Abrogation de la réforme des retraites
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi d'abrogation de la réforme des retraites portant l'âge légal de départ à 64 ans, présentée par Mme Monique Lubin, M. Patrick Kanner, Mme Annie Le Houerou et plusieurs de leurs collègues à la demande du groupe SER.
Discussion générale
Mme Monique Lubin, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.) Un an après l'adoption du projet de loi allongeant la durée du travail, les retraites reviennent en débat dans cet hémicycle où les majorités présidentielle et sénatoriale ont repoussé l'âge de départ à la retraite, avant un passage au forceps à l'Assemblée par le 49.3.
Ainsi, la volonté des Français a été ignorée, alors que des millions d'entre eux l'ont exprimée. À rebours de ses engagements de campagne, le Président a obtenu un report qui pèsera sur « ceux qui ne sont rien », selon son expression. Mais tout ça pour ça ! Pour quel gain ? Nous n'avons cessé de rappeler que pour 300 milliards d'euros de pensions versées par an, un déficit de 12 milliards était gérable.
Depuis 2017, les retraités subissent la baisse de leur pouvoir d'achat. Contrairement aux assertions alarmistes du Gouvernement, les comptes des retraites étaient équilibrés en 2023. Mais les Cassandre des retraites, plutôt que de part de PIB, évoquent le solde pour inquiéter les Français, tant ce dernier peut varier soudainement - ce que montre le dernier débat du Conseil d'orientation des retraites (COR).
La fin des exonérations de cotisations sociales aurait d'ailleurs pu combler ce déficit.
L'équilibre devrait revenir en 2030, mais au-delà, les effets de la réforme se dissiperont. La question des recettes demeure irrésolue, et la réforme accroîtra, à terme, les dépenses.
Par manque de recettes, le déficit public pour 2023 s'établit à 5,5 % du PIB. Responsable de la dérive du budget de l'État, le Gouvernement ne change pas sa politique. Pourtant, le choix de s'attaquer aux recettes de l'État en baissant les impôts des entreprises et des plus riches a fait la démonstration de son inanité. Le Gouvernement préfère inspecter les caisses des assurances sociales et tirer profit de ses petites machineries réglementaires et législatives pour soustraire aux partenaires sociaux la gestion de la protection sociale. La tentative de ponctionner 1 milliard d'euros de l'Agirc-Arrco a échoué, et le Gouvernement veut prélever 12 milliards d'euros sur l'Unédic sur la période 2023-2026 - cela coûtera 1 milliard d'euros à l'association, contrainte de s'endetter.
Sans politique de sauvegarde de protection des actifs, le Gouvernement veut surtout corriger le résultat budgétaire de ses choix politiques. Il met en péril le modèle de l'assurance chômage pour renflouer d'autres caisses qu'il a mal gérées. L'Agirc-Arrco, rigoureusement gérée par les partenaires sociaux, se porte bien.
Ce n'est pas pour sauver le système des retraites que le Gouvernement a imposé sa réforme paramétrique, qui n'offre pas de solution de long terme.
Celle-ci a déjà un coût social important. À moyen et long terme, on crée des actifs vulnérables, des seniors sans emploi ni retraite. En 2021, 16,7 % des personnes âgées de 62 ans sont dans cette situation, dépendant du RSA, d'une pension d'invalidité ou du revenu du conjoint.
Selon les travaux de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) et de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) présentés fin janvier 2023 au COR, 300 000 personnes supplémentaires seront maintenues dans le sas de précarité entre emploi et retraite, soit 100 000 allocataires supplémentaires des minima sociaux, 120 000 pour les pensions d'invalidité, et 80 000 chômeurs indemnisés et personnes sans emploi mais n'ayant droit à aucune prestation spécifique. Le Gouvernement en avait connaissance, puisqu'il évaluait le coût budgétaire de son texte dans son étude d'impact. Le décalage de la retraite à 64 ans devait générer une économie de pensions de 15 milliards d'euros mais aussi une hausse de 5 milliards de prestations sociales. Loin de corriger le tir, le Gouvernement a supprimé l'allocation de solidarité spécifique (ASS), forçant les seniors à solliciter le RSA à des départements déjà débordés.
Tous les travaux menés depuis 2017 le montrent : aucun projet de réforme des retraites visant à faire travailler les gens plus longtemps ne peut ignorer l'emploi des seniors et la pénibilité.
Pour finir, on songe à raboter les droits au chômage des seniors. Le Gouvernement risque de jeter des centaines de milliers de personnes dans la précarité et de grever les budgets des collectivités. Cela ne trompe personne : nos arguments d'il y a un an demeurent valables.
Ces effets délétères sur les seniors affecteront particulièrement les femmes.
Le solde du système de retraites tient compte de régimes spéciaux comme celui des fonctionnaires de l'État, à l'équilibre. Ceux-ci ne l'alourdissent donc pas : ce solde est une notion largement conventionnelle, dans ces conditions.
Pour refinancer le système de retraites, l'économiste Michaël Zemmour démontrait qu'il faudrait augmenter les cotisations de 0,8 point, soit 14 euros par mois pour un salarié au Smic.
Certains s'étonnent de notre proposition de loi, mais il s'agit de marquer un an d'actualité et de dire que nous n'en avons pas fini avec la protection de notre système de retraites, alors que nous voyons poindre une nouvelle prolongation de la durée de travail, à laquelle nous sommes totalement opposés.
Mes chers collègues, vous qui doutez, oui, tout cela est très sérieux. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; M. Ian Brossat et Mme Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)
Mme Marion Canalès, rapporteure de la commission des affaires sociales . - Voici le contexte dans lequel nous abordons ce texte : l'échec, cette nuit, des négociations pour un « nouveau pacte de la vie au travail » et le report de la réunion entérinant l'avenant senior de la convention Unédic, prévue initialement ce matin.
Il y a un an, plusieurs d'entre nous craignaient pour l'emploi des seniors ; le doute persiste. Voilà un an que l'âge de départ a été relevé à 64 ans, que le taux plein a été porté à 43 annuités, que la fermeture des régimes spéciaux a été actée - avec publication rapide des décrets d'application. Les décrets d'octroi de trimestres supplémentaires aux sapeurs-pompiers volontaires, eux, ne sont toujours pas publiés. Nous sommes nombreux à dénoncer cet empressement à géométrie variable...
