Congrès et assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.
Discussion générale
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer . - J'ai l'honneur de porter devant vous ce projet de loi organique, qui prévoit le report des élections provinciales de Nouvelle-Calédonie à une date ne pouvant aller au-delà du 15 décembre 2024. Ces élections devraient se tenir au printemps prochain. Le congrès de Nouvelle-Calédonie, c'est-à-dire les partis non-indépendantistes et certains partis indépendantistes, a approuvé ce projet.
Une autre réforme, constitutionnelle, sera examinée dans les prochaines semaines, visant le dégel du corps électoral de Nouvelle-Calédonie pour ce qui concerne la liste électorale des élections provinciales. Je rappelle qu'il existe trois listes électorales : nationale, référendaire et provinciale, pour ce territoire de 270 000 habitants. Selon l'accord de Nouméa, les dispositions électorales pour les élections provinciales sont de nature constitutionnelle.
L'accord de Nouméa a créé une citoyenneté calédonienne, complémentaire de la citoyenneté française, mais qui n'a de lien pour l'instant qu'avec le vote aux élections propres à la Nouvelle-Calédonie ; ainsi, seuls ces électeurs sont des citoyens calédoniens. Or le corps électoral pour les élections provinciales est restreint, avec 178 000 inscrits contre 221 000 pour le corps électoral général. Un électeur sur cinq, soit 20 %, ne dispose donc pas du droit de suffrage aux élections locales, parfois des Calédoniens nés de parents calédoniens... Avouez que cela pose de graves problèmes démocratiques.
Cet écart se creuse mécaniquement chaque année, le corps électoral provincial étant gelé depuis la révision constitutionnelle de 2007. C'est évidemment un sujet politique majeur, le dégel du corps électoral étant la principale revendication des partis non-indépendantistes, alors que le FLNKS rappelle que le corps électoral restreint est une émanation de la citoyenneté calédonienne.
C'est un sujet de préoccupation majeure depuis la reprise des négociations en septembre 2022. Le Gouvernement ne demande pas le dégel complet du corps électoral, alors que seule la Nouvelle-Calédonie connaît un tel régime électoral.
C'est donc plein de modération que le Gouvernement, qui entend la préoccupation politique, symbolique et électorale de chacun, après trois référendums d'autodétermination, considère qu'il n'est plus acceptable d'exclure du suffrage des citoyens installés sur place après 1998, il y a vingt-six ans. L'accord de Nouméa précisait que le gel était une disposition transitoire, en attendant la réponse des Calédoniens aux référendums d'autodétermination.
Il s'agit d'une décision unilatérale : le Gouvernement avance sur ce sujet. Il a toutefois indiqué, il y a deux ans, qu'il n'avancerait pas sur d'autres sujets en l'absence d'accord - même si cela se justifierait, notamment l'organisation des institutions calédoniennes, ou l'existence de trois codes de l'environnement... La situation du nickel mériterait aussi d'être traitée.
Mais après deux ans de discussion, il n'y a pas d'accord définitif entre le FLNKS, qui considère peut-être que rien ne presse, le Gouvernement et les partis loyalistes. Le Gouvernement prend donc ses responsabilités et vous propose le report des élections provinciales au travers de ce projet de loi organique et le dégel à dix ans du corps électoral, car ce gel n'est conforme ni aux principes essentiels de la démocratie ni aux valeurs de la République.
Le Gouvernement ne souhaite pas changer la façon dont les électeurs votent ou imposer un accord, mais il s'agit d'autoriser les Calédoniens à choisir leurs élus locaux dans des conditions conformes à une démocratie qui se respecte. Le Gouvernement propose donc de reporter les élections provinciales à une date raisonnable, décembre 2024, pour donner aux discussions une chance d'aboutir et au projet de loi de révision constitutionnelle le temps d'être adopté.
Le Conseil d'État a considéré qu'il s'agissait d'une mesure d'intérêt général.
J'ai entendu les doutes de M. le rapporteur sur notre capacité réelle à organiser les élections dans les temps. Le congrès s'est prononcé en faveur de cette date, y compris les partis indépendantistes, à 38 voix pour et 16 contre. Techniquement, l'État est en mesure de tenir ces échéances, le décret de convocation est prêt.
M. Rachid Temal. - On veut bien le voir !
M. Gérald Darmanin, ministre. - Les services sont d'ores et déjà en ordre de bataille. La responsabilité du calendrier relève donc en priorité du Parlement. Le Gouvernement a fait son travail et est prêt à tenir les élections au plus tard en décembre 2024.
Le RDSE a présenté par deux fois un amendement visant à les reporter au premier semestre 2025. J'entends votre souci de ne pas brusquer. Le Gouvernement propose le report en décembre 2024, sachant qu'il serait possible de repousser encore les élections par décret jusqu'en milieu d'année 2025, en cas d'accord.
Au bout de trois ans de discussion, au moment où la Nouvelle-Calédonie connaît d'importantes difficultés, notamment dans le secteur du nickel, ne procrastinons pas. L'expression du suffrage démocratique doit être entendue.
Le Gouvernement et les acteurs économiques doivent avoir face à eux des responsables politiques légitimes, à même de décider, de sauver des emplois. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie gère, je le rappelle, les sujets sociaux, notamment la protection sanitaire. Or moins d'emplois, c'est moins de cotisations.
