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Table des matières
Élections sénatoriales partielles
Prérogatives d'une commission d'enquête
Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée chargée des outre-mer
Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée chargée des outre-mer
Communication aux maires des personnes fichées S
Marie Guévenoux, ministre déléguée chargée des outre-mer
Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée chargée des outre-mer
Modèle français de sécurité civile
Mme Marie Guévenoux, ministre chargée des outre-mer
Soutien à la filière des palmipèdes à foie gras
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique
Création des stations animalières aux points d'entrée sur le territoire
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique
Utilité d'un vélodrome Haute-Savoie Arena
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique
Prime pour les fonctionnaires résidant près du Luxembourg
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique
Industrie de verdissement de l'économie
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État numérique, chargée du numérique
Réintégration des travaux d'aménagement de terrains dans le FCTVA
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique
Gestion économique et sociale de l'après-mines
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique
Modalités de la taxe additionnelle à certains droits d'enregistrement
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique
Extension de l'indemnité de résidence
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Vacances de postes au tribunal judiciaire du Havre
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Fermetures de classes dans le Cher
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Scolarisation des enfants en milieu rural
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Règles du remplacement et de la formation et éducation à l'image
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Remboursement des soutiens-gorges compressifs post-cancer
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Tarification sociale des cantines
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Examens de biologie médicale délocalisée
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Fraudes et prise en charge des produits auditifs
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Avenir des infirmiers libéraux
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Pratiques de soins non conventionnelles
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Fermeture du centre de santé Edens
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Installation obligatoire de détecteurs de fumée dans les lieux d'habitation
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Soutien de l'État aux communes rurales touristiques
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Procédure de demande de subventions des collectivités territoriales
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Accompagnement des communes perdant le classement ZRR
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Encadrement des coupes rases en forêt
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Conditions de travail des chauffeurs de VTC pendant les jeux Olympiques et Paralympiques
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Compétence eau et assainissement
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Lignes aériennes d'aménagement du territoire
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Avancement du couvre-feu à l'aéroport Orly
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Seuil de délégation au maire pour les admissions en non-valeur
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Bardage bois et rénovation de façades
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Autoconsommation collective étendue
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Loi d'orientation des mobilités
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Mise au point au sujet d'un vote
Retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles
M. Philippe Mouiller, auteur de la proposition de loi
Mme Pascale Gruny, rapporteur de la commission des affaires sociales
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
« Tests PME » et création d'un dispositif « Impact Entreprises »
M. Olivier Rietmann, auteur de la proposition de loi
Mme Elsa Schalck, rapporteure de la commission des lois
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation
Intitulé de la proposition de loi
Conseil européen des 21 et 22 mars 2024
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe
Mme Catherine Dumas, vice-présidente de la commission des affaires étrangères
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
Ordre du jour du mercredi 20 mars 2024
SÉANCE
du mardi 19 mars 2024
73e séance de la session ordinaire 2023-2024
Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente
Secrétaires : Mme Véronique Guillotin, M. Philippe Tabarot.
La séance est ouverte à 9 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral publié sur le site internet du Sénat, est adopté.
Élections sénatoriales partielles
Mme la présidente. - En application de l'article 32 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, M. le Président du Sénat a reçu de M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer une communication de laquelle il résulte qu'à la suite des opérations électorales du dimanche 17 mars 2024, Mme Marie-Jeanne Bellamy a été proclamée sénatrice de la Vienne. Son mandat a débuté ce lundi 18 mars à 0 heure.
Décès d'anciens sénateurs
Mme la présidente. - J'ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues Louis Minetti, sénateur des Bouches-du-Rhône de 1978 à 1998, et Jacques Donnay, sénateur du Nord de 1999 à 2001.
Prérogatives d'une commission d'enquête
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen de la demande de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport tendant à obtenir du Sénat, en application de l'article 5 ter de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qu'il lui confère, pour une durée de six mois, les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête afin de mener sa mission d'information sur les modalités de constitution d'une société commerciale par la Ligue de football professionnel.
La Conférence des Présidents examinera cette demande lors de sa réunion de demain, mercredi 20 mars.
Questions orales
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
Accord France - Tunisie
M. Guy Benarroche . - En 2023, le président tunisien affirmait qu'il existait « un plan criminel pour changer la composition du paysage démographique en Tunisie », relayant la théorie complotiste trop répandue du grand remplacement. Il évoquait même la présence de « hordes de migrants clandestins ».
Gérald Darmanin annonçait au même moment le lancement d'une aide bilatérale pour soutenir la Tunisie dans sa lutte contre l'immigration clandestine.
Depuis, la Tunisie a mené des campagnes massives d'arrestation et d'expulsion de migrants ; nombre d'entre eux sont morts.
Compte tenu de ces épisodes ignobles, quel est le cadre précis du financement apporté par la France ? Toute aide suppose un contrôle ; or la Tunisie a récemment interdit la tenue d'une mission parlementaire du Parlement européen. Quid du calendrier du financement, des équipements fournis et des formations dispensées ? Des clauses de suppression sont-elles prévues en cas de violation des droits humains ?
Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée chargée des outre-mer . - Les flux migratoires importants en provenance d'Afrique subsaharienne sont un défi majeur pour la Tunisie.
Afin d'aider la Tunisie à mieux les maîtriser, la France lui fournit des équipements et des formations ciblées, via une convention entre Civipol et le ministère de l'intérieur tunisien, signée le 13 décembre 2023. Un accord a aussi été signé entre Civipol et Idemia, expert mondial des systèmes biométriques.
La France contribue à hauteur de 5 millions d'euros à cette opération, d'un montant total de 8,9 millions d'euros. Outre du matériel et des licences, celle-ci prévoit le renouvellement de huit stations d'identification dans les consulats tunisiens en France.
Le ministère de l'intérieur veille à ce que cette aide soit déployée dans le respect des droits humains, via une clause au contrat. Les intervenants ont été formés à cette question et Civipol dressera un point spécifique lors de chaque comité de pilotage, dont le premier est prévu ce mois-ci.
Mineurs non accompagnés
Mme Valérie Boyer . - Chaque jour, l'Italie publie le nombre d'immigrés clandestins arrivés sur son sol. La France est bien moins transparente.
Les arrivées de mineurs non accompagnés (MNA) ont été multipliées par quatre entre 2014 et 2023, passant de 5 033 à 19 370. La vérification de l'âge, très coûteuse, est à la charge des collectivités - les départements principalement.
Depuis 2017, cent mille MNA ont été accueillis. Chacun coûterait 50 000 euros par an, soit un total de 3,6 milliards d'euros.
Que deviennent les MNA à leur majorité ? Combien restent pris en charge après leurs 18 ans ? Combien rentrent chez eux, bénéficient du regroupement familial ou deviennent français ? Ces pays, qui abandonnent leurs enfants, remboursent-ils ces frais à la France ?
Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée chargée des outre-mer . - Les MNA relèvent de la compétence de plusieurs ministères ainsi que des départements, au titre de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Le ministère de l'intérieur aide les collectivités à évaluer la minorité de ces personnes.
Selon le rapport d'activité de la mission nationale MNA, 14 782 ordonnances ou jugements de placement ont été pris en 2022. Certains peuvent demander l'asile.
Selon l'Ofpra, un millier de MNA ont introduit une demande de protection internationale en 2022. Le taux de protection reconnu aux MNA, de 82,5 %, est plus élevé que le taux moyen, qui est de 29,2 %.
Un mineur réfugié ou bénéficiant de la protection subsidiaire peut demander la réunification familiale pour ses père et mère, et ses frères et soeurs non mariés. La réalité des liens familiaux est examinée rigoureusement.
Avant tout, il s'agit de détecter les personnes majeures se déclarant MNA. La loi relative à la protection des enfants a prévu l'obligation de se présenter en préfecture, la consultation du fichier d'appui à l'évaluation de minorité pour éviter les présentations successives dans plusieurs départements et la transmission au préfet l'évaluation de minorité.
Mme Valérie Boyer. - Combien de MNA sont-ils devenus français à leur majorité ? Beaucoup proviennent de réseaux et ne sont ni mineurs ni non accompagnés.
Communication aux maires des personnes fichées S
M. Aymeric Durox . - En mai 2018, Emmanuel Macron souhaitait que les préfets informent les maires sur la présence dans leur commune de personnes fichées pour radicalisation islamiste. Une circulaire du 13 novembre 2018 y pourvoit. Malheureusement, elle n'a produit aucun effet.
Pourtant, plusieurs élus réclament d'être informés sur ces individus : le maire de Beaucaire, Julien Sanchez, dès 2018 ; le maire Les Républicains de Montélimar, Julien Cornillet ; le maire macroniste de Reims, Arnaud Robinet. En matière de sécurité des Français, les clivages politiques s'effacent au profit du bon sens.
Je demande au Gouvernement d'appliquer sans délai cette circulaire.
Marie Guévenoux, ministre déléguée chargée des outre-mer . - Les fiches S constituent un outil précieux pour les services de renseignement. Le travail des services doit être discret et confidentiel, afin de ne pas compromettre les enquêtes en cours. C'est pourquoi le Gouvernement n'est pas favorable à ce que les maires des communes dans lesquelles résident ces personnes aient accès au fichier.
Cependant, nous souhaitons qu'ils soient associés aux dispositifs de prévention et de prise en charge de la radicalisation. L'article L.132-3 du code de la sécurité intérieure prévoit une meilleure information des maires. Depuis l'instruction du 13 novembre 2018, les préfets peuvent partager certaines informations confidentielles et nominatives aux maires et aux présidents d'EPCI.
Le ministère de l'intérieur étudie l'ouverture aux maires d'autres fichiers. Le Gouvernement entend poursuivre cette dynamique, notamment au cours du Beauvau de la police municipale.
M. Aymeric Durox. - Votre réponse ne me convient pas vraiment, même si elle semble aller dans le bon sens.
Depuis 2018, les attentats islamistes ont tué 272 personnes et fait près de 1 200 blessés. Or le Gouvernement est incapable d'expulser les fichés S ou de tarir les filières, malgré les rodomontades de M. Darmanin. Visiblement, vous êtes dépassés par la situation, alors permettez aux maires de France d'agir.
Lutte contre l'hameçonnage
Mme Nathalie Delattre . - De nombreux Français reçoivent des textos ou des courriels leur demandant de s'acquitter du paiement de prétendues contraventions. Ils sont alors victimes d'hameçonnage par des spécialistes qui récupèrent leurs coordonnées bancaires. Outre le paiement des fausses contraventions, ce sont ainsi des centaines, voire des milliers d'euros, qui sont subtilisés aux victimes.
Malgré les politiques de prévention, ces actes frauduleux sont en recrudescence. Ouvrir la consultation des contraventions à partir du système d'immatriculation des véhicules (SIV) permettrait aux personnes de vérifier l'authenticité de la demande. Le Gouvernement l'envisage-t-il ? Quels sont les moyens alloués aux forces de l'ordre pour lutter contre cette fraude en ligne ?
Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée chargée des outre-mer . - Je salue votre engagement dans la lutte contre la fraude, une priorité du ministère de l'intérieur.
L'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai) a été victime de nombreux hameçonnages ; elle est fortement mobilisée pour rassurer les usagers. Il est déjà possible de consulter ses contraventions sur le site de l'Agence.
Les moyens cyber de la police et de la gendarmerie montent en puissance : création d'une Agence du numérique des forces de sécurité intérieure, du commandement du ministère dans le cyberespace et de l'Office anti-cybercriminalité.
Depuis 2017, le Gouvernement se mobilise en matière de prévention avec la création de la plateforme www.cybermalveillance.gouv.fr et de la task force nationale de lutte contre les arnaques. Quelque 21 000 policiers et gendarmes sont formés au risque cyber, et la plateforme « 17 cyber » sera prochainement déployée.
Mme Nathalie Delattre. - Je salue la mobilisation sans relâche du Gouvernement sur cette question. En attendant le « 17 cyber », il faut une information ciblée sur cette fraude particulière ; peu de Français savent qu'ils peuvent accéder en ligne à leurs contraventions.
Modèle français de sécurité civile
M. Cédric Perrin . - Le comité européen des droits sociaux (CEDS) du Conseil de l'Europe a rendu une décision assimilant les sapeurs-pompiers volontaires à des travailleurs. Ces derniers subiraient, de facto, un traitement discriminatoire en matière d'indemnisation et de temps de travail.
Si cette décision n'est pas contraignante, elle remet fondamentalement en cause notre modèle de sécurité civile, qui repose à 80 % sur le volontariat.
Il est temps de clarifier la situation : le Gouvernement doit affirmer que l'activité des sapeurs-pompiers volontaires ne peut être assimilée à celle d'un travailleur. Cette mise au point devra être transmise à nos partenaires européens.
Mme Marie Guévenoux, ministre chargée des outre-mer . - La décision du CEDS a été transmise au comité des ministres du Conseil de l'Europe pour examen ; à ce jour, il n'a pas émis de recommandations.
En France, la sécurité civile tire sa force de la complémentarité entre l'État et les collectivités, et entre les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires.
Compte tenu de leur engagement citoyen, les sapeurs-pompiers volontaires ne sauraient être assimilés à des travailleurs. Le Gouvernement n'envisage en aucun cas de transposer la directive du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail aux sapeurs-pompiers volontaires.
Notre modèle de sécurité civile repose sur l'engagement quotidien au sein des Sdis de 253 000 agents civils et militaires, parmi lesquels 198 700 volontaires. Nous voulons le préserver.
Le ministère organisera prochainement un Beauvau de la sécurité civile. J'en profite pour saluer le travail de tous les sapeurs-pompiers, professionnels ou volontaires.
M. Cédric Perrin. - Mesurons les conséquences qu'aurait une transposition de la directive sur notre modèle de sécurité civile.
Je salue moi aussi le travail des sapeurs-pompiers, dont 80 % sont des volontaires. Nous avons un différend avec Bruxelles sur cette question, comme sur le temps de travail des militaires.
Soutien à la filière des palmipèdes à foie gras
M. Alain Duffourg . - Les épizooties qu'a connues la filière des palmipèdes à foie gras ces dernières années ont conduit à l'introduction de la vaccination pour l'année 2023-2024. Les coûts engendrés ont été pris en charge, pour les deux premières doses de vaccins, à 85 % par l'État et à 15 % par la filière, puis à 100 % par l'État pour la troisième dose.
La filière demande la prise en charge de ces coûts pour l'année 2024-2025 afin d'avoir le temps de s'adapter. En outre, les éleveurs demandent que les palmipèdes soient sortis de l'abri après deux doses de vaccins si la sérologie est négative et au bout de 56 jours s'ils ont reçu la troisième dose.
Des mesures européennes visent à reconnaître la qualité de ces produits. Le Gouvernement doit poursuivre dans ce sens avec un étiquetage à la sortie de commerces vendant du foie gras et des aliments associés. L'origine du foie gras, notamment française, doit également être indiquée dans la restauration.
Quelles sont les intentions du Gouvernement ?
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique . - La campagne de vaccination contre l'influenza aviaire hautement pathogène (IHAP) vise à mieux protéger la santé des animaux et des hommes. La France est le premier pays exportateur de volailles à déployer un tel dispositif, dont le montant avoisine les 100 millions d'euros. À ce jour, plus de 22 millions de canards ont été vaccinés. Les modalités de financement de la prochaine campagne vaccinale seront définies dans les semaines à venir, en concertation avec la filière professionnelle.
Grâce à la vaccination, seuls dix foyers sont recensés, contre 315 à la même date l'an passé. La situation sanitaire a conduit à abaisser le niveau de risque au niveau modéré à compter du 18 mars, rendant possible la sortie des canards en extérieur.
La reconnaissance du foie gras comme patrimoine culturel et gastronomique est rappelée en introduction du plan gouvernemental de reconquête de la souveraineté sur l'élevage. Les mesures relatives à l'origine du foie gras pourront être évoquées dans les consultations sur les plans sectoriels, qui se dérouleront d'ici à la fin juin.
Création des stations animalières aux points d'entrée sur le territoire
Mme Nadine Bellurot . - La création de stations animalières aux points d'entrée sur le territoire français, pour l'hébergement temporaire et l'isolement des animaux importés, saisis et dont le statut sanitaire est incertain, est prévue par l'arrêté du 24 mars 2017.
Une station animalière doit disposer d'un local sécurisé, facile à nettoyer et à désinfecter, doté de cages ou autres équipements adaptés pour l'accueil de petits mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens, poissons et invertébrés, dans l'attente d'une décision administrative et de leur placement dans une structure d'accueil pérenne.
Seuls l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle et le port de Calais en sont dotés. Dans les autres cas, ces animaux seraient stockés dans les locaux des services des douanes, ce qui pose des problèmes de contrôle des risques sanitaires et de sécurité pour ces animaux, le personnel et les voyageurs.
Quelles mesures concrètes seront prises pour appliquer cet arrêté à tous les points d'entrée du territoire ?
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique . - Le Gouvernement est pleinement engagé en faveur de la santé publique, de la santé animale et du bien-être animal.
Dans les points d'entrée des voyageurs, les contrôles sanitaires sur les animaux de compagnie sont effectués par les agents des douanes, qui identifient aussi les introductions frauduleuses d'animaux non déclarés.
L'arrêté du 24 mars 2017 vise à mettre à la disposition des agents de la douane une structure d'isolement pour héberger temporairement un animal non conforme saisi, afin de permettre une prise de décision concertée avec les services chargés des contrôles vétérinaires. Il prévoit également la possibilité pour les points d'entrée de conventionner avec un prestataire extérieur.
L'infrastructure de l'aéroport Paris-Charles de Gaulle, mutualisée avec l'aéroport d'Orly, a permis d'héberger des animaux interceptés sur les plateformes aéroportuaires parisiennes.
Par ailleurs, il existe des infrastructures dédiées au contrôle des animaux vivants dans plusieurs postes de contrôle frontalier.
Utilité d'un vélodrome Haute-Savoie Arena
M. Loïc Hervé . - J'aurais pu retirer cette question, compte tenu de l'abandon du projet de vélodrome en Haute-Savoie en vue des Championnats du monde de cyclisme en 2027.
Toutefois, la violence des propos de M. Michel Callot, président de la Fédération française de cyclisme, et de M. David Lappartient, président de l'Union cycliste internationale, à l'égard des parlementaires opposés à ce projet soulève des interrogations, surtout au regard des 18 millions de francs suisses de droits d'organisation de la compétition et du montant inconnu de l'indemnisation liée à l'abandon du projet.
En décembre 2022, la ministre des sports indiquait, en réponse à ma question écrite, que le préfet de Haute-Savoie organiserait une concertation avec les élus et les parties prenantes, mais rien n'a eu lieu. Il serait bon que les instructions formelles des ministres se traduisent dans les faits...
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique . - Le 7 février dernier, le conseil municipal de la Roche-sur-Foron s'est prononcé contre la vente du terrain pour cette construction. Le ministère en a pris acte, et les parties prenantes travaillent pour que les épreuves de cyclisme sur piste se tiennent au vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines.
Comme il s'y est engagé dans un courrier du 16 février dernier, le préfet de Haute-Savoie organisera dans les prochaines semaines un échange avec les élus. Mme la ministre des sports veillera à ce que l'ensemble des acteurs du territoire, dont les parlementaires, soient associés au projet qui met en valeur la Haute-Savoie. Je relaierai vos préoccupations, afin que cette concertation ait bien lieu.
M. Loïc Hervé. - Organiser les épreuves à Saint-Quentin-en-Yvelines était la solution envisagée par tous. L'inscription du projet dans le contrat de plan État-région n'a donné lieu à aucune discussion. Je me réjouis que le préfet organise une réunion, mais le délai pose un réel problème démocratique s'agissant du contrôle de votre action par les parlementaires.
Prime pour les fonctionnaires résidant près du Luxembourg
Mme Véronique Guillotin . - En Lorraine, la proximité du Luxembourg pose des problèmes de recrutement et de fidélisation des fonctionnaires pour les hôpitaux, la police, la gendarmerie ou les écoles, en raison d'un accès compliqué au marché de l'immobilier, lié notamment aux salaires deux à trois plus élevés au Luxembourg.
S'y ajoute l'augmentation du coût de l'énergie et du transport, alors que les transports en commun bénéficient davantage aux déplacements transfrontaliers, du fait de la mise à disposition gratuite de bus par le Luxembourg.
Pour répondre aux mêmes problèmes, l'État attribue une prime aux fonctionnaires résidant dans 133 communes proches de la Suisse, équivalente à 3 % du traitement indiciaire. Elle serait tout autant justifiée pour les territoires frontaliers du Luxembourg. Qu'en pense le Gouvernement ? (MM. Loïc Hervé et Olivier Bitz applaudissent.)
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique . - L'indemnité de résidence spécifique aux communes du bassin genevois bénéficie aux agents des communes classées en zone de forte tension, dite zone A, ainsi qu'à ceux des communes limitrophes appartenant à la même unité urbaine.
Une généralisation de cette indemnité à l'ensemble des grandes métropoles ou zones transfrontalières ne serait pas une réponse adaptée aux problèmes d'attractivité de certains employeurs. Elles appellent des réponses structurelles, prévues dans le projet de loi que le ministre Guerini présentera cet automne. Lui-même et M. Vergriete ont confié une mission au député David Amiel sur le logement des fonctionnaires, dont les conclusions seront connues d'ici au mois d'avril.
Enfin, une politique coordonnée des administrations a été mise en place pour améliorer l'accès des fonctionnaires aux dispositifs d'aide au logement et développer une offre foncière supplémentaire.
À titre personnel, venant d'un territoire également concerné, je partage vos préoccupations.
Industrie de verdissement de l'économie
M. Laurent Somon . - Le groupe français Metex, pionnier européen du développement de la bioéconomie, utilise des matières premières issues du végétal - de sucres, essentiellement - pour produire les mêmes ingrédients que la chimie avec une empreinte carbone réduite. Avec près de 300 millions d'euros de chiffre d'affaires et quelque 500 collaborateurs, il dispose de deux sites industriels, à Amiens en Picardie et à Carling en Moselle.
En 2022, sous l'effet de la grippe aviaire, de la crise porcine et de l'explosion des coûts de l'énergie, 80 % de son personnel a été placé au chômage partiel pendant trois mois. Aujourd'hui, le prix du sucre supérieur au prix de référence, les importations chinoises et les droits de douane prohibitifs pèsent sur la compétitivité du site amiénois.
Quelles mesures anti-dumping industriel et visant à faciliter un accès compétitif et soutenable à la ressource sucrière française le Gouvernement a-t-il prises ? Comment compte-t-il soutenir cet écosystème industriel vertueux ?
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État numérique, chargée du numérique . - Le Gouvernement suit depuis plusieurs mois la situation de Metex. L'usine d'Amiens est la seule unité de production d'acides aminés par fermentation industrielle et de lysine en Europe. C'est un fournisseur important de nos éleveurs et de notre industrie pharmaceutique, qui contribue à leur décarbonation.
Malheureusement, le processus d'adossement à un nouvel acteur industriel n'a pas abouti, et le groupe a sollicité l'ouverture de procédures collectives. De nouveaux partenaires à même de reprendre les sites et les salariés seront donc recherchés dans les prochains mois.
Des facteurs liés au prix d'achat plus élevé du sucre et à la concurrence très forte d'acteurs asiatiques menacent la viabilité du groupe. Mais les cabinets de MM. Le Maire et Lescure sont pleinement mobilisés, et plusieurs pistes sont en cours d'examen.
M. Laurent Somon. - La direction du groupe a demandé son placement en redressement judiciaire et le déclenchement d'une procédure de sauvegarde. L'usine d'Amiens a besoin de réponses rapides et d'un soutien sans faille !
Réintégration des travaux d'aménagement de terrains dans le FCTVA
Mme Laurence Garnier . - En 2022, la commune de Vieillevigne, 4 000 habitants dans le vignoble nantais, a investi dans un terrain de football synthétique. Les élus ont choisi des matériaux vertueux et une technologie économe en eau, pour 1 million d'euros. Après coup, les élus ont appris que cette dépense n'était plus éligible au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), pour d'obscures raisons.
Cette erreur a été corrigée par le PLF 2024, et ces dépenses sont de nouveau éligibles depuis le 1er janvier 2024. Cette très bonne mesure ne règle pas le problème des dépenses effectuées auparavant. Comment comptez-vous réparer cette erreur technique ? Envisagez-vous la rétroactivité, en particulier pour les terrains de sport n'ayant généré aucune recette depuis leur mise en service ?
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique . - Le FCTVA est passé d'un régime déclaratif à un régime automatisé, en application de la loi de finances pour 2021. L'éligibilité des dépenses est désormais effective lorsqu'elles sont imputées régulièrement sur un compte éligible figurant sur une liste fixée par arrêté interministériel. À la suite de la concertation menée pour l'Agenda territorial, le Gouvernement a réintégré les dépenses d'agencement et d'aménagement de terrains dans l'assiette d'éligibilité au FCTVA à compter du 1er janvier 2024.
Les droits au FCTVA sont déterminés au regard du cadre juridique applicable à date et ne peuvent faire l'objet d'un versement rétroactif. Certaines dépenses d'aménagement de terrains de sport ont toujours été éligibles, comme les équipements sportifs et le mobilier urbain imputés au compte 2188, des travaux d'éclairage ou des équipements d'arrosage imputés au compte 2158.
En réintégrant les dépenses d'aménagement de terrains dans l'assiette du FCTVA, le Gouvernement majore son soutien de 250 millions d'euros. L'extension rétroactive des dépenses coûterait 750 millions d'euros pour 2021, 2022 et 2023, alors que le montant du FCTVA attribué est resté à des niveaux élevés sur cette période.
L'extension d'assiette est une mesure tournée vers l'avenir, qui renforce le niveau de l'investissement public local futur.
Mme Laurence Garnier. - Je regrette profondément votre décision pour les communes ayant choisi d'investir avant 2024. J'évoquais des erreurs techniques, vous me répondez choix politiques, dont acte. Des communes sont sans solution, et elles n'ont jamais eu ce type d'informations.
Gestion économique et sociale de l'après-mines
M. Michaël Weber . - Deux milliards d'euros de crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » ont été annulés par le décret du 21 février 2024, dont la moitié pour le programme 174 « Énergie, climat et après-mines ». Avec quel impact sur la gestion économique et sociale de l'après-mines ? Le rapport pour avis de la commission des affaires économiques du Sénat sur le PLF 2024 soulignait déjà le caractère « peu protecteur » de ce budget. Ces crédits financent les dépenses sociales des anciens mineurs et des anciens agents des industries électriques et gazières, mais également la dépollution du site Carling de Saint-Avold en Moselle et les contentieux de Charbonnages de France.
De nombreux anciens mineurs souffrent de cancers. Le tribunal de Metz croule sous les affaires de reconnaissance de maladies professionnelles ou de « faute inexcusable de l'employeur ». En outre, le contentieux en cours relatif au déstockage du site Stocamine en Alsace risque d'accroître fortement les besoins de financement et de rendre insuffisant le calibrage de ces mesures budgétaires.
Cette annulation de crédits ne risque-t-elle pas de pénaliser davantage et irréversiblement la vie des anciens mineurs et d'avoir des conséquences négatives directes sur la transition écologique des territoires miniers du Grand Est ?
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique . - Le programme 174 s'articule autour de trois finalités : mettre en oeuvre la politique énergétique, accompagner la transition énergétique, et accompagner la transition économique sociale et environnementale des territoires touchés par des mutations industrielles. Il vise notamment à garantir aux anciens mineurs la préservation de leurs droits après l'arrêt de l'exploitation minière. En 2024, 90 % du programme 174, doté de 5 milliards d'euros, finance les trois principaux dispositifs d'aide versés aux ménages, à savoir la prime à la conversion des véhicules, le chèque énergie et MaPrimeRénov'. Le décret a annulé des crédits exclusivement sur MaPrimeRénov' et sur l'indemnité carburant. Il n'y a pas eu d'annulations sur l'après-mines et en particulier sur toutes les mesures sociales pour les anciens mineurs portées par l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs.
Modalités de la taxe additionnelle à certains droits d'enregistrement
Mme Françoise Gatel . - La taxe additionnelle aux droits d'enregistrement (TADE), perçue par les départements, est redistribuée aux communes nouvelles, encouragées par le Gouvernement afin de conserver une identité communale forte. L'État a prévu un pacte financier pour les sécuriser.
Or certaines communes nouvelles observent une baisse drastique et inattendue de leurs dotations, principalement en raison de leur nombre d'habitants et lorsqu'elles ne sont pas classées « station de tourisme ». Je suis favorable à la libre administration des collectivités territoriales, mais encourageons les départements à ne pas pénaliser injustement les communes nouvelles.
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique . - Le fonds départemental de péréquation de la TADE laisse au conseil départemental une assez grande liberté de répartition entre les communes de moins de 5 000 habitants. Cette liberté est toutefois encadrée. D'une part, le barème doit prévoir a minima trois critères : la population, les dépenses d'équipement brut et l'effort fiscal fournis par la collectivité bénéficiaire. D'autre part, la répartition doit respecter le caractère péréquateur du fonds, c'est-à-dire réduire les disparités de ressources et de charges entre les communes. Il paraît difficile de regretter cette liberté confiée aux élus et précisée par la loi. Les conseils départementaux peuvent mettre en place des garanties - limitées dans le temps et en volume - pour les communes qui perdraient trop, afin d'accompagner les fusions de communes.
Un effort important a été fait en loi de finances pour 2024 pour conserver et maintenir les dotations des communes nouvelles.
Mme Françoise Gatel. - Il faut sensibiliser les départements à la situation des communes nouvelles et les encourager à tenir compte du nombre de communes fondatrices. Ajoutez un quatrième critère !
Extension de l'indemnité de résidence
Mme Annick Jacquemet . - L'initiative du Gouvernement, qui a mis en place en septembre 2023 une indemnité de résidence couvrant initialement 61, puis 133 communes situées près de la frontière suisse, dans l'Ain et la Haute-Savoie, est à saluer. Fixée à 3 % du salaire hors prime des agents publics bénéficiaires, et représentant une prime moyenne de 840 euros bruts annuels, cette indemnité de résidence constitue à la fois un soutien financier et une reconnaissance.
Cependant, de nombreux agents publics travaillant dans d'autres territoires, pourtant confrontés à des problématiques identiques, comme la fuite des compétences vers la Suisse, pays aux salaires bien plus attractifs, ou encore la flambée des prix de l'immobilier et les difficultés d'accès au logement, ne peuvent prétendre à ce dispositif et vivent cela comme une injustice.
Pour quelles raisons le bénéfice de l'indemnité de résidence n'a-t-il pas été étendu à d'autres communes ? Le Gouvernement envisage-t-il d'élargir prochainement ce dispositif à d'autres territoires frontaliers, comme le Doubs ?
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique . - L'indemnité de résidence est calculée en fonction du lieu dans lequel les agents exercent leurs fonctions et du montant de leur rémunération, et est égale à un pourcentage de l'indice détenu par l'agent public - de 3 %, 1 % ou 0 %, selon le classement de la commune ou de l'intercommunalité. Ce classement fait l'objet de mises à jour. Le décret du 12 décembre 2023 a permis aux agents exerçant dans 133 communes frontalières de l'Ain et de la Haute-Savoie de bénéficier de l'indemnité de résidence à hauteur de 3 % de leur traitement indiciaire. Dans la fonction publique d'État, 46 % des agents, soit 870 000 agents bénéficient d'une indemnité de résidence : parmi eux, 55 % ont un taux à 3 % et 45 % ont un taux à 1 %. L'indemnité de résidence offre déjà un niveau de couverture important. Les demandes d'extension à d'autres communes doivent être examinées avec prudence, compte tenu de leur impact sur les finances publiques - le dispositif coûtait 590 millions d'euros en 2023.
