Violences intrafamiliales (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales.
Mme Marie Mercier, rapporteur pour le Sénat de la CMP . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Que faire de l'autorité parentale en cas de violences intrafamiliales ? Nous avons tâché de résoudre cette question complexe avec pour seule boussole l'intérêt de l'enfant.
La proposition de loi de la députée Isabelle Santiago prévoit la suspension de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale en phase pré-sentencielle et le retrait de cette autorité par les juridictions pénales en cas de condamnation. Au cours de la navette, nous nous sommes mis d'accord sur la grande majorité des dispositions et en avons ajouté certaines pour compléter la protection de l'enfant.
Nous avons rendu plus automatique, sans l'imposer au juge, le retrait de l'autorité parentale en cas de condamnation pour crime ou agression sexuelle sur l'enfant ou pour crime sur l'autre parent. Nous avons mis fin au décalage entre le code civil et le code pénal en matière de retrait de l'autorité parentale : l'introduction d'une mesure générale dans le code pénal, sur l'initiative de notre commission, facilitera grandement le travail des magistrats et des avocats.
Une mesure ajoutée en cours de discussion me tient particulièrement à coeur : l'institution d'une période de stabilité minimale de six mois - un répit - pour l'enfant après une décision de retrait de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement.
Seul restait à trancher en CMP le désaccord sur le régime de la suspension de l'exercice de l'autorité parentale avant tout jugement.
Le Sénat avait accepté dès la première lecture l'extension de ce mécanisme aux crimes et agressions sexuelles incestueuses sur l'enfant, mais souhaitait maintenir la saisine systématique du juge aux affaires familiales (JAF), pour que la situation de l'enfant soit examinée par un magistrat, et que la suspension ne puisse se prolonger au-delà de six mois sans cet examen. Dans notre esprit, il s'agissait d'une sécurité pour l'enfant et de la garantie d'une mesure proportionnée.
Le 6 février dernier, le Sénat a finalement adopté le dispositif de l'Assemblée nationale : la suspension courra tout le temps de la procédure pénale ou jusqu'à la décision du JAF, saisi éventuellement par l'un des parents et non plus systématiquement par le procureur de la République. En revanche, nous avons supprimé le régime spécifique de suspension en cas de condamnation, même non définitive, pour des violences volontaires ayant entraîné une incapacité temporaire de travail (ITT) de plus de huit jours lorsque l'enfant a assisté aux faits, ce cas nous paraissant pris en compte à l'article 2.
C'est sur cette version que s'est accordée la CMP, dont je vous invite à adopter les conclusions.
Je suis convaincue que le travail de nos deux assemblées changera la manière dont les juridictions pénales se saisissent de la question de l'autorité parentale. Elles étaient réticentes à toucher à cette notion relevant du droit civil ; nous leur donnons tous les outils pour le faire et mieux protéger les enfants.
S'agissant de la suspension de l'exercice de l'autorité parentale en cours de procédure pénale, nous serons attentifs à la manière dont les JAF auront à se prononcer rapidement : la commission des lois est en effet attachée à l'intervention du juge, seul à même de déterminer l'intérêt de l'enfant et la proportionnalité de la mesure. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Après la belle semaine que nous venons de passer sous le signe des droits des femmes, nous entamons celle-ci sous celui de l'enfance. La protection des femmes comme de l'enfance est l'une des priorités du Gouvernement : je me félicite donc que vos deux assemblées soient parvenues à un compromis sur cette proposition de loi.
Il faut dire que le texte que vous avez adopté le 6 février dernier était presque à maturité, seul l'article 1er restant en débat. Dans la version issue de la CMP, il modifie l'article 378-2 du code civil pour étendre le mécanisme de suspension de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement du parent poursuivi ou condamné.
Dès lors qu'un parent sera poursuivi pour crime ou agression sexuelle sur sa personne, aucun risque ne sera pris pour l'enfant, qui n'aura plus aucun contact avec son agresseur présumé jusqu'à la décision de non-lieu ou la décision pénale.
D'aucuns ont pensé que cette suspension portait une atteinte excessive aux droits parentaux, d'autant que l'obligation faite au procureur de la République de saisir le JAF dans les huit jours est supprimée. Il n'en est rien : le parent mis en cause peut demander au JAF la mainlevée de la suspension. S'il ne le fait pas, il démontre son désintérêt pour son enfant. S'il le fait, il a la possibilité de convaincre un juge de sa capacité à assurer la sécurité et le bien-être de sa progéniture.
L'écriture à laquelle vous avez abouti atteint nos objectifs de protection de l'enfant en amont de la décision pénale, et je m'en félicite.
Quant à l'article 2, il a rapidement fait consensus. Il marque une avancée importante, le retrait de l'autorité parentale n'étant à l'heure actuelle qu'une faculté pour le juge, quelle que soit l'infraction ayant donné lieu à condamnation.
Le deuxième volet du dispositif concerne tous les délits commis sur l'enfant autres que l'agression sexuelle incestueuse. En cas de condamnation, le juge pénal aura l'obligation de se prononcer sur le retrait total ou partiel de l'autorité parentale ou de son exercice.
Le troisième volet concerne le cas d'un parent condamné comme auteur, coauteur ou complice d'un délit commis par son enfant. En cas de condamnation, le juge pénal aura la possibilité d'ordonner le retrait total ou partiel de l'autorité parentale ou de son exercice.
Ce texte représente une avancée indéniable pour la protection des enfants. De même que la protection des droits des femmes revêt une dimension universelle, les droits des enfants méritent d'être promus au-delà de nos frontières.
La France s'engage résolument pour protéger les plus petits d'entre nous, rejoignant l'Espagne et l'Italie, qui prévoient déjà la suspension de plein droit de l'autorité parentale pour certaines infractions. Notre législation sera la plus protectrice en Europe, prévoyant dès le début de l'enquête une suspension automatique de l'exercice des droits parentaux et contraignant ou autorisant le juge pénal à se prononcer sur le retrait de l'autorité parentale ou de son exercice pour toutes les infractions, proportionnellement à leur gravité.
Soyons fiers de la qualité des travaux parlementaires et des échanges entre vos chambres et le Gouvernement. Ce texte, très attendu par nos concitoyens, renforce la protection des plus vulnérables d'entre nous, pour que le foyer demeure un lieu où l'enfant peut grandir en paix et en sécurité. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées des groupes UC et Les Républicains)
M. le président. - Je vous rappelle que le Sénat se prononcera par un seul vote sur l'ensemble du texte.
Mme Laurence Harribey . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Akli Mellouli applaudit également.) La proposition de loi déposée par notre collègue députée Isabelle Santiago parvient au terme de son parcours après une commission mixte paritaire conclusive : nous nous félicitons que le continuum législatif pour la protection des enfants se consolide peu à peu.
Notre groupe a toujours été au rendez-vous des avancées législatives en la matière. Je pense à la loi du 21 avril 2021 opérant un changement attendu dans l'appréhension pénale des violences sexuelles sur mineurs : nous avions proposé de relever l'âge du non-consentement de 15 à 18 ans dans le cas du crime d'inceste. Je pense aussi à la loi dite Taquet, améliorant le repérage et la prise en charge des enfants relevant de la protection de l'enfance.
Le présent texte, très attendu par les associations, suspend de plein droit l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement d'un parent poursuivi ou mis en examen pour crime ou agression sexuelle incestueuse sur son enfant ou crime sur l'autre parent, pendant toute la procédure.
L'autorité parentale est trop souvent instrumentalisée par le parent auteur du crime afin de garder une emprise sur sa ou ses victimes. Par ailleurs, la procédure peut durer des années. Il était donc indispensable de protéger l'enfant et le parent victime pendant toute celle-ci.
Nous voterons bien entendu le texte, mais il faut dès à présent penser à l'après et renforcer encore les droits des enfants.
Ainsi, un enfant devrait pouvoir être entendu, assisté d'un avocat. L'assistance de l'enfant par avocat est obligatoire depuis 1993 dans toute procédure pénale, mais reste optionnelle pour les enfants discernants et même proscrite pour les enfants non discernants dans les procédures d'assistance éducative. Or la parole de l'enfant doit aussi être entendue dans les procédures civiles. Au tribunal pour enfants de Nanterre, un avocat est systématiquement désigné pour chaque enfant, discernant ou non : cette expérimentation va dans le bon sens.
Rappelons que protéger l'enfant protège aussi le parent victime - la plupart du temps, la mère. Il est donc indispensable de renforcer l'ordonnance de protection. Nous regrettons que la proposition de loi de Cécile Untermaier, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, n'ait jamais été inscrite à l'ordre du jour du Sénat, alors qu'elle répond à une demande récurrente des associations de protection des femmes et des professionnels du droit.
Enfin, en matière d'aide sociale à l'enfance (ASE), une évaluation globale est nécessaire avant de travailler à des évolutions législatives, car le chantier est immense. Nous saluons toutefois les annonces gouvernementales en la matière, dont la création des pôles spécialisés : il faut maintenant que les moyens suivent. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Akli Mellouli applaudit également.)
Mme Elsa Schalck . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Dominique Vérien applaudit également.) La navette parlementaire s'achève après un an de débats riches qui en ont approfondi la construction, sans procédure accélérée.
La protection des enfants fait partie de ces sujets qui nécessitent réflexion, rigueur juridique et travail transpartisan, surtout lorsqu'il s'agit, comme ici, de modifier des dispositions importantes du code civil.
Je salue la députée Santiago, à l'origine de ce texte, et notre rapporteure, Marie Mercier, dont l'engagement sur ces questions nous est bien connu. Je salue aussi l'action de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) et des associations, dont ce texte met en oeuvre plusieurs propositions pour mieux protéger les enfants victimes de parents violents, en particulier incestueux.
L'article 1er prévoit la suspension de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale dès les poursuites pour crime contre l'autre parent ou crime ou agression sexuelle sur un enfant. L'article 2 pose le retrait total de l'autorité parentale en cas de condamnation dans l'un de ces cas.
Les chiffres montrent la nécessité de légiférer. Un seul, effroyable : un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups d'un de ses parents !
L'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs visant à protéger l'enfant dans sa sécurité, sa santé, sa vie privée et sa moralité et à permettre son développement dans le respect dû à sa personne. Les débats ont porté principalement sur le régime de sa suspension. Il a mis en lumière la recherche partagée d'équilibre entre les droits parentaux et la protection des enfants. In fine, nous nous accordons sur la suspension automatique de l'exercice de l'autorité parentale jusqu'à la décision du JAF ou de la juridiction pénale. Je salue ce compromis, convaincue qu'un parent ayant commis un crime sur son conjoint ou son enfant ne peut être un bon parent. (Mme Marie Mercier renchérit.)
Je salue le travail de notre assemblée pour réécrire les articles 2 et 3, afin d'assurer une meilleure cohérence des dispositions pénales et civiles. L'article 2 marque une avancée en prévoyant l'obligation pour le juge pénal de retirer l'autorité parentale ou son exercice à un parent condamné pour les infractions les plus graves. Le groupe Les Républicains salue également l'introduction de l'article 2 ter, sur l'initiative de la rapporteure, pour qu'un parent privé de l'exercice de l'autorité parentale ne puisse en demander la restitution avant six mois.
Ce texte protège les enfants pour que le foyer familial reste un espace de sécurité où grandir en paix et dans l'insouciance, richesse si fragile. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mmes Laurence Harribey et Marie-Claude Varaillas applaudissent également.)
M. Pierre Jean Rochette . - Les violences intrafamiliales sont à la fois des drames intimes, brisant la cohésion des familles et chargeant les individus d'un lourd fardeau, et un phénomène de masse, dont 10 à 20 % des adultes ont été victimes. Compte tenu des proches et des associations, une proportion très importante de la population est concernée.
Dès lors, pourquoi est-il si difficile de prendre des mesures fortes ? Parce que ces violences, parfois ces crimes sont aussi des drames intimes, dont l'auteur est central dans la structure familiale : celui même qui devrait donner de l'amour devient cause de souffrance. Condamner un parent violent, le plus souvent un père, pour protéger une victime, le plus souvent une mère ou des enfants, n'est jamais une bonne solution, mais c'est souvent la moins mauvaise, en tout cas celle qui protège le mieux les plus fragiles.
Les débats aboutissent à un texte consensuel et efficace. Le groupe Les Indépendants le votera sans hésitation.
Nous avions soutenu la commission des lois sur l'article 1er, jugeant plus pertinent de conserver le caractère temporaire de la suspension et de laisser une place centrale au juge. S'il n'est plus question du délai maximal de six mois que nous avions prévu en première lecture, le rôle du juge est renforcé.
Nous espérons que cette nouvelle mouture protégera mieux les enfants. C'est là notre priorité : non pas d'abord punir, mais d'abord mettre l'enfant à l'abri des violences tout en lui conservant un lien avec ses parents, dans la mesure où ce lien ne nuit pas à son développement.
La nouvelle version de l'article 1er ne retient pas le cas des violences volontaires ayant entraîné une ITT de plus de huit jours comme motif de suspension automatique. Cela nous semble plus équilibré, pour préserver le développement de l'enfant.
C'est aussi le sens des travaux menés depuis plus de trois ans par la Ciivise. J'espère que le temps pris par ses travaux et les nôtres ne sera pas interprété par les victimes comme le signe d'une lenteur malvenue, mais comme le gage d'un texte pondéré et ambitieux, qui devra être appliqué avec diligence : il y va de la crédibilité de l'action publique et, surtout, nous le devons à toutes les victimes de violences intrafamiliales. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Marie Mercier applaudit également.)
Mme Dominique Vérien . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Alors que la navette sur cette proposition de loi touche à son terme, je ne vous cache pas ma satisfaction d'un texte complet, efficace et rapidement applicable.
Mieux protéger les enfants exposés à des violences intrafamiliales est plus que nécessaire vu les chiffres : 400 000 enfants vivent dans un foyer où s'exercent de telles violences et plus de 160 000 sont chaque année victimes de violences sexuelles. Pour les victimes comme les témoins, les conséquences sont destructrices. Il faut donc agir aussi sur le plan médical pour une prise en charge du psychotraumatisme subi.
Ce texte est le fruit d'une belle coopération entre nos deux chambres, notamment entre Isabelle Santiago et Marie Mercier, dont je salue le travail et le sens du dialogue. Je salue aussi le volontarisme du garde des sceaux.
Trop souvent nous assistons à des situations absurdes où un enfant est obligé de passer le week-end chez son parent violent. Les droits de la défense ne sont nullement lésés : le parent concerné pourra saisir le JAF pour faire réexaminer le retrait de son autorité.
Plus généralement, ce texte doit faire évoluer les mentalités. Trop longtemps a prévalu l'idée qu'on peut être un mari violent, mais un bon père. Nous savons aujourd'hui que cette conception est fausse et a eu des conséquences douloureuses. Nous savons aussi, grâce aux témoignages de policiers, que la menace de retrait de l'autorité parentale touche beaucoup de pères... Puissent-ils réfléchir avant de frapper !
Le texte conserve les apports du Sénat, dont celui de Laurence Rossignol qui dispense le parent bénéficiaire d'une ordonnance de protection d'informer l'autre parent d'un changement de résidence. Par ailleurs, la suspension du droit de visite et d'hébergement de l'enfant dans le cadre d'un contrôle judiciaire devient le principe, non l'exception.
Sur l'article 1er, je me félicite que nous ayons trouvé une rédaction qui convient à tous et sert la protection des enfants.
En votant ce texte, nous accomplissons un pas de plus pour une meilleure protection des plus vulnérables. Nous nous retrouverons prochainement pour débattre de la création de l'ordonnance de protection immédiate qu'Émilie Chandler et moi-même appelions de nos voeux et dont le principe a été adopté à l'unanimité par les députés.
Pas à pas, nous construisons une société plus protectrice pour les femmes, les enfants et chacun d'entre nous. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Marie Mercier applaudit également.)
M. Akli Mellouli . - Protéger les enfants victimes de violences intrafamiliales devrait aller de soi, mais les protections prévues par la loi sont largement insuffisantes et inadaptées. Les défaillances sont malheureusement systématiques et les victimes, nombreuses.
C'est l'enfant de Priscilla, victime de violences sexuelles incestueuses de la part de son père à 15 ans : le père fut certes condamné pour violences sexuelles, mais il a gardé l'autorité parentale...
