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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Questions d'actualité

Gaza (I)

M. Philippe Grosvalet

M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Gaza (II)

Mme Gisèle Jourda

M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Gaza (III)

M. Pascal Savoldelli

M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Lutte contre les trafics en prison

M. Olivier Henno

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Gaza (IV)

M. Guillaume Gontard

M. Gabriel Attal, Premier ministre

Finances locales (I)

M. Olivier Paccaud

Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique

Convention médicale

Mme Nadège Havet

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention

Pénurie de médicaments et grève des pharmaciens

Mme Marie-Claude Lermytte

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention

Désindexation des retraites sur l'inflation

M. Laurent Burgoa

M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie

Budget de l'enseignement supérieur et de la recherche

M. Éric Kerrouche

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

Sécurité de la maison d'arrêt de la Santé

Mme Marie-Claire Carrère-Gée

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Réindustrialisation et situation d'Ascometal

M. Jean-Marie Mizzon

M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie

Changement climatique et fédérations sportives

Mme Christine Lavarde

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques

Lutte contre les violences sexistes et sexuelles

Mme Laurence Rossignol

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations

Fonds de soutien au développement des activités périscolaires

Mme Marie-Jeanne Bellamy

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles

Finances locales (II)

Mme Jocelyne Antoine

Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique

Mise au point au sujet d'un vote

CMP (Nominations)

Contrôle des investissements étrangers en France comme outil d'une stratégie d'intelligence économique au service de notre souveraineté

M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour le RDPI

M. Franck Montaugé

M. Pascal Allizard

M. Aymeric Durox

Mme Vanina Paoli-Gagin

Mme Anne-Sophie Romagny

M. Akli Mellouli

M. Fabien Gay

M. Christian Bilhac

M. Bernard Buis

Mme Hélène Conway-Mouret

Mme Marta de Cidrac

M. Cyril Pellevat

M. Roland Lescure, ministre délégué

M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour le RDPI

Concilier une activité professionnelle avec la fonction d'assistant familial (Procédure accélérée)

Discussion générale

M. Xavier Iacovelli, auteur de la proposition de loi

Mme Solanges Nadille, rapporteure de la commission des affaires sociales

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles

Mme Marie-Pierre Richer

M. Joshua Hochart

Mme Marie-Claude Lermytte

Mme Élisabeth Doineau

Mme Raymonde Poncet Monge

Mme Cathy Apourceau-Poly

Mme Guylène Pantel

Mme Nadège Havet

Mme Marion Canalès

Mme Nadia Sollogoub

Mme Laurence Muller-Bronn

Discussion des articles

Article 1er

Vote sur l'ensemble

Mme Corinne Bourcier

Mme Monique Lubin

M. Xavier Iacovelli

Mme Marion Canalès

Mme Catherine Conconne

Mme Marie-Do Aeschlimann

Mme Raymonde Poncet Monge

Mme Cathy Apourceau-Poly

La France a-t-elle été à la hauteur des défis et de ses ambitions européennes ?

M. Didier Marie, pour le groupe SER

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe

M. Pierre Médevielle

M. Olivier Henno

Mme Mathilde Ollivier

Mme Cathy Apourceau-Poly

M. Ahmed Laouedj

Mme Nadège Havet

M. Jean-Claude Tissot

M. Alain Cadec

M. Jean-Michel Arnaud

Mme Karine Daniel

M. Cyril Pellevat

Mme Florence Blatrix Contat

Mme Marta de Cidrac

M. Jean-Baptiste Blanc

M. Stéphane Sautarel

M. Marc Laménie

M. Michaël Weber, pour le groupe SER

Ordre du jour du jeudi 30 mai 2024




SÉANCE

du mercredi 29 mai 2024

90e séance de la session ordinaire 2023-2024

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Guy Benarroche, Mme Alexandra Borchio Fontimp.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et au temps de parole.

Gaza (I)

M. Philippe Grosvalet .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Marie-Arlette Carlotti et M. Thierry Cozic applaudissent également.) Le 7 octobre 2023, Israël a subi une attaque terroriste sans précédent. Benyamin Netanyahou annonçait une opération pour éliminer le Hamas et libérer les otages. Huit mois plus tard, le bilan est effroyable : aux 1 139 victimes israéliennes s'ajoutent 35 000 victimes palestiniennes. Gaza compte 1,7 million de déplacés, laissés sans soins ni nourriture.

Et l'horreur n'en finit pas. Dimanche, une frappe aérienne a tué 45 civils et blessé 249 autres. Hier encore, 21 personnes ont péri dans un camp près de Rafah. L'offensive d'Israël s'est transformée en une fuite en avant guidée par la colère et la vengeance.

La communauté internationale doit tout mettre en oeuvre pour obtenir un cessez-le-feu immédiat. Hélas ! Rien n'a pu infléchir la position du gouvernement israélien et les otages n'ont pas été libérés.

Les armes ne seront jamais la solution. Au contraire, le risque est grand que le traumatisme nourrisse encore la violence. Une solution politique s'impose. La reconnaissance de l'État de Palestine est un préalable à une paix durable. Quand le ferons-nous, comme l'Espagne, l'Irlande et la Norvège ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, du GEST, des groupes CRCE-K et SER)

M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Merci pour votre question et pour le ton que vous employez, loin des outrances vues dans un autre hémicycle...

La semaine passée a été marquée par de nouvelles tragédies : nous avons appris le décès d'un otage français.

Depuis le 7 octobre, nous avons agi selon des principes diplomatiques...

M. Akli Mellouli.  - Avec quelle efficacité !

M. Stéphane Séjourné, ministre.  - ... loin des postures politiques adoptées par certains à l'occasion de la campagne des européennes. Nous avons condamné à la fois les atrocités du Hamas et les frappes israéliennes.

Dans toutes les instances internationales, nous appelons fortement à l'arrêt de l'opération à Rafah, à la libération des otages, à l'ouverture des accès humanitaires et à un cessez-le-feu durable. (Marques d'impatience sur les travées du GEST)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Ce n'est pas la question !

M. Stéphane Séjourné, ministre.  - Nous continuerons à oeuvrer concrètement pour la paix. La France a réuni vendredi les pays arabes autour du Président de la République. Nous sommes favorables à une solution diplomatique en vue d'aboutir à la reconnaissance de l'État palestinien. (« Quand ? » sur plusieurs travées du GEST)

Gaza (II)

Mme Gisèle Jourda .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je reste sur le même registre : vous dites rechercher des solutions diplomatiques pour sortir de la nasse de Gaza, où des personnes se retrouvent piégées et où les victimes se multiplient, mais quand cesserez-vous les gesticulations ? Où est la communauté internationale ? Il y a urgence !

En tant que successeurs de Victor Hugo, comment accepter l'absence d'humanité dans la prise en compte de la situation ? Ce n'est plus possible ! Que comptez-vous faire ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et du GEST, ainsi que sur quelques travées du RDSE)

M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - La France est pour la solution à deux États.

Évidemment, la question qui se pose est : quelle est l'utilité diplomatique d'une reconnaissance ? (Protestations sur les travées du GEST)

M. Hussein Bourgi.  - C'est le courage qui vous manque !

M. Stéphane Séjourné, ministre.  - Je regrette que certains États aient privilégié un positionnement politique qui ne résout rien.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Et Bernard Guetta ?

M. Stéphane Séjourné, ministre.  - Madame la sénatrice, dites-moi ce que la reconnaissance espagnole a changé à la situation à Gaza ? Rien ! La France agit au Conseil de sécurité des Nations unies, nous travaillons avec nos partenaires arabes. Privilégions la solution diplomatique aux positionnements politiques. (M. François Patriat applaudit ; marques d'ironie à gauche.)

Mme Gisèle Jourda.  - J'entends votre engagement, mais il n'est pas à la hauteur. À force de jouer la montre, il n'y aura plus personne à Gaza pour y fonder un État ! (Applaudissements sur les travées des groupeSER, CRCE-K et du GEST)

Gaza (III)

M. Pascal Savoldelli .  - Ma question n'a qu'un seul objectif : rendre justice réparatrice et secours au peuple palestinien tout en assurant la sécurité du peuple israélien.

M. Francis Szpiner.  - Bravo !

M. Pascal Savoldelli.  - Vous parlez du jour d'après, monsieur le ministre... Mais, il y a dix ans, le Parlement votait la reconnaissance de l'État palestinien. Le gouvernement de l'époque disait que la France le ferait le moment venu. Ce moment que vous jugez inutile est arrivé.

Le jour d'après, monsieur le ministre, c'est le moment des 36 000 victimes de guerre. C'est le moment de 60 enfants tués chaque jour. C'est le moment de 45 personnes brûlées vives à Rafah.

Rien n'a été fait depuis dix ans pour apporter la paix. Or un État, ce sont des frontières reconnues internationalement. C'est la fin de la colonisation ! On n'attend plus ce que la France va dire, mais ce qu'elle va faire. (Marques d'assentiment sur les travées du groupe CRCE-K.) Comme 146 États, reconnaîtrez-vous l'État palestinien, pour construire une paix durable dans la région ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du GEST, ainsi que sur quelques travées du RDSE)

M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Je crois avoir été clair sur le positionnement de la France.

Encore une fois, nous travaillerons au Conseil de sécurité de l'ONU dans un cadre multilatéral. Ma responsabilité en tant que ministre de l'Europe et des affaires étrangères est de trouver une solution diplomatique... (Protestations sur les travées du GEST)

M. Thomas Dossus.  - Quand ?

M. Stéphane Séjourné, ministre.  - ... c'est-à-dire en travaillant avec nos partenaires arabes à un système collectif de sécurité pour les Israéliens et les Palestiniens.

M. Hussein Bourgi.  - Lesquels ?

M. Stéphane Séjourné, ministre.  - Je ne peux vous laisser dire que nous n'avons rien fait. Nous avons été à la hauteur sur le volet humanitaire ; un bateau, le Dixmude, a été dépêché, plus de quatorze enfants ont été rapatriés dans nos hôpitaux.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Trente-six mille morts !

M. Stéphane Séjourné, ministre.  - Nous travaillons sur le volet politique et trouverons les voies et moyens d'une cohérence au niveau européen, pour rapprocher la position européenne de celles des pays arabes, l'Égypte et la Jordanie, notamment.

Je le dis sans outrance : nous sommes dans un moment qui demande rigueur, retenue et principes. Nous avons les trois. (Vives protestations sur les travées du CRCE-K ; applaudissements sur plusieurs travées du RDPI)

M. Pascal Savoldelli.  - Il est impardonnable d'attendre. Mettez vos stratégies électorales et vos ambitions politiques de côté.

M. Stéphane Séjourné, ministre.  - C'est vous !

M. Pascal Savoldelli.  - Attendre, c'est attiser la division et la haine, c'est bloquer l'exécution du droit international. Assez de cette confusion assimilant la reconnaissance de l'État palestinien à la complaisance vis-à-vis des terroristes. Assez de cette confusion assimilant de manière déplorable la reconnaissance d'un État palestinien avec le poison de l'antisémitisme !

Le gouvernement d'extrême droite de Netanyahou n'est pas disposé à accepter l'existence d'un État palestinien ; il refuse même le cessez-le-feu. En cautionnant l'absence de deux États, vous portez une lourde responsabilité devant l'histoire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du GEST)

Lutte contre les trafics en prison

M. Olivier Henno .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Vincent Louault applaudit également.) D'abord, une pensée pour les deux agents pénitentiaires qui ont perdu la vie.

Noter politique pénitentiaire peut être envisagée sous l'angle du relativisme. Cela fait longtemps que l'on connait la surpopulation carcérale - on bat les records, avec 77 000 détenus - la peur au ventre des surveillants, la violence dans les prisons. Le film Un prophète de Jacques Audiard en témoignait déjà en 2009.

On peut aussi l'aborder sous l'angle de la vérité. Les écoutes téléphoniques de Mohamed Amra ont révélé combien les narcotrafiquants ont pris pied dans nos prisons. Comme le montre le rapport du Sénat, la pieuvre a gagné du terrain. Pire, le narcotrafic est parfois organisé depuis la prison ! Cette audace, cette violence sont nouvelles.

Quelle est votre vision de la politique pénitentiaire ? Quel protocole d'accord le 10 juin prochain ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Je ne me résoudrai jamais au relativisme. La pénitentiaire a connu un drame terrible qui fait deux morts et trois blessés. Votre question est parfaitement légitime.

Comme vous, j'ai découvert dans la presse des éléments sur le détenu Amra, qui témoignent d'une dangerosité certaine et n'avaient pas été pris en considération. J'ai la ferme intention de faire toute la lumière sur sa prise en charge et ai confié une mission à l'inspection générale de la justice. (M. Jacques Grosperrin s'exclame.)

Sur le fond, je vous rejoins : il faut adapter notre modèle carcéral à ces détenus particulièrement violents et sans limites. Nous avons abouti à un accord avec les organisations syndicales, autour d'une trentaine de mesures, sur l'armement des surveillants, sur les fouilles, sur de nouveaux véhicules. Certaines sont applicables immédiatement, d'autres trouveront leur place dans le futur projet de loi contre la grande criminalité qui sera présenté dès cet automne.

À 17 heures, je réunirai tous les directeurs interrégionaux des services pénitentiaires pour leur demander de se mobiliser et de mettre en oeuvre l'accord trouvé avec l'intersyndicale, mais aussi pour évoquer avec eux des mesures structurelles pour les détenus les plus dangereux. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Olivier Henno.  - Nous avons une obligation collective : faire preuve de volontarisme. Les prisons sont les fleurs noires de notre société. Selon Sartre, « la facilité, c'est le talent qui se retourne contre nous ». (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - C'est vrai.

Gaza (IV)

M. Guillaume Gontard .  - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.) Le 20 mai, le procureur général de la Cour pénale internationale délivrait un mandat d'arrêt contre Benyamin Netanyahou. Le 24 mai, la Cour internationale de justice (CIJ) ordonnait à Israël d'arrêter son offensive à Rafah. Pour toute réponse, le 26 mai, un bombardement sur un camp à Rafah, des corps déchiquetés. Aucun lieu n'est sûr dans la bande de Gaza. L'entêtement guerrier du gouvernement israélien d'extrême droite menace la vie des otages, dont les morts s'égrènent. Nous saluons les disparus et tremblons avec les familles.

Monsieur le Premier ministre, votre inaction confine à la complicité. (MM. Éric Dupond-Moretti et Roland Lescure protestent.) Quand les Canadiens et les Espagnols exigent l'application de l'ordonnance de la CIJ, vous ne faites rien. Quand le Canada cesse ses livraisons d'armes à Israël, vous ne faites rien. Quand l'Espagne, l'Irlande et la Norvège reconnaissent l'État palestinien, vous ne faites rien. Le courage de vos homologues est le miroir de votre lâcheté.

Le monde attend la voix de la France - et non le moment utile. (Applaudissements sur les travées du GEST et du CRCE-K, ainsi que sur celles du groupe SER)

M. Gabriel Attal, Premier ministre .  - La situation à Gaza est grave. Les images terribles de Rafah nous bouleversent, tout comme la mort de notre compatriote Orión Hernández-Radoux, qui était retenu par le Hamas. Deux autres otages français sont encore retenus par le Hamas. (M. Guillaume Gontard renchérit.)

Nous devons nous placer collectivement à la hauteur de nos responsabilités. Je ne comprends pas les termes de votre question...

M. Akli Mellouli.  - C'est pourtant clair !

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - Comment parler d'inaction alors que le Président de la République a été l'un des premiers occidentaux à appeler à un cessez-le-feu ?

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Il faut le faire appliquer !

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - Que la France a favorisé l'adoption d'une résolution en ce sens au Conseil de sécurité des Nations unies ? Qu'elle a été le premier pays à larguer de l'aide humanitaire, qu'elle a envoyé le Dixmude, qu'elle joue un rôle moteur pour aboutir à une solution politique durable ?

Je le redis, après le Président de la République et le ministre de l'Europe et des affaires étrangères : la reconnaissance d'un État palestinien n'est pas un tabou, mais elle doit être utile. (M. Guillaume Gontard et Mme Raymonde Poncet Monge protestent.)

Mme Gisèle Jourda n'a pas répondu à la question que lui a posée le ministre : qu'est-ce qui a changé depuis la reconnaissance de l'État palestinien par trois pays européens ? Reconnaître unilatéralement cet État sans produire aucun impact, ce n'est pas utile.

M. Yannick Jadot.  - Un accord d'association !

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - Il est important d'être factuel. Vous avez repris des termes employés par un orateur LFI hier à l'Assemblée nationale. Les armes utilisées par l'armée israélienne à Gaza ne sont pas françaises. Nous ne livrons que des composants exclusivement consacrés à la défense du territoire israélien, au dôme de fer, purement défensif. Nous étions heureux, lorsque l'Iran a envoyé deux cents drones sur Israël, que celui-ci en dispose.

M. Yannick Jadot.  - Ce n'est pas le sujet !

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - Il est important d'être factuel. Je me réjouis que nous n'assistions pas au Sénat à des scènes comme celles d'hier à l'Assemblée nationale. Halte à la politique spectacle ! (Protestations sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER et du CRCE-K ; applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et UC)

Les drapeaux de la France, de l'Europe se suffisent à eux-mêmes pour appeler à la paix (mêmes mouvements) ; ils véhiculent nos idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité entre les peuples. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Guillaume Gontard.  - Désolé, je ne vous comprends pas non plus.

M. Francis Szpiner.  - Cela ne m'étonne pas !

M. Guillaume Gontard.  - Vos discours n'ont plus aucun sens. Un génocide se déroule sous nos yeux et vous regardez vos chaussures. Agissez ! (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER et du CRCE-K)

Finances locales (I)

M. Olivier Paccaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ma question s'adresse à tous les ministres pour lesquels les collectivités territoriales ne sont pas des terres inconnues. Le Président de la République a prononcé des mots abracadabrantesques : « hormis une dérive des dépenses qui est du fait des collectivités locales, il n'y a pas de dérapage de la dépense de l'État. » Partagez-vous ces propos, qui ont provoqué un profond ressentiment ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Catherine Morin-Desailly et M. Franck Dhersin applaudissent également.)

Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique .  - Soyez rassuré, les collectivités territoriales ne me sont pas une terre inconnue. Je suis élue locale de longue date et me suis beaucoup intéressée aux finances locales. (On ironise sur les travées du groupe Les Républicains) Leur situation, qui était plutôt bonne en 2022, s'est dégradée en 2023. Les départements, dont l'Oise, sont impactés par la baisse des DMTO. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)

L'État, ces deux dernières années, a fortement soutenu nos collectivités : augmentation de la DGF de 640 millions d'euros, deux fois 2 milliards d'euros pour le fonds vert sur 2023 et 2024, réintégration de l'aménagement des terrains dans le FCTVA, pour 250 millions d'euros. (« La question ! » sur les travées du groupe Les Républicains)

Les collectivités territoriales et l'État doivent participer conjointement à l'effort de baisse des dépenses publiques. L'État prend sa part. Le Conseil des finances publiques a souligné que malgré la baisse de 0,5% que nous demandons, les dépenses de fonctionnement augmentent tout de même de 1,9%. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains),

Mme Sophie Primas.  - La faute à qui ?

Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État.  - Selon le rapport Ravignon, réorganiser notre structure administrative pourrait nous faire économiser 7,5 milliards d'euros. Travaillons ensemble ! (Protestations redoublées ; M. François Patriat applaudit.)

M. Olivier Paccaud.  - Vous êtes au Sénat (M. Yannick Jadot renchérit), dans la chambre des collectivités, qui représente les 550 000 élus locaux respectueux de la règle d'or leur interdisant d'emprunter pour leur fonctionnement.

M. André Reichardt.  - Très bien.

M. Olivier Paccaud.  - La dette des collectivités territoriales ne dépasse pas 9 % du PIB depuis trente ans : vous ne trouverez pas ici l'homme qui pèse 1 000 milliards d'euros de dette, il est à Bercy et à l'Élysée ! Vous ne trouverez personne ici qui ne respecte pas l'article 72 de la Constitution sur la libre administration des collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Marc Vayssouze-Faure applaudit également.)

Cela fait longtemps que l'État ne compense plus à l'euro près les charges transférées. Dans l'Oise, les 228 millions d'euros dépensés au titre des allocations individuelles de solidarité sont compensés à 52 %. Vos leçons d'économie et de morale ne passent pas ! (Applaudissements et huées sur les travées du groupe Les Républicains)

Le macronisme, c'est la recherche permanente du bouc émissaire. C'est pas moi, c'est lui : c'était le titre d'un film des années 1980. (Marques d'agacement sur les travées du RDPI.) Macron se voulait de Gaulle, il suit les traces d'Aldo Maccione ! (Applaudissements nourris et rires sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe UC)

Convention médicale

Mme Nadège Havet .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Loïc Hervé applaudit également.) Les cliniques privées avaient annoncé en avril dernier une grève à compter du 3 juin, notamment dans mon département du Finistère, soulevant des inquiétudes sur la continuité des soins. Le 24 mai, leurs représentants ont annoncé la levée du préavis de grève, après un accord avec le Gouvernement. Quels en sont ses contours ?

La convention médicale, en discussion depuis dix-huit mois, remporte progressivement l'adhésion des syndicats de médecins libéraux. Cette convention marque un tournant, avec des engagements réciproques des médecins et des pouvoirs publics, pour une collaboration vertueuse entre secteurs public et privé, ville et hôpital. Ainsi, l'Institut de cancérologie et d'imagerie de Brest, inauguré il y a un mois, est un partenariat public-privé.

Quelles sont les prochaines étapes pour concrétiser ces engagements réciproques ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention .  - Comme vous, je me félicite des relations plus apaisées entre le gouvernement et la médecine libérale. Nous avons autant besoin de l'hôpital que des acteurs libéraux et privés. Je me réjouis de la levée du préavis de grève des cliniques, grâce à un accord qui respecte leur fonctionnement sans reculer sur nos exigences.

