditions de travail difficiles et une fatigue accrue.

La situation demeure critique. Le manque de ressources, humaines et matérielles, maintient les services dans une crise permanente.

Le triage est devenu une pratique courante. C'est un outil essentiel pour assurer une prise en charge rapide et efficace. Mais cela suppose que le personnel concerné soit correctement formé et soutenu. Qu'en est-il ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Ce sont les assistants de régulation médicale qui sont au bout du fil quand on appelle le 15. C'est le premier maillon de la chaîne des secours médicaux français.

Depuis 2019, leur formation est certifiée. Cette formation obligatoire, d'une durée d'un an, est assurée par 21 centres agréés.

Aux urgences, l'accueil et l'orientation des patients sont assurés par un infirmier organisateur de l'accueil, parfois en binôme avec un médecin. Il s'agit d'accueillir, d'évaluer rapidement le degré d'urgence et d'organiser le début du parcours. Les outils existent ; à chaque établissement de s'en emparer et de les adapter aux réalités de son territoire.

Mme Brigitte Devésa .  - Ce n'est un secret pour personne, notre système d'urgences est à bout de souffle. Cet été, comme chaque été, il a malheureusement connu de graves difficultés.

Le service d'urgence de l'hôpital d'Aix-en-Provence en est un exemple : il a très souvent fonctionné avec seulement quatre urgentistes la nuit -  au lieu de six  - et la fermeture régulière d'autres services d'urgence comme ceux de Digne-les-Bains ou de Manosque a conduit au report de patients. Ceux-ci attendent de plus en plus longtemps, avec d'inévitables pertes de chances.

Cette situation est également néfaste pour les soignants, soumis à une charge de travail grandissante. On peine d'ailleurs à recruter dans certaines professions.

Certes, il s'agit d'un problème de long terme, mais il faut trouver des solutions intermédiaires. Quelles solutions envisagez-vous ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - La clé réside dans les ressources humaines, qu'il s'agisse de former de nouveaux professionnels ou de convaincre ceux qui ont quitté le système d'y revenir. Nous devons travailler sur l'attractivité des métiers.

Le Ségur de la santé a permis de reconnaître l'engagement des agents. Cela a constitué un effort historique. À l'été 2022, les sujétions pour le travail de nuit, de dimanche et de jour férié, ont été reconnues, pérennisées à l'été 2023.

Les études en santé comptent parmi les plus demandées par les lycéens sur Parcoursup. Mais nous devons améliorer l'attractivité du métier, en travaillant aussi sur les conditions de travail et le déroulement des carrières.

Mme Brigitte Devésa.  - Sans une réforme en profondeur, la situation actuelle risque de mettre en danger la santé de nos concitoyens et de provoquer une rupture dans l'accès aux soins. Il y a urgence !

Mme Audrey Bélim .  - Avant tout, j'envoie un message de solidarité aux Calédoniens. La crise politique a de graves conséquences sanitaires. Il a été difficile, voire impossible, d'accéder au centre hospitalier territorial en raison des barrages. Depuis le 2 septembre, les lits d'hospitalisation sont fermés et les services d'urgence ne sont plus ouverts la nuit. Le nombre de décès a presque doublé.

La Réunion connaît également de graves problèmes. Le 3 octobre dernier, un patient de 90 ans arrivé aux urgences pour une détresse respiratoire a dû attendre 17 heures avant d'être pris en charge. Il s'agissait de l'ancien maire de Salazie, Jean-Claude Welmant. Une si longue attente est inacceptable, que l'on soit ancien maire ou pas !

Notre CHU accueille de nombreux Mahorais par évacuation sanitaire : 400 en 2012, 1 600 en 2023. Nous comptons 40 % de patients non affiliés, pour lesquels le CHU doit se battre pour ouvrir les droits à l'aide médicale de l'État (AME). C'est l'honneur de notre CHU, de La Réunion et de la France, mais cela nécessite un soutien de l'État. Une revalorisation du coefficient géographique de trois points a été annoncée par le précédent gouvernement : la confirmez-vous ? Irez-vous plus loin au nom de la solidarité nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Solanges Nadille applaudit également.)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - J'ai une pensée pour tous ceux qui oeuvrent pour l'apaisement en Nouvelle-Calédonie, et notamment les forces de l'ordre, tous les fonctionnaires de l'État, les responsables politiques, syndicaux, de la société civile, du monde économique, religieux et coutumier.

