Enseignement privé sous contrat : quelles modalités de contrôle de l'État et quelle équité des moyens vis-à-vis de l'enseignement public ?
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat « Enseignement privé sous contrat : quelles modalités de contrôle de l'État et quelle équité des moyens vis-à-vis de l'enseignement public ? » à la demande du groupe SER.
Mme Marie-Pierre Monier, pour le groupe SER . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La récente polémique autour de Stanislas a mis en lumière une dérive de l'enseignement privé sous contrat. Il est temps d'y mettre un terme. Comment accepter que des établissements financés à 73 % par des fonds publics ne respectent pas les règles de leur contrat d'association avec l'État ?
Avec la loi confortant le respect des principes de la République, nous avons agi sur l'instruction en famille pour lutter contre le séparatisme. Faisons preuve du même courage pour lutter contre le séparatisme de certains établissements privés sous contrat.
Les enquêtes ne manquent pas : Mediapart, Le Monde en regorgent - ainsi d'un lycée toulousain, qui refuse de recevoir le planning familial, d'un autre, à Compiègne, qui ne souhaite pas emmener ses élèves voir le biopic sur Simone Veil.
Si des langues se délient, l'omerta reste de mise. Il est nécessaire de mieux objectiver ce phénomène en étendant le système de signalement d'atteinte à la laïcité, qui oblige les chefs d'établissements privés à signaler tout problème - comme c'est le cas pour leurs homologues du public. Je vous renvoie au rapport de la Cour des comptes de juin 2023.
Le financement est un point critique, alors que l'école publique manque de moyens : 8 milliards d'euros d'argent public par an ! Pour une grande part, cela correspond aux salaires des 142 000 enseignants du privé, qui sont des agents de l'éducation nationale, aux termes de la loi Debré. Or les rapporteurs de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur le financement de l'enseignement privé ont été alertés : certaines heures de cours obligatoires seraient rabotées au profit d'autres activités, comme l'enseignement des langues régionales ou des activités artistiques.
M. Max Brisson. - Ce qui est très bien !
Mme Marie-Pierre Monier. - Quand les heures ont lieu, leur contenu pédagogique pose parfois question - on y promeut, par exemple, l'abstinence. Je n'oublie pas les crédits versés par les collectivités territoriales pour rémunérer les personnels non enseignants et assurer les dépenses de fonctionnement, et ce sans visibilité sur leur utilisation.
Depuis 2019, les collectivités ont obligation de verser les mêmes sommes aux maternelles privées et publiques. La chambre des territoires ne peut qu'y être sensible, alors que nos communes peinent à maintenir leurs finances à l'équilibre.
Selon la Cour des comptes, la répartition des moyens se fait sans les recteurs. Insuffisamment associés, ces derniers sont contraints d'accepter des ouvertures de classe difficilement compréhensibles au regard de l'évolution des effectifs globaux d'élèves. Alors que les mobilisations contre les fermetures de classes se multiplient, nous ne pouvons l'accepter.
On nous reproche de vouloir déclencher la guerre scolaire, mais il faudrait déjà respecter le cadre légal actuel. Le rapport de la Cour des comptes multiplie les formules cinglantes : contrôle financier minimaliste, contrôle administratif ponctuel... Je n'oublie pas le sort réservé au rapport de l'Inspection générale sur Stanislas, mais le problème dépasse largement cet établissement. Même quand les inspections ont lieu, quelle garantie avons-nous que les rapports soient lus et pris en compte ?
La mixité sociale et scolaire est en net recul depuis vingt ans dans le privé, qui accueille, selon la Cour des comptes, 55 % d'enfants issus de milieux favorisés, 23 points de plus que dans le public, et moins d'élèves défavorisés. À Paris, selon Julien Grenet, directeur de la recherche au CNRS spécialiste de la mixité sociale, on compte 3 % d'élèves issus de milieux défavorisés dans le privé, contre 24 % dans le public.
Pourtant, la loi Debré prévoit l'accès de tous les enfants au privé sans distinction. Manifestement, les établissements ne l'appliquent pas. Là encore, la Cour des comptes appelle à une meilleure prise en compte de l'origine sociologique des élèves pour déterminer les moyens alloués par l'État.
Madame la ministre, l'enseignement privé sous contrat ne peut demeurer un État dans l'État, nous attendons des réponses concrètes ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K, ainsi que sur les travées du GEST ; MM. Bernard Fialaire et Henri Cabanel applaudissent également.)
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - La liberté de l'enseignement fait partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR), auxquels la Constitution de 1958 donne valeur constitutionnelle. L'enseignement public gratuit et laïque n'exclut donc pas l'enseignement privé, non plus que l'octroi à celui-ci d'un financement d'État - je renvoie à la décision du Conseil constitutionnel de 1977.
Je remercie le groupe SER pour l'initiative de ce débat, qui doit nous permettre de clarifier certains points sur les moyens et le contrôle des établissements privés sous contrat. Ce sujet est parfois source de polémiques, tantôt fondées sur des réalités, tantôt approximatives ou excessives. Il est d'autant plus nécessaire d'objectiver les faits.