Mme Annick Jacquemet. - J'insiste sur le sentiment d'injustice. Il est difficile de recruter des agents, notamment des professionnels de santé, dans le Doubs. Il faut des incitations pour les attirer.
Maison d'arrêt de Rouen
M. Didier Marie . - Le 16 février, j'ai visité, avec le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, et le député Gérard Leseul, la maison d'arrêt de Rouen. Construite en 1860, elle est dans une situation alarmante : infiltrations, moisissures, effondrements partiels... Une cinquantaine de détenus ont été transférés, et la section des mineurs fermée.
Pour des raisons de sécurité, la bibliothèque ou la salle de formation professionnelle ne sont plus accessibles, et la cuisine centrale est menacée d'une fermeture prochaine.
Le taux d'occupation atteint 120 %, alors que seuls 90 % des postes d'encadrement sont pourvus. D'où une tension permanente.
Pour rappel, la France a été condamnée pour violation des articles 3 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme...
Il y a urgence. Il ne s'agit plus de rénover au cas par cas mais de réhabiliter complètement le site. Que compte faire le Gouvernement ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - La prison est nécessaire, mais l'incarcération doit se faire dans des conditions dignes. Il en va de la bonne santé de notre démocratie mais aussi du quotidien de nos agents pénitentiaires, auxquels je rends hommage.
Depuis 2010, 6 millions d'euros de travaux de maintenance ont été engagés pour la maison d'arrêt de Rouen, mais certaines parties de la structure ont vieilli précipitamment, en raison d'infiltrations notamment. Sans attendre, nous avons attribué 3,5 millions d'euros en 2024 pour parer à l'urgence. Des mesures conservatoires garantissent la sécurité des détenus et des personnels. La population pénale a été réduite provisoirement, ce qui a permis d'intervenir en février sur les coursives.
Les budgets de rénovation atteignent 140 millions d'euros par an depuis cinq ans, le double de ce qui était alloué sous François Hollande.
M. Didier Marie. - Les moyens ne sont pas à la hauteur de la situation. Les travaux ne régleront pas le problème de fond. L'établissement a besoin d'une réhabilitation complète, sur site, et non d'une reconstruction, car il est idéalement situé.
Vacances de postes au tribunal judiciaire du Havre
Mme Agnès Canayer . - Il y a quelques mois, nous votions la loi d'orientation et de programmation pour la justice, avec notamment le renfort de 1 500 magistrats et 1 800 greffiers. Mais le tribunal judiciaire du Havre ne voit pas venir grand-chose : à la rentrée prochaine, il manquera quatre magistrats sur un effectif de vingt-huit, alors qu'il manque déjà quatre ETP en raison notamment des temps partiels. Le tribunal fonctionne avec des magistrats placés par la cour d'appel, mais ils doivent tourner sur plusieurs juridictions. Il manque 27 greffiers sur 113, avec des conditions de travail qui génèrent des arrêts maladie, qui ne font qu'amplifier ces difficultés. Quand les orientations votées seront-elles appliquées au tribunal judiciaire du Havre ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Au nom du garde des sceaux, je vous assure que les engagements pris seront tenus au Havre, comme dans toutes les juridictions. Pour la première fois depuis trente ans, le réarmement judiciaire est en cours : 700 magistrats et 850 greffiers supplémentaires ont été recrutés, ce qui a fait baisser le stock d'affaires de 30 %. Concernant le Havre, votre inquiétude est compréhensible ; les vacances seront dans la mesure du possible compensées cette année par l'arrivée d'auditeurs de justice et de lauréats du concours complémentaire. Depuis 2020, dix renforts y sont arrivés dans le cadre du plan Justice de proximité. Enfin, la Cour d'appel de Rouen bénéficiera également d'ici 2027 de 39 magistrats supplémentaires, 32 greffiers et 29 attachés de justice pour l'ensemble de son ressort. Le garde des sceaux vous indiquera bientôt le nombre précis de ceux qui seront affectés au Havre.
Mme Agnès Canayer. - La circonscription judiciaire du Havre comporte un port avec un contentieux lourd : les assistants de justice ne permettent pas de mener notre combat contre notamment le trafic de drogue mis en avant par des séries télévisées... De grâce, n'attendez pas !
Fermetures de classes dans le Cher
M. Rémy Pointereau . - Le 11 mars dernier, le directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) a acté une carte scolaire aboutissant à la fermeture de 31 classes dans le Cher. Je pourrais critiquer les méthodes du recteur et du Dasen, mais ils ne font qu'appliquer une logique comptable pure et dure, qui pèse lourdement sur nos maires, nos enseignants, les parents d'élèves et nos enfants, réduisant tout à des indicateurs qui ignorent les efforts de nos municipalités et de nos instituteurs.
Je sais que Mme Belloubet a reçu des parlementaires de la majorité pour en discuter et que des initiatives ont été prises à l'Assemblée nationale - avec peu de chances qu'elles soient inscrites à l'ordre du jour. Je demande donc l'annulation sans délai de ces fermetures de classe - demande des élus locaux, des enseignants, des parlementaires qui réclament du temps pour mieux s'organiser.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Je ferai part de votre demande à la ministre de l'Éducation nationale, qui est attentive à l'association des élus ; même si vous considérez que dans le Cher, « peut mieux faire » ? La carte scolaire a vocation à s'adapter à la réalité mouvante de nos territoires et résulte d'un travail continu, en lien étroit avec les forces vives du territoire pour que chaque élève dispose des meilleures conditions d'enseignement possible. Les instances de concertation doivent justement donner de la visibilité sur les perspectives à trois ans dans le premier degré ; le ministère fera un point en mai.
Des réponses adaptées aux territoires ruraux ont été élaborées, comme l'allocation progressive des moyens, qui tient compte de l'indice d'éloignement, ou les territoires éducatifs ruraux. Mais le Cher a perdu 2 683 élèves entre 2017 et 2023 ; son taux d'encadrement, 6,22 ETP pour 100 élèves, dépassera à la rentrée 2024 la moyenne nationale de 6 ; en 2023, le nombre moyen d'élèves par classe était de vingt.
M. Rémy Pointereau. - Les enfants ruraux sont déjà pénalisés par ailleurs. À la spirale négative - moins de services publics réduisant l'attractivité, ce qui réduit le nombre d'élèves - substituons une spirale vertueuse.
Scolarisation des enfants en milieu rural
M. Jean Hingray . - Je vous emmène à Aydoilles, commune au coeur des Vosges où il fait bon vivre, où il fait bon grandir. Monsieur le maire a différents projets : revitalisation de centre-bourg, création d'une zone pavillonnaire avec une quinzaine de maisons, accueil d'une gendarmerie, création d'une maison d'assistantes maternelles, rénovation énergétique et création d'une bibliothèque dans l'école. Les effectifs de celle-ci sont constants : 102 élèves l'année dernière, 100 cette année.
Et pourtant, une classe va fermer à la rentrée prochaine, alors que le Premier ministre, lorsqu'il était ministre de l'éducation nationale, avait promis plus de concertation avec les élus ruraux et une prise en compte des projets municipaux. Qu'en est-il des promesses qui ont été faites au Sénat concernant l'école rurale ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Les promesses doivent être tenues. Je retiens de votre question qu'il n'y a pas eu suffisamment de concertation pour cette fermeture de classe. Je me souviens aussi de la promesse du président de la République qu'il n'y aurait pas de fermeture d'école sans une concertation préalable.
Aydoilles est mobilisée pour redynamiser un environnement favorable aux familles. La ministre de l'éducation nationale est mobilisée sur la question de l'école rurale : nous devons un égal accès à l'enseignement à nos enfants. Je lui transmettrai en personne cette alerte complémentaire.
M. Jean Hingray. - Aydoilles n'est pas le seul cas dans mon département, qui compte 38 fermetures de classe. Mon ami le maire de Vaxoncourt - commune qui attend une évolution démographique favorable - est sans réponse des services de l'État sur une éventuelle ouverture de classe : nous sommes obligés d'intervenir, avec le député Viry, pour qu'il ait un rendez-vous. Même chose, avec Daniel Gremillet, pour l'école de Charmes, où il y a différents problèmes d'effectifs...
Règles du remplacement et de la formation et éducation à l'image
Mme Sylvie Robert . - Grâce à l'éducation à l'image, 2 millions d'élèves et d'apprentis découvrent chaque année le cinéma. Mais à la rentrée 2023-2024, deux effets de bord n'ont pas été anticipés : la formation continue des professeurs est désormais hors temps scolaire, ce qui réduit leur disponibilité ; les obligations concernant les remplacements de courtes durées des décrets des 8 et 9 août 2023 contraignent des enseignants à annuler des projections. Dans certains rectorats, le nombre d'élèves qui bénéficiaient de cette éducation a été divisé par deux.
Nous ne pouvons nous résoudre à ce que ce pilier de l'éducation artistique et culturelle (EAC) s'effondre encore plus l'année prochaine. Que prévoyez-vous pour concilier formation et présence des professeurs devant les classes et soutien à cette politique d'éducation à l'image ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - L'EAC permet de mieux appréhender le monde, de s'ouvrir à l'altérité, de développer sa sensibilité, sa créativité et l'esprit collectif. Notre objectif est que 100 % des élèves en bénéficient chaque année grâce à la part collective du pass Culture, pour plus de 62 millions d'euros supplémentaires. En 2022-2023, 55 % des élèves éligibles et 90 % des collèges et lycées en ont profité, et ce sera plus en 2023-2024. L'éducation au cinéma en est l'un des piliers.
Le remplacement de courte durée est un enjeu majeur de la lutte contre les inégalités scolaires ; la formation ne doit pas se faire au préjudice des élèves. Nous devons articuler ces deux objectifs. Nous travaillons donc à tenir compte des contraintes des partenaires culturels, qui ne peuvent pas toujours accueillir les formations le mercredi après-midi, le week-end ou pendant les vacances, et de faire en sorte que les chefs d'établissement puissent organiser au mieux les remplacements éventuels pour que le report des formations hors temps scolaire ne soit pas un élément de démotivation pour l'éducation culturelle.
Mme Sylvie Robert. - Cette décision a été prise sans concertation avec les collectivités locales, qui pourraient être tentées de se désengager. Il y a urgence pour l'année prochaine.
Carte scolaire
M. Rémi Cardon . - Le 14 mars dernier, dans la Somme, 47 classes ont été sacrifiées ; à Noyelles-sur-Mer, c'est l'école qui fermera. Si la mobilisation sans faille de tous a limité la casse, je ne peux que déplorer votre gestion comptable qui fait de l'école une variable d'ajustement au détriment de nos enfants. La Somme peine à réduire l'écart avec le reste du pays sur les résultats au brevet et au bac, le taux d'accession aux études supérieures et l'indice de position sociale (IPS) - indicateurs où elle est souvent dernière ou avant-dernière. Vous répondez par un écran de fumée en priorisant des sujets secondaires comme l'uniforme et le service national universel (SNU).
La baisse démographique devrait être une opportunité pour un territoire où le zonage de l'éducation prioritaire manque d'ambition. Comment remplir la promesse républicaine d'émancipation avec cette gestion comptable ? Réviserez-vous le zonage ? J'attends une date, une méthode, une volonté politique.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Le Gouvernement n'abandonne pas la Somme. Si nous devons adapter le service public de l'éducation à la réalité de la démographie, c'est bien pour assurer à tous les élèves les meilleures conditions d'enseignement. La carte scolaire résulte d'un travail minutieux et continu des services.
La Somme devrait perdre 722 élèves du premier degré en 2024, après 1 226 élèves en 2023. En huit ans, elle a perdu 7 300 élèves tandis que 28 postes d'enseignants ont été créés. Le taux d'encadrement est passé de 5,78 à plus de 6,61 en 2023 pour une moyenne nationale de 6. Il y a 19 élèves par classe en moyenne. Ajoutons le dédoublement des classes en éducation prioritaire et la limitation à 24 élèves en grande section, en CP et en CE1. Les moyens des collèges publics sont maintenus malgré la perte prévue de centaines de collégiens - sans parler du choc des savoirs, de l'école inclusive et de l'évolution de la voie professionnelle.
M. Rémi Cardon. - Ce n'est pas le choc des savoirs, mais le choc des chiffres ! On parle d'enfants, pas de chiffres !
Remboursement des soutiens-gorges compressifs post-cancer
Mme Patricia Demas . - Les soutiens-gorges compressifs - environ 100 euros pièce - ne sont pas remboursés par l'assurance maladie, contrairement aux ceintures de maintien abdominal prescrites après une opération bariatrique ou aux perruques pour les patients ayant subi une chimiothérapie ou atteints d'alopécie. C'est une injustice face à la maladie, une inégalité de traitement.
Or il s'agit d'un complément indispensable à la reconstruction mammaire à la suite d'un cancer du sein. Les fabricants connaissent la demande, mais ils ne soumettent pas de dossier à la Haute autorité de santé (HAS), car la procédure est longue, coûteuse et aléatoire.
Pour autant, inscrire ce dispositif sur la liste des produits et prestations remboursables est indispensable. Le Gouvernement l'envisage-t-il, par exemple dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ?
Au nom de toutes les femmes concernées, et particulièrement d'Axelle Bird, la jeune Maralpine qui m'a sensibilisée à cette cause, je vous remercie.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Votre question est touchante. Oui, face à la maladie, il faut un accompagnement spécifique.
Pour être pris en charge, un dispositif doit tout d'abord bénéficier d'un marquage CE, et une description générique du type de produit doit exister, s'il respecte des exigences décrites par arrêté. En l'absence de description générique, l'exploitant du dispositif peut faire une démarche auprès du ministère de la santé et de la HAS afin d'obtenir une inscription en nom de marque, qui conditionne la prise en charge par l'assurance maladie.
C'est désolant, mais aucun fabricant n'a formulé à ce jour une telle demande et il n'existe pas, actuellement, de ligne générique. Ces procédures, applicables à tous les dispositifs médicaux, sont essentielles pour préciser les caractéristiques minimales attendues.
Je profite de votre alerte pour inviter les industriels à se mobiliser, ou à se faire accompagner, pour demander une inscription. Ce serait une énorme avancée pour les femmes dans leur reconstruction.
Mme Patricia Demas. - J'invite le Gouvernement à agir dans le PLFSS, comme il l'a fait pour les prothèses capillaires. Je lance un message d'espoir !
Tarification sociale des cantines
M. Stéphane Sautarel . - Dans le cadre de la tarification sociale des cantines, l'État apporte aux communes rurales une aide de 3 euros par repas afin qu'elles mettent en place la cantine à 1 euro pour les familles modestes. C'est un gage de nutrition équilibrée, et une valorisation des circuits courts. En 2024, l'aide passe à 4 euros pour les communes dont les cantines respectent la loi Égalim.
Cependant, les communes qui ont signé une convention pluriannuelle avec l'État en 2021 s'interrogent sur sa reconduction à la rentrée 2024. Au vu de ses bénéfices, pouvez-vous préciser si et comment la convention sera reconductible ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - C'est un succès. En 2023, près de 2 500 communes ou groupements ont reçu une subvention de 3 euros par repas, plus de quinze millions de repas ont été servis grâce à la mobilisation des élus locaux, plus de 194 000 élèves en bénéficient.
Depuis janvier 2024, la subvention peut passer à 4 euros quand la collectivité s'engage à introduire 50 % de denrées locales et de qualité, dont 20 % de bio, pour promouvoir une agriculture française souveraine. Cette bonification peut être demandée dès maintenant par les communes actuelles, ou par de nouvelles communes.
L'Agence de services et de paiement (ASP) gère ce dispositif pour le compte de l'État : c'est avec elle que les communes passent la convention pluriannuelle. Je vous confirme que les collectivités qui en ont déjà une peuvent la renouveler à son échéance, sous réserve de continuer à respecter les critères d'éligibilité. En outre, il est possible de signer à tout moment un avenant pour bénéficier du bonus Égalim.
Comptez sur la mobilisation du Gouvernement, notamment de Catherine Vautrin, pour poursuivre dans cette voie.
M. Stéphane Sautarel. - Merci pour ces précisions attendues, car l'échéance approche.
Le plan France Ruralités prévoyait également une concertation plus large sur la question de la carte scolaire. Comme d'autres collègues, j'ai saisi les ministres successifs de l'Éducation nationale pour demander un moratoire sur les fermetures de classes en milieu rural et un véritable dialogue. Merci de transmettre cette demande à la ministre de l'Éducation nationale, nous attendons des réponses claires !
Droits des aidants
M. Pierre-Jean Verzelen . - Le sujet des proches aidants ne fait pas forcément la une, mais impacte la vie de beaucoup de familles. Ils sont 8,3 millions en France à aider un proche, à des degrés très variables - de l'enfant qui aide un parent quelques heures à ceux qui renoncent à toute vie professionnelle pour s'occuper d'un enfant handicapé. Les chiffres explosent, les situations sont toutes différentes. J'ai été, comme beaucoup, sollicité par des familles, des mères seules, démunies, découragées face aux difficultés logistiques, financières et administratives.
Quelles sont les avancées en cours sur la reconnaissance du statut d'aidant ? Ce statut n'existe pas dans les documents administratifs : c'est symbolique. Quid de la prise en charge ? De la capacité à assumer un emploi quelques heures par semaine, ce qui suppose des structures d'accueil de jour ? Des droits à la retraite ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Cela nous concerne tous, car chacun peut se retrouver un jour à accompagner un proche dépendant. Les aidants sont aujourd'hui plus de 9 millions - 20 millions en 2060.
Nous avons porté de nombreuses avancées ces dernières années, notamment avec la stratégie 2020-2022, première politique nationale interministérielle spécifiquement dédiée aux aidants. Je pense à l'allocation journalière du proche aidant (AJPA), indexée sur le Smic, à la refonte du congé de proche aidant (CPA), que nous avons élargi, aux solutions de répit ou encore à la validation des acquis de l'expérience.
La loi renforçant la protection des enfants malades a notamment protégé du licenciement les salariés en congé de présence parentale et supprimé l'accord explicite du service du contrôle médical pour renouveler l'allocation journalière de présence parentale.
Sur les droits à la retraite des aidants, nous avons créé, pour les proches des personnes en situation de handicap, l'assurance vieillesse des aidants (AVA), ouverte à un plus grand nombre de bénéficiaires.
Il nous faut poursuivre. C'est pourquoi nous avons lancé, en octobre, la stratégie 2023-2027, élaborée avec les principales associations d'aidants. Elle repose sur trois piliers : communiquer, repérer et informer ; renforcer l'offre et l'accès au répit ; soutenir les aidants tout au long de la vie.
Examens de biologie médicale délocalisée
Mme Élisabeth Doineau . - Les examens de biologie médicale délocalisée (EBMD) sont réalisés à proximité du patient, hors du laboratoire de biologie médicale, par du personnel extérieur au laboratoire. Cependant, le biologiste reste responsable de la validation a posteriori.
Lors de la crise covid, le recours aux EBMD a réduit en moyenne d'une heure le temps d'attente aux urgences pour des symptômes grippaux et limité la prescription inutile d'antibiotiques. En apportant des réponses immédiates et en évitant de multiplier les consultations, ils contribuent au désengorgement du système de santé.
Cette possibilité a été introduite à partir de 2014. La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) de 2020 en a assoupli les conditions, puis la LFSS 2023 l'a étendue aux établissements médico-sociaux et aux maisons de santé, sous la supervision des agences régionales de santé (ARS).
Nous attendons toujours les arrêtés de votre ministère pour que cette avancée soit effective.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - De nouvelles consultations sur la révision de l'arrêté auront lieu au troisième trimestre 2024. Je m'engage à ce que vous y soyez associée, madame la sénatrice.
La biologie délocalisée a été autorisée et encadrée par une ordonnance de 2010. Initialement, seule la délocalisation dans un établissement de santé ou dans des lieux déterminés par arrêté était autorisée, pour une décision thérapeutique urgente.
L'arrêté du 13 août 2014 a étendu cette possibilité à d'autres lieux, dont les véhicules de transport sanitaire ; la LFSS pour 2020 l'a étendue à d'autres circonstances que l'urgence. Enfin, la LFSS pour 2023 prévoit son extension aux établissements médico-sociaux et aux maisons de santé, et permet aux ARS de restreindre la biologie délocalisée aux seules structures éligibles au regard du contexte et des besoins territoriaux.
Une révision de l'arrêté de 2014, nécessaire pour pouvoir pratiquer les EBMD dans des centres de santé ou des Ehpad, a été soumise à la concertation des professionnels du secteur, qui ont manifesté leur opposition, malgré deux avis positifs de la commission nationale de biologie médicale. Cependant, des consultations vont s'ouvrir ; vous y serez associée.
Certificats de décès
M. Hervé Reynaud . - Certains élus ont des difficultés à certifier les causes naturelles du décès. Ainsi, Roland Bost, maire de Chenereilles, dans la Loire, alerté par la famille d'une octogénaire dont ils étaient sans nouvelles, l'a découverte décédée à son domicile, sans doute depuis plus de 24 heures. Il a mis plus de 5 heures pour trouver un médecin.
Cette situation difficile à vivre est une conséquence des déserts médicaux, a fortiori si le décès survient de nuit ou pendant les vacances. Les Ehpad sont aussi concernés. En cause, le manque de généralistes, car c'est au médecin traitant de constater le décès.
Le Gouvernement a proposé que les infirmiers libéraux volontaires, après une courte formation, puissent établir un certificat de décès. Compte-t-il étendre rapidement cette expérimentation ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Oui, elle sera étendue. En effet, l'accompagnement humain est d'autant plus difficile que l'on retrouve la personne décédée au bout de plusieurs jours et que les médecins ne peuvent établir un certificat dans un délai raisonnable.
Le législateur a élargi la liste des personnes habilitées à réaliser le certificat avec cette expérimentation, mise en oeuvre dans six régions. Elle fonctionne : 2 500 infirmiers se sont portés volontaires, 800 sont déjà formés. La loi du 27 décembre 2023 étend l'expérimentation à l'ensemble des régions ; le décret sera prochainement publié. Le dispositif sera évalué et fera l'objet d'un rapport au Parlement.
M. Hervé Reynaud. - Nous y serons attentifs. C'est un moyen de lutter contre la désertification médicale et de réconforter les élus.
Fraudes et prise en charge des produits auditifs
M. Christophe Chaillou . - Le 100 % santé a permis une meilleure prise en charge des dispositifs auditifs en supprimant le reste à charge sur les produits de première catégorie. Cependant, des praticiens du Loiret m'alertent sur la complexité et les incohérences du remboursement.
En effet, une personne souffrant d'une affection de longue durée qui perçoit la prestation de compensation du handicap (PCH) subit un reste à charge plus important.
En outre, la fraude - usurpation d'identité, faux actes - a coûté plusieurs dizaines de millions d'euros à la sécurité sociale rien qu'en 2023.
Quelles mesures le Gouvernement prendra-t-il pour assurer une meilleure prise en charge et mieux lutter contre la fraude ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - L'essentiel est d'abord d'accompagner l'appareillage. Le 100 % santé a diminué le renoncement, mais je partage vos préoccupations.
Les fraudes ciblent les plus vulnérables, avec par exemple une absence de suivi ou une facturation qui ne correspond pas à ce qui a été livré. L'assurance maladie a poursuivi son programme de contrôle et a détecté 20 millions d'euros de préjudice pour les centres d'audioprothèses en 2023. Les caisses primaires d'assurance maladie ont déposé 300 plaintes. L'assurance maladie travaille à l'accompagnement des victimes.
Il y a aussi un enjeu de qualité des soins, car ces appareils supposent un suivi et des réglages réguliers. C'est ainsi qu'on poursuivra l'objectif essentiel de l'accès aux droits.
M. Christophe Chaillou. - La vigilance s'impose. Nous serons attentifs aux éléments que vous mentionnez.
Avenir des infirmiers libéraux
M. Bernard Buis . - Le collectif des infirmiers libéraux appelle à une journée de mobilisation dans toute la France. Ils manifestent parfois depuis des semaines, notamment dans ma région d'Auvergne-Rhône-Alpes. Je les ai rencontrés : ils veulent une meilleure reconnaissance et de meilleures conditions de travail, qui évoluent vers une précarité inquiétante.
Alors que nous sortons de la pire crise inflationniste depuis les années 1970, les actes médicaux infirmiers remboursés n'ont pas été revalorisés depuis 2009 - quinze ans !
La revalorisation de 25 centimes de l'indemnité forfaitaire de déplacement (IFD), à 2,75 euros, est insuffisante. Compte tenu de l'inflation, les infirmiers libéraux travaillent sous le Smic, voire à perte. C'est intenable, alors qu'ils sont essentiels, particulièrement dans les zones rurales.
Pour préserver l'accès aux soins, le Gouvernement compte-t-il revaloriser la tarification des actes et les indemnités de déplacement ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Les infirmiers jouent en effet un rôle essentiel, notamment dans les écoles. La France en compte 630 000, dont 120 000 libéraux. Le bilan de soins infirmiers a été créé en 2020, avec une prise en charge forfaitaire pour les patients dépendants, ce qui représente 714 millions d'euros pour l'assurance maladie. Nous l'avons généralisé en octobre 2023.
L'IFD a été revalorisée de 10 % début 2024, à 2,75 euros, soit 2 000 euros de plus par an par infirmier. Le ministre de la santé a rencontré les trois syndicats représentatifs et leur communiquera prochainement un calendrier de travaux communs.
Il a également annoncé une mission de l'Igas sur la pénibilité de la profession, et nous avons lancé un chantier majeur sur son attractivité. Le décret d'actes de la profession n'a pas évolué depuis 2004.
Le métier d'infirmier est un métier d'avenir : le rénover est une ambition majeure du Gouvernement.
Pratiques de soins non conventionnelles
Mme Laurence Muller-Bronn . - La France a pris du retard dans l'encadrement des pratiques de soins intégratives, au détriment de l'intérêt des malades. Or 40 % de la population se tourne vers des pratiques non conventionnelles, et ce chiffre grimpe à 70 % pour les patients atteints de maladies chroniques, graves ou douloureuses. Nos voisins allemands et suisses, ainsi qu'une majorité des pays occidentaux développent avec succès la médecine intégrative, à l'hôpital ou en ambulatoire.
En France, on entretient la confusion entre bonnes et mauvaises pratiques. Ceux qui le peuvent se soignent à l'étranger. Selon une enquête, 80 % des Français souhaitent un meilleur encadrement des pratiques, 70 % étant conscients des dérives et pratiques abusives.
Le comité d'appui technique à l'encadrement de ces pratiques, lancé par le Gouvernement en juin 2023, est à l'arrêt. Quel est le calendrier ? La France s'inspirera-t-elle de ses voisins ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Nous connaissons votre engagement sur ces sujets. Les pratiques non conventionnelles sont un enjeu de santé publique, sur lequel nos voisins européens sont mobilisés. Il faut sécuriser l'accès à ces pratiques et diffuser des informations objectives.
À la suite des assises de la lutte contre les dérives sectaires, le ministre de la santé a installé le comité d'appui, qui s'est réuni trois fois. Il associe les ordres, des représentants du système de santé et des patients.
Des réflexions sur l'intégration de ces pratiques à la médecine conventionnelle pourront s'envisager dès lors qu'une information objective, scientifique, sera disponible.
Ce comité d'appui a permis de faire émerger un consensus, de travailler sur la sémantique à employer pour éviter toute confusion et de communiquer auprès du public et des professionnels sur les risques thérapeutiques.
Soyez assurée de notre mobilisation pour accompagner l'accès aux pratiques de soins, même non conventionnelles, dans l'intérêt des patients.
Mme Laurence Muller-Bronn. - Je me réjouis d'entendre que nous travaillons à ces alternatives. La prohibition n'est jamais la solution. Le problème est franco-français : chez nos voisins, les choses sont réglementées depuis longtemps. L'université de Strasbourg compte une chaire de médecine intégrative, contre treize en Allemagne. Plus nous attendons, plus nous mettons la santé des Français en danger.
Fermeture du centre de santé Edens
Mme Patricia Schillinger . - Depuis la liquidation du centre de santé Edens, à Mulhouse, 1 200 patients sont sans prise en charge médicale, dont une majorité d'enfants atteints de diabète de type 1. Les familles m'ont fait part de leur détresse. La santé de patients déjà vulnérables est en péril : certains sont en état d'acidocétose diabétique et doivent être hospitalisés d'urgence. Si l'agence régionale de santé a mis en place un numéro d'urgence, je constate sur le terrain l'absence de solution et les refus de prise en charge.
Le Haut-Rhin est proche de la Suisse et de l'Allemagne : l'urgence justifie que l'on y recherche une solution. La détresse des parents et le besoin de confiance justifieraient la mise en place d'un comité de suivi.
Par ailleurs, l'expérience du centre Edens montre l'urgence d'une prise charge innovante et pluridisciplinaire du diabète pédiatrique. Quelles mesures le Gouvernement prendra-t-il ? De nouvelles modalités d'organisation et de prise en charge sont-elles envisagées ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Je comprends le désarroi des familles, tout comme les difficultés des médecins. Le Gouvernement est mobilisé pour créer une filière de prise en charge à Mulhouse - le report sur d'autres villes doit rester temporaire.
Le centre de santé comportait effectivement deux pédiatres endocrinologues. Il accueillait 1 200 patients, dont 300 atteints de diabète de type 1. Il a été ouvert malgré des alertes sur son modèle économique, qui se sont révélées fondées.
Depuis la liquidation judiciaire qui a provoqué la fermeture du centre, plusieurs mesures locales ont été prises, dont le numéro d'appel et l'organisation de la restitution des dossiers médicaux. Grâce à vous, une réunion a eu lieu le 7 mars entre les anciens praticiens, le cabinet de Frédéric Valletoux et vous-même. Le ministre m'a dit être à votre disposition pour créer cette filière et accompagner les familles, que l'on ne peut laisser durablement dans le désarroi.
Installation obligatoire de détecteurs de fumée dans les lieux d'habitation
M. Pascal Martin . - La loi du 9 mars 2010 rendant les détecteurs de fumée obligatoires prévoit la remise d'un rapport au Parlement cinq ans plus tard. Or il ne nous a toujours pas été communiqué. La réponse du Gouvernement à ma question orale de mars 2021 à ce sujet était très évasive.
Toutefois, en juillet 2021, la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) a été chargée de la rédaction de ce rapport. Elle l'a déléguée au centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), qui lui a remis son travail en mars 2022. Depuis, pour des raisons inconnues, il n'a toujours pas été publié. Après plusieurs reports, sa publication est annoncée pour le premier trimestre 2024.
Les professionnels de la sécurité incendie et les associations l'attendent, afin de lancer de nouvelles actions de sensibilisation. En effet, les détecteurs de fumée sauvent des vies et limitent considérablement les dégâts matériels.
Une publication dans les meilleurs délais est d'autant plus opportune que la plupart des détecteurs, achetés entre 2013 et 2015, doivent être renouvelés.
Quand ce rapport sera-t-il publié ? Le Gouvernement soutiendra-t-il la prévention des accidents domestiques ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - Les détecteurs de fumée sont obligatoires dans les habitations, afin de réduire la mortalité liée aux incendies nocturnes.
La loi du 9 mars 2010 prévoit la remise d'un rapport d'évaluation, qui doit également rendre compte des actions de prévention menées auprès du public depuis sa promulgation. Depuis 2010, le Gouvernement s'est focalisé sur la sensibilisation.
Pour que ce rapport ait une réelle plus-value, il fallait des retours d'expérience sur une période significative, d'où le délai avant sa publication. Je vous annonce qu'il sera transmis au Parlement d'ici au 1er mai.
Soutien de l'État aux communes rurales touristiques
Mme Sylvie Valente Le Hir . - Les communes rurales touristiques possèdent souvent un joyau patrimonial qui attire de nombreux visiteurs. C'est le cas de Pierrefonds, dans l'Oise, qui compte 2 000 habitants et dont le château a été visité par 162 000 touristes l'an dernier.
Alors que ces communes servent de vitrine culturelle à notre pays et incarnent l'authenticité de nos terroirs, elles sont loin de profiter réellement de l'engouement touristique qu'elles suscitent. En effet, les retombées économiques reviennent principalement à d'autres : la taxe de séjour est captée par les offices de tourisme et les recettes des visites échoient au Centre des monuments nationaux (CMN).
Pourtant, ces communes doivent supporter les charges dues à la venue massive de touristes. Pierrefonds récolte trop peu les fruits de l'aubaine économique qu'est le tourisme. En outre, bien souvent, les communes rurales touristiques ne bénéficient pas du classement en commune touristique ou station de tourisme - sans parler des baisses de dotations.
Comment mieux répartir les gains économiques du tourisme ? Comment alléger les contraintes qu'il fait peser sur ces communes ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - Si les dépenses de fonctionnement des communes touristiques sont supérieures à celles des autres communes, il en est de même de leurs recettes.
Le montant de taxe de séjour perçu en 2022 par les communes touristiques s'élève à 4 500 euros pour 100 habitants contre moins de 500 euros pour les autres communes. Son produit total a progressé de plus de 57 % entre 2021 et 2022, s'élevant à 190 millions d'euros pour l'ensemble des communes, hors Paris.
Les communes incluses dans le zonage de la taxe annuelle sur les logements vacants peuvent aussi majorer la taxe d'habitation sur les résidences secondaires de 60 %.
Enfin, les communes touristiques peuvent solliciter le soutien de l'État, via la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou le fonds vert.
Ainsi, 1 138 projets de communes touristiques ont été financés par la DETR en 2022, pour un total de 63,8 millions d'euros, tandis que 617 projets l'ont été par la DSIL, pour un total de 110,5 millions d'euros. Pierrefonds a par exemple bénéficié, entre 2018 et 2022, de plus de 220 000 euros de subventions au titre de la DETR et de la DSIL.
Procédure de demande de subventions des collectivités territoriales
M. Jean-Baptiste Blanc . - De nombreuses collectivités territoriales, y compris Bédoin et Cabrières-d'Avignon dans le Vaucluse, sont confrontées à une incohérence procédurale significative dans la sollicitation de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL).
Selon le code général des collectivités territoriales (CGCT), la délégation de compétence du conseil municipal au maire entraîne un dessaisissement du conseil sur la matière concernée, ce qui rend toute délibération ultérieure illégale. Or, paradoxalement, les préfectures demandent une délibération du conseil municipal sur la demande de subvention. Cette contradiction entre la lettre de la loi et la pratique administrative instaure une incertitude préjudiciable. De plus, des demandes précédemment acceptées sans délibération du conseil municipal se voient maintenant exiger la présentation de la délibération. Ce changement de pratique affecte l'accès des collectivités aux financements nécessaires à leurs projets.
Le Gouvernement peut-il apporter un éclaircissement sur les règles à respecter ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - La demande de subvention doit être présentée par le maire ou le président de l'EPCI compétent et inclure la délibération du conseil municipal ou de l'organe délibérant de l'EPCI adoptant l'opération et arrêtant les modalités de financement. Qu'il y ait ou non délégation du conseil municipal au maire pour présenter la demande de subvention, celle-ci ne peut donc advenir que lorsque le conseil municipal s'est prononcé.
Il s'agit de s'assurer que le projet a bien été validé par le conseil municipal ou communautaire et que son plan de financement est bien prévu et approuvé par celui-ci. On s'assure ainsi de la viabilité des projets, afin d'éviter que des crédits votés par le Parlement soient attribués à des opérations qui ne verraient pas le jour.
M. Jean-Baptiste Blanc. - Les élus locaux ont besoin de pédagogie.
Accompagnement des communes perdant le classement ZRR
Mme Anne-Sophie Romagny . - La fusion des dispositifs de soutien aux territoires ruraux a entraîné une nouvelle cartographie. Près de 2 000 communes jusqu'à présent classées en zone de revitalisation rurale (ZRR) ne le seront plus à partir du 1er juillet. La ministre chargée des collectivités a confirmé que certaines d'entre elles seraient finalement classées « France Ruralités Revitalisation » (FRR). Les autres ne doivent pas rester sans solution.
Un amendement sénatorial au projet de loi de finances pour 2024 prolongeait les ZRR jusqu'au 31 décembre 2024. Nous jugions la réforme trop précipitée. Mais nous n'avons pas été suivis et le Gouvernement n'a malheureusement pas prévu d'accompagner les communes sortant de l'aire de revitalisation.
Je propose de prolonger le dispositif au-delà des trois prochains mois, de trouver des accompagnements forts pour ces communes et, plus localement, d'accorder à la Marne le même moratoire qu'à la Saône-et-Loire, afin de réexaminer la situation des communes sortantes.
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - La réforme a été reportée deux fois depuis 2020 et a été adoptée à l'unanimité du Sénat après un an de concertation.
Le Gouvernement porte une attention toute particulière aux communes sortantes. Il n'y aura pas de sortie sèche. Ces communes font déjà l'objet d'un accompagnement spécifique. Ainsi, toutes les mesures du plan France Ruralités seront activées en fonction des besoins de chaque territoire.
Le zonage FRR ne constitue qu'un des quatre axes de France Ruralités. Ainsi, les chefs de projet Villages d'Avenir, en plus de Petites Villes de demain, et les Volontaires territoriaux en administration (VTA) sont à la disposition des territoires. Les crédits d'ingénierie, en hausse considérable, seront également mobilisés en priorité sur ces territoires. D'autres zonages, à l'instar des Aides à finalité régionale, viennent également en aide aux entreprises. En outre, contre la désertification médicale, nous cherchons à mobiliser au mieux les dispositifs de droit commun.
Maintenir de façon artificielle les 2 400 communes sortantes, comme en 2015, ne ferait que fragiliser les 4 000 communes qui, elles, intègrent le zonage.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Il est important de soutenir les communes exclues des ZRR. Ne laissons pas mourir des projets qui étaient sur le point d'éclore.
Encadrement des coupes rases en forêt
M. Gilbert-Luc Devinaz . - Les coupes rases en forêt sont particulièrement controversées ces dernières semaines. Des associations alertent, plusieurs médias en ont parlé et des riverains ont bloqué des chantiers. Cette mobilisation suit la publication de l'expertise « coupes rases et renouvellement des peuplements forestiers » (CRREF), qui souligne leurs effets néfastes.
En France, le puits de carbone de la forêt a été divisé par deux en dix ans et 27 % des espèces forestières sont menacées ou quasi menacées, selon l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN). Il est donc prioritaire d'encadrer les coupes rases au profit de la sylviculture mélangée à couvert continu, qui allie les enjeux économiques et environnementaux.
Deux propositions de loi déposées à l'Assemblée nationale vont en ce sens. Le Président de la République a annoncé vouloir planter un milliard d'arbres d'ici 2032. Au-delà de la communication, il faut une véritable politique d'adaptation des forêts.
Le règlement européen sur la restauration de la nature a été adopté le 27 février. Comment comptez-vous l'appliquer ? Soutenez-vous les deux propositions de loi ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - Je tiens à rappeler la qualité de la gestion des forêts françaises, contrairement aux caricatures et à un débat qui se focalise trop sur les coupes rases.
La surface de forêt hexagonale a doublé depuis le milieu du XIXe siècle et le volume de bois sur pied a augmenté de plus de 50 % depuis les années 1980. Les indicateurs de bois mort et de diversité des essences recensés par l'IGN progressent depuis vingt ans.
Cependant, un réchauffement de 2,5°C à 3,5°C à horizon 2050 aura des effets majeurs sur les forêts françaises. Nous avons trois priorités : de nouveaux profils sylvicoles ; valoriser en usage matériaux les bois actuels avant que leur dégradation ne les condamne à un usage bois énergie ; amplifier la prévention des incendies. Elles figurent parmi les objectifs du prochain Plan national d'adaptation au changement climatique.
La transition forestière passera par une diversité de solutions, loin des idéologies.
Il reviendra au Parlement de se prononcer sur les propositions de loi.
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Ma question portait sur l'application du règlement européen du 27 février. Les conséquences du changement climatique sur la biodiversité appellent à l'action.
Conditions de travail des chauffeurs de VTC pendant les jeux Olympiques et Paralympiques
M. Pascal Savoldelli . - L'État a tout fait pour favoriser Uber, qui entretient l'illusion d'une vie de chef d'entreprise auprès de personnes en quête d'un emploi décent.
Devenus incontournables dans le paysage des transports parisiens, les VTC seront pourtant exclus des voies prioritaires pendant les jeux Olympiques et Paralympiques (JOP). Bref, en plus d'être sans droits ni protections, ces hommes et femmes seront relégués dans la grande couronne, où la demande sera très faible.
Vu la responsabilité des gouvernements successifs dans l'essor de ces emplois, il est impératif de garantir aux chauffeurs de VTC des conditions de travail décentes. C'est aussi le sens de la récente directive européenne sur les droits des travailleurs de plateformes.
Comment le Gouvernement compte-t-il éviter que les chauffeurs de VTC ne soient exclus des JOP ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - Deux dispositifs de circulation spécifiques seront mis en place pendant les JOP.
Les voies réservées visent d'abord à permettre aux personnes accréditées de relier les sites olympiques dans les délais définis par le Comité international olympique. La loi prévoit que les transports en commun et véhicules d'urgence pourront y accéder, ainsi que les taxis - sous réserve de fluidité du trafic -, mais pas les VTC. Les autres voies de l'axe routier resteront naturellement accessibles à tous les usagers.
Des zones de circulation restreinte ont été définies autour des sites, pour raisons de sécurité et après une large consultation. S'agissant de ces zones, les taxis et VTC auront les mêmes droits et interdictions.
Les chauffeurs de VTC ne seront ainsi ni pénalisés ni exclus pendant les JOP.
J'ajoute que l'accès à cette profession est réglementé, les candidats étant soumis à un examen largement commun à celui des taxis et les chauffeurs inscrits sur un registre. Grâce au dialogue social original instauré sous l'égide de l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emplois, une régulation sociale se met en place : règles de désactivation des comptes, tarif de course minimal... Le Gouvernement veillera à la pérennité et à l'équilibre de ce dialogue.
M. Pascal Savoldelli. - Face à la concurrence déloyale, de nombreux collectifs de taxis ont lancé des procédures judiciaires. Vous n'avez jamais rien fait contre les injustices dont pâtissent tous les acteurs. Finalisez l'application de la directive européenne ! Il faut établir au plus vite des normes et protections pour les travailleurs de plateformes : c'est une question de dignité pour ces femmes et ces hommes.
Compétence eau et assainissement
Mme Viviane Artigalas . - La loi du 27 décembre 2019 permet aux communautés de communes de déléguer par convention tout ou partie des compétences eau, assainissement et gestion des eaux pluviales à une commune ou un syndicat infracommunautaire existant. Dans ce cadre, certaines communes assurent la production et la fourniture d'eau potable pour plusieurs autres. Je pense à Villelongue, dans les Hautes-Pyrénées ; cette situation locale donne entière satisfaction.
La perspective du transfert obligatoire des compétences eau et assainissement aux EPCI au 1er janvier 2026 inquiète les élus concernés. Confirmez-vous que les modalités actuelles de gestion par convention pourront perdurer ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - L'accès à l'eau potable est un enjeu fondamental. L'échelon communautaire a été choisi par le législateur pour remédier aux difficultés liées à l'émiettement des services, moderniser les réseaux de distribution et en améliorer la résilience.
D'où le transfert obligatoire de la compétence eau, prévu au 1er janvier 2026 : les communautés de communes se substitueront de plein droit aux communes pour son exercice. Toutefois, en application de l'article L.5214-16 du code général des collectivités territoriales, la communauté de communes pourra déléguer par convention tout ou partie de cette compétence à une commune, qui agira en son nom et pour son compte.
Mme Viviane Artigalas. - Votre réponse me convient. Les services liés à l'eau répondent à une logique géographique de bassin versant, parfois éloignée des frontières administratives, surtout en montagne. Les règles doivent s'adapter aux besoins des territoires : dans certains cas, la commune est l'échelon pertinent pour l'exercice de cette compétence et doit pouvoir l'assumer entièrement.
Lignes aériennes d'aménagement du territoire
M. Claude Nougein . - Les aéroports régionaux et les lignes d'aménagement du territoire traversent une zone de turbulences.
Des obligations de service public (OSP) sont mises en place depuis 2002 pour assurer la desserte de lignes en dehors des conditions normales du marché. Rappelons que les territoires concernés sont desservis de manière catastrophique par le rail : alors que le Capitole reliait Brive à Paris en 3 heures 45 en 1970, un Intercités met aujourd'hui 4 heures 30 - quand il n'y a pas de retard... Quarante-cinq minutes perdues en cinquante ans !
De nombreuses lignes étaient historiquement opérées par Air France, puis sa filiale Hop ! Pendant et après la crise sanitaire, l'État a massivement aidé le groupe Air France - KLM, à hauteur de 7 milliards d'euros. En guise de remerciements envers la Nation, Air France a abandonné tous les territoires ruraux, ne se portant même pas candidate au renouvellement des OSP - je pense à Brive, mais aussi Rodez, Aurillac, Limoges, Le Puy ou Castres.
Y a-t-il une volonté d'abandonner complètement ces territoires ? L'État, actionnaire d'Air France à 30 %, a-t-il piloté la décision d'Air France ? Allez-vous lui demander de reprendre ses lignes d'aménagement du territoire, directement ou en affrètement ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - Le Gouvernement est attentif à la connectivité des territoires les plus enclavés.
Depuis la crise sanitaire, le trafic aérien métropolitain connaît des évolutions structurelles. En particulier, une baisse très sensible du trafic d'affaires est observée : le nombre d'allers-retours à la journée a baissé de 60 %. Le trafic intérieur n'est revenu qu'à 75 % de son niveau d'avant-crise.
Sur les lignes d'aménagement du territoire, la baisse de trafic et l'augmentation des coûts ont entraîné une augmentation des compensations demandées aux collectivités et à l'État. Certaines collectivités ont choisi de supprimer la délégation de service public, d'autres de réduire le service.
Le groupe Air France a tenu son engagement de ne pas dénoncer les délégations en cours, mais la nécessité de mettre fin aux pertes sur le réseau intérieur explique son désengagement progressif. L'État demeure aux côtés des collectivités qui renouvellent et financent les contrats de délégation - 22 millions d'euros ont été consacrés à ce soutien en 2023, dont plus de la moitié pour les liaisons d'aménagement du territoire en métropole. Il leur apporte aussi son appui technique pour l'établissement d'OSP adaptées à leur situation.
Avancement du couvre-feu à l'aéroport Orly
M. Christian Cambon . - Nous restons dans le domaine aéronautique : mon intervention porte, une fois de plus, sur les nuisances sonores de l'aéroport d'Orly, préjudiciables à la santé des riverains.
En 1968, un couvre-feu a été établi entre 23 heures 30 et 6 heures. En outre, depuis 1994, le trafic est plafonné. Mais, du fait de l'extension de l'aéroport, ce sont désormais plus de 740 000 riverains qui subissent l'augmentation du trafic.
Les règles européennes nous imposent de réduire l'exposition au bruit d'au moins six décibels. Un seul scénario acceptable : avancer le couvre-feu à 23 heures. Tous les élus du Val-de-Marne demandent son application, pour assurer la conformité du plan de prévention du bruit dans l'environnement (PPBE) de l'aéroport à celui de la Métropole du Grand Paris, voté à l'unanimité des communes.
Le Gouvernement va-t-il prendre cette mesure, pour que les riverains puissent enfin dormir sept heures consécutives ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - Le trafic à Orly est déjà soumis à des restrictions parmi les plus contraignantes d'Europe - couvre-feu et plafonnement à 250 000 créneaux annuels. Une surveillance stricte est assurée par les autorités de l'aviation civile.
Le PPBE de 2022 prévoit une étude d'impact réalisée selon une approche équilibrée, une réduction du bruit entre 22 heures et 6 heures de six décibels au moins et une division par deux de l'indicateur de forte perturbation du sommeil sur le même créneau. L'étude a mis en évidence un biais dans l'indicateur acoustique retenu : ce constat a été exposé aux parties prenantes en octobre dernier. Plusieurs scénarios de restrictions ont été soigneusement étudiés. Chacun comporte des mesures ambitieuses, d'un niveau inédit en Europe.
Les ministres de la transition écologique et des transports tireront prochainement les conclusions de ces travaux afin de préserver l'équilibre entre intérêts économiques des territoires et protection des populations. L'engagement du Gouvernement est constant pour maîtriser les nuisances sonores du transport aérien.
M. Christian Cambon. - Comme ministre du logement, nul doute que vous êtes soucieux du sommeil des riverains, compromis par le non-respect du couvre-feu, notamment par les compagnies low cost. Je compte sur votre engagement personnel, car les populations sont à bout.
Seuil de délégation au maire pour les admissions en non-valeur
Mme Pauline Martin . - Grâce au travail de mes collèges, la loi dite 3DS a étendu les délégations que le conseil municipal peut consentir au maire. Ainsi, les décisions d'admission en non-valeur peuvent désormais être déléguées à l'exécutif local, jusqu'à un seuil déterminé par le pouvoir réglementaire.
Le décret du 29 juin dernier a fixé ce seuil à 100 euros, ce qui paraît bien trop faible. Résultat : les conseils municipaux sont régulièrement tenus de prendre des décisions consensuelles, mais chronophages. Dans le cadre de la démarche annoncée de simplification de l'action publique locale, allez-vous permettre aux conseils municipaux de fixer eux-mêmes ce seuil ? Ce serait reconnaître la libre administration de nos collectivités par des hommes et des femmes qui ne ménagent pas leur peine.
D'autre part, comme je vous ai sous la main, monsieur le ministre du logement, je vous engage à solliciter les sénateurs de la majorité sur votre prochain projet de loi... Ils ont toujours de bonnes idées ! (M. Guillaume Kasbarian sourit.)
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - Pour fluidifier l'admission en non-valeur des créances irrécouvrables de faible montant, la loi 3DS permet aux assemblées délibérantes des communes, départements et régions de déléguer cette décision à leur exécutif. La fixation d'un seuil vise à garantir la sincérité comptable et la maîtrise par les assemblées des impacts budgétaires.
Le seuil a été fixé conjointement avec les associations d'élus, afin de garantir un équilibre satisfaisant pour les acteurs de la chaîne de recettes : 100 euros pour les communes et les départements, 200 euros pour les régions. Dans le cas des communes, 78 % des dossiers peuvent ainsi faire l'objet d'une délégation au maire. Un bilan de la mesure sera établi, et, si nécessaire, le seuil sera adapté.
S'agissant du projet de loi relatif au logement qui sera présenté en conseil des ministres à la mi-mai et examiné au Sénat à la mi-juin, je travaille activement avec les associations de collectivités et tous les acteurs du logement. J'ai reçu la semaine dernière Mmes Estrosi Sassone et Primas. Je continuerai d'assurer un haut niveau d'interactions pour préparer au mieux ce texte dans des délais très contraints.
Mme Pauline Martin. - Message reçu !
Bardage bois et rénovation de façades
M. Cyril Pellevat . - Un décret et un arrêté de 2019 interdisent les bardages bois à l'occasion de la rénovation des façades de certains immeubles. Nos stations de sports d'hiver sont particulièrement concernées ! Cette réglementation, contraire à notre identité architecturale de montagne, est défavorable à la filière bois française. En Haute-Savoie, la commune de Morzine est particulièrement inquiète pour son patrimoine, tout comme La Clusaz, Châtel ou Les Gets.
Envisagez-vous un moratoire ou a minima des dérogations à cette réglementation afin de préserver l'architecture de montagne ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - Le président du département et le maire de Morzine-Avoriaz nous ont alertés. Le Gouvernement est attaché à la préservation du patrimoine architectural de nos territoires.
À la suite de l'incendie de la tour Grenfell au Royaume-Uni, la réglementation incendie a été mise à jour en 2019, avec des exigences croissantes en fonction de la hauteur du bâtiment. Plus récemment, rappelez-vous l'incendie mortel dans un immeuble de Valence.
Les matériaux utilisés en façade peuvent contribuer à la propagation rapide d'un feu aux étages supérieurs ou aux bâtiments avoisinants. La sécurité des occupants étant notre priorité, nous n'envisageons pas de dérogation.
Mais la réglementation autorise des solutions innovantes, validées par un laboratoire agréé. J'invite donc les communes à se rapprocher du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) pour trouver des solutions en bardage bois respectueuses à la fois de la réglementation incendie et de la cohérence architecturale de nos stations.
M. Cyril Pellevat. - Nous sommes également attachés à la sécurité des personnes et restons à votre disposition pour envisager des solutions innovantes alliant sécurité et cohérence architecturale, en particulier à Avoriaz.
Autoconsommation collective étendue
M. Damien Michallet . - Le point de soutirage et le point d'injection d'un projet d'autoconsommation collective étendue ne peuvent être éloignés de plus de deux kilomètres. Une dérogation jusqu'à vingt kilomètres était possible au regard de l'isolement ou du caractère dispersé de l'habitat, mais, depuis l'arrêté du 19 septembre 2023, ce n'est plus le cas : le projet doit être situé sur une commune rurale au sens de l'Insee. On régresse...
Avant la nouvelle réglementation, le service départemental d'incendie et de secours (Sdis) de l'Isère aurait pu obtenir dix dérogations pour son projet ; après, seulement quatre. C'est le projet de tout un territoire qui est ainsi compromis.
Le Sdis de l'Isère, ce sont 85 000 interventions annuelles, 112 casernes, 5 300 agents et 6 000 mégawattheures de consommation énergétique annuelle, qui aurait pu diminuer de 20 % grâce à ces dérogations - autant d'argent qui ne pourra être investi dans des matériels d'intervention pour sauver des vies. Ne faites pas des économies sur le dos de nos sapeurs-pompiers et laissez nos territoires entreprendre ! Allez-vous modifier cet arrêté ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - Oui, la distance maximale est de deux kilomètres, avec des dérogations possibles jusqu'à dix kilomètres en zone périurbaine et vingt en zone rurale. La nouvelle réglementation a conforté la base légale de ces dérogations. Le Gouvernement facilite le développement de l'autoconsommation.
Les dérogations demandées par le Sdis de l'Isère n'auraient pas pu être obtenues auparavant : il est inexact d'affirmer que l'arrêté de 2023 aurait fait échouer ce projet. Ces règles visent à mieux protéger les consommateurs d'électricité.
Loi d'orientation des mobilités
Mme Cécile Cukierman . - Avec cette 42e question, je me fais la porte-parole des communes de la Loire confrontées à la difficile application de la loi d'orientation des mobilités (LOM) en matière d'aménagement des itinéraires cyclables.
Dans ce département majoritairement rural, la largeur de la voirie n'est pas toujours suffisante et l'aménagement des accotements enherbés conduirait à imperméabiliser des sols, à rebours des objectifs de la loi Climat et résilience.
Quelles autres formes d'aménagements cyclables le Gouvernement entend-il promouvoir ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - En vertu du code de l'environnement, des aménagements cyclables doivent être réalisés en ville à l'occasion des travaux de voirie. La LOM a ouvert l'éventail des aménagements possibles : bandes cyclables, voies vertes, zones de rencontre... La plupart du temps, en agglomération, ces aménagements sont réalisés sans extension de l'emprise de la chaussée.
Les collectivités territoriales ont à leur disposition les guides réalisés par l'État et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Avec le plan Vélo et marche 2023-2027, le Gouvernement souhaite rendre le vélo possible partout en France.
Mme Cécile Cukierman. - Vous ne répondez pas aux difficultés rencontrées sur le terrain.
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. - J'en parlerai au ministre des transports.
Centres sociaux bretons
M. Jean-Luc Fichet . - J'ai récemment reçu, à ma permanence, des présidents de centres sociaux. Employeurs bénévoles, ils m'ont alerté sur leur situation financière catastrophique. La dernière convention d'objectifs et de gestion (COG) de la CAF est un progrès, mais les collectivités territoriales sont encore régulièrement sollicitées pour mettre la main à la poche. Dirigeants et salariés sont inquiets. Que comptez-vous faire pour permettre aux centres sociaux de remplir sereinement leurs missions auprès des plus précaires ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - Le Gouvernement est fortement mobilisé pour développer ces structures d'animation de la vie sociale, qui favorisent la cohésion sociale et l'accès aux droits.
La nouvelle COG de la branche famille pour 2023-2027 s'appuie notamment sur les besoins exprimés par les représentants de ces structures partenaires. C'est ainsi que la création de 611 nouvelles structures, dont 150 centres sociaux, sera financièrement soutenue pour assurer un rééquilibrage territorial. Quelque 50 centres sociaux seront également créés outre-mer.
En outre, une revalorisation des prestations et des animations est prévue, afin de soutenir les salaires des professionnels de ces structures. Par rapport à la précédente COG, 80 millions d'euros supplémentaires sont prévus pour les centres sociaux.
Le Gouvernement a conscience des difficultés de certains centres sociaux, confrontés à l'inflation et à la croissance de la demande sociale. Le ministre évoquera prochainement cette question avec les représentants du bloc communal. Un nouveau soutien d'urgence à destination des centres les plus fragilisés est à l'étude.
M. Jean-Luc Fichet. - Il est bon de créer de nouveaux centres, mais il faut une vraie stratégie de financement de ceux qui existent, au-delà des aides ponctuelles.
La séance est suspendue à 12 h 40.
Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente
La séance reprend à 14 h 30.
Mise au point au sujet d'un vote
M. Jean-Claude Anglars. - Lors du scrutin public n°123, M. Henri Leroy souhaitait voter contre.
Acte en est donné.
Retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles, présentée par M. Philippe Mouiller et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
M. Philippe Mouiller, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.) La colère du monde agricole n'est pas éteinte. Ses causes sont multiples, dont un niveau de pensions bien plus bas que les autres travailleurs, sans rapport avec le travail fourni. Le présent texte ne réglera pas tout, mais réduira cette injustice.
Il y a un an, nous avions adopté sans une voix dissonante la proposition de loi Dive fixant le calcul sur la base des 25 meilleures années, comme l'immense majorité des travailleurs du secteur privé, et comme c'est logique pour une profession soumise aux aléas.
Si vertueuse qu'elle fût, cette loi manquait de précision en confiant au Gouvernement toute autorité pour en définir les modalités pratiques.
Ce risque avait été bien identifié par la commission des affaires sociales et par notre rapporteur Pascale Gruny. Mais, ne voulant pas prolonger la navette, nous avions fait le pari de la confiance au Gouvernement - hélas, il est en passe d'être perdu.
La loi prévoyait que le rapport de préfiguration soit remis sous un délai de trois mois. Un an plus tard, après plusieurs interpellations, nous avons appris avec étonnement - un euphémisme - que la presse avait pu le consulter. Nous avons dû menacer d'utiliser nos pouvoirs de contrôle et de nous rendre à Matignon ; comme par hasard, nous l'avons reçu l'après-midi...
Monsieur le ministre, un tel comportement est inacceptable : la représentation nationale doit avoir connaissance des rapports.
M. Jacques Grosperrin. - Vous avez raison !
M. Philippe Mouiller. - Mais le pire était à venir : une véritable usine à gaz technocratique, mêlant deux modes de calcul pour avant et après 2016, incompréhensible pour les assurés, générant un tiers de perdants, une moitié d'assurés pour lesquels cela ne change rien et un cinquième seulement de gagnants.
Le jeu en valait-il la chandelle ? Nous pourrions en rire si cela n'était pas une provocation pour le monde agricole...
À l'inverse, le scénario d'un système par points reposant sur les 25 meilleures années, qui avait les faveurs des rapporteurs du Sénat et de l'Assemblée nationale, ne fait l'objet que de deux pages sur 300 : il n'a pas fait l'objet d'un examen approfondi à la demande du Gouvernement !
Ce voile pudique est d'autant plus étonnant que l'inspection générale des affaires sociales (Igas) avait présenté cette solution comme la seule susceptible de ne pas faire de perdants.
Le Parlement devait réagir : dès le lendemain de la publication du rapport, j'ai déposé, avec Pascale Gruny, cette proposition de loi.
Le scénario privilégié par le Gouvernement prévoit de passer à un régime en annuités et de supprimer un barème redistributif de points de retraite - ce qui cause l'essentiel des pertes. Pour éviter ce travers, nous prévoyons un calcul sur la base des 25 meilleures années tout en conservant un système par points, avec le ferme soutien de la Mutualité sociale agricole (MSA) et de la profession.
Le coût de cette réforme serait bien inférieur aux prévisions de l'Igas : 300 millions d'ici à vingt ans, loin des 500 millions projetés. Au reste, les seuls assurés qui n'y gagneraient pas n'y perdraient pas non plus - ce sont les bénéficiaires de minima. Pour les autres, le complément pourrait aller jusqu'à 190 euros par mois.
Ses opposants pourront bien invoquer des arguties techniques pour le prétendre inapplicable, mais ce mode de calcul est celui que préconisait l'Igas dès 2012 ! Aux dires de la MSA, c'est le seul à être applicable dès 2026. Depuis plusieurs semaines, il se dit en effet que la réforme n'entrerait pas en vigueur avant 2028 ; il est vrai que les scénarios du Gouvernement sont si complexes...
La proposition de loi Dive prévoyait une entrée en vigueur en 2024 ; nous avons accepté un report en 2026 l'an dernier, mais nous n'accepterons pas un nouveau report, encore moins un enterrement !
La loi est l'expression de la volonté générale, ce n'est pas une recommandation : elle oblige le Gouvernement. Avec cette proposition de loi, nous vous aidons, monsieur le ministre, à tenir vos engagements. Vous devriez remercier le Sénat !
Nous représentons les territoires de France. Nous connaissons les efforts de celles et ceux qui nous nourrissent. Le respect des engagements politiques est essentiel, à l'heure où les mécontentements sont toujours présents dans les campagnes. Nous devons tenir ce que nous avons promis tous ensemble l'année dernière. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
Mme Pascale Gruny, rapporteur de la commission des affaires sociales . - La sagesse populaire ne nous interdit-elle pas de mordre la main qui nous nourrit ? Le changement climatique aura des conséquences néfastes sur les récoltes. Comment rester impassible face au naufrage de l'agriculture française ? Il faut agir !
Voilà un an, nous adoptions la proposition de loi du député Dive visant à calculer avant 2024 les retraites des non-salariés agricoles sur la base de leurs 25 meilleures années, le système actuel par points étant à leur désavantage.
Hélas, un an plus tard, que de désillusions ! La loi autorisait le Gouvernement à fixer les modalités par ordonnance sans fixer de délai ; je m'en étais inquiétée, mais nous avions choisi la confiance, dans le sens du scénario identifié par Yann-Gaël Amghar.
Nous voulions fonder le calcul des pensions sur les 25 meilleures années sans faire perdre le bénéfice d'un barème particulièrement redistributif : pour chaque année cotisée, les assurés auraient acquis le nombre moyen de points calculés sur leurs 25 meilleures années.
Le Sénat et l'Assemblée nationale avaient clairement exprimé leur souhait que ce scénario soit retenu. Quelle surprise à la lecture du rapport remis - si l'on peut dire - au Parlement ! Je ne l'ai reçu qu'après avoir informé le Premier ministre que j'étais prête à venir le chercher moi-même à Matignon - et pas avant la presse, érigée en troisième chambre du Parlement...
Les scénarios prévus par le rapport ont trois caractéristiques en commun : une montée en charge très longue, une extraordinaire complexité technique et une forte iniquité. Celui qui aurait vos faveurs consiste à calculer, pour la partie de la carrière antérieure à 2016, une fraction de la pension dans le cadre de l'actuel système par points, puis pour la partie de la carrière postérieure à 2015, une seconde fraction selon les paramètres des régimes par annuités, en ne retenant pour cette dernière partie qu'un nombre de meilleures années calculées au prorata de la durée de la seconde partie de la carrière par rapport à celle de l'ensemble de la carrière... Je crois que je vous ai perdus, chers collègues !
Au cours des auditions, le Gouvernement a dit vouloir limiter le nombre de perdants. Mais vous aurez beau faire : ce scénario fera toujours des perdants, surtout les plus fragiles. Cela n'est pas acceptable.
C'est pourquoi nous vous proposons d'abroger l'habilitation accordée au Gouvernement par la loi Dive et d'inscrire nous-mêmes dans la loi les paramètres les plus justes et les plus simples - ce qui n'est pas du luxe - à savoir le calcul des pensions liquidées à compter du 1er janvier 2026 sur la base des 25 meilleures années de points.
La proposition de loi prévoyait également la fusion de la part forfaitaire et de la part proportionnelle des retraites de la MSA. Cette volonté de simplification était louable, mais celle-ci n'est pas en mesure d'en évaluer les conséquences : la commission a donc supprimé ces dispositions. Moins nous modifierons les paramètres, plus nous simplifierons la tâche de la MSA.
Je le répète : la réforme que nous proposons est la seule conforme à l'esprit de la loi de l'an dernier. Elle est la seule à ne pouvoir faire que des gagnants, ou, au pire, des non-gagnants. Elle est la seule à pouvoir être intégrée à temps dans le système d'information de la MSA, pour être appliquée en 2026.
J'ai interrogé la direction de la sécurité sociale : c'est le flou total. La loi votée par le Parlement prévoit une réforme des retraites agricoles au 1er janvier 2026 : nous nous y cantonnerons.
J'en viens au nerf de la guerre : les moyens financiers. Je remercie la MSA pour les informations transmises. En raison de l'élargissement de l'assiette et des minima, le coût prévu par Yann-Gaël Amghar était surestimé : en fait, il serait entre 285 et 322 millions d'euros. La branche vieillesse des MSA devrait afficher 900 millions d'euros d'excédent en 2027 ; de quoi faire face à cette charge nouvelle avec confiance.
Je vous invite à manifester votre soutien unanime à la paysannerie française, à nos agriculteurs et à leurs familles. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Dans la crise agricole en cours, le sujet du revenu, notamment après la fin de la carrière, est important : après des années de travail, les agriculteurs doivent pouvoir vivre dignement de leur pension. Continuer à les faire progresser est un engagement du Parlement, soutenu par le Gouvernement.
Nous ne partons pas d'une page blanche, grâce à vos travaux. Depuis 2017, les gouvernements successifs et les parlementaires se sont engagés en faveur d'une revalorisation des pensions, notamment les plus petites d'entre elles. Deux lois proposées par le président André Chassaigne, votées à l'unanimité, ont permis d'avancer sur le sujet. N'oublions pas les points positifs, comme la revalorisation de 75 à 85 % de la pension minimale pour les chefs d'exploitation et un calcul plus équitable de la pension minimale pour les conjoints, qui a bénéficié à 200 000 retraités, dont 70 % de femmes.
Ces deux lois ont revalorisé les pensions de plus de 330 000 agriculteurs, soit un tiers des assurés des régimes, avec un gain de 100 euros en moyenne.
Tout le chemin a-t-il été parcouru ? Non. C'est pourquoi nous sommes réunis aujourd'hui. Je salue le travail du président Mouiller.
Le régime de retraite agricole est particulièrement complexe.
Mme Pascale Gruny. - Très complexe !
M. Marc Fesneau, ministre. - Une chatte n'y retrouverait pas ses petits. Cela nuit à la lisibilité du système ; or les jeunes susceptibles de s'installer ont besoin de visibilité.
Nous sommes d'accord pour calculer sur la base des 25 meilleures années, mais cela soulève des questions, que j'ai déjà partagées publiquement. Comment concilier un calcul fondé sur les 25 meilleures années et un système conçu pour assurer une redistribution ? Comment passer d'un régime par points à un système par annuités ? Comment faire entrer en vigueur dès 2026 une réforme qui nécessite des adaptations préalables ? La MSA a indiqué qu'elle ne pouvait pas reconstituer les cotisations avant 2016.
Je sais que le délai de remise de ce rapport a suscité de nombreuses critiques. Je les prends volontiers ; je reconnais l'écueil. Cela dit, le Gouvernement avait publiquement indiqué à l'époque que le délai de trois mois lui semblait court, compte tenu de la complexité du sujet.
Cette réforme est non pas un ajustement, mais une réforme profonde.
Le rapport présente plusieurs scénarios. II a été décidé de partir sur les 25 meilleures années de revenus, ce que demande la profession. Nous essayons d'honorer ce souhait.
Cette proposition de loi prévoit de sélectionner les 25 meilleures années de points. Ce n'est pas cohérent avec un système par points acquis tout au long de la carrière : les points auraient des valeurs différentes selon les situations. Cela écarterait le régime des agriculteurs d'une convergence avec celui des salariés et des indépendants.
Or cette convergence est justifiée dans un contexte où la majorité des agriculteurs font de plus en plus d'allers-retours avec d'autres professions, avec de plus en plus de polypensionnés. Elle améliorerait la pension des agriculteurs en éliminant les mauvaises années.
Mon objectif est d'accélérer les travaux avec les organisations professionnelles sur la base de la loi Dive votée l'an dernier pour améliorer les retraites des agriculteurs.
Toutefois, il faut étudier la situation de ceux qui auraient une meilleure pension dans un système à points, afin de limiter les effets de bord. Par ailleurs, la MSA doit résoudre des problèmes informatiques.
Le calcul se ferait selon le régime actuel à points pour la période antérieure à 2016, et sur la base des 25 meilleures années pour la période postérieure à 2016.
Il n'y a pas de problème budgétaire ni de problème de fond, car tout le monde est favorable à la prise en compte des 25 meilleures années, mais nous devons limiter les effets de bord et proposer une date d'entrée en vigueur réaliste, l'envisager pour 2026 étant difficile.
Monsieur le président, je vous remercie de cette proposition de loi, mais celle-ci serait à durée limitée, pour la période de 2026 à 2028. Nous sommes d'accord sur presque tout (on le conteste sur quelques bancs du groupe Les Républicains), mais divergeons sur le point d'atterrissage. Je ne peux donc pas émettre un avis favorable, mais nous avons la ferme intention d'aboutir vite. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Frédérique Puissat. - Nous, c'est tout de suite !
M. Daniel Chasseing . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDSE ; MM. Ludovic Haye et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.) La moitié des agriculteurs partiront à la retraite d'ici à 2030. Le renouvellement des générations est un problème. Aussi, nous devons favoriser l'installation des jeunes et la transmission des exploitations.
Les conditions de travail, notamment dans l'élevage, ne sont certes pas très attirantes. De plus, la pension mensuelle est de 840 euros par mois, contre 1 500 euros en moyenne ailleurs.
Il faut recouvrer notre souveraineté alimentaire. La France est toujours la première puissance agricole de l'Union européenne, mais pour combien de temps encore ? Nous sommes passés de la deuxième à la cinquième place mondiale en dix ans.
Ces derniers mois, la détresse a explosé. Les agriculteurs doivent être entendus, notamment concernant leurs retraites.
Nous essayons d'améliorer le système depuis des années. Nous avons voté les propositions de loi Chassaigne ; en février 2023, nous votions la loi Dive, qui n'a malheureusement pas encore trouvé d'application.
Les non-salariés agricoles sont les seuls à voir leur retraite encore calculée sur l'ensemble de leur carrière, contre les 25 meilleures années dans le privé et les six derniers mois dans la fonction publique. C'est pourquoi il faut une réforme. Il est difficile de trouver le système parfait, d'autant plus que la MSA ne conserve pas de données au-delà de huit ans. Je remercie Mme Gruny et M. Mouiller pour leur travail.
Le groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi qui favorisera une retraite décente pour les agriculteurs.
Avant cet été, le projet de loi d'orientation agricole sera l'occasion de faire des choix importants. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Nadia Sollogoub . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP ; M. Laurent Somon applaudit également.) Tout a changé : les paysans sont des chefs d'entreprise avec des projets de vie de famille et de vacances. Le statut de conjoint collaborateur n'est pas tenable : ils travaillent tous en dehors de l'exploitation. Les futurs retraités de l'agriculture ne se contenteront pas d'une poignée d'euros et de grand air pour solde de tout compte d'une vie professionnelle harassante et souvent éprouvante.
« On a beau dire, » disait la Ragotte du nivernais Jules Renard, « c'est gentil, la salade et le fromage blanc quotidien. Ça, et l'air du temps, le bonheur de la campagne, ça vous tue un homme en trente ans. » Jules Renard disait d'elle : « Elle traverse la vie, elle va à la mort avec sa brouette de linge ». C'est bien fini !
Aujourd'hui, 50 % des agriculteurs déclarent moins de 20 000 euros de revenus annuels. La seule voie valable pour une retraite décente est d'avoir des revenus décents tout au long de la carrière.
La loi Chassaigne 1 a instauré un revenu minimum à 85 % du Smic pour une carrière complète. La loi Chassaigne 2 a amélioré de quelques euros le quotidien des conjoints retraités des agriculteurs - ce qui a été repris pour les conjoints de commerçants et artisans.
Ces dispositions de justice sociale font l'unanimité des deux chambres et sont vertueuses, même si les polypensionnés qui dépassaient les plafonds qui n'ont pas profité des revalorisations.
Le rapport Amghar de 2012 proposait de calculer les pensions sur les 25 meilleures années - le bon sens. La loi Dive reprenait cette proposition, mais nous attendions toujours le rapport prévu, un an après son adoption. Je vous avais interrogé à ce sujet le 17 janvier dernier
Nous avions adopté ce texte en posant comme condition qu'il n'y ait pas de perdants. Or le Gouvernement a écarté le scénario prenant en compte les 25 meilleures années de points, alors que le rapport Amghar et les experts de la MSA y voient la seule solution pour éviter qu'il y ait des perdants.
Bercy devrait comprendre combien il est important de soutenir les plus petites retraites en milieu rural. Un euro en plus, c'est un euro dépensé localement : pas d'évasion fiscale ou d'achats sur Amazon !
Les paysans à la tête d'une petite exploitation doivent recevoir une retraite convenable ; sinon, ils seront contraints de la céder, ce qui favorise l'agrandissement des exploitations.
Je n'entrerai pas dans le détail du calcul, mais le chantier reste devant nous.
Quel que soit le scénario retenu, cette réforme sera peu coûteuse. C'est donc sans hésitation que le groupe UC la votera. C'est le scénario le plus juste. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)
M. Daniel Salmon . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Jean-Claude Tissot applaudit également.) Nous discutons d'enjeux majeurs, tels que la transmission des exploitations. Après quarante ans de labeur, se retrouver avec un niveau de pension ridicule, 840 euros en moyenne, est inadmissible. Il faut refondre le régime de retraite agricole pour apporter justice et équité aux agriculteurs et attirer les nouvelles générations. La précarité touche d'abord les femmes, qui représentent les trois quarts des petites retraites.
Les retraites agricoles sont les dernières à être calculées sur l'ensemble des années de carrière, ce qui n'a pas de sens, notamment au regard des aléas climatiques.
Le GEST avait voté la loi Dive avec réserves, en appelant à la vigilance sur les effets de bord. Le scénario préconisé par l'Igas ne répond pas à nos exigences et favoriserait les hauts revenus.
Cette proposition de loi générerait une augmentation moyenne de 47,70 euros par mois. Nous manquons de précisions sur le nombre d'agriculteurs qui ne gagneraient pas au change. Ce flou nous laisse assez dubitatifs sur les potentiels effets de bord pour les exploitants aux plus faibles revenus.
Des leviers plus ambitieux existent pourtant : un revenu réellement rémunérateur, l'assouplissement des critères pour accéder à la pension majorée de référence (PMR), ou un lissage pour la retraite de base, par exemple.
L'idéologie néolibérale considère les cotisations sociales comme un coût. Les paysans ont été encouragés à s'endetter. Il faut limiter les incitations fiscales nuisant à la perception du besoin de cotiser.
Le GEST ne s'opposera pas à cette proposition de loi, mais elle devra être complétée. Nous formulerons des propositions dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Pour lutter contre la désertification rurale et créer des emplois agricoles, il faudra réformer le système de retraite. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Jean-Claude Tissot applaudit également.)
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Face à la crise agricole, le Président de la République a annoncé lors du Salon de l'agriculture des mesures en faveur des agriculteurs, reprenant la proposition des parlementaires communistes de prix planchers.
Il avait promis une réunion pour « consolider » les mesures envisagées, mais celle-ci a été annulée du fait de la FNSEA, qui reproche au Gouvernement de reporter à 2028 l'application d'une réforme du mode de calcul des retraites pourtant adoptée à l'unanimité. C'est un renoncement de plus de votre gouvernement qui suscite la colère légitime des agriculteurs, lesquels voient déjà le fruit de leur travail volé par les multinationales et leurs actionnaires.
Malgré des avancées ces dernières années, notamment grâce à notre collègue député André Chassaigne, les retraites agricoles restent parmi les plus faibles. Des propositions de loi ajoutées les unes aux autres ne remplacent pas un projet de loi de réforme globale.
À cela s'ajoute la forte dégradation des prix d'achat qui ne permet plus aux producteurs de s'en sortir, notamment dans l'élevage. Nous partageons l'avis de Pascal Cormery, président de la MSA, selon lequel le problème réside surtout dans la faiblesse des revenus agricoles. En les augmentant, on accroîtrait les cotisations, donc les retraites.
Le scénario 4C de l'Igas ferait 30 % de perdants pour 20 % de gagnants, les autres voyant leur pension inchangée. La proposition des Républicains ne ferait pas de perdants mais une majorité de gagnants parmi les pensions les plus élevées. Par rapport au projet du Gouvernement, ce texte est légèrement meilleur.
Mme Frédérique Puissat. - Meilleur !
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Le groupe CRCE-K votera donc en sa faveur, tout en exigeant des prix planchers pour protéger nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Frédérique Puissat, M. Laurent Somon et Mme Brigitte Micouleau applaudissent également.)
Mme Guylène Pantel . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Voilà un an, le Sénat adoptait une proposition de loi visant à calculer les pensions agricoles sur les 25 meilleures années. C'était la réparation d'une injustice, pour reprendre les mots d'Henri Cabanel.
Rien ne justifie en effet une telle discrimination. En 2022, la pension moyenne était de 864 euros bruts mensuels, contre 1 500 euros en moyenne. Si bon nombre d'agriculteurs peinent à joindre les deux bouts pendant leur vie active, la situation est pire, une fois à la retraite - Henri Cabanel et Françoise Férat l'avaient souligné dans leur rapport. Récemment, les lois Chassaigne ont revalorisé les retraites des agriculteurs, mais en écartant les polypensionnés.
La loi Dive envoyait un signal fort aux agriculteurs qui attendaient une réforme pour 2026. Le Gouvernement devait remettre des scénarios d'application dans les trois mois suivant sa promulgation. Remis avec huit mois de retard, le rapport s'est concentré sur trois scénarios, lesquels feraient beaucoup trop de perdants, notamment parmi les plus modestes.
Aussi nous saluons cette proposition de loi. Le RDSE est depuis longtemps particulièrement attentif au problème des retraites agricoles. En pleine crise du monde agricole, la mise en oeuvre du calcul de la pension sur les 25 meilleures années est plus que jamais prioritaire. La MSA l'a confirmé en audition : ce texte est la solution la plus acceptable pour améliorer les petites pensions tout en respectant l'échéance de 2026 fixée par la loi Dive. Les pensions seront revalorisées jusqu'à 190 euros.
Cette proposition de loi n'est qu'une première étape. Beaucoup reste à faire pour conjurer le malaise paysan. Non-respect des lois Égalim, poids des normes, versement tardif des aides, coût du carburant agricole, course à l'endettement : nos agriculteurs n'y arrivent plus et trop souvent se suicident.
Le RDSE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. Bernard Buis . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Un an après l'adoption de la loi Dive, nous discutons à nouveau du calcul des retraites des non-salariés agricoles. Notre assemblée était unanime sur la nécessité d'engager une réforme.
Plusieurs consensus avaient émergé, à commencer par le caractère injuste du mode de calcul. Alors que ces professionnels travaillent dans des conditions difficiles, leurs pensions sont bien inférieures à la moyenne : 840 euros, contre 1 530 euros pour l'ensemble des retraités de droit direct. Face à une telle injustice, nous avions voulu inclure une réforme dans le PLFSS ; notre amendement s'était hélas heurté à l'article 40.
Nous avions donc voté l'an dernier la loi Dive, qui tendait à faire converger le mode de calcul des retraites des agriculteurs avec celui des salariés et indépendants en prenant en compte les 25 meilleures années.
Notre assemblée souhaitait une mise en application de la réforme le plus rapidement possible. La nouvelle méthode de calcul devait être appliquée au 1er janvier 2026. Autre exigence, la réforme devait faire le moins de perdants possible.
Le Gouvernement devait remettre un rapport fixant les modalités de la réforme. Mais la théorie a été confrontée à la pratique : il est vrai que le débat est suffisamment technique pour qu'on en perde son latin.
Toujours est-il que nous devons avancer et trouver une méthode de calcul satisfaisante, qui fasse le moins de perdants possible.
Le rapport montre que les scénarios envisagés se heurtent à trois obstacles : mise en oeuvre décalée de deux ans, nombreux perdants chez les agriculteurs ayant les revenus les plus faibles, coût de la réforme de 15 millions en 2030 et 400 millions en 2100.
Le Gouvernement propose donc un calcul sur les 25 meilleures années à partir de 2028, et de réformer quelques paramètres dès 2026.
Personne ne gagnerait à engendrer davantage de frustration et de déception chez les agriculteurs.
Le RDPI est réservé sur plusieurs points. La proposition de loi de M. Mouiller mêle régime par points et annuités. Cela ne compromet-il pas la convergence en créant un nouveau régime inédit ? Garantissez-vous qu'il n'y aura aucun perdant ?
M. Philippe Mouiller, président de la commission. - Oui !
M. Bernard Buis. - Avec votre réforme, il pourrait y en avoir jusqu'à 6 %. Le coût pour les finances sociales serait de 285 à 322 millions d'euros, selon la MSA. Ne doit-on pas envisager une mission d'information, pour trouver une solution consensuelle ?
Mme Frédérique Puissat. - Bien sûr !
M. Bernard Buis. - Personne ne comprendrait que l'on enterre le sujet, dans le contexte actuel, mais compte tenu des réserves exprimées, notre groupe s'abstiendra.
Mme Frédérique Puissat. - Bravo...
Mme Monique Lubin . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le groupe SER partage les objectifs de la proposition de loi, mais n'est pas pleinement convaincu par la démarche. La majorité sénatoriale entend pallier l'incapacité du Gouvernement à identifier les modalités d'application de la loi votée en février 2023, mais cette réponse demeure insatisfaisante.
La loi de 2023 prévoyait un rapport à rendre sous trois mois. Rendu avec neuf mois de retard, il n'offre pas de solution à la hauteur des attentes.
Le scénario qui aurait les faveurs du Gouvernement pèche par sa complexité et par ses conséquences. Il consiste en une liquidation des retraites agricoles en deux temps, selon des modalités alambiquées. Il ferait par ailleurs disparaître les mécanismes de redistribution internes de l'actuel régime, conçus pour répondre à la diversité des situations, ce qui bouleverserait le paysage et risquerait de pénaliser certains doublement.
L'administration et le Gouvernement peinent à identifier des modalités d'application de la loi de 2023 acceptables par tous. Ce n'est pas surprenant.
Notre groupe a soutenu le texte voté en février, mais nous avions fait part de notre circonspection. Son objectif était limpide et nécessaire, mais les voies empruntées pour l'atteindre étaient tortueuses.
On ne peut considérer de façon isolée une règle d'un régime sans considérer le régime dans son ensemble - la réforme ne devrait donc pas porter sur la seule règle de calcul, mais sur la globalité du régime.
Étonnamment, la piste mise en avant par l'Igas en 2012, la moins susceptible de faire des perdants, a été peu exploitée dans son rapport de 2024.
L'argument selon lequel la MSA ne dispose de bases de données sur les revenus qu'à partir de l'année 2016 bute sur la réponse du même organisme, qui affirme ne pas avoir été consulté, lors de l'élaboration de ce rapport, sur sa capacité à mettre en oeuvre une réforme conservant le système à points.
La proposition de loi prévoit, à rebours du Gouvernement, un calcul sur les 25 meilleures années avec un système à points. C'est le scénario le mieux-disant, puisqu'il ne ferait pas trop de perdants et augmenterait les retraites de 47,70 euros par mois en moyenne. Notons toutefois qu'il repose sur un travail publié en 2012 : bien des paramètres ont évolué depuis.
La FNSEA soutient la proposition de loi. La Confédération paysanne, en revanche, plaide pour une assiette plus large de cotisation, qui permettrait une solidarité accrue.
Manifestement, l'heure n'est pas à la refonte du système de calcul des pensions agricoles. Il est regrettable de devoir débattre à nouveau d'une réforme paramétrique alors que nous nous sommes déjà battus à vents contraires sur le sujet.
La pusillanimité du Gouvernement a retardé l'adoption des lois Chassaigne 1 et 2 et en a réduit la portée.
La loi Chassaigne de 2020 devait rehausser la retraite à 80 % du Smic pour les chefs d'exploitation ayant une carrière complète. Mais avec l'écrêtement imposé par le Gouvernement, l'augmentation a été dérisoire. Les effets de ces atermoiements sont délétères. Prudence excessive ou technicité assumée, tout est fait pour reprendre d'une main ce que l'on donne de l'autre.
Une réforme paramétrique ne peut qu'être impuissante à répondre aux questions de fond. Il faut une réforme globale sur la contributivité du régime et l'assiette de cotisation. Il faudra interroger les choix effectués à la création du régime en 1955, concernant la répartition de l'effort entre contribution à la MSA, investissement et épargne individuelle. Alors que la moitié des agriculteurs partira à la retraite d'ici dix ans, il faut aussi s'interroger sur la solidarité intergénérationnelle.
Le groupe SER se prononcera en faveur de ce texte malgré ses insuffisances, mais appelle à engager une réforme globale avant 2030. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
M. Jean-Claude Anglars . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Après des jours de manifestations intenses et un Salon de l'agriculture mouvementé, le Gouvernement est-il à la hauteur de ses engagements ? Les annonces n'ont pas été concrétisées et le projet de loi d'orientation agricole ne sera examiné qu'à partir du 13 mai à l'Assemblée nationale.
Or le Sénat a beaucoup travaillé sur ces thématiques. En témoigne la proposition de loi Duplomb, transmise à l'Assemblée nationale le 23 mai 2023, mais toujours pas inscrite à son ordre du jour.
Les agriculteurs ont fait entendre leur mécontentement, mais le dossier de leurs retraites n'avance pas.
La loi du 13 février 2023 prévoyait une réponse concrète grâce à une réforme du calcul fondée sur les 25 meilleures années de carrière au lieu de la carrière entière. Le Gouvernement devait fournir un rapport détaillant les modalités d'application - remis avec huit mois de retard. Selon la commission des affaires sociales, dont je salue le travail, les scénarios de réforme proposés feraient entre 15 et 50 % de perdants. Bref, ce rapport va à l'encontre de la loi votée au Parlement.
Le texte que nous examinons inscrit directement dans la loi les modalités de calcul applicables aux pensions liquidées à compter du 1er janvier 2026. Elle aurait aussi pu unifier les pensions forfaitaire et proportionnelle, mais des problèmes techniques restent à régler.
Le groupe Les Républicains votera ce texte, qui reflète l'engagement du Sénat à répondre à la détresse du monde agricole. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Christopher Szczurek . - (M. Aymeric Durox applaudit.) Nous connaissons l'adage : il n'y a pas de pays sans paysans. La France puise dans le travail millénaire de sa terre le ferment de sa prospérité. Pourtant, la crise agricole grave que nous vivons a révélé le malaise, sinon la souffrance de nos agriculteurs.
Le libre-échange déraisonné mêlé à une surtransposition zélée leur a rendu la vie impossible.
Si la nation doit beaucoup à ses agriculteurs, elle les récompense peu. En atteste l'écart de pension de 580 euros bruts entre un agriculteur et un salarié affilié au régime général. Alors que la plupart des salariés voient leur retraite calculée sur les 25 meilleures années et les fonctionnaires sur les six derniers mois, les agriculteurs sont la seule catégorie professionnelle pour laquelle la retraite repose sur l'ensemble de la carrière. Nous sommes donc favorables à un calcul sur les 25 meilleures années, pour revaloriser les pensions agricoles.
Reste que le Sénat ne peut régler seul les causes profondes de la crise agricole. C'est par un revenu décent que les agriculteurs auront une pension décente. C'est par un accès privilégié au marché national et à la commande publique qu'ils auront un revenu décent et donc une retraite décente, après une vie de labour et de labeur.
Nous voterons ce texte et restons vigilants, alors que le Gouvernement semble incapable d'entendre la colère forte et légitime des agriculteurs. (M. Aymeric Durox applaudit.)
M. Christian Klinger . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les agriculteurs sont les actifs qui travaillent le plus, avec 54 heures par semaine ; neuf sur dix travaillent le week-end, deux sur trois ne prennent pas plus de trois jours consécutifs de vacances.
Nous souhaitions mettre fin à l'injustice qui conduit à une différence de près de 700 euros par mois entre un retraité agricole et un retraité du régime général. À cet effet, le Gouvernement était chargé de remettre un rapport. Celui-ci, avec neuf mois de retard, prévoit trois scénarios défavorables. Un coup d'épée dans l'eau ! Nous avons assez perdu de temps.
Cet après-midi, faisons le choix d'un mode de calcul juste et équitable. Faisons le choix de pensions plus stables, en calculant les points acquis pendant les 25 meilleures années et en extrapolant à l'ensemble de la carrière. Les fluctuations importantes de revenus des agriculteurs seront ainsi minorées.
Sachons rendre ce secteur plus attractif, alors que la moitié des agriculteurs vont partir à la retraite dans les dix prochaines années. Les investissements sont en berne, et il est difficile de transmettre les exploitations. Or nous avons besoin d'une souveraineté alimentaire solide, qui passe par la protection de ceux qui nous nourrissent.
Choisissons de protéger les sortants et donnons des garanties aux entrants. Faisons en sorte qu'il n'y ait pas de perdant et que le nouveau calcul des pensions entre en vigueur dès 2026. L'actualité nous oblige. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Laurent Somon . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.) J'associe Kristina Pluchet à mon intervention.
Le 1er février 2023, nous adoptions à l'unanimité une loi qui donnait une feuille de route claire au Gouvernement. Je salue le rapport de Pascale Gruny. Nous étions loin d'imaginer que les propositions du Gouvernement, exposées dans le rapport du 30 janvier dernier, seraient aussi éloignées de la volonté du législateur. Les choix méthodologiques sont contestables : trois scénarios sur cinq ont été arbitrairement écartés ; les deux retenus ne satisfont pas aux conditions posées.
Le rapport a ignoré le scénario de notre commission des affaires sociales, fondé sur le rapport de M. Yann-Gaël Amghar, qui proposait de calculer la pension sur la base des 25 meilleures années. Le chiffrage fait état de nombreux perdants, sans complexe. Ces différentes propositions trahissent la volonté du législateur.
Nous regrettons de devoir rappeler l'injustice faite à ceux qui nous nourrissent. Depuis plus d'un an, le Gouvernement aurait dû montrer son attachement à nos agriculteurs.
Voilà pourquoi j'ai cosigné la proposition de loi du président Mouiller. Le groupe Les Républicains votera ce texte, qui démontre le soutien apporté à une profession soumise à des aléas de revenu et à la dureté de son métier. Cette mesure améliorerait aussi la situation des femmes d'agriculteurs et faciliterait la transmission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.)
M. François Bonhomme . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.) Le monde paysan est traversé par une crise continue. Nos agriculteurs sont en proie au doute : au terme d'une vie de dur labeur, ils ne souhaitent plus que les enfants reprennent la ferme familiale. La faiblesse des retraites pèse. La pension de base, après une carrière complète, s'élevait à 864 euros bruts.
Les retraites agricoles sont les plus faibles de toutes. Selon la MSA, la pension moyenne d'un non-salarié agricole est 18 % plus faible que les autres pensions, pour les chefs d'exploitation et les conjoints collaborateurs.
La loi Dive visait à réparer une injustice, mais le rapport prévu par la loi a été remis avec neuf mois de retard, et aucun des trois scénarios ébauchés ne correspond à l'intention du législateur.
C'est pourquoi la proposition de loi Mouiller vise à conserver un régime par points sur la base des 25 meilleures années. Certes, les lois Chassaigne ont été votées, mais le seuil d'écrêtement introduit par le Gouvernement en a amoindri la portée et a désavantagé les polypensionnés. En outre, les agriculteurs ayant eu une carrière incomplète, notamment les femmes, sont pénalisés.
Cette proposition de loi est donc bienvenue. L'évolution du montant des retraites dépendra aussi de l'augmentation des revenus agricoles et de l'installation de jeunes exploitants - nous devons à cet égard alléger la taxe sur les transmissions. Ce sera peut-être l'objet de la loi d'orientation agricole que nous attendons.
Pour l'heure, nous voterons ce texte, qui améliorera sensiblement la situation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.)
Discussion des articles
Article 1er
M. Pierre Cuypers . - Je salue le travail exemplaire de Philippe Mouiller et de Pascale Gruny.
Cette proposition de loi est un jalon supplémentaire pour améliorer la situation des non-salariés agricoles. C'est une revendication légitime.
Rappelons que la moyenne des pensions s'élève à 840 euros par mois, contre 1 530 pour l'ensemble des retraités. Une telle mesure, dans les temps et sans fausse note, est vitale pour les exploitants modestes.
Je suis intervenu sur le sujet en mars et mai 2018, puis en janvier 2019. Le Gouvernement n'a pas tenu ses engagements.
Dans un souci d'équité, comment améliorer les retraites déjà liquidées ? Documents manquants ou contradictoires, feuilles qui s'égarent à la MSA, flou général nourrissent les inquiétudes.
Monsieur le ministre, notre agriculture, déjà essoufflée par les normes, ne peut l'être encore davantage par la bureaucratie.