La date de décembre 2024, éventuellement décalée de quelques mois, nous paraît donc raisonnable. Je ne sais pas si beaucoup d'élus hexagonaux accepteraient que l'on reporte ainsi les élections sur le territoire...
Le Gouvernement est évidemment ouvert à la discussion. Il est prêt à suspendre le processus constitutionnel en cas d'accord plus global entre les partis indépendantistes et non indépendantistes. C'est le voeu que je forme. Le Gouvernement présenterait alors cet accord tel quel au Parlement, il serait prêt à jouer le rôle d'arbitre et à réunir le Congrès.
Le Gouvernement n'a pas ménagé ses efforts depuis la convention des partenaires en novembre 2022. Nous nous félicitons du dialogue entre les deux camps, dont attestait, il y a quelques semaines, le communiqué de presse de l'ensemble des partis. Les discussions sont suspendues jusqu'à la fin mars, avec la réunion du FLNKS, mais certains évoquent leur reprise dans un calendrier compatible avec la discussion de ce texte par l'Assemblée nationale le 13 mai prochain.
Je reste donc optimiste et prudent à la suite de mon dernier déplacement en Nouvelle-Calédonie. Laissons le temps à la discussion locale. Mais il faut réparer une injustice et permettre à de jeunes Calédoniens de voter pour leurs élus locaux. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois . - Je souhaite d'abord souligner l'attachement du Sénat à la Nouvelle-Calédonie et notre profonde estime pour tous les Calédoniens, qui ont su trouver des accords entre eux.
La date des élections provinciales et du congrès n'est pas une question anodine. En effet, derrière cette demande du Gouvernement, il y a toute l'organisation de la vie démocratique de la Nouvelle-Calédonie : d'un côté la démocratie calédonienne, qu'il faut organiser, de l'autre, l'avenir du territoire.
Si elles n'étaient pas reportées, ces élections seraient fondées sur une liste électorale qui écarte 19,3 % des électeurs, contre 7,5 % initialement. Lorsque le constituant a approuvé cette dérogation au principe de l'égalité de suffrage, il avait ce dernier pourcentage en tête.
Le fait que ce taux soit passé à 19,3 %, alors même que le processus juridique de transition amorcé par l'accord de Nouméa est achevé, pose problème pour la régularité des élections. Or quoi qu'on pense des arrangements passés, il faut bien organiser des élections ! Mais dans les conditions actuelles, leur résultat serait contesté, sur la base d'arguments solides.
Le Gouvernement appelle donc à modifier la liste et dépose, à titre supplétif, un projet de loi de révision constitutionnelle à cet effet. Pour que nous ayons le temps, soit d'adopter une révision constitutionnelle, soit de permettre la conclusion d'un accord, il faut reporter les élections. Ce n'est pas une bien grande affaire ! De nombreux précédents ont permis au Conseil constitutionnel de définir les conditions d'un tel report. Il faut un motif d'intérêt général - en l'occurrence tout trouvé, puisqu'il s'agit de la libre expression du suffrage universel.
Il faut aussi que la durée du report soit raisonnable. Le ministre nous dit que son administration est capable d'organiser un scrutin au 15 décembre prochain. Pourquoi en douter ? Mais si un accord imposait un nouveau report, nous répondrions présent. Le Gouvernement ne doit pas évincer le Parlement, intéressé à soutenir ses démarches dans la mesure où il peut en vérifier le bien-fondé...
La condition liée au motif d'intérêt général est remplie. La date du 15 décembre ne paraît pas trop éloignée. Elle pourrait même paraître trop proche... Mais je suis trop soucieux de la séparation des pouvoirs pour critiquer le volontarisme du Gouvernement !
Cette première étape sera suivie d'une autre, autrement plus importante. Nous devrons, par une loi constitutionnelle, nous prononcer sur la détermination du corps électoral. La dérogation à l'application stricte de l'égalité de suffrage l'exige. Une cote mal taillée consisterait à inscrire, outre les natifs, les seuls Français présents sur place depuis au moins dix ans. Le Gouvernement propose une option qui intègre un compromis qui n'est pas encore trouvé...
Monsieur le ministre, forts d'une longue expérience d'évolution de la Nouvelle-Calédonie, nous préférerons la négociation entre les parties calédoniennes à une révision constitutionnelle - c'est pourquoi je qualifie cette dernière de « supplétive ». La commission des lois souhaite que l'on aboutisse rapidement à un accord : une démarche unilatérale ne saurait être qu'une option de dernier recours. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI, ainsi que sur plusieurs travées du groupe INDEP ; M. Hervé Marseille applaudit également.)
Mme Corinne Narassiguin . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Il y a trente-cinq ans, la Nouvelle-Calédonie était au bord de la guerre civile. Avec Michel Rocard et Louis Le Pensec, les accords de Matignon, en 1988, puis de Nouméa, en 1998, ont été de grands tournants pour faire pièce à une situation marquée par une marginalisation des Kanaks et de trop nombreux manquements à la parole donnée par la France.