La liberté de l'enseignement n'est pas absolue : l'État exerce sur les établissements un contrôle aussi bien pédagogique que financier. Il est normal qu'il veille au respect des engagements pris.
Au cours des dernières années, nous avons renforcé ces contrôles, car c'est une exigence démocratique. Ainsi, 60 ETP supplémentaires ont été recrutés en 2023 dans les rectorats pour mener les contrôles, qui portent d'abord sur le respect des exigences pédagogiques, mais aussi de la liberté de conscience des élèves. Nous sommes très attentifs également au bien-être et à l'épanouissement des élèves - en particulier à la prévention et à la lutte contre le harcèlement scolaire. Je salue l'engagement de nos inspecteurs.
Ce contrôle est d'autant plus nécessaire que l'enseignement privé bénéficie de financements d'État, en vertu de la loi Debré de 1959, selon un principe de parité avec l'enseignement public. En 2023, les dotations d'État représentaient 55 % des ressources des établissements privés du premier degré et 68 % de ceux du second degré, contre respectivement 59 % et 74 % dans l'enseignement public. L'État prend en charge notamment la rémunération et la formation continue des enseignants, les aides directes aux élèves, le forfait d'externat et certaines dépenses de fonctionnement.
Le nombre d'élèves scolarisés dans les établissements privés sous contrat représente 17 % de celui des élèves du public - c'est conforme au principe de la parité 20-80. La loi de finances pour 2024 prévoit 9 milliards d'euros pour l'enseignement privé du premier et du second degrés.
L'exigence de mixité sociale et scolaire est l'un des objectifs du service public de l'éducation. Or les indices de position sociale (IPS) des deux secteurs font apparaître une nette différence : en 2023, dans les collèges publics hors réseau d'éducation prioritaire (REP), l'IPS moyen s'établissait à 106,1, contre 124,1 dans le privé sous contrat. Cet écart tend à s'accroître.
M. Pierre Ouzoulias. - C'est bien de le reconnaître.
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Toutefois, ce n'est pas une fatalité. Nous travaillons sans relâche pour favoriser la mixité, notamment en la prenant en compte dans la répartition interacadémique des moyens alloués à l'enseignement privé. Le protocole signé par Pap Ndiaye prévoit des évaluations, essentielles alors que la France est l'un des pays de l'OCDE où les déterminismes sociaux conditionnent le plus la réussite scolaire
Non, l'État ne favorise pas l'enseignement privé par rapport au public. Dans le public, la qualité de l'encadrement augmente constamment, comme l'offre de formations attractives dans des établissements défavorisés, afin d'y renforcer la mixité - je pense à l'ouverture de sections internationales en REP.
Le Gouvernement demeurera attentif à la parité des financements et aux contrôles.
Présidence de M. Dominique Théophile, vice-président
M. Martin Lévrier . - Nous partageons tous l'objectif de poursuivre la lutte contre les inégalités de destin. Madame la ministre, je salue votre refus de tout tri social.
Pour que nos élèves se construisent, il faut de la mixité sociale. Ainsi, France Stratégie a relevé l'empreinte massive des caractéristiques héritées sur les acquis scolaires, dès l'école primaire. Le collège amplifie ces divergences avec les premières bifurcations d'orientation, puis le lycée y ajoute des inégalités liées aux choix de spécialités.
Comptabilité analytique, validation des comptes par un commissaire au compte, bilan communiqué à la préfecture : les établissements privés sont soumis à des exigences, mais ce n'est pas le cas en matière de mixité sociale. Si certains font le choix de l'élitisme - comme du reste certains établissements publics -, la plupart s'impliquent fortement dans l'accueil de tous les élèves, dont les plus fragiles. Ayant été secrétaire général d'un lycée privé sous contrat pendant trente ans, je sais combien cette volonté s'inscrit dans le projet pédagogique de l'immense majorité des établissements.
Par quels critères objectifs pourrait-on assurer une plus grande transparence des efforts des uns et des autres dans cette démarche d'accueil de tous nos jeunes ?
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Depuis des années, le ministère mène une politique active en faveur de la mixité, en liaison avec le secrétariat général de l'enseignement catholique (SGEC), qui regroupe 96 % des établissements privés sous contrat. Pour favoriser la mixité, ce dernier attribue une dotation horaire complémentaire aux établissements qui s'engagent le plus et a adopté un plan en faveur de la réussite.
Le protocole conclu l'année dernière prévoit une meilleure information des parents d'élèves, un renforcement de la mixité par la modulation des tarifs et un accueil plus important des élèves à besoins particuliers. Les premiers résultats seront connus en septembre.
En outre, la méthode de répartition interacadémique des moyens alloués au secteur privé dépend notamment de l'IPS, avec une forte pondération.
M. Adel Ziane . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'enseignement privé sous contrat est tenu par un contrat d'association, qui suppose des engagements et un contrôle. Toutefois, la Cour des comptes a fait, dans son rapport de juin 2023, le constat alarmant de contrôles limités, voire inexistants.