Cette réforme a été largement contestée, sur le fond comme sur la forme : débat réduit à 50 jours, corseté par les articles 44.3 et 49.3 de la Constitution et le vote contraint... Pourtant, le COR démontrait que le système resterait déficitaire de 2030 à 2070, la réforme aggravant même la situation à cet horizon. Le Gouvernement ne peut pas dire qu'il n'était pas averti ! Les rapporteurs Élisabeth Doineau et René-Paul Savary rappelaient les hypothèses irréalistes de taux de chômage, et d'un déficit sous-estimé de 6 milliards d'euros en 2030.
Les projections du Gouvernement reposaient sur l'hypothèse d'une sous-indexation continue des pensions par l'Agirc-Arrco jusqu'en 2033, préemptant les décisions des partenaires sociaux. Or ceux-ci ont rendu le cumul emploi-retraite créateur de droits, supprimé le bonus-malus créé en 2019 et revalorisé les pensions au niveau de l'inflation. Dès lors, le régime devrait être déficitaire dès 2025 et le rester à l'horizon de 2037.
Le système de retraite ne sera donc pas à l'équilibre en 2030, contrairement à ce qu'affirmait le Gouvernement lors de l'examen du texte. Un an après, la réforme n'est pas aussi efficace que ce qui était affirmé. Pendant ce temps, elle touche la vie quotidienne des Français : en 2070, l'âge moyen de départ à la retraite sera relevé de six mois pour atteindre 64,6 ans, un niveau jamais atteint depuis la génération née avant 1910, quand l'espérance de vie en bonne santé est de 63 ans...
Ne nions pas la réalité. Un tiers des assurés sociaux ne sont pas en emploi dans l'année précédant la retraite. Ils resteront donc dans cette situation plus longtemps, d'où une hausse mécanique des dépenses sociales, accentuée par ceux qui y entreront. Le surcoût induit atteindrait 3 milliards d'euros. Voici la contre-productivité sociale de cette réforme : pour chaque euro économisé pour les retraites, 25 centimes seront dépensés au titre de prestations sociales.
Suppression de l'ASS, allongement du délai de carence, réforme de l'assurance chômage : tout cela vise à amoindrir le coût financier de la réforme des retraites, sans en limiter le coût social.
Les premières perdantes de la réforme sont les femmes, comme l'avait dit Monique Lubin. En effet, leurs trimestres de cotisation au titre de la naissance des enfants leur permettent d'atteindre le taux plein avant les hommes, avec un âge moyen de départ à la retraite légèrement inférieur. Or ces majorations seront écrasées par ces deux années de plus. Pour la génération 1972, les hommes partiront cinq mois plus tard à la retraite, et les femmes neuf mois, alors qu'elles sont moins payées, et plus victimes d'accidents du travail. En vingt ans, le nombre d'accidents du travail a baissé de 27 % pour les hommes, quand il a augmenté de 46 % pour les femmes.
À en croire le Gouvernement, cette réforme était sociale. La revalorisation de 100 euros des minima de pension devait garantir 1 200 euros de retraite. Mais leur montant n'a augmenté que de 30 euros en moyenne, et seulement 20 000 personnes sur les 500 000 bénéficiaires ont perçu l'intégralité des 100 euros.
Le bilan budgétaire de la réforme est trop maigre au vu de son bilan social. Je suis personnellement favorable à cette proposition de loi, même si la commission des affaires sociales ne l'a pas adoptée.
Le COR rappelait que les dépenses de retraites représentaient 13,8 % du PIB en 2021 ; ce sera 13,7 % en 2070. Comment un pays ruiné au lendemain d'une guerre mondiale a-t-il pu construire ce système, que le Gouvernement, désormais à la tête d'un pays qui n'a jamais été aussi riche, se propose de ruiner ?
M. Patrick Kanner. - Très bien !
Mme Marion Canalès, rapporteure. - Les solutions sont du côté des recettes, à commencer par le relèvement d'un point des cotisations patronales, prôné par François Bayrou - 8 milliards d'euros de recettes. N'oublions pas les 60 milliards d'euros de recettes perdues chaque année, les 60 milliards que coûte l'absence de simplification soulignée par Olivier Rietmann et relevée par Gabriel Attal.
Faisons preuve de pragmatisme, non d'idéologie. Il faut chercher l'argent où il est, alors que le Gouvernement renonce à 3 milliards d'euros en supprimant l'ISF, et refuse de s'interroger sur les superprofits.
Mais le nerf de la guerre, c'est l'emploi des seniors : un taux d'emploi des 60-64 ans de 82 %, comme aux Pays-Bas, rapporterait 140 milliards d'euros de recettes supplémentaires.
Ce n'est pas en réduisant l'indemnisation chômage des seniors, comme l'envisage Bruno Le Maire, que le problème sera réglé.
« Tant qu'on n'a pas réglé le problème du chômage, ce serait assez hypocrite de décaler l'âge légal de départ à la retraite », déclarait Emmanuel Macron ; il avait raison. Je vous invite, en mon nom propre, à voter pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et du GEST)
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) À nouveau, nous débattons de la réforme des retraites, un an après sa promulgation. Cette réforme a fait l'objet de quatre mois de concertation, 175 heures de débat au Parlement. À nouveau, le Gouvernement la défendra.
Le précieux temps parlementaire, aujourd'hui, est réservé à un coup de communication.
M. Mickaël Vallet. - Cela nous regarde ! C'est à nous d'en juger !
M. Patrick Kanner. - C'est inadmissible !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Sans surprise, le Gouvernement s'y opposera. Vous entendez abroger une réforme déjà entrée en vigueur, aggravant de 14 milliards d'euros notre déficit en 2030, supprimant la revalorisation de 185 000 pensions chaque année. Pis, 550 000 petites pensions ont reçu une revalorisation moyenne de 50 euros par mois depuis septembre : reprendrez-vous les sommes reçues ? Et le milliard d'euros consacré à la prévention sur le quinquennat, qu'en faites-vous ? (Mme Corinne Féret proteste.)
Finalement, un accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat avait été trouvé. Le noeud, c'est l'allongement de la durée d'activité à 64 ans et l'accélération de la loi Touraine. N'évitons pas le débat.
Mme Émilienne Poumirol. - Il n'y a pas eu de débat ! Tous ces artifices...
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Il s'agit de faire travailler plus longtemps les Français qui le peuvent. C'est d'abord le choix qu'ont fait nos voisins, qui est la clé de l'emploi des seniors. Nous avons fait un choix équilibré et progressif, préservant les carrières longues et difficiles. (Mme Émilienne Poumirol ironise.)
Cette assemblée a d'ailleurs régulièrement défendu l'augmentation de l'âge légal.
Travailler plus longtemps, c'est aussi le moyen le plus juste de financer les avancées de cette réforme. (M. Jean-Claude Tissot s'exclame.) Or vous proposez de l'abroger, soit léguer 150 milliards de déficit aux générations suivantes ! Ce n'est pas acceptable.
Mme Émilienne Poumirol. - N'importe quoi !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Les financements alternatifs que vous proposez, c'est la suppression des allègements de cotisations sociales des entreprises ou la hausse du coût du travail, qui auraient en réalité un impact délétère sur l'emploi. (Mme Émilienne Poumirol ironise.)
Le ministre de l'économie présentera prochainement un projet de loi de simplification de la vie des entreprises et la ministre du travail présentera un projet de loi Acte II de la réforme du travail. Les entreprises les attendent. (Mmes Laurence Rossignol et Émilienne Poumirol protestent.)
Mme Émilienne Poumirol. - Encore des exonérations !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Je remarque que vous gagez également sur le tabac... Mais c'est le jeu dans un texte financier...
Mme Monique Lubin. - Comme pour les retraites agricoles.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Vous proposez de revenir sur un texte déjà voté.
Mme Émilienne Poumirol. - Eh oui !
M. Joshua Hochart. - Ce n'est pas la faute des socialistes...
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Le débat sur l'article 40 ne peut être contesté par personne, quand on parle de 14 milliards d'euros de dépenses.
Mme Corinne Féret. - Bien sûr...
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Débattre de la pertinence de certains articles de la Constitution n'est pas un problème, mais cette proposition de loi ordinaire n'est pas le bon moyen.
Mme Colombe Brossel. - Ce n'est jamais le bon moment !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - L'accompagnement des femmes et des seniors est essentiel, mais vous n'y répondez pas.
Le moteur de la démocratie, c'est de débattre.
Mme Corinne Féret et M. Patrick Kanner. - Bien sûr...
Mme Laurence Rossignol. - On vous a vu à l'oeuvre...
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Je vous assure, et je le dis aux Français : nous sommes au travail. Nous savons où nous voulons aller.
Mme Corinne Féret. - On voit bien le résultat !
Mme Émilienne Poumirol. - Contre les petits...
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Nous voulons emmener la France vers le plein emploi. Nous voulons une société du travail, une société du plein emploi pour tous, du bon emploi partout. (Protestations sur les travers du groupe SER)
Mme Laurence Rossignol. - Vous y croyez, vous, à ce que vous racontez ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Oui, madame la sénatrice.
C'est notre projet, construire une société du travail, avec un travail qui rémunère.
Mme Laurence Rossignol. - Elle y croit...
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Conformément à l'engagement du Président de la République, nous continuons à travailler avec les organisations syndicales en ce sens. Nous nous opposons à ce projet de suppression. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. Olivier Henno . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mmes Pascale Gruny et Marie-Do Aeschlimann applaudissent également.) Bien sûr, il n'appartient pas à un groupe de juger du sérieux d'une proposition de loi. Notre devoir est de dire ce que nous en pensons et d'expliquer notre vote. Sans surprise, le groupe UC votera contre cette proposition de loi de rétropédalage. Cela me fait penser à l'émission d'Eugène Saccomano, On refait le match. C'était intéressant au début, mais on finissait par s'en lasser...
Pourquoi revenir sur cette réforme, et uniquement sur elle ?
Mme Laurence Rossignol. - Parce que les Français le veulent !
M. Olivier Henno. - Vous auriez pu revenir aussi sur les réformes Balladur, Fillon, ou sur le passage de l'âge légal à 60 ans... (M. Emmanuel Capus approuve ; protestations sur quelques travées du groupe SER)
Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ? Car entre-temps il y a eu la réforme Touraine, qui a eu des conséquences sur les salariés.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - C'était avant !
M. Olivier Henno. - Vous n'avez pas proposé le retour à la retraite à 60 ans.
Voilà votre drame : quand vous exercez le pouvoir, vous faites preuve de responsabilité. La réforme Touraine était une bonne réforme, responsable, qui a permis d'équilibrer les régimes. (Protestations sur les travées du groupe SER)
M. Jean-Claude Tissot. - C'est pour cela que vous ne l'avez pas votée...
M. Olivier Henno. - Évidemment, cela vous gêne que l'on dise cela ! (Protestations sur les travées du groupe SER)
Mme Colombe Brossel. - La situation n'était pas la même !
M. Olivier Henno. - Deux logiques s'affrontent : la responsabilité au pouvoir, et la culture de l'opposition.
En matière d'exonérations de charges...
M. Mickaël Vallet. - De cotisations !
M. Olivier Henno. - ... vous avez voté le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), chers collègues ! C'est une exonération massive : 4 %, puis 6 % de la masse salariale, soit 40 milliards d'euros !
Ce n'était pas une mauvaise mesure, voyez-vous...
Mme Laurence Rossignol. - Vous adorez quand on gouverne, alors !
M. Olivier Henno. - Mais je déteste votre démagogie.
M. Mickaël Vallet. - Et vous êtes idéologues...
M. Jean-Claude Tissot. - Nous allons revenir !
M. Olivier Henno. - Vous avez un double discours : cela ne sert pas l'idée que je me fais de la démocratie. (M. Michel Canévet applaudit.)
M. Emmanuel Capus. - Excellent !
M. Olivier Henno. - Le pays souffre d'un déficit budgétaire qui atteindra 5,5 %.
Mme Laurence Rossignol. - Lorsque nous gouvernions, c'était mieux...
M. Olivier Henno. - On dépensera 14,4 % du PIB pour les retraites, contre 11,9 % en Europe. La part des dépenses publiques atteindra 57 %.
Il n'est pas responsable de faire croire aux Français que nous pouvons travailler moins.
Mme Colombe Brossel. - Ce sont encore les salariés qui paient...
M. Olivier Henno. - La dette, c'est mettre nos dépenses de soins à la charge des autres, en les reportant. Cela pose problème, car les autres, ce sont nos enfants !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Vous avez raison.
Mme Colombe Brossel. - Oh là là...
M. Olivier Henno. - Reporter les décisions importantes, c'est un mal courant de la société française.
M. Jean-Claude Tissot. - Parlez-en à Marc Fesneau...
M. Olivier Henno. - Pour avoir un scénario de prévision, il faut se mettre d'accord. Or vous préférez la fuite en avant à la réalité.
Cette proposition de loi tombe bien mal. La non-maîtrise des dépenses publiques, voilà la critique à faire au Gouvernement.
Mme Laurence Rossignol. - Nous étions meilleurs qu'eux...
M. Olivier Henno. - Il n'a pas su tourner le dos au « quoi qu'il en coûte ». Nous voterons contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Chantal Deseyne applaudit également.)
Mme Raymonde Poncet Monge . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Colombe Brossel applaudit également.) Il y a un an, l'acte II de la feuille de route antisociale du Gouvernement, la réforme des retraites, était activée par 49.3 après une atteinte à l'assurance chômage que vous promettez d'aggraver, et juste avant la loi Plein emploi instaurant France Travail et réformant le RSA, sur le modèle des lois Hartz qui ont augmenté le taux de pauvreté de 50 % en Allemagne.
Ce texte, rejeté par 93 % des actifs, a été imposé après un bridage sans précédent du débat parlementaire avec la complicité de la droite parlementaire, par un Gouvernement dont l'impéritie ne cesse de se manifester alors qu'il annonçait un retour à l'équilibre en 2030, ce que contredit le COR : l'ensemble des régimes auraient un besoin de financement de 0,2 à 0,3 point de PIB, soit 5 à 8 milliards d'euros en 2030.
Le Gouvernement fait mine aujourd'hui de découvrir les prévisions des économistes en évoquant une mauvaise conjoncture.
Or, comme n'a cessé de le répéter le COR, les régimes de retraites font face à un problème de ressources, non de dépenses. Son analyse est éloignée des dogmes surannés de l'orthodoxie libérale. Mais vous avez veillé à ce que ses travaux incluent les effets de vos contre-réformes...
Pourtant, c'est bien un problème de ressources qui se présente : multiplication des primes désocialisées à l'effet substitutif prouvé, déflation salariale, modification du cumul emploi-retraite qui allonge le temps de travail...
Nous avons soutenu la revalorisation du minimum contributif, dont la Drees souligne les effets redistributifs. Toutefois, la revalorisation n'est en moyenne que de 30 euros et elle ne correspond qu'à l'application d'une promesse liée au recul précédent de l'âge de départ à la retraite. De même la surcote pour les femmes ne représente que la moitié de ce qu'elles auraient dû toucher.
Vous n'avez pas renoncé à ponctionner l'Agirc-Arrco et l'Unédic, par un pitoyable jeu de bonneteau alors que la dette prise en compte dans le pacte de stabilité est stabilisée.
Au passage, vous brutalisez les corps intermédiaires et le paritarisme.
Rien n'invalide notre analyse de votre contre-réforme.
Le GEST votera cette proposition de loi. Mieux, une fois au Gouvernement, nous abrogerons votre réforme ! (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et CRCE-K)
Mme Cathy Apourceau-Poly . - La réforme des retraites d'Emmanuel Macron était prévue dans les recommandations du semestre européen depuis des années. Obsession des gouvernements libéraux et de la Commission européenne, elle devait favoriser les retraites individuelles.
Notre groupe a été constamment opposé aux réformes Balladur, Fillon, Raffarin, Woerth et Touraine.
Le 14 avril 2023, le Conseil constitutionnel a validé officiellement le recul social le plus grave de la décennie.
Dès le 18 avril, notre groupe déposait une proposition de loi visant à l'abrogation de la réforme des retraites. Nous nous sommes retrouvés sur ce point avec le groupe SER, qui a déposé cette proposition de loi le 26 février : les progressistes, contre le Gouvernement et la majorité sénatoriale ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K)
Cette réforme s'inscrivait dans une logique purement budgétaire. Le président Retailleau s'était impliqué personnellement pour allonger la durée de cotisation à 43 annuités et reculer l'âge de départ à 64 ans pour préserver le système de retraite par répartition. Ce qui ne l'a pas empêché de voter l'amendement de Jean-François Husson sur l'introduction d'une part de retraite par capitalisation...
Le double discours des Républicains est éloquent ! Les fonds de pension américains si chers à vos coeurs vous remercient.
Ce débat aux accents de déjà-vu donnera l'occasion au Gouvernement et à la majorité sénatoriale de justifier une réforme injuste, inefficace, inégalitaire.
Le déficit des retraites, à l'origine de cette réforme scélérate, n'est pas dû aux travailleurs et aux retraités, mais aux politiques d'austérité de Bruxelles, qui ont conduit au non-remplacement des départs à la retraite dans la fonction publique notamment.
Le démantèlement des acquis sociaux se fait au détriment de la prise en compte de la pénibilité des métiers - je pense aux cheminots, aux électriciens et aux gaziers...
Le Gouvernement s'est attaqué aux plus précaires. L'augmentation de la durée de cotisation frappe en premier lieu les femmes et ceux qui ont eu des carrières hachées ou suivi des études longues. Vous avez aggravé la précarité tout en préservant les riches et puissants.
Le Gouvernement a refusé systématiquement nos propositions de mettre à contribution les revenus du capital pour augmenter les recettes en taxant les milliards d'euros de dividendes versés chaque année ou en augmentant les cotisations des entreprises.
Nous portons un projet solidaire où l'humain prime les finances.
Vous avez choisi le passage en force, avec le 49.3.
Le CRCE-K votera l'abrogation de cette réforme antisociale ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du GEST)
Mme Laurence Rossignol. - Sans perdre son sang-froid ! (Sourires)
M. Henri Cabanel . - La mémoire est courte. La réforme Touraine adoptée le 18 décembre 2013, vous l'avez oubliée ? L'objectif de ce texte, entré en vigueur en 2020, était de faire passer le nombre de trimestres de cotisation à 172, soit 43 annuités.
Sachant que l'on obtient un emploi stable vers 23 ans, la grande majorité des personnes nées après 1973 prendra sa retraite à 64 ans et plus. La suite, nous la connaissons. D'un côté, des milliers d'amendements déposés pour faire obstruction, de l'autre le 49.3 et, ici, le 44.3 qui n'ont pas grandi le Gouvernement.
Aucun syndicat n'a cautionné ce texte, auquel la majorité des Français étaient opposés. Résultat : exit les vrais sujets, tels que les carrières longues, la pénibilité, la situation des femmes... Un goût amer pour tous ceux qui avaient compris les enjeux du vieillissement démographique et du désenchantement du milieu professionnel.
Le RDSE a toujours défendu la retraite à points. Les rapports du COR en ont attesté la possibilité. C'était d'ailleurs la réforme proposée par le Président de la République en 2019, qui a été abandonnée à la suite de la crise sanitaire et des contestations sociales. Mais pas de débat à ce sujet...
Avec cette réforme, l'éléphant a accouché d'une souris.
Revenir avec une proposition de loi au seul indicateur de l'âge de départ, c'est légiférer pour légiférer. C'est faire preuve en réalité d'un opportunisme politique, à quelques semaines des élections européennes.
C'est pourquoi une majorité des membres de mon groupe ne souhaite pas participer à ce vote. Exit les carrières longues, la pénibilité et les carrières hachées des femmes, les seniors. Ce sujet devient préoccupant car porter à 43 annuités de cotisation à taux plein suppose de travailler sur l'employabilité. Quand on voit l'échec des négociations cette semaine, l'inquiétude est de mise...
Quelque 33 % des salariés ont déclaré un arrêt de travail en 2022, avec une hausse notable des arrêts chez les plus jeunes, à cause de maladies professionnelles, notamment les troubles musculosquelettiques, et de pathologies psychologiques. L'enjeu, c'est le bien-être au travail. Au-delà des querelles politiques, il faut avancer.
Unissons-nous pour le bien-être des travailleurs ! (Applaudissements sur les travées du RDSE)
Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement. - Brillant !
M. Martin Lévrier . - Tout le monde nous envie notre système de retraites par répartition fondé sur la solidarité intergénérationnelle.
Le principe est simple : les cotisations des actifs servent à payer les pensions des retraités. Ce système d'équilibre peut s'effondrer si tout le monde n'y trouve pas son compte. En 1980, on comptait 2,8 actifs pour un retraité. Ce ratio n'était plus que de 1,67 en 2020, et il sera de 1,23 en 2050. Le socle se dégradant, nous ne pouvions rester les bras ballants.
Trois possibilités s'offraient alors : diminuer la pension des retraités, augmenter la durée de cotisations des actifs ou le taux de cotisation...
Le Gouvernement a choisi d'allonger la durée du travail, dans la suite de la réforme socialiste de Mme Touraine. (Protestations sur les travées du groupe SER)
Mme Monique Lubin. - Ce n'est pas pareil !
M. Martin Lévrier. - Un jeune commençant à travailler à 21 ans aurait eu le droit de prendre sa retraite à taux plein à 64 ans.
Cette loi de 2013 devait entrer très lentement en vigueur. Sauf erreur de ma part, les socialistes et leurs alliés, sauf les communistes, l'ont soutenue sans réticence.
Nous avons amélioré cette réforme en aidant les plus vulnérables. (Marques d'ironie sur les travées du groupe SER)
Mme Colombe Brossel. - C'est une blague ?
M. Mickaël Vallet. - Cela s'est vu dans la rue !
M. Martin Lévrier. - Kafka, sors de cet hémicycle ! Empêtrés dans leur opposition systématique, nos collègues ont-ils mesuré les conséquences de ce qu'ils souhaitent ? (Protestations sur les travées du groupe SER)
Mme Colombe Brossel. - C'est cela...
M. Martin Lévrier. - Il faudrait vingt ans pour en sentir les effets... Je m'étonne que mes collègues socialistes, qui revendiquent les valeurs fondamentales d'égalité et de solidarité, ne se soient pas demandé comment récupérer les 20 milliards d'euros. (Mme Émilienne Poumirol s'exclame.)
Mme Colombe Brossel. - C'est cela...
M. Martin Lévrier. - Le déséquilibre de ce système n'ira qu'en s'aggravant. Quand bien même le taux de fécondité s'établirait d'un coup de baguette magique à trois enfants par femme, il faudrait vingt ans pour en sentir les effets.
M. Mickaël Vallet. - Vous appelez cela une baguette magique, vous !
M. Martin Lévrier. - Êtes-vous prêts à revenir sur tout ce qui a été fait pour les aidants, par exemple ? Moi, non. Pendant 70 % des débats, vous avez monopolisé la parole. Que proposez-vous ? (Protestations sur les travées du groupe SER ; Mme Raymonde Poncet-Monge proteste également.)
Ni suggestion, ni solution, pour le système le plus solidaire qui soit !
Il y a un an, vous avez dénigré la valeur travail pour conclure que la réforme enlèverait deux ans de vie aux actifs. (Protestations sur les travées du groupe SER)
M. Jean-Claude Tissot. - J'ai travaillé 44 ans !
Mme Émilienne Poumirol. - Il n'y a pas que vous qui avez travaillé !
M. Martin Lévrier. - Donc le travail tue ? Mais alors, qui paiera les retraites ? (Marques d'ironie sur les travées du groupe SER)
Comment pouvons-nous faire en sorte que le travail soit une source d'épanouissement pour tous ? C'est à ce défi que nous devons répondre ensemble.
M. Mickaël Vallet. - Ça promet !
M. Martin Lévrier. - Oui, cette réforme a des points abrasifs, mais est-ce une raison pour l'abroger ? Nous devons la vérité aux Français.
M. Mickaël Vallet. - Commencez par trouver 10 milliards d'euros !
M. Martin Lévrier. - Notre groupe s'opposera avec vigueur à votre proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Michel Canévet applaudit également.)
Mme Annie Le Houerou . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Malgré la mobilisation des syndicats et des manifestations sans précédent, le Gouvernement a réduit l'examen du texte en ayant recours à un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) et au 49.3 à l'Assemblée nationale. Résultat : les débats ont été d'une rare intensité, ici, au Sénat.
Pour la première fois, la majorité sénatoriale, en soutien du Gouvernement, a utilisé l'article 38 du règlement pour abréger nos débats. Le Gouvernement a eu recours à l'article 44.3 de la Constitution et a forcé le Sénat à s'exprimer par blocs d'amendements. Il a bafoué le rôle du Parlement.
Les conséquences de la réforme ne sont pas digérées. Elle reposait sur la promesse d'un système équilibré d'ici à 2030 : on en est loin !
Au contraire, elle emporte de graves conséquences pour les plus fragiles, avec une hausse de 3,2 milliards d'euros des dépenses sociales hors retraites : 1,8 milliard pour les pensions d'invalidité, 1,3 milliard pour les allocations chômage, 970 millions pour les indemnités journalières et 830 millions d'euros pour l'ASS. Pour les personnes concernées, ce n'est pas de la communication, madame la ministre !
Avec de telles prévisions, on comprend mieux l'empressement du Gouvernement à réformer l'assurance chômage et à supprimer l'ASS.
Cette réforme pénalise ceux qui ont commencé à travailler tôt. Un quart des hommes les moins aisés décède avant 62 ans et ne touche donc pas sa retraite. Les ordonnances Pénicaud ont supprimé quatre des dix critères de pénibilité.
Les seniors sont aussi pénalisés. Les chômeurs de 60 ans ont peu de chances de retrouver un emploi. Les mesures timides en faveur de l'emploi des seniors ont été invalidées par le Conseil constitutionnel.
Le Gouvernement a changé l'ordre des priorités : une réforme drastique, puis des discussions sur les conditions de travail. Plutôt que d'encourager les entreprises à recruter, il multiplie les annonces de réductions des droits - notamment au chômage, comme si le fait de rester sans emploi était un choix volontaire.
Les femmes sont les grandes perdantes de la réforme. Le report de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans les oblige à travailler deux ans de plus sans avantage significatif - alors que les hommes sont déjà obligés de travailler au-delà de 62 ans pour obtenir une retraite à taux plein ; ils sont donc moins impactés.
L'augmentation de 100 euros du minimum contributif (Mico) ne profite qu'à une infime minorité des assurés. Quelle déception !
Pourtant, des solutions existent. La question des recettes ne doit pas être un tabou. Une augmentation d'un point du taux de cotisation patronale générerait 6,8 milliards d'euros de recettes si elle ne touchait que l'assiette plafonnée.
Les allégements généraux de cotisations sociales représentent une perte de 60 milliards d'euros pour la sécurité sociale en 2022. En 2020, le Gouvernement a réduit les impôts de production de plus de 10 milliards d'euros. Le remplacement de l'ISF par l'IFI a fait perdre 3 milliards d'euros. Même la présidente de l'Assemblée nationale évoque une taxe sur les superprofits !
Le groupe SER continue de s'opposer à cette réforme brutale. Je salue en particulier le travail de Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également, tandis que M. Emmanuel Capus s'exclame.)
Mme Pascale Gruny . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Olivier Henno applaudit également.) En voyant arriver cette proposition de loi sur le bureau du Sénat, j'ai d'abord cru à une mauvaise plaisanterie. (Exclamations sur les travées du groupe SER, M. Emmanuel Capus applaudit.)
M. Michel Canévet. - Bravo !
Mme Pascale Gruny. - Au-delà de l'affichage politique et dogmatique de ce texte, voyons combien abroger la réforme de 2023 serait une folie. Être parlementaire, c'est faire preuve de responsabilité et parfois prendre des décisions qui ne font pas plaisir, mais qui sont nécessaires pour préserver notre pacte social. Le but est non pas de sanctionner les Français, mais de s'assurer que leurs retraites et celles de leurs enfants seront payées.
Pour financer les retraites, il y a trois possibilités : baisser les pensions, car leur niveau moyen était de 101 % du niveau des actifs en 2019 et devrait passer à 85 %, voire à 75 % en 2070 ; nous nous y refusons. Nous nous refusons aussi à augmenter les cotisations, comme le suggère la rapporteure, car les prélèvements obligatoires sont déjà trop élevés - 48 % du PIB - , et cela serait mauvais pour la compétitivité des entreprises françaises.
M. Emmanuel Capus. - Et voilà !
Mme Pascale Gruny. - Je regrette que les syndicats patronaux n'aient pas été auditionnés - preuve du caractère orienté de votre démarche...
Troisième solution : travailler un peu plus longtemps. C'est la voie la plus raisonnable. Depuis 1950, nous avons gagné quinze ans d'espérance de vie.
Avec un départ à 64 ans, nous sommes en deçà d'autres pays : 65 ans en Belgique ou 67 ans en Allemagne, en Italie ou au Danemark.
J'ai une question pour nos collègues socialistes : pourquoi vous opposez-vous au départ à 64 ans après l'avoir voté en 2014 ?
Même sans cette réforme, les 64 ans auraient été atteints dans le courant des années 2030, avec la réforme de Marisol Touraine, ministre du gouvernement socialiste Hollande-Ayrault... Visiblement, vous avez la mémoire courte. (Mme Raymonde Poncet Monge s'exclame.)
Mme Corinne Féret. - Pas du tout !
Mme Pascale Gruny. - Aucun dogmatisme ne réglera la question démographique, le ratio cotisants-retraités passant de 1,7 à 1,2 entre 2020 et 2070.
Malgré la réforme, le rapport du Sénat sur le PLFSS pour 2024 montre une dégradation de la trajectoire financière de la branche vieillesse, avec le vieillissement démographique, le ralentissement de l'augmentation des salaires et les problèmes du régime des fonctionnaires territoriaux.
Réformer les retraites, c'est se donner la possibilité d'augmenter le taux d'emploi des seniors pour générer de nouvelles recettes.
Enfin et surtout, en abrogeant cette réforme, vous abrogez les apports que le Sénat a obtenus de haute lutte : création de l'assurance vieillesse des aidants, revalorisation des minima sociaux, création de la pension d'orphelin, nouveaux droits pour les carrières longues - 30 % de nouveaux retraités sont partis avant l'âge légal, contre 20 % en 2022, entre autres.
Cette réforme est la seule voie possible pour sauver notre système. Bien sûr, elle n'est pas parfaite : nous aurions voulu aller plus loin, notamment sur l'emploi des seniors.
Plutôt que de l'abroger, concentrons nos efforts sur une nouvelle loi Travail en améliorant la prévention en matière de santé et de sécurité, pour que les Français soient en bonne santé au moment de la retraite.
Cette proposition de loi est symptomatique du décalage de la gauche française avec la réalité vécue.
À chaque fois qu'elle s'est trouvée au pouvoir...
Mme Monique Lubin. - Heureusement qu'il y a eu 1981 !
Mme Pascale Gruny. - ... elle a fait croire aux Français qu'ils pourraient travailler moins (Mme Annie Le Houerou proteste) : retraite à 60 ans avec François Mitterrand, 35 heures de Mme Aubry - une idée tellement lumineuse qu'aucun pays n'en a voulu.
Mme Corinne Féret. - Nous n'avons pas les mêmes valeurs, c'est sûr !
Mme Pascale Gruny. - Le groupe Les Républicains ne laissera pas pénaliser l'équilibre de nos retraites, pour que le pacte conclu après-guerre reste bien vivant. Je vous invite à rejeter ce texte.
Pour ma part, cela me fait mal au ventre, lorsque je rencontre des jeunes qui me disent que, demain, ils n'auront pas de retraite. (Protestations sur les travées du groupe SER ; applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDPI)
M. Christopher Szczurek . - Deux ans après avoir fait réélire Macron, les socialistes croient pouvoir se racheter auprès de nos compatriotes avec une proposition de loi salutaire, mais celle-ci n'a aucune chance d'aboutir.
La gauche semble prise d'un certain remords, mais ce petit coup parlementaire ne trompera personne, surtout pas les classes populaires.
Quant à la droite, nous regrettons qu'elle se soit convertie aux arguments des think tanks libéraux, qui font fi de l'espérance de vie en bonne santé. Le descendant d'ouvrier et de mineur que je suis ne peut que le déplorer.
La majorité sénatoriale appelle à un effort de nos compatriotes compte tenu de la situation financière. Nous partageons le constat, mais, à nos yeux, le recul de l'âge de la retraite n'en fait pas partie.
N'oublions pas non plus la responsabilité du Gouvernement, élu sur une promesse de sérieux financier : le COR prévoit un déficit du système des retraites dès 2027, annonçant un nouveau tour de vis pour nos compatriotes.
Reconnaissons qu'Emmanuel Macron n'a trahi personne, puisque cette réforme était annoncée dans son programme en 2022. Tous ceux qui l'ont soutenu ici le savaient.
Nous avons des pistes d'économie : le coût sans cesse plus lourd de l'immigration et de l'insécurité ou la contribution nette - beaucoup trop nette - de la France au budget de l'Union européenne.
Nous ne soutenons pas un droit fumeux à la paresse, mais défendons un droit au repos après des années de travail. Il faut soulager nos compatriotes ayant eu les carrières les plus pénibles. La retraite, socle de notre pacte social, doit être réformée et la proposition présidentielle de Marine Le Pen reste valable.
Nous voterons cette proposition de loi, justement parce que nous ne sommes pas sectaires : nous votons les textes allant dans l'intérêt de nos compatriotes, même si nous combattons leurs auteurs. (M. Joshua Hochart applaudit ; M. Emmanuel Capus s'exclame.)
M. Daniel Chasseing . - (Mme Corinne Bourcier et M. Martin Lévrier applaudissent.) La réforme des retraites de 2023 a été perçue comme une contrainte par 70 % de nos concitoyens.
La commission des affaires sociales a apporté de nombreuses atténuations en prenant en compte les carrières longues ou la situation des femmes ou des aidants, entre autres.
Ces améliorations ont conduit au vote du projet de loi. Faut-il le remettre en cause ? Le COR et la Drees ont annoncé un déficit de 20 milliards d'euros à partir de 2030. Ce déficit augmentera si rien n'est fait : nous passerons à 21 millions de retraités en 2035 contre 17 millions en 2020.
Le coût des retraites représente un quart des dépenses publiques.
Les cotisations de l'État employeur représentent 74 % des retraites des fonctionnaires civils - c'est davantage pour les régimes spéciaux.
Pour le secteur privé, l'État subventionne aussi les exonérations qui ont remplacé le CICE, mis en place par le bon sens corrézien de François Hollande, lequel a permis de créer plus d'emplois.
Mais la situation financière du pays, avec 3 000 milliards d'euros de dette et 5,3 % de déficit en 2023, permet-elle de subventionner davantage les retraites ? Non.
Marisol Touraine et le PS l'avaient bien compris en 2015, en présentant un projet de loi qui retardait l'âge de départ à 64 ans.
Les partenaires sociaux doivent être davantage associés aux réflexions.
Nous devons rétablir les quatre critères de pénibilité supprimés en 2017 et garantir que les travailleurs seniors ne soient pas dans la précarité. Seuls 57 % des Français âgés de 55 à 64 ans ont un emploi - c'est 70 % en Allemagne. Il faut augmenter le nombre de cotisants de 10 % pour équilibrer les retraites en 2030.
Développer l'emploi des seniors sans augmenter la précarité : voilà l'objectif social commun pour nos enfants et l'avenir de la France. Nous ne voterons pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
Exception d'irrecevabilité
Mme Marie Lebec, ministre déléguée. - En application de l'article 40 de la Constitution, le Gouvernement considère que cette proposition de loi n'est pas recevable et ne peut donc être soumise à discussion. (Protestations à gauche)
Mme Annie Le Houerou. - Refus de débattre !
Mme Émilienne Poumirol. - Encore une fois !
M. le président. - Conformément à l'article 45, alinéa 4, du règlement, le Gouvernement soulève une exception d'irrecevabilité fondée sur l'article 40 de la Constitution à l'encontre de la présente proposition de loi.
En application de l'article 45 du règlement du Sénat, l'irrecevabilité est admise de droit et sans débat si elle est affirmée par la commission des finances.
J'interroge M. Stéphane Sautarel, vice-président de la commission des finances.
Mme Émilienne Poumirol. - M. Kanner avait demandé la parole avant !
M. Stéphane Sautarel, vice-président de la commission des finances. - Nous allons dès à présent réunir la commission pour nous prononcer ; je sollicite une suspension de séance de quinze minutes.
Rappels au règlement
M. Patrick Kanner. - Mesdames les ministres, la messe est dite. Il y a deux poids, deux mesures : le président Mouiller a présenté une proposition de loi sur les retraites agricoles avec exactement le même gage - elle aggravait aussi les charges publiques, mais là, pas d'article 40. Même chose pour la proposition de loi visant à pérenniser les jardins d'enfants.
Avec le soutien manifeste de la majorité sénatoriale, vous voulez nous donner des leçons, avec 3 100 milliards d'euros de dette et plus de 5 % de déficit en 2024. Or vous refusez un projet de loi de finances rectificative ou un débat en vertu de l'article 50-1.
Vous décidez d'arrêter le débat. Le climat se dégrade, notamment à l'encontre des parlementaires : nous saurons nous en souvenir longuement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; MM. Joshua Hochart et Christopher Szczurek applaudissent également.)
Mme Céline Brulin. - Je me fonde sur l'article 32 bis du règlement.
Le recours à l'article 40 mériterait aussi une réunion de la commission des affaires sociales.
Nous sommes là dans un espace réservé, une niche parlementaire ; il serait bien de tenir ce débat afin de dresser un premier bilan de la réforme.
Amélioration de la retraite des femmes, de l'emploi des seniors, revalorisation des petites pensions - seulement 30 euros en moyenne... On est loin de ce qui était annoncé !