En 2008, dans une tribune commune, Michel Rocard et Lionel Jospin assuraient qu'entre 2014 et 2018, la Nouvelle-Calédonie disposerait de la quasi-totalité des compétences de la souveraineté, les Calédoniens se prononçant sur le transfert des dernières compétences de l'État - construction originale pour bâtir le destin commun d'une population pluriethnique, entre le peuple d'origine et ceux qui s'y sont installés durablement, « soit dans la République française, soit dans un pays dont les liens avec la France seront à définir ».
Le processus de l'accord de Nouméa est arrivé à son terme en 2021, même si le Gouvernement est sorti de sa neutralité pour la troisième consultation de 2021, à l'origine d'une période de blocage.
Les élections provinciales ne peuvent exclure trop de citoyens calédoniens. Nous approuvons donc dans son principe le report des élections - préconisé par la mission d'information sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, rapportée par François-Noël Buffet, Philippe Bas, Jean-Pierre Sueur et Hervé Marseille -, et nous proposons même la date du 30 novembre 2025 pour laisser du temps aux discussions en cours.
Un accord global doit être trouvé pour doter la Nouvelle-Calédonie d'un cadre institutionnel stable. Cela passe par la définition du corps électoral. Les discussions ont repris officieusement en septembre 2023, avec la rencontre entre les loyalistes et les indépendantistes à Bourail et la démarche constructive de l'Uni-Palika. Le dialogue est le seul chemin viable. Dans ces conditions, nous ne comprenons pas la pression du Gouvernement qui lie ce projet de loi organique à un projet de loi constitutionnelle. Nous proposons un amendement pour rappeler l'impartialité de l'État en la matière. À cet égard, la nomination au Gouvernement de Sonia Backès était un mauvais signal.
Je conclurai en citant encore la tribune de Michel Rocard et Lionel Jospin : « la question calédonienne est d'intérêt national. Il y va de la position de notre pays dans le Pacifique et de l'honneur de la France, qui doit rester fidèle à la parole donnée ». (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Georges Naturel . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce projet de loi organique est clair et répond aux demandes de l'ensemble des forces loyalistes : le report des élections au 15 décembre 2024.
Nous aurions préféré respecter le calendrier initial, mais la réalité calédonienne nous impose ce report. Il faut régler la question du droit de vote en Nouvelle-Calédonie, car près de 20 % des 221 000 électeurs seraient exclus du corps électoral. Parmi ces 42 000 électeurs privés de droit de vote aux élections provinciales, certains sont présents depuis vingt-cinq ans, mais se sont installés après novembre 1998, date à laquelle le corps électoral a été vitrifié. Certains sont nés sur ce territoire, mais leurs parents se sont installés après le gel du corps électoral... Le report de sept mois mettrait un terme à ce gel. Le congrès a approuvé ce projet de loi organique, y compris certains indépendantistes.
Mais les Calédoniens veulent un renouvellement sans tarder. Je suis donc opposé à l'amendement SER qui propose un report à 2025.
C'est un paradoxe : la majorité du congrès est indépendantiste, mais en 2018, 2020 et 2021, les Calédoniens se sont exprimés en faveur du maintien dans la République. Les difficultés de la Nouvelle-Calédonie, notamment dans la filière nickel, imposent que ses assemblées soient relégitimées par le suffrage universel. Il est donc urgent que des élections se tiennent, d'ici le 15 décembre.
Je vous invite donc à voter ce projet de loi organique conforme, et le plus largement possible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
M. Pierre Médevielle . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Le Caillou s'est prononcé par trois fois pour rester au sein de la France.
Avec 80 % d'espèces végétales endémiques, la Nouvelle-Calédonie est au premier rang mondial. Sa zone économique exclusive de 1,3 million de kilomètres carrés en fait un espace stratégique.
Sur le plan institutionnel, elle bénéficie d'un statut sui generis régi par le titre XIII de la Constitution et la loi organique de 1999. Elle jouit d'un partage de la souveraineté.
Deux textes lui sont consacrés cette année : un projet de loi de révision constitutionnelle qui sera examiné dans quelques semaines et le présent projet de loi organique.
Devenons-nous reporter ces élections ? Le ministre et le rapporteur sont explicites. Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le report doit être limité, exceptionnel et motivé par un objectif d'intérêt général. Il faut réinterroger au préalable la composition du corps électoral, restreint en 1998, dix ans après le drame d'Ouvéa, et en 2007. En vingt-cinq ans, le contexte politique et démographique a changé. Les conditions fixées par l'accord de Nouméa pour réinterroger le corps électoral ont été satisfaites - je pense notamment aux trois référendums.
Il est donc nécessaire d'avoir ce débat. Reporter les élections en 2025 n'est pas raisonnable. La Nouvelle-Calédonie souffre ; il faut rassurer ses habitants, pour avancer dans la sérénité.
Le groupe INDEP votera le projet de loi organique sans amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur plusieurs travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Hervé Marseille . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Avec les accords de Matignon du 26 juin 1988 et de Nouméa du 5 mai 1998, un processus d'émancipation de la Nouvelle-Calédonie s'est engagé. La Chambre Haute a suivi ce dossier avec une mission d'information dont j'ai eu l'honneur d'être rapporteur, et le groupe de liaison présidé par Gérard Larcher.
Nous arrivons au bout d'un chemin pris il y a 35 ans. Les Calédoniens ont choisi de rester dans la République à trois reprises - malgré un taux d'abstention de 56 % lors du dernier référendum, auquel le FLNKS avait choisi de ne pas participer. Nous devons donc redoubler d'humilité.
Selon l'accord de Nouméa, « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ». C'est ce qui a été engagé par le Gouvernement ces deux dernières années, avec des fortunes diverses.
L'Union calédonienne, principale composante du FLNKS, s'est retirée des discussions, et l'UNI de Paul Néaoutyine, traditionnellement constructive, pourrait le faire si la situation n'évolue pas d'ici à fin mars - évoquant même le risque d'une « situation insurrectionnelle ». Des initiatives ont été prises pour renouer le dialogue, notamment par Calédonie ensemble, avec ses propositions de convergences pour un grand accord, accompagnées par l'UNI, et une autre, engagée par les loyalistes, aux résultats encore inconnus.
Dans ce contexte, le Gouvernement a déposé un projet de loi organique et un projet de loi constitutionnelle. Le premier reporte les élections au 15 décembre 2024. Il a recueilli un accord favorable du congrès. Le second a trait au corps électoral provincial. Les évolutions démographiques de l'île le rendent nécessaire : de 7,5 % de citoyens exclus, nous sommes passés à 19,30 % ! Cela contrevient au principe d'égalité du suffrage et il faut revenir à un corps électoral glissant.
Mais ce texte, au lieu d'aiguillonner le dialogue, risque d'aggraver les tensions. Il faut du temps pour construire un compromis général, dans le cadre de l'accord de Nouméa. La mission d'information sur l'avenir des institutions de la Nouvelle-Calédonie avait marqué sa préférence pour un accord global, de même que le Conseil d'État. Les récents heurts témoignent d'un contexte préoccupant.
Nous voterons ce texte, mais, monsieur le ministre, appelons de nos voeux une nouvelle initiative. Yes you can, comme on dit à Tourcoing. (M. Gérald Darmanin sourit.) Inspirons-nous de la poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou sur cette « terre de parole, terre de partage ». (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; M. Olivier Bitz applaudit également.)
Mme Mélanie Vogel . - (Applaudissements sur les travées du GEST) L'accord de Nouméa a ouvert la voie à un processus de décolonisation de la Nouvelle-Calédonie, territoire traversé par de nombreuses inégalités : revenus, décrochage scolaire... Ces problèmes ne peuvent être résolus dans le cadre de ce statut transitoire.
Vingt-cinq ans après, il est temps que ce statut évolue. Les négociations en cours sont donc primordiales et doivent, dans l'esprit de la démocratie consociative, aboutir à un accord de long terme. Les échanges seront inclusifs ou ne seront pas.
Le non-report du troisième référendum, en plein covid, qui a touché inégalement la société kanake, a nui, alors que bien d'autres élections ont été reportées pendant la pandémie - je le sais d'expérience. Sébastien Lecornu, alors ministre des outre-mer, disait qu'en démocratie, « les élections se tiennent à l'heure ». Mais deux ans plus tard, constatant l'échec de sa stratégie d'entêtement, le Gouvernement se retrouve à proposer le report des élections en Nouvelle-Calédonie, sans consensus.
Le report proposé n'est pas que le résultat de circonstances exceptionnelles, mais s'inscrit dans le cadre des négociations pour définir le nouveau corps électoral, au risque de déstabiliser ces négociations. Oui, un cinquième des électeurs sont exclus. Oui, il y a une atteinte au suffrage universel. Oui, cela ne fera qu'empirer. Mais il faut une évolution négociée. En poussant cette réforme, nous prenons le risque que les négociations n'aboutissent pas.
Seul le dialogue est légitime. Un projet de réforme constitutionnelle ne devrait être déposé qu'après avoir obtenu un accord. Mon groupe n'approuve pas ce report, non que nous nous satisfaisons du corps électoral actuel, mais parce qu'il faut un accord politique préalable. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Robert Wienie Xowie . - Le Gouvernement propose de reporter les élections du pays au plus tard au 15 décembre 2024. En facilitant l'intégration des nouveaux arrivants ayant une durée de résidence de dix ans, il justifie une colonisation de peuplement et organise la noyade démographique du peuple originaire. C'est contraire aux résolutions des Nations unies, qui recommandent aux puissances administrantes de veiller à ce que le droit à l'autodétermination ne soit pas entravé par l'immigration ou le déplacement de populations.
Or le Gouvernement français décide seul de qui sera citoyen et met fin aux équilibres négociés entre partenaires calédoniens. Rappelons-nous que l'ouverture du droit à l'autodétermination aux communautés arrivées par la colonisation est le fruit de l'accord de NainvilIe-Ies-Roches de juillet 1983. Rappelons-nous que la citoyenneté calédonienne est un enjeu essentiel de l'accord de Nouméa.
Avec ce texte, l'État la préempte définitivement et unilatéralement : le Gouvernement revient ainsi sur l'accord de 2007 initié par Jacques Chirac, dont je salue la mémoire.
Le 17 janvier dernier, le congrès a rendu hommage à Louis Le Pensec et à Michel Rocard, qui avaient bâti des accords de paix. Cette méthode est malheureusement révolue.