Elle a montré que le contrôle financier était largement inappliqué : peu d'établissements adressent leurs comptes dans les délais aux directions régionales des finances publiques. Le contrôle pédagogique est jugé, pour sa part, minimaliste, les enseignants étant rarement inspectés. Quant au contrôle administratif, il demeure sporadique : pas de vérification, par exemple, d'un enseignement sur les heures de service dans un établissement hors contrat.
La Cour des comptes fait observer aussi que le suivi des contrats, en vertu desquels d'importantes sommes sont versées, est peu rigoureux.
Le Gouvernement doit mettre en oeuvre un programme de contrôle, et les responsables de l'enseignement privé y sont favorables. Comment comptez-vous agir dans les plus brefs délais ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Nous progressons dans la mise en oeuvre des contrôles. Je le répète, 60 ETP ont été recrutés à cette fin l'année dernière.
Les contrôles pédagogiques sont essentiellement mis en oeuvre autour des rendez-vous de carrière des enseignants. Nous commençons la programmation des contrôles financiers - une dizaine ont été menés en 2023. Les contrôles administratifs sont également déployés de façon progressive. Un vade-mecum a été élaboré pour guider les corps d'inspection.
Cette montée en puissance se poursuivra. Nous entendons exercer pleinement nos prérogatives.
M. Max Brisson . - L'intervention de Marie-Pierre Monier, pour qui j'ai beaucoup de respect et avec qui j'ai souvent apprécié de travailler, m'a peiné. Dans les Pyrénées-Atlantiques, parmi les dix collèges aux IPS les plus bas, cinq sont privés ; pour les lycées, c'est trois sur dix. Voilà qui contrebalance un peu la caricature que nous avons entendue. Tout n'est pas noir ou blanc.
Je ne conçois pas ces formes d'enseignement comme une menace pour l'enseignement public. Comme Victor Hugo, je suis convaincu de la hauteur du principe de la liberté de l'enseignement pourvu que l'école publique soit belle. Ne pourrions-nous pas nous inspirer des réussites des uns et des autres ?
Madame la ministre, il faut mettre fin aux caricatures et examiner, sans idéologie ni dogmatisme, les modalités de réussite des établissements privés sous contrat. Peut-être y trouverons-nous quelques clés pour l'enseignement public. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Ancienne rectrice de l'académie de Toulouse, je mesure la diversité des situations dans l'enseignement privé : certains établissements scolarisent en effet des publics difficiles.
Ces établissements doivent être traités selon le principe de parité et faire l'objet de contrôles par l'État, notamment en matière pédagogique.
Il est vrai que des innovations mises en oeuvre dans l'enseignement privé méritent d'être promues. J'ai été témoin de telles pratiques pédagogiques innovantes.
Je n'oppose pas les secteurs d'enseignement. Nous nous attachons à appliquer le principe de parité dans les moyens comme dans le contrôle : c'est ainsi que nous assurons l'efficacité de notre système éducatif, donc la réussite des élèves.
M. Max Brisson. - On progresse - peut-être pas dans le sens de ceux qui ont demandé ce débat... Oui, l'enseignement privé sous contrat concourt à la mixité et à une offre éducative de proximité. Merci de l'avoir reconnu. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Marie-Claude Lermytte . - La commune a l'obligation de participer aux dépenses de fonctionnement des écoles privées, dans les mêmes conditions que pour les écoles publiques, sur la base d'un forfait égal au coût moyen d'un élève du public dans le département.
Or les organismes de gestion de l'enseignement catholique (Ogec) réclament souvent des montants bien plus conséquents : ainsi, à Beaucamps-Ligny, commune de 857 habitants, la municipalité finance un élève du public à hauteur de 240 et 700 euros pour l'école élémentaire et l'école maternelle, contre 2 000 euros pour le privé. Le forfait annuel s'élève à 100 000 euros, pour un budget communal de 500 000 euros : cela se passe de commentaires...
En outre, depuis l'obligation scolaire à 3 ans, le forfait communal s'applique aux maternelles ; les montants s'envolent, plaçant les communes, notamment les plus fragiles, dans une situation de plus en plus insoutenable.
Entendez-vous revoir les règles de contribution financière des communes ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER ; MM. Henri Cabanel et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
Mme Nicole Belloubet, ministre. - La participation de la commune est calculée par élève et par an. Seules les dépenses de fonctionnement sont prises en compte. Il appartient aux communes de rappeler ces règles aux établissements privés sous contrat. (Mme Audrey Linkenheld proteste.)
C'est la collectivité qui fixe le forfait, par délibération. Votre exemple ne justifie pas nécessairement de modifier la règle, mais de vérifier son application. Mais les montants dont vous faites état me surprennent. En cas de désaccord avec l'Ogec, la préfecture peut intervenir au titre du contrôle de légalité. Au besoin, nous pouvons prendre l'attache du ministère de l'intérieur pour qu'il le rappelle aux préfets.
S'agissant de la surcharge liée à l'obligation de scolarité à 3 ans, l'État compense les surcoûts des communes si celles-ci justifient d'une hausse des dépenses et des élèves. Les rectorats instruisent les dépenses, et 46 millions d'euros sont prévus pour cette année.
