Préserver des sols vivants

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à préserver des sols vivants, présentée par Mme Nicole Bonnefoy et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe SER.

Discussion générale

Mme Nicole Bonnefoy, auteure de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) Pour faire face au dépérissement du vivant, j'ai l'honneur de vous présenter une proposition de loi créant un cadre national pour la protection et la résilience des sols. Je remercie le rapporteur, Michaël Weber, pour son travail.

La saine colère des agriculteurs a brouillé le message d'un texte pourtant bien accueilli. Cédant à la panique, le Gouvernement a capitulé, au mépris de la réalité écologique et économique - l'arrêt du plan Écophyto est un trophée dont pourra longtemps se targuer la FNSEA ! La fin des produits phyto représente pourtant un gain de 200 euros par hectare pour les agriculteurs.

Les sols sont, selon l'expression du professeur Marc-André Selosse, la condition du vivant et l'origine du monde. Cette proposition de loi n'alourdit pas les normes, ne stigmatise personne, mais fournit des outils pour leur gestion durable.

Le constat scientifique sur la qualité du sol est sans appel. Promouvoir la santé des sols, c'est préserver le rendement et tendre vers une agriculture intensive en écologie. Favorisons les passerelles entre science, agriculture et forêts, car la France a une expertise sans pareille.

Une directive européenne est en cours de préparation, nous objectera-t-on. Mais elle est à l'arrêt depuis 2005, et la commission agricole, ce mardi, a retiré la gestion durable des sols du projet de directive ! Il ne s'agit pas de surtransposer ou de pré-transposer, mais de sortir de l'expectative européenne et d'accompagner les artisans du sol.

Le système actuel conduit les agriculteurs et les écosystèmes dans le mur. Chaque année, nos sols perdent en moyenne 1,5 tonne de terre par hectare en raison du ruissellement des eaux et de l'érosion et 82 000 hectares de terres arables disparaissent - la surface de Paris !

Les sols préservent les nutriments, luttent contre l'érosion, abritent 60 % des espèces vivantes et séquestrent le carbone. Notre souveraineté alimentaire est menacée : il faut sortir de ce cercle vicieux.

Ce ne serait pas le moment, alors que les aléas climatiques coûtent un pognon de dingue aux collectivités territoriales et que ceux qui franchissent le pas de l'agroécologie retrouvent le sens de leur métier ? La position de la majorité sénatoriale est dogmatique. Je me souviens avec émotion des carottages de notre commission dans le jardin du Luxembourg, en septembre dernier. Depuis, la FNSEA a donné pour consigne d'entraver l'adoption du texte. J'espère que l'intérêt général primera sur la docilité.

Ce texte vise à structurer une politique publique qui, pour le moment, n'existe pas. Trop longtemps délaissés, les sols vivants doivent être le socle de notre adaptation au changement climatique. À l'article 1er, nous leur reconnaissons la qualité de patrimoine commun de la nation, pierre angulaire du régime juridique de leur protection. L'article 2 crée une stratégie nationale qui met en cohérence l'action des structures impliquées, dont le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).

Le diagnostic des sols que nous proposons semble faire consensus - je renvoie à l'avant-projet de loi agricole et à la proposition de loi Duplomb. Pourquoi cette opposition, donc ? D'autant que le secteur privé s'empare du sujet dans le cadre de la responsabilité sociale et environnementale : si nous n'agissons pas, nous allons au-devant d'un chaos d'indicateurs.

Enfin, l'article 3 crée une autorité administrative responsable de cette politique publique - notre proposition de confier ce rôle aux agences de l'eau ayant été déclaré irrecevable. Cette autorité pourra cependant travailler avec elles.

La proposition de loi n'oppose pas les agricultures, mais offre des outils de pilotage d'une ressource oubliée de notre droit de l'environnement. Si le Gouvernement n'est pas au rendez-vