Frais bancaires sur succession

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession.

Discussion générale

M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics .  - Ce texte, qui encadre les frais bancaires à la succession en cas de décès, est de justice et d'humanité.

D'humanité, tout d'abord : il ne faut pas ajouter la fragilité à la fragilité. De justice, ensuite : sans encadrement, la perte subie par les personnes concernées s'ajoute à des frais parfois excessifs.

Je salue le travail de la députée Christine Pires Beaune et du sénateur Hervé Maurey. Le Gouvernement et la majorité ont été à vos côtés pour le faire aboutir. Comme Olivia Grégoire l'a rappelé à l'Assemblée nationale, nous agissons contre les frais bancaires depuis 2017. En 2019, l'élargissement des critères de fragilité a concerné 700 000 Français de plus, pour 4,1 millions de personnes en tout.

Au-delà de la lutte inlassable que nous menons contre les fraudeurs...

Mme Nathalie Goulet.  - Bravo !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Ce texte est l'aboutissement de l'engagement de Bruno Le Maire, qui avait permis la réduction de certains frais bancaires dès 2021.

Le rapporteur a enrichi le texte pour garantir l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi. Sont définis trois cas de gratuité, qui permettront de couvrir entre 30 % et 40 % de la population : lorsque l'héritier justifie de sa qualité ; lorsque le total des sommes est inférieur à 5 000 euros ; lorsque le titulaire du compte était mineur à la date du décès. Il est insupportable en effet d'avoir à acquitter des frais bancaires lorsqu'on vient de perdre son enfant.

Cependant, il y a bien un coût pour les banques : gel des avoirs, déclarations à l'administration fiscale, ou encore du transfert des fonds aux héritiers selon les ordres du notaire. C'est pourquoi la gratuité est ciblée. La commission des finances du Sénat a ainsi prévu un barème pour le plafonnement des frais, déterminé par décret ; il ne pourra pas dépasser 1 % de l'ensemble des sommes concernées.

Les agents de l'ACPR et de la DGCCRF sont expressément habilités à contrôler le respect de ces nouvelles règles.

Le Gouvernement soutient ce texte complet, équilibré et transpartisan. Réduire et encadrer les frais bancaires liés au décès d'un être cher rassemble autour d'un objectif d'humanité face au deuil. Si ce texte n'efface ni la peine ni la tristesse de la perte d'un proche, au moins ne l'alourdit-il pas.

M. Hervé Maurey, rapporteur de la commission des finances .  - Les frais appliqués dans le cadre des opérations de succession se caractérisent par leur disparité, leur coût et leur manque de transparence. Ils sont compris entre 125 millions et 200 millions d'euros par an, soit 1 % de l'ensemble des frais bancaires prélevés en France.

Ils sont parfois significatifs pour les plus modestes et varient, selon l'UFC-Que Choisir, de 80 euros à 527,50 euros. Ils s'élèvent à 291 euros par an en moyenne, trois fois plus qu'en Belgique et en Italie, quatre fois plus qu'en Espagne. Le cas de parents qui ont dû débourser 138 euros pour clôturer le livret A de leur enfant de 8 ans décédé a choqué.

Dès novembre 2021, j'ai interpellé par question écrite Bruno Le Maire, lequel m'a assuré de la détermination du Gouvernement à dégager rapidement une solution. Ne voyant pas d'évolution, j'ai déposé un texte. Saisi à nouveau en septembre 2022, Bruno Le Maire répondait par un engagement à faire évoluer les pratiques à l'automne.

En janvier 2023, faute d'avancée, Vanina Paoli-Gagin et moi-même déposions deux amendements identiques à la proposition de loi visant à sécuriser les épargnants prévoyant une gratuité des frais de successions sous certaines conditions. En séance, pour justifier l'avis défavorable du Gouvernement, Jean-Noël Barrot promettait la conclusion d'un accord de place sous un mois. Selon les acteurs bancaires, un tel accord n'a jamais été envisagé, car il serait contraire au droit de la concurrence au titre de l'entente sur les prix. La position du Gouvernement me laisse donc, je dois l'avouer, perplexe.

Aussi, je me réjouis de la proposition de loi déposée par Christine Pires Beaune, laquelle s'est référée aux travaux du Sénat. Enfin, elle aura convaincu le Gouvernement.

Initialement, mon objectif était de voter conforme la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale. Elle prévoit trois cas de gratuité : les successions les plus simples, lorsque l'héritier justifie de sa qualité ; lorsque le montant est inférieur à 5 000 euros ; lorsque le détenteur des comptes était mineur à la date du décès.

Cependant, monsieur le ministre, à la suite de mes auditions avec vos services - je les remercie - il m'est apparu nécessaire d'encadrer le dispositif. Ainsi, la commission des finances a substitué au plafond de 5 000 euros un renvoi à l'arrêté du 7 mai 2015, qui fixe un montant revalorisé selon l'inflation -  5 909,95 euros en avril 2024.

S'agissant de la gratuité relative aux successions les plus simples, un critère d'absence de complexité manifeste, nouveau dans le code monétaire et financier, a été introduit, qui devra être détaillé par le décret d'application. Un amendement viendra le préciser.

Enfin, j'ai déposé un amendement tendant à inclure les établissements de paiement tels que Nickel et Revolut.

Afin d'assurer le contrôle des nouvelles règles, la commission a prévu l'habilitation expresse de l'ACPR et de la DGCCRF.

Nous avons aussi repris le plafonnement des frais à 1 % du total des comptes du défunt, voté par le Sénat en 2023, taux qui ne doit pas s'appliquer à l'ensemble des successions. Il sera complété par un second plafond en valeur, déterminé par le pouvoir réglementaire. Ce double plafonnement ne saurait conduire à des frais supérieurs aux frais actuels. Il faudra un barème dégressif, quelles que soient les pressions des établissements bancaires.

Pour une succession de 20 000 euros, le montant moyen des frais prélevés est de 291 euros. Le patrimoine financier liquide moyen est de 10 000 euros. Dans le cadre du dispositif proposé, 50 % de nos concitoyens acquitteraient un maximum de 100 euros de frais, et 80 % pas plus de 200 euros.

L'article 1er bis prévoit l'application du dispositif à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et à Wallis-et-Futuna.

L'article 2 a pour objet de remettre un rapport un an après la publication du décret d'application.

Je vous invite à voter cette proposition de loi, à l'unanimité, comme à l'Assemblée nationale. (MM. Marc Laménie et Olivier Paccaud applaudissent.)

M. Pascal Savoldelli .  - (M. Thierry Cozic applaudit.) Les lois s'accumulent, mais la domination des banques demeure. Leurs frais font des citoyens des sujets bancaires. À défaut d'une véritable loi-cadre, il faut encadrer la pratique.

Ainsi, cette proposition de loi est une énième pierre consolidant la relation client-banque, à l'initiative de la députée socialiste Christine Pires Beaune. L'encadrement des frais de succession est une vieille idée. Cet impôt sur la mort est inique, de surcroît sur des mineurs.

Bruno Le Maire a joué la montre ; il a amadoué le législateur en indiquant en réponse à une question écrite qu'il affirmait avec force agir pour qu'une solution soit « rapidement dégagée ». Jean-Noël Barrot a réitéré cet engagement lors de l'examen de la proposition de loi sur la protection des épargnants.

Mais la Fédération bancaire française (FBF) a confirmé qu'il n'y a jamais eu d'accord de place envisagé. Reste donc la loi pour répondre à une demande sociale forte, alors que les frais bancaires à la succession, 1 % du total des frais, suivent une courbe exponentielle, trois fois supérieure à l'inflation. Selon UFC-Que Choisir, ils s'établissent en moyenne à 291 euros, soit une hausse de 25 % en deux ans.

Nous aurions pu les interdire totalement, mais certains collègues de droite avancent le coût de gestion. Étonnant ! Certaines banques pratiquent déjà la gratuité, comme le Crédit Mutuel, sous 10 000 euros.

Les frais n'étant pas liés aux encours des comptes, le plafonnement à 1 % est artificiel.

La commission des finances a certes modifié le texte à la marge, mais nous n'étions pas convaincus que cela justifiât de renoncer au vote conforme.

Je renouvelle notre demande d'une loi-cadre, plutôt que des propositions de loi à la découpe. Les frais pour incidents de paiement rapportent 6,5 milliards d'euros aux banques chaque année, pour un bénéfice de 4,9 milliards d'euros, soit 75 % de marge ! C'est injuste et injustifié quand des agences ferment et qu'il y a de moins en moins de distributeurs.

Le marché bancaire n'est pas un marché comme les autres : chacun et chacune doit détenir un compte. Clients captifs, concurrence faussée, voilà la réalité sombre, presque anarchique, des comptes de dépôt.

Cette proposition de loi de nos collègues socialistes est un pas en avant. C'est pourquoi le groupe CRCE-K votera pour. (M. Patrick Kanner marque sa satisfaction.)

Nous vous proposerons d'aller plus loin, afin de redonner du pouvoir d'achat aux Français, et du pouvoir tout court face à la finance et aux banques. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du GEST)

M. Christian Bilhac .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Les frais appliqués par les banques à la suite des décès constituent une double peine pour les ayants droit endeuillés. En plus du blocage des comptes, ils subissent des frais bancaires qui ne font l'objet d'aucun encadrement.

Dès 2021, l'UFC-Que Choisir a dénoncé des pratiques abusives pénalisant davantage les petites successions. Contrôle des successions, déclarations à l'administration centrale, échanges avec le notaire, désolidarisation des comptes joints... Pour toutes ces démarches, les tarifs sont très disparates d'une banque à l'autre et leur caractère immoral est, à juste titre, dénoncé. Comment justifier qu'un virement, gratuit du vivant de l'intéressé, coûte 80 euros après son décès ? Les héritiers sont pieds et poings liés face à ces dispositions opaques.

Les frais sont deux à trois fois plus élevés en France que chez nos voisins. La flambée des tarifs atteint 28 % depuis 2012, trois fois plus que l'inflation. Le Gouvernement a demandé au secteur bancaire de s'autoréguler, sans résultat. Il est urgent d'agir.

Le texte que nous examinons a été adopté à l'unanimité à l'Assemblée nationale.

Le texte définit trois cas de figure justifiant la gratuité des frais de succession : montants inférieurs à 5 000 euros, notoriété d'héritier, mineurs. Le RDSE proposera d'étendre ce dernier dispositif aux enfants âgés de moins de 30 ans, dont la disparition est un drame pour leurs familles, souvent à l'occasion d'accidents ou de suicides. La douleur est la même, que l'enfant ait 17 ou 22 ans. Cela étant, le RDSE votera le texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Solanges Nadille .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce texte est le fruit d'une volonté transpartisane de remédier à une injustice financière. Je salue le travail et la pugnacité de la députée Christine Pires Beaune, dont le texte sera, je l'espère, également adopté à l'unanimité ici. Je salue également l'engament du rapporteur Hervé Maurey.

Les frais bancaires sur la succession sont un sujet complexe ; ils surviennent lors d'un deuil, un moment difficile pour chacun d'entre nous. Certains prélèvements manquent d'empathie et d'humanité. Je pense au cas particulièrement médiatisé de Léo, enfant originaire de Gironde, décédé d'un cancer en 2021, dont les parents se sont vu réclamer 138 euros de frais pour la clôture de son livret A.

Selon l'UFC-Que Choisir, les frais bancaires sur succession sont en moyenne de 303 euros en 2024, en hausse de 25 % depuis 2021.

Outre-mer, on constate les mêmes dérives que dans l'Hexagone. Dans une banque de Nouvelle-Calédonie, les frais sont de 191 euros pour l'ouverture d'un dossier de succession, auxquels s'ajoutent 115 euros par an et par compte. Or ces frais sont acquittés par les successibles, qui sont donc captifs. Certaines prestations non facturées du vivant du client deviennent onéreuses après son décès.

Si la clôture est gratuite au titre de l'article L. 312-1-7 du code monétaire et financier, d'autres opérations font l'objet de frais dès lors que la somme des encours est supérieure à 5 000 euros.

Il faut poursuivre le travail d'encadrement des frais bancaires des plus fragiles. Le Gouvernement s'est déjà engagé dans ce domaine, via le décret de 2019 qui a étendu le plafonnement au titre du public fragile à plus de 4 millions de Français, rendu plus protecteur par un arrêté de Bruno Le Maire de 2020. En 2022, la loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat a prévu des dispositions pour les victimes de fraudes. La même année, Bruno Le Maire s'était engagé en faveur d'un bouclier tarifaire des frais bancaires -  engagement tenu.

Concernant les frais de clôture des comptes bancaires de défunts, de premiers engagements ont été pris par certaines banques pour les réduire. Cela deviendra la règle grâce à ce texte.

La proposition de loi encadre les frais, sans les supprimer. La rémunération des services rendus n'est pas un gros mot, mais il faut réglementer les pratiques abusives.

Prélever des frais sur les comptes d'un enfant décédé est inacceptable. La gratuité prévue par le texte est à ce titre bienvenue. La facturation des frais bancaires ne sera donc effective et justifiée que pour des opérations complexes et sera assortie d'un plafonnement.

Ce texte est digne et nécessaire. Le RDPI le soutiendra donc, bien qu'il préférerait préserver l'équilibre du texte adopté à l'unanimité à l'Assemblée nationale.

Monsieur le ministre, les parlementaires de l'ensemble des groupes devront être associés à la rédaction de son décret d'application. (M. Thomas Cazenave hoche la tête.) Les parlementaires ont répondu présents : nous comptons sur vous ! (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe SER et du GEST)

M. Rémi Féraud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La question des frais bancaires anime le groupe SER depuis plusieurs années. En mai 2020, nous avions proposé un dispositif visant à renforcer leur plafonnement. Au vu de l'explosion de la pauvreté, nous en avions souligné la nécessité.

Il y a un an, le Sénat votait la proposition de loi Accessibilité et inclusion bancaires que je présentais avec Jean-Claude Tissot.

Le texte de notre collègue socialiste Christine Pires Beaune cible les frais bancaires en cas de décès et de succession. Cette question n'est pas nouvelle, ce que montre l'étude de 2021 de l'UFC-Que Choisir et la proposition de loi d'Hervé Maurey déposée en janvier 2022, jamais examinée en séance. Cette question revient souvent dans l'actualité, des injustices émouvant régulièrement l'opinion.

Bruno Le Maire s'est engagé il y a trois ans à porter rapidement une solution. Quand Bruno Le Maire demande quelque chose, ce n'est pas toujours suivi d'effet (M. Patrick Kanner apprécie), mais lorsqu'il se le demande à lui-même, on aurait pu espérer que ce soit le cas ! (Sourires)

Nous nous réjouissons de l'examen de ce texte voté unanimement par l'Assemblée nationale. Le dispositif transmis au Sénat interdit l'application de frais bancaires dans les cas précisés précédemment.

Je rejoins Christine Pires Beaune, qui souhaite voir les parlementaires associés à la rédaction du décret d'application afin de veiller au respect de l'esprit de la proposition de loi. Les frais bancaires ne s'appliqueront donc qu'en cas de succession complexe.

Les établissements bancaires sont souvent accusés de pratiques antisociales. Nous devons donc légiférer plus largement sur la question des frais bancaires.

L'établissement d'un rapport, un an après la promulgation de la loi, sera bienvenu pour en mesurer l'impact.

Le groupe SER s'attendait à une adoption conforme par le Sénat. Ce n'est pas le choix du rapporteur et de la majorité sénatoriale, qui ont modifié le dispositif en commission. Cela nous a surpris, au vu de l'adoption unanime du texte à l'Assemblée nationale.

Les modifications principales concernent deux points : la suppression de la mention du montant de 5 000 euros au profit d'un seuil fixé par décret et l'instauration d'un plafond de 1 % du montant total des soldes des comptes. Mais est-il opportun de faire disparaître le montant de 5 000 euros, au vu de la lenteur du Gouvernement à faire paraître certains décrets ? Paradoxalement, on supprime la référence dans la loi au montant en deçà duquel s'applique la gratuité, tout en faisant le contraire pour le plafonnement en cas de non-gratuité. La logique nous échappe.

Malgré ces réserves, notre groupe votera la proposition de loi, qui comprend une mesure essentielle de gratuité des frais bancaires sur succession. Nous avions en outre voté pour le plafonnement des frais à 1 % proposé par Hervé Maurey l'an dernier. Enfin, la poursuite de la discussion parlementaire nous éclairera sur la position précise du Gouvernement et aboutira, nous l'espérons, à la meilleure rédaction possible.

Je souhaite moi aussi un vote unanime de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Christian Bilhac applaudit également.)

M. Marc Laménie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Nathalie Goulet et Évelyne Perrot applaudissent également.) Ce texte visant à réduire et encadrer les frais bancaires sur succession est très attendu. Je remercie le rapporteur pour son travail et ses auditions, notamment de la direction générale du Trésor, la Banque de France, la Fédération bancaire française (FBF) ou l'UFC-Que Choisir.

Comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, il s'agit d'un texte de justice et d'humanité. Alors que tout est financier, le volet humain est malheureusement trop souvent mis de côté. Les chiffres qui ont été rappelés nous interpellent. Le décès d'un enfant de 8 ans en 2021 a suscité beaucoup d'émotion.

L'article premier modifie le code monétaire et financier et définit trois cas de gratuité des frais de succession, à la suite de nombreuses initiatives parlementaires.

Les frais bancaires à la succession sont évalués au total à un montant annuel de 125 millions d'euros, soit 1 % du montant total des frais bancaires en France -  jusqu'à 527,50 euros dans certains cas, avec des différences importantes d'une banque à l'autre. Ils s'établissent en moyenne à 291 euros, en important décalage par rapport à certains pays voisins.

Ce texte est donc très attendu et va dans le sens de la justice et de l'humain. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et UC)

M. Emmanuel Capus .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Benjamin Franklin disait : « en ce monde, rien n'est certain à part la mort et les impôts ». (Sourires) C'est un invariant de nos sociétés, peut-être même une constante anthropologique.

Au pays de Descartes, nous combinons ces deux certitudes : on paie un impôt sur la mort. Je ne parle pas des droits de succession, mais des frais bancaires sur succession. C'est l'UFC-Que Choisir qui a lancé l'alerte quelques jours avant la Toussaint 2021, une date choisie. Ces frais atteignent 200 millions d'euros par an, soit 300 euros par défunt. C'est beaucoup, et même beaucoup trop en comparaison avec nos voisins européens : en Espagne, ils sont quatre fois moins importants ; en Allemagne, ils sont purement et simplement interdits.

Les banques doivent certes procéder à certaines opérations coûteuses. Mais pourquoi le seraient-elles plus en France qu'ailleurs ? Par ailleurs, si certains frais comme les agios ont une visée comportementale, on voit mal ce qui est attendu d'un client décédé...

La question de l'interdiction pure et simple de ces frais se pose donc, mais cela reviendrait à reporter les coûts sur d'autres clients. Il est donc plus juste de les encadrer de façon raisonnable, pour ne pas matraquer les petits patrimoines : 300 euros de frais bancaires pour moins de 5 000 euros d'encours, c'est une forme de taxe sur le deuil.

Le Sénat avait adopté la proposition de loi tendant à renforcer la protection des épargnants, présentée par Jean-François Husson et Albéric de Montgolfier, mais elle n'avait pas prospéré. Par la suite, deux amendements identiques, de Vanina Paoli-Gagin et Hervé Maurey, allaient dans le sens du présent texte. C'est dire si nous étions prêts à légiférer sur cette question ! Je salue donc la détermination du Gouvernement qui, après avoir temporisé, a inscrit ce texte dans une semaine qui lui est réservée.

En janvier 2023, le ministre au banc avait indiqué vouloir éviter une solution législative au profit d'une solution directement trouvée par les banques. Celle-ci n'est pas venue. Notre groupe se réjouit de voir la loi évoluer bientôt en ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; MM. Christian Bilhac et Marc Laménie applaudissent également.)

Mme Nathalie Goulet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le législateur, les morts et les héritiers : voilà un chapitre supplémentaire alors qu'à ce stade de la discussion, tout a déjà été dit : notre groupe votera ce texte avec enthousiasme.

Nul besoin de revenir sur les détails, sauf à saluer le travail d'Hervé Maurey.

Je souhaiterais évoquer un problème connexe : nous avons eu des difficultés à obtenir un fichier sur les comptes en déshérence, sur les assurances vie - Hervé Maurey a d'ailleurs contribué à faire évoluer la législation.

Mais reste le problème des contrats d'obsèques conclus avec des maisons funéraires. Alors que les héritiers n'ont pas toujours la connaissance de ce contrat, certains établissements réclament un deuxième paiement des frais. Dès lors, pourquoi ne pas envisager un fichier ou prévoir un dispositif portant connaissance de l'existence du contrat, pour éviter cette double peine ?

Je viens de vivre ce cas de figure : si les documents ne sont pas connus, la famille n'est pas informée du contrat, et des personnes, oublieuses ou mal intentionnées, en profitent.

Ce sujet relève de la protection des consommateurs, à l'instar de cette proposition de loi. Le deuil ne doit pas être entaché de pénalités et les familles ne doivent pas subir de double peine.

C'est un très bon texte, dont je remercie les auteurs et le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Christian Bilhac applaudit également.)

Mme Ghislaine Senée .  - Notre groupe salue cette proposition de loi de Christine Pires Beaune, qui encadre enfin les frais bancaires sur successions.

En 2021, l'UFC-Que Choisir a lancé une étude sur ce thème : pour une succession de 20 000 euros, les frais bancaires s'échelonnent entre 80 et 527 euros, en croissance de 50 % depuis 2012, et 25 % depuis 2021, bien plus que l'inflation. Ces tarifs opaques sont décorrélés des coûts réels.

Il aura fallu une proposition de loi de nos collègues députés socialistes pour que le Gouvernement sorte enfin du déni. (M. Thomas Cazenave le réfute.)

Pour l'heure, les frais sont librement déterminés par les établissements bancaires.

Cette proposition de loi sera une première pierre dans la régulation des frais bancaires sur succession, et, plus généralement, sur l'ensemble des frais bancaires. Avec 20 à 25 milliards d'euros de frais bancaires, dont 125 à 200 millions pour les successions, le secteur bancaire est encore trop dérégulé. Ces frais disproportionnés enrichissent une minorité aux dépens des plus précaires - 18 % de la population.

Notre groupe était plus favorable à la version de l'Assemblée nationale. Le seuil de 1 % risquant de conduire les banques à augmenter certains tarifs, nous voterons l'amendement de Rémi Féraud.

Malgré ces réserves, nous voterons la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Laurent Somon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce sujet est un serpent de mer, que le Sénat aborde depuis des années. Le Gouvernement promet d'agir, mais il ne se passe rien.

Alors que Bruno Le Maire a promis plusieurs fois des solutions rapides et que, en janvier 2023, le Gouvernement promettait un accord de place sous un mois, rien n'a émergé. Cette proposition de loi, qui s'inspire d'une proposition de loi d'Hervé Maurey - dont je salue l'opiniâtreté - est bienvenue.

Elle a été adoptée à l'unanimité par les députés et a été utilement complétée par la commission.

Les frais ne pourront excéder 1 % du montant total des sommes figurant sur le compte du défunt. Ainsi, la gratuité de la clôture du compte est prévue par l'article L. 312-1-7 du code monétaire et financier, au sein de la section « Droit au compte et relations avec le client ». Or l'héritier n'est pas le client de la banque. Devant l'Assemblée nationale, Olivia Grégoire a indiqué que cet encadrement tarifaire concernait les opérations précédant la clôture, la gratuité de cette dernière étant garantie. Il y a donc une légère différence d'interprétation entre le Gouvernement et le rapporteur : pouvez-vous m'éclairer, monsieur le ministre ?

Le point d'équilibre trouvé par ce texte est bienvenu. Prélever des centaines d'euros sur 1 000 ou 2 000 euros de succession d'un enfant décédé est déplacé. Certes, les successions entraînent des opérations, mais les établissements bancaires peuvent accompagner gratuitement les cas les plus simples, les héritiers les plus modestes ou les parents d'un enfant décédé. Dans les cas complexes, avec des démarches lourdes durant parfois plusieurs mois, les coûts justifient certains frais.

Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Discussion des articles

Article 1er

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Maurey, au nom de la commission.

I. - Alinéas 3 et 7

Après les mots :

desdits comptes et

insérer les mots :

auprès duquel sont ouverts lesdits

II. - Alinéa 8

Après les mots :

alinéa et

insérer les mots :

dans la limite

M. Hervé Maurey, rapporteur.  - Amendement rédactionnel.

Monsieur Féraud, vous avez commis une erreur de fond : le texte de la commission ne supprime pas le plafond de 5 000 euros, mais renvoie au montant fixé par l'arrêté du 7 mai 2015, réévalué chaque année et qui s'élève à 5 909,95 euros.

Moi aussi, je souhaitais voter un texte conforme, mais certains points méritaient d'être sécurisés. Une fois n'est pas coutume, j'ai été rassuré par le Gouvernement, dont les engagements n'aboutiront pas à un enterrement de première classe du texte...

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Féraud et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 8

Supprimer les mots : 

, dans la limite de 1 % du montant total des soldes des comptes et de la valorisation des produits d'épargne du défunt mentionnés au premier alinéa et d'un montant fixé par le même décret

M. Rémi Féraud.  - Merci au rapporteur pour ces précisions. Certes, l'arrêté existe déjà, mais le montant ne figurera plus dans la loi. Nous avons déposé un amendement sur le taux de 1 % du montant total. Dans certains cas particuliers, notamment à la suite de la vente d'un bien immobilier, un tel taux peut générer des frais importants.

Pourquoi le rapporteur a-t-il retenu ce taux de 1 % ?

M. Hervé Maurey, rapporteur.  - Avis défavorable, car contraire à la position de la commission. C'est notre seul point de divergence avec Mme Pires Beaune -  avec laquelle nous avons travaillé en parfaite collaboration.

Pourquoi 1 % ? Ce n'est pas un plafond qui s'imposera aux banques ; il vise davantage à aider le Gouvernement, lorsqu'il établira le barème, à ne pas céder aux pressions de certains acteurs. Je suis certain que le ministre nous en sera reconnaissant. (Sourires) Et outre, nous ajoutons un plafond en valeur absolue, fixé par décret.

Vous citez le cas d'une personne ayant vendu sa maison, avec 200 000 euros sur son compte. Les frais ne seront pas de 2 000 euros, grâce au plafonnement. Dès lors, nulle inquiétude : le plafond fixé par décret est sécurisant pour les héritiers.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Avis favorable à l'amendement n°5.

Monsieur Somon, cette proposition de loi clarifie bien le champ juridique concerné : il s'agit des héritiers.

Monsieur Féraud, le texte prévoit un décret encadrant les tarifs au-delà de 5 000 euros d'avoirs. Laissons de la souplesse au pouvoir réglementaire et n'encombrons pas la loi. Toutefois, je note les échanges constructifs entre le Sénat et l'Assemblée nationale : d'où mon avis de sagesse à l'amendement n°1.

L'amendement n°5 est adopté.

L'amendement n°1 n'a plus d'objet.

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par M. Maurey, au nom de la commission.

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par les mots :

tenant à l'absence d'héritiers mentionnés au 1° de l'article 734 du code civil, au nombre des comptes et produits d'épargne à clôturer, à la constitution de sûretés sur lesdits comptes et produits ou à l'existence d'éléments d'extranéité, et empêchant la réalisation de ces opérations dans un délai raisonnable

M. Hervé Maurey, rapporteur.  - La notion de complexité manifeste prête à interprétation et ne figure pas dans le code monétaire et financier. D'où notre proposition : elle n'interviendrait qu'en cas d'absence d'héritier direct, lorsque le nombre de comptes est trop important, en cas de constitution de sûretés, ou en cas d'éléments extérieurs, et si cela empêche les opérations de se dérouler dans un délai raisonnable.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Avis défavorable. Le législateur a prévu qu'un décret précise ces conditions. Nous allons construire une liste précise avec les banques, alors qu'une liste établie dans la loi risquerait de manquer sa cible.

M. Hervé Maurey, rapporteur.  - Une fois encore, c'est pour vous aider ! Vous ne me remerciez pas assez, monsieur le ministre ! (Sourires) Vous serez ainsi protégé de l'influence de professionnels qui ont une vision extensive des opérations complexes.

Nous n'aurons pas de vote conforme ce soir. La deuxième lecture et la CMP seront l'occasion d'affiner les critères.

Si, au cours de la navette, certains critères ne paraissent pas pertinents, nous ajusterons. Mais précisons déjà les choses !

M. Rémi Féraud.  - Merci pour votre amendement, monsieur le rapporteur, car la notion de complexité est beaucoup trop large.

L'amendement n°6 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°3 rectifié, présenté par M. Bilhac, Mme M. Carrère, M. Daubet, Mme N. Delattre, MM. Gold, Grosvalet et Guiol, Mme Jouve, MM. Laouedj et Masset, Mme Pantel et MM. Cabanel et Fialaire.