Trois principes ont guidé cet accord : l'équité de traitement entre le public et le privé ; l'engagement des acteurs privés sur des missions d'intérêt général ; la visibilité dans le temps. À partir du 1er juillet, le Gouvernement accompagnera les cliniques dans la prise en charge des gardes et des astreintes.

Cet accord respecte deux règles : pas un euro ne sera prélevé sur les hôpitaux, et nous n'ajoutons pas un euro à l'Ondam voté par le Parlement.

Le 11 juin, je réunirai les cinq fédérations hospitalières pour préparer le cadre pluriannuel. Trois syndicats de médecins ont déjà approuvé la convention médicale, deux doivent encore se prononcer. J'ai bon espoir, car de nouvelles relations s'engagent entre le privé et le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

Pénurie de médicaments et grève des pharmaciens

Mme Marie-Claude Lermytte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Alain Cazabonne applaudit également.) Dans un message aux pharmaciens du 23 avril, la direction générale de la santé (DGS) a annoncé retirer du marché un vaccin antigrippal de Sanofi, l'Efluelda, que nombre de pharmaciens avaient déjà commandé. Je pourrais aussi évoquer les pénuries d'amoxicilline ou de traitements pour les diabétiques, sujet sur lequel le Sénat a alerté, avec le rapport de mon prédécesseur Jean-Pierre Decool.

Prix d'achat trop bas, faiblesse de la production en France et en Europe, problème d'accès aux molécules, répartition des stocks : tous ces sujets affectent nos pharmaciens, qui feront grève demain, mais aussi le corps médical et bien sûr les patients. Avez-vous identifié les causes ? Quelles solutions envisagez-vous pour assurer notre indépendance sanitaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur quelques travées du groupe UC ; M. Bruno Belin applaudit également.)

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention .  - La pression sur le marché des médicaments est un sujet d'inquiétude, et le Gouvernement est mobilisé.

Les signalements de rupture ou de risque de rupture de stock ont augmenté de plus de 30 % en un an. Nous connaissons les causes : prévalence des épidémies hivernales, disponibilité des matières premières, tensions sur le marché mondial mais aussi sur les chaines de fabrication et de distribution.

En février, Catherine Vautrin, Roland Lescure et moi-même avons présenté une feuille de route pour fluidifier et sécuriser les approvisionnements, avec une liste de 450 médicaments essentiels qui font l'objet d'un suivi renforcé. Nous avons autorisé la production de certains médicaments en pharmacie comme l'amoxicilline

Choose France est l'occasion de relocaliser la production dans notre pays. Depuis cinq ans, la France est championne d'Europe de l'attractivité pour les investissements étrangers. Ainsi, 1,2 milliard d'euros seront investis par cinq laboratoires étrangers, ainsi que 1,1 milliard par Sanofi à Vitry-sur-Seine, dans une démarche de relocalisation. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI ; exclamations à droite.)

Mme Marie-Claude Lermytte.  - Attention à la vente en ligne de certains médicaments, sur laquelle les pharmaciens nous alertent. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

Désindexation des retraites sur l'inflation

M. Laurent Burgoa .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le président du groupe Renaissance à l'Assemblée nationale souhaite désindexer les pensions de retraite. Soutenez-vous cette initiative, malgré la forte inflation que subissent déjà nos retraités ?

M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie .  - Je vous prie d'excuser le ministre Bruno Le maire, retenu par ailleurs... (Marques d'ironie sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Sophie Primas.  - Comme d'habitude !

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - ... mais qui aura l'occasion de répondre à vos questions demain matin, à 9 h 30.

Pour répondre à votre question, dont j'imagine qu'elle appellera une réplique plus longue, il n'y a pas de plan caché ! S'il cherchait à éviter les sujets difficiles en période électorale, le Premier ministre n'aurait pas annoncé, dimanche, une réforme courageuse de l'assurance chômage, que vous soutiendrez tous, je l'espère. (Marques d'ironie à gauche)

C'est ce Gouvernement qui a réindexé les retraites sur l'inflation. Depuis 2022, c'est une hausse de 10 %, et de 15 milliards d'euros pour la seule année 2024. Nous l'assumons, pour protéger nos retraités.

Le budget sera présenté en septembre. Les groupes parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat seront consultés sur les mesures qu'ils souhaitent proposer. N'hésitez pas ! (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Laurent Burgoa.  - (Gabriel Attal déplore que l'orateur lise sa réponse.) Après sept ans, le Gouvernement n'a toujours pas entrepris de réforme de fond ! Vous vous êtes contentés de coups de rabots successifs et d'attaques sur les collectivités, comme la suppression de la taxe d'habitation et de la CVAE. Les élus locaux seront encore davantage mis à contribution, alors qu'ils ne sont pas responsables des dérives des finances publiques.

Vous estimez que, comme les collectivités, les retraités sont trop riches et doivent se serrer la ceinture. Quand arrêterez-vous cette politique des boucs émissaires ? (M. Roland Lescure s'impatiente.)

Avec ce discours, comment creusez un fossé intergénérationnel, en laissant penser aux jeunes générations que leurs aînés vivent dans l'opulence. Vous faites le lit du populisme, qui s'exprimera, une fois de plus, lors des élections européennes !

Ne faut-il pas plutôt s'attaquer aux lourdeurs administratives qui étouffent les citoyens et découragent les élus ? Rassembler les Français plutôt que désigner des boucs émissaires ? (M. Xavier Iacovelli s'exclame.) Le mal que vous faites à notre cohésion sociale sera toujours supérieur aux économies que vous croyez faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Budget de l'enseignement supérieur et de la recherche

M. Éric Kerrouche .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le 7 décembre dernier, le Président de la République déclarait sa flamme à l'université et à la recherche publique. Mais quelques semaines plus tard, changement de ton : sur 10 milliards d'euros de crédits annulés, 900 millions le seront à leur détriment ! Dans le même temps, le crédit d'impôt recherche coûte 7,6 milliards d'euros et reste toujours aussi décrié...

Ces choix s'inscrivent dans la continuité de votre politique : recours accru à des emplois précaires, inégalités croissantes entre disciplines et établissements, délaissement du patrimoine universitaire, dont un tiers est dans un état peu ou pas satisfaisant.

Que comptez-vous faire pour nos universités ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Je vous remercie d'avoir souligné l'ambition exprimée par le Président de la République dans son discours du 7 décembre. (Ironie sur les travées du groupe SER)

Il s'agit de renforcer le rattrapage que nous avons entrepris dans le cadre de la loi de programmation de la recherche, qui prévoit un investissement de 25 milliards d'euros sur dix ans. Notre objectif est notamment d'améliorer l'attractivité de notre recherche. Sur les 54 milliards d'euros de France 2030, 13 milliards bénéficieront à des programmes de recherche prioritaires, fondés sur une vision stratégique.

Dans le contexte économique que nous connaissons, une annulation globale de 900 millions d'euros a été décidée, qui porte sur mon ministère à hauteur de 580 millions : 75 millions seront pris sur la réserve de précaution, le restant sur la programmation pluriannuelle d'immobilier et d'équipements.

Je ne minimise pas les effets de ces crédits supprimés. Nous continuerons à défendre pour la recherche l'ambition que le Président de la République a rappelée, en particulier à travers le prochain programme européen, les contrats de plan État-région et les plans de relance. (Applaudissements sur de nombreuses travées du RDPI)

M. François Patriat.  - Bravo !

M. Éric Kerrouche.  - Nonobstant le discours managérial du Gouvernement, on ne fait pas de bons travaux dirigés avec soixante étudiants, pas plus qu'on étudie dans de bonnes conditions dans un amphithéâtre à quatorze degrés.

Vous n'avez pas la confiance des enseignants et des chercheurs ! Seulement 4 % ont un avis positif sur votre réforme. Le recours massif à l'emploi précaire et la faiblesse des salaires académiques minent notre université : il faudrait 10 000 recrutements pour retrouver le taux d'encadrement de 2010...

Résultat : un quart des étudiants sont dans l'enseignement privé, contre 15 % dans les années 1990.

Au bout du compte, vous renoncez à la promesse républicaine, car ce sont les étudiants les plus favorisés qui fréquentent les meilleurs établissements. Le Premier ministre a présenté son gouvernement comme celui du dépassement ; pour la recherche, l'enseignement et l'université, vous êtes le gouvernement du déclassement ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, sur de nombreuses travées du GEST et sur quelques travées du groupe CRCE-K)

Sécurité de la maison d'arrêt de la Santé

Mme Marie-Claire Carrère-Gée .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'enquête du Parisien sur Mohamed Amra confirme, hélas, les constats qu'Antoine Lefèvre et moi-même avions dressés. À la prison de la Santé, rien n'est plus facile que de se faire livrer, à toute heure du jour ou de la nuit, téléphones, drogues, cash, voire des armes. Le long des murs, des dizaines de cordelettes pendent en permanence, où les complices accrochent les colis : un véritable Deliveroo du crime !

Et pour cause : la police n'est pas là. En 2019, les rondes permanentes ont été supprimées. Certes, des voitures de police passent et une vidéosurveillance est en place, de même qu'une hotline pour les riverains. Reste que la tolérance est absolue pour ces livraisons. Les agents saisissent ce qu'ils peuvent, c'est-à-dire beaucoup, mais évidemment pas tout. Sans compter l'enfer vécu par les riverains : hurlements, bagarres et intimidations sont leur quotidien.

Quand les rondes permanentes seront-elles réinstaurées ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Je ne suis pas encore ministre de l'intérieur... (Nombreuses marques d'amusement à droite et au centre)

M. Jérôme Durain.  - Soyez au moins celui de la Santé !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Plus sérieusement, la Santé connaît en effet des difficultés, comme les autres établissements pénitentiaires de coeur de ville.

En 2019, un brouilleur général a été installé à la Santé. Le problème, c'est qu'il gêne les riverains, ce dont les élus s'émeuvent. Je suis en train d'examiner comment améliorer le système. Vingt établissements sont désormais équipés, et ce nombre doublera l'année prochaine.

De même, le nombre de systèmes anti-drones sera plus que doublé en 2025. Nous avons créé une centaine d'équipes locales de sécurité, qui oeuvrent au sein et aux abords des prisons. J'ai demandé l'intensification des fouilles en détention.

Le budget consacré aux équipements de sécurité a été porté à 83,7 millions d'euros cette année, en hausse de 9 %. Je remercie le Sénat pour son appui, car il a toujours voté les budgets Justice, en progression année après année.

M. Antoine Lefèvre.  - C'est vrai !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Nous poursuivrons cette politique volontariste, encore et toujours. (Applaudissements sur plusieurs travées du RDPI)

Mme Marie-Claire Carrère-Gée.  - Le ministre de l'intérieur, vous le connaissez - c'est d'ailleurs à lui que ma question était adressée.

Vous parlez des brouilleurs, mais il y a une solution simple : ne pas laisser entrer les téléphones !

M. Bruno Sido.  - Évidemment !

Mme Marie-Claire Carrère-Gée.  - Pourquoi attendre une solution technologique qui viendra à la Saint-Glinglin, alors qu'il suffirait de rétablir les rondes ?

Je l'ai dit à M. Darmanin : un jour, il y aura un drame - attaque, mutinerie, prise d'otage. On ne pourra pas dire qu'on ne savait pas. Après les deux morts dans l'évasion de Mohamed Amra, combien faudra-t-il d'autres victimes ? La responsabilité de l'État est engagée ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Réindustrialisation et situation d'Ascometal

M. Jean-Marie Mizzon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Monsieur le ministre de l'industrie, le Gouvernement clame haut et fort que la réindustrialisation est l'une de ses priorités. Pourtant, en Moselle, un exemple semble le démentir.

À Hagondange, l'usine Ascometal a été placée en redressement judiciaire en mars dernier. Un candidat sérieux s'est présenté pour reprendre l'activité : l'italien Acciaierie Venete. De fait, le site est rentable, mais aussi écologique, car il recycle de l'acier, et moderne, puisqu'il fonctionne à l'électricité.

Acciaierie Venete s'est engagée à reprendre les 1 300 emplois en jeu, à condition que l'État entre au capital de l'entreprise à hauteur de 15 millions d'euros pour assurer les opérations de désamiantage et dépoussiérage. Quinze millions d'euros pour 1 300 emplois : on ne saurait hésiter. C'est pourtant ce que vous semblez faire...

Si l'État, BPI France ou la Caisse des dépôts n'interviennent pas, la communauté de communes Rives de Moselle le fera, mais au péril de sa situation financière. L'État entrera-t-il au capital d'Ascometal pour sauver ce fleuron industriel ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Jean-François Husson, Khalifé Khalifé et Michel Savin applaudissent également.)

M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie .  - Nous sommes évidemment aux côtés des salariés d'Ascometal, que j'ai rencontrés il y a un an. L'État a déjà beaucoup soutenu cette entreprise, renonçant notamment à plusieurs dizaines de millions d'euros pour accompagner son redressement judiciaire. Je l'ai dit aux repreneurs potentiels, dont Venete : nous sommes prêts à accorder des garanties et des prêts, en liaison avec les autorités locales.

Venete ne demande pas une entrée de l'État au capital. Les discussions se poursuivent, et une audience importante se tiendra demain : j'espère qu'elle ouvrira sur des offres pour les cinq sites d'Ascometal, dont Hagondange. Venete demande une négociation avec l'actionnaire actuel sur les frais de désamiantage. Un certain nombre d'acteurs publics sont prêts à envisager une contribution.

Je porte le même regard sur tous les dossiers : je souhaite un repreneur prêt à s'investir. Nous connaîtrons demain le degré réel d'investissement de Venete. Dès lors qu'un investisseur présente un plan d'affaires crédible, l'État examinera son dossier avec la volonté qu'un projet crédible et durable aboutisse. Les salariés d'Ascometal ont été suffisamment ballotés ces dernières années : si on relance, il faut que l'emploi et le territoire en bénéficient dans la durée ! (Applaudissements sur plusieurs travées du RDPI ; M. Vincent Louault applaudit également.)

M. Jean-Marie Mizzon.  - La condition de reprise la plus difficile, c'était la reconstitution des stocks. Les salariés ont travaillé d'arrache-pied pour y parvenir !

Montrez-leur que la réindustrialisation n'est pas un vain mot, un concept ou un leurre, mais une réalité et une priorité. Les Italiens sont des spécialistes de l'acier : cet investisseur ne vient pas en France pour faire du tricot, mais reprendre une aciérie. Il est temps de formaliser.

Gardez-vous de demander du temps, car, comme le disait Mirabeau, le malheur n'en accorde jamais. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains)

Changement climatique et fédérations sportives

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ces dernières années, plusieurs initiatives ont été prises par le ministère pour que le sport devienne un levier d'accélération de la transition environnementale : charte d'engagements responsables de 2017, campagne d'actions en 2021, plan de sobriété en 2022.

Hélas, toutes ces initiatives, comme le label plus ancien « Développement durable : le sport s'engage », visent pour l'essentiel à réduire les nuisances environnementales causées par les grands événements sportifs.

Quid des injonctions des fédérations sportives aux collectivités territoriales ? Comment peut-on encore imposer l'agrandissement de tribunes quand un club est promu, alors qu'il sera peut-être relégué l'année suivante ? Ou le maintien en fonctionnement de patinoires quand les températures augmentent, parce que le calendrier des championnats s'étend sur une très longue durée ? Ou encore l'arrosage de terrains en herbe pour l'accueil de matchs de football d'un certain niveau ?

Le ministère des sports exerce une tutelle sur les fédérations : quelles mesures comptez-vous prendre pour que sport rime avec adaptation au changement climatique ? Quelles sont les conclusions de la consultation menée l'an dernier pour préparer la contribution du sport au plan national d'adaptation ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du GEST)

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques .  - Oui, le changement climatique impacte le sport, amateur comme professionnel. Ma mobilisation est totale. (Sarcasmes à droite)

Le sport doit contribuer à l'atténuation du changement climatique et s'y adapter : c'est le sens du plan de sobriété énergétique lancé par Agnès Pannier-Runacher et moi-même. Il a des implications concrètes sur les gymnases, les piscines ou les stades.

Nous consentons un effort inédit pour la rénovation énergétique des équipements sportifs : 66 millions d'euros issus du fonds vert, 100 millions du plan de relance. La charte que vous avez mentionnée a été signée par 130 organisateurs d'événements et des dizaines de fédérations.

S'agissant de l'adaptation, un guide de l'été responsable a été publié l'an dernier, sous ma houlette. Dans les toutes prochaines semaines, je présenterai avec Christophe Béchu la déclinaison sport du plan national d'adaptation au changement climatique.

Dans quelques semaines, nous organiserons les Jeux les plus écologiques de l'histoire. (L'ironie redouble à droite.) Nous aurons probablement aussi les Jeux d'hiver de 2030. J'ai demandé aux acteurs du sport, notamment aux fédérations de hockey sur glace et de sports de glace, de travailler à un modèle de patinoires économes et zéro carbone. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Christine Lavarde.  - Vous me parlez de semaines, mais l'injonction envers les collectivités est immédiate. Ce n'est pas à elles de supporter le coût de mesures écologiques qu'on leur impose.

Pour ce qui est du fonds vert, je m'inquiète de sa pérennité. On pourrait s'intéresser aussi à France 2030 : je n'y ai rien trouvé en faveur de recherches pour des patinoires économes ou des terrains synthétiques...

M. le président. - Il faut conclure.

Mme Christine Lavarde.  - Dans le rapport de 2021 cofinancé par votre ministère, il est proposé de promouvoir des pratiques locales et de saison. Accepter une certaine saisonnalité des pratiques, c'est ce que doivent faire les fédérations ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Lutte contre les violences sexistes et sexuelles

Mme Laurence Rossignol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) À 18 heures, à l'appel de plusieurs associations, se tiendra devant les ministères sociaux un rassemblement contre les violences sexistes et sexuelles dans le monde de la santé, que ce soit à l'université ou à l'hôpital.

Le sexisme d'atmosphère, les fresques pornographiques, l'entre-soi masculin (exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains) vous sentez-vous concernés, mes chers collègues ? (rires et quelques applaudissements à gauche) - les inégalités de carrière : tout cela ne contribue pas à l'attractivité de l'hôpital. J'espère que les organisatrices seront reçues par les ministres.

#MeToo des armées, de l'hôpital, du cinéma, de la politique : chaque secteur a besoin d'un traitement spécifique, mais il faut aussi une grande loi globale. C'est le sens de l'appel lancé dans Le Monde par la Fondation des femmes pour une loi intégrale - nous l'appellerions plutôt loi-cadre ou loi de programmation - incluant les moyens et les réformes nécessaires sur toute la chaîne : prévention, accompagnement des victimes, répression des auteurs, réparation.

Madame la ministre, comment le Gouvernement compte-t-il répondre à cette proposition ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Grégory Blanc applaudit également.)

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations .  - Oui, une mobilisation soulève la société. Derrière Karine Lacombe, c'est une foule immense de femmes, parfois d'hommes, qui dénoncent les abus de l'autorité hiérarchique, abus qui peuvent aller jusqu'aux violences sexuelles. Le ministre de la santé l'a reçue, et poursuit ses consultations. La ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche travaille à un plan de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le monde universitaire, notamment dans les études de médecine.

Quel que soit le secteur, on s'aperçoit qu'il faut aller plus loin, sur les circuits de signalement, la détection, la prévention, les garde-fous.

C'est le sens de la mission qui réunit les ministères de la santé, du travail, de la fonction publique, de l'enseignement supérieur, du sport et de la culture. Nous avons missionné des avocates, des magistrates, des directrices des ressources humaines - je pense à Angélique Cauchy, qui fut l'une des premières à dénoncer les violences subies. Les conclusions nous seront rendues en juin.

Commençons par regarder en face ce fléau de masse des violences sexuelles, qui se jouent au coeur de l'environnement familial, professionnel et amical : dans neuf cas sur dix, la victime connaît son agresseur. C'est pourquoi le Président de la République s'est engagé à faire évoluer le code pénal pour y intégrer la notion de consentement. Cela ne règle pas tout, mais ce sera un nouveau point de départ pour recréer du consensus et agir contre ce fléau. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Laurence Rossignol.  - Merci pour votre réponse, mais nous légiférons mal sur ces sujets, par petites propositions de loi, par petits morceaux de patchwork. Nous avons besoin d'une grande loi, pour un traitement global. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Grégory Blanc applaudit également.)

Fonds de soutien au développement des activités périscolaires

Mme Marie-Jeanne Bellamy .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En 2013, le rythme scolaire de droit commun a été fixé à quatre jours et demi ; un fonds de soutien au développement des activités périscolaires a été créé pour aider les collectivités à financer ces activités. Fin septembre 2023, alors que les budgets étaient votés et la rentrée effectuée, les élus ont appris que ce fonds serait divisé par deux puis supprimé à la rentrée 2024 - une décision prise sans aucune concertation.

Sur pression des élus locaux, les crédits ont été rétablis. Que de temps perdu !

Lors du dernier congrès des maires, Gabriel Attal, alors ministre de l'éducation, a annoncé la prolongation du dispositif jusqu'à la rentrée 2025-2026, en promettant une concertation approfondie avec les élus sur le sujet.

Or depuis la venue de Nicole Belloubet dans la Vienne, son cabinet m'a indiqué que le fonds serait supprimé à la rentrée 2025-2026. (Exclamations indignées sur les travées du groupe Les Républicains)

Mes courriers adressés à Gabriel Attal puis à Nicole Belloubet sont restés sans réponse. (On feint de s'en étonner sur les travées du groupe Les Républicains)

Qui croire ? Le Premier ministre qui s'engage, ou le cabinet de la ministre qui annonce la fin des crédits ? Les maires, les associations, les familles ont besoin de s'organiser. La suppression de ce fonds marquera un coup d'arrêt pour le secteur associatif et culturel, notamment en milieu rural où les centres de loisirs sont rares.

Comment allez-vous accompagner les communes qui appliquent le rythme scolaire de droit commun ? Quel sera le nouveau modèle de financement ? Les élus ont besoin de sécurité juridique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. François Patriat applaudit également.)

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles .  - Ce qui compte, ce qui dure, ce sont les engagements du Premier ministre, à l'époque ministre de l'éducation nationale. (Marques d'amusement à droite)

À ce jour, ce fonds est utilisé pour plus d'un tiers par cinq ou six très grandes communes. À peine 1 300 communes l'utilisent, contre 20 000 initialement. Des concertations seront organisées avec les associations d'élus locaux, comme promis, mais reconnaissez que la situation actuelle n'est pas optimale.

Il faut re-flécher une partie de l'enveloppe vers le périscolaire et l'extrascolaire, pour assurer la continuité éducative bien sûr, mais aussi pour favoriser la vie et l'animation dans nos communes.

Cet accompagnement bénéficiera de crédits de la Cnaf, dont la participation augmente de 12 %. Le bonus inclusion passe à 4,50 euros. Je sais que la prise en charge de la pause méridienne est un investissement important pour les petites communes : nous serons au rendez-vous. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI ; protestations sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

Finances locales (II)

Mme Jocelyne Antoine .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Dans un entretien à L'Express, le 16 mai dernier, le Président de la République déclare qu'« hormis une dérive des dépenses initialement prévues, qui est du fait des collectivités locales, il n'y a pas de dérapage de la dépense de l'État ».

Une telle affirmation a choqué les représentants des collectivités locales que nous sommes. Ces dernières contribuent depuis des années à améliorer les comptes publics, alors que les dépenses de l'État, elles, dérapent. Leur dette est stable depuis trente ans, et même en légère diminution. Elles appliquent la règle d'or qui interdit d'emprunter pour les dépenses de fonctionnement.

Alors que l'État prive les collectivités de recettes, sans compensation, il augmente lui-même leurs dépenses de fonctionnement : revalorisation du point d'indice des fonctionnaires territoriaux, revalorisation des aides sociales versées par les départements et les CCAS. C'est un miracle qu'elles parviennent encore à équilibrer leurs comptes !

Madame la ministre, pouvez-vous nous démontrer que l'État n'est en rien responsable de la situation financière des collectivités territoriales ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique .  - Je complète ma réponse au sénateur Paccaud.

Parmi les mesures de soutien accordées aux collectivités ces deux dernières années, il faut aussi citer le fonds de compensation, abondé à parité par l'État, à hauteur de 106 millions d'euros, pour les départements touchés par la baisse de DMTO. La Meuse fait partie des quatorze départements qui sont accompagnés ; la situation du bloc communal y est globalement satisfaisante, et s'améliore.

L'État a beaucoup oeuvré pour faire face à la crise : filet de sécurité, amortisseur électricité, hausse de la dotation pour les titres sécurisés. Sur ces deux dernières années, plus de 6 milliards d'euros supplémentaires ont été mobilisés pour les collectivités. Vous pouvez sourire, monsieur le rapporteur général, mais c'est la vérité.

M. Jean-François Husson.  - Si vous saviez pourquoi je souris !

Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État.  - L'État prend aussi sa part à cet effort, mais la crise sanitaire, la crise ukrainienne, puis la crise de l'énergie nous ont obligés à dégrader nos comptes pour financer des mesures de soutien massives.

Pour autant, notre politique est claire. Nous menons des réformes ambitieuses, des retraites ou de l'assurance chômage, pour réduire ces déficits, et faisons des économies sur le budget de l'État. C'est collectivement que nous devons oeuvrer au redressement de nos comptes publics, pour être au rendez-vous du pacte de stabilité en 2027. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)

La séance est suspendue à 16 h 20.

Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente

La séance reprend à 16 h 30.

Mise au point au sujet d'un vote

Mme Anne-Sophie Romagny.  - Lors du scrutin n°204 sur l'ensemble de la proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales mises en oeuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre, Mmes et MM. Fargeot, Billon, Longeot, Jacquemet, Loisier, Arnaud, Martin et de La Provôté ont été enregistrés comme votant pour, alors qu'ils ne souhaitaient pas prendre part au vote.

Acte en est donné.

CMP (Nominations)

Mme la présidente.  - Une candidature pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la Présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.

Contrôle des investissements étrangers en France comme outil d'une stratégie d'intelligence économique au service de notre souveraineté

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Le contrôle des investissements étrangers en France comme outil d'une stratégie d'intelligence économique au service de notre souveraineté » demandé par le RDPI.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour le RDPI .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) C'est une première et, une fois de plus, elle a lieu au Sénat ! Avec Marie-Noëlle Lienemann, nous avions souhaité institutionnaliser un débat sur le contrôle des investissements étrangers en France. Je remercie François Patriat de l'avoir permis sur le temps du groupe.

Le patrimoine économique tricolore doit être protégé, dans un monde en état de guerre économique permanente, où tous les coups sont permis pour s'emparer des technologies critiques. La France est dans la course, grâce à France 2030 et aux stratégies de filières -  hydrogène, quantique, IA. Les résultats sont là : six fois plus de fonds levés dans l'IA en quatre ans.

La compétition fait rage entre rivaux, mais aussi entre alliés, avec les mêmes armes : subventions massives, barrières tarifaires et non tarifaires, voire mesures de privation de liberté - Frédéric Pierucci en a fait l'amère expérience aux États-Unis... Les alertes de sécurité sont passées de 694 en 2022 à 900 en 2023...

Depuis 2017, la France a pris des mesures fortes tant au plan national qu'européen. Emmanuel Macron s'est constamment engagé pour que nous Européens cessions d'être les idiots du village global. La France a été l'artisan d'un réveil européen, pour moins de naïveté et plus de souveraineté.

Mais nous voulons aller au-delà du seul contrôle des investissements étrangers en France, pour en faire un outil d'une stratégie d'intelligence économique au service de notre souveraineté.

La notion d'intelligence économique (IE) a émergé en 1994, avec le rapport Martre. L'IE, kesako ? C'est la gestion stratégique de l'information économique, pour appréhender les opportunités et les risques liés à la mondialisation des échanges.

Saluons les efforts des acteurs de la communauté de l'intelligence économique : Christian Harbulot, Claude Revel, Pascal Dupeyrat, mais aussi l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).

Le Sénat joue aussi son rôle de vigie : mission d'information de la commission des affaires économiques ; proposition de loi de septembre 2023, cosignée avec Franck Montaugé, Serge Babary et Marie-Noëlle Lienemann ; amendement transpartisan adopté la semaine dernière dans le cadre de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France ; mission d'information sur Atos, à laquelle Fabien Gay a participé ; commission d'enquête sur les ingérences étrangères conduite par nos collègues Témal et de Legge.

Depuis 1966, c'est la loi qui détermine l'équilibre entre liberté des investissements et sécurité nationale. En 2019, la loi Pacte a donné plus de pouvoirs de sanction au ministère de l'économie et plus de pouvoirs de contrôle et d'information au Parlement.

Combien de dossiers seraient-ils passés sous les radars sans la vigilance du Parlement ? Je pense notamment à Photonis, qui serait passé sous pavillon américain sans notre mobilisation collective. L'État s'est opposé à son rachat par le groupe américain Teledyne et depuis, Photonis, devenu Exosens, a doublé son chiffre d'affaires.

La France doit savoir dire non. Elle a musclé son jeu depuis 2017, afin de garantir sa souveraineté et sa résilience dans les domaines industriel et technologique. Une politique de sécurité économique a été mise en oeuvre, avec une doctrine et une gouvernance. Le contrôle des investissements étrangers en France a été renforcé à plusieurs reprises.

La France a été moteur dans l'évolution de la doxa européenne, avec un mécanisme de coopération. Depuis, de nouveaux États se sont dotés d'une législation et des principes communs ont été définis.

La France est désormais mieux armée face aux risques de prédation économique, sans que cela nuise à son attractivité -  nous sommes toujours sur le podium !

Je ne doute pas que sur ce sujet d'intérêt national, nos convergences seront plus fortes que nos nuances. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Franck Montaugé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Merci à Jean-Baptiste Lemoyne pour ce débat.

Dès 2015, j'avais attiré l'attention de la commission des affaires économiques sur ce sujet confidentiel et j'ai cosigné la proposition de loi transpartisane initiée par Marie-Noëlle Lienemann. L'intelligence économique doit constituer le cadre global de notre stratégie économique ; le contrôle des investissements étrangers, sur lequel notre pays s'est d'abord focalisé, n'en est qu'une déclinaison.

Au vu des agressions multiples que subissent nos entreprises, parler de guerre économique est pertinent. L'existence d'une École de guerre économique en est la preuve. Les acteurs économiques doivent s'approprier les enseignements de ces travaux de recherche, et l'État se donner les moyens de piloter une stratégie nationale d'intelligence économique claire, englobant les dispositifs actuels sur les investissements directs étrangers (IDE). C'est tout le sens de la proposition de loi de septembre 2023.

Cette politique publique, débattue et votée par la représentation nationale, doit être pilotée par une structure dédiée.

Monsieur le ministre, jugez-vous utile que la France se dote d'une stratégie nationale d'intelligence économique et d'un secrétariat général à l'intelligence économique ?

Comment acculturer les acteurs économiques des territoires ? Des comités régionaux à l'intelligence économique pourraient décliner la stratégie nationale, en lien avec les entreprises et les chambres de commerce et d'industrie (CCI). Les schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) pourraient aussi intégrer un volet relatif à l'intelligence économique. Un rapport annuel d'évaluation serait en outre rédigé.

L'intelligence économique doit prendre une place centrale dans nos politiques publiques. Le dispositif actuel de contrôle des investissements étrangers en France ne suffit pas, car il ne couvre qu'une partie du champ de la souveraineté économique.

La guerre économique n'est pas une vue de l'esprit, mais une réalité géopolitique qui nous oblige, pour le destin de la France. Elle concerne toutes nos entreprises et nécessite une acculturation spécifique.

Monsieur le ministre, quelles suites entendez-vous donner à ces propositions ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - L'intelligence économique va effectivement au-delà du contrôle des investissements étrangers, même s'il s'agit d'une composante importante. Il faut garantir nos approvisionnements, protéger nos actifs stratégiques et prévenir l'impact de réglementations étrangères sur nos entreprises.

Depuis 2019, nous avons une politique de sécurité économique, portée par le ministre de l'économie et des finances -  que vous pouvez auditionner régulièrement.

Les services de l'État qui concourent à cette politique -  le service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (Sisse), le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), le Quai d'Orsay  - travaillent selon une logique interministérielle.

Ce dispositif est utile et efficace, mais toutes les améliorations proposées par la représentation nationale seront les bienvenues.

M. Franck Montaugé.  - Faisons émerger la notion d'intelligence économique, pour améliorer la sécurité économique du pays. Elle mérite d'être mise en lumière et diffusée dans les territoires, car certaines petites entreprises, véritables pépites, sont en risque.

M. Pascal Allizard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je me réjouis de l'organisation de ce débat et en remercie Jean-Baptiste Lemoyne.

Après la chimère de la mondialisation heureuse, nous entrons dans une ère plus raisonnée. La crise du covid et la guerre en Europe et au Proche-Orient ont fait évoluer les mentalités. Les mots de souveraineté, de sécurité économique et d'intelligence économique sont enfin au premier plan et l'attractivité est le nouveau mantra de notre économie fragilisée. La consommation des ménages ne peut plus être le principal moteur de l'économie et le mur de la dette limite nos capacités d'intervention publique.

Lors du sommet Choose France, 15 milliards d'euros d'investissements ont été annoncés. Cela va dans le sens de la nécessaire, quoique difficile, réindustrialisation du pays. L'objectif est ambitieux, mais nous partons de loin.

Un équilibre délicat est à trouver entre souveraineté et attractivité, sans laisser entrer le loup dans la bergerie...

Dans les relations internationales, les États n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts, disait le général de Gaulle ; mais ils peuvent avoir aussi des alliés. Ce n'est pas le cas en matière économique : même les partenariats peuvent se faire de mauvaise manière. Nos compétiteurs usent de tous les moyens : subventions publiques, protectionnisme, renseignement, désinformation, investissements...

Cette confrontation relève d'une véritable guerre économique. La prise de conscience de la France comme de l'Union européenne est assez lente.

Nous avons renforcé notre contrôle des investissements étrangers. C'est particulièrement crucial pour la base industrielle et technologique de défense (BITD) française -  4 000 entreprises environ. Le Gouvernement doit aussi agir au niveau européen pour mieux tenir compte des spécificités du secteur de la défense. Certains États hors Union européenne font tout pour soutenir leur BITD, en instrumentalisant les ONG, et nous peinons à résister à ces manoeuvres.

La menace économique étrangère, souvent de nature capitalistique, augmente. Ne baissons pas la garde, soyons plus offensifs et agissons le plus en amont possible, pour éviter que nos entreprises deviennent les proies d'investisseurs.

Monsieur le ministre, quelles solutions proposez-vous ? (MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Cyril Pellevat applaudissent.)

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Merci d'avoir évoqué les enjeux d'équilibre de cette stratégie : la France doit rester ouverte, mais avec les yeux bien ouverts.

J'ai été le rapporteur de la loi Pacte, qui a renforcé le contrôle du Parlement. Nous sommes désormais en mesure de mieux alerter les entreprises, notamment les PME, et de les former. Le dispositif que nous avons mis en place est complet.

Le nombre d'alertes a augmenté, autour de 1 000 par an, probablement parce que la menace a augmenté, mais aussi parce que nous mesurons mieux.

M. Pascal Allizard.  - Nous sortons de la naïveté : c'est bien.

J'insiste sur les petites entreprises de la BITD. Certains de nos compétiteurs instrumentalisent les discours des ONG. Le secteur bancaire français pratique la surcompliance, ce qui tarit les sources de financement. Nous sommes réellement victimes d'actions étrangères d'intelligence économique. Je vous en supplie : prenez le sujet du financement de la BITD française à bras-le-corps ! Il y a danger. Nous attendons trop sagement que le temps passe.

M. Aymeric Durox .  - Le contrôle des investissements étrangers en France est un enjeu crucial. Mais depuis 2012, M. Emmanuel Macron vend la France et ses entreprises au monde entier... Faut-il rappeler la vente scandaleuse d'Alstom, trahison des intérêts de l'État ? Celle d'Alcatel-Lucent à Nokia ? Celle de l'aéroport Toulouse-Blagnac à la Chine ? Et peut-être demain, Atos ! La liste est malheureusement longue. Les gouvernements qui se sont succédé depuis quarante ans sont responsables de la désindustrialisation à marche forcée de notre pays. S'y ajoute la menace de l'extraterritorialité américaine et maintenant chinoise.

Si le Président de la République pouvait intervenir dans notre débat, que dirait-il ? Qu'il faut agir en Américains - pardon, en Européens ? Lapsus révélateur... C'est pourtant une économiste américaine qui a été nommée à la tête de la Direction générale de la concurrence...

M. Macron nous dirait aussi que cela fait partie du marché, comme il l'a dit à Bloomberg à propos du rachat de la Société Générale par une banque espagnole.

Il est temps de défendre réellement notre souveraineté : cela passera par un changement complet de politique économique, et donc par l'alternance politique souhaitée par les Français.

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Jusqu'ici tout allait bien, mais nous voilà dans la polémique, les non-dits et les faussetés !

L'économiste en chef de la Commission européenne n'a pas été recrutée, justement grâce à la France, qui s'est émue d'un conflit d'intérêts.

Jamais le Président de la République, ni quiconque au Gouvernement, n'a évoqué le rachat de la Société Générale par une banque espagnole.

Là où nous sommes d'accord pour ne pas être d'accord, c'est que nous pensons que la meilleure défense est l'attaque : nous voulons des entreprises françaises à l'offensive. Nous sommes convaincus que nous sommes plus forts à trois, à cinq ou à vingt-sept que tout seuls. J'espère que les Français choisiront l'ouverture lors des élections européennes.

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - Voilà cinq ans que la France est le pays européen qui attire le plus de capitaux étrangers. Nous pouvons en être fiers : notre pays est redevenu attractif. Alors que la concurrence internationale n'a jamais été aussi rude, cette attractivité retrouvée est un atout stratégique.

Mais faire entrer des capitaux étrangers sur notre sol peut exposer notre nation à des intérêts qui ne sont pas les siens. C'est le propre des sociétés ouvertes. Nous aurions tort de verser dans l'irénisme. Le libéralisme n'interdit pas l'intervention de l'État : on peut défendre l'économie de marché et confier le contrôle des investissements étrangers à la puissance publique.

Il y a peu, le terme de souveraineté avait mauvaise presse ; mais l'ère de la naïveté est terminée et la France comme l'Europe ont compris qu'elles devaient défendre leur appareil productif et leur souveraineté économique. Merci au RDPI pour ce débat.

Notre arsenal de contrôle des investissements étrangers, amélioré par la loi Pacte, a été récemment renforcé sur son volet capitalistique. Il serait intéressant que Bercy nous fournisse des informations sur l'utilisation des nouvelles mesures.

Nous devons aussi renforcer notre arsenal de contrôle par le biais du levier fiscal, qui concourt à l'attractivité du site France. Les 7 milliards d'euros de dépenses fiscales annuelles du crédit d'impôt recherche (CIR) constituent un outil très puissant pour attirer des investissements étrangers. Mais le contrôle de l'utilisation du CIR doit être renforcé, en particulier pour la sous-traitance, car les dépenses fiscales doivent d'abord servir notre propre écosystème d'innovation, en France et en Europe. Nous en reparlerons à l'occasion du prochain budget.

Il y a deux ans, dans le cadre de la mission d'information sur la recherche et l'innovation, dont j'étais rapporteur, nous avions identifié ce levier pour accélérer la réindustrialisation. Nos deniers publics doivent favoriser notre écosystème -  nos instituts de recherche publics et nos start-up industrielles  - et le continuum qui va d'une recherche de qualité à un produit compétitif sur un marché. C'est ce qui doit guider notre action. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDPI)

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Le secteur de l'innovation prépare la France de demain et d'après-demain.

Le CIR ne fait pas tout, certes, mais la fiscalité fait partie des atouts retrouvés de la France. La stabilité fiscale ne nuit pas, bien au contraire.

Le dispositif Investissements étrangers en France (IEF) est aussi un atout, à condition d'être transparent, car les entreprises veulent savoir à quelle sauce elles seront mangées.

Les entreprises françaises doivent elles aussi choisir d'investir en France. Je pense à Sanofi, qui va investir plus d'un milliard dans la recherche et à Bolloré qui va ouvrir une gigafactory de batteries dans le Grand Est.

Mme Anne-Sophie Romagny .  - Au cours de leurs travaux sur l'avenir d'Atos, les rapporteurs ont souligné les moyens limités du Trésor en matière de contrôle des investissements étrangers.

La France s'est dotée d'une politique de vérification des investissements étrangers qui repose sur un équilibre entre liberté et défense des intérêts nationaux. Certains investissements sont ainsi soumis à autorisation préalable du ministère de l'économie.

La France a mis en place, dès 1966, un contrôle préalable des investissements directs étrangers, renforcé en 2005 par une liste de secteurs, dans le but de protéger nos champions nationaux. Cette liste a été progressivement étendue entre 2014 et 2024 à de nouveaux secteurs stratégiques. Parallèlement, le seuil de droits de vote déclenchant un contrôle a été abaissé de 33,3 % à 10 %. Malgré ce renforcement du dispositif, nos entreprises demeurent trop vulnérables.

Jean-Baptiste Lemoyne et Marie-Noëlle Lienemann ont recommandé de renforcer ce contrôle par un suivi obligatoire des engagements pris ayant conditionné l'autorisation d'investir. (M. Jean-Baptiste Lemoyne apprécie.) L'administration doit impérativement disposer de moyens suffisants pour contrôler le respect de ces engagements. Sur les 131 investissements étrangers autorisés en 2022, 53 % étaient assortis de conditions. Monsieur le ministre, vos services sont-ils en capacité d'en contrôler le respect ?

Notre constat est unanime : il est absolument nécessaire que l'intelligence économique soit mieux intégrée à notre politique économique et que les parlementaires soient mieux associés.

Depuis 2020, notre pays a subi de nombreux chocs. Nous sommes dépendants dans de nombreux secteurs : agriculture, industrie, numérique, médicaments, énergie. Replacer l'intelligence économique dans nos politiques publiques est urgent et nécessaire pour préserver notre souveraineté. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Très bonne question !

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - En 2017, il n'y avait pas de bureau dédié au contrôle des investissements étrangers en France. Aujourd'hui, on y compte trente personnes et nous examinons trois fois plus de dossiers qu'en 2017.

Nous avons étendu le dispositif à trois reprises, en l'élargissant à de nouveaux secteurs, en alourdissant les sanctions et en abaissant les seuils de déclenchement à 10 % -  cela a concerné une dizaine de cas l'an dernier.

En outre, nous mettons en place un programme annuel de contrôles, pour, au-delà des alertes, réaliser une centaine de contrôles systématiques sur les conditions.

Mme Anne-Sophie Romagny.  - Si l'on pouvait réaliser des contrôles systématiques sur 100 % des cas, ce serait l'idéal. Nous comptons sur votre vigilance.

M. Akli Mellouli .  - (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Bernard Buis applaudit également.) Je salue le travail remarquable de Jean-Baptiste Lemoyne et Marie-Noëlle Lienemann.

Au tournant des années 2000, nos dirigeants ne juraient que par la mondialisation heureuse, sans aucune prise en compte des enjeux stratégiques. Cette approche crédule a entraîné une perte de souveraineté profonde et transversale. Sur l'autel de la mondialisation heureuse, nous avons sacrifié notre industrie, nos intérêts stratégiques et notre souveraineté.

Le réveil a été brutal. Les turbulences de la mondialisation, les crises sanitaires et les tensions géopolitiques ont révélé les fragilités de notre modèle économique et poussé nos décideurs à réévaluer l'équilibre entre l'attraction des investissements étrangers et notre souveraineté, car ces investissements peuvent menacer notre sécurité.

La France a renforcé son contrôle des investissements étrangers. La liste des secteurs soumis au contrôle, initialement centrée sur la sécurité, a été élargie -  eau, énergie, transports, biotechnologies, entre autres. La loi Pacte a abaissé le seuil de déclenchement des contrôles. Les prérogatives de l'administration ont été renforcées.

Mais il faut aller plus loin et admettre que les investissements directs étrangers traduisent surtout un manque de financement public et privé. Ils sont le symptôme de défaillances dans l'actionnariat et le financement des investissements.

Bruno Bonnell, chargé de France 2030, rappelle à propos de l'IA que la France ne peut pas s'appuyer sur les commandes d'État pour soutenir ses entreprises innovantes comme le fait la Chine, en raison des règles européennes. Il déplore aussi la faiblesse de l'investissement privé, qu'il s'agisse des grands groupes et des fonds d'investissement, qui ne font pas assez.

Autre vérité dérangeante : en matière d'investissements étrangers, il faut se méfier de ses alliés. En 2002, Gemplus, leader mondial des cartes à puces, a été partiellement acquis par un fonds d'investissement américain, dont on a découvert ensuite qu'il avait des liens avec la CIA...

En 2013, Frédéric Pierucci, cadre dirigeant d'Alstom, a été accusé de corruption aux États-Unis. Cette intimidation avait pour but de faciliter l'acquisition d'Alstom par General Electric, au détriment de Siemens. Nous avons alors renoncé à créer un Airbus de l'énergie, qui aurait pu être un acteur majeur de la transition énergétique.

La question est économique, mais aussi politique et culturelle. Tous les pans de la société doivent réaliser une révolution. L'intelligence économique doit être intégrée dans nos politiques publiques, notre système éducatif et nos entreprises et doit devenir une priorité nationale.

Enfin, il est impératif de se doter d'un ministère de l'industrie et de l'énergie de plein exercice. (M. Jean-Baptiste Lemoyne renchérit.) La reconquête de notre souveraineté économique passera par la réindustrialisation et par la transition énergétique. Cette cause nationale doit tous nous transcender. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Hélène Conway-Mouret, MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Fabien Gay applaudissent également.)

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Le ton de votre intervention me laissait à penser que vous étiez critique, mais vous êtes avant tout constructif, convaincu et passionné.

Je souhaite que la France reste néanmoins ouverte. Sinon Alstom n'aurait pas pu acheter le canadien Bombardier pour devenir le premier constructeur ferroviaire au monde après son concurrent chinois. On a vraiment un équilibre à trouver, avec une France et une Europe ouvertes sur le monde, mais loin de toute naïveté.

La procédure que nous avons renforcée depuis cinq ans nous a dotés d'un des contrôles les plus efficients au monde. Dans une vie précédente, j'ai été un investisseur dit CFIUS (Committee on Foreign Investment in the United States). J'ai donc été confronté aux règles américaines, qui sont proches de ce que nous faisons, y compris en termes de contrôle parlementaire.

M. Akli Mellouli.  - Effectivement, pour nous, la critique doit être constructive. Il faut des évolutions dans la composition des conseils d'administration pour y inclure les syndicats de salariés. Comptez sur le GEST pour vous accompagner quand vous irez dans la bonne direction.

J'insiste : la transition écologique sera un vecteur essentiel de notre souveraineté.

M. Fabien Gay .  - Je remercie Jean-Baptiste Lemoyne et Marie-Noëlle Lienemann pour leur travail.

Naïveté, passivité ou complicité ? Le manque de masques lors de la crise du covid a mis la lumière notre perte de souveraineté ; nous étions incapables de répondre aux besoins des peuples.

Depuis plus de cinquante ans, notre pays a connu plusieurs vagues de désindustrialisation : 2 millions d'emplois industriels ont été supprimés, des savoir-faire détruits, des régions sinistrées. Et nous avons bradé notre outil industriel à des puissances industrielles étrangères -  Technip, Nokia, les chantiers de l'Atlantique, j'en passe...

Macron essaie de nous faire oublier qu'il était déjà aux affaires, et qu'il est donc coresponsable des désastres économiques et industriels depuis plus de dix ans. Le pire cas est celui de General Electric, qui a préféré payer 50 millions d'euros de pénalités plutôt que de créer les emplois promis. Désormais, il rapatrie les brevets aux États-Unis et on laisse EDF se débattre pour récupérer les turbines Arabelle.

Depuis des années, notre groupe plaide en faveur du renforcement du contrôle des investissements étrangers, mais surtout du respect des engagements pris.

Ainsi que le souligne le rapport de la mission d'information sur Atos - fleuron français du numérique, en grande difficulté -, la France a certes renforcé le contrôle des investissements étrangers, mais il reste à faire. Nos administrations centrales n'ont toujours pas les moyens de contrôle suffisants du suivi du respect des conditions posées au moment de l'autorisation. Ce suivi n'est ni systématique ni centralisé.

Notre stratégie est uniquement défensive, centrée sur quelques secteurs stratégiques. Il y a aussi quelques rares décisions politiques, il faut l'admettre, comme le refus de vendre Carrefour au géant canadien Couche-Tard.

Mais il faut aussi une stratégie offensive, pour reprendre en main la chaîne de valeur de chaque secteur. La question de la souveraineté numérique est cruciale : nous nous félicitons de l'implantation de data centers, mais cette activité est gourmande en énergie et avare en emplois. Et alors que l'on implante des gigafactories de batteries électriques, Stellantis et Renault liquident leurs sous-traitants - MA France à Aulnay-sous-Bois ou Impériales Wheels à Châteauroux qui va fermer le 20 juin, alors que le dernier repreneur a pris 45 millions d'euros d'aides d'État... Et que fait le Gouvernement ? Il reste les bras ballants ou sermonne les ouvriers.

Pour une véritable intelligence économique, il ne faut pas se contenter d'une politique de l'offre en priant pour que les grands groupes créent de l'emploi. Il faut également conditionner les aides publiques à des garanties sociales et environnementales, demander leur remboursement lorsque les emplois sont détruits et surtout responsabiliser les donneurs d'ordres pour éviter les délocalisations. Monsieur le ministre, y êtes-vous prêt ?

Il faut une politique générale qui concerne tous les secteurs. Comment comprendre que le PSG soit aux mains des Qataris, qui abritent chez eux le chef du Hamas ? Vous avez même envisagé de leur vendre notre patrimoine commun, le Stade de France !

N'oublions pas que même nos amis allemands ont tout fait pour affaiblir notre filière nucléaire et notre industrie. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Vous remontez loin. J'ai déjà cité de nombreux exemples.

M. Fabien Gay.  - MA France !

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Mais si Atos était restée une entreprise en croissance, on n'en serait pas là ! Les entreprises qui se développent, parfois grâce des capitaux étrangers, je suis pour. Ce n'est pas en se défendant toujours que l'on va se développer.

Le Stade de France est un très bel actif -  moi aussi, j'ai regardé la finale de la coupe du monde de 1998. Mais si les Qataris l'achetaient, il ne serait pas déplacé dans le Golfe !

Limitons nos interventions aux secteurs stratégiques. Pour le reste, restons accueillants, même si nous gardons les yeux ouverts.

M. Fabien Gay.  - La réindustrialisation doit concerner toute la chaîne de valeurs. Les gigafactories, c'est très bien, mais on laisse des entreprises dont l'État est parfois actionnaire - Stellantis, Renault - liquider la sous-traitance. Le pays sera-t-il plus fort sans détenir l'ensemble de la chaîne de valeur ?

Pour l'entreprise MA France à Aulnay-sous-Bois : la seule chose que vous faites c'est de sermonner les syndicats. Une semaine après, l'entreprise est en liquidation. Vous donnez toujours raison au patronat, jamais aux salariés, et c'est scandaleux alors que la désindustrialisation continue sur l'ensemble du territoire. (M. Akli Mellouli applaudit.)

M. Christian Bilhac .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; MM. Bernard Buis et Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.) L'intelligence économique est pratiquée par tous les États, y compris entre alliés.

Notre pays n'est pas désarmé, avec le dispositif d'autorisation préalable, qui prévoit un contrôle a priori des investissements dans des secteurs stratégiques, dont la loi Pacte a élargi la liste. Même les États les plus libéraux mettent en oeuvre une telle limitation à la circulation des capitaux. Sont ainsi entrés dans le champ du contrôle préalable l'aérospatial, l'IA ou les semi-conducteurs.

Ce renforcement ne s'est pas fait au détriment de la compétitivité, si l'on en croit la direction générale du Trésor (DGT). S'il a été pérennisé, avec le contrôle du franchissement du seuil de 10 % des droits de vote, il demeure des lacunes autour du suivi, a posteriori, des engagements des investisseurs.

Ce qui nous fait encore défaut, c'est une véritable culture de la sécurité économique et de la cybersécurité, mise en lumière par la commission d'enquête sur la souveraineté numérique. La défense de notre souveraineté ne doit pas reposer uniquement sur l'administration, mais être l'affaire de chacun : étudiants, chercheurs, salariés, chefs d'entreprise.

On se réjouit des résultats économiques de la France ; mais quelles sont les intentions réelles des investisseurs ? Quid du foncier agricole ? Quid des investissements opportunistes pour obtenir des subventions publiques sans volonté de s'implanter durablement ?

Enfin, n'oublions pas la place de la France dans les comités internationaux d'élaboration des normes, qui doit accompagner la nécessaire réindustrialisation de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Hélène Conway-Mouret, MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Pierre-Alain Roiron applaudissent également.)

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Vous parlez d'or : il faut que les entreprises se saisissent de ce sujet, comme le fait la représentation nationale et comme doivent le faire les chambres de commerce et d'industrie (CCI). Comme pour la cybersécurité, cette révolution culturelle doit avoir lieu. C'est pourquoi les fonctionnaires du service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (Sisse), dans chaque région, accompagneront les entreprises.

M. Christian Bilhac.  - Nous sommes presque d'accord. Au lieu d'enquiquiner les chefs d'entreprise avec de la paperasserie, l'administration ne pourrait-elle pas les former ? (M. Roland Lescure hoche la tête.)

M. Bernard Buis .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Plus de 15 milliards d'euros d'investissements pour 56 projets : voici la bonne nouvelle de Choose France. Ainsi, depuis cinq ans, la France est le pays qui attire le plus de capitaux étrangers en Europe, ce qui renforce notre compétitivité et crée des milliers d'emplois.

Mais attention : bien que bénéfique pour notre croissance, l'investissement étranger peut porter préjudice à notre souveraineté, avec une influence significative sur la gestion de l'entreprise, comme le rappelle l'Insee. Restons vigilants.

Mieux maîtriser, c'est mieux contrôler, ce qui est la raison d'être de la souveraineté. C'est pourquoi je salue le retrait des antennes 5G de Huawei, pour nous prémunir contre le risque d'espionnage.

Manque toutefois un élément essentiel : le savoir-faire français, avec la Clairette de Die (sourires) qui émerveille de l'Australie à la Colombie.

Ainsi, en 2015, selon Vinea transactions, 41 % des domaines viticoles du bordelais, 18 % dans le Languedoc et 13 % en Provence sont contrôlés par les étrangers - notamment chinois, avec 47 % des investissements étranges en Nouvelle-Aquitaine. Cela fait dix ans, et la tendance n'est sans doute pas à la baisse. Certes, la Chine dispose de 900 000 hectares de vignes sur son sol, mais elle n'a pas la diversité de nos cépages.

Notre excédent commercial en la matière doit durer, mais dans le Bordelais, on dénonce une perte de maîtrise de savoir-faire transmis de génération en génération.

Le commissaire général de Bordeaux fête le vin pointe ainsi un défaut de compétence.

Comme l'être humain, les outils du contrôle sont perfectibles ; comment les affûter dans un contexte où la France consolide son attractivité ? Loin d'être une lubie, cette attractivité doit attirer notre attention sur les investissements étrangers. Je salue donc l'adoption de l'amendement Lemoyne, que j'ai cosigné.

Investir est une chose, tenir ses engagements en est une autre. Le décret du 28 décembre 2023 pérennise le seuil de 10 % des droits de vote. Mais ne peut-on pas contraindre nos voisins européens à adopter un contrôle clair et fiable ? Loin du protectionnisme, il s'agit de souveraineté.

Face au danger sur les savoir-faire, il faut associer davantage les réseaux professionnels. Comment ferons-nous lorsque 50 % des vignes de Bordeaux ou de Bourgogne seront détenues pas des capitaux asiatiques ? À nous de continuer de veiller au contrôle des investissements étrangers.

Quelles mesures supplémentaires envisagez-vous ? Quelle voix la France peut-elle porter auprès de ses partenaires européens ? (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE°)

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Si la Clairette de Die n'est pas soumise au décret IEF, elle est protégée parce qu'elle est une appellation d'origine protégée (AOP) bien de chez nous ! Le foncier agricole est protégé par les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer), renforcées par la loi Sempastous.

Je préférerais que des capitaux français permettent aux entreprises de se développer. Mais nous manquons en Europe d'investissements de long terme, d'épargne investie dans les entreprises. En France, des milliards dorment dans des comptes ou des obligations.

L'union des marchés de capitaux, le produit épargne climat et le projet de produit d'épargne européen évoqué entre Emmanuel Macron et Olaf Scholz y contribuent. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Hélène Conway-Mouret .  - (M. Akli Mellouli applaudit.) Alors que les États-Unis, le Canada et l'Australie ont mis en place des protections dès les années 1970, la prise de conscience européenne et française a été plus tardive, du fait du marché commun et du libre-échange. La Chine en a profité, ainsi qu'en témoigne sa prise de contrôle de ports européens, à commencer par Le Pirée en 2016.

La France doit trouver un équilibre subtil entre deux impératifs : renforcer son attractivité, dont le sommet Choose France est le symbole, et réduire ses dépendances et se protéger de la prédation d'États concurrents. C'est toute l'importance de la connaissance des chaînes de capital et du décret IEF renforcé, de bon sens - attention toutefois à ce que cela ne dissuade pas d'investissements, ou n'aboutisse à des mesures de rétorsion.

La défense a concentré 42 % des investissements contrôlés en 2022. Fort de 4 000 entreprises, ce secteur génère 200 000 emplois en France.

Lorsqu'il est demandé à ces entreprises de produire plus, plus vite, elles sont confrontées à deux obstacles. D'abord, la commande publique n'est pas une garantie, comme en témoigne l'étalement de plusieurs programmes par rapport à ce que prévoit la loi de programmation militaire. Ensuite, ces entreprises peinent à emprunter et à lever des capitaux, ce qui aboutit à l'abandon d'activités duales.

Ce manque d'intérêt va jusqu'au rachat étranger d'entreprises au coeur de notre souveraineté, comme Exxelia, dont les pièces sont utilisées par les sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) et Ariane.

Il faut une lecture fine de la stratégie des acteurs étrangers, afin d'éviter la perte de joyaux comme ce fut le cas, in extremis, pour Photonis. La prise de conscience est là, mais le coeur du problème est l'insuffisance des financements. N'est-il pas urgent de développer de nouveaux instruments, comme un produit d'épargne européen ?

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Oui ! Le Président de la République et le Chancelier de la République fédérale en sont convenus hier. Pour avoir une industrie de défense de classe mondiale, il faut que les ventes marchent sur les deux jambes de la commande publique, exclue des règles européennes dans ce domaine, et de l'exportation.

Nous avons bloqué des investissements dans la défense et autorisé certains, sous conditions strictes -  c'est un travail d'orfèvre. Pour une industrie de défense plus puissante, il faut effectivement plus de capital. Le Président de la République, à la Sorbonne, le disait : la défense devrait faire l'objet d'une préférence européenne, comme c'est le cas en France, mais pas partout en Europe.

Mme Hélène Conway-Mouret.  - Avec Pascal Allizard, nous avons utilisé les mêmes arguments en faveur des investissements. Sur les mécanismes de contrôle, les États-Unis opposent un véto à dix rachats d'entreprise par an, contre trois en France. Il y a des progrès à faire contre la prédation.

Mme Marta de Cidrac .  - Hier, Arcelor, Pechiney, Alstom, Technip, Lafarge, Alcatel et Essilor. Demain, peut-être Biogaran ou Atos : depuis quinze ans, la vente de nos fleurons n'a jamais été aussi importante.

La faute à cette idée folle de ne conserver sur le territoire que les services, dans une mondialisation heureuse. Une vaine croyance qui a infusé dans toutes les sphères ; une exception française considérant que les investisseurs n'auraient pas de passeport. Tous les courants politiques sont concernés, certains plus que d'autres.

Ainsi, le Président de la République était ministre de l'économie entre 2014 et 2016. Son revirement, salutaire, est tardif. Le mal a été fait. Nous débattons sur un décret jugé trop protectionniste à l'époque, qui avait été réactivé par Arnaud Montebourg avant sa démission. « C'est avoir tort que d'avoir raison trop tôt », disait Marguerite Yourcenar...

Le Sénat a voté récemment un dispositif de suivi plus soutenu des investissements étrangers en France.

La crise de souveraineté pendant le covid aura rendu inaudibles les arguments habituels : fini, le temps des grandes fusions et des éléments de langage à base de mariages entre égaux... Ironiquement, les liquidateurs d'hier sont devenus les grands défenseurs de la souveraineté française aujourd'hui. Mais, même si on montre les muscles en surjouant le dispositif IEF, une vision souveraine met du temps à s'acquérir.

D'un extrême à un autre, on est passé de la vente d'Alstom à General Electric, rien de moins que la perte de notre autonomie nucléaire, au blocage de la fusion entre Carrefour et Couche-Tard, qui ne menaçait pas notre souveraineté alimentaire. À sept ans d'intervalle, le Président d'aujourd'hui désavoue le ministre d'alors... Le contrôle des investissements étrangers doit frapper juste et sans excès pour ne pas faire fuir les investissements.

Depuis plusieurs années, notre droit se sédimente à l'épreuve du temps : il nous faut une doctrine d'emploi efficace. Le CFIUS américain, pourtant bien plus dur que notre dispositif IEF, n'a jamais été l'ennemi des affaires. L'actualité rattrape la théorie : nous parlons de la vente de Biogaran et du potentiel démantèlement d'Atos. Des paroles transpartisanes fortes ont été prononcées sur Atos, je les salue.

Sans prérogative en la matière, le Parlement est un rempart et un aiguillon de vérité. Le dispositif IEF devra davantage l'associer.

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Je suis d'accord avec l'essence de votre présentation, sauf pour Alstom. Lorsque celle-ci vend ses turbines à General Electric, elle est dans une situation difficile. Elle est devenue depuis un champion des transports avec le rachat de Bombardier, alors que l'activité des turbines à gaz s'effondre, au point que General Electric décide de les vendre -  j'espère que nous les rachèterons, dans le cadre de la relance du nucléaire. Je ne sais pas dans quel état serait Alstom si nous n'avions pas vendu les turbines.

Pour Biogaran et Atos, nous regardons ces dossiers de très près.

Mme Marta de Cidrac.  - Il ne s'agit pas de refaire l'histoire, mais d'être vigilant pour l'avenir. J'espère que les parlementaires seront associés aux réflexions ; nous sommes sensibles aux questions de souveraineté nationale. J'espère que nous aurons votre attention...

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Vous l'aurez !

M. Cyril Pellevat .  - Je salue Jean-Baptiste Lemoyne pour ce débat. Dès la proclamation de la liberté des relations financières de la France avec l'étranger en 1966, la défense a été exclue du périmètre. Depuis les années 1980, puis avec le décret Montebourg et la loi Pacte, d'autres secteurs dits sensibles par nature sont contrôlés, comme depuis 2024 les matières premières critiques et la photonique.

Le régime d'autorisation a été étendu aux succursales de droit étranger, et le seuil déclenchant un contrôle a été abaissé de 25 % à 10 % des droits de vote.

Toutefois, il ne faut pas tomber dans un protectionnisme exacerbé. Alors que des entreprises de l'Union européenne sont aussi soumises à la plupart des contrôles mis en place, plusieurs spécialistes craignent que le durcissement des contrôles freine l'activité économique.

Nous devons rester ouverts aux capitaux étrangers, dans un équilibre entre protection de nos intérêts nationaux et européens et développement. Comment envisagez-vous la construction d'une approche européenne en matière d'investissements étrangers ? Préférez-vous une vision plus nationaliste ?

M. Roland Lescure, ministre délégué .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Vos remarques montrent qu'il faut trouver un équilibre. Nous voulons une France et une Europe ouvertes sur le monde, capables de conquêtes et non comme une citadelle imprenable, mais assiégée.

Beaucoup de coordinations ont lieu avec plusieurs pays. Alors que cinq États membres n'ont pas d'équivalent du dispositif IEF, un règlement européen en cours de discussion contraindra tous les pays membres. Aucun pays ne doit servir de cheval de Troie.

Cher Jean-Baptiste Lemoyne, je vous remercie, ainsi que Mme Lienemann, car aujourd'hui nous discutons librement des investissements étrangers en France et plus généralement de l'intelligence économique. La représentation nationale doit y être associée.

Depuis 2019, notre dispositif d'intelligence et de sécurité économiques a été renouvelé avec trois objectifs : protéger nos actifs stratégiques tout en captant les opportunités de partenariat, garantir nos chaînes d'approvisionnement et prévenir l'application d'une réglementation étrangère susceptible d'affecter nos intérêts.

Avec un dispositif élargi, nous avons détecté 1 000 alertes sur la sécurité économique en 2022, contre 350 en 2020. Près de 50 % des alertes sont de nature capitalistique, 40 % concernent des risques sur les savoirs et savoir-faire stratégiques et 10 % ont trait à des actions de déstabilisation ou de droit commun.

Toute alerte doit être traitée. Notre premier réflexe est de dialoguer avec les entreprises et les investisseurs afin d'atténuer ou d'éliminer la menace.

La loi du 28 juillet 1968 a été renforcée pour nous prévenir contre la législation extraterritoriale. Le guichet d'accompagnement des entreprises créé par le décret du 18 février 2022 est rapidement monté en charge, avec près de 100 saisines en deux ans.

Nous mobilisons des fonds publics avec BPI France et le fonds French Tech Souveraineté, doté de 650 millions d'euros.

Avec le décret du 12 mai 2024, nous venons de renforcer la protection du potentiel scientifique et technologique de la nation, afin d'empêcher des entités mal intentionnées d'accéder à des savoir-faire sensibles.

La France dispose d'un des systèmes les plus aboutis de contrôle des investissements étrangers, renforcé plusieurs fois. Nous avons augmenté les moyens humains : 30 personnes travaillent sur les demandes et le suivi des engagements. Je les remercie.

Malgré la hausse des fusions-acquisitions, l'activité de contrôle des investissements est restée stable en 2022, à 325 dossiers, pour 328 dossiers en 2021. Ainsi, 131 opérations d'IEF ont été autorisées en 2022, dont 50 % assorties de conditions pour préserver les intérêts nationaux. Ce chiffre s'élève à 76 % dans le secteur de la défense, qui représente 40 % des procédures.

Il faut ensuite mettre en place les contrôles des contrôles. Nous avons porté le sujet au niveau européen, qui est la bonne échelle. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour le RDPI .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Je remercie nos collègues d'avoir participé à cette première. Nous aurions préféré disposer des données du rapport annuel de 2024, annoncé par le ministre pour le mois de juin.

La France est sortie du déni, elle s'est dotée d'une politique d'intelligence économique. Mais, si beaucoup a été fait, beaucoup reste à faire. Le contrôle des IEF doit être suivi dans la durée par un contrôle des engagements, sans quoi il restera un tigre de papier.

C'est pourquoi le Sénat a adopté un amendement tendant à ce que le rapport intègre cette dimension. Puisque ce sera le cas pour le rapport de juin, il n'y a pas de mal à l'écrire dans la loi -  la CMP a lieu demain...

Faire plus et mieux, c'est mettre en place une stratégie de l'intelligence économique complète, évoquée par Franck Montaugé.

Il faut un volet offensif pour compléter le volet défensif. La meilleure défense, c'est l'attaque, comme l'ont dit MM. Lescure puis Allizard.

Il faut travailler sur l'influence normative. Qui fait la norme fait le marché. Anticiper la norme, c'est bien, la produire, c'est mieux ! Je rends hommage à cet égard à l'Agence française de normalisation (Afnor), mais la Chine nous rattrape...

Ensuite il faut créer un cercle de confiance associant les collectivités locales, les investisseurs et les citoyens. Les élus locaux doivent être formés. En France, confidentiel défense veut souvent dire : « circulez, il n'y a rien à voir », alors qu'il y a souvent des choses à voir ! Avec Marie-Noëlle Lienemann, nous avons proposé la création d'un secrétariat général à l'intelligence économique pour partager l'information et avoir un portage politique. Je rassure les commissaires du Gouvernement, il n'y a rien de personnel dans tout cela... (Sourires)

M. Roland Lescure, ministre délégué.  - Je l'espère !

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Il faut amplifier l'aller vers. Bien loin de la fin de l'histoire, nous sommes dans le temps du retour des empires, du blocage de l'OMC - voyez le détroit de Taïwan et le golfe d'Aden. Le rapport Martre de 1994 appelait un travail de longue haleine. Ce débat y contribue. Le ministre étant prêt à rendre compte une fois par an, comme Lucien Jeunesse, je dirai : « à l'année prochaine, si vous le voulez bien ! » (Sensation)

Il faut sensibiliser les Français à la culture de l'intelligence économique. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)

La séance est suspendue quelques instants.

Concilier une activité professionnelle avec la fonction d'assistant familial (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi ouvrant la possibilité de concilier une activité professionnelle avec la fonction d'assistant familial, présentée par M. Xavier Iacovelli à la demande du RDPI.

Discussion générale

M. Xavier Iacovelli, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Dans cet hémicycle, Victor Hugo a porté l'humanisme et la compassion pour un monde où les enfants sont protégés. Face à lui, le baron Thénard s'opposait à la réduction de la journée de travail des enfants de 16 à 10 heures.

C'est dans Les misérables que Victor Hugo défendra le mieux ses idées, faisant des Thénardier la cause des malheurs de Cosette. Nous sommes loin de Cosette aujourd'hui, mais nous devons protéger les enfants placés.

Il faut agir ! Agir pour ces enfants qui portent en eux des traumatismes multiples.

Agir, car 77 % des juges des enfants ne prennent pas les décisions de placement faute de places.

Agir, car selon l'Igas, 49 % des enfants qui décèdent sous les coups des parents vivaient dans des familles connues des services.

Le taux d'occupation des foyers est de 140 % en Dordogne.

Nous devons favoriser le développement des assistants familiaux, les piliers de la protection de l'enfance, les garants d'un avenir serein pour les jeunes mineurs vulnérables. L'ONU reconnaît que l'accueil familial est le plus protecteur des droits et la convention internationale des droits de l'enfant prévoit que le placement en famille doit être privilégié.

Mais être assistant familial n'est pas simple. Ce ne sont pas de simples prestataires de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Ils consolent, ils éduquent les enfants dont ils ont la charge. Combien d'entre eux, même adultes, ne peuvent compter que sur leur tata ou leur tonton ? La fonction de la famille d'accueil ne cesse pas à la fin du contrat.

Pourtant, ils sont fréquemment mis de côté par l'ASE dans l'élaboration du projet de l'enfant, et ne sont souvent même pas impliqués dans les audiences des juges des enfants. Or leur expertise est précieuse ; la société doit reconnaître leur engagement et les considérer comme des travailleurs sociaux à part entière.

On est passé de 40 % à 50 % d'accueil familial en huit ans. Le nombre d'assistants familiaux continue de diminuer, malgré la loi Taquet et le recul de l'âge autorisé pour exercer cette fonction, ce qui s'explique par des conditions de travail difficiles et les contraintes financières.

Ma proposition de loi vise donc à favoriser leur développement, alors que la pyramide des âges laisse envisager le pire d'ici à cinq ans. En effet, 74 700 mineurs sont accueillis par seulement 38 000 familles d'accueil. Faute d'assistants, le droit au répit de la loi Taquet ne peut s'appliquer.

Ce texte ouvrira à ceux qui travaillent dans la fonction publique la possibilité de devenir assistants familiaux, même s'il ne révolutionnera pas toute la protection de l'enfance.

J'entends la charge immense de ce métier, mais il s'agit de donner l'opportunité à ceux qui le veulent d'être assistant familial ; permettre le cumul avec un emploi, notamment public, suscitera des vocations.

En effet, le secteur privé offre déjà cette possibilité, mais elle demeure méconnue, ce qu'ont révélé les auditions. Les départements doivent pouvoir lancer une grande campagne de recrutements, dans les secteurs privé et public.

Je vous parle avec inquiétude. Si nous ne régissons pas maintenant, où iront ces enfants, alors que nous avons voté, en responsabilité, la fin des hôtels sociaux pour les enfants protégés ?

Ces enfants ne sont pas seulement les enfants de personne, ce sont avant tout les enfants de tous, de la République. Nous devons accomplir notre devoir envers eux.

Je salue la présence en tribune d'anciens jeunes protégés de l'ASE et d'assistants familiaux des fédérations. Je remercie le RDPI pour l'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour et à mes collègues pour leur signature, sans oublier la rapporteure et Philippe Mouiller.

Avec cette proposition de loi transpartisane, d'intérêt général, faisons en sorte, 162 ans après, que l'histoire de Cosette ne se reproduise pas !

Non, cette proposition de loi n'entraînera pas de révolution. Mais elle est un petit pas, sans lequel nous n'avancerons jamais.

Beaucoup reste à faire, mais je garde espoir pour ces enfants et ces jeunes, les protégés de toute la nation, les assistants familiaux et l'ensemble du secteur de la protection de l'enfance. Pour eux, pour répondre à l'urgence, je vous invite à voter ce texte. (Vifs applaudissements sur les travées du RDPI ; applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP ; Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)

Mme Patricia Schillinger.  - Bravo !

Mme Solanges Nadille, rapporteure de la commission des affaires sociales .  - Pour Nelson Mandela, « nous devons à nos enfants, les êtres les plus vulnérables de toute société, une vie exempte de violence et de peur ». De fait, la protection de nos enfants rassemble au-delà des clivages.

La proposition de loi de mon collègue Xavier lacovelli ne vise pas à réformer en profondeur la protection de l'enfance. Au reste, nous avons moins besoin d'une nouvelle grande loi que de la pleine application des textes en vigueur. Comme le faisait observer notre ancien collègue Bernard Bonne il y a quelques mois, les acteurs doivent encore s'approprier de nombreuses mesures de la loi du 7 février 2022.

Ce texte a pour objet de lever le verrou juridique empêchant un agent public de cumuler son emploi avec un emploi d'assistant familial. Il s'agit d'une avancée concrète qui sera utile dans de nombreux cas.

Les assistants familiaux, chargés d'accueillir à leur domicile des mineurs et des jeunes de moins de 21 ans, sont des acteurs essentiels de la protection de l'enfance. Ils constituent un des premiers modes d'accueil des enfants de l'ASE et permettent de répondre aux besoins de stabilité et de sécurité de ces enfants.

Selon la Drees, 40 % des jeunes confiés à l'ASE dans l'Hexagone en 2021 étaient hébergés en famille d'accueil. La prépondérance de ce mode d'accueil se retrouve en outre-mer, avec plus de 60 % des accueils en Guadeloupe.

Toutefois, la profession connaît une démographie déclinante en raison d'une pyramide des âges vieillissante et d'un défaut d'attractivité. En 2021, l'âge moyen des 38 000 assistants familiaux, à 90 % des femmes, était de 55 ans... Les effectifs employés par les départements ont diminué de 7,2 % entre 2017 et 2022. Particulièrement touché par cette évolution, le Pas-de-Calais a vu ses effectifs décroître de 2 100 à 1 700 assistants entre 2019 et 2024 ; en Savoie, la chute atteint près de 30 % entre 2017 et 2022.

Lors des auditions, le manque de notoriété du métier a été souligné. Un effort de communication est indispensable pour le faire mieux connaître et attirer de nouveaux profils.

Il faut aussi permettre aux employeurs publics d'élargir leur vivier de recrutement. Le code de l'action sociale et des familles ne permet qu'aux assistants familiaux de droit privé, généralement salariés d'une association, d'exercer simultanément, dans le silence de leur contrat de travail, un second métier relevant du secteur privé. En revanche, un agent public, même à temps partiel, ne peut cumuler son emploi avec un emploi d'assistant familial, le statut de la fonction publique prévoyant qu'il se consacre entièrement à son métier, sauf dérogations prévues ou encadrées par la loi.

Ainsi, des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) exerçant à temps partiel ne peuvent être recrutés par un département pour héberger un enfant.

L'article 1er du texte initial instaurait deux régimes juridiques selon que l'agent public exerce à temps complet ou à temps partiel. La commission a simplifié le dispositif en permettant le cumul d'activités sous le seul régime d'autorisation préalable de l'autorité hiérarchique.

L'article 2 encadrait l'assouplissement de la possibilité de concilier un emploi public et la fonction d'assistant familial : l'agrément n'aurait autorisé l'accueil que d'un mineur âgé d'au moins trois ans. L'article précisait que l'assistant familial bénéficie d'une formation dont la durée ne peut être inférieure à soixante heures.

Au regard de la diversité des situations, la commission n'a pas souhaité inscrire dans la loi des modalités d'encadrement qui pourraient se révéler trop rigides. Par ailleurs, il ne lui est pas apparu pertinent de prévoir une formation potentiellement plus courte pour les agents publics. Il est important, pour garantir la qualité de l'accueil, que tous les professionnels bénéficient de la même formation de 240 heures ainsi que du stage préparatoire.

La commission a donc supprimé l'article 2 pour laisser le pouvoir réglementaire fixer les règles d'encadrement aux fins de préserver l'intérêt supérieur des enfants protégés et sans créer de rupture d'égalité entre les agents publics et les salariés de droit privé. Je compte sur vous, madame la ministre, pour que ce décret soit rapidement publié.

Ce texte nous semble nécessaire pour apporter une première réponse aux difficultés de recrutement que connaît la profession d'assistant familial, dans le seul intérêt des enfants. Il ressort de nos auditions qu'autoriser les assistants familiaux à exercer un emploi public est favorable à cet intérêt, dans la mesure où vivre dans une famille qui travaille renforce chez l'enfant un sentiment de normalité et lui fait prendre conscience de la valeur travail.

Il reste à réformer plus profondément la protection de l'enfance, notamment pour améliorer la formation des assistants familiaux. Mais cette proposition de loi est une brique utile pour une meilleure prise en charge des enfants protégés. La commission vous invite à l'adopter dans le texte issu de ses travaux. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe INDEP, ainsi que sur quelques travées du groupe UC)

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Le sujet de ce débat est fondamental : les enfants que nous avons la responsabilité de protéger.

Je remercie le sénateur Iacovelli, dont la détermination à améliorer la protection de l'enfance doit être saluée. Je me félicite du choix du groupe RDPI de mettre à l'honneur le métier d'assistant familial.

La protection de l'enfance est en crise et a besoin de réponses. À l'Assemblée nationale, une commission d'enquête est en cours sur la capacité de la protection de l'enfance à prendre en charge les enfants dans de bonnes conditions. Il faut travailler sur la prévention, le soutien à la parentalité, les tiers de confiance et, bien sûr, les 40 000 assistants familiaux qui accueillent 70 000 enfants. Ces assistants, souvent des femmes, permettent à ces enfants de grandir et de se construire. Leur fonction mérite d'être mieux connue et reconnue.

Assistant familial est un métier qui nécessite une formation initiale et continue. C'est aussi un engagement du quotidien, même si des temps de répit sont prévus. La rémunération minimale au Smic dès le premier enfant accueilli et la participation aux équipes pluridisciplinaires départementales font partie des mesures destinées à les valoriser.

Les irritants sont néanmoins nombreux, à commencer par les disparités entre départements. Les services de l'ASE ne reconnaissent pas toujours les assistants familiaux comme des membres à part entière de leurs équipes et les services de protection maternelle et infantile (PMI) vont parfois au-delà des normes existantes. Les juges ne prennent pas toujours suffisamment en compte la parole des assistants familiaux.

Les mesures récentes n'ont pas freiné la chute démographique du métier. En 2021, la moitié des assistants familiaux avait 55 ans et plus, et un quart avait franchi la barre des 60 ans. La moitié doit prendre sa retraite d'ici à 2033.

Il nous faut donc poursuivre et accélérer les efforts entrepris. L'ouverture à de nouveaux profils fait partie des pistes à explorer. Cette proposition de loi est une brique dans une stratégie plus globale de revalorisation des métiers du lien. C'est aussi un texte d'égalité, qui met un terme à une disparité entre agents publics et salariés du privé.

De fait, les agents publics ne peuvent cumuler leur emploi avec la fonction d'assistant familial. Permettre ce cumul, comme dans le privé, devrait susciter des vocations nouvelles.

J'entends les craintes. Il n'est pas question d'amoindrir la formation ni les compétences nécessaires pour devenir assistant familial. Il faudra des garde-fous. Nous consulterons les professionnels.

Je vois dans cette proposition de loi l'opportunité de s'interroger sur les conditions de travail des assistants familiaux. Tous disent qu'une amélioration est indispensable pour renforcer l'attractivité du métier.

Une concertation avec les acteurs sera lancée dans les prochains jours sur l'évolution du statut d'assistant familial. Je rencontrerai aussi les fédérations des assistants familiaux et les syndicats du placement familial. L'attachement, j'y crois. L'organisation du travail, les voies et moyens d'adoption : je suis prête à ouvrir ces débats sans tabou. Osons aussi parler de leur dénomination : famille d'accueil, éducateurs de famille, pourquoi pas ?

La Haute-Marne accueille les assistants familiaux dans ses équipes pluridisciplinaires départementales. Dans le Maine-et-Loire, des réunions régulières se tiennent pour assurer un accompagnement continu.

Rénovons en profondeur le statut des assistants familiaux, pierre angulaire de la protection de l'enfance. Nous avons besoin de compétences différentes, pour répondre aux besoins d'enfants dont les besoins sont multiples : polytraumatismes, situation de handicap, par exemple. Dès l'année prochaine, un dispositif de coordination des soins des enfants confiés sera mis en place.

Ensemble, nous pouvons construire de nouvelles perspectives pour les enfants en travaillant avec et pour les assistants familiaux.

Aux jeunes présents dans les tribunes, je veux dire qu'ils ne seront plus jamais seuls. Nous travaillons à briser les silences, les tabous, sur l'accompagnement des jeunes majeurs. Nous oeuvrons à leur protection et à celle de l'ensemble des enfants français. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; Mmes Élisabeth Doineau et Marie Mercier applaudissent également.)

Mme Marie-Pierre Richer .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les assistants familiaux sont un maillon essentiel de la protection de l'enfance. Dans 88 % des cas, ils sont employés par les départements ; dans les autres, par des associations.

Il est souvent préférable que les enfants suivis par l'ASE soient confiés à des familles d'accueil plutôt qu'à une institution, mais ce n'est pas toujours possible. De fait, le nombre d'assistants familiaux ne cesse de diminuer, de 1,4 % par an depuis 2017 selon la Cour des comptes. Les Hauts-de-France sont particulièrement touchés.

Malgré les campagnes de recrutement, les départements peinent à trouver des volontaires. C'est vrai aussi dans mon département, le Cher. Ce phénomène résulte du manque d'attractivité de la profession et du vieillissement des effectifs.

Les assistants familiaux, de plus en plus sollicités pour répondre aux manques de structures adaptées, le sont le plus souvent dans l'urgence, pour prendre en charge des enfants présentant des pathologies psychiatriques ou un handicap lourd. Les relais manquent pour rendre effectif le droit au répit.

Le métier est peu attractif financièrement, compte tenu de l'amplitude horaire et de l'implication nécessaires. La loi n'y a pas remédié. Son rapporteur au Sénat, notre ancien collègue Bernard Bonne, a bien mis en lumière le besoin de meilleure reconnaissance de la profession.

Les assistants familiaux doivent être associés aux décisions concernant les enfants. Il faut aussi améliorer leur accompagnement.

Le présent texte ne prétend pas résoudre toutes les difficultés, mais donner un cadre juridique aux agents publics souhaitant accueillir un enfant parallèlement à leur métier. Il rendra possible le recrutement de nouveaux profils, tels que les travailleurs sociaux, les infirmiers ou les AESH.

Je salue le travail et l'écoute de la rapporteure, qui a simplifié le dispositif en veillant à l'adapter à la réalité du terrain.

Notre groupe votera cette proposition de loi, dont nous souhaitons qu'elle s'inscrive dans une politique plus large de reconnaissance des assistants familiaux. L'État doit offrir aux enfants en souffrance une halte, un refuge, un accueil bienveillant et pérenne. Nous le leur devons bien. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI)

M. Joshua Hochart .  - Pour assurer l'avenir de la protection de l'enfance, nous devons agir de façon ambitieuse. En particulier, il faut attirer plus de gens vers cette profession noble qu'est le métier d'assistant familial.

Seul un jeune sur deux bénéficiant d'un placement est confié à une famille d'accueil, faute de places. À ces jeunes dont l'enfance est déjà émaillée de drames, il faut garantir un environnement familial structurant.

Ce texte offre l'opportunité de renforcer le métier essentiel d'assistant familial et de favoriser la diversité des expériences et des parcours. En limitant l'accueil à un seul enfant âgé de plus de trois ans, nous garantissons un accompagnement individualisé.

Nous envoyons ainsi un signal fort aux assistants familiaux actuels et futurs, pour la reconnaissance de leur dévouement. En facilitant la conciliation de leur vocation avec une activité professionnelle, nous leur offrons plus de possibilités de développement.

Plus largement, 12 millions de nos compatriotes vivent et bien souvent se sacrifient au service, notamment, d'un proche dépendant. Ces engagements désintéressés doivent être davantage récompensés par la nation, surtout quand ils visent à offrir un foyer aimant et sécurisant à des enfants vulnérables.

En soutenant ce texte, nous répondons à une urgence sociale et humaine. Nous agissons pour préserver la dignité et les droits de nos enfants, tout en renforçant l'attractivité d'un métier essentiel à notre société. Changeons la donne dans la vie de ces enfants et faisons vivre la fraternité républicaine !

Mme Marie-Claude Lermytte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.) Il est plus facile de construire des enfants forts que de réparer des hommes brisés. Malheureusement, nous n'empruntons pas le chemin de la facilité. Le nombre d'enfants en demande de placement augmente. Le budget de l'ASE est passé de 4,6 à 9 milliards d'euros en vingt ans. L'an dernier, dans mon département du Nord, 550 millions d'euros ont été investis, 100 millions de plus en trois ans.

Parallèlement, le nombre d'assistants familiaux baisse et la profession vieillit. Entre 2019 et 2024, la rapporteure a rappelé la baisse, dans un département, de 2 100 à 1 700 assistants familiaux, alors que 1 285 enfants supplémentaires faisaient l'objet d'une décision de placement. Faire plus avec moins n'est pas possible quand il y a des enfants en jeu. Il est indispensable d'augmenter rapidement le nombre d'assistants familiaux.

J'étais favorable à ce que la possibilité de concilier vie professionnelle et accueil familial soit limitée à un seul enfant. Je salue donc la position de la commission.

Il pourrait y avoir un conflit d'intérêts pour les travailleurs sociaux de la protection de l'enfance, leur double casquette étant susceptible de compromettre l'intérêt supérieur de l'enfant. Il me paraît essentiel de maintenir une séparation claire entre ces rôles. Le décret résoudra certainement cette difficulté.

Au nom des travailleurs sociaux, dont j'ai fait partie pendant trente-cinq ans, je remercie M. Iacovelli et vous appelle à voter ce texte pour faciliter l'accueil des enfants ; c'est ce que fera le groupe INDEP. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDPI)

Mme Élisabeth Doineau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je remercie Xavier Iacovelli pour son engagement inconditionnel en faveur de la protection de l'enfance et Mme Nadille, rapporteure pour la première fois, pour sa sensibilité et sa détermination.

Nous ne parlons pas assez de protection de l'enfance, en dépit des textes de Laurence Rossignol et d'Adrien Taquet. Plus grave, nous n'investissons pas assez sur cette question qui devrait pourtant être prioritaire.