Cette proposition de loi complète les 42 mesures que nous proposons avec Laurent Duplomb. Alors que le Gouvernement parle de réarmement démographique, il faut aussi préparer le réarmement alimentaire. Il n'y a pas de pays sans paysans ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Franck Menonville . - À l'heure où la colère gronde, la réforme du mode de calcul des pensions des non-salariés agricoles doit entrer en vigueur au plus vite : c'est une mesure de justice sociale. Cette proposition de loi arrive à point nommé. Elle contribue à renforcer l'attractivité du métier d'agriculteur.
On compte 1,3 million d'anciens agriculteurs non-salariés, percevant une retraite moyenne de 840 euros bruts, contre 1 531 euros pour les salariés retraités.
La loi du 13 février 2023, adoptée à l'unanimité du Sénat, tendait à faire converger la pension de retraite vers celle des salariés et des indépendants. Ses modalités de mise en oeuvre devaient être précisées par un rapport, remis le 30 janvier, qui préconise trois scénarios - dont aucun ne répond à la volonté du législateur.
Les attentes sont grandes : il est urgent d'agir. Nous le devons à ceux qui nous nourrissent au quotidien. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Laurent Duplomb . - Je salue Philippe Mouiller et Pascale Gruny, qui ont travaillé ardemment sur ce texte. La mesure a été votée par le Parlement, il faut la mettre en place ! Monsieur le ministre, on ne peut pas dire que c'est compliqué, que c'est trop cher, et repousser la réforme aux calendes grecques !
On ne peut pas en même temps dire qu'on veut favoriser l'installation des jeunes agriculteurs et ne pas reconnaître le travail de ceux qui l'ont été avant eux. On ne peut pas en même temps prétendre améliorer la situation des agriculteurs et les contraindre à travailler au-delà de 65 ans, faute d'une pension de retraite digne ! La revalorisation des pensions, reconnaissance de la nation, est aussi un investissement sur l'avenir, car elle favorisera l'installation.
Monsieur le ministre, on ne peut pas dire que cela coûte trop cher. On a dépensé des milliards et des milliards d'argent magique pendant sept ans, et il serait impossible de mettre quelques millions pour les retraités agricoles ? Écoutez enfin la voix de la raison ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Marc Fesneau, ministre . - Dommage que M. Duplomb n'ait pas été présent lors de mon propos liminaire. J'ai dit que ce n'était pas une question budgétaire.
M. Laurent Duplomb. - C'est bien ! Alors faites-le !
M. Marc Fesneau, ministre. - J'ai dit que je me heurtais à des problèmes techniques, à cause desquels nous prévoyons une mise en oeuvre en 2028, mais nous essayons de trouver une solution pour le faire dès 2026. La MSA n'est pas capable de remonter au-delà de 2016 : c'est elle qui le dit, pas moi !
Le système par points n'est pas fait pour durer, car il est moins avantageux que le calcul sur les meilleurs revenus.
L'article 1er est adopté.
Après l'article 1er
Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par Mme Lubin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 732-24-1 du code du rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 732-24-... ainsi rédigé :
« Art. L. 732-24-.... - I.- La Nation se fixe pour objectif de réformer le système de retraite de base des non-salariés des professions agricoles avant le 1er janvier 2030.
« II.- Les modalités d'application du I sont définies par décret en Conseil d'État. »
Mme Monique Lubin. - Le Gouvernement doit s'engager à travailler à une refonte totale du système des retraites des agriculteurs. Ce régime souffre d'un mal originel : à sa création, les agriculteurs n'avaient pas souhaité avoir le même système que les salariés. Ils avaient le choix entre cotiser pour leur retraite ou privilégier l'investissement et l'épargne personnelle. Aujourd'hui, ils en paient le prix fort. Il faut tout remettre à plat et élargir l'assiette des cotisations : si on veut s'aligner sur les avantages des salariés, il faut avoir les mêmes bases de calcul. Je sais que ce discours est difficile à entendre, mais si l'on veut arrêter les cataplasmes sur les jambes de bois, il faut revoir tout le système. (M. Yannick Jadot applaudit.)
Mme la présidente. - Sous-amendement n°2 à l'amendement n°1 de Mme Lubin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, présenté par Mme Souyris et M. Salmon.
Amendement n° 1, après l'alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Cette réforme devra notamment mieux inciter l'ensemble des non-salariés agricoles, en particulier les conjointes collaboratrices et conjoints collaborateurs, à cotiser audit système de retraite de base.
M. Daniel Salmon. - Nous soutenons l'amendement du groupe SER. Ce sous-amendement vise simplement à mentionner les conjoints des agriculteurs, souvent des conjointes. Ayant fréquemment eu des carrières fractionnées, elles ont des retraites insignifiantes. Sans compter que les agriculteurs victimes des pesticides développent souvent des maladies professionnelles à l'âge de la retraite : c'est alors la conjointe qui assume.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Madame Lubin, on peut partager nombre de vos constats. Au sortir de la guerre, les agriculteurs ont fait un choix, ils ont été en quelque sorte privilégiés - d'où un manque de cotisations. La faiblesse des pensions ne tient pas à l'architecture, mais aux revenus. Le système est particulièrement redistributif : en modifiant l'architecture, on risque de pénaliser les plus faibles.
Avis défavorable à cet amendement, qui renvoie à un décret, alors que le Gouvernement ne nous a pas répondu sur la loi Dive.
J'entends les préoccupations de M. Salmon, mais il évoque surtout une forme d'optimisation sociale dans le calcul du revenu agricole. Je l'ai vu chez des commerçants et artisans : certains préfèrent investir pour diminuer leur revenu, et donc leurs cotisations et leurs impôts. En tant que comptable, je regrette que certains incitent les agriculteurs à ne pas cotiser. Il faut que les agriculteurs cotisent, pour eux et pour les conjoints collaborateurs, voire les salarient, pour éviter les difficultés au moment de la retraite. Avis défavorable.
M. Marc Fesneau, ministre. - Madame Lubin, le choix fait à l'époque d'un système spécifique se justifiait par des raisons démographiques. Le système est très redistributif, c'est une de ses vertus.
Retenir les 25 meilleures années est un premier pas vers la convergence. Mais il faudra aller plus loin, car la démographie n'est plus la même. Des agriculteurs commencent plus tard leur carrière, d'où le problème des polypensionnés. Nous y travaillons, par étapes. Nous n'avons pas de désaccord sur le fond, mais sur la temporalité.
Avis défavorable, car il ne faut pas bousculer un équilibre construit depuis soixante-dix ans. Il faut assumer les choix faits à l'époque en termes de contribution sociale, et travailler pour l'avenir.
M. François Patriat. - Très bien !
M. Bruno Sido. - J'ai été étonné par l'intervention de Mme Lubin. Le bénéfice agricole est soit forfaitaire soit au réel - cas désormais le plus fréquent. Pour les agriculteurs au forfait, leur revenu était relativement élevé, car l'administration ne reconnaissait pas l'amortissement du matériel. Pour les agriculteurs au réel, le bénéfice est élevé, car il comprend la rémunération de l'agriculteur, qui n'est pas salarié. Dire que l'assiette des cotisations sociales est basse est donc une erreur.
Vous attaquez nos anciens (Mme Monique Lubin le conteste vigoureusement), qui avaient choisi à l'époque un système différent de celui des salariés. Mais rappelons qu'avant, il n'y avait aucune cotisation ! C'était une première étape. Il faut maintenant changer les choses : cette proposition de loi est un progrès.
M. Daniel Gremillet. - Je rejoins Bruno Sido. Monsieur le ministre, je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous évoquez un choix qui aurait été fait. Il y a soixante-dix ans, les paysans ont travaillé pour nourrir le peuple : ils n'avaient pas le choix ! (M. Marc Fesneau le conteste.) On les abandonne, alors que nous devrions leur témoigner du respect. (Mme Laure Darcos applaudit.) Remonter aussi loin est presque une provocation, je l'ai mal pris, monsieur le ministre. À l'époque, les Français avaient faim, et les paysans ont mouillé la chemise.
Je rejoins notre rapporteur : il faut un véritable travail de fond pour la profession agricole. Il faut investir dans la retraite, ce qui n'est pas dans les habitudes. Naguère, on conseillait aux agriculteurs d'investir dans la ferraille pour diminuer leur revenu ! On en paie aujourd'hui les conséquences.
Mme Monique Lubin. - C'est bien ce que je dis !
M. Daniel Gremillet. - Certains exploitants, qui étaient au réel, ont des retraites inférieures à 1 000 euros, et pourtant, ils n'ont pas compté leurs heures ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées des groupes UC et INDEP)
M. Marc Fesneau, ministre. - Je ne peux laisser cette intervention sans réponse. On peut m'adresser tous les griefs, sauf celui de ne pas respecter la profession agricole !
La profession avait choisi à l'époque un système de protection sociale à part. Il faut y réfléchir, d'où cette proposition de loi, et les travaux menés par le Gouvernement. Mon propos était très clair.
Il y a soixante-dix ans, la démographie agricole n'était pas la même.
Nous devons aussi penser la retraite comme élément d'attractivité pour faciliter les installations.
M. Jean-François Husson. - La capitalisation !
M. Marc Fesneau, ministre. - La rémunération des agriculteurs à la fin de leur carrière doit être à la hauteur de leur engagement.
Le sous-amendement n°2 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°1.
L'article 2 est adopté.
Vote sur l'ensemble
M. Daniel Salmon . - Le GEST s'abstiendra.
M. Jean-François Husson. - Dommage !
M. Daniel Salmon. - Certes, certains agriculteurs gagneraient 188 euros, mais la moyenne étant de 47 euros, cela signifie que d'autres gagneront 5 ou 10 euros. Ils ne demandent pas l'aumône, juste une retraite décente. Ce texte n'est pas à la hauteur des attentes.
Certains grands céréaliers ou éleveurs porcins n'ont aucun problème pour assurer leurs vieux jours, car ils ont investi dans l'immobilier. Mais dans mon département, des éleveurs laitiers n'ont jamais pu le faire... (Murmures à droite)
Labeur et labour ont la même racine latine, labor, « la peine, l'effort ». Nos agriculteurs ont droit à une retraite décente.
Mme Monique Lubin . - Je n'ai insulté personne. Je viens de ce monde, je le connais : enfant, j'entendais qu'il fallait donner le moins possible au monstre de l'Amexa.
Les cotisations ne représentent que 20 % des retraites agricoles. Il faudra tout remettre à plat. Le ministre l'a dit, beaucoup de choses ont changé. Je souhaite que les agriculteurs aient une bonne retraite, comme les salariés. J'ai entendu avec plaisir Laurent Duplomb évoquer la question des 60 à 65 ans ; mais les salariés aussi doivent travailler jusqu'à 64 ans, même si je me suis battue contre...
Néanmoins, favorables à toute amélioration, nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°157 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 305 |
Pour l'adoption | 305 |
Contre | 0 |
La proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, ainsi que sur des travées du RDSE et du groupe SER)
Mme Sophie Primas. - Bravo !
M. Philippe Mouiller, président de la commission. - Je remercie notre rapporteur Pascale Gruny (applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC) car ce texte est l'aboutissement de dix-huit mois de travaux. Monsieur le ministre, ce vote vous oblige. Le Sénat envoie un message clair. (M. Marc Fesneau hoche la tête.) Il y a urgence, appliquez donc la proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. Jean-François Husson. - Dites-le au Président ! Et à Bruno Le Maire !
CMP (Nominations)
Mme la présidente. - Des candidatures pour siéger au sein des commissions mixtes paritaires chargées d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique et de la proposition de loi visant à interdire les dispositifs électroniques de vapotage à usage unique ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.
La séance est suspendue quelques instants.
Jardins d'enfants
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à pérenniser les jardins d'enfants gérés par une collectivité publique ou bénéficiant de financements publics.
Discussion générale
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Je suis touchée de débattre des jardins d'enfants. J'en profite pour saluer les travaux de Michèle Tabarot à l'Assemblée nationale, prolongés ici par Agnès Evren.
La loi de 2019 pour l'école de la confiance a instauré la scolarisation obligatoire dès 3 ans afin de réduire les inégalités scolaires - posant la question du devenir des jardins d'enfants, qui avait suscité de vifs débats notamment au Sénat, car il s'agit parfois d'une tradition locale. À l'écoute des familles et des structures, nous avions prévu un moratoire de cinq ans qui expire à la fin de l'année scolaire 2023-2024. Cette proposition de loi le prolonge indéfiniment.
L'académie de Paris comptait vingt-cinq jardins d'enfants fin 2023, dont vingt relevant de la municipalité, pour 1 200 enfants. Il en existe aussi treize en Alsace, dont la moitié sont municipaux. La fin du moratoire concerne donc un nombre réduit d'établissements.
Il faut mieux coordonner petite enfance et éducation, ce que reflète le placement du ministère de l'enfance, de la jeunesse et des familles auprès des ministères du travail et de l'éducation nationale. Il s'agit de toujours mieux accueillir les enfants en situation de handicap ou avec des particularités.
L'essentiel est d'accompagner les familles. La question des jardins d'enfants touche les régions de Paris et de l'Alsace plus particulièrement. Je m'en remets à la sagesse du Sénat et resterai à l'écoute des familles et des structures. (Mme Béatrice Gosselin applaudit.)
Mme Agnès Evren, rapporteure de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC) Sénatrice de Paris, c'est un soulagement pour moi d'examiner cette proposition de loi de Michèle Tabarot, adoptée à l'Assemblée nationale le 1er février, pour sauver les jardins d'enfants en sursis depuis cinq ans. C'est la fin d'un combat transpartisan, et je remercie Bruno Retailleau, Max Brisson, Laurent Lafon, Catherine Morin-Desailly, Elsa Schalck, Marie-Pierre Monier, Annick Billon et Colombe Brossel, pour leur mobilisation.
Il y a urgence : c'est notre dernière chance de garantir un avenir aux jardins d'enfants, qui existent depuis cent ans et sont condamnés à disparaître sans de nouvelles dispositions.
Les jardins d'enfants ont été les victimes collatérales de loi Blanquer de 2019, muette sur ce point. (M. Laurent Lafon le confirme.) C'est un amendement du député du Bas-Rhin Bruno Studer qui y a introduit les jardins d'enfants, la rue de Grenelle donnant l'impression de découvrir leur existence à cette occasion...
Encore aujourd'hui, les jardins d'enfants demeurent incompris, comme l'ont révélé mes auditions.
M. Max Brisson. - Et l'intervention de la ministre !
Mme Agnès Evren. - Le ministère s'était engagé à accompagner les jardins d'enfants, mais les trois scénarios du rapport des inspections étaient en réalité de fausses solutions. En outre, ce rapport a marqué la fin de l'accompagnement des jardins d'enfants par le ministère, les considérant sans doute comme des anomalies à supprimer - à rebours de la proposition de loi d'Elsa Schalck de juin 2023.
Les jardins d'enfants s'adaptent au rythme et aux besoins pédagogiques des enfants, une chance pour les enfants à besoins particuliers - 105 enfants sur les 588 accueillis à Paris -, souffrant de phobies scolaires ou en situation de handicap - 75 enfants. Leur transformation en crèche ou halte-garderie aurait des conséquences graves pour eux, qui ne pourraient être accueillis dans une école.
Alors que l'école inclusive craque, pourquoi supprimer une structure inclusive qui fonctionne ? Les jardins d'enfants offrent un accompagnement à la parentalité. Ils ont une forte dimension sociale et d'intégration, car ils sont liés aux cités ouvrières - à Paris, treize d'entre eux sont dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV).
Avec un recul de près d'un siècle, on ne constate aucun retard scolaire pour les enfants venant de ces structures. En outre, depuis 2019, les inspecteurs, le département et la protection maternelle et infantile (PMI) effectuent des contrôles.
Il y a urgence. Sans vote conforme, les jardins d'enfants fermeront à la rentrée 2024. Nous n'avons plus de temps de la navette, car les inscriptions commencent. Nous appelons donc solennellement à un vote conforme de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et SER ; M. Michel Masset applaudit également.)
M. Claude Kern . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains) L'instruction obligatoire à 3 ans instaurée par la loi du 26 juillet 2019 a pénalisé les jardins d'enfants. Élu d'Alsace, je connais bien ces structures, particularité régionale inspirée des Kindergarten allemands. Ce modèle à la performance reconnue est souvent plus inclusif que l'école. Le taux d'encadrement permet l'accueil personnalisé de chaque enfant, avec une grande ouverture culturelle. Ils soutiennent le multilinguisme, pour les enfants étrangers comme strasbourgeois - qui ont ensuite accès à un cursus bilingue en Alsace.
Reconnaissant les résultats et la conformité de ces structures aux objectifs de l'éducation nationale, le Sénat s'est investi pour remédier aux conséquences de la loi de 2019. On peut citer l'amendement d'Hervé Marseille au texte de Max Brisson.
Sans évolution législative, à partir de la rentrée 2024, les jardins d'enfants ne pourront plus accueillir d'enfants de 3 à 6 ans sans s'inscrire dans un des trois scénarios d'évolution - insatisfaisants - ce qui serait une perte de chances, notamment pour les enfants en situation de handicap. Il faut les pérenniser. En juillet 2022, le ministre de l'éducation nationale reconnaissait qu'il fallait une solution juridique pour ce faire.
Pour remédier au mal français de détruire ce qui fonctionne et prenant acte du consensus existant, le groupe UC votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées des groupes SER et Les Républicains)
Mme Mathilde Ollivier . - (Applaudissements sur les travées du GEST) La loi de 2019 a privé les jardins d'enfants de financements publics et les a condamnés à une disparition progressive : plus de quinze d'entre eux ont déjà fermé. La députée écologiste de Paris Eva Sas et d'autres parlementaires se sont saisis de la question. Il faut légiférer rapidement, afin que ces structures ne se retrouvent pas sans solution dans quelques mois. Leur disparition mettrait nombre de familles en difficulté.
Leur point fort est d'accueillir tous les enfants, sans distinction. En 2024, 20 % des enfants accueillis étaient issus de familles défavorisées, 15 % avaient des besoins particuliers. L'éducation nationale manque d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) pour les 430 000 élèves en situation de handicap, aussi ne peut-on que s'inquiéter de la disparition de ces jardins qui, avec une pédagogie unique basée sur le jeu et l'observation, offrent aux enfants un continuum éducatif rassurant.
Ces structures n'ont pas vocation à se substituer à l'école, mais proposent une alternative, en conformité avec l'instruction obligatoire.
Dans la continuité de l'engagement d'Eva Sas, le GEST votera cette proposition de loi et espère une promulgation avant la rentrée de septembre. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER ; M. Michel Masset et Mme Elsa Schalck applaudissent également.)
M. Gérard Lahellec . - Les jardins d'enfants sont un héritage de l'histoire, nés d'une nécessité d'organiser l'accueil des jeunes enfants quels que soient leur origine sociale ou leur handicap.
Je ne résiste pas au parallèle avec l'enseignement des langues régionales : c'est parce que l'éducation nationale l'a négligé que des écoles - certains les appelleront privées, je préfère le terme d'associatives - se sont constituées, même si l'enseignement immersif n'est pas complètement conforme à la Constitution...
Les jardins d'enfants s'étant développés selon un modèle pluriel, il n'est pas anormal que la question d'une offre unifiée, publique et laïque, se pose. Les jardins d'enfants ne peuvent en aucun cas constituer le modèle de référence de l'école publique nationale. Cela dit, faut-il les interdire, au nom de l'unification républicaine ?
On ne peut répondre à cette question sans évoquer le contexte actuel de tension autour de la carte scolaire. Nous sommes tous concernés par les tensions suscitées par les fermetures de classes. L'éducation nationale ne comptabilise toujours pas les effectifs des toutes petites sections (TPS) dans les effectifs globaux. Or dans nos territoires ruraux, les enfants de 3 ans et moins passent la journée entière à l'école. Quand on ferme une classe, les familles cherchent des solutions de substitution, qui parfois ressemblent aux jardins d'enfants...
La défaillance actuelle de la politique éducative nationale nous oblige à pérenniser les jardins d'enfants au-delà de 2024. Je ne prendrai donc pas le risque de les faire disparaître. Nous voterons ce texte conforme pour qu'il soit en vigueur à la rentrée prochaine. Cela dit, nous continuerons de défendre l'école publique et ses besoins. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Colombe Brossel et M. Pierre-Alain Roiron applaudissent également.)
M. Ahmed Laouedj . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Les jardins d'enfants ont une dimension sociale et familiale essentielle. Ils sont connus pour offrir un accompagnement spécialisé aux enfants en situation de handicap. Or ils sont menacés de disparition à moins de se transformer en crèche ou en école, changement radical et couteux. L'Association des Maires de France (AMF) a rappelé leur importance, identifiant des difficultés concrètes telles que l'adaptation des locaux, la formation des professionnels et l'enseignement.
Il y a une véritable problématique de garde pour les parents actifs. Il faut donc légiférer pour remédier aux effets négatifs de la loi Blanquer.
Je salue cette proposition de loi, qui répond aux inquiétudes des parents, des communes et des professionnels. Je m'interroge néanmoins sur son périmètre : quid des futures créations de jardins d'enfants ? Leur caractère essentiel a été clairement établi. Les enfants doivent pouvoir y accéder, quel que soit leur lieu de résidence.
Le RDSE est partagé. Certains de ses membres voteront contre le texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Colombe Brossel et M. Rémi Féraud applaudissent également.)
M. Martin Lévrier . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Particulièrement implantés dans l'Europe du Nord, les jardins d'enfants ont trouvé leur place en France il y a plus d'un siècle : on en trouve dans 53 départements, notamment à Paris, dans le Nord, en Alsace ou encore à La Réunion. Paris et l'Alsace concentrent 40 % des 8 200 places.
Cette proposition de loi pérennise les jardins d'enfants gérés par une collectivité publique ou bénéficiant de financements publics. Elle a été déposée par Michèle Tabarot. (M. Philippe Tabarot le confirme énergiquement.)
La loi du 26 juillet 2019 a instauré l'instruction obligatoire à 3 ans, afin de favoriser l'égalité des chances et l'inclusion. L'école maternelle offre un environnement pédagogique et social stimulant pour les enfants ; elle prévient les difficultés scolaires, favorise l'acquisition du langage et des compétences sociales essentielles. Cette loi a donc rendu le concept de jardins d'enfants inutile. Elle a prévu que les enfants qui y étaient accueillis puissent terminer leur parcours avant d'entrer à l'école primaire. Je le concède, la transition n'a pas été gérée de façon parfaite.
M. Max Brisson. - Ce n'est rien de le dire !
M. Martin Lévrier. - Cette proposition de loi tend à pérenniser ces structures. Le premier argument de ses défenseurs est culturel : la sauvegarde d'une méthode éducative, héritière des Kindergarten allemands, ancrée dans les comportements. Que dire de l'approche pédagogique différenciée de tous les établissements, qu'ils soient publics ou privés ? La transition aurait dû permettre cette évolution.
Deuxième argument, la suppression des jardins d'enfants créerait un incident diplomatique par rapport au soft power allemand. Mais nous sommes le législateur français ! L'argument n'est pas pertinent. (M. Max Brisson s'exclame.)
Troisième argument, celui de la cohérence dans la formation pour encadrer les enfants. Les jardins d'enfants ont un programme centré sur les valeurs, les écoles maternelles sur l'apprentissage - avec des disparités à l'entrée en CP.
M. Claude Kern. - Justement, non !
M. Max Brisson. - Pas une tête ne doit dépasser !
M. Martin Lévrier. - Que dire d'une école qui promeut l'égalité et dans laquelle tous les enseignants n'ont pas le même niveau d'études ou de rémunération ? Le tollé ne serait-il pas général sur nos bancs ?
Le Parlement a tendance à trop légiférer. De cette inflation résulte un amalgame de lois qui prennent le pas sur de véritables réformes. Mieux vaudrait renforcer le contrôle, alors qu'une analyse fine de l'existant aboutirait aux ajustements nécessaires.
Cessons de vouloir répondre aux opinions publiques de niche.
M. Max Brisson. - C'est honteux !
M. Martin Lévrier. - La loi de 2019 rend l'école obligatoire dès 3 ans.
M. Max Brisson. - L'instruction, pas l'école !
M. Martin Lévrier. - Ne pouvant me résoudre à cette juxtaposition incohérente, j'avais déposé un amendement prolongeant la transition. Si j'avais la certitude que ce texte ainsi amendé pouvait être adopté avant la mi-juin, je prônerais son adoption, mais le temps de la navette risque d'empêcher une rentrée sereine. Une fois n'est pas coutume, notre groupe s'inscrira dans la lignée du RDSE, avec des votes divers ! (Applaudissements sur les travées du RDPI ; sourires)
Mme Maryse Carrère. - Merci pour cet hommage !
Mme Colombe Brossel . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Il était urgent d'agir, pour les familles, pour les enfants accueillis en jardins d'enfants et pour les professionnels. En effet, depuis 2019, les jardins d'enfants sont menacés par l'obligation de l'instruction à 3 ans, un angle mort, voire une découverte pour les artisans de la loi de 2019. (M. Max Brisson renchérit.)
Nous sommes face à un choix : acter ou non la légitimité de ces structures à proposer un modèle complémentaire pour les enfants jusqu'à 6 ans. Je me réjouis de pérenniser les jardins d'enfants, qui existent de Paris à l'Alsace, en passant par la Loire, les Bouches-du-Rhône et La Réunion, accueillant des enfants dès 18 mois sur le modèle des Kindergarten cités par Claude Kern. Ils sont complémentaires, non concurrents, des écoles maternelles. Ils contribuent ensemble à l'inclusion et à la mixité.
À Paris, les jardins d'enfants sont situés très majoritairement dans les quartiers populaires. Centenaires, ils ont été créés pour accueillir les enfants des habitations à bon marché (HBM). Le rapport des inspections générales l'a montré : ils accueillent beaucoup d'enfants de familles populaires. Plus de 600 enfants parisiens sont accueillis. Aux portes de Paris, les familles aux revenus inférieurs à 1 000 euros représentent deux tiers des enfants accueillis.
Partout, les jardins d'enfants sont des modèles d'inclusion. Les enfants à besoins particuliers ou en situation de handicap représentent 10 % des enfants accueillis. À Paris, ils sont 15 %, dont 5 % reconnus par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). C'est plus du double des écoles maternelles.
Le taux d'encadrement est d'un professionnel pour huit enfants de moins de 3 ans, trois pour quinze au-delà. Les jardins d'enfants sont régulièrement contrôlés par la PMI et l'éducation nationale. Les professionnels entretiennent un lien renforcé avec les familles.
Les jardins d'enfants ont dénoncé la loi Blanquer, qui les obligeait à se transformer en crèche ou en école. Nous n'avons cessé de défendre leur existence, au nom d'un principe très simple : pourquoi détruire ce qui fonctionne ? Avec cette proposition de loi, nous sommes proches de la solution.
Je remercie tous ceux qui se sont mobilisés pour les jardins d'enfants. Je salue l'engagement sans faille de David Assouline, Rémi Féraud, Marie-Pierre Monier, mais aussi des députées Fatiha Keloua Hachi, Eva Sas, Michèle Tabarot...
M. Philippe Tabarot. - Excellent !
Mme Colombe Brossel. - ... ainsi que la rapporteure Agnès Evren, Elsa Schalck, Max Brisson, Annick Billon et Laurent Lafon. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST, ainsi que sur des travées du RDSE et des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
Je remercie surtout les familles et les professionnels qui n'ont jamais renoncé. (On renchérit sur plusieurs travées.) Si nous sommes ici aujourd'hui, c'est grâce à leur mobilisation. (Mêmes applaudissements)
Le groupe SER votera bien sûr cette proposition de loi. Alors que la dérogation prend fin en août 2024, nous souhaitons qu'aucun amendement ne soit adopté, car nous n'avons pas le temps d'attendre. Il faut sauver un modèle qui fonctionne ! (Mêmes applaudissements)
Mme Elsa Schalck . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; MM. Cédric Chevalier et Adel Ziane applaudissent également.) Cette proposition de loi est la dernière chance de sauver les jardins d'enfants, complémentaires de l'école maternelle. Ils existent depuis plus d'un siècle et ont fait leurs preuves. Très appréciés des parents, ils jouent un rôle important dans l'intégration des enfants en situation de handicap ou porteurs d'une maladie chronique et soutiennent la parentalité tout en appliquant le programme de l'éducation nationale. Pourtant, ils sont les victimes collatérales de la loi École de la confiance, dont le moratoire prend fin en septembre prochain.
Nous avons tenté de changer la donne. En juin 2023, j'ai déposé une proposition de loi pour préserver les jardins d'enfants. Je suis donc particulièrement heureuse d'examiner cette proposition de loi de Michèle Tabarot. (M. Philippe Tabarot renchérit.) Je remercie chaleureusement Agnès Evren pour son travail et son implication.
Nous partageons tous la conviction que le maintien des jardins d'enfants est indispensable : je salue cette volonté transpartisane de les sauver.
Il importe aujourd'hui de voter ce texte conforme, parce qu'il arrive en extrême justesse, alors que les inscriptions à l'école maternelle commencent. C'est la dernière chance de garantir un avenir aux jardins d'enfants. Je remercie le groupe Les Républicains de l'avoir inscrit à l'ordre du jour.
Souhaitons-nous pérenniser un modèle qui a fait ses preuves ? Pourquoi, sinon, le supprimer ? L'effet de la loi de 2019 se fait déjà sentir, avec 15 fermetures en 2023 et un nombre d'enfants accueillis en forte diminution. Mais pour ceux qui restent, le personnel et les familles très engagés, il nous faut agir ! Nos territoires sont riches de ces traditions locales, particulièrement à Paris et en Alsace. À Strasbourg, ils accueillent beaucoup d'enfants franco-allemands et de fonctionnaires européens, et pour cause : ils s'inspirent des Kindergarten allemands.
Légiférons pour que ce modèle séculaire demeure. Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, SER et du GEST)
Mme Laure Darcos . - (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) Les jardins d'enfants proposent, dans cinquante départements, une pédagogie alternative depuis une centaine d'années. Ces structures associatives et municipales à échelle humaine proposent un modèle complémentaire de celui de l'éducation nationale.
Ils ont une triple ambition parentale, inclusive et sociale. Les parents, comme le personnel, s'y investissent particulièrement.
Les jardins d'enfants font vivre une vision inclusive de l'école et une pédagogie centrée sur les besoins des enfants, qui permet à tous les profils de s'épanouir. Pas moins de 11 % des enfants qu'ils accueillent sont en situation de handicap, et jusqu'à 13 % à Paris. Leur disparition aggraverait les difficultés des familles concernées.
Historiquement, les jardins d'enfants sont liés aux cités ouvrières et accueillent une plus forte proportion d'enfants défavorisés que les autres structures. Aujourd'hui encore, un quart des jardins d'enfants sont situés dans un quartier prioritaire de la politique de la ville.
Nous devons préserver ces lieux de mixité et d'inclusion. Que de temps a été perdu, entraînant un stress pour les familles comme pour les salariés de ces structures... Je salue donc cette initiative parlementaire et souhaite qu'elle aboutisse rapidement.
Ce que les services du ministère considèrent toujours comme une anomalie est en réalité un modèle éducatif original : dommage qu'il ait fallu attendre aussi longtemps pour le pérenniser. Je remercie Michèle Tabarot et Agnès Evren et vous appelle à un vote conforme qui soulagera parents et éducateurs.
Mon collègue Cédric Chevalier aurait aimé conclure ainsi : voici venu le temps des rires et des chants ; dans les jardins d'enfants, c'est tous les jours le printemps ! (Sourires ; applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC)
M. Martin Lévrier. - Il faut chanter ! (Nouveaux sourires)
M. Max Brisson . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue l'initiative de Michèle Tabarot et l'excellent travail d'Agnès Evren. (On renchérit à droite.) Largement transpartisan, ce texte est le fruit d'un beau travail parlementaire, dans la droite ligne des propositions avancées par le Sénat en 2019, lors de la discussion de la loi pour une école de la confiance.
L'Assemblée nationale avait atténué la suppression des jardins d'enfants, proposée par Jean-Michel Blanquer, en instaurant un délai de deux ans. Rétropédalant, le Gouvernement avait accepté trois ans. Nous avions plaidé pour une dérogation pérenne - j'étais pour une fois d'accord avec David Assouline ! -, hélas sans succès, la CMP tranchant pour cinq ans.
Comme Colombe Brossel, je remercie les agents de ces structures, qui n'ont jamais cessé d'y croire. Non seulement les jardins d'enfants n'entravent pas l'obligation d'instruction, mais ils participent pleinement de son application ! En réalité, derrière ce débat s'en cache un autre, sur la diversité des approches pour l'éveil aux apprentissages des tout-petits. À cet égard, madame la ministre, monsieur Lévrier, vos propos ne me rassurent guère...
Ces structures que d'aucuns voudraient rayer d'un trait de plume sont nées dans les quartiers populaires et ont toujours présenté une forte dimension sociale. Bien avant la démocratisation de la maternelle et la scolarisation à 3 ans, elles ont permis la familiarisation des enfants à la vie en collectivité. Sans but lucratif, dotées d'un projet pédagogique fort, elles n'ont jamais fait la moindre concurrence à l'école maternelle.
Vecteurs de mixité, de socialisation et d'inclusion, les jardins d'enfants n'auraient jamais dû être remis en cause.
M. Claude Kern. - Tout à fait !
M. Max Brisson. - Cette proposition de loi revient donc à la situation antérieure à 2019. Je regrette qu'un amendement ait été déposé prolongeant de deux ans la dérogation actuelle - avant que la hache ne tombe... - et que la ministre se soit félicitée de la diminution du nombre de jardins d'enfants.
Le groupe Les Républicains votera ce texte avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SER)
Mme Laurence Muller-Bronn . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'Alsace est décidément en force sur ce texte, qui fait l'objet d'un accord transpartisan dans les deux assemblées - fait assez rare pour être souligné. Je remercie à mon tour Michèle Tabarot et Agnès Evren.
Il s'agit de pérenniser les jardins d'enfants gérés ou financés par une collectivité publique. Ceux-ci sont le fruit d'un modèle centenaire, complémentaire des écoles maternelles et particulièrement implanté en Alsace, dont les deux départements concentrent 40 % des structures, pour 880 enfants accueillis.
De l'autre côté de la frontière, les Kindergarten ont depuis longtemps démontré leurs avantages. Les quinze structures alsaciennes disposent d'une autorisation de fonctionnement délivrée par la Collectivité européenne d'Alsace et sont suivies par la PMI.
Hélas, les jardins d'enfants ne bénéficient pas de la part de l'État du soutien qui serait nécessaire - c'est le moins que l'on puisse dire. Le Haut Conseil de la famille, dans son rapport de 2019, a pourtant souligné leurs nombreuses qualités et appelé à développer de nouvelles places, rappelant que ces structures sont éligibles aux financements de la branche famille.
Ce modèle répond à des besoins spécifiques des familles et remplit tous les objectifs attendus : mixité, respect des rythmes des enfants, inclusion, souplesse des horaires - certains sont ouverts jusqu'à 19 heures, ce qui offre une facilité non négligeable aux familles, notamment monoparentales.
Pourquoi entraver un modèle qui fait l'unanimité dans un contexte de pénurie de places de crèche ? Mettons fin aux incertitudes en pérennisant ces structures dont les familles ont besoin. Puisse le ministère tenir compte de leurs attentes, ainsi que des recommandations des plus hautes instances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Claude Kern et Mme Colombe Brossel applaudissent également.)
Discussion des articles
Article 1er
Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par Mme Havet.
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa
1° Les mots : « 2023-2024 » sont remplacés par les mots : « 2026-2027 » ;
Mme Nadège Havet. - La loi pour une école de la confiance a rendu la scolarisation des enfants obligatoire dès 3 ans, consacrant le rôle fondamental de l'école maternelle. Or une différence de diplôme perdure entre les intervenants des jardins d'enfants et les professeurs des écoles. Sans illusion sur le sort qui attend cet amendement prolongeant la dérogation, je le retire. (On s'en félicite sur de très nombreuses travées.) La rentrée approchant, madame la ministre, il faut agir vite.
L'amendement n°1 est retiré.
L'article 1er est adopté, ainsi que les articles 2 et 3.
La proposition de loi est définitivement adoptée.
(Applaudissements sur de très nombreuses travées)
La séance est suspendue quelques instants.
« Tests PME » et création d'un dispositif « Impact Entreprises »
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi rendant obligatoires les « tests PME » et créant un dispositif « Impact Entreprises », présentée par M. Olivier Rietmann et plusieurs de ses collègues, à la demande de la délégation aux entreprises.
Discussion générale
M. Olivier Rietmann, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP) Depuis des décennies, l'État parle d'une simplification de la vie des entreprises, mais celles-ci l'attendent toujours. Dans les années 1970 déjà, Alain Peyrefitte dénonçait les règles tatillonnes et l'excès de bureaucratie, Valéry Giscard d'Estaing allant jusqu'à parler d'une « marée blanche de la paperasse »... Plus près de nous, les premières assises de la simplification se sont tenues en 2011 et l'exécutif a annoncé en 2013 un choc de simplification.
En dépit de ces déclarations, nos 6 200 ETI, 160 000 PME et plus de 4 millions de TPE affrontent chaque jour un choc de complexité qui paraît sans limite. La perte de valeur qui en résulte est estimée à plus de 60 milliards d'euros par an, dont 28 pour les seules ETI.
Au moment du rapport Attali, le nombre total d'articles législatifs était de 71 000. En 2023, il a atteint 94 000, soit une hausse de 24 % dont nous, parlementaires, portons une part de responsabilité. (M. Martin Lévrier renchérit.) Les normes du code de l'environnement ont augmenté de plus de 40 %, celles du code de la consommation de 47 %. Et je ne parle pas des normes européennes... Comment sérieusement penser que la majorité des entreprises sont en mesure de toutes les appliquer ?
Depuis vingt ans, malgré les incantations, rien n'a vraiment changé. Or la prolifération des normes représente un coût pour les entreprises, qui devraient pouvoir se concentrer sur la création de valeur.
La délégation aux entreprises a sondé 800 patrons : 84 % considèrent que les normes ne sont pas faciles à comprendre et 81 % que la complexité a augmenté depuis cinq ans. Alléger les normes, c'est libérer la croissance et regagner en compétitivité.
Issue du rapport d'information sur la sobriété normative que j'ai présenté avec Gilbert-Luc Devinaz et Jean-Pierre Moga et cosignée par plusieurs collègues de la délégation aux entreprises, de différents groupes politiques, cette proposition de loi vise à instaurer un nouveau paradigme. Je remercie Elsa Schalck pour son important travail.
Ce texte s'attaque en priorité au flux normatif, proposant une nouvelle méthode de fabrique de la loi, fondée sur la sobriété et l'association des entreprises. La simplification doit être une priorité transpartisane de long terme, garantie par une structure indépendante placée au coeur de l'exécutif. Car il faut changer le logiciel de l'administration : elle doit écrire des normes simples et compréhensibles et établir avec les entreprises une relation de confiance.
Directive CSRD, loi Immigration, loi de finances pour 2024 : autant de textes qui, selon les études d'impact, devaient être sans effet sur les entreprises... Pourtant, les évaluations de leurs conséquences varient de 30 000 à 300 000 euros par entreprise !
Notre proposition de loi rend obligatoires les tests PME, qui doivent concerner toutes les entreprises, des TPE aux grandes entreprises en passant par les ETI, essentielles quoique non identifiées par les normes européennes. Exclure les entreprises de la conception des procédures qui les concernent, c'est instaurer un impôt caché : celui du temps prélevé sur leur activité.
Le Haut Conseil que nous instaurons rendra un avis aussi sur les projets d'actes européens ayant un impact technique, administratif ou financier sur les entreprises. La fabrique de la norme européenne nous échappe, et nous le vivons, parlementaires et entreprises, comme un déni de démocratie, personne ne nous ayant alertés sur les conséquences de ces textes souvent soutenus par la France.
Nous proposons aussi un principe de différenciation, consistant à façonner la norme en prenant en compte l'extrême diversité des entreprises. Il s'agit d'appliquer aux entreprises le principe reconnu par la loi 3DS pour les collectivités territoriales. La traduction de ce principe par la commission des lois permettra une application des normes différée dans le temps, pour que les PME puissent mieux s'y préparer.
Enfin, le Haut Conseil, épaulé par un réseau de correspondants dans les administrations, promouvra une culture de la sobriété normative et de la mesure d'impact. C'est le travail normatif quotidien de l'administration qui doit radicalement changer, pour substituer au réflexe de la méfiance une culture de la confiance envers nos entreprises. Nous devons les conforter dans la guerre économique et non les asphyxier par la norme ! N'est-ce pas là la « révolution » qu'Emmanuel Macron promettait en 2017 ?
Mes chers collègues, si vous voulez aider les entreprises, soutenez le combat de notre délégation et adoptons ce texte. La loi de simplification annoncée par le Gouvernement sera votée au plus tôt à la fin de l'année. Accélérons le tempo au bénéfice de la compétitivité de la France ! (Applaudissements à droite et au centre)
Présidence de Mme Sophie Primas, vice-présidente
Mme Elsa Schalck, rapporteure de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le constat de la délégation sénatoriale aux entreprises est sans appel : nos entreprises sont soumises à un nombre croissant de normes législatives et réglementaires, nationales et européennes. Le code de commerce ne compte pas moins de 7 000 articles ! Cela pèse sur notre compétitivité. Le coût de cette situation est évalué à 3 % du PIB, soit 60 milliards d'euros - selon l'estimation basse.
Les tentatives de simplification passées ont tourné court, en particulier le Conseil de la simplification pour les entreprises, qui n'a existé que pendant trois ans.
L'obligation faite au Gouvernement depuis 2009 d'assortir tout projet de loi d'une étude d'impact n'a pas non plus porté ses fruits : ces études servent essentiellement à justifier le texte voulu par le Gouvernement, et, dans la mesure où elles sont rédigées par l'administration, la question de leur impartialité se pose. Certes, la plupart comportent une sous-rubrique consacrée aux impacts sur les entreprises, mais force est de constater que l'évaluation est très perfectible. Comment se satisfaire du commentaire laconique selon lequel « aucun impact n'est attendu » ? Le renforcement des exigences en la matière est indispensable, mais supposera une loi organique.
Ce texte vise à rattraper notre retard, la France n'ayant pas encore mis en place de « tests PME », contrairement à l'Allemagne, aux Pays-Bas et à la Suisse et en dépit des intentions affichées par le Gouvernement. La commission des lois y souscrit largement ; elle s'est efforcée de lever certains obstacles juridiques et de renforcer l'opérationnalité du texte.
Le conseil de la simplification des normes pour les entreprises dont la création est proposée fera pendant au Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), qui concerne les collectivités territoriales. Pour une meilleure visibilité, la commission l'a nommé Haut Conseil de la simplification pour les entreprises. Nous avons jugé préférable d'en faire une commission administrative plutôt qu'une autorité administrative indépendante (AAI), dans la mesure où il aura besoin de l'appui des administrations. Son rattachement au Premier ministre garantira un portage interministériel de haut niveau.
La commission a jugé indispensable de garantir son indépendance par rapport à l'exécutif et a conforté la place des entreprises en son sein, prévoyant un représentant des grandes entreprises et un deuxième représentant des PME. La nomination de son président en Conseil des ministres lui conférera une solide assise institutionnelle. Il ne peut être irrévocable et ne participera pas au Conseil des ministres, mais animera le réseau des correspondants pour la simplification au sein des administrations.
La proposition de loi confie à cette instance des pouvoirs ambitieux en matière d'évaluation de la production normative, en amont comme en aval. Ses avis seront publics et elle remettra un rapport annuel au Premier ministre et aux deux assemblées. Il sera de plus en plus difficile pour le Gouvernement de ne pas tenir compte de ses positions.
Son rôle d'évaluation a priori sera le plus important. À cet égard, nous avons clarifié et sécurisé les procédures de consultation. Le Haut Conseil sera obligatoirement consulté par le Gouvernement sur tout projet de loi, projet de texte réglementaire et projet d'acte européen ayant une incidence sur les entreprises. Il pourra être saisi d'une proposition de loi par les présidents des assemblées.
Ses évaluations comprendront nécessairement un test PME réalisé sur un panel d'entreprises, comme aux Pays-Bas.
L'action sur le stock normatif est également importante. Elle doit être ciblée et progressive. Aussi la commission a-t-elle resserré les dispositions du texte en la matière.
Cette proposition de loi marque une étape importante sur le chemin de l'indispensable simplification des normes. Je vous invite à l'adopter dans le texte de la commission, en espérant qu'elle entraînera un changement de paradigme. L'objectif sera atteint le jour où les études d'impact des projets de loi ayant une incidence sur les entreprises comporteront d'emblée un test PME. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation . - (Applaudissements sur des travées du RDPI) Le rapport de la délégation aux entreprises sur la sobriété normative est de première importance. Il constitue l'étude la plus complète sur cette question, et je sais que Bruno Le Maire est du même avis. Pour ce travail, je vous remercie.
On demande souvent au Gouvernement d'éclairer le Parlement. En l'occurrence, c'est le Parlement qui a éclairé remarquablement le Gouvernement, car ce rapport a nourri notre réflexion des mois durant.
Le constat est partagé : notre pays souffre d'une accumulation de normes. En quelques années, l'inflation du code de la consommation atteint 311 % et celle du code de commerce, 364 % ; la palme revient au code de l'environnement, avec 650 % !
Tout cela a un coût. Plus d'une TPE sur deux a des coûts de gestion représentant 1 à 3 % de son chiffre d'affaires. C'est aussi une question d'égalité économique, car les TPE et PME sont plus vulnérables à l'inflation normative.
Il y a aussi un impact psychologique - or la psychologie est primordiale en économie. De fait, les entrepreneurs peuvent se sentir perdus et esseulés, jusqu'à, parfois, une forme de déréliction.
S'agissant du stock de normes, nos lois et nos codes sont perfectibles : on y trouve des dispositions illisibles, mal articulées, impraticables, voire contradictoires. Ancienne petite entrepreneuse, je sais qu'il faut libérer du temps et de l'énergie pour les chefs d'entreprise.
Mais nous devons garder à l'esprit une valeur qui n'est guère à la mode : la nuance. Il y a des normes qui protègent l'entrepreneur, le consommateur ou le citoyen. « De la nuance avant toute chose, sans rien qui pèse ou pose... »
La norme à chasser, c'est celle qui bride ou empêche. Ce travail, nous le menons avec Bruno Le Maire : le projet de loi qui en résultera sera présenté en premier lieu au Sénat, au mois de juin.
S'agissant du flux de normes, je travaille depuis des mois avec les fédérations et les administrations pour mettre en place des tests PME. L'objectif fait consensus : rendre le droit plus lisible pour les praticiens. Quand la loi bavarde, le citoyen ne lui prête qu'une oreille très distraite... La norme concertée sera toujours meilleure à la norme décrétée.
Nous devons évaluer le coût réel de la norme pour les entreprises et nous assurer qu'il n'y ait pas de disproportion avec l'objectif visé.
Je salue vos travaux, mais plusieurs points doivent retenir notre attention. Faut-il créer une autorité administrative indépendante ? Je me réjouis de l'évolution, en commission, vers une structure placée auprès du Premier ministre pour garantir une approche interministérielle. De fait, les normes qui touchent les entreprises proviennent de plus en plus d'autres sources que le code de commerce.
L'évaluation de l'impact des mesures devra se faire sur la base de panels de vraies entreprises, et non par des collèges d'intermédiaires.
La proposition de loi prévoit le test PME sur un très grand nombre de projets de texte touchant les entreprises. Je comprends votre intention, mais crains un engorgement du Haut Conseil. Pour l'heure, mieux vaudrait s'en tenir aux projets de loi et de décret autonome.
S'agissant de la portée des avis, oui à l'autorité, non à l'obstruction. On ne saurait empêcher le Gouvernement de gouverner, ni le législateur de légiférer. En cas d'avis défavorable, le Gouvernement devra revoir sa copie ou motiver clairement son choix : c'est un bon équilibre.
Je salue le travail de la rapporteure et du président Rietmann.
Les attentes sont immenses. Nous devons mettre en place un dispositif pérenne et fiable qui nous permette de légiférer mieux. Plus largement, la simplification est un état d'esprit : elle doit devenir une hygiène de vie pour l'État. Agissons ensemble. (Applaudissements au centre et sur de nombreuses travées à droite)
M. Guillaume Gontard . - Surcharge administrative, océan de paperasse, tsunami réglementaire : nous connaissons bien ces plaintes des chefs d'entreprise. Ayant été responsable d'une PME, je peux témoigner de ces difficultés, qui posent un problème d'équité entre entreprises et coûtent cher - 3 à 4 % de PIB, selon l'OCDE.
Oui, il faut simplifier. Mais il ne doit pas s'agir d'un prétexte pour amoindrir les règles environnementales ou retirer des protections aux salariés. C'est au nom de la simplification que les deux lois travail ont été menées, que le plan Écophyto a été suspendu... Simplifier, oui, mais pas à n'importe quel prix !
Cette proposition de loi nous paraît apporter une mauvaise réponse à un vrai problème. Le Haut Conseil proposé aurait des pouvoirs considérables, revenant à lui conférer une tutelle sur le pouvoir législatif qui ne peut appartenir qu'au Conseil constitutionnel.
Il est important de consulter les entreprises sur les textes qui les concernent, mais qui ne le fait pas ? Et les entreprises ne disposent-elles pas déjà de puissants lobbies pour les défendre ? (Mme Olivia Grégoire lève les yeux au ciel.)
N'oublions pas que le rôle du politique est d'arbitrer entre des intérêts divergents : entreprises, mais travailleurs, nature...
Pourquoi avoir prévu un siège dans cette commission pour les grandes entreprises ? Le Medef n'est-il pas déjà assez puissant ? Et pourquoi ne pas prévoir des représentants du personnel, qui pourraient témoigner des difficultés rencontrées ?
Nous craignons que ce texte ne serve à réduire les droits des salariés et les protections environnementales. Or ces dernières peuvent être un atout pour nos entreprises - je pense à l'interdiction des gaz chlorés en 1996, dont les industriels annonçaient pourtant qu'elle tuerait la chaîne du froid. Les entrepreneurs sont volontaires pour changer leurs pratiques, mais demandent visibilité et accompagnement.
Nous saluons le travail de la commission mais redoutons un détricotage de normes qui nous protègent sous prétexte de simplification. Nous voterons contre ce texte.
M. Fabien Gay . - L'inflation législative, la complexité des normes et l'épaisseur des codes sont au droit ce que la musique militaire est à la musique. (On apprécie la formule.)
Pourtant, les entreprises nous disent que leur première difficulté n'est pas la multiplication des normes, mais le recrutement et la formation des salariés, ainsi que l'accès au crédit. Elles mentionnent aussi les lenteurs administratives et retards de paiement - on peut espérer une amélioration à cet égard avec la future facture électronique.
Reste qu'il y a une perte de qualité, de lisibilité et de stabilité de la loi. Et pour cause : l'exécutif fait fi du travail parlementaire à coups de procédures accélérées et d'ordonnances. La qualité de la loi ne peut que s'en ressentir. Il faut laisser aux parlementaires le temps d'élaborer la loi, sans les enfermer dans des carcans temporels toujours plus étroits.
D'autre part, la critique de l'inflation normative sous-entend le dogme selon lequel le droit serait une marchandise et les systèmes juridiques seraient en concurrence. Il s'agit de faire place à un marketing territorial étatique.
L'État serait un gêneur dans tous les domaines où il intervient ? Mais les tenants du « moins d'État » sont les premiers à demander des aides publiques lorsque les entreprises vont mal... Quid des 162 milliards d'euros d'aides directes sans contreparties ?
Il faudrait que le droit se fasse ailleurs - et pourquoi pas par les entreprises elles-mêmes, comme le propose indirectement ce texte ? (M. Olivier Rietmann le récuse.)
On voudrait créer une instance pour déterminer si les normes proposées entraînent pour les entreprises des conséquences disproportionnées au regard de leurs objectifs. Mais les réglementations sociales et environnementales poursuivent un objectif d'intérêt général : leur élaboration doit rester hermétique aux logiques de rentabilité.
En outre, simplifier en créant une énième structure est une fausse bonne idée. Des structures d'évaluation existent déjà, à commencer par le Conseil d'État et le CNEN.
Enfin, le flou demeure sur la manière de sélectionner les représentants du patronat. Nous déplorons qu'aucune représentation des salariés ne soit prévue. Comment s'assurer de la fluidité des normes acceptées si les premiers acteurs sont évincés ? C'est un non-sens !
Nous voterons contre cette proposition de loi.
Mme Nathalie Delattre . - Je suis également signataire de cette proposition de loi d'Olivier Rietmann, qui prend à bras-le-corps un problème dénoncé quotidiennement par les chefs d'entreprise.
Les TPE et PME ne disposent pas nécessairement des ressources internes pour faire face à l'intrication des normes. Quand bien même ils les auraient, la réglementation s'accroît bien trop depuis vingt ans - le code de l'environnement a vu son nombre d'articles multiplié par six. Cela coûte 3 % du PIB et pèse sur la performance de la France.
Les collectivités territoriales sont aussi touchées et elles ne sont pas toujours armées, notamment en matière de marchés publics. Tel était pourtant l'objet de la loi 3DS, qui n'a fait qu'effleurer le débat.
Je regrette la léthargie de certaines instances de simplification depuis 2017, dont le conseil de la simplification des entreprises, qui a manqué de portage politique.
Espérons que les assises de la simplification donneront satisfaction.
Certains pays membres et la Commission européenne ont lancé des projets de simplification, mais l'Union européenne reste malheureusement source de complexité - voyez la directive sur le développement durable des entreprises.
Près de cinq ans après la loi Pacte, le temps est venu de redonner de l'élan à la simplification. La colère agricole de ces dernières semaines est venue nous le rappeler.
Même si le Gouvernement a annoncé un projet de loi de simplification en juin, cette proposition de loi est bienvenue. Je regrette toutefois la suppression en commission de l'article 2, qui introduisait le principe de différenciation normative selon la taille des entreprises. La suppression de l'article 3 est plus compréhensible, même si son idée de départ était louable.
Je m'étonne cependant que la dotation financière pour le Haut Conseil ne se soit pas vue opposer l'article 40, mais tant mieux ! Les PME et TPE y seront mieux représentées et la représentation des parlementaires a été rééquilibrée entre l'Assemblée nationale et le Sénat.
La consultation du Haut Conseil, y compris sur les propositions de loi, améliorera le travail normatif en amont. Sa consultation pour l'élaboration des études d'impact est positive.
Tous les membres du RDSE voteront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe UC)
Mme Nadège Havet . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Non sans ironie, le président Rietmann écrit dans son rapport de juin dernier : nul n'est censé ignorer les 11 176 articles du code du travail, les 7 008 articles du code de commerce et les 6 898 articles du code de l'environnement...
Le travail de qualité que vous avez mené avec Gilbert-Luc Devinaz et Jean-Pierre Moga rappelle qu'il faut simplifier, mais sans déréguler et sans recomplexifier. Il faut aussi appliquer les règles existantes, les expliquer et former ceux auxquels elles sont destinées.
Avec plus de 400 000 normes, la France est le deuxième pays où la bureaucratie est la plus complexe. La palme revient au code de l'environnement, qui a crû de plus de 600 % en vingt ans.
L'excès de normes, leur complexité pèsent sur la compétitivité des entreprises.
Quelque 88 % des Français soutiennent la volonté du Président de la République de simplifier les normes et de réduire les procédures administratives. L'inflation normative crée surtout de la désespérance. On casse des vocations, dans tous les secteurs. On entend partout que cela devient trop dur.
Il est urgent de passer du management du contrôle au management de la confiance, avec moins de documents et plus de proximité. Il faut libérer du temps d'échange, de conseil et d'accompagnement. Coautrice d'un rapport sur la commande publique en 2021, j'avais rappelé que de simples rencontres peuvent changer la donne.
Simplifier, c'est compliqué, il faut du temps et de l'écoute.
Madame la ministre, avec Bruno Le Maire vous avez inauguré les rencontres de la simplification. Vous avez reçu plus de 1 500 propositions, et sur internet, 5 300 contributions et 730 000 votes.
Simplifier la vie des entreprises doit devenir la réalité et ce texte est la première étape de ce débat parlementaire. La proposition de loi prévoit la réalisation de tests PME, l'évaluation des normes par une autorité indépendante et le pilotage de la simplification des normes par un haut-commissaire.
Nous soutenons l'idée du test. Il faut également limiter le flux et mettre en place une gouvernance afin de lutter contre la multiplication des normes. La France a du retard par rapport à la Scandinavie et au Benelux.
En commission, le Conseil de surveillance et d'évaluation de la simplification pour les entreprises a été transformé en une commission administrative rattachée au Premier ministre.
Le RDPI votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Gilbert-Luc Devinaz . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) À l'occasion du travail réalisé par la délégation aux entreprises en 2023, avec Jean-Pierre Moga et Olivier Rietmann, nous avons réalisé de nombreuses auditions.
Nous avons constaté la prolifération des normes et leur coût pour les entreprises, un avis largement partagé, la démarche pragmatique entamée en 2017 laissant largement les PME à bord du chemin.
En vingt ans, les textes législatifs ont augmenté de 76 %, les règlements de 56 %. La norme est aussi plus bavarde... Avec cette multiplication, l'adage selon lequel nul n'est censé ignorer la loi est désormais une fiction juridique.
La mission a fait son travail de politique comparée. Les Pays-Bas sont particulièrement inspirants, avec une autorité d'évaluation, un tableau de bord concerté avec les acteurs et un dialogue constant avec les entreprises.
En France, les travaux de Thierry Mandon montrent que la simplification ne peut être perçue simplement comme un outil de productivité pour les entreprises. La simplification n'est pas une décision suprême en provenance des administrations, elle doit se construire à partir de l'expérience des usagers.
Cette proposition de loi est un pas, insuffisant. Est-il vraiment utile de légiférer ? Un conseil de la simplification pour les entreprises avait été créé par décret en 2014. Le CNEN montre malheureusement ses limites. Les moyens dévolus au futur Haut Conseil ne semblent pas à la hauteur.
Le seul prisme de cette proposition de loi est l'activité des entreprises. Fera-t-elle de la simplification normative une véritable politique publique, dans la perspective d'une nécessaire adaptation au changement climatique ? La dimension citoyenne n'est pas prise en compte. La stratégie reste à définir.
Je salue le travail de la commission et de sa rapporteure, mais la proposition de loi ne répond pas à ces questions essentielles. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Jean-François Rapin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Merci au président Rietmann. Je salue le travail de la délégation aux entreprises pour soutenir les entreprises françaises et singulièrement les PME, au coeur de la vie de nos territoires. Merci encore à la rapporteure Elsa Schalck.
La récente montée des tensions du monde agricole dans toute l'Europe l'a rappelé : l'Union européenne est souvent perçue comme un facteur de complexité.
Et pourtant, l'Union européenne donne l'accès à un marché unique qui a simplifié de manière extraordinaire l'exportation.
Et pourtant, l'Union européenne porte une réelle attention aux PME. Dans l'accord institutionnel du 13 avril 2016, les institutions européennes se sont en effet accordées sur la nécessité d'études d'impact, en tenant particulièrement compte des PME. La Commission européenne s'assure de les faire participer à ses consultations législatives. Les tests PME ont été impulsés dès 2009.
Dans son dernier discours sur l'état de l'Union, la présidente de la Commission européenne a fait de la meilleure prise en compte des PME une priorité. Le train de mesures de soutien aux PME du 12 septembre dernier vise à améliorer leur environnement réglementaire en sanctuarisant le principe « un ajout, un retrait », cher à la délégation aux entreprises.
À l'échelon national, François Hollande, candidat à la présidence de la République, avait fait du test PME un argument de campagne, mais il a fallu la détermination de la délégation pour transformer ce voeu pieux en réalité. En 2017, Olivier Cadic et notre ancienne collègue Élisabeth Lamure proposaient de rendre les tests PME obligatoires. Nous espérons que cette proposition de loi poursuivra son chemin. D'autres pays européens l'ont déjà fait avec succès. Mais encore faut-il que les structures soient crédibles, reconnues, et disposent de moyens. Le Gouvernement devra s'engager en ce sens.
La charge administrative ou les obstacles réglementaires figurent parmi les plus gros problèmes des PME, pour 55 % d'entre elles.
Je sais la difficulté de passer des mots aux actes. Les textes de l'Union européenne devraient être adaptés aux enjeux des PME, or il y a parfois un gouffre entre les intentions et la réalité du terrain. La directive CSRD pose ainsi problème.
M. Bruno Retailleau. - C'est clair !
M. Jean-François Rapin. - Nous devons dénoncer l'indigence de l'étude d'impact.
Je lance un appel : saisir le Parlement français une fois qu'un règlement ou une directive a été adopté, c'est trop tard. Les entreprises doivent nous alerter dès la phase de consultation ou au plus tard lors de la publication du texte. Si elles attendent la fin du processus législatif pour saisir le Sénat, il est trop tard. Ce n'est pas à la portée de toutes les PME, mais c'est assurément à celle de leurs fédérations.
En dépit de la volonté affichée de la Commission européenne, certains textes soulèvent de réelles difficultés, comme celui sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. Le dispositif finalement se rapproche des demandes du Sénat.
Je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Emmanuel Capus . - Jouer au football, c'est simple, mais jouer simple, c'est la chose la plus difficile du monde, disait feu Johan Cruyff.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - C'est pareil pour la danse classique !
M. Emmanuel Capus. - Pour marquer des buts comme pour écrire la loi, c'est souvent compliqué pour la France ! Les tentatives de simplification sont souvent restées inabouties. Depuis la demande de Pompidou d'arrêter d'emmerder les Français, on essaie de simplifier.
Le coût des normes est colossal. Je remercie Olivier Rietmann de son initiative, car il y a trop de normes, de lois, de règlements. Il faut simplifier pour améliorer notre compétitivité et ne pas embêter les entreprises, pour rester poli !
Dans son discours de politique générale, le Premier ministre l'a dit : il faut débureaucratiser. Le chantier est immense, mais la volonté partagée. Avec cette proposition de loi, le Sénat est dans son rôle. Cette proposition de loi innovante propose une nouvelle méthode. En généralisant le test PME, le président Rietmann propose de passer toutes les normes au tamis des entreprises, plutôt que de corriger le tir après avoir constaté les dégâts. Le groupe INDEP partage cette ambition.
Toutefois, il est souvent compliqué de simplifier. Pour cela, il faut bien légiférer, bien concerter et éviter de multiplier les procédures, d'où mes réserves sur le texte initial qui créait six nouveaux articles.