Sous prétexte d'encourager les parties à dialoguer, le Gouvernement accélère la cadence. Sa justification est maladroite : ce changement brutal de méthode suscite de très vives inquiétudes.
Les indépendantistes doutent de la capacité de l'État à résoudre le dossier calédonien. Les éléments fondamentaux de l'accord de Nouméa sont traités avec trop de légèreté : cette discussion appartient aux acteurs locaux. L'État veut aboutir à un accord global avant le 1er juillet, mais échanger prend du temps : les accords de Matignon et de Nouméa ont été cités en exemple à plusieurs occasions dans le monde.
Nos interlocuteurs actuels ne sont plus animés par le même esprit du vivre-ensemble : le Gouvernement a choisi son camp en modifiant le corps électoral, pourtant l'essence même de ce processus novateur et inédit de décolonisation.
Si un accord était conclu avant le 1er juillet, les élections provinciales pourraient être repoussées jusqu'en décembre 2025. Or, dans son arrêt du 22 juin 2023, la Cour de cassation considère que celles-ci pourraient se tenir normalement.
Au nom de la démocratie, le report du troisième référendum a été refusé ; le ministre Lecornu indiquait alors que, dans une démocratie, on tient les élections à l'heure. Au nom de la même démocratie, l'État propose aujourd'hui un report des élections provinciales. Mais pourquoi avoir refusé le report du troisième référendum ? C'est le « deux poids, deux mesures » !
Chez nous, le temps du palabre est préférable à la témérité. (Marques d'impatience au centre et à droite, l'orateur ayant épuisé son temps de parole) N'oublions jamais que les accords de Matignon et de Nouméa ont permis aux Calédoniens de vivre en paix pendant trente-six ans. Laissons les partenaires calédoniens renouveler leur légitimité en mai 2024 : je voterai contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Catherine Conconne applaudit également.)
Mme Cécile Cukierman. - Très bien !
M. André Guiol . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Ce texte nous rappelle une bien triste période, celle des affrontements entre Kanaks et Caldoches au mitan des années 1980. Heureusement, les accords de Matignon et de Nouméa avaient ramené la paix ; ils préfiguraient aussi un nouveau chapitre institutionnel et politique.
Depuis lors, le corps électoral a évolué et il faut le modifier. Ce projet de loi satisfait les exigences de toutes les parties.
Nos débats sur le report des élections ne peuvent ignorer la question du dégel du corps électoral. Le principe de restriction était justifié par la reconnaissance de la citoyenneté calédonienne en complément de la citoyenneté française. Désuet, il constitue aujourd'hui une dérogation, si ce n'est une atteinte au principe d'universalité du suffrage.
Grâce à ce texte, 25 000 Calédoniens pourront ainsi participer aux prochains scrutins électoraux ; c'est une solution équilibrée entre les revendications des indépendantistes et les partisans du statu quo.
Le RDSE salue les efforts de toutes les parties pour assurer à l'île une plus grande sérénité institutionnelle, sociale et économique.
Ces textes nous donnent un horizon pour répondre à cette question : jusqu'où doit-on adapter le modèle républicain pour que la Nouvelle-Calédonie demeure française - ou ne le demeure plus ?
Dans le monde, beaucoup de personnes veulent accéder à la nationalité française ; il est surprenant que d'autres rêvent de s'en libérer.
Les trois référendums ont accentué les clivages. Il est légitime que le Sénat demande au Gouvernement des garanties sur les discussions en cours : l'État doit être impartial, transparent, loyal et intransigeant pour préserver la sécurité de tous. Or la confiance entre les citoyens de l'archipel et l'État est au point mort. Comme le disait notre ancien collègue Jean-Claude Requier, la confiance se perd en litres, mais se gagne en gouttes...
Comment ne pas prendre en compte la stratégie agressive de la République populaire de Chine dans l'Indo-Pacifique ? Le désir d'indépendance ne doit pas occulter l'équilibre précaire régnant dans la région ; il faut une coopération renforcée.
L'avenir doit s'écrire avec tous les acteurs et respecter le processus démocratique exigeant, conformément à la devise du Caillou : terre de parole, terre de partage. Le RDSE votera ce texte.
M. Thani Mohamed Soilihi . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce projet de loi prévoit le report des élections et la prolongation du mandat des élus. Selon une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, la mesure est possible si elle poursuit un objectif d'intérêt général.
C'est le cas de ce texte, selon le Conseil d'État : l'objectif poursuivi réforme le corps électoral, gelé depuis 2007, en vue de prochaines élections provinciales. Ainsi, 20 % des électeurs, soit 41 679 personnes, ne sont pas inscrits sur la liste électorale spéciale.
Organiser un scrutin sur cette base électorale restreinte pourrait entraîner des conséquences en droit électoral que nul ne souhaite. Il faut donc que les acteurs politiques s'entendent pour définir un nouveau corps électoral.
Le délai retenu reste suffisant pour permettre la bonne tenue du scrutin.
Il vous appartenait, monsieur le ministre, de parer à un éventuel échec des discussions. Aussi avez-vous déposé un projet de loi constitutionnelle élargissant le corps électoral aux citoyens nés en Nouvelle-Calédonie ou y résidant depuis dix ans. Cette révision constitutionnelle entrerait en vigueur le 1er juillet 2024, après adoption par le Parlement réuni en Congrès, sauf si un accord politique était conclu entre les parties avant cette date - c'est l'objectif premier du Gouvernement, qui s'est montré attentif aux positions de tous les membres du Congrès de la Nouvelle-Calédonie.
Nous avons tous été témoins de la capacité du Caillou à trouver des accords. Il l'a démontré en 1988 et en 1998, alors même que des conflits tragiques avaient eu lieu. Je suis certain qu'il saura cette fois encore dépasser les clivages.
Je sais ce que c'est que d'appartenir à un territoire singulier. J'assure donc les Calédoniens du soutien du RDPI. Nous voterons ce texte. (M. Bernard Buis applaudit.)
M. Patrick Kanner . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce débat dépasse le cadre d'une loi organique : le Gouvernement a choisi de lier le report des élections provinciales à la définition du corps électoral. Or ce dernier point est la clé de voûte des accords intervenus jusqu'alors : sans cet élément majeur, le compromis risque de s'effondrer. C'est aux Calédoniens de trouver les chemins de la concorde.
La méthode du Gouvernement est contre-productive. (M. Éric Dupond-Moretti s'exclame.)
La discussion, encore la discussion, toujours la discussion : c'est ce credo qui a permis d'aboutir aux accords de Matignon en 1988 et de Nouméa en 1998.
Aujourd'hui, le Gouvernement estime nécessaire de reporter les élections : dont acte ! Mais, au bout du bout, il faut dégeler le corps électoral. Or le Gouvernement impose un délai de quelques mois pour trouver un accord avec une solution qu'il a lui-même imaginée... C'est donc une rupture totale de méthode qui ne correspond ni à l'histoire de ce territoire ni à l'esprit des négociations.
Le sujet qui nous anime est celui de la décolonisation, de l'autodétermination, du droit à l'émancipation - ce ne sont pas de vains mots, l'histoire de l'archipel étant faite de larmes et de sang.
Le Gouvernement doit faire preuve d'impartialité et de la plus grande neutralité, afin de garantir un débat serein. En imposant une solution, il ne respecte plus ces principes et change de paradigme : c'est dangereux.
Je le répète : les accords de Nouméa et de Matignon sont le fruit d'un long processus de discussion où l'État se bornait à être un animateur.
Depuis l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron, les choix des gouvernements successifs révèlent une partialité délétère : le refus unilatéral du report du troisième référendum en témoigne.
Nous sommes favorables au report de ces élections, mais les responsables locaux ont la lourde tâche de faire émerger une solution partagée. La cohésion politique ne se décrète pas, elle se construit localement.
L'esprit de responsabilité nous conduira, même si nos amendements n'étaient pas adoptés, à voter le report. Il faut donner du temps au temps - en Nouvelle-Calédonie, il est nécessairement très long. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Grégory Blanc applaudit également.)
M. Mathieu Darnaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Au nom de mon groupe, je réitère mon attachement à la Nouvelle-Calédonie. Cet attachement est partagé : par trois fois, les électeurs ont réaffirmé leur volonté de rester dans la République. Nous savons bien néanmoins qu'on pilote difficilement une collectivité à 17 000 kilomètres de distance.
Les sénateurs Les Républicains voteront ce texte : le report s'inscrit dans le processus politique balisé par l'accord de Nouméa. Les négociations se poursuivent afin de parvenir à une solution politique globale et consensuelle. Elles n'ont pas encore abouti ; elles sont pourtant le gage d'un avenir institutionnel serein pour le Caillou.
Une campagne électorale parasiterait les négociations : un tel empressement serait nuisible à la sérénité des travaux. Le report s'impose donc.
L'objectif d'intérêt général est indéniable, comme le Conseil d'État et Philippe Bas l'ont relevé.
La consultation préalable du Congrès a démontré que le report était souhaité par les deux tiers de ses membres.
Même s'il est difficile de savoir si un accord aura lieu avant décembre, la commission a considéré qu'il était préférable de s'en tenir à ce stade à la date proposée par le Gouvernement. Telle est également la position de mon groupe.
La création d'un corps électoral spécial présentait un tel caractère dérogatoire qu'il avait fallu modifier la Constitution. Le futur texte constitutionnel doit se fonder sur un accord global entre toutes les parties.
En outre, le territoire se trouve dans une situation économique difficile, comme en témoignent les difficultés de la filière nickel.
Pour leur développement, nos collectivités ont besoin d'un cadre institutionnel adapté et accepté. Mais ce n'est qu'un préalable, non un aboutissement : pour faire exister le rêve français jusqu'en mer de Corail, il faut proposer un avenir à la jeunesse calédonienne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Pierre Médevielle applaudit également.)
Discussion des articles
Avant l'article 1er
M. le président. - Amendement n°1, présenté par M. Temal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La recherche du consensus, initiée depuis les accords de Matignon signés le 26 juin 1988 par Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, sous l'égide de Michel Rocard, Premier ministre et l'Accord de Nouméa signé le 5 mai 1998 par Lionel Jospin Premier ministre, avec Jacques Lafleur, et Roch Wamytan, constitue une donnée fondamentale de l'élaboration de l'organisation politique qui doit prendre la suite de celle issue de l'Accord de Nouméa.