Je partage votre préoccupation relative à la situation financière des hôpitaux ultramarins, et notamment celle du CHU de La Réunion, qui est soumis à des contraintes spécifiques, du fait de son éloignement géographique et de la forte demande de soins.

Face à la dégradation de la situation financière du CHU de La Réunion, l'État a mobilisé plusieurs dizaines de millions d'euros, dont près de 42 millions en 2023. La revalorisation du coefficient géographique de 31 % à 34 % s'appliquera aux tarifs et aux dotations pour 2024 et 2025.

Le territoire mahorais a connu une succession de crises, sociales, hydriques, et épidémiques avec le choléra. Il connaît aussi des difficultés structurelles. Comme mes prédécesseurs, je souhaite aider le territoire mahorais à améliorer son attractivité pour les professionnels de santé. La Réunion s'est mobilisée pour lui venir en aide. Je souhaite lui dire toute ma reconnaissance, ainsi qu'à la centaine de réservistes sanitaires engagés en permanence à Mayotte.

M. Alain Milon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Brigitte Devésa applaudit également.) Le fonctionnement des urgences reste un sujet de préoccupation pour nos concitoyens, les élus locaux, et le Gouvernement. Les urgences doivent être recentrées sur leur mission première.

Les services modifient parfois leur organisation sans toutefois se coordonner. Or les GHT apportent souvent de la complémentarité et de la lisibilité. Pourquoi ces derniers ne proposeraient-ils pas à l'ARS une organisation ayant fait l'objet d'une concertation préalable, avec la création d'une structure juridique de type pôle interétablissements ou fédération médicale interhospitalière (FMIH) ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Oui, je suis d'accord. Les GHT, souvent départementaux, sont le bon niveau pour organiser l'accès aux soins.

C'est un sujet sur lequel je vais travailler, en tenant compte des disparités existantes, qui sont souvent liées à des personnes.

M. Alain Milon.  - Nous sommes d'accord. Mais les GHT ne disposent pas de la personnalité morale et juridique. Travaillons-y.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Je suis d'accord.

M. Franck Montaugé .  - Cet été, dans la belle ruralité gersoise, une personne âgée a été orientée par son généraliste aux urgences de Condom. Arrivée à 17 h 30, faute de personnel médical, elle n'a pas été prise en charge. Premier manquement grave. À 22 heures, elle rentre chez elle. Le lendemain, samedi, un proche la trouve à 17 h 30, inanimée dans les toilettes de son appartement. Nouvelle hospitalisation à 18 heures, nouveau retour à domicile à 23 heures. Le dimanche, elle s'avère incapable de se déplacer, de s'alimenter et de satisfaire à ses besoins naturels. Le lundi, à Auch, une grave infection est diagnostiquée. À l'heure où je vous parle, la personne est encore hospitalisée et nous dit : « que c'est long, l'agonie ».

Que comptez-vous faire pour que les services d'urgence en ruralité soient systématiquement dotés d'un médecin ?

Mme Émilienne Poumirol.  - Très bien !

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Dans le cas que vous décrivez, il y a certainement eu des manquements, à commencer par le renvoi à domicile d'une personne manifestement malade, sans aucun accompagnement. Les structures sanitaires et médico-sociales doivent se coordonner pour éviter ce genre de situation.

Dans le Gers, la coopération entre les acteurs est plutôt bonne. Les urgences du centre hospitalier d'Auch ont un service mutualisé d'urgences avec le CHU de Toulouse sous la forme d'un pôle interétablissement. Je salue ce type de coopération.

Le Smur de Condom, aujourd'hui antenne d'Auch, a vocation à être rattaché au centre hospitalier de Condom. L'ARS va accompagner les travaux de modernisation des services des urgences d'Auch et de Condom.

Et des Gersois sont souvent accueillis dans les Landes, à Aire-sur-l'Adour ou à Mont-de-Marsan, du fait de la proximité de nos départements.

M. Franck Montaugé.  - Les soignants se dévouent corps et âme pour la santé de nos concitoyens. La santé est le premier des services publics, il faut la préserver.

M. Khalifé Khalifé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Durant quarante ans d'urgences cardiologiques, j'ai côtoyé les urgentistes. J'ai vu arriver beaucoup de choses à l'hôpital...

J'ai vu se créer les urgences. Je disais alors que l'on ne pourrait pas tout faire aux urgences, sinon à quoi serviraient les spécialistes ? Malgré cela, les urgences récupéraient tous les patients - même un malade sortant de chimiothérapie qui devait être transfusé...