En outre, créer une nouvelle dépense pour le fonctionnement de ce Haut Conseil n'est pas la meilleure façon de réduire nos dépenses (M. Olivier Rietmann hausse les épaules.) et cela pèsera sur nos entreprises.
Mes réserves portent sur la lettre et non l'esprit de cette proposition de loi. Je vous présenterai donc des amendements.
Mme Dominique Vérien . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Simplifier la vie de nos entreprises est un objectif que nous sommes nombreux à partager au Sénat, pour des raisons de compétitivité, d'innovation ou simplement de bon sens.
L'inflation normative est une réalité : tout bon chef d'entreprise devrait connaître 20 000 articles de loi. Oui, les grandes entreprises peuvent y faire face, avec toutefois un impact sur leur productivité. En revanche, les TPE et PME, qui forment le tissu économique de nos territoires, ont bien plus de difficultés et y consacrent un temps croissant, au détriment de la création de valeur.
Nous avons conscience de cette situation absurde et contre-productive. Les travaux de la délégation aux entreprises et d'Olivier Rietmann s'en font l'écho, tout comme le ministre Bruno Le Maire, qui organise de futures assises de la simplification administrative.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Avec moi.
Mme Dominique Vérien. - En 2008, a été installée la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) pour les collectivités territoriales, devenue le CNEN - j'y ai siégé. Pas sûr qu'il atteigne les objectifs fixés. Je pense aux assises de la simplification de 2011 ou encore au conseil de la simplification pour les entreprises, qui a existé entre 2014 et 2017. Finalement, ce fameux dégraissage normatif serait-il hors de portée ?
Ces normes ont souvent été créées par nous, parlementaires, au nom d'objectifs louables. Simplifier nécessitera de revenir sur ces contraintes que les entreprises ne supportent plus, mais que nous pensions utiles au moment de les voter. Le texte peut-il apporter une solution ? Je voudrais partager cet optimisme.
Le Haut Conseil aurait un travail d'évaluation en amont, en étant associé à la rédaction des projets de loi. Il piloterait la réalisation des tests PME. En aval, il évaluerait régulièrement les normes applicables aux entreprises, en vue de proposer des adaptations ou des abrogations.
Cette proposition de loi va dans le bon sens, mais veillons à ce que le Conseil soit doté de moyens suffisants et que le Gouvernement, mais aussi les parlementaires et l'administration, s'appuient sur son expertise.
Je salue le travail d'Elsa Schalck sur le rattachement administratif de la structure, le rôle de son président et la procédure de saisine.
En espérant que cette structure sera plus efficace que celles qui l'ont précédée, le groupe UC votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Christophe Chaillou . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le chantier de la simplification est un véritable serpent de mer des politiques publiques. L'excès de normes nous coûte plusieurs points de PIB.
Ce travail de simplification nous est demandé par tous, pour mettre fin à la surtransposition de normes de l'Union européenne - ou en tout cas ce qui est vécu comme tel - et à inflation normative. Mais les entreprises nous interpellent aussi sur l'instabilité des normes.
Les normes sont indispensables, car elles encadrent et protègent. Elles nous permettent d'affirmer nos exigences, notamment en matière d'environnement et d'égalité salariale. Certes, elles cristallisent les passions, mais sachons raison garder.
Cette proposition de loi nous semble bienvenue : les tests PME sont une mesure extrêmement positive. En revanche, la création d'une nouvelle structure nous laisse perplexes... La proposition de loi ne prévoit pas de mesure de simplification, mais une gouvernance, une méthode : est-ce le dispositif le plus adapté ? Nous avons aussi des doutes sur sa constitutionnalité.
La complexité et l'instabilité des normes résultent non seulement de leur nombre, mais aussi de leur rédaction.
Madame la rapporteure, vous avez accompli un véritable travail de simplification... (Sourires) Le travail de la commission des lois nous semble plus satisfaisant. (M. Christophe-André Frassa apprécie.)
Nous regrettons cependant l'invisibilisation de la dimension citoyenne, qui devrait pourtant être au coeur du chantier de simplification. Alors que les moyens sont comptés, nous nous interrogeons aussi sur la création d'une nouvelle structure.
Nous partageons l'objectif, mais ce texte manque en partie sa cible. C'est pourquoi le groupe SER s'abstiendra, positivement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Christophe-André Frassa, vice-président de la commission. - On progresse ! Encore un petit effort !
Discussion des articles
Article 1er
Mme la présidente. - Amendement n°12, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 5
Remplacer les mots :
en Conseil des ministres
par les mots :
par le Premier ministre
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Nous souhaitons confier la nomination du président du Haut Conseil au Premier ministre, et non en Conseil des ministres, car la Constitution prévoit que le chef du Gouvernement dispose de l'administration.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - Je m'exprimerai à titre personnel sur les amendements du Gouvernement, car, les ayant reçus cet après-midi, la commission n'a pu se réunir.
Avis défavorable : le Haut Conseil sera évidemment rattaché au Premier ministre, mais il nous semble important que la désignation de son président se fasse en Conseil des ministres pour lui conférer l'impulsion et l'indépendance nécessaires.
L'amendement n°12 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°3 rectifié ter, présenté par MM. Capus, Brault et Chasseing, Mme L. Darcos, M. Grand, Mme Lermytte, MM. V. Louault et A. Marc, Mme Paoli-Gagin et MM. Verzelen et L. Vogel.
I. - Alinéas 6 à 9
Rédiger ainsi ces alinéas :
2° Un représentant des grandes entreprises ;
3° Un représentant des entreprises de taille intermédiaire ;
4° Deux représentants des petites et moyennes entreprises ;
5° Un représentant des microentreprises ;
II. - Après l'alinéa 12
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Les représentants mentionnés aux 2° à 5° sont désignés par le Premier ministre, sur proposition des organisations professionnelles représentatives au niveau national et interprofessionnel.
M. Emmanuel Capus. - Il nous semble important de prévoir des représentants des entreprises, et non des organisations patronales.
Deuxième objectif de cet amendement que j'ai rendu identique à celui de la rapporteure : chaque strate d'entreprise doit être bien représentée.
Mme la présidente. - Amendement identique n°7, présenté par Mme Schalck, au nom de la commission.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - Merci pour votre rectification. Il s'agit de prendre en compte les modalités de représentation des différentes catégories d'entreprises.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Avis favorable.
Les amendements identiques nos3 rectifié ter et 7 sont adoptés.
Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par MM. Gontard et Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus et Fernique, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
Après l'alinéa 9
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
...° Trois représentants des organisations syndicales, désignés par le Premier ministre, sur leur proposition ;
M. Guillaume Gontard. - Cet amendement rééquilibre la composition du Haut Conseil en ajoutant trois représentants des organisations syndicales.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - Avis défavorable : le Haut Conseil n'est pas une instance de dialogue social, mais bien une structure d'évaluation et de conseil. En outre, la crainte d'une tutelle sur les pouvoirs législatif et exécutif est infondée, car il s'agit d'une instance consultative, essentiellement nommée par le Premier ministre. Pour conserver son opérationnalité, n'alourdissons pas ses effectifs.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Après réflexion, la présence de représentants syndicaux pourrait apporter un éclairage complémentaire intéressant. Dès lors, sagesse.
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°11, présenté par le Gouvernement.
Après l'alinéa 12
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
9° Cinq représentants de l'État.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Nous voulons ajouter cinq représentants de l'État au Haut Conseil. Le CNEN comporte ainsi neuf représentants de l'État : cela enrichit les débats. Pour ne pas alourdir le Haut Conseil, nous nous limitons à cinq personnes.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - Le Haut Conseil doit être agile et fonctionnel. L'amendement modifierait considérablement ses équilibres internes. Avis défavorable.
L'amendement n°11 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°8, présenté par Mme Schalck, au nom de la commission.
Alinéa 14
Supprimer les mots :
d'élection ou
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - Correction d'une erreur matérielle : aucun des membres du Haut Conseil n'est élu.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Avis favorable.
L'amendement n°8 est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°14, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 20
Supprimer cet alinéa.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Le texte confie au président du Haut Conseil le soin d'animer un réseau de correspondants ministériels à la simplification. Cette initiative est louable : c'est pourquoi le Président de la République a lancé le programme ETIncelles, un réseau de correspondants dans l'ensemble des administrations d'État pour mesurer les incohérences normatives que peuvent rencontrer les entreprises. Laissons donc le Haut Conseil se concentrer sur ses autres missions. Quoi qu'il en soit, ETIncelles nourrira utilement ses travaux.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - La simplification est un objectif ambitieux : elle doit conduire à un changement de culture. C'est en animant ce réseau de correspondants que nous y parviendrons.
L'animation du réseau avait été confiée au commissaire à la simplification au début des années 2010. Il est légitime que le président du Haut Conseil reprenne cette mission, d'où mon avis défavorable.
L'amendement n°14 n'est pas adopté.
L'article 1er, modifié, est adopté.
Article 1er bis
Mme la présidente. - Amendement n°13, présenté par le Gouvernement.
I. - Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
Il émet, à la demande du Gouvernement, un avis sur les projets de textes réglementaires ayant un impact technique, administratif ou financier sur les entreprises.
II. - Alinéa 3
Supprimer cet alinéa.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Concentrons l'activité du Haut Conseil sur ses tâches les plus importantes. Sa saisine ne doit donc pas être obligatoire pour les projets d'actes réglementaires, car la charge de travail serait alors très importante et l'on risquerait des annulations pour non-consultation. Il en va de même pour la saisine du Haut Conseil sur les actes de l'Union européenne.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - Avis défavorable.
Sur la transformation de la saisine obligatoire en saisine facultative, la question des moyens est primordiale. Mais ne créons pas deux régimes distincts, sur le législatif et le réglementaire, qui sont touchés par l'inflation normative l'un comme l'autre.
Sur les actes de l'Union européenne, même si la Commission fait des tests PME, le Haut Conseil conserve un rôle en matière de lutte contre la surtransposition.
L'amendement n°13 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°2, présenté par MM. Gontard et Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus et Fernique, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
, de la santé, des droits sociaux et de l'environnement
M. Guillaume Gontard. - Nous souhaitons exclure les normes sanitaires, sociales et environnementales de la compétence du Haut Conseil. Évitons les reculs sous prétexte de simplification.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - Si cet amendement était adopté, un champ considérable de normes serait exclu de la compétence du Haut Conseil. Certes, certaines sont incontestablement nécessaires, mais l'inflation législative touche tous les domaines : voyez l'évolution du code de l'environnement depuis 2002. Avis défavorable.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Même avis.
L'amendement n°2 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°4 rectifié quater, présenté par MM. Capus, Brault et Chasseing, Mme L. Darcos, M. Grand, Mme Lermytte, MM. V. Louault et A. Marc, Mme Paoli-Gagin et MM. Verzelen et L. Vogel.
Alinéa 13
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il alerte également, le cas échéant, sur la surtransposition de normes européennes dans le droit français.
M. Emmanuel Capus. - La surtransposition des normes européennes est une vraie source de complexité. Le Haut Conseil doit pouvoir alerter sur ce risque. J'avais déposé un premier amendement, légèrement différent : à la demande de la rapporteure, j'ai rendu mon amendement identique au sien.
Mme la présidente. - Amendement identique n°9, présenté par Mme Schalck, au nom de la commission.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - La commission vous en remercie. Avis favorable, évidemment.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Cet objectif est déjà recherché, Bruno Le Maire l'a rappelé lors du lancement des Rencontres de la simplification. Inutile de l'inscrire dans la loi. L'amendement étant satisfait, demande de retrait ou avis défavorable.
Les amendements identiques nos4 rectifié quater et 9 sont adoptés.
L'article 1er bis, modifié, est adopté.
Article 1er ter
Mme la présidente. - Amendement n°6 rectifié bis, présenté par MM. Capus, Brault et Chasseing, Mme L. Darcos, M. Grand, Mme Lermytte, MM. V. Louault et A. Marc, Mme Paoli-Gagin et MM. Verzelen et L. Vogel.
Supprimer cet article.
M. Emmanuel Capus. - Je suis tiraillé entre ma qualité de vice-président de la délégation aux entreprises - et donc très favorable à ce Haut Conseil - et celle de vice-président de la commission des finances, soucieux de l'équilibre de nos finances publiques. Est-il indispensable de créer une dotation alors que ce Haut Conseil fera partie des services du Premier ministre ? Les moyens mis à leur disposition ne suffisent-ils pas ? Cela éviterait une nouvelle dépense - pour laquelle, au demeurant, aucune nouvelle recette n'a été prévue.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - Ne soyez pas tiraillé ! Il n'y aura pas de simplification sans action forte, pas de changement de culture et de paradigme sans y mettre les moyens. Nous partageons le souci de la soutenabilité des finances publiques, mais les missions confiées au Haut Conseil ne pourront être menées à bien à effectifs constants.
J'ajoute que le travail de simplification doit permettre de dégager des économies, alors que le poids des normes est évalué à 60 milliards d'euros par an. Pour l'heure, cette dotation est nécessaire. Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Me voilà moi aussi tiraillée...
M. Emmanuel Capus. - C'est contagieux !
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Ce Haut Conseil, que j'appelle de mes voeux depuis dix ans, doit disposer des moyens nécessaires. Mais il devrait pouvoir bénéficier des moyens des services du Premier ministre. J'étais moi aussi membre de la commission des finances... Aussi, avis favorable. Nous pourrons y revenir dans le projet de loi de finances.
L'amendement n°6 rectifié bis n'est pas adopté.
L'article 1er ter est adopté.
L'article 1er quater est adopté.
Intitulé de la proposition de loi
Mme la présidente. - Amendement n°10, présenté par Mme Schalck, au nom de la commission.
Remplacer le mot :
rendant
par les mots :
visant à rendre
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - C'est le meilleur des amendements, rédactionnel.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Après moult tergiversations et tiraillements, avis favorable. (Sourires)
L'amendement n°10 est adopté.
Mme la présidente. - Je rappelle que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble de la proposition de loi se dérouleront mardi 26 mars à 14 h 30.
M. Olivier Rietmann. - Je remercie nos collègues de leurs interventions ainsi que la rapporteure de son travail exceptionnel, qui rend applicable une proposition de loi rédigée par un non-juriste. Merci à la commission des lois, merci à la ministre pour son soutien. J'espère que nous continuerons dans le même excellent état d'esprit. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
La séance, suspendue à 19 h 40, reprend à 21 h 30.
Conseil européen des 21 et 22 mars 2024
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars 2024, à la demande de la commission des affaires européennes.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe . - Je suis honoré de vous présenter les principaux sujets du Conseil européen des 21 et 22 mars. Prenons du recul, sept ans après le discours de la Sorbonne et alors que se clôt, avec la mandature du Parlement, un cycle institutionnel européen.
Ce Conseil européen se tient à un moment charnière, avec des sujets essentiels. Ukraine, défense, Proche-Orient, agriculture, agenda stratégique, migrations : pas un sujet qui ne reflète les priorités de l'agenda de souveraineté défini par le Président de la République en 2017.
Il y a sept ans, la souveraineté européenne paraissait comme une idée abstraite, voire une utopie française. Mais face à des crises inédites, le combat français a trouvé un écho. La France plaide pour une Europe forte dans le monde, pour une Europe de la défense complémentaire l'Otan. La pandémie et la guerre ont brisé des tabous immuables. Nos partenaires européens nous disent que les idées qu'ils adoraient détester sont devenues les leurs.
L'Allemagne a lancé son zweite Wende, la Pologne a investi dans ses capacités de défense et le Danemark, par un référendum historique, a rejoint la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Nous avons recouru à la facilité européenne de paix pour financer des livraisons d'armes à un pays en guerre.
Face à la Russie, nous devons faire plus, mieux et différemment, à l'instar de l'initiative du Président de la République du 26 février dernier. C'est l'esprit du sommet de Versailles, qui devait concrétiser le réveil stratégique européen et poser les premiers jalons d'une base industrielle et technologique de défense (BITD) plus solide.
Après le covid, l'agenda de Versailles avait constitué un tournant, avec une sécurisation des productions de semi-conducteurs, sécurisation alimentaire, capacités de défense... En deux ans, l'Union européenne a été au rendez-vous et a donné une impulsion à l'industrie européenne, avec un travail législatif ambitieux. Dans le sillage de Versailles, nous nous sommes affranchis de la dépendance au combustible russe et avons relocalisé une partie de la production de technologies énergétiques propres sur le continent européen. Nous devons désormais achever l'agenda de Versailles sur la défense et avancer sur la sécurité alimentaire.
La Commission européenne et le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) ont présenté une stratégie de défense européenne. Nous devons nous doter de tous les outils nécessaires et produire, acheter plus en Europe, pour fournir à l'Ukraine sa profondeur stratégique et renforcer la résilience de nos armées. Il faut donc mobiliser toutes les ressources, y compris l'emprunt, la Banque européenne d'investissement (BEI) et l'épargne privée - notre crédibilité en dépend.
Nous devons clairement expliquer aux Français le tournant décisif de la guerre en Ukraine : à travers elle, l'Union européenne protège les citoyens européens. La défense européenne n'est pas une alternative à l'Otan, mais nous rend tous plus forts.
Le Conseil européen se penchera, pour l'élargissement, sur un cadre de négociations pour l'Ukraine et la Moldavie, et un rapport de progrès pour la Bosnie-Herzégovine. Le Président de la République a rappelé la nécessité géopolitique d'une Europe élargie lors de la conférence Globsec de Bratislava.
Sur le conflit au Proche-Orient, le Conseil européen veillera à l'application du droit humanitaire à Gaza.
Quant aux migrations, une Europe souveraine doit maîtriser ses frontières. En plus du pacte, historique, sur les migrations et l'asile, nous devons renforcer le dialogue avec les pays partenaires pour éviter les départs et améliorer la coopération pour les retours.
C'est donc une victoire idéologique du logiciel français de souveraineté européenne. Nous devons renforcer la mise en oeuvre de l'agenda de Versailles.
Mme Catherine Dumas, vice-présidente de la commission des affaires étrangères . - Le 1er février, la présidente de la Commission européenne se félicitait d'un bon jour pour l'Europe et le président Zelensky d'une victoire commune contre la Russie, avec 50 milliards d'euros supplémentaires accordés à l'Ukraine par l'Union européenne. Mais cette belle unité n'est déjà plus : après les propos du Président de la République du 26 février, la plupart de nos alliés, notamment allemands, ont pris leurs distances, sans parler de l'effet sur le Kremlin de cette étrange conception de l'ambiguïté stratégique. Le sujet est trop grave pour des effets de manche.
Ne pas franchir le seuil de belligérance pose problème, alors qu'empêcher l'accès à la Transnistrie nécessitera plus que des formateurs et des démineurs.
Le vrai sujet, c'est que nous ne pouvons fournir à l'Ukraine les munitions dont elle a besoin. La discrétion des États-Unis, qui consentent à un maigre paquet de 300 millions de dollars, n'est pas rassurante.
Cette stratégie est-elle compatible avec l'élargissement de l'Union européenne à l'Ukraine ? Cela ressemble à une fuite en avant. Nous promettons l'adhésion à un pays auquel nous n'avons pas réussi à fournir un tiers des munitions promises. Est-ce responsable ?
Au Moyen-Orient, le conflit israélo-palestinien risque d'embraser la région et la situation humanitaire est chaque jour plus catastrophique. La capacité d'initiative de l'Europe est bien faible malgré son rôle de bailleur. Certains États membres formulent des propositions audacieuses : l'Espagne et l'Irlande demandent la remise en cause de l'accord de coopération avec Israël. La Belgique, malgré la neutralité qu'impose la présidence du Conseil, estime que la question se pose. Quelle sera la position de la France ?
La recomposition violente du monde s'accélère. Les pays européens doivent jouer tout leur rôle, ce qui suppose une stratégie commune et des positions fortes et claires. Nous attendons que le Gouvernement agisse en ce sens lors du Conseil européen. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Je salue les initiatives prises, notamment par la République tchèque, pour approvisionner l'Ukraine en munitions acquises à l'extérieur de l'Union européenne.
Après une hausse de 40 %, l'objectif est d'atteindre une capacité de production de 1 million d'obus de 155 mm en 2024, puis de 2 millions d'obus sur le territoire européen. Le programme du 5 mars de la Commission européenne donnera certains leviers.
Sur le Proche-Orient, nous souhaitons une déclaration forte rassemblant largement les vingt-sept États membres pour condamner le plus grand massacre antisémite du XXIe siècle et appeler Israël à respecter le droit international et à autoriser l'acheminement de l'aide humanitaire à Gaza.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances . - La réunion du Conseil européen marquera le lancement du semestre européen 2024, dans lequel s'inscrit la présentation du Programme national de réforme et du Programme de stabilité au printemps, mais aussi la recommandation de la Commission européenne sur la politique économique de la zone euro. Ce document est instructif ! Il préconise une politique budgétaire plus restrictive, pour rétablir la viabilité des finances publiques. La France en est loin.
Ainsi, alors que le ratio européen de la dette sur le PIB devrait baisser de 2,8 points et atteindre un peu moins de 90 % fin 2024, la France continue de s'endetter. Nous sommes en queue de peloton, juste devant l'Italie et la Grèce - Chypre, la Belgique, l'Espagne et le Portugal nous ont dépassés.
Mais le Gouvernement préfère le coup de rabot réglementaire à la réduction des dépenses non productives ! La commission des finances avait pourtant identifié des sources d'économies lors du dernier PLF. Des mesures en ce sens seront-elles incluses dans le Programme national de réforme ? Aurez-vous une prévision de croissance plus réaliste que celle fondant la loi de finances pour 2024 ?
Le cadre révisé de gouvernance économique doit entrer en vigueur dans les prochains mois. La France a obtenu un assouplissement temporaire en excluant les charges d'intérêt supplémentaires, mais il faudra anticiper d'importants efforts budgétaires : selon l'Eurogroupe, si le cadre s'appliquait aujourd'hui, il conduirait à une politique budgétaire plus restrictive.
J'encourage le Gouvernement à adopter une position de sérieux budgétaire et à anticiper la mise en place du pacte de stabilité et de croissance (PSC) révisé.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Vous avez raison : la France doit être au rendez-vous de ses engagements européens. Le Gouvernement est pleinement mobilisé, avec une réduction de 10 milliards d'euros de dépenses à laquelle chaque ministère travaille.
La France s'est mobilisée pour ajuster les critères du PSC, anciens et méritant d'être assouplis. Elle doit respecter ses engagements.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je serai attentif. La France se livre à un exercice inédit. Vous venez d'annoncer une révision brutale du budget voté à l'automne. Quelle est la nouvelle prévision de croissance ? Pour quels effets ? Si la France veut encore tenir un rôle européen, ce n'est pas en mauvaise posture sur la dette et les finances publiques que nous servirons d'exemple. Le Gouvernement doit se ressaisir !
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je retiendrai trois sujets pour notre débat : le soutien à l'Ukraine, la stratégie de sécurité et de défense et l'agriculture.
L'unité européenne est mise à l'épreuve sur l'Ukraine. Le chancelier allemand refuse de livrer des missiles Taurus, alors que le Président de la République envisage des troupes au sol. La coalition artillerie issue du sommet au format Weimar ne résorbe pas des divergences de fond préoccupantes, alors que Poutine guette les signes de faiblesse.
Notre assemblée, la semaine dernière, a appuyé le soutien à l'Ukraine, convaincue que le coût d'une défaite serait encore supérieur. Mais peut-on tenir longtemps cette ligne, faute de marge de manoeuvre budgétaire ? Alors que la facilité pour la paix doit dégager 5 milliards supplémentaires, pourra-t-on tirer, comme l'espère la France, 3 milliards d'euros des avoirs russes ?
L'enjeu est surtout de construire une architecture durable de sécurité, à même de faire face à Vladimir Poutine et peut-être, demain, de se passer du président Trump. Le soutien à l'industrie de défense européenne nécessite des moyens importants, avec le soutien de la BEI. Quant à un nouvel emprunt commun, le Sénat s'inquiète déjà du remboursement de l'emprunt pour la relance d'il y a deux ans. Pouvez-vous nous rassurer ?
La Commission européenne et le haut représentant ont présenté une communication sur la PSDC et le programme d'investissements, qui heurte les compétences des États membres en matière de défense. Or il ne s'agit pas d'une industrie comme une autre. Avec Cédric Perrin, nous vous avions averti. Jusqu'où le Gouvernement est-il prêt à s'en remettre à la Commission européenne ?
L'heure de vérité sur l'agriculture, troisième enjeu du conseil européen, a sonné. Le Sénat n'a cessé de dénoncer les problèmes par des résolutions européennes successives. Il se félicite de la révision de la politique agricole commune (PAC) proposée - enfin, enfin ! le tabou est brisé. Un Égalim européen est envisagé. Mais en attendant, les revenus baissent, les contraintes s'accumulent, et les flux de volaille et de sucre ukrainiens explosent. Il est urgent de secourir nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Gisèle Jourda applaudit également.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Vous avez cité des divergences, ce sont des complémentarités : il y a une unité européenne pour soutenir la résistance ukrainienne, aussi longtemps et intensément que nécessaire.
Plusieurs pistes sont sur la table s'agissant du financement : mobilisation des profits d'aubaine des actifs russes gelés, extension du mandat de la BEI, soutenue par quatorze États membres, grand emprunt, plus exploratoire, mais pas à écarter au vu des besoins.
Sur le premier jet de la stratégie industrielle de défense européenne (Edis) et le programme européen pour l'industrie de la défense (Edip), la France est satisfaite puisqu'elle y retrouve la préférence européenne, mais sera très attentive à ce que les prérogatives nationales ne soient pas communautarisées. Nous devons renforcer l'interopérabilité de notre BITD, mais c'est bien sur les États membres que repose l'essentiel de la politique de sécurité et de défense.
Je me félicite des mesures de simplification des règles agricoles, de la révision de la PAC. Il faudra aller plus loin : Égalim européen, équité concurrentielle, avec la force d'intervention, et mesures miroir.
Mme Cathy Apourceau-Poly . - À chaque jalon de la construction européenne, on nous vante l'Europe sociale et la paix. Mais après avoir sacrifié la politique sociale sur l'autel de l'austérité et de la libre concurrence, l'Union européenne prépare la guerre. La ligne de front s'est gelée. La guerre a jeté 4 millions de personnes sur les routes ukrainiennes, 6 millions sont en exil.
L'Union européenne doit élaborer une solution globale de sécurité en Europe et s'affranchir de la ligne atlantiste. Les coups de menton du Président de la République, à Prague, au journal télévisé, dans Le Parisien, sont rejetés par les dirigeants européens, alors qu'il s'agit d'un travail pour faire prendre conscience aux Français que la guerre contre la Russie est inévitable.
Mais un conflit avec la seconde puissance nucléaire mondiale n'est pas une option. La paix est une nécessité existentielle pour la France, l'Europe et l'humanité. Notre jeunesse ne doit pas aller au front.
La directive dite méga-camions, adoptée le 12 mars dernier, recueille la majorité des voix des groupes PPE, où siègent les républicains, Renew, avec la majorité présidentielle, et des socialistes et démocrates. Or ces camions de 60 tonnes, longs de 25 mètres, de véritables immeubles roulants, sont un désastre écologique neuf fois plus polluant que le rail, auquel les États membres ne pourront s'opposer.
Faute d'investissement et de sortir de la logique du tout-routier, le fret déraille, avec un volume en baisse de 43 % et Fret SNCF en crise depuis l'ouverture à la concurrence. La directive pourrait causer une chute supplémentaire de 21 % et de 16 % du transport combiné. Les 900 millions d'euros des contrats de plan État-Région (CPER) n'y changeront rien : un fret sans client, la belle affaire ! À quoi bon inaugurer la ligne Calais-Turin pour la mettre en concurrence avec ces mastodontes ?
Monsieur le ministre, confirmez-vous, comme M. Vergriete, que le report modal est une priorité du Gouvernement ?
Toujours sur l'écologie, sous la pression du patronat et des géants de la finance, et avec la complicité de la France, le secteur financier est exonéré de tout contrôle a priori sur ses prêts et investissements. La finance verte est une fumisterie : aucune conditionnalité climatique des rémunérations des dirigeants. Les actions gratuites se déverseront encore par milliards. Courroie de transmission des lobbies, confirmez-vous que la France a dénaturé une directive qu'elle avait pourtant soutenue ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Les propos du Président de la République visaient à indiquer que nous ne dévoilerons plus nos lignes rouges. La paix est une nécessité existentielle, au point que le Président de la République - d'ailleurs largement critiqué pour cela - a épuisé les voies diplomatiques sans résultat, Vladimir Poutine étant mû par un fantasme impérialiste.
Sur la directive méga-camions, la France ne soutient pas ce report modal inversé. Nous avons proposé de les limiter aux trajets inférieurs à 150 km, ce qui empêcherait la traversée de la France.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - La France fait semblant de soutenir les réformes progressistes, mais déploie ses moyens diplomatiques pour amputer la législation : devoir de vigilance, plateformes, véhicules thermiques et, peut-être, méga-camions.
Un électeur sur deux ne se déplacera pas pour voter aux prochaines élections européennes, vous en porterez en partie la responsabilité.
M. Ahmed Laouedj . - Deux ans après le début de la guerre en Ukraine, faut-il nous préparer à la guerre pour avoir la paix, comme l'a suggéré hier Charles Michel ?
S'agissant des sanctions, mon groupe a toujours approuvé les initiatives européennes, peu importe leur portée, ne serait-ce que pour isoler Moscou. Je me réjouis des nouvelles mesures à l'encontre de 30 personnes et entités responsables de la mort d'Alexeï Navalny. On ne peut que souscrire aux déclarations des ministres européens des affaires étrangères sur les prétendues élections russes organisées dans les territoires occupés en Ukraine.
Face à l'impérialisme, le soutien à l'Ukraine doit redoubler ; la France en est convaincue, encouragée par les États baltes, ce que montre l'accord bilatéral de sécurité avec l'Ukraine, que mon groupe soutient. Il faudra toutefois encore beaucoup de pédagogie auprès des États membres, auprès de l'Allemagne en particulier.
Depuis le début de la guerre, 75 % des achats militaires sont commandés à des firmes non européennes, dont à 68 % américaines - d'ailleurs, si nos amis outre-Atlantique jugent la contribution à l'Otan insuffisante, qu'ils regardent ce volet commercial...
Si mon groupe approuve la création d'un fonds d'assistance à l'Ukraine de 5 milliards d'euros, quelle part ira aux achats européens ? Quoi qu'il en soit, ou plutôt quoi qu'il en coûte, mon groupe soutient le grand emprunt européen.
Il y a une autre urgence, humanitaire, à Gaza. Chaque jour, des milliers de civils paient la stratégie mortifère du Hamas et la réplique sans réserve de l'armée israélienne. Le RDSE a toujours soutenu la demande française d'un cessez-le-feu immédiat. Aussi, au Conseil européen, la France doit-elle défendre une solution diplomatique. Tout doit être fait pour acheminer l'aide humanitaire.
On ne peut ni y opposer d'arguments techniques, à moins qu'ils ne cachent une posture du gouvernement israélien, ni laisser la famine s'installer à Gaza. Il faut tout faire pour éviter un génocide.
Je n'oublie pas que le Conseil européen abordera d'autres sujets, notamment l'agriculture. Il faut alléger les contraintes environnementales de la PAC. Le RDSE salue les réponses à la colère des agriculteurs.
Je salue les travaux de la Commission et du Parlement européens sur la régulation de l'intelligence artificielle. À l'ère des deepfakes et de la surveillance de masse, nous devons être intransigeants.