Mme Annick Billon . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Les établissements privés sous contrat sont subventionnés à 73 % par l'État et perçoivent des financements des collectivités. Un élève scolarisé dans le privé représente une économie pour l'État : il ne coûte que 55 et 68 % de ce que coûte un élève du public dans le premier et le second degrés.
Des inégalités de moyens persistent, avec parfois des conséquences sur les élèves et leur santé. Ainsi, dans le privé sous contrat, c'est la famille qui doit financer le coût d'un bilan psychométrique, pour 300 à 400 euros.
La direction générale de l'enseignement scolaire reconnaît que la médecine scolaire dans l'enseignement privé sous contrat est un angle mort des politiques publiques. Un rapport parlementaire de 2023 précise que le ministère de l'éducation nationale n'a pas de données sur le sujet, alors que le privé scolarise 2 millions d'élèves.
Aurons-nous enfin des données sur la couverture médicale des établissements privés sous contrat ? (Applaudissements sur des travées du groupe UC)
Mme Nicole Belloubet, ministre. - J'en conviens, nous n'avons pas de données consolidées sur le sujet. La loi fixe les obligations de l'État en matière de médecine scolaire : les élèves inscrits dans les établissements privés ne sont pas distingués des autres. De même, la circulaire du 12 janvier 2001, qui fixe le cadre de cette politique, prévoit une application à l'ensemble des élèves, à charge pour le recteur de la mettre en oeuvre.
Des personnels médicaux de l'éducation nationale interviennent ponctuellement dans les établissements privés sous contrat, dans le cadre des bilans obligatoires, des campagnes de vaccination ou en cas de difficultés particulières. Les établissements privés sous contrat peuvent disposer de personnels médicaux de droit privé, sur lesquels nous n'avons pas de visibilité.
J'ai à l'esprit la difficulté de la médecine scolaire dans sa globalité. Nous sommes en train de déployer un plan, qui bénéficiera au public comme au privé.
Mme Annick Billon. - Merci pour votre réponse sincère.
Je regrette que ce débat ait été ouvert d'une manière caricaturale, éloignée des réalités. (M. Patrick Kanner le conteste.)
Mme Monique de Marco . - Le rapport d'inspection sur Stanislas est préoccupant, pour les élèves bien sûr, mais aussi pour la procédure suivie. Pour que ces faits nous parviennent, il aura fallu un alignement des planètes : décision du ministre Pap Ndiaye, scolarisation des enfants d'une autre ministre de l'éducation nationale, enchaînement médiatique.
La maire de Paris a suspendu son financement à cet établissement et j'ai demandé une commission d'enquête sur l'efficacité des contrôles menés au sein des établissements privés.
Madame la ministre, vous dites progresser dans ces contrôles. Comment sont-ils décidés ? Y a-t-il publicité des enquêtes, transmission aux collectivités territoriales qui financent, au procureur en cas d'infraction pénale ? Comment comptez-vous les renforcer ?
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Je n'étais pas en fonction lorsque les événements dont vous parlez se sont produits, mais je ne puis les ignorer. Les conclusions de l'enquête administrative lancée à la suite d'alertes et de dysfonctionnements observés, sans être des mises en demeure, sont des recommandations à suivre strictement.
Je le redis, nous avons recruté 60 ETP et élaboré un vade-mecum pour renforcer ces contrôles.
Non, la procédure n'est pas opaque. Je précise que les inspections sont systématiques en cas de signalement. Nous n'hésitons pas à appliquer l'article 40 du code pénal lorsque nous avons connaissance de faits pénalement répréhensibles.
M. Pierre Ouzoulias . - À travers la ministre, je m'adresse aussi à l'ancien professeur de droit public.
Aux termes de l'article 1er de la loi Debré, l'établissement sous contrat est soumis au contrôle de l'État. Selon l'article L. 442-1 du code de l'éducation, « l'établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience ».
Or l'enseignement catholique a une conception extensive de cette notion de caractère propre, que la loi ne définit pas. Dans un texte de 2013, il affirme que « l'école catholique [...] constitue en elle-même une société ». Certains établissements confessionnels demandent aux parents de signer une charte par laquelle ils acceptent « que le message de l'Église catholique soit présenté et promu comme chemin de croissance et de vérité auprès des élèves ». La catéchèse est parfois pleinement intégrée au programme, sur le même plan qu'un enseignement du fait religieux du programme national, fondé sur la pensée critique.
Comment pouvez-vous nous garantir que le « caractère propre » de ces établissements n'entre pas en conflit avec le respect de la laïcité et de la liberté de conscience ? Pouvez-vous nous assurer que l'État ne subventionne pas des tâches relevant du caractère propre de l'établissement, ce qui contreviendrait à la séparation des Églises et de l'État ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER ; M. Henri Cabanel applaudit également.)
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Le caractère propre des établissements privés est reconnu par la loi. Le code de l'éducation y fait référence, en établissant qu'ils sont tenus de faire preuve d'une certaine neutralité et doivent respecter le programme de l'éducation nationale et les valeurs de la République, qui sont premières.
M. Pierre Ouzoulias. - C'est certain !
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Parmi celles-ci figure la laïcité, que les élèves doivent apprendre à respecter. Peuvent s'y ajouter des options liées au caractère propre de l'établissement confessionnel.
Le double respect du caractère propre et des principes de la République autorise le non-affichage de la charte de la laïcité. Mais les établissements doivent évidemment respecter les valeurs de la République. Le règlement intérieur peut tolérer ou prohiber tel ou tel signe d'appartenance religieuse.
M. Bernard Fialaire . - Le lundi 16 octobre 2023, j'avais rendez-vous dans un collège privé sous contrat de mon territoire. C'est le jour où devait avoir lieu l'hommage à Dominique Bernard. Or on m'a expliqué que cet hommage n'aurait pas lieu, ayant été remplacé par une prière le matin... Ce type de pratiques de bonne foi (sourires) est-il accepté, recensé ?
D'autre part, lorsqu'une petite commune voit partir un certain nombre d'élèves vers le secteur privé, parfois à cause d'un absentéisme non remplacé, ce que les membres du Gouvernement peuvent comprendre (nouveaux sourires), la commune doit faire face à des charges supérieures par élève, mais aussi payer plus de frais à l'école privée : c'est une double peine. Ne pourrait-on pas calculer ce financement en fonction des places proposées et non occupées ? (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur des travées du groupe SER ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Votre seconde question est technique...
M. Pierre Ouzoulias. - Vous êtes au Sénat !
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Nous avons diffusé à l'ensemble des établissements publics et privés des recommandations pour l'hommage à Dominique Bernard. Mais, en vertu de leur caractère propre, les établissements privés disposent d'une liberté pour ce qui ne relève pas du respect des programmes et des valeurs de la République.
Il n'était pas juridiquement possible de contraindre un établissement privé à organiser cet hommage selon les modalités recommandées. En revanche, la prière ne pouvait avoir lieu sur le temps d'enseignement ; elle ne pouvait être que facultative, comme l'instruction religieuse.
Les établissements scolaires, publics comme privés doivent transmettre aux élèves les valeurs de la République, dont la laïcité. Ils doivent aussi veiller au respect de la liberté de conscience.
Je répondrai ultérieurement à votre autre question.
Mme Karine Daniel . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Comme Marie-Claude Lermytte et Bernard Fialaire, je vous interrogerai sur la participation des communes aux frais de fonctionnement des écoles sous contrat - ce qui vous permettra de répondre à la question précédente.
Le mode de calcul pose problème en termes dynamiques : lorsque l'effectif baisse dans le public, du fait de la démographie ou d'un transfert vers l'enseignement privé, le coût par élève dans le public augmente - c'est mathématique. Vous dites qu'il s'agit d'une délibération des communes, mais celle-ci s'impose à elles ; elles ne décident pas du coût de l'énergie, par exemple.
Vous serez obligée de revoir ces modalités de calcul inadaptées, notamment dans les communes rurales. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Marie-Claude Lermytte applaudit également.)
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Le principe de parité est la règle en la matière. Seules les dépenses de fonctionnement sont prises en compte, et les financements au privé ne peuvent être supérieurs à ceux du public.
Certaines dépenses sont directement corrélées au nombre d'élèves, mais pas toutes - comme le chauffage.
Une variation des effectifs peut en effet mener à une augmentation ou à une diminution du coût moyen par élève. Vous soulignez un effet pervers, mais le phénomène pourrait jouer en sens inverse.
Cet équilibre me paraît difficile à remettre en cause, mais je suis prête à rediscuter de ce sujet avec vous. (Marques de satisfaction sur les travées du groupe SER)
Mme Catherine Belrhiti . - Ayant enseigné dans le privé sous contrat pendant trente-cinq ans, j'en connais les avantages et les inconvénients. Il est un acteur essentiel du service public de l'éducation. (M. Martin Lévrier abonde.)
Il offre une liberté de choix aux parents, en fonction de raisons qui leur appartiennent. La proportion des élèves qu'il accueille est stable, comme son financement.
Les droits doivent être conditionnés à des devoirs. La loi Debré n'a cherché ni à priver l'État de droit de regard ni à dégager les établissements privés de leurs obligations. Il s'agissait d'établir la liberté d'enseigner, mais aussi des contrôles.
Ces derniers paraissent défaillants : comment comptez-vous les renforcer ?
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Je crains d'être conduite à me répéter.
Vous déplorez l'insuffisance des contrôles : nous en avons pris conscience et avons recruté des personnels, auxquels nous avons donné des objectifs clairs à travers le vade-mecum.
Les établissements sont évalués aussi par le Conseil de l'évaluation de l'école.
Nous sommes en train de monter en puissance dans ce domaine, sur les plans financier, administratif et surtout pédagogique - ainsi que sur le respect des valeurs de la République.
Mme Catherine Belrhiti. - Nous suivrons cela de près.
M. Yan Chantrel . - Tout le monde finance l'enseignement privé par ses impôts, mais, les chiffres le montrent, tout le monde n'y a pas accès. La proportion d'élèves très favorisés dans les collèges privés est de 40 %, deux fois plus que dans le public ; l'écart s'est creusé de près de dix points en vingt ans. La part des élèves boursiers dans le secondaire est trois fois plus faible dans le privé que dans le public. Nous devons lutter avec acharnement contre ce séparatisme !
Pire, une sélection ethnique est parfois pratiquée, comme l'a montré une étude scientifique de 2014 utilisant une méthode proche du testing.
Nous n'avons actuellement aucun moyen de savoir comment les établissements privés sélectionnent leurs élèves, ni de contrôler les efforts qu'ils font - ou ne font pas - en faveur d'une plus grande mixité.
L'extension d'Affelnet ou la mise en place d'une plateforme d'inscription dans les établissements privés permettrait d'avoir des données précises sur les profils des élèves candidats et des élèves retenus. L'État serait ainsi en mesure de contraindre l'enseignement privé sous contrat à respecter son contrat, en accueillant tous les enfants sans distinction d'origine, d'opinion ou de croyance.
Y êtes-vous favorable ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER ; M. Ian Brossat applaudit également.)
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Bien sûr, j'y suis favorable. Les IPS sont plus élevés dans le privé que dans le public, je l'ai souligné, même s'il est vrai aussi, comme je l'ai dit à M. Brisson, que des établissements privés accueillent des élèves d'origine moins favorisée. Les situations sont hétérogènes.
Un principe s'impose : la liberté de choix des familles. Mais il ne peut y avoir de ségrégation, surtout pas ethnique. Ce serait, du reste, pénalement répréhensible. Certains établissements ont été condamnés.
M. Yan Chantrel. - J'ai mentionné une enquête sérieuse qui prouve qu'une telle ségrégation existe. Affelnet permettrait d'exiger ces données. La France est, avec le Chili de Pinochet, le seul pays à subventionner les écoles privées sans mesure contraignante en termes de mixité ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER ; M. Ian Brossat applaudit également.)
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Dans le protocole mixité signé avec l'enseignement catholique, une base de données partagée est prévue ; elle sera opérationnelle en septembre.
M. Yan Chantrel. - Ce protocole a deux ans.
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Non, il date de mai 2023 !
M. Yan Chantrel. - Il est essentiel que ces données soient collectées et partagées. Il faut prendre des mesures pour contraindre l'enseignement privé à respecter les règles. Sinon, signer un protocole n'aura servi à rien !
Mme Anne Ventalon . - En décembre dernier, Gabriel Attal annonçait pour la rentrée 2024 la mise en place de trois groupes de niveaux en français et mathématiques pour les élèves de sixième et de cinquième. Il faudra donc recruter. Si 2 330 postes ont été annoncés pour le public, qu'en est-il pour le privé ? Aucune dotation n'est prévue, seule la suppression de l'heure d'approfondissement en sixième concourra au financement : les établissements devront donc prendre sur leurs moyens ordinaires. Ce n'est pas acceptable.
Madame la ministre comment financerez-vous les groupes de niveau pour le privé ?
Depuis la loi Debré de 1959, les chefs d'établissement et leurs équipes définissent ensemble leur organisation et leur projet éducatif. Ils sont les mieux à même de définir leurs besoins. Dans le privé sous contrat, 15 % des collégiens sont en difficulté en français, contre 25 % dans le public hors REP et 52 % en REP+. On ne peut appliquer la même règle à tous. Les établissements privés sous contrat conserveront-ils leur liberté de choix dans l'application de la réforme ?
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Nous avons, avec le Premier ministre et le personnel éducatif, l'ambition partagée d'élever le niveau scolaire. Les groupes de niveau sont une des méthodes pédagogiques pour ce faire, en prenant en compte la spécificité de chacun.
Pour le financement, nous adoptons la même méthode dans le privé que dans le public : redéploiement de la vingt-sixième heure, dotations supplémentaires, le cas échéant, selon la situation propre à chaque établissement.
Le SGEC dit rencontrer des difficultés similaires à celles de l'enseignement public. Je veillerai à ce que, dans un cas comme dans l'autre, ces groupes soient mis en place. Le privé et le public partagent la même préoccupation de faire réussir les élèves. Ces groupes devront être mis en place dans tous les établissements.
Mme Anne Ventalon. - Peut-être pourraient-ils devenir des groupes de besoin, en fonction des spécificités des établissements.
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Je fais confiance aux équipes pédagogiques. Elles disposent d'une certaine souplesse, mais ces groupes devront être mis en place partout. Nous y veillerons.
M. Stéphane Piednoir . - N'en déplaise à certains, deux millions d'enfants sont scolarisés dans le privé, soit un élève sur six. Certains établissements restent hors contrat - la proposition de loi de Françoise Gatel de 2018 visait à mieux les encadrer. D'autres, après cinq ans, font le choix d'un contrat avec l'État.
Ce contrat produit des droits : paiements du salaire des enseignants par l'État, participation des collectivités territoriales aux dépenses de fonctionnement. Mais il entraîne aussi des devoirs : appliquer les programmes et accueillir tous les enfants sans distinction.
Ce contrat repose sur un équilibre : confiance entre les acteurs, contrôle par l'État. Ce contrôle, strict, inclut l'évaluation des enseignants et le respect des valeurs de la République. Je ne doute pas que des manquements puissent être identifiés et signalés, dans le privé comme ailleurs.
Vous avez évoqué les moyens de votre ministère pour effectuer ces contrôles. Pouvez-vous nous communiquer des chiffres s'agissant des manquements constatés et nous préciser leur nature ?
M. Pierre Ouzoulias. - Il n'y a pas de remontée des chiffres...
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Sur le contrôle des établissements hors contrat, nous avons beaucoup progressé : contrôle systématique la première année, triplement des contrôles en cinq ans, dont 20 % aboutissent à une mise en demeure, voire à une fermeture administrative, comme récemment à Nice.
Sur le contrôle des établissements sous contrat, je n'ai malheureusement pas de données chiffrées : nous ne centralisons pas les remontées des académies. Peut-être faudra-t-il l'organiser. Je suis confuse de ne pouvoir vous répondre.
Mme Sabine Drexler . - L'engouement croissant pour le privé n'est-il pas le miroir des défaillances de l'école publique ? Tant que l'État n'investira pas davantage et fermera des classes, de plus en plus de familles feront le choix du privé.
On parle d'équité de moyens, mais quid de l'équité territoriale ? Dans la ruralité, qui ne peut pas se payer le luxe de la guerre scolaire, les politiques publiques obéissent à des logiques comptables, au mépris des spécificités territoriales. On ferme une à une nos classes, puis nos écoles de campagne, on les fusionne en regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI), puis en regroupements pédagogiques concentrés (RPC) - où l'on continue à fermer des classes...
En éloignant l'école de ses habitants, on a réduit l'attractivité de nos territoires. Face au désengagement de l'État, des maires se positionnent donc pour recréer une offre scolaire de proximité, privée ou associative, essentielle pour retenir les jeunes sur leur territoire.
Que comptez-vous faire pour rapprocher l'école rurale publique de ses habitants ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Le Gouvernement est attaché à la place de l'école dans la ruralité, ce fut une de mes préoccupations en tant que rectrice de l'académie de Limoges. À la rentrée 2023, 18 % des élèves français sont scolarisés dans 14 800 écoles publiques rurales.
Avec la déprise démographique, le taux d'encadrement est favorable : 19,4 élèves par classe dans les communes rurales éloignées, contre 22,7 au niveau national hors éducation prioritaire.
Des politiques dédiées sont mises en place et ont été renforcées depuis 2018. Je rappelle l'engagement du Président de la République de ne fermer aucune école rurale sans l'accord du maire.
M. Jean-Michel Arnaud. - Aucune classe, pas aucune école !
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Je parle bien des écoles.
Nous avons pris des engagements qui visent à maintenir la présence des écoles dans la ruralité, notamment dans le cadre du plan France Ruralités voulu par Élisabeth Borne, avec la création de l'Observatoire des dynamiques rurales. Nous poursuivrons cet effort. Je veillerai notamment à ce que la carte scolaire soit mieux préparée à l'avenir et engage sur un plus long terme.
Mme Marie-Do Aeschlimann . - Les dysfonctionnements dans certains établissements privés sous contrat révélés ces derniers mois ne doivent pas être éludés. S'il existe des torts, il faut les redresser, sans caricaturer et sans relancer la guerre scolaire.
Le contrôle de l'État ne semble pas effectif partout, ce qui suffit à alimenter un procès sans nuance du privé.
Pourtant, le SGEC rappelle n'avoir jamais refusé de se prêter à un tel contrôle. Les éléments comptables sont à la disposition des élus locaux, dont un représentant siège au conseil d'administration. Or selon la Cour des comptes, ce contrôle est largement inappliqué. Les établissements qui ne respectent pas les obligations doivent être rappelés à l'ordre ; sans doute faut-il aussi rapprocher le recrutement des chefs d'établissement de celui du public.
Un meilleur contrôle démontrera aussi que de nombreux établissements peinent à joindre les deux bouts, qu'ils font des efforts pour l'inclusion et contre le décrochage scolaire, qu'ils ont des caisses de solidarité et modulent la contribution des familles en fonction du revenu.
Enfin, rappelons que la charge d'un élève du privé représente la moitié de celle d'un élève du public : sans le privé, la charge publique supplémentaire serait supérieure à 9 milliards d'euros. Le contrôle est la contrepartie de la liberté d'enseignement et de l'autonomie des établissements. Comment comptez-vous renforcer ce contrôle ?
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Je le répète, nous allons renforcer les contrôles financiers et pédagogiques et programmer un plan d'inspection. Le protocole d'accord signé avec le SGEC nous donnera des éléments d'information sur les contributions différenciées, les mesures à caractère social, la mixité. Cela permettra d'objectiver ce que sont et ce que font les établissements privés sous contrat.