C'est Steffy, victime d'une agression sexuelle de la part de son père à 14 ans : alors qu'il a l'interdiction de se rapprocher d'elle, il garde l'autorité parentale...
C'est Paul, dont le père a tué la mère quand il avait 10 ans : pour ce féminicide, le père a été condamné à de la prison ferme, mais garde l'autorité parentale...
Malheureusement, ces cas sont loin d'être isolés : 400 000 enfants vivent dans un foyer avec des violences conjugales, et, chaque année, 160 000 subissent des violences sexuelles. Ces enfants sont même deux fois victimes, car à la violence physique s'ajoute celle de la loi, qui ne les protège pas suffisamment, les exposant à de nouvelles violences.
La proposition de loi de la députée socialiste Isabelle Santiago vise à rendre le cadre juridique plus protecteur pour les enfants. Par exemple, elle rend enfin systématique le retrait de l'autorité parentale en cas de violences sexuelles incestueuses. Le GEST salue une nouvelle fois cette initiative essentielle, mais regrette que la majorité sénatoriale se soit longtemps opposée à certaines mesures protectrices des enfants qui font consensus à l'Assemblée nationale.
Nous nous félicitons que le compromis trouvé prévoie la suspension de l'exercice de l'autorité parentale jusqu'à une décision sur le fond si le parent est poursuivi pour certaines formes graves de violences intrafamiliales. C'est d'autant plus important que notre système judiciaire reste lent, après des décennies de sous-investissement. Il faut aussi, pour recruter davantage dans la justice, la rendre plus attractive.
Nous voterons le texte, mais ne soyons pas dupes ! Le chemin est encore long. Or le Gouvernement n'avance qu'à petits pas. Dernier exemple : la Ciivise. La démission de onze de ses membres met en lumière le profond malaise qu'a suscité le passage en force du Gouvernement pour imposer un changement d'orientation en remplaçant le juge Édouard Durand. Par ailleurs, son rapport de novembre dernier ne semble pas être pris au sérieux par le Gouvernement. Au lieu d'essayer de le faire disparaître dans un tiroir, il faut le mettre en oeuvre de toute urgence ! Nous y veillerons. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur des travées du groupe SER)
Mme Marie-Claude Varaillas . - « L'enfant a le droit au respect de sa dignité et de son amour-propre, ne pas piétiner, ne pas humilier, laisser vivre sans décourager, ni brusquer, ni presser, du respect pour chaque minute qui passe. » Ce sont les mots du pédiatre Janusz Korczak, inspirateur de la Convention internationale des droits de l'enfant.
Son intérêt doit être protégé à chaque instant de sa vie, notamment tout au long d'une procédure judiciaire le concernant. Cette proposition de loi s'inscrit dans cet objectif et le compromis trouvé va dans ce sens. C'est heureux, car les chiffres sont édifiants : 400 000 enfants vivent dans un foyer où s'exercent des violences intrafamiliales de manière permanente, et, chaque année, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles.
Alors que la saisine du JAF n'est pas toujours effective et que les délais d'audience sont trop longs, le retrait et la suspension de l'autorité parentale restent pour l'instant trop peu appliqués. Il était donc urgent de rappeler que la primauté va à l'intérêt de l'enfant.
Un parent, violent vis-à-vis de son enfant ou de l'autre parent ou incestueux, ne peut continuer à exercer son autorité parentale ni son droit de visite et d'hébergement. Il est bon de rappeler que l'intérêt de l'enfant prime le droit des parents d'influer sur la vie de leur enfant.
La Ciivise a recueilli de nombreux témoignages de mères inquiètes de laisser leur enfant repartir chez le père incestueux, d'un enfant obligé d'aller chez son parent violent en attendant un jugement ou de pères agresseurs déposant une main courante contre la mère refusant de laisser l'enfant retourner chez leur bourreau. Je salue le travail remarquable de cette commission sous la présidence du juge Édouard Durand.
Les conséquences sont atterrantes : 60 % des enfants témoins de violence souffrent de stress post-traumatique, et 50 % des enfants victimes de viol ont fait une tentative de suicide ; une femme qui a subi des violences physiques et sexuelles dans son enfance a dix-neuf fois plus de risque de subir des violences conjugales et sexuelles à l'âge adulte.
Suspendre automatiquement l'autorité parentale permettra de protéger l'enfant, c'est primordial. La protection de l'enfant doit être la plus rapide possible, pour limiter tout traumatisme supplémentaire et lui permettre de commencer promptement à se reconstruire. Ces dispositions libéreront la parole des enfants, en limitant les influences perverses de parents cherchant à contaminer leurs témoignages.
Reste que cette avancée doit être accompagnée de moyens. La balle est dans le camp de l'exécutif pour faire baisser les chiffres que j'ai cités et préserver la dignité de l'enfant. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Marie Mercier applaudit également.)
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics et la société se mobilisent fortement contre le fléau des violences intrafamiliales. Pendant longtemps, l'intime justifiait le silence. Aujourd'hui, ces événements n'ont plus le statut de faits divers : nous savons qu'ils traduisent des phénomènes sociaux à endiguer.
À mesure que les moeurs évoluent, notre droit s'étoffe. Les acteurs judiciaires aussi se mobilisent : policiers, juges, l'ASE.
Nous continuons régulièrement de découvrir des drames qui auraient pu être évités par une action en amont. Nous devons continuer à renforcer la prévention, la détection, la protection et la sanction. Au législateur de mobiliser toutes les ressources disponibles, à commencer par les travaux de la Ciivise.
Je me réjouis que la navette arrive enfin à son terme et salue une nouvelle fois les auteurs du texte et la rapporteure, Marie Mercier, dont je connais l'implication. Je salue aussi les membres de la délégation aux droits des femmes, dont la mobilisation ne nous surprend pas.
Les deux assemblées s'étaient accordées sur bon nombre de dispositions, y compris les enrichissements du texte initial, comme l'exonération de toute obligation d'informer l'autre parent d'un changement de résidence en cas d'ordonnance de protection.
Il ne restait donc plus grand-chose à débattre en CMP, hormis l'article 1er. Le RDSE a pris position en deuxième lecture à travers un amendement de Nathalie Delattre : nous étions favorables à la position de l'Assemblée nationale, tout en entendant les avertissements de notre rapporteure. Le Sénat a tranché pour un compromis, et nous l'avons soutenu. Le texte qui nous est soumis retient cette position intermédiaire. À titre personnel, je pense que nous n'aurions pas dû craindre d'aller plus loin, mais la démocratie parlementaire impose une culture du compromis.
Le RDSE votera unanimement les conclusions de la CMP, mais appelle à poursuivre nos travaux sur ces sujets. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mmes Marie Mercier et Patricia Schillinger applaudissent également.)
Mme Nicole Duranton . - J'ai une pensée émue pour Lisa. Dans l'Eure, à Conches-en-Ouche, elle était absente alors que ses camarades avaient repris le chemin de l'école. Elle était battue, ainsi que son frère, et sa mère l'avait déscolarisée. Elle est morte sous les coups de ses bourreaux, et de multiples traces de sévices ont été retrouvées sur elle. Ces récits sont insoutenables. Pourtant, 400 000 enfants sont victimes de violences intrafamiliales, dont, souvent, les séquelles les poursuivent leur vie durant.
Je suis soulagée de l'accord trouvé en CMP : c'est une avancée essentielle dans la protection de l'enfance. La mise à l'abri des enfants est une nécessité impérieuse.
Tous les cinq jours, un enfant est tué par l'un de ses parents. Malgré les lois de 2019 et 2021, trop d'enfants sont encore victimes. Cette proposition de loi est un pas de plus pour les protéger. Un parent agresseur ou violent ne peut être un bon parent.
Comme le montre le rapport de la Ciivise de novembre, les violences sexuelles surviennent souvent très tôt et durent parfois des années. En majorité, les agresseurs sont des membres de la famille ou des proches. Les enfants doivent être mis à l'abri de ces agresseurs.
La proposition de loi réécrit l'article 378-2 du code civil, lacunaire. La nouvelle rédaction ne fixe pas de terme à la suspension de l'autorité parentale ; seul un juge pourra y mettre fin.
Le RDPI votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur des travées du groupe INDEP)
La proposition de loi est définitivement adoptée. (Applaudissements)
La séance est suspendue quelques instants.