Ainsi, à l'occasion du report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, l'État prend toute sa part à la création des conditions indispensables à l'émergence, par le dialogue et la reconnaissance mutuelle, d'une solution politique équilibrée, consensuelle et durable quant à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.
Mme Corinne Narassiguin. - Cet amendement souligne la nécessité de préserver l'esprit des accords de Matignon et de Nouméa.
La méthode de discussion, adaptée à chaque fois aux circonstances nouvelles, apparaît comme une donnée structurante. Elle constitue une variable déterminante dans l'histoire récente du territoire, car elle assure la paix civile. Elle témoigne de la confiance envers les responsables politiques de l'île, qui ont toujours fait preuve de responsabilité et de maturité politique.
Aujourd'hui, la méthode du Gouvernement est à l'opposé de cette démarche constructive et pragmatique : en maintenant le projet de loi constitutionnelle dans le prolongement du présent texte, il engage sa responsabilité au premier chef. Il ouvre la voie aux tensions, comme en témoigne l'atmosphère du récent déplacement du ministre de l'intérieur en Nouvelle-Calédonie. Nous plaidons pour de nouvelles initiatives pour retrouver la voie du consensus.
M. Philippe Bas, rapporteur. - La commission partage la bienveillance de cet amendement : la recherche d'un accord est toujours préférable à une action unilatérale de l'État. Mais ce n'est pas du droit : l'amendement ne pose aucune règle. C'est davantage une profession de foi qu'on aurait fait précéder de la mention « article additionnel »... La commission des lois approuve la profession de foi mais rejette l'article additionnel : avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - C'est un bien mauvais procès que vous faites aux gouvernements qui se sont succédé depuis les accords de Matignon et de Nouméa : tous ont été guidés par la recherche du consensus, notamment dans le cadre du comité des signataires, auquel le gouvernement socialiste a pris sa part.
Jamais l'État n'est sorti de sa neutralité. La consultation de décembre 2021 a été demandée par les indépendantistes en avril de cette même année, et la date en a été fixée après avis favorable du Congrès.
Le Gouvernement a multiplié les échanges bilatéraux, à Nouméa comme à Paris. Conformément aux demandes du FLNKS, un bilan et un audit ont servi de base aux discussions.
Sous l'égide du haut-commissaire, plusieurs groupes de travail ont exploré les diverses options possibles.
Le ministre de l'intérieur et des outre-mer s'est déplacé à six reprises en dix-huit mois sur l'île. Jamais les membres du Gouvernement n'ont été aussi présents et soucieux de l'intérêt général de la Nouvelle-Calédonie. Je reviens moi-même de ce territoire, où j'ai fait plusieurs annonces.
L'État n'est pas défaillant dans la recherche d'une solution équilibrée, consensuelle et durable.
Le Président de la République l'a dit avec force lors de son voyage en juillet dernier : les Calédoniens doivent trouver eux-mêmes le chemin de l'avenir.
La lutte contre les inégalités, la réponse à apporter au défi du réchauffement climatique dans le Pacifique : les défis sont nombreux... Je vous invite à retirer cet amendement.
M. Georges Naturel. - L'article additionnel que vous proposez est purement déclaratif : il n'aurait aucune valeur juridique ou politique.
Bien sûr, nous sommes d'accord sur le fond : l'État doit jouer un rôle d'arbitre en vue de favoriser le consensus et la stabilité. Mais nul besoin d'inscrire cet objectif dans cette loi, qui vise uniquement à reporter les élections provinciales. Je voterai contre cet amendement. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Corinne Narassiguin. - Cet amendement revêt une valeur d'intention déclarative et vise à réaffirmer le principe de la recherche d'un consensus.
Il s'agit de rappeler l'histoire à l'actuel gouvernement : depuis 1988, tous ceux qui l'ont précédé ont recherché des solutions d'apaisement.
Cet amendement n'est effectivement pas normatif. Nous le maintenons néanmoins, car le Gouvernement a choisi de lier ce projet de loi organique au projet de loi constitutionnelle : nous y voyons une rupture avec la méthode suivie par le passé.
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
Article 1er
M. le président. - Amendement n°2, présenté par Mme Narassiguin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 1, première phrase
Remplacer la date :
15 décembre 2024
par la date :
30 novembre 2025
Mme Corinne Narassiguin. - Le groupe SER a entendu les doutes du rapporteur sur la faisabilité technique du calendrier : ce serait une prouesse de réussir à organiser des élections provinciales d'ici au 15 décembre alors qu'une négociation est en cours. La situation est complexe sur les plans juridique et politique. Philippe Bas, qui s'est rendu en Nouvelle-Calédonie avec MM. Buffet et Sueur, a estimé que la conclusion d'un accord global est déterminante avant l'adoption de toute révision constitutionnelle.
Notre groupe reprend à son compte les interrogations du rapporteur.
Dès lors que les discussions entre les indépendantistes et les non-indépendantistes ont précédé le projet de loi constitutionnelle, ne faudrait-il pas leur accorder davantage de temps, plutôt que d'imposer une vision unilatérale et partielle ? Nous proposons la date du 30 novembre 2025, conforme à l'avis du Conseil d'État et qui figure à l'article 2 du projet de loi constitutionnelle.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Retarder les élections revient à différer le fonctionnement normal de la vie démocratique. Je comprends que le Gouvernement ait voulu les retarder le moins longtemps possible. J'ai fait part de mes interrogations au ministre, qui nous a adressé des réponses claires.