Le rapport de la Drees fournit un certain nombre de chiffres. Entre 1998 et 2021, le nombre de mesures ASE a été multiplié par 1,4. Les mesures d'accueil ont contribué à 80 % à cette hausse depuis 2015.

La part des bénéficiaires de l'ASE accueillis par les assistants familiaux, de 50 % en 2015, est passée à 40 % en 2021. Il y a plus de mesures d'accueil, mais une dégringolade du nombre d'assistants familiaux, alors que c'est le mode d'accueil qui doit être privilégié.

Cette proposition de loi répondra-t-elle à cette optique ? Certes non, mais elle apporte une avancée essentielle. Le groupe UC la votera. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP, ainsi que du RDPI et du RDSE)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER) Cette proposition de loi nous rassemble autour du constat de la pénurie d'assistants familiaux et de ses conséquences sur la protection de l'enfance.

Loin de l'image réductrice de la nourrice, 38 000 assistants familiaux, essentiellement des femmes, exercent une profession de travail social et de soin qu'il s'agit de valoriser en améliorant ses conditions d'exercice et en renforçant son statut.

Mais cette proposition de loi divise. Si elle ouvre un débat légitime, la réponse proposée risque de précariser la profession et de nuire à l'accueil de qualité des enfants.

Assistant familial est un métier qualifié qui exige une disponibilité à toute épreuve. (Mme Marie-Claude Lermytte approuve.) Il faut s'occuper de l'enfant, l'emmener à des rendez-vous, assurer son suivi. Le cumul avec une autre activité professionnelle à temps plein est illusoire. D'ailleurs, les départements, qui emploient 88 % des assistants familiaux, ne l'autorisent que rarement.

La possibilité de cumuler avec un emploi de la fonction publique, surtout à temps complet, nous semble donc difficile. Aussi avons-nous déposé des amendements, soutenus par des syndicats d'assistants familiaux, pour réserver la possibilité de cumul avec un emploi à temps partiel à certains temps de congé et en binôme. Cela permettrait à l'assistant familial référent de bénéficier de ce que le sociologue Erving Goffman appelle des « coulisses », des temps de vie pour se ressourcer, et à son binôme de découvrir la profession.

La crise des éducateurs et la raréfaction de l'offre de soins entraînent un isolement croissant des assistants familiaux. Améliorer les conditions d'exercice de leur métier va de pair avec le souci de prendre soin des enfants placés, qui ont besoin d'une attention particulière. Les solutions sont structurelles et ne sauraient reposer sur une version du « travailler plus » créant des sous-assistants familiaux !

Sécurisons le statut des assistants familiaux avec une protection sociale égalitaire, un cadre d'emploi dans la fonction publique territoriale, des structures d'accueil de jour et des possibilités de relais.

Le GEST déterminera sa position finale en fonction du sort réservé à ses amendements. (Applaudissements sur de nombreuses travées à gauche)

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le RDPI propose aux agents de la fonction publique à temps partiel de cumuler leur emploi avec celui d'assistant familial, alors que le ministre Guerini veut supprimer le statut de la fonction publique et faciliter le licenciement des fonctionnaires...

M. Xavier Iacovelli.  - Vous anticipez un peu...

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - C'est ce qu'il a annoncé !

Dans le Pas-de-Calais, en six ans, ce sont 10 % de signalements en plus et 20 % d'enfants placés en plus, soit 7 200 enfants placés, alors que le nombre d'assistants familiaux est en baisse.

Même les meilleures intentions peuvent être contre-productives. Le cumul d'activités présente de nombreuses limites. Ce texte accompagne l'explosion du travail à temps partiel, qui concerne 17 % des salariés, majoritairement des femmes. Cette évolution du monde du travail n'épargne pas la fonction publique.

Le salariat à temps partiel concerne une femme sur quatre, et 31 % dans la fonction publique.

En permettant aux assistants familiaux d'exercer cumulativement un autre emploi, on fait un second job de ce qui est un métier à temps plein. Le Gouvernement devrait plutôt s'attaquer à la précarité des agents de la fonction publique en les revalorisant.

Il nous faut trouver des solutions pour que les enfants de l'ASE s'épanouissent dans une famille d'accueil et construisent une vie d'adulte. Les 88 % d'assistants familiaux employés par les départements doivent être intégrés dans la fonction publique territoriale. Les assistants familiaux attendent des garanties d'emploi stables, un statut reconnu et une rémunération juste. Les frais de déplacement pour les rendez-vous de l'enfant et les charges d'équipements en puériculture doivent être couverts, et le droit à la déconnexion garanti au moins un week-end par mois.

Ce texte ne répond pas à l'urgence du manque d'attractivité de la profession. Le groupe CRCE-K s'abstiendra. J'espère que, dans les prochaines années, les effets de ce texte seront évalués. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Guylène Pantel .  - Je remercie l'auteur de cette proposition de loi. Élue en Lozère, j'y mesure le rôle essentiel des assistants familiaux. Grâce à un flux régulier d'agréments, mon département est relativement épargné par la crise d'attractivité qui frappe dans d'autres départements et constitue un enjeu essentiel.

Force est de constater que la loi Taquet ne suffit pas. Les effectifs d'assistants familiaux diminuent chaque année de 1,4 % depuis 2017. Dans ces conditions, quel avenir pour notre système de protection de l'enfance ?

Nous sommes plutôt partisans d'une grande loi de protection de l'enfance, fixant un cap clair et ambitieux. Cette proposition de loi a toutefois le mérite de lever le frein juridique au cumul entre un emploi public et celui d'assistant familial.

Le RDSE salue cette mesure, en soulignant la nécessité de prévoir des garde-fous. Accueillir uniquement un enfant de plus de trois ans en est un premier. Les professionnels du secteur sont unanimes : chaque enfant est unique et présente des spécificités qui requièrent un suivi adapté : rendez-vous médicaux, visites médiatisées avec les parents, réunions de concertation, par exemple.

Il faut aussi un garde-fou fondamental sur la quotité de travail : un agent à temps complet ne peut pas être aussi assistant familial.

En attendant une meilleure reconnaissance pour la profession, le RDSE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI)

Mme Nadège Havet .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce texte est l'occasion de saluer l'engagement de M. Iacovelli en faveur de la protection de l'enfance.

Les assistants familiaux sont les acteurs premiers de la protection de l'enfance. Mais seul un jeune sur deux bénéficiant d'une mesure de placement est pris en charge par un assistant familial.

L'enjeu premier est le renouvellement des assistants familiaux, dont le nombre baisse constamment, de 1,4 % par an depuis sept ans. Or la loi de 2022 s'avère insuffisante pour redynamiser leur recrutement.

Les agents publics à temps partiel pourront cumuler leur emploi avec celui d'assistant familial. Je compte sur la ministre pour une navette rapide entre les deux assemblées.

Le statut de la fonction publique impose que l'agent se consacre entièrement à son activité. De ce fait, la profession d'assistant familial n'est pas actuellement susceptible d'être exercée à titre accessoire par un agent de la fonction publique. La commission a adopté un amendement à l'article 1er soumettant l'activité d'assistant familial à l'autorisation préalable de l'autorité hiérarchique. Elle a estimé qu'il était préférable de renvoyer à un décret l'encadrement du cumul d'activités.

Il s'agit d'encourager quantitativement les vocations, sans sacrifier la qualité de l'accompagnement. Ce texte va donc dans le bon sens. Je salue l'engagement remarquable de tous les professionnels de la protection de l'enfance, qui aident les enfants à bien grandir. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Marion Canalès .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi concerne deux secteurs en proie à une crise d'attractivité : la fonction publique et la protection de l'enfance.

L'idée initiale semble simple, mais la crise de la profession d'assistant familial est complexe.

Je salue la présence dans nos tribunes de membres du comité de vigilance des enfants placés.

Le texte initial suscitait des réflexions qui ne nous auraient pas empêchés d'avancer. Mais le texte de la commission pose bien plus de questions.

L'alignement de la fonction publique sur le privé est à manipuler avec précaution, car cela revient à toucher aux lois de 1946 et 1983. Cela pourrait se concevoir si la mesure proposée avait fait ses preuves dans le privé. Or nous n'avons aucune statistique sur le cumul entre emploi privé et emploi d'assistant familial ni ses conséquences sur les enfants. Adrien Taquet avait même déclaré que ce cumul n'avait jamais vraiment été demandé par les professionnels.

Partout, les places manquent. Mais cette proposition de loi ne traite pas les causes des difficultés. C'est une parade à une situation compliquée. On entend que la profession d'assistant familial peut être une activité annexe, mais le cumul ne dégradera-t-il pas la qualité de l'accueil des enfants ?

En outre, la fonction publique peine à recruter faute d'attractivité, comme le montre le récent rapport de Cédric Vial, Catherine Di Folco et Jérôme Durain. Et nos agents du service public ne vont pas très bien.

Trois lois ont parachevé une cathédrale normative de 131 articles sur la protection de l'enfance. Nous n'avons pas besoin d'une nouvelle loi, mais d'appliquer ces réformes, en prenant tous les décrets d'application qui manquent encore à l'appel. Il faut aussi transformer les pratiques professionnelles, en intégrant les assistants familiaux à l'équipe autour de l'enfant : la loi le prévoit. Il faut aussi garantir une stabilité de l'encadrement, réduire le turn-over, sécuriser le parcours de soins des enfants, améliorer les salaires et prévoir de vrais relais.

Voter le texte de Xavier Iacovelli, pourquoi pas ? Il aurait pu répondre à des cas particuliers, même si la durée prévue de formation de 60 heures était beaucoup trop faible.

En revanche, le texte issu de la commission pose beaucoup de problèmes. La notion de temps partiel des fonctionnaires a disparu au profit de celle de temps non complet, alors que le texte de Xavier Iacovelli comportait une idée de choix -  car on se met à temps partiel, mais on est embauché à temps non complet.

Pis, vous ouvrez au temps complet, vous faites sauter le verrou des trois ans, autorisez l'accueil de plusieurs enfants et renvoyez à un décret : combien de mois l'attendrons-nous ?

Faute de personnels, faute de vocation, faute d'attractivité, est-on prêt à tout ? La crise aiguë de la protection de l'enfance, les scandales à répétition, les suicides auxquels ont été conduits certains enfants nous obligent à l'action. Faut-il accepter que des veilleurs de nuit soient embauchés ? Qu'un titulaire de Bafa encadre des jeunes ?

L'intuition initiale ayant été dévoyée par la commission, nous sommes réservés sur ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K ; Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

Mme Nadia Sollogoub .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le 14 décembre 2021, ici même, Adrien Taquet nous proposait un renouvellement massif de l'investissement de la puissance publique dans la protection de l'enfance. Nous avions alors fait le constat que nous devions sortir d'une approche trop institutionnelle, avec pour unique boussole l'intérêt supérieur de l'enfant. Car chaque enfant est unique, chaque histoire est singulière. Par un placement dans un foyer familial, auprès de professionnels formés, nous pouvons donner de la stabilité à ces enfants.

Or les conditions de travail des assistants familiaux ne se sont pas améliorées et ils sont de moins en moins nombreux à exercer. Les difficultés ont bien été identifiées en 2021, mais elles n'ont pas été traitées. La question de l'attachement freine l'engagement : c'est dur de se séparer d'un enfant accueilli pendant trois ans !

Nous devons rendre ses lettres de noblesse à cette profession.

Notre collègue Xavier Iacovelli veut compenser une érosion démographique. Mais ce faisant, il va permettre d'accueillir des enfants dont le profil a évolué. Conservons notre idéal : placer chaque enfant auprès d'un adulte formé et bienveillant. Or les dispositions de la loi Taquet non encore en vigueur concernent justement la désignation de ces adultes - parrains, marraines, tiers de confiance, adoption...

La question de la compatibilité de ces missions exigeantes avec un emploi se pose. Mais des fonctionnaires de l'Éducation nationale, dont les horaires de travail sont compatibles avec le temps scolaire, rempliront parfaitement ces missions. J'espère, tant pour les adultes candidats que pour les enfants en souffrance, que des solutions pourront être trouvées. Faute de ressources humaines suffisantes, ne casons pas les enfants là où l'on trouve une place ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDPI et au banc des commissions, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Laurence Muller-Bronn .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce texte est une avancée : il ouvrira la profession d'assistant familial aux fonctionnaires qui exercent à temps partiel. Cela augmentera les chances d'accueil pour les enfants, permettra de diversifier le profil des assistants familiaux et répondra aux aspirations légitimes des assistants familiaux, qui sont souvent des femmes.

En tant que conseillère départementale, je me suis entretenue avec les services de la Collectivité européenne d'Alsace. Ils sont prêts à travailler avec de nouveaux profils d'assistants familiaux - ils recrutent déjà des salariés à temps partiel du secteur privé.

En Alsace, nous devons faire face à un départ massif à la retraite d'assistants familiaux : en 2022, on comptait 556 assistants familiaux sur les deux départements, cette année ils seront 122 de moins.

J'avais déposé deux amendements en collaboration avec Départements de France. L'un d'eux visait à ne pas limiter l'accueil à un enfant, afin d'accueillir des fratries. Le second amendement levait la limite des trois ans pour augmenter les chances d'accueil des plus petits. En effet, en Alsace, le nombre de bébés sans foyer est en hausse, faute de places suffisantes en crèche et en pouponnière. Résultat : des nourrissons sont maintenus à l'hôpital, victimes d'hospitalisme ! Les assistants familiaux peuvent prendre le relais le soir d'une garde assurée en crèche la journée, par exemple.

Notre collectivité départementale milite également pour la fusion de l'agrément et du recrutement.

Veillons à ce que ces éléments soient bien pris en compte dans les décrets annoncés et que les départements y soient étroitement associés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du RDPI)

Discussion des articles

Article 1er

Mme la présidente.  - Amendement n°2, présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.

I.  -  Alinéa 3

1° Au début

Insérer les mots :

S'il occupe un emploi à temps partiel,

2° Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées : 

Ce cumul est uniquement autorisé lors de périodes courtes dans le cadre d'un accueil relais, et de la constitution de binômes d'assistants familiaux. Les modalités de ce cumul sont définies par décret.

II.  -  Alinéa 4

Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :

Ce cumul est uniquement autorisé lors de périodes courtes dans le cadre d'un accueil relais, et de la constitution de binômes d'assistants familiaux. Les modalités de ce cumul sont définies par décret.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Cet amendement, soutenu par plusieurs associations d'assistants familiaux, limite tout d'abord la possibilité de cumul de l'activité d'assistant familial aux seuls agents exerçant à temps partiel. Je ne suis pas favorable au cumul d'emploi au-delà d'un ETP et un accueil en continu exige une grande disponibilité.

Par ailleurs, cet amendement réserve le cumul de deux emplois à des périodes courtes, pour offrir un temps de répit aux assistants familiaux référents. Cela permettrait en outre l'acculturation des nouveaux entrants.

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.

Alinéa 3, au début

Insérer les mots :

S'il occupe un emploi à temps partiel,

Mme Raymonde Poncet Monge.  - C'est un amendement de repli.

Dans la version actuelle du texte, on peut être un agent administratif à temps complet et avoir une activité d'assistant familial ; on cumulerait ainsi deux ETP, si je puis dire.

La pénurie risque de conduire à lever les garde-fous. Il s'agit donc de réserver ce cumul aux agents à temps partiel.

Mme la présidente.  - Amendement n°3, présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.

Après l'alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Ce cumul est uniquement autorisé lors de périodes courtes dans le cadre d'un accueil relais, et de la constitution de binômes d'assistants familiaux. Les modalités de ce cumul sont définies par décret.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Il s'agit de disposer d'une sorte de pool de relais, afin d'organiser du temps de répit pour les assistants familiaux référents. Je regrette que vous ne repreniez pas cette proposition, car votre texte est purement quantitatif, nullement qualitatif. Vous auriez ainsi montré du respect pour ce métier.

Mme Solanges Nadille, rapporteure.  - La commission a renvoyé à un décret les modalités d'encadrement du cumul d'emploi. Une définition a priori dans la loi apparaît trop rigide et risquerait d'amoindrir la portée utile de ce texte. L'intention d'organiser un accueil relais est tout à fait louable. Mais le prévoir dans la loi serait trop rigide. Le décret pourra bien sûr le préciser.

Avis défavorable sur ces trois amendements. Mme la ministre s'est engagée à prendre ce décret. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée.  - Même avis. Pourquoi distinguer salariés du privé et du public ? Dans le décret, nous poserons les règles et je me suis engagée à en discuter avec les conseils départementaux, les associations d'assistants familiaux et les usagers eux-mêmes, à savoir les enfants.

Mme Marion Canalès.  - Le temps partiel qui figurait dans la version initiale du texte avait du sens. Le temps partiel est choisi, le temps non complet est subi. Nous voterons cet amendement.

Madame la ministre, vous dites qu'il n'y a pas de raison de faire de différence entre privé et public. En ce cas, supprimons les activités accessoires et les fonctionnaires feront ce qu'ils veulent - cela sera peut-être dans le projet de loi de Stanislas Guerini...

L'idée initiale de Xavier Iacovelli était bonne. Pourquoi revenir dessus ? Maintenant, des fonctionnaires à temps complet accueilleraient plusieurs enfants, de moins de trois ans ! Nous sommes allés trop loin.

M. Xavier Iacovelli.  - Les dispositions de l'article 2 seront reprises dans un décret concerté avec les départements et les associations d'assistants familiaux. Cela fait sept ans que je travaille avec ces dernières. Elles soutiennent cette proposition de loi qui élargira les possibilités de recrutement et leur donnera un droit au répit. Je veux bien que l'on se batte pour le droit au répit, mais sans recrutement, il sera inapplicable !

Le décret permettra de fixer un cadre commun au public et au privé.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Pour les enseignants, on a des pools de remplaçants. Je reprends une suggestion des associations : constituer des pools de répit avec les quelques centaines de nouveaux assistants familiaux. Sans quoi, il n'y aura toujours pas de répit ! Je ne comprends pas votre refus.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée.  - Pour intégrer un pool d'assistants familiaux, il faut être assistant familial. Idem pour les enseignants.

Cette proposition de loi nous offre l'opportunité d'avancer. La procédure accélérée témoigne de notre bonne volonté.

L'amendement n°2 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos1 et 3.

Mme la présidente.  - Amendement n°4, présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.

Alinéa 3

Remplacer le mot :

accessoire

par le mot : 

complémentaire

Mme Raymonde Poncet Monge.  - La sémantique est importante : il s'agit de remplacer le mot « accessoire » par le mot « complémentaire », le premier ayant une connotation dépréciative pour la profession. Car malheureusement, les représentations simplistes de ce métier du prendre soin, très qualifié, perdurent. Il s'agit d'un métier à part entière, et non d'une activité accessoire.

Mme Solanges Nadille, rapporteure.  - Le terme accessoire ne vise pas à déprécier le métier d'assistant familial, reconnu par un diplôme d'État. Nous avons d'ailleurs veillé en commission à ne pas créer une profession à deux vitesses. Le terme accessoire est employé par le code général de la fonction publique, avec un sens juridique précis. Avis défavorable.

Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée.  - Même avis.

L'amendement n°4 n'est pas adopté.

Vote sur l'ensemble

Mme Corinne Bourcier .  - Le manque d'assistants familiaux est criant. Des enfants fragiles en pâtissent. Tous les leviers doivent être utilisés pour attirer de nouveaux candidats. Cette proposition de loi le permettra.

Je salue le renvoi à un décret, qui donnera davantage de souplesse aux territoires, où les situations sont très variables. Dans le Maine-et-Loire, l'ASE suit 2 983 enfants, mais beaucoup attendent une place. Il est urgent de les aider.

Adoptons le dispositif simple et efficace introduit par le texte. Ce n'est pas une révolution, certes, mais c'est déjà un pas.

Le groupe INDEP votera cette proposition de loi.

Mme Monique Lubin .  - Je ne comprends pas pourquoi la première version du texte, intéressante, a été remise en question.

Certains arguments m'étonnent. Lorsque j'entends qu'un enfant placé dans une famille où le parent d'accueil travaille dans la fonction publique va acquérir la valeur travail, comme la rapporteure l'a dit, que cela signifie-t-il ? Qu'un enfant placé dans une famille où le métier d'assistant familial est le seul emploi n'acquerra pas cette valeur ?

De même, entendre dire que certains fonctionnaires travaillent moins que d'autres et que les enseignants pourraient être intéressés par le métier d'assistant familial me surprend.

Je réfute ces arguments, simplistes, voire dangereux.

Si nous manquons d'assistants familiaux, c'est parce que le métier est peu valorisé, que les rémunérations sont insuffisantes, et que les familles d'accueil sont démunies face aux difficultés de ces enfants. C'est sur ces problèmes-là que nous devons travailler.

Le renvoi à un décret finit de semer le doute, tant les décrets jamais publiés sont nombreux.

M. Xavier Iacovelli .  - Je remercie tous ceux qui ont défendu cette proposition de loi, petite brique dans la protection de l'enfance, qui contribuera à augmenter le nombre d'assistants familiaux.

Il reste un chantier à mener sur le temps consacré en journée au métier d'assistant familial. Les visites médiatisées, les rendez-vous médicaux et les rendez-vous ASE ne doivent pas se faire sur le temps scolaire. Quelque 70 % des enfants pris en charge par l'ASE sortent de leur parcours sans diplôme et seuls 13 % des enfants de l'ASE obtiennent le brevet, contre 80 % des enfants hors ASE. Le temps scolaire doit être sanctuarisé.

Le chantier de l'attractivité du métier d'assistant familial reste aussi à mener. Madame la ministre, vous vous êtes engagée à ouvrir une concertation avec les parties prenantes. J'espère que nous serons nombreux à suivre ces travaux.

Nous ne parlons pas assez de la protection de l'enfance. Je vous invite à soutenir ma proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des enfants. C'est indispensable. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Corinne Bourcier applaudit également.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - C'est vrai !

Mme Marion Canalès .  - On nous a dit qu'il fallait aligner le public sur le privé. Mais être fonctionnaire, ce n'est pas être salarié de droit privé ! On n'est pas obligé de tendre vers l'équité !