Alinéa 6

Remplacer le mot : 

mineur 

par les mots : 

âgé de moins de trente ans

M. Christian Bilhac.  - La gratuité des frais bancaires pour les comptes des enfants décédés est une bonne chose. Maire pendant plus de quarante ans, j'ai côtoyé des parents qui avaient perdu des enfants : je peux vous assurer que la douleur est identique, quel que soit l'âge de l'enfant.

Je propose donc la gratuité jusqu'à 30 ans - cela ruinera le secteur bancaire...

M. Hervé Maurey, rapporteur.  - Retrait, sinon avis défavorable. Le dispositif est déjà suffisamment large. Quitte à élargir, pourquoi ne pas généraliser alors ?

M. Christian Bilhac.  - Pourquoi pas 30 ans ?

M. Hervé Maurey, rapporteur.  - À 30 ans, on n'est plus un enfant...

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Même avis, même si je comprends l'intention de M. Bilhac. Nous sommes parvenus à un équilibre, notamment pour traiter les cas les plus douloureux. Je rejoins le rapporteur : si nous sortons de ce cadre, où fixer la limite ?

Retrait, sinon avis défavorable.

M. Christian Bilhac.  - Je maintiens mon amendement. La minorité a été retenue sur la proposition du secteur bancaire, car les mineurs ont moins d'argent sur leurs comptes bancaires que les jeunes majeurs...

L'amendement n°3 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°7, présenté par M. Maurey, au nom de la commission.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

II. - Le I entre en vigueur trois mois après la promulgation de la présente loi.

M. Hervé Maurey, rapporteur.  - Sécurisons la date d'entrée en vigueur du dispositif, au plus tard trois mois après la publication de la loi.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Avis favorable.

L'amendement n°7 est adopté.

L'article 1er, modifié, est adopté.

Après l'article 1er

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par Mme Florennes.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article L. 312-1-4-1 du code monétaire et financier, il est inséré un article L. 312-1-4-... ainsi rédigé :

« Art. L. 312-1-4-.... - Dans le cas d'une succession comportant plusieurs héritiers, en cas de désaccord entre eux, il revient à l'établissement de crédit teneur des comptes mentionnés au premier alinéa de l'article L. 312-1-4-1 de répartir les fonds sans perception d'aucuns frais. »

Mme Isabelle Florennes.  - C'est un amendement de cohérence, car deux choix sont possibles aujourd'hui en cas d'héritiers multiples.

Certains établissements versent les fonds à un seul héritier ; charge à lui de les répartir. En cas de mésentente, la répartition des fonds est renvoyée à un notaire.

Autre possibilité : des banques répartissent elles-mêmes les fonds.

L'amendement vise à éviter tout renvoi vers un notaire.

M. Hervé Maurey, rapporteur.  - Cet amendement pose des difficultés et pourrait déboucher sur des contentieux. J'en demande donc le retrait, sous réserve de l'avis du ministre.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Je comprends la question, mais cela revient à demander à une banque de faire le travail du notaire. Cela fragiliserait le texte. Retrait, sinon avis défavorable.

Mme Isabelle Florennes.  - La rédaction de l'amendement ne vous semble pas opportune, je l'entends. Mais deux établissements bancaires peuvent fonctionner de façon différente, comme je l'ai expliqué. Ce sujet mérite d'être travaillé.

L'amendement n°4 est retiré.

L'article 1er bis est adopté.

Après l'article 1er bis

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par Mme N. Goulet.

Après l'article 1er bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les dispositions de la présente loi s'appliquent aux successions en cours non encore clôturées.

Mme Nathalie Goulet.  - Je propose que ce dispositif soit applicable aux successions ouvertes et non encore liquidées.

M. Hervé Maurey, rapporteur.  - Il n'est pas opportun de changer les tarifs dans une succession en cours, avec des risques de demandes de remboursement. Retrait ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Quand on touche au droit des contrats, le juge constitutionnel vérifie qu'il n'existe pas d'atteinte disproportionnée. Retrait, sinon avis défavorable, afin de ne pas fragiliser le dispositif.

Mme Nathalie Goulet.  - Certaines successions sont particulièrement longues et on aurait pu imaginer les faire bénéficier de ce dispositif. Je retire néanmoins mon amendement.

L'amendement n°2 est retiré.

L'article 2 est adopté.

La proposition de loi, modifiée, est adoptée.

La séance est suspendue quelques instants.