Madame la ministre, vous nous donnez, sur un ton péremptoire, des leçons de sérieux budgétaire... (Mme Marie Lebec s'en défend.) Pardon, mais je crois que vous n'êtes pas en mesure de le faire. (Applaudissements à gauche)
Enfin, la majorité sénatoriale est aussi délégitimée par le recours à l'article 40 décidé par le Gouvernement.
M. Michel Canévet. - Non !
Mme Céline Brulin. - Nous avons voté des propositions de loi en faveur des secrétaires de mairie ou des AESH, à l'unanimité. (Plusieurs sénateurs au centre et à droite frappent leur pupitre, le temps de parole de l'oratrice étant écoulé.)
Nous avons voté à l'unanimité une proposition de loi pour que les TPE puissent bénéficier du tarif réglementé. Hier, nous avons débattu d'une proposition de loi restreignant le droit de grève : nous l'avons combattue, mais le débat était légitime. J'espère que nous défendrons tous d'une même voix le droit d'initiative parlementaire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER ; Mme Monique de Marco applaudit également.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je me fonde sur l'article 38 bis sur du règlement.
Le Gouvernement utilise l'article 40 pour déclarer cette proposition de loi irrecevable. Monsieur Sautarel, dans un espace réservé, l'interprétation de l'article est souple pour permettre l'expression des groupes minoritaires.
Nous défendons le droit d'initiative parlementaire prévu à l'article 45 de la Constitution.
Jusqu'à présent, au Sénat, les propositions de loi étaient protégées de cette épée de Damoclès. Si demain, elles sont toutes visées par cet article, nous ne pourrons plus discuter de la proposition de loi sur les retraites agricoles d'André Chassaigne, ni de celle du président Mouiller. Le Parlement peut donc s'autodissoudre !
Nous connaissons l'état des rapports de force au Sénat : l'issue du vote est certaine. Dès lors, pourquoi vouloir interdire le débat ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe SER)
Mme Laurence Rossignol. - Cette proposition de loi serait politique, dites-vous ? C'est le cas de bon nombre de propositions de loi, y compris venant de la droite de l'hémicycle !
Beaucoup de Français digèrent difficilement ce qui s'est passé l'an passé.
Madame la ministre, vous avez brandi l'article 40. Enfin, vous dialoguez avec le Parlement ! Depuis trois mois que le Premier ministre a été nommé, le Conseil des ministres n'a adopté qu'un seul projet de loi, sur la Nouvelle-Calédonie.
Vous n'assumez pas votre fonction. Le Gouvernement a pourtant l'initiative des projets de loi ! C'est pourquoi nous déposons des propositions de loi, dans l'intérêt des Français et des salariés. Ils en ont bien besoin, alors que se profile la réforme de l'assurance chômage ou celle de la fonction publique. Tout cela démontre qu'il faut faire de la politique pour parler aux couches populaires. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur plusieurs travées du GEST et du groupe CRCE-K)
M. Emmanuel Capus. - (Marques d'exaspération à gauche) Je m'appuie sur l'article 45 du règlement.
Je tiens à rassurer mes collègues, nous venons d'achever le débat. (Marques de protestation à gauche) Je partage l'avis de Daniel Chasseing : la réforme des retraites était indispensable. Il ne restait qu'un article unique, sans amendement, à examiner. Le débat a bien eu lieu ! (MM. Thomas Dossus et Rémi Cardon, ainsi que Mme Cathy Apourceau-Poly protestent vivement.)
Le Gouvernement demande le renvoi en commission des finances pour examiner la recevabilité du texte. Ne soyez pas défaitistes ! La commission déterminera s'il y a une dépense ou non. (Soupirs sur les travées du groupe SER)
Si la proposition de loi ne crée pas de charges supplémentaires, nous en discuterons. Pas de panique ! Ayez confiance en vos collègues de la commission des finances ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur plusieurs travées du RDPI)
M. Thomas Dossus. - Des sénateurs et des sénatrices qui ne siègent pas à la commission des finances souhaitent aussi s'exprimer... (Mme Audrey Linkenheld renchérit.)
Inutile de rappeler le débat baroque de l'an passé, qui n'avait pu aboutir.
Le Gouvernement, ne souhaitant pas exposer son fiasco budgétaire, ne met pas à l'ordre du jour un projet de loi de finances rectificative en dépit de la situation financière. Aujourd'hui, vous cherchez une nouvelle fois à esquiver le débat parlementaire. C'est scandaleux !
En opposant l'article 40 à une proposition de loi examinée dans un espace réservé, on crée une jurisprudence dangereuse - nombre d'initiatives de la droite pourraient être concernées. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER)
M. Pascal Savoldelli. - Rappel au règlement, au titre de l'article 45, alinéa 4.
Énième acte d'autoritarisme, le Gouvernement se dérobe en invoquant l'article 40 ! La démarche est un peu curieuse. Ici, majoritairement (l'orateur désigne les travées de droite), nous avons qualifié votre budget d'insincère. Vous vous êtes corrigés vous-mêmes par décret. Et voilà que vous utilisez abusivement l'article 40, après avoir abusé de l'article 49.3 à l'Assemblée nationale.
Vous nous invitez à ne pas être dans l'opposition stérile. Je siège à la commission des finances : il est tout à fait possible de créer de nouvelles dépenses fiscales ou d'élargir des niches fiscales existantes, et les crédits peuvent être reportés de dizaines de milliards d'euros, article 40 ou non ! Il faut le dire !
J'apprends cet après-midi, lors des questions au Gouvernement, que vous disposez d'un matelas de 7 milliards d'euros !
Respectez cette initiative parlementaire. On a déjà trop manqué de respect de la population et au Parlement. Allons au bout du débat ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur plusieurs travées du groupe SER)
M. Stéphane Sautarel. - Je ne me prononçais pas sur le fond mais uniquement sur la forme. Notre règlement prévoit la consultation de la commission : ce n'est pas une décision personnelle du président ou du vice-président de la commission des finances. (M. Patrick Kanner le confirme.)
La séance, suspendue à 18 h 10, reprend à 18 h 30.
M. le président. - Je vous rappelle qu'en application de l'article 45 du règlement du Sénat, l'irrecevabilité est admise de droit et sans débat si elle est affirmée par la commission des finances.
Quel est l'avis de la commission des finances ?
M. Stéphane Sautarel, vice-président de la commission des finances. - La commission des finances estime la proposition de loi irrecevable au titre de l'article 40. (Protestations à gauche)
La proposition de loi est déclarée irrecevable.
Mme Monique Lubin. - Et voilà !