L'exposé des motifs de la proposition de loi avoue à demi-mot qu'il s'agit aussi de trouver une meilleure stabilité économique. Le péché originel est aussi dans le manque de reconnaissance et de rémunération des assistants familiaux.

Le texte initial aurait pu nous convenir, mais en faisant sauter tous les verrous, en permettant le cumul avec un emploi à temps complet, l'accueil de plusieurs enfants...

M. Xavier Iacovelli.  - Non, personne n'a dit cela !

Mme Marion Canalès.  - ... vous semez le doute. Comme l'a dit Monique Lubin, les décrets d'application de la loi Taquet se font encore attendre deux ans et demi après le vote de la loi... Et ce décret sera monstrueux.

Nous nous abstiendrons.

Mme Catherine Conconne .  - Je remercie mon groupe de m'accorder le statut de non-alignée ce soir... Sans avoir le monopole du coeur, je recherche toujours l'intérêt de l'enfant. Or un enfant est toujours mieux en famille qu'en foyer.

Ouvrons le champ des possibles.

Si l'on n'a pas de coeur, si l'on n'aime pas les gens, on ne fait pas ça. (M. Jean-Baptiste Lemoyne le confirme.) Il y a une part de tendresse, d'amour, osons le mot, dans ce métier qui n'est pas vraiment un métier.

On a dit que les enfants des parents fonctionnaires ne seraient pas bien éduqués parce que ces derniers n'auraient pas le temps de s'occuper d'eux. La fonction publique n'est pas une succursale du musée Grévin. Elle n'a jamais cessé d'évoluer ! La preuve : les fonctionnaires peuvent faire de la politique aujourd'hui, ce qui n'était pas le cas auparavant.

Des dizaines et des dizaines d'enfants de mon pays sont en attente d'une place dans une famille, pour retrouver de l'amour. Si cela peut être offert par des fonctionnaires, tant mieux pour les enfants. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Marie-Do Aeschlimann .  - Le groupe Les Républicains votera pour cette proposition de loi.

M. Iacovelli et moi-même sommes élus dans le même département, les Hauts-de-Seine.

L'accueil familial est un devoir de solidarité, de fraternité à l'endroit d'enfants qui n'ont pas eu la chance de grandir dans des familles, auprès de leurs parents biologiques. Nous leur devons une attention particulière.

Assistant familial, ce n'est pas seulement un métier. C'est une vocation, et peut-être aussi une façon de prolonger sa mission parentale.

La proposition de loi est un pas important, qui ne règle certes pas tous les problèmes, mais certains. Les conditions d'attractivité de cet emploi sont importantes, notamment la rémunération. Dans les Hauts-de-Seine, le nombre d'enfants accueillis par l'ASE a été divisé par deux en six ans, et deux primes ont été créées pour améliorer l'attractivité du métier.

Merci pour ce texte, pour tous les enfants qui en bénéficieront. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Le GEST s'abstiendra. Vous avez dit que si un assistant familial a un autre métier, agent administratif par exemple, cela mettra l'enfant dans une « situation de normalité ». C'est dingue d'entendre cela !

Avant d'être une vocation, assistant familial, c'est un métier. Ces femmes travaillent, elles ont une formation. On demande d'ailleurs pour elles un statut et un cadre d'emploi. Si vous voulez que ce métier soit attractif, parlez un peu moins de vocation, et davantage de métier.

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - Je remercie Xavier Iacovelli, auteur de cette proposition de loi, sur laquelle nous nous abstiendrons. Je connais son engagement en faveur de l'enfance, sujet qui nous interpelle tous.

Aucun département ne va mieux qu'un autre dans ce domaine, la situation étant liée aux départs en retraite à venir. Nous essayons tous de trouver des solutions.

Je refuse cependant l'idée selon laquelle il y aurait ceux qui ont du coeur et ceux qui n'en ont pas. Ces propos injustes me dérangent.

Nous nous abstiendrons parce que la proposition de loi ne va pas assez loin. L'État se défausse sur les départements en ne présentant pas un projet global sur l'ASE.

Oui, nos enfants ont besoin d'être protégés. Oui, les assistants familiaux ont besoin d'un statut et d'une rémunération à la hauteur. Mais, parce que cette question n'est pas abordée dans sa globalité, nous nous abstiendrons.

À la demande du RDPI, l'article 1er constituant l'ensemble de la proposition de loi est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°205 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 247
Pour l'adoption 246
Contre     1

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, du RDPI et du groupe INDEP)

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales.  - Je salue l'initiative de M. Iacovelli et du groupe RDPI, et félicite notre rapporteure, dont c'était le premier grand dossier. (Applaudissements)

Madame la ministre, nous avons noté les engagements que vous avez pris pour la rédaction rapide du décret et les consultations avec les parties prenantes. Vous avez entendu les attentes exprimées. Nous comptons sur vous.

Il s'agissait, une fois encore, d'une proposition de loi. Nous attendons toujours l'initiative gouvernementale sur ce sujet fondamental qu'est la protection de l'enfance, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Cathy Apourceau-Poly acquiesce.)

La séance est suspendue à 20 h 20.

Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente

La séance reprend à 22 heures.

La France a-t-elle été à la hauteur des défis et de ses ambitions européennes ?

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « La France a-t-elle été à la hauteur des défis et de ses ambitions européennes ? », à la demande du groupe SER.

M. Didier Marie, pour le groupe SER .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Alors que la neuvième législature du Parlement européen s'achève, nous avons demandé ce débat de contrôle, en regrettant que le Gouvernement n'ait pas pris l'initiative d'un tel bilan devant le Parlement.

Alors que nos concitoyens sont parfois critiques envers l'Union européenne, l'exprimant par des intentions de vote qui font la part belle à l'extrême droite, nous leur devons la plus grande honnêteté sur le rôle de notre pays auprès de l'Union européenne.

Alors que la majorité se tresse des couronnes, la France n'a été que trop rarement à l'initiative des avancées européennes, voire les a combattues. Nous avons entendu de grands et beaux discours, mais n'en avons pas vu la traduction en actes.

L'Union européenne, à un tournant de son histoire, est attaquée sur ses valeurs, concurrencée par des puissances déloyales, confrontée au dérèglement climatique. Le manque de cohésion, le retour des égoïsmes et la montée des populismes en son sein appellent des réponses à la hauteur.

Ces dernières années, face aux crises, l'Union européenne a montré le meilleur d'elle-même et a pris conscience de l'importance de l'action publique face à des logiques économiques dangereuses : Green Deal, droits sociaux, normes... Souvent à l'initiative des forces proeuropéennes progressistes. Malheureusement, le bilan de l'exécutif à l'échelle européenne est contrasté, souvent en décalage avec nos partenaires.

La France a ainsi été le fer de lance de l'opposition à la directive d'amélioration des conditions de travail des travailleurs de plateforme, qui concerne pourtant 30 millions de personnes. Le Gouvernement a pesé de tout son poids pour éviter d'inclure la finance dans la directive sur le devoir de vigilance. Enfin, le Gouvernement s'est opposé à la définition commune du viol basée sur le non-consentement, pour laquelle le Président de la République plaide depuis...

De même, dès les premières contestations contre le Green Deal, qu'il soutenait pourtant, l'exécutif a appelé à une pause réglementaire, voire à des reculs, comme l'autorisation du glyphosate pour dix ans. L'histoire le retiendra.

L'exécutif a plaidé pour la conclusion d'accords de libre-échange sans clauses miroirs.

Prise dans ses désaccords avec l'Allemagne, la France n'a pas fait émerger une politique énergétique à la hauteur des enjeux. La tarification marginale et l'ordre de mérite n'ont pas été remis en cause.

Sur le volet financier, les pays dits frugaux ont gagné la bataille, pénalisant l'investissement et la transition écologique. Il fallait répondre au protectionnisme américain ou chinois, mais la France a toujours refusé une taxation des ultrariches au niveau européen et a visiblement renoncé à la taxe sur les transactions financières pourtant annoncée par l'exécutif, qui s'incline devant l'orthodoxie budgétaire qui a toujours nui à l'Europe.

La convention sur l'avenir de l'Europe devait être un tournant. Trois ans plus tard, elle n'a suscité que des désillusions tandis que, sur l'élargissement, le flou demeure. Alors que l'extrême droite prend pied, l'Union européenne doit défendre avec vigueur l'État de droit.

La France a défendu un pacte asile et immigration qui ne convient à personne.

La relation franco-allemande est désormais tendue. La politique de défense est au coeur de ce dissensus. L'insuffisance de nos livraisons d'arme à l'Ukraine et l'incohérence des discours sur l'envoi de troupes sont particulièrement dommageables.

Cette perte de capacité de compromis nous pousse vers la défense des intérêts nationaux. La France doit retrouver son orientation progressiste pour favoriser l'émergence de textes européens ambitieux. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K)

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe .  - Merci de donner au Gouvernement l'occasion de tirer le bilan de cette mandature. Revenons au discours du Président de la République à la Sorbonne en 2017 pour constater que ses propositions, qui embrassaient des sujets face auxquels l'Union européenne semblait totalement impuissante, ont trouvé des débouchés.

M. Patrick Kanner.  - Très beau, en effet... 14 % !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - L'adoption du principe de souveraineté européenne, initialement accueilli avec tiédeur, est une victoire idéologique majeure de la France.

Le Président de la République appelait à « un salaire minimum adapté à la réalité économique de chaque pays ». Depuis 2022, c'est le cas.

Il parlait de lutte contre le dumping social. Le travail détaché a été régulé en Europe, avec, à travail égal, salaire égal. (M. Didier Marie marque son désaccord.)

Le Président de la République soutenait également « un programme industriel européen de soutien aux véhicules propres ». Désormais, nous avons quatre méga-usines de batteries électriques et un programme d'investissement européen, avec 250 000 personnes formées en France.

Le Président de la République disait que le continent du numérique avait « une loi, la loi du plus fort ». Sept ans plus tard, nous disposons des lois les plus ambitieuses au monde pour réguler le numérique.

Le Président de la République plaidait pour une taxe carbone aux frontières, idée revenant à Chirac, mais jamais mise en oeuvre. Dès le 1er octobre 2023, elle a été instituée.

Le Président de la République plaidait pour une réciprocité en créant un procureur commercial européen. C'est le cas désormais.

En matière de défense, le Président de la République parlait « d'une force commune d'intervention, d'un budget de défense commun et d'une doctrine commune ». Sept ans plus tard, avant même l'agression russe en Ukraine, les bases d'une initiative d'intervention et d'une industrie européenne de défense sont jetées.

Le Président de la République appelait à un « espace commun des frontières, de l'asile et de l'immigration ». Sept ans plus tard, nous avons le pacte sur les migrations et l'asile. (Murmures à gauche)

M. Didier Marie.  - Sans solidarité, au détriment des droits humains !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Le Président de la République annonçait une vingtaine d'universités européennes pour 2024. Nous recensons désormais 41 alliances d'établissements d'enseignement supérieur européens, et 60 d'ici à 2025.

Bien sûr que nous nous sommes trouvés en décalage avec nos partenaires, car nous avons dû les rallier à nos positions et les faire progresser. (On ironise à gauche.) Il a fallu aller au-delà de leurs réticences. Grâce à notre alliance pour le nucléaire, nous avons pu défendre cette technologie.

Ainsi, pour le pacte sur les migrations et l'asile, il fallait convaincre à la fois les pays de première entrée et les pays d'Europe centrale et orientale, qui se refusaient à tout partage.

Nous nous sommes trouvés en décalage également pour faire échec aux propositions portant atteinte aux intérêts français. Cela a été le cas sur le Mercosur.

MM. Patrick Kanner et Didier Marie.  - Et le Ceta ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - S'il n'a pas été signé, c'est parce que la main de la présidente de la Commission européenne a été tenue par un fil, celui que tenait le Président de la République. (Marques d'ironie sur les travées du groupe SER)

Sur l'IA, nous nous sommes mobilisés pour que la réglementation ne compromette pas la capacité européenne à développer ces technologies.

Le bilan écologique est si considérable que l'on nous accuse d'avoir été trop loin. (M. Didier Marie s'exclame.)

Vous parlez d'austérité budgétaire alors même que, pour la première fois, l'Union européenne s'est accordée sur le principe d'un emprunt commun, ce qui a doublé sa capacité budgétaire. (Protestations sur les travées du groupe SER)

M. Didier Marie.  - Et l'encadrement de la dette et du déficit ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Vous terminez en émettant des doutes sur l'amitié franco-allemande. Je reviens tout juste de la visite d'État historique du Président de la République en Allemagne, une première depuis vingt-quatre ans.

M. Didier Marie.  - Il était temps de se rabibocher !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Pour la première fois lors d'une telle visite, il a été dans l'ex-Allemagne de l'Est. Le Président de la République a été accueilli par le peuple allemand avec une grande chaleur : 10 000 personnes se sont rassemblées pour la fête de l'Europe à Dresde. (Protestations redoublées sur les travées du groupe SER)

Il y a bien quelque chose de fondamental qui entraîne l'Europe, c'est l'amitié franco-allemande. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Didier Marie.  - Et tout cela, ça fait 14 % !

M. Pierre Médevielle .  - (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC) La France a toujours nourri de grandes ambitions pour l'unité de notre vieux continent. Après la Seconde Guerre mondiale, le défi était de taille : rétablir une paix durable pour les générations futures. Depuis 1945, notre pays connaît la plus longue période de paix de son histoire.

L'Europe vient d'essuyer deux tempêtes : covid et Ukraine. Plus que jamais nous devons sortir de la dépendance aux énergies fossiles. Il faut trouver des terrains d'entente avec des pays, comme l'Allemagne, qui ont fait un autre choix que nous.

La crise agricole du début d'année nous a forcés à remettre en oeuvre une politique plus réaliste. Il y a une place pour toutes les agricultures, et la productivité n'est pas incompatible avec l'environnement.

L'invasion de l'Ukraine a mis en évidence le besoin impérieux de défense européenne.

Nos adversaires pensaient que l'Union européenne ne survivrait pas à ces deux crises, mais elle en ressort renforcée.

Comment investirons-nous dans l'IA et l'aérospatiale ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - L'idée que l'Union européenne puisse investir était considérée il y a quelques années comme étrange, mais en mars 2022, à l'initiative du Président de la République, les Vingt-Sept se sont fixé des objectifs d'investissements pour réduire les dépendances dans certains secteurs - médicaments, agriculture -, dépendances qui avaient provoqué l'agacement légitime de nos concitoyens.

Ce que nous souhaitons à l'avenir, c'est encourager l'Union européenne à investir dans des secteurs où de futures dépendances pourraient se créer, tels que l'IA, le quantique, les biotechnologies, les nouvelles énergies et l'espace.

Le Président de la République a présenté ces orientations à la Sorbonne. Hier soir, la France et l'Allemagne ont acté une contribution commune sur l'attractivité et la croissance. L'Union européenne doit se doter d'une capacité d'investissement dans ces secteurs.

M. Olivier Henno .  - Je veux aborder le retour de l'industrie, avec les gigafactories et le devenir de la politique de concurrence européenne. Dans les Hauts-de-France, nous sommes très heureux de ce retour, après le déclin industriel. Nous pensions, avec une certaine naïveté, que le tertiaire remplacerait l'industrie, mais cela ne s'est pas produit.

Le retour de l'industrie doit être durable. Nous devons prendre conscience que le monde a changé. Les gentils Européens, c'est fini.

J'ai rédigé un rapport avec Alain Chatillon sur la politique européenne de concurrence. En Chine et aux États-Unis, les aides publiques font partie du paysage.

La politique de concurrence européenne est depuis toujours axée sur le « moins cher ». Elle doit basculer vers l'ambition de la souveraineté européenne. Je sais qu'il y aura beaucoup de résistances.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Il y a une prise de conscience. La France défend depuis longtemps que l'objectif de la concurrence ne doit pas être uniquement le prix, mais également la défense de la souveraineté.

Dans l'agenda stratégique préparé avec l'Allemagne figure l'idée que la politique de concurrence favorise, dans le secteur des télécoms, par exemple, l'émergence d'entreprises de taille suffisante pour résister aux assauts de leurs rivales américaines ou chinoises.

De même que l'Europe prend, à l'initiative de la France, un virage en matière de commerce international, la politique de concurrence doit être revue.

Mais ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. Dans le numérique, par exemple, la politique de la concurrence est le seul espoir de rouvrir des marchés occupés par les monopoles de géants créant une dépendance de nos entreprises et collectivités et empêchant toute initiative entrepreneuriale. Cette politique doit s'adapter à l'air du temps, mais elle est le moyen de rétablir l'équité violée par le comportement de très grandes entreprises américaines ou chinoises.

Mme Mathilde Ollivier .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) En 2019, il y a eu une vague d'espoir sans précédent avec des milliers de jeunes marchant pour le climat. La jeunesse s'engageait, se révoltait. J'en faisais partie, et cela a été pour moi un point de bascule.

L'espoir était immense. La condamnation de l'État pour inaction climatique obtenue par Marie Toussaint, élue au Parlement européen, ainsi que la venue de Greta Thunberg laissaient espérer des changements.

Il y a eu des avancées. Mais, depuis le covid, le Make the planet great again d'Emmanuel Macron a fait pschitt... La France recule sur la restauration de la nature, le glyphosate, les pesticides, le pouvoir d'achat des Français.

L'inquiétude règne. Toute une génération vous attend au tournant. Les écologistes sont constamment notés comme étant ceux qui ont fait le plus en faveur de l'écologie au Parlement européen. Et vous, monsieur le ministre, quelle note vous donnez-vous ? (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Didier Marie applaudit également.)

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Je ne suis pas sûr que ce soit à moi de nous attribuer une note... Toujours est-il que, avec le pacte vert, l'Europe a fait la preuve de son ambition en matière de transition climatique. Je regrette d'ailleurs que les députés français du groupe Les Verts au Parlement européen n'aient pas voté le texte sur le climat.

M. Didier Marie.  - Il n'était pas assez ambitieux !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Peut-être, mais, si vous êtes attaché aux compromis par lesquels l'Europe avance, vous ne devriez pas vous y opposer !

M. Jean-Michel Arnaud.  - Très bien !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - La mandature qui s'ouvre devra être au service de l'investissement pour la transition écologique et de la justice. Car le pacte vert doit aussi être juste. Les agriculteurs n'ont pas exprimé leur colère par climatoscepticisme, mais parce qu'ils redoutaient de devoir supporter un fardeau trop lourd. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC)

M. Vincent Louault.  - Bravo !

Mme Mathilde Ollivier.  - D'après l'ONG Bloom, vous avez obtenu la note de 11,9 - passable ! Hélas, le risque en Europe, aujourd'hui, c'est un pacte brun. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - Le Gouvernement se targue de réindustrialiser notre pays, mais ne tire aucune leçon des désindustrialisations passées. La sacro-sainte règle de la concurrence libre et non faussée facilite la concurrence à l'intérieur de l'Europe, où les règles du capitalisme libéral sont complètement faussées par les différences de coûts salariaux et de régimes fiscaux, voire par les aides européennes.

Les grandes multinationales ont pris l'habitude de mettre leurs sites européens en concurrence. Les nouveaux entrants dans l'Union européenne bénéficiant des fonds structurels, elles ont pu y ouvrir de nouvelles usines. Les salariés français sont souvent allés former la main-d'oeuvre qui allait les remplacer...

Comment la main-d'oeuvre française peut-elle garder sa compétitivité face à la Roumanie, où le salaire minimal est de 612 euros, ou la Hongrie, où il est de 487 euros ? Une véritable machine à délocaliser a été mise en place ! Et l'élargissement annoncé n'arrangera rien : en Moldavie, le salaire minimal est de 47 euros...

Nombre d'entreprises ferment en France, car les groupes transfèrent leurs activités en Europe de l'Est. Dans le Pas-de-Calais, les exemples sont légion. Voyez Bridgestone, qui ferme son site de Béthune pour délocaliser en Pologne.

Cette mise en concurrence n'est-elle pas l'obstacle majeur à la réindustrialisation que vous souhaitez ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - L'Union européenne est une véritable assurance-vie pour nos industries et nos territoires.

Au printemps 2020, l'économie européenne menaçait de s'effondrer. Des centaines de milliers d'entreprises et d'emplois étaient menacés. Seule option possible : que l'Europe se dote, pour la première fois, d'un plan de relance commun - 750 milliards d'euros. Le plan de relance français, de 100 milliards d'euros, a été abondé par l'Europe à hauteur de 40 milliards d'euros. Sans elle, la moitié des subventions touchées par les entreprises n'auraient pas été versées.

Des investissements ont repris dans certaines filières, où les dépendances sont inacceptables, par exemple les batteries - je pense aux gigafactories de Béthune ou Billy-Berclau. L'apport de l'Union européenne est indispensable dans ce domaine.

Nous avons aussi fait progresser l'Europe sociale. Vous avez raison, le dumping n'est pas acceptable et nous ne pouvons pas faire l'Europe au détriment de nos industries et de nos emplois. C'est pourquoi nous avons soutenu la régulation des travailleurs détachés dès 2017 et obtenu la fixation d'un salaire minimal dans chaque État.

Il faut avancer sur ces deux jambes. De ce point de vue, le bilan de la mandature qui s'achève me semble particulièrement satisfaisant.

M. Ahmed Laouedj .  - Le 25 avril, à la Sorbonne, le Président de la République appelait de ses voeux une Europe plus puissante. Mais de nombreux défis économiques et climatiques bouleversent nos sociétés en butte à la montée des populismes.

Notre pays revendique un rôle de leader sur la scène européenne, mais présente un déficit public autour de 5,6 % du PIB. Il se trouve à l'avant-dernière place de la zone euro, devançant uniquement l'Italie.

Quant à la transition énergétique, elle est lente, et les mesures prises sont souvent jugées insuffisantes.