Nous ne pouvons pas reprocher au Gouvernement de ne pas vouloir prolonger le report plus que nécessaire.
Si un accord intervient, les parlementaires seront au rendez-vous, et le Conseil d'État a rappelé que l'on pouvait prolonger les mandats actuels d'encore quelques mois. Il nous faudrait alors adopter une loi organique, car nous ne pouvons accepter que les élections soient reportées sur le fondement d'un simple décret... Le Parlement est là pour apprécier la réalité des situations conduisant à un nouveau report.
Adoptons donc la date du 15 décembre, sachant qu'une nouvelle intervention législative sera possible en cas de nécessité. Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je dirais « step by step », en employant un anglicisme que je déteste... L'avis du Gouvernement rejoint celui de la commission : l'idée est de prendre le temps de trouver un accord global posant les bases d'un nouveau statut.
Un consensus préalable aurait évidemment été la meilleure des options. Il a fallu attendre que le Gouvernement dépose ces deux projets de loi pour que les négociations progressent.
L'intérêt général, c'est d'éviter autant que possible de s'asseoir sur des principes constitutionnels. Interdire à de jeunes gens nés en Nouvelle-Calédonie ou qui y sont présents depuis vingt-cinq ans de participer aux élections locales n'est conforme ni aux exigences d'un État démocratique ni aux engagements internationaux de la France. Faute d'accord global avant le 31 décembre 2023, le Gouvernement avait indiqué qu'il proposerait un dégel du corps électoral sur la base médiane d'un temps de résidence de dix ans.
Nous serons prêts pour le 15 décembre. Les projets de décret ont été finalisés par les services du ministère de l'intérieur et des outre-mer. Le Gouvernement partage votre préoccupation de ne rien brusquer. Mais je tiens à vous rassurer : aux termes du projet de loi constitutionnelle, un nouveau report des élections sera possible si un accord est conclu. Votre préoccupation est donc prise en compte : avis défavorable.
M. Patrick Kanner. - Je vois une contradiction entre les propos du Gouvernement et ceux du rapporteur. Nous souhaitons un report clair et précis.
Le rapporteur a expliqué qu'il serait possible de modifier le délai prévu par le présent texte. Mais ce n'est pas ce qu'a dit le ministre de l'intérieur ! Selon lui, le Gouvernement serait prêt à modifier le délai par voie réglementaire en cas d'accord. Ce n'est pas tout à fait la même chose... Je ne souhaite pas que le Parlement soit dessaisi de ses compétences en la matière. M. Darmanin a dit que l'on ne pouvait pas le réunir de manière systématique, mais si ! Il faut le réunir si un nouveau report s'impose : c'est là que notre amendement prend tout son sens.
M. Georges Naturel. - Cet amendement semble en décalage complet avec les attentes des Néo-Calédoniens et la situation politique actuelle.
Les dernières élections pour le renouvellement des assemblées de province et du congrès remontent à cinq ans. Le territoire traverse une crise sans précédent, qui impose des décisions fortes. Celles-ci doivent être prises par des assemblées renouvelées. Un report en 2025, techniquement possible, n'est en réalité pas souhaitable politiquement. Le délai de décembre 2024 est suffisant pour permettre la bonne tenue du scrutin.
Maintenir le statu quo actuel jusqu'en novembre 2025 serait irresponsable. Je voterai contre cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Françoise Dumont. - Très bien !
L'amendement n°2 n'est pas adopté.
L'article 1er est adopté, ainsi que l'article 2.
Vote sur l'ensemble
M. Georges Naturel . - Nous avons tous pris la mesure de l'importance de ce texte au regard de la situation politique de la Nouvelle-Calédonie. Le report des élections est indispensable et nous ne pouvons le comprendre qu'à la lumière de la révision constitutionnelle à venir. Si le projet de loi organique est adopté au Parlement, nous aurons un délai supplémentaire de sept mois pour modifier la Constitution et réparer une injustice pour des milliers de Calédoniens de coeur ou de naissance, aujourd'hui privés de la possibilité de voter aux élections provinciales.
En Nouvelle-Calédonie, des milliers de citoyens français, qui y vivent sans interruption depuis vingt-cinq ans, sont privés de ce droit. Des milliers de citoyens français âgés entre 18 et 25 ans sont privés de ce droit, car leurs parents se sont installés sur le territoire après novembre 1998 ! Impossible de tenir les élections dans deux mois dans ces conditions.
Il faut dégeler le corps électoral. Après, seulement après, nous pourrons organiser les élections provinciales.
Je voterai ce projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Bruno Retailleau. - Très bien !
M. Pierre Médevielle . - Ce texte mettra fin à une aberration démocratique insupportable. La date de décembre paraît raisonnable, compte tenu de la situation économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie. Ne perdons pas plus de temps.
Le groupe INDEP votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
Le projet de loi organique est mis aux voix par scrutin public ordinaire de droit.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°132 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 307 |
Contre | 34 |
Le projet de loi organique est adopté.
(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)
La séance est suspendue quelques instants.