En février dernier, Paris a levé ses réserves à la loi sur l'IA, ou AI Act. Qu'avons-nous obtenu ? La protection des start-up nationales ? En tout cas, nous devons protéger nos intérêts, nos données et réussir la transition numérique européenne, important pan de notre souveraineté.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Je dénonce comme vous les prétendues élections dans les territoires occupés. Nous avons bon espoir que la déclaration des 27 soit reprise dans les conclusions.
Les objectifs d'approvisionnement auprès de la BITD européenne sont relevés avec la communication du 5 mars sur Edis et Edip. La crédibilité de notre soutien à l'Ukraine en dépend.
La France a milité avec l'Allemagne pour que ce règlement sur l'intelligence artificielle trouve le bon équilibre entre protection des citoyens et innovation.
M. Georges Patient . - Les élections européennes sont en général le scrutin où la participation est la plus faible. Si la circonscription nationale unique a pu favoriser sa légère remontée en 2019, elle présente l'inconvénient de ne pas assurer la représentation de tous les territoires. La parité ne souffre plus de contestation : de la même façon, pourquoi ne pas imaginer un critère de répartition géographique des candidats d'une même liste ? En attendant, j'appelle les différentes formations à assurer la représentation de tous les territoires, y compris ultramarins.
La guerre entre la Russie et l'Ukraine est entrée dans sa troisième année. Il faut nous préparer à la voir durer des années encore. La victoire de l'Ukraine est indispensable à la sécurité de l'Europe.
Alors que les sanctions économiques contre la Russie tardent à produire leurs effets, il faut augmenter notre soutien militaire à l'Ukraine. Or, cette année, notre production devrait être de 20 000 obus - à peine une semaine d'utilisation par l'artillerie ukrainienne... Nexter affirme pouvoir produire jusqu'à 100 000 obus dans les années à venir, à condition d'avoir une visibilité à long terme sur les commandes d'État. La facilité européenne à laquelle la France a déjà contribué pour 1,2 milliard d'euros permettra-t-elle d'augmenter enfin nos moyens de production ?
Nous ne pouvons que constater les multiples contournements des sanctions par la Russie, avec la complicité de pays tiers comme la Turquie ou l'Inde, qui absorbe 40 % des exportations russes de pétrole et revend sur le marché européen les produits issus de son raffinage. Les exportations de l'Union européenne vers les Émirats arabes unis, le Kazakhstan et d'autres pays proches de la Russie ont bondi de plus de 81 % entre 2022 et 2023 - de 1 680 % vers le Kirghizstan ! Il est temps d'adopter une réglementation plus stricte pour interdire l'utilisation des produits dérivés du pétrole russe et encadrer les exportations de biens sensibles vers des pays de transit pour le contournement des sanctions. Le sujet sera-t-il abordé par la France ?
Plus généralement, il faut mettre fin à toute forme de dépendance entre la Russie et l'Union européenne. C'est la première recommandation du rapport « Pourquoi l'avenir de l'Europe se joue en Ukraine », de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. La Guyane pourrait offrir à la France l'indépendance pétrolière si la loi Hulot ne lui était pas appliquée.
La guerre en Ukraine a aussi entraîné une déstabilisation du secteur agricole. La peur de la concurrence des produits ukrainiens est venue s'ajouter aux difficultés liées à l'application de la nouvelle PAC. Je connais les conséquences d'une distorsion de concurrence, pour avoir vu la production rizicole guyanaise disparaître en quelques années à cause de la réglementation européenne. À quoi bon imposer des normes restrictives à nos agriculteurs si nous importons des produits qui ne les respectent pas ? La France fera-t-elle entendre sa voix pour mettre fin à cette aberration ?
La directive RED III relative au développement des énergies renouvelables prévoit des zones d'accélération dans lesquelles les autorisations ne devront pas dépasser douze mois. Il ne faut pas céder à l'habitude française d'inflation bureaucratique. Nous devons la transposer avant 2025 : serons-nous prêts ? Quand ces zones seront-elles définies, et toutes les régions seront-elles concernées ? En Guyane, il faut au moins cinq ans pour qu'un projet d'énergie renouvelable voie le jour. La future centrale électrique du Larivot, qui doit fonctionner avec de l'huile de colza importée d'Europe, pourra-t-elle utiliser une huile produite localement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - On a parfois reproché au Gouvernement d'être trop francilien... Je constate que certaines listes présentées pour les élections européennes le sont beaucoup plus ! Il appartient à chaque formation politique de veiller à la représentation de tous les territoires de la République.
Les signaux aux industries de défense sont, en effet, essentiels. Nous poussons en faveur d'une préférence européenne, y compris dans le cadre de la facilité.
Sur les sanctions contre la Russie, le dernier paquet a été adopté le 23 février dernier et prévoit notamment 117 nouvelles sanctions individuelles des mesures sectorielles, notamment contre des opérateurs logistiques impliqués dans le contournement.
S'agissant de la future centrale du Larivot, je m'engage à revenir vers vous pour vous répondre.
Mme Gisèle Jourda . - Mon intervention portera sur le financement de la défense européenne et la candidature de la Bosnie-Herzégovine.
À Versailles, il y a deux ans, les États européens se sont engagés à dépenser davantage et mieux pour la défense européenne et à intensifier leurs coopérations. Le 9 octobre dernier, l'instrument nécessaire a été adopté : l'Edirpa, qui assurera le remboursement partiel des acquisitions réalisées par un consortium d'au moins trois États. Mais le budget initialement annoncé de 300 millions d'euros est bien trop limité... La Commission et le haut représentant ont fait une communication conjointe très attendue sur la stratégie de défense européenne, annonçant 1,5 milliard d'euros d'ici 2027 : c'est mieux, mais encore trop peu.
Nous devons renforcer nos investissements dans l'industrie de défense, y compris les PME. Or, du fait de la taxonomie européenne, les banques sont frileuses dans ce domaine. Comment intégrer ces enjeux dans le cadre des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance ESG ? Il faut aussi changer les statuts de la Banque européenne d'investissement pour qu'elle puisse financer des projets de défense.
Il a fallu plus de six ans à la Bosnie-Herzégovine pour obtenir le statut de pays candidat : six ans de rêve européen, de subventions pour des réformes clés, d'illusions pour les citoyens bosniaques, de novlangue bruxelloise, de stabilité de façade, de sous-estimation du travail de sape mené par la Russie et la Chine, conduisant à un affaiblissement du modèle européen dans une région qui, selon le mot de Churchill, produit plus d'histoire qu'elle ne peut en consommer.
L'invasion russe de l'Ukraine servira-t-elle d'accélérateur pour les réformes engagées par le pays ? L'adhésion de la Bosnie-Herzégovine pourrait-elle limiter l'influence russe dans la région ? La réforme des traités sera-t-elle mise sur la table pour repenser la gouvernance européenne, préalable à tout élargissement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Edirpa incite aux achats conjoints : 3 milliards d'euros pourraient y être alloués, dont la moitié sont déjà budgétés. Reste qu'il faudra trouver des ressources nouvelles.
Il faut notamment mobiliser les revenus tirés des avoirs gelés, envisager un grand emprunt et mobiliser la BEI, qui n'investit pour l'heure que dans des activités duales et dont le mandat doit être élargi aux activités relevant strictement de la défense.
La Commission européenne propose d'ouvrir les négociations d'adhésion avec la Bosnie-Herzégovine. Ce n'est que le début d'un processus rapprochant ce pays des standards européens. Nous sommes attachés à l'approche fondée sur les mérites propres de chaque candidat, car la crédibilité du processus est en jeu.
Mme Gisèle Jourda. - N'oubliez pas les autres pays candidats, dont la Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine.
M. Alain Cadec . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'ordre du jour du Conseil européen sera dominé par des enjeux géopolitiques lourds : Ukraine et Moyen-Orient. Dans le temps imparti, je me concentrerai sur le premier.
L'évolution du conflit ukrainien exige que les dirigeants européens définissent une ligne claire pour une action commune efficace.
À cet égard, il est désolant que le Président de la République ait brouillé les cartes le 26 février dernier, en tenant des propos inconsidérés qui ont déconcerté nos concitoyens et nos partenaires, surtout sans concertation préalable avec le Parlement et les forces politiques. Et d'autant que cette sortie était motivée autant par des préoccupations de politique intérieure que des considérations extérieures.
Il y a quelques jours, le Président de la République a tenté de s'expliquer lors d'une interview télévisée. Mais le spectacle a laissé nos concitoyens plus consternés et effrayés que rassurés.
Il faut maintenant restaurer la confiance avec nos partenaires européens, à commencer par l'Allemagne, avec laquelle nos relations n'ont pas été aussi tendues depuis bien longtemps.
Dans le contexte de confrontation exacerbée avec la Russie et de possible défection américaine dans quelques mois, la division des Européens est inconcevable. L'heure n'est pas à la forfanterie et aux discours martiaux, mais à une action concrète et collective.
Les efforts de l'Union européenne sont considérables, se chiffrant en dizaines de milliards d'euros. Mais sur le strict plan militaire, ils sont insuffisants. Nous devons mobiliser de toute urgence les moyens nécessaires pour éviter que le front ukrainien ne cède.
Spéculer sur une éventuelle escalade n'est d'aucune utilité, non plus que la perspective d'une adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne, qui ne peut que frustrer l'Ukraine et servir de justification rétrospective à la Russie. L'Ukraine ne remplit quasiment aucun des critères pour rejoindre l'Union européenne, et son appareil productif n'est pas compatible avec une intégration harmonieuse dans le marché unique. L'ouverture du marché européen aux produits agricoles ukrainiens a déjà fortement perturbé les marchés des céréales, de la volaille, des oeufs et du sucre. Membre de l'Union européenne, l'Ukraine obtiendrait 96 milliards d'euros de fonds agricoles : ce serait la fin de la PAC telle que nous la connaissons.
Cessons d'agiter des idées extravagantes. Nous avons besoin de réalisme et de cohésion. Je crains qu'on en ait beaucoup manqué ces derniers temps...
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Avec des mots particulièrement durs, vous affirmez que le Président de la République était mû par des considérations de politique intérieure. Pourquoi alors vingt-six chefs d'État et de Gouvernement ont-ils répondu à son invitation ? Il aurait eu tort de n'exclure aucune option, mais, d'après vous, lesquelles eût-il fallu exclure ?
La confiance avec l'Allemagne serait au plus bas ? Comment alors expliquer les relations intenses de ces derniers jours : visite du Président de la République à Berlin, accueil de mon homologue à Paris, colloque célébrant les cinq ans de l'assemblée parlementaire franco-allemande ?
Je vous rejoins, en revanche, sur ce point : il faut mener de front élargissement et réforme de notre gouvernance, pour que l'Union soit prête à accueillir de futurs membres. La Commission européenne présentera demain une analyse de l'impact de l'élargissement sur les politiques : nous réfléchirons sur cette base à la marche à suivre.
M. Alain Cadec. - Il est décidément impossible de toucher en quoi que ce soit au Président de la République...
Mme Frédérique Puissat. - C'est vrai !
M. Alain Cadec. - Les propos qu'il a tenus sont inconsidérés, tout le monde le dit ! (Mmes Frédérique Puissat et Pascale Gruny renchérissent.)
M. Louis Vogel . - Le sommet de la fin de semaine sera le dernier Conseil européen ordinaire avant les élections de juin, qui pourraient voir une poussée populiste. Dans ce contexte, les dirigeants européens doivent poursuivre leur action au service de la paix, de la sécurité et de la prospérité du continent.
La situation en Ukraine évolue à grande vitesse, et pas dans le bon sens. C'est pourquoi l'adoption par le Sénat et l'Assemblée nationale de l'accord de sécurité entre la France et l'Ukraine a constitué un acte fondamental.
La passivité n'est plus de mise. Depuis deux ans, l'Union européenne fournit déjà à l'Ukraine une aide financière et militaire sans précédent. La récente rencontre en format Weimar a permis de réaffirmer un soutien indéfectible à ce pays.
Je salue ces efforts, mais l'évolution de la situation en appelle d'autres, car notre destin est intrinsèquement lié à celui de l'Ukraine. Le nouvel emprunt européen sera-t-il évoqué au Conseil européen, et dans quels contours ? Quelle stratégie européenne pour augmenter nos capacités de production d'armement ? Comment la France compte-t-elle faire la différence pour oeuvrer activement à une défense européenne ?
Le Conseil européen abordera aussi la question agricole ; elle est au coeur de l'Europe, et il y va de notre souveraineté. L'Europe semble avoir entendu la détresse du monde agricole. La Commission européenne a proposé des évolutions des règles de la PAC qui répondent en partie aux revendications, allégeant les charges administratives et révisant la conditionnalité des aides directes. Quelle sera la position de la France ? Et quid de la révision de la stratégie de la ferme à la fourchette, qui inquiète beaucoup les agriculteurs ?
L'élargissement ne peut être décorrélé de l'approfondissement du projet européen, mais par quelles réformes le second pourra-t-il être réalisé ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - L'idée d'un emprunt européen a été lancée par la Première ministre estonienne, avec une enveloppe de 100 milliards d'euros, sur le modèle de l'emprunt commun pour financer le plan de relance - au titre duquel la France a reçu 40 milliards d'euros. Nous voulons explorer cette voie pour soutenir le réveil de notre BITD et augmenter la capacité européenne de production d'armement.
En matière agricole, nous soutenons les mesures annoncées par la Commission et lui demandons de les mettre en oeuvre le plus rapidement possible.
M. Louis Vogel. - Nos débats montrent que l'Europe ne se porte pas très bien. Toutefois, je ne suis pas totalement pessimiste, car c'est dans ses moments de crise que l'Europe a réalisé le plus de progrès. Mais cela doit se concrétiser. Le problème de l'Europe, c'est que trop d'affirmations ne sont pas suivies d'effets !
M. Olivier Henno . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains) Je salue la qualité de nos débats en commission des affaires européennes et l'engagement du président Rapin.
Il faut bien distinguer le soutien sans réserve à l'Ukraine et sa demande d'adhésion. Celle-ci est compréhensible, et il serait dangereux d'y répondre brutalement par la négative. Mais cette adhésion ne peut être automatique. Les critères de Copenhague doivent être respectés, et nous ne devons pas prendre de décisions précipitées.
Cicéron disait que, entre amis, on se doit la vérité, même quand elle est difficile. L'Ukraine fait face à la corruption et à la persistance des oligarques. La Commission européenne semble en avoir pris conscience : elle a annoncé que la feuille de route des négociations ne serait pas prête avant l'été. L'accord franco-ukrainien de sécurité souligne les efforts ukrainiens, mais il reste du chemin à parcourir. Par ailleurs, il serait injuste d'oublier les autres candidats, notamment la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro.
L'Union européenne aide l'Ukraine militairement et financièrement : 50 milliards d'euros dans le cadre de la facilité, dont 17 milliards de subventions et 33 milliards de prêts.
L'unité européenne est plus nécessaire que jamais. Si l'isolationnisme américain l'emporte en novembre prochain et que Donald Trump retrouve le Bureau ovale, elle sera la seule réponse. C'est donc un impératif moral et stratégique. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Merci pour vos propos équilibrés sur l'adhésion de l'Ukraine. Il s'agit d'exporter la stabilité européenne et non d'importer en Europe de l'instabilité. Je le répète, nous sommes attachés à ce que le processus reste fondé sur les mérites propres. L'Ukraine a mené des réformes, mais il lui reste beaucoup de chemin à parcourir. Le processus est extrêmement exigeant : il suppose des changements profonds, notamment en matière d'état de droit.
Je constate une très forte unité, malgré quelques différences d'approche, dans le soutien apporté à l'Ukraine. C'est sans doute que l'agression russe touche à un principe fondateur de l'Union européenne : le respect des frontières.
M. Olivier Henno. - Quand le mur de Berlin est tombé, le débat entre approfondissement et élargissement s'est déjà posé. Nous avons élargi aux anciens pays du pacte de Varsovie avant d'approfondir. Aujourd'hui, une réforme institutionnelle forte est nécessaire avant tout nouvel élargissement. (Mme Frédérique Puissat applaudit.)
M. Jacques Fernique . - Les 5 milliards d'euros annoncés pour l'Ukraine sont une bonne nouvelle. Face au retrait du Congrès américain et au risque d'une nouvelle offensive russe, c'est un soulagement.
Mais que de blocages a-t-il fallu surmonter pour en arriver là ! Et rien n'est prévu pour sécuriser la suite. Il reste à espérer que le Fonds européen pour la paix réformé fera ses preuves et que les vingt-sept remettront au pot.
Il faut utiliser les avoirs russes gelés, établir un système d'approvisionnement plus fiable et mutualisé. Ces 5 milliards d'euros sont une toute première étape en direction d'une Europe de la défense crédible et pérenne.
Pour juguler l'impérialisme de Poutine, pour que la paix ne soit pas subordonnée à l'hypothèque électorale américaine, nous devons agir en Européens en cessant cette diplomatie solitaire qui déstabilise nos concitoyens et nos alliés.
Nous ne croyons pas aux exhortations à de prétendues négociations immédiates avec l'envahisseur, qui mettraient dans un grand chaudron les revendications d'expansion russe, une neutralité forcée pour ce qui resterait de l'Ukraine et les questions de l'Otan et de l'Union européenne. Cela reviendrait à admettre que des territoires trop faibles pour se défendre peuvent être obtenus par la force. (M. Jean-Noël Barrot acquiesce.)
Mais pour que ne s'affaiblisse pas le soutien à l'Ukraine, ne laissons pas se propager le sentiment d'un deux poids, deux mesures entre Kiev et Gaza. Depuis l'horrible attaque terroriste du Hamas, le gouvernement Netanyahu inflige aux Palestiniens une punition collective, un crime de masse par des bombardements indiscriminés et les ravages de la faim. Le Conseil européen doit changer de ton à l'égard du gouvernement d'Israël : il faut exiger un cessez-le-feu et l'accès complet à l'aide humanitaire.
Par ailleurs, l'Union européenne vient de signer un accord de partenariat avec l'Égypte pour 7,4 milliards d'euros, dont une contrepartie est que l'Égypte s'engage à retenir les migrants. L'Union européenne versera donc inconditionnellement une telle somme à un régime répressif et corrompu : quel cynisme ! Notre pays soutient-il sans réserve cet accord consternant ?
Nous déplorons le rôle contre-productif qu'a joué la France dans le cadre de deux chantiers législatifs récents : elle a oeuvré pour amputer l'ambition de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises et s'est évertuée, seule contre tous, à soutenir les plateformes contre les droits de leurs travailleurs précaires.
Enfin, alors que nous sortons de l'hiver le plus chaud jamais enregistré et que le bassin méditerranéen connaît une sécheresse exceptionnelle, l'Union européenne s'affaisse dans une pause environnementale qui balaie trois ans d'efforts pour mettre de l'environnemental dans la PAC. C'est un grave renoncement. Sur la PAC, l'accord de Paris et la transition énergétique, tenons bon ! (Applaudissements sur les travées du GEST et sur des travées du groupe SER)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Sur l'Ukraine, l'enjeu est de rappeler que nous sommes attachés à un ordre international fondé sur le droit, et non pas sur la force.
J'ai bon espoir que nous aboutissions à un appel très clair en faveur d'un cessez-le-feu au Proche-Orient, du respect par Israël du droit international et de l'acheminement sans délai de l'aide humanitaire à la population de Gaza, qui ne doit pas être victime des crimes terroristes du Hamas.
Vous êtes dur sur ce grand texte sur le devoir de vigilance : la France en est à l'origine et a proposé son européanisation. Nous venons d'aboutir à une version définitive, dont je suis fier.
Impossible de reprocher à la mandature qui s'achève son manque d'ambition écologique sur la PAC : pensez au Green Deal, aux projets de neutralité carbone en 2050. Mais la transition ne peut se faire contre les peuples, sinon la colère s'exprime. Les agriculteurs ont appelé la Commission à l'aide, elle leur a répondu.
M. Jacques Fernique. - Sur le devoir de vigilance, l'action de la France a conduit à exonérer le secteur financier pour sa partie aval : cela concernera 80 % des entreprises.
Votre conception de l'Europe est très tricolore, or nous avons besoin de cohésion et de cohérence collective. Notre logiciel européen commun doit être revivifié. Tout seul on s'agite, ensemble on va loin ! (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Michaël Weber . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Les règles budgétaires de l'Union européenne s'appliquent de nouveau depuis le 1er janvier 2024. Plusieurs États membres, dont la France, risquent d'être en déficit excessif. Le nouveau PSC accorde certes plus de flexibilité, mais il conserve les totems des 3 % de déficit et 60 % de dette publique. Pourtant, ces critères n'ont jamais été totalement respectés - Italie, Grèce, France...
Les réformes du PSC en 2005 et 2011 ont produit un monstre de complexité. Ce cadre a montré son inefficacité pendant les crises, ajoutant l'austérité au ralentissement de la croissance. Avec le covid, l'Union européenne l'a suspendu au printemps 2020. Un pas supplémentaire a été franchi par les États membres lorsqu'ils ont accepté d'emprunter en commun pour financer le plan de relance européen. Aujourd'hui, l'urgence climatique impose de lever les freins à l'investissement.
L'Europe sort fragilisée de cette succession de crises, avec une augmentation massive, mais hétérogène, de la dette des États membres. Appliquer des critères uniformes est absurde, contre-productif, voire dangereux.
Un retour en arrière est impensable alors que les États membres doivent investir dans l'éducation, l'écologie, la défense, entre autres, et que les États-Unis, dont la politique budgétaire est expansionniste, creusent l'écart avec le vieux continent.
Pouvons-nous nous contenter de mesures cosmétiques pour réformer le PSC ? Il ne s'agit pas de se passer de règles, mais celles-ci doivent seulement garantir la soutenabilité des finances publiques.
Le Gouvernement promet de revenir à la stabilité budgétaire et aux 3 % de déficit en 2027, au prix de coups de rabots. Bruno Le Maire a déjà prévu 10 milliards d'euros, et selon la Cour des comptes il faudrait 50 milliards. Mais la Cour nous alerte aussi sur le coût d'une non-adaptation au changement climatique. Nous avons besoin d'un cadre budgétaire européen favorable à l'investissement. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Oui, les règles du PSC avaient l'inconvénient d'être procycliques, plongeant parfois les pays dans la récession. Bruno Le Maire s'est investi dans la révision du PSC, qui a été adoptée à l'unanimité. Les discussions ont été serrées, notamment avec l'Allemagne.
Vous évoquez l'éducation, la transition verte, la défense. J'y ajouterais la politique industrielle, qui pourrait nous permettre d'atteindre l'autonomie stratégique - notion que la France a contribué à intégrer dans la grammaire européenne. Nous devons mobiliser l'épargne privée et les finances publiques et mettre en commun notre capacité d'emprunt au service du projet européen.
M. Michaël Weber. - Depuis quelques mois, nous constatons que les efforts budgétaires se font au détriment des transitions énergétiques et écologiques, pourtant si nécessaires. Lors de la crise agricole, les efforts les plus conséquents ont porté sur ces domaines. Attention, car nous risquons ou la récession, ou l'échec.
M. Cyril Pellevat . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Six mois après ce funeste 7 octobre, le conflit à Gaza s'enlise et la perspective d'un cessez-le-feu demeure lointaine. Plus de 1,1 million de Gazaouis sont proches de la famine selon l'ONU, comme en témoigne l'émeute du 29 février.
À peine une dizaine de camions d'aide alimentaire entrent chaque jour dans la bande de Gaza, alors qu'il en faudrait entre 300 et 500. Israël bloque aussi l'arrivée du matériel médical.
Alors que l'Union européenne et la France ont augmenté les montants d'aide humanitaire, celle-ci ne peut être distribuée. Il faut donc discuter avec Israël pour améliorer cet acheminement par voie terrestre. Quelles actions la France a-t-elle menées en ce sens ? Nous ne pouvons rester les bras croisés face à la famine. Les parachutages sont peu efficaces : faibles volumes, pillages, accidents.
L'Union européenne, à l'initiative de Chypre, a annoncé la création d'un corridor maritime. Un premier navire, chargé de 200 tonnes de nourriture, est arrivé et a pu être déchargé. De leur côté, les États-Unis ont annoncé la création d'un port flottant. Comment la France compte-t-elle appuyer cette initiative ? Pourquoi ne pas nous coordonner avec les Américains ? (Mme Pascale Gruny et M. Bernard Pillefer applaudissent.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - La France a été le premier pays à larguer directement de l'aide humanitaire dans la bande de Gaza et nous y soutenons le système de santé.
L'initiative chypriote Amalthée est à saluer. Les moyens d'acheminement doivent être complémentaires. Chypre réfléchit à lever un fonds pour financer cette initiative que la France soutient.
M. Cyril Pellevat. - Merci de ces informations importantes.
M. Claude Kern . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) « L'Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises », selon Jean Monnet.
Depuis celle de la Croatie en 2013, l'Union européenne n'a pas connu de nouvelles adhésions. Les dix pays actuellement candidats doivent d'abord respecter les critères de Copenhague, sur la démocratie, l'État de droit et les droits de l'homme. Mais restons vigilants, notamment sur les risques de corruption, les contributions financières, le budget communautaire et la répartition des aides européennes.
La France et l'Allemagne sont des contributeurs nets de l'Union européenne, et jouent à ce titre un rôle moteur en Europe. Un vaste élargissement pourrait augmenter le nombre de contributeurs nets et créer des difficultés.
En outre, prendre des décisions efficaces serait difficile à 37. Des réformes institutionnelles sont donc nécessaires.
La question de l'accord d'association avec Israël, dont beaucoup demandent la suspension, doit être traitée. L'Union européenne doit rester vigilante sur la situation à Gaza : le droit international et le droit humanitaire doivent s'appliquer. Mais suspendre l'accord d'association ne serait pas un signal positif. Quelle est la position de la France ?
L'Union européenne semble catalyser tous les maux, aux dires de certains partis extrémistes, mais nous voyons aussi que l'Europe est désirée. Soyons fiers de notre Europe et d'être européens ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Jean-Baptiste Blanc applaudit également.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Il ne peut y avoir d'élargissement réussi sans une triple réforme européenne : la réforme des politiques européennes, car les nouvelles adhésions déstabiliseraient la politique de cohésion et la PAC ; la réforme budgétaire - en cas d'élargissement, la Slovénie deviendrait contributeur net ; enfin la réforme institutionnelle, car comment fonctionner à plus de 30 membres ?
S'agissant d'Israël, j'attends ce week-end une déclaration commune pour appeler à un cessez-le-feu durable, pour l'acheminement de l'aide humanitaire, et pour condamner l'attentat terroriste du Hamas.
Je rends hommage aux députés et aux sénateurs qui font vivre le sentiment d'appartenance européen.
M. Claude Kern. - M. le ministre a répondu dans le bon sens, je m'arrête là... (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Pascale Gruny . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En toile de fond de ce Conseil européen : les dernières déclarations du Président de la République, qui ont décontenancé nos partenaires et inquiété nos concitoyens. Pas un jour sans que nous soyons interpellés sur ce changement de discours : il y a quelques mois, il ne fallait pas humilier la Russie ; désormais, il envisage l'envoi de troupes au front.
Bruno Retailleau a rappelé la position de notre groupe : tout faire pour ne pas laisser la Russie gagner la guerre, mais ne rien faire qui nous entraînerait dans une guerre.
L'ouverture du marché aux produits ukrainiens crée une situation de concurrence déloyale qui met nos agriculteurs en grande difficulté. Monsieur le ministre, êtes-vous favorable aux clauses de sauvegarde pour les protéger ?
La Commission a levé le tabou de la réouverture de la PAC. Son architecture verte a enfin été remise en cause. Cela va dans le bon sens, mais que de temps perdu ! Nous le proposons depuis 2017.
Je me réjouis de l'accord sur l'espace européen des données de santé. Le compromis reprend une de nos propositions : la possibilité pour les patients de s'opposer à l'utilisation de leurs données à des fins de recherche. Nous voulons que les données de santé soient stockées par une entreprise européenne, sur le territoire européen. Je regrette à cet égard que le Gouvernement s'obstine à confier les données de santé des Français à Microsoft.
Un accord a été trouvé sur les travailleurs des plateformes, avec une présomption de salariat. Mais attention à la mise en oeuvre et à la sécurité juridique de ces dispositions. Le Président de la République n'en voulait pas : comment envisagez-vous de transposer cette directive ?
Nous attendons de la France davantage de constance et de clarté pour tenir son rang. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Nous ne sommes pas les agresseurs, nous sommes les agressés. Nous sommes d'une certaine manière les victimes de Poutine. Qui a fait flamber les prix du gaz, inondé le marché européen de céréales ? Poutine ! Qui vient de diffuser une fausse nouvelle sur l'envoi de troupes françaises ? Les services de renseignement russes. Qui a lancé des cyberattaques sur les hôpitaux de Corbeil-Essonnes et de Versailles et les paralyse depuis un an ? Des groupes russes. N'inversons pas les rôles !
Mme Pascale Gruny. - Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Sur la prolongation du règlement ATM, la France a donné un avis favorable à des freins d'urgence pour la volaille, le sucre, certaines céréales. À l'heure où nous parlons, le Parlement vote.
Mme Pascale Gruny. - Je n'ai pas eu de réponse sur les plateformes.
Mon discours n'était pas pro Poutine : nous soutenons l'Ukraine. Les propos du Président de la République ont effrayé les Français. Il faut faire attention à nos alliés et les consulter avant de faire des annonces qui font peur. (Mme Frédérique Puissat renchérit.)
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - Merci, monsieur le ministre, de vous être prêté à l'exercice, dynamique. Ce format, avec vos réponses immédiates, est intéressant.
De cet échange, nous avons compris que l'ordre du jour portait essentiellement sur l'Ukraine.
Dans 48 heures, nous tiendrons un colloque auquel participeront Édouard Balladur, Alain Lamassoure, Noëlle Lenoir, un ancien ambassadeur allemand. En élargissant, allons-nous vers un crash de l'Europe - ce n'est pas à exclure - ou peut-on la faire grandir ou l'affaiblir ?
Alain Cadec, avec sa verve, a pris l'exemple agricole : la PAC, c'est 58 milliards d'euros, quand l'aide à l'Ukraine atteint les 96 milliards ! Toutes ces questions doivent être traitées.
Les propos du Président de la République ont énormément inquiété, y compris les parlementaires. (Mme Pascale Gruny renchérit.) Certes, on ne fixe pas de limite à la dissuasion. Mais ce débat est un débat de sachants, pas le débat tel qu'il doit être porté devant le public.
Sur les finances, nous sommes plusieurs ici à avoir défendu le grand emprunt dans le cadre du plan de relance, grâce notamment à son volet recettes. Nous commencerons à rembourser en 2028. Nous ne sommes peut-être plus dans le même état d'esprit désormais, car le volet recettes n'est plus au rendez-vous. Nous devrons en débattre au Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Prochaine séance demain, mercredi 20 mars 2024, à 15 heures.
La séance est levée à 23 h 35.
Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 20 mars 2024
Séance publique
À 15 heures et de 16 h 30 à 20 h 30
Présidence : M. Gérard Larcher, président, M. Alain Marc, vice-président.
Secrétaires : M. Jean-Michel Arnaud, Mme Catherine Conconne.
1. Questions d'actualité
2. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille (texte de la commission, n°417, 2023-2024)
3. Proposition de loi visant à expérimenter le transfert de la compétence « médecine scolaire » aux départements volontaires, présentée par Mme Françoise Gatel et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°415, 2023-2024)