L'Europe devrait jouer un rôle prépondérant dans les crises en Ukraine et à Gaza. Or elle n'a pas su le faire, et notre pays n'est pas à la hauteur. Après les bombardements à Rafah, la situation devient urgente. L'Union européenne doit parler d'une seule voix, car la situation géopolitique appelle des actions urgentes. Après la reconnaissance de l'État palestinien par l'Espagne, la Norvège et l'Irlande, la France doit prendre ses responsabilités !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Des progrès ont été réalisés. L'Union européenne a su s'accorder, dès les premiers jours ayant suivi la guerre d'agression russe, sur un soutien à la fois militaire et civil à l'Ukraine.

S'agissant du Proche-Orient, la France a beaucoup oeuvré pour que l'Union européenne parle d'une seule voix. Lors du Conseil européen de mars dernier, les Vingt-Sept se sont enfin accordés sur une déclaration commune demandant un cessez-le-feu immédiat, la libération immédiate des otages et l'acheminement sécurisé de l'aide humanitaire.

Certains États membres ont décidé de reconnaître l'État palestinien. Comme le Président de la République l'a rappelé, ce n'est pas un tabou pour la France ; cette reconnaissance interviendra en temps utile, dans le cadre d'un processus de paix. Par ailleurs, la France a soutenu les résolutions conduisant à reconnaître la Palestine comme membre associé à l'ONU.

Mme Nadège Havet .  - Je remercie le groupe SER d'avoir inscrit ce débat à notre ordre du jour.

Quelles impulsions ont-elles été données au niveau national en faveur de l'écologie ? De nombreuses législations ont vu le jour, avec l'objectif de la neutralité carbone en 2040.

Mais je voudrais insister sur les effets, souvent méconnus, du plan de relance de 750 milliards d'euros, soutenu seulement, en France, par Renaissance et les écologistes. La guerre en Ukraine et la situation au Proche-Orient ont fait passer au second plan cette politique d'inspiration keynésienne, qui permet le financement de multiples projets.

Au moins 37 % de ces crédits sont consacrés à l'action climatique. L'Espagne a reçu 80 milliards d'euros de fonds non remboursables et autant en crédits, à tel point que la gauche espagnole a pu dire il y a trois ans que l'on mettait fin à l'Europe libérale...

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Pour confirmer votre propos, je prendrai un seul exemple : MaPrimeRénov', qui est...

M. Didier Marie.  - Diminuée !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - ... financée aux deux tiers par le plan de relance. De même, la rénovation thermique des bâtiments publics est largement soutenue par France Relance, donc par le plan de relance européen.

Les nombreux programmes de décarbonation de l'économie industrielle ont permis le déploiement de crédits spécifiques, grâce à la mobilisation de l'Union européenne.

M. Jean-Claude Tissot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) En matière d'agriculture, le Gouvernement s'est livré à un terrible double discours.

La France a été motrice, mais aussi la première à détricoter les modestes avancées réalisées, par exemple en matière de conditionnalité. Vous avez ainsi permis la réintroduction du glyphosate, contredisant les déclarations d'Emmanuel Macron en 2017.

Quand allez-vous défendre en Europe l'indispensable transition de notre modèle agricole ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - La France a soutenu l'adoption de la nouvelle PAC telle qu'elle avait été négociée. Ensuite, comme souvent, les politiques publiques évoluent. Certaines conditionnalités n'étaient pas acceptables par nos agriculteurs, à l'évidence.

Des mesures de simplification drastique ont été proposées par la Commission européenne, à la surprise générale.

Nous oeuvrons à rallier nos partenaires à l'idée française, concrétisée par les lois Egalim, d'un soutien aux revenus des agriculteurs. Cette européanisation d'Egalim vise à défendre leurs revenus à travers des règles de construction des prix.

M. Jean-Claude Tissot.  - Votre numéro d'autosatisfaction n'est pas à la hauteur des enjeux, à l'instar du projet de loi d'orientation agricole.

Construisons une réelle politique agricole et alimentaire commune en révisant en profondeur le fonctionnement de la PAC. Nous proposons de passer à l'utilité écologique, de plafonner les aides, de soutenir l'agriculture biologique, de mettre fin aux accords de libre-échange en cours de négociation ou encore de rémunérer correctement les services environnementaux des agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Guy Benarroche applaudit également.)

M. Alain Cadec .  - L'engagement européen du Président de la République et des députés français au Parlement européen ne peut être remis en cause. La France a des ambitions sur le plan européen, je dirai même qu'elle en a trop !

De fait, la défense des intérêts français en Europe souffre de plusieurs faiblesses.

La première tient à notre système politique, qui fait du Président de la République le seul décideur des initiatives françaises en Europe alors qu'il ne pourra pas se représenter en 2027 et qu'il n'a plus de majorité assurée à l'Assemblée nationale. Sa crédibilité en Europe en est affectée.

D'autre part, notre pays souffre de sa piètre situation financière et économique, avec un endettement stratosphérique, des prélèvements obligatoires record et une balance commerciale très défavorable.

Enfin, du fait de la configuration politique issue de 2017, la grande majorité des députés français au Parlement européen siègent dans un groupe qui ne pèse pas grand-chose, Renew, et un autre qui ne pèse rien, Identité et démocratie.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Il est vrai que, dans certains pays, le chef d'État ou de gouvernement reçoit un mandat formel du Parlement. Je salue la pratique sénatoriale consistant à auditionner le ministre chargé de l'Europe avant et après le Conseil européen - manière de s'approprier pleinement ces questions.

Sur la situation économique et budgétaire, on peut toujours faire mieux, mais je regrette que les députés Les Républicains n'aient pas voté notre réforme des retraites...

M. Didier Marie.  - Rassurez-vous : ils voteront celle de l'assurance chômage !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - La France préside le groupe Renew, qui occupe une position pivot. Les chiffres le montrent : les votes de ce groupe ont été conformes aux mesures adoptées dans une part plus élevée que pour les groupes PPE et social-démocrate, pourtant deux fois plus nombreux. À travers ce groupe, nous avons pu engager les votes en tenant compte des orientations françaises.

M. Jean-Michel Arnaud .  - Un sujet alimente toutes les discussions dans la campagne européenne : l'immigration.

Le pacte asile et migrations doit être appliqué prochainement, mais, sur le terrain, nous demeurons dans un entre-deux. Le 21 septembre dernier, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a estimé que les délais de recours prévus en France étaient trop courts.

En 2023, dans les Hautes-Alpes, 6 151 personnes ont été interpellées et 4 809 mesures de non-réadmission ont été prises. Les moyens manquent pour un accueil digne : des rétentions ont lieu dans des Algeco à plus de 2 000 mètres d'altitude. La situation est inextricable.

Quelle position la France défendra-t-elle sur le pacte asile et immigration lors de la prochaine mandature ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Ce pacte est l'aboutissement de dix ans de travail et de la recherche d'un équilibre entre partage de l'accueil et contrôle effectif des frontières.

Dans les Hautes-Alpes, la réforme du code frontière Schengen du 24 mai dernier donnera des moyens aux forces de l'ordre pour protéger plus efficacement la frontière. Je vous fournirai ultérieurement des réponses plus précises.

Mme Karine Daniel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Les Européens sincères que nous sommes doivent sortir à la fois des critiques caricaturales et de l'autosatisfaction, au vu des difficultés de la campagne pour tous ceux qui sont attachés au progrès en Europe.

Nous pouvons continuer à nous envoyer à la figure nos votes passés, mais le fait est que le groupe S&D au Parlement européen a défendu le pacte vert. Nous voulons aller plus loin en matière de transition.

Notre échec est de ne pas avoir emmené nos concitoyens dans ces combats. Vous parlez de gigafactories, mais nous sommes incapables d'assurer le développement d'industries issues de nos territoires. Voyez, dans mon département de Loire-Atlantique, Systovi ou l'usine GE de Saint-Nazaire.

C'est l'échec de ce gouvernement, et nos concitoyennes et nos concitoyens ne comprennent pas où nous allons.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Je suis assez d'accord avec la première partie de votre intervention. Une menace se dresse sur l'avenir de l'Europe, celle des nationalistes et des populistes qui veulent s'attaquer à l'Union européenne comme organisation politique fondée sur le respect de l'État de droit, de la liberté et de la justice en toutes circonstances. Ces principes les dégoûtent ; à nous, démocrates, de les défendre avec ardeur.

Ensuite, vous avez accusé le Gouvernement de ne pas en faire assez en matière de réindustrialisation. Certes, nous n'avons pas retrouvé les niveaux atteints dans le passé, mais on ouvre désormais en France plus d'usines qu'on en ferme. La France est le pays le plus attractif d'Europe pour les investissements étrangers pour la cinquième année consécutive. Or les usines qui sont le fruit de ces investissements s'installent souvent dans des territoires fragiles. C'est la preuve du succès de notre politique favorable à l'attractivité.

Mme Karine Daniel.  - Nous devons aussi être en mesure de créer du développement endogène, en liant davantage recherche, innovation et développement dans les territoires. (M. Jean-Noël Barrot acquiesce.)

M. Cyril Pellevat .  - Alors que le Président de la République a prononcé le 25 avril son discours sur l'Europe et à l'approche des élections européennes, je me concentrerai sur la politique étrangère.

Notre pays est réputé pour l'excellence de sa diplomatie, c'est l'une de ses forces.

Logiquement, la France est favorable à une cohérence diplomatique européenne. En unissant nos forces, nous pouvons démultiplier notre influence. Mais l'Union européenne reste encore trop peu audible sur la scène internationale, laissant la place à des États parfois mal intentionnés. La France doit pousser pour des partenariats à 27 afin d'élaborer une stratégie d'influence sur tous les continents. La France peut et doit être un moteur en la matière.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que la France ne relâchera pas ses efforts ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Nous voulons renforcer la capacité diplomatique de l'Union européenne. Pour cela, il faut d'abord mettre en cohérence les outils de la politique extérieure de l'Union européenne. Le Haut Représentant ne pilote pas l'aide au développement ni la politique commerciale. Cet éclatement des responsabilités au sein de la Commission européenne pose problème, alors même que l'Union européenne dispose d'outils puissants en matière d'aide au développement ou de politique commerciale.

La capacité des États membres de l'Union européenne à s'accorder dans les délais serrés que la diplomatie exige peut aussi poser problème. C'est pourquoi le Président de la République a rappelé, dans son discours de la Sorbonne, son souhait d'un processus décisionnel fondé sur la majorité qualifiée -  dont j'ai bien compris qu'elle ne faisait pas l'unanimité au Sénat.

Mme Florence Blatrix Contat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le commissaire Johannes Hahn préconise un budget de l'Union européenne bien plus important, alimenté par des ressources propres. En effet, les besoins d'investissement sont immenses : réindustrialisation, compétitivité, défense, mais aussi transition écologique -  qui ne doit pas peser sur les plus modestes.

Les inégalités de patrimoine se sont accrues. Le patrimoine des milliardaires a augmenté de 493 % en dix ans en France. Pourquoi ? Parce que la fiscalité des ultra-riches est très faible, sauf peut-être en Espagne. Taxer les très riches est indispensable et rapporterait, avec une taxation de 2 % sur le patrimoine, 42 milliards d'euros.

Pourquoi la France n'a-t-elle pas été plus offensive sur la question des ressources propres de l'Union européenne ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Elle l'a été, dans le cadre du G20 et de l'OCDE. Voyez notre victoire histoire sur l'impôt minimum sur les sociétés ! C'est forts de ce succès que nous voulons aboutir à une taxation minimale des très hautes fortunes.

Le Président de la République a évoqué à plusieurs reprises la nécessité de doubler la capacité d'investissement de l'Union européenne. Il a même dit à Dresde qu'il fallait doubler le budget de l'Union européenne.

On ne peut pas dire que l'on va réaliser la transition verte de nos industries, investir dans les industries stratégiques pour réduire nos dépendances, et développer notre industrie de la défense sans nous en donner les moyens. Nous ne sacrifierons pas la PAC et la politique de cohésion à ces nouveaux objectifs, qui viennent s'ajouter aux objectifs existants.

Il faudra donc des ressources nouvelles. Hier, au conseil des ministres franco-allemand, la nécessité de ressources propres a été évoquée.

Dans son deuxième discours de la Sorbonne, le Président de la République a évoqué la piste de la taxe sur les transactions financières.

M. Didier Marie.  - Qui a déjà été évoquée...

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Oui, et le chancelier Scholz s'était prononcé en sa faveur en 2020.

Le Président de la République a également évoqué les revenus des taxes sur les visas, le premier pilier de la taxation OCDE sur les multinationales, sans oublier la taxe carbone aux frontières.

Nous devons avancer sur ce sujet, l'un des plus sensibles des années qui viennent.

Mme Florence Blatrix Contat.  - Le premier pilier de la taxation OCDE est un beau projet, mais qui ira plutôt aux pays les plus pauvres subissant le réchauffement climatique. Il nous faut des ressources pour l'Europe.

Sinon, le grand plan de relance devra être remboursé avec des contributions nationales. La question des ressources propres est cruciale.

Mme Marta de Cidrac .  - Au 1er janvier 2026, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) entrera en vigueur. Le 1er octobre dernier, la phase à blanc a été lancée.

Les ambitions européennes de la France sur le MACF ne sont que partiellement satisfaites. C'est une victoire au plan écologique, mais on ne peut pas en dire autant sur le plan de la compétitivité. Notre espace économique apparaît comme très vulnérable à la triche et au contournement, sans parler de la distorsion de concurrence si nos partenaires commerciaux ne se dotent pas des mêmes règles environnementales. Il est important que ce règlement en demi-teinte n'en reste pas là. Que comptez-vous faire ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - La taxe carbone aux frontières est une idée française, déjà défendue lors de la présidence française de l'Union européenne en 2008. Cette idée avait été héritée de Jacques Chirac, reprise par Nicolas Sarkozy. C'est donc avec grande satisfaction que nous avons accueilli l'adoption de ce principe. Déjà entrée progressivement en vigueur depuis 2023, elle sera progressivement étendue, avant d'être pleinement appliquée en 2034.

J'entends vos préoccupations à l'égard des risques de contournement du dispositif, mais nous avons le temps de l'ajuster si nécessaire. Un premier pas important a été franchi. Il garantit aux industriels de notre continent que les règles auxquelles nous les astreignons ne les pénalisent pas.

Mme Marta de Cidrac.  - Soyons collectivement très vigilants pour éviter tout contournement ou toute tricherie préjudiciable à notre compétitivité.

M. Jean-Baptiste Blanc .  - Il y a vingt-quatre ans et deux mois, le Conseil européen de Lisbonne de mars 2000 fixait l'objectif de faire de l'économie européenne « l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici à 2010 », grâce notamment à la recherche et à l'innovation. Or la cible de 2010 a été abandonnée et le dernier quart de siècle a été marqué par une accentuation continue du leadership américain.

La société allemande BioNTech n'a bénéficié de son premier soutien européen qu'en 2019. La Silicon Valley a été le principal foyer de l'innovation mondiale, souvent soutenue par le Pentagone. Le leadership mondial d'Arianespace a été rapidement dépassé par des start-up innovantes comme SpaceX.

L'écosystème innovatif américain est beaucoup plus efficient et agile que l'écosystème européen, paralysé par une culture bureaucratique.

Comment créer enfin un écosystème européen bien plus favorable à l'innovation ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Vous posez la question essentielle de la capacité de l'Union européenne à innover.

Sachez qu'un contrat a été signé en marge de la visite d'État du Président de la République en Allemagne, entre un consortium rassemblant Airbus, un confrère japonais et un confrère américain et une start-up franco-allemande fondée en France qui va concevoir la première capsule capable d'approvisionner la station spatiale. C'est donc en franco-allemand que le spatial européen est en train de renaître.

L'un des instruments les plus remarquables de ces dernières années est Horizon Europe, un fonds de 100 milliards d'euros de soutien aux universités, à la recherche et à l'innovation. La Suisse tient particulièrement à Horizon Europe, dans la négociation de notre accord d'association.

L'objectif fixé par le Président de la République, dans son discours de la Sorbonne, est de consacrer 3 % du PIB européen à la recherche et développement.

M. Stéphane Sautarel .  - La voix de la France en Europe semble porter de moins en moins. Notre faiblesse intérieure, le manque d'ordre dans nos comptes comme dans nos rues, pour reprendre les propos d'un ancien Premier ministre, ne nous permet plus d'être entendus à l'échelle européenne comme nous le devrions.

Nos initiatives sur une dette européenne propre nous isolent encore davantage. La procédure de déficits excessifs qui devrait nous frapper après le 9 juin et la réaction de Bruxelles à la transmission de notre programme de stabilité sont inquiétantes.

La question de l'influence française au sein des futures instances se pose. Sommes-nous aujourd'hui mieux placés qu'il y a cinq ans pour faire valoir nos positions ? Comment faire pour défendre la PAC tout en conservant un budget soutenable ? Comment obtenir des postes à responsabilité au sein de l'Union européenne ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Je diverge sur le diagnostic : jamais la France n'a été aussi influente en Europe que ces cinq dernières années.

En effet, l'influence se cultive. Elle consiste d'abord en la diffusion de nos idées. La défense de l'agriculture et des agriculteurs est une priorité : cette idée simple est une idée française, mais pour qu'elle prospère, il faut la défendre.

Nous avons des idées très claires, que ce soit sur la PAC, la souveraineté industrielle, ou la réciprocité dans les échanges. Le discours de la Sorbonne les a détaillées et nous nous efforçons de les relayer dans les capitales des États membres, ainsi qu'au sein des institutions européennes. Nous avons d'ailleurs traduit le discours de la Sorbonne dans toutes les langues de l'Union européenne, pour le rendre accessible au plus grand nombre, grâce à l'intelligence artificielle.

Le deuxième axe de l'influence, ce sont les hommes et les femmes qui incarnent ces priorités. Notre présence dans les institutions européennes est convenable, mais nous devons la préserver. J'ai donc rencontré ces dernières semaines les directeurs généraux français de la Commission européenne, du Conseil et du service européen pour l'action extérieure (SEAE), ainsi que les Français membres des cabinets des commissaires. Nous accueillerons prochainement à Paris les Français de la Commission pour nous assurer que les idées françaises sont bien incarnées.

M. Stéphane Sautarel.  - Je ne doute pas des idées que vous défendez, mais de votre crédibilité.

M. Marc Laménie .  - Merci au groupe SER pour ce débat. Mon département des Ardennes est frontalier. La France fait partie des trois plus grands contributeurs de l'Union européenne, avec 23 milliards d'euros annuels. Ma question porte sur la complexité des dossiers, que ce soit pour les collectivités territoriales, les entreprises ou les associations.

Je me passionne pour les infrastructures ferroviaires. Dans mon département, depuis vingt ans, il manque 22 kilomètres entre Givet et Dinant, pour aller de Reims à Namur !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - La Commission européenne s'est engagée à baisser de 25 % les obligations déclaratives qu'elle impose. Nous serons très vigilants quant à la réalisation de cet objectif.

Les sujets transfrontaliers me passionnent aussi : c'est à la frontière que l'on vit et l'on ressent l'Europe au plus près.

La voie ferrée qui reliait Givet à Dinant ayant cessé d'être exploitée depuis 1990, il n'y a plus d'interconnexion entre les réseaux français et belges. La réouverture de la ligne est envisagée depuis 2004. Des études sont en cours pour en estimer le coût, y compris l'électrification. Restons en lien sur ce sujet, que j'ai découvert à l'occasion de ce débat.

M. Marc Laménie.  - On reste positif, on y croit ! Il faut soutenir le ferroviaire.

M. Michaël Weber, pour le groupe SER .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Si des ambitions pour l'Europe ont pu être annoncées, elles n'ont pas été atteintes.

Relance, planification, réarmement : autant de termes symboliques qui n'auront pas suffi à montrer la force d'un projet européen, créant tout au plus du ressentiment. Au contraire, l'Europe que vous construisez est celle du renoncement, voire de l'acceptation tacite de la détérioration démocratique et sociale de nos sociétés.

La démocratie ne survivra pas sans justice sociale.

Il faut défendre la valeur travail. L'égalité entre les femmes et les hommes doit être défendue par des sanctions financières. Nous devons limiter les écarts de salaires et instaurer un revenu minimal garanti. Notre ambition est celle de la solidarité à l'égard des ménages, des travailleurs, de ceux que la pauvreté exclut. Rappelons la pauvreté croissante, le dumping social et la différenciation accrue de l'accès à la santé.

L'écologie ne saurait reculer devant un lobby d'industriels de la Terre.

Ne nous cachons pas derrière la loi du marché. Déterminons les choix qui nous définiront comme des Européens.

Ne soyons pas dupes de ceux qui exploitent la cause écologique pour poursuivre leur consommation effrénée, créant nouvelles inégalités. L'agriculteur en souffrance est sommé de devenir énergéticien, le commerce bio devient un business model à destination des plus aisés.

Ne laissons pas l'écologie dans la main des marchands !

Nous défendons un socle humaniste et démocratique ferme, qui concrétise l'initiative citoyenne et jamais ne doutera face à l'accaparement privé du pouvoir par les groupes d'intérêt. La confiance en l'avenir nécessite une Europe juste.

La compétition fiscale est une aberration. La redistribution est cruciale, mais il faut une imposition européenne des hauts patrimoines.

Soutenons une Europe adulte, à même d'assurer sa sécurité. Rompons avec le libre-échange pour réindustrialiser nos nations. Dès lors, ne jouons pas avec les règles d'un jeu que nous refusons.

Comme pour l'agriculture, nous faisons le choix de la préférence européenne, verte et durable pour nos énergies.

Le Gouvernement est fort en paroles, mais faible dans ses ambitions. Passons des paroles aux actes, pour une Europe juste et prospère ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Prochaine séance demain, jeudi 30 mai 2024, à 10 h 30.

La séance est levée à 23 h 35.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 30 mai 2024

Séance publique

À 10 h 30 et à 14 h 30

Présidence : M. Dominique Théophile, Vice-président, M. Pierre Ouzoulias, Vice-président.

Secrétaire : Mme Marie-Pierre Richer.

1. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à protéger la population des risques liés aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (texte de la commission, n°620, 2023-2024)

2. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à mieux indemniser les dégâts sur les biens immobiliers causés par le retrait-gonflement de l'argile (n°513, 2022-2023)