M. Jean Hingray . - Lors d'un récent déplacement dans les Vosges, le Premier ministre s'est arrêté à Saint-Dié pour rendre hommage à Jules Ferry. Mais non loin de là, au Val-d'Ajol, l'école a fermé il y a vingt ans. Depuis, un projet d'école alternative a vu le jour. Elle ne reçoit pas de subvention, n'est pas reconnue par l'État, mais suit scrupuleusement les programmes.
Selon le conseil national d'évaluation du système scolaire, des temps de trajets trop longs peuvent être préjudiciables à la réussite scolaire. Ne faudrait-il pas adapter la carte scolaire aux réalités territoriales, notamment en zone de montagne ? Ne pourrait-on pas mobiliser la loi Montagne pour éviter les suppressions de postes ?
L'Association des maires ruraux propose la création de REP ruraux dans les communes de moins de 3 500 habitants, avec des classes de plusieurs niveaux. Qu'en est-il ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Sabine Drexler applaudit également.)
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Nous avons 35 000 communes et 48 220 écoles. Pourtant, vous avez raison de rappeler l'enjeu de l'accès à l'enseignement dans les zones rurales ou de montagne. Des réponses ont été élaborées : allocation progressive des moyens tenant compte de l'indice d'éloignement, territoires éducatifs ruraux. Le 25 avril 2019, le Président de la République s'est engagé à ce qu'il n'y ait, d'ici la fin du quinquennat, aucune nouvelle fermeture ni d'hôpital ni d'école sans l'accord du maire. Nous avons requalifié trois mille places d'internat pour faciliter la scolarisation des élèves habitant dans les zones reculées.
La loi Montagne prévoit des adaptations. Nous travaillons dans chaque département à identifier les écoles ou les réseaux qui justifient l'application de modalités d'organisation ou d'allocations de moyens spécifiques. C'est ainsi que nous garantirons l'égalité des chances.
Mme Colombe Brossel, pour le groupe SER . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Les élus socialistes ont voulu ce débat parce que l'opacité règne sur l'enseignement privé sous contrat, pourtant financé à 76 % par l'État.
Le rapport de la Cour des comptes de 2023 souligne que le contrôle financier est inappliqué, le contrôle pédagogique minimaliste, le contrôle administratif peu fréquent. Nous nous félicitons de la montée en puissance annoncée - mais avec dix contrôles financiers en 2023 pour 7 500 établissements, on est loin du compte.
Les récentes affaires médiatiques ont mis en lumière des dérives systémiques. Je pense au rapport d'inspection accablant sur Stanislas - instruction religieuse obligatoire, classes non mixtes, sans parler de faits susceptibles d'être qualifiés pénalement - mais Stanislas n'est qu'un exemple des dérives que nous finançons. Dès 2022, la Fep-CFDT alertait sur la réduction du temps consacré aux disciplines obligatoires, au profit notamment d'activités à caractère religieux.
La proportion des élèves scolarisés dans le privé n'a pas bougé depuis des années, c'est vrai. Mais depuis les années 2000, la ségrégation croissante est devenue une bombe à fragmentation sociale. (M. Pierre Ouzoulias acquiesce.) Les indices de position sociale publiés par le Gouvernement - contraint par une décision de justice - ont mis en lumière un fossé social : 74 en REP+, 106 dans le public hors éducation prioritaire, 124 dans le privé sous contrat ! Dans l'enseignement privé, les élèves issus de milieux favorisés sont désormais majoritaires ; la part des élèves issus de milieux défavorisés n'est plus que de 16 %. C'est cette ségrégation, cette distorsion de concurrence qui nous intéresse.
À défaut de réponses, nous avons eu quelques engagements de votre part. Soixante ETP supplémentaires pour les contrôles ? Mais il y a trente académies ! En Normandie, il n'y a qu'un seul inspecteur académique pour contrôler 89 lycées et quatre collèges.
À quand une réelle équité de traitement vis-à-vis de l'enseignement public ? Vous annoncez de nouvelles fermetures de classes et la baisse de la dotation horaire globale pour l'enseignement public, alors que l'enseignement privé sera, une fois de plus, largement préservé. Pourquoi le public absorberait-il seul la baisse démographique ? Hier, dans Le Monde, Julien Grenet soulignait qu'à Paris, seul le public est mis à contribution. C'est une décision politique.
Cette absence d'équité pèse sur les collectivités territoriales : il faudra en tenir compte dans leur financement. Dans les collèges et lycées parisiens, un élève sur cinq n'habite pas à Paris, or leur financement pèse sur la Ville !
Je ne reviens pas sur le choc des savoirs, largement décrié par la communauté éducative. Vous dites que vous ne laisserez pas le privé se soustraire aux réformes voulues par le Gouvernement, et que vous aurez une politique de contrôle spécifique. Merci d'avoir pris cet engagement.
Vous vous êtes engagée à continuer à travailler. Mais plus que cela, nous attendons des actes. L'école publique a besoin de vous, madame la ministre. Elle a besoin de moyens, et de la confiance de l'État. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et du GEST ; Mme Sabine Drexler applaudit également.)
La séance, suspendue à 20 heures, reprend à 21 h 30.