Résultat : nombre de médecins urgentistes épuisés sont partis ailleurs. Pis, cette centralisation a éloigné les médecins des urgences, qui, auparavant, étaient appelés pour donner leur avis : les situations étaient réglées très rapidement, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.

Les malades restent dix à douze heures aux urgences. On les oublie, on les récupère, puis on les renvoie...

Je souhaite un service de médecine cogéré par les urgences avec les médecins généralistes, mais dans les locaux de l'hôpital -  sinon, on n'y envoie pas les patients. Il faut que ce soit un service de préférence universitaire.

Qu'en pensez-vous ? Que sont devenus les 250 postes de praticiens universitaires créés récemment ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Je ne retracerai pas l'histoire des urgences que vous connaissez bien mieux que moi. Nous sommes aujourd'hui dans une situation bien différente, celle d'une hyperspécialisation, marquée par l'apparition d'une spécialité dédiée aux urgences. Résultat : les médecins des autres spécialités interviennent moins. Les filières pédiatrie et psychiatrie bénéficient parfois d'accueils spécifiques. Mais le parcours de soins des patients est souvent complexe.

Pas moins de 495 places ont été proposées pour le diplôme d'études spécialisées (DES) en médecine d'urgence en 2023, et 100 % des postes sont pourvus - ce qui est loin d'être le cas dans d'autres spécialités, notamment la psychiatrie. Ce DES bénéficie en outre du droit au remords pour les étudiants ayant choisi initialement une autre spécialité. Cette voie doit être privilégiée.

Toutefois, il s'agit d'une question organisationnelle à l'échelle de chaque établissement. Dans certains cas, les médecins généralistes ne souhaitent pas intervenir dans ces structures, cela n'a donc pas d'intérêt de les développer. Construisons la solution avec les médecins, territoire par territoire.

Aujourd'hui, les SAS sont un bon moyen d'éviter les passages aux urgences.

On ne peut appliquer les mêmes solutions partout. En tout état de cause, il faut éviter que ceux qui n'ont rien à faire aux urgences s'y rendent.

Mme Sabine Drexler .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je souhaite faire entendre la voix du sud de l'Alsace où trois frontières s'entremêlent. Une frange importante du territoire y est vieillissante et les maladies chroniques augmentent ; la médecine de ville est carencée, les listes d'attente chez les spécialistes s'allongent et les patients renoncent aux soins, notamment les personnes âgées et les plus isolées.

Chaque jour, 250 soignants vont travailler en Allemagne et 1 850 rejoignent la Suisse. Une infirmière gagne jusqu'à 8 000 francs suisses par mois, et les conditions de travail et de formation y sont plus attractives. La collectivité européenne d'Alsace a certes pris des mesures pour rendre le secteur plus attractif, mais la concurrence entre les territoires est forte.

Comment le Gouvernement compte-t-il rendre effectives les conventions de coopération sanitaire, notamment celle de 2016, pour répondre aux besoins particuliers de ce territoire ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - L'attractivité des métiers est un réel problème, notamment pour les frontaliers du fait des écarts de rémunération pratiqués entre l'un et l'autre côté de la frontière. L'Ain et la Haute-Savoie sont également concernés.

Jean Castex, alors Premier ministre, avait demandé au préfet de la Haute-Savoie d'élaborer un plan d'action spécifique. Deux axes de réflexion avaient été retenus : l'identification de leviers nationaux d'action afin d'accroître l'attractivité des métiers de santé, et la recherche de coopérations entre la France et les collectivités locales concernées, d'une part, et la Confédération helvétique et les cantons voisins de notre pays, d'autre part.

Nous devons développer une véritable politique transfrontalière, même si ce n'est pas facile. Ce serait pourtant dans l'intérêt de tous. Il existe un important déséquilibre entre le lieu de résidence et de travail des professionnels exerçant en Suisse.

Compte tenu des tensions sur les ressources humaines dans ces zones transfrontalières, le Gouvernement a instauré une indemnité de résidence spécifique et les ARS ont déployé des contrats d'allocation d'études.

Mme Laurence Muller-Bronn .  - (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Solanges Nadille applaudit également.) Dans le Bas-Rhin, un nouveau stade a été récemment franchi dans l'inacceptable, notamment à Strasbourg et dans les hôpitaux de Sélestat, de Haguenau et de Wissembourg. En reportant toujours plus le risque sur les malades, nous atteignons les limites de la maltraitance institutionnelle. Cette vision court-termiste des services hospitaliers nous conduit à un échec certain et mortifère.

Pourtant, des solutions existent, à l'instar des propositions de la commission d'enquête sénatoriale formulées en mars 2022 sur la situation de l'hôpital. Je pense notamment aux 43 structures de soins non programmés prenant en charge 820 000 patients chaque année.

Mais des freins demeurent. Pour les lever, il faudrait décloisonner les statuts et les missions et faciliter la coexistence de différents types d'interventions sur le terrain.

Madame la ministre, allez-vous développer cette voie ? Quelles mesures d'organisation proposerez-vous aux professionnels de santé et aux patients sur le long terme ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre.  - Je suis d'accord : plusieurs établissements de votre département ont connu des difficultés. Des mesures législatives ou réglementaires compliquent parfois la situation ; certaines, qui proviennent de l'Ordre des médecins, empêchent les professionnels de se regrouper pour travailler ensemble.

Il n'est plus l'heure d'empêcher mais de faciliter. Le temps de la simplification est venu.

Bien sûr, notre objectif prioritaire vise à assurer la sécurité des patients et la bonne formation des médecins. Mais simplifions pour que les médecins, qu'ils viennent du public ou du privé, puissent travailler ensemble.

M. Serge Mérillou, pour le groupe SER .  - C'est la catastrophe, mais, en dehors des personnels de santé, je pense que personne ne s'en rend compte : tels sont les mots d'un professionnel de santé, recueillis au cours de l'enquête de Samu - Urgences de France publiée le 17 septembre dernier.

Cette situation se répète chaque année ; l'hôpital brûle et, malgré les promesses, rien ne change.

Deux services d'urgences sur trois ont fermé au moins une fois cet été et 86 départements ont été touchés par la fermeture d'au moins une ligne médicale.

Certes, le bilan est meilleur qu'en 2023, mais uniquement grâce aux heures supplémentaires. Le personnel tient au prix d'un sacrifice peu reconnu. En 2024, 1 500 lits ont été fermés et près de 100 postes d'internes sont supprimés : quelle aberration ! En outre-mer et en métropole, les hôpitaux ne peuvent plus mener leur mission à bien.

Dans mon département, la Dordogne, les urgences de l'hôpital de Sarlat ont déjà été fermées durant 23 jours depuis le début de l'année.

La maternité a fermé ses portes pendant 180 jours, contraignant les femmes à plus d'une heure de route pour accoucher. Souvent ce sont les pompiers du Sdis qui assurent les transports, notamment les sapeurs-pompiers volontaires. Mais les employeurs ne les libèrent pas de leurs obligations professionnelles pour pallier les carences du système de santé !

Nos concitoyens paient un lourd tribut, conséquence d'un manque d'investissement et d'une gouvernance instable -  en sept ans, huit ministres se sont succédé. La désorganisation et les dysfonctionnements du système de santé sont trop profonds pour que les mesures de la mission flash de 2022 suffisent à y remédier.

Face à l'effondrement, des structures privées émergent, notamment pour les petites urgences. Mais ces solutions ne peuvent se substituer à l'hôpital public.

Nous ne pouvons laisser s'imposer une médecine à deux vitesses. « Des lits et des bras », voilà ce que les professionnels demandent !

Nous relayons les demandes de Samu - Urgences de France.

Les services d'urgence ne peuvent plus répondre aux besoins croissants de la population. Il faut plus de centres de soins primaires et mettre en place un ratio patients-soignés aux urgences. Cette mesure figurait d'ailleurs dans la proposition de loi de Bernard Jomier adoptée au Sénat.

Plus globalement, il faut plus de moyens : le secteur de la santé mentale manque cruellement de psychiatres et de psychologues.

La problématique des urgences est corrélée à la désertification médicale. Certains élus ont pris des arrêtés appelant à un plan d'urgence d'accès à la santé. Soyons vigilants pour que les moyens nécessaires soient déployés dans le PLFSS.

Je remercie en notre nom à tous les communautés médicales pour leur engagement admirable. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

Prochaine séance demain, mercredi 9 octobre 2024, à 15 heures.

La séance est levée à 23 h 20.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 9 octobre 2024

Séance publique

À 15 heures, à 16 h 30 et le soir

Présidence : M. Alain Marc, vice-président, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente

Secrétaires : Mme Alexandra Borchio Fontimp, Mme Catherine Conconne

1. Questions d'actualité

2. Proposition de loi visant à réduire le nombre de conseillers municipaux dans les petites communes, présentée par M. François Bonneau et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°664, 2023-2024)

3. Proposition de loi visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires, présentée par M. Philippe Folliot et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°672, 2023-2024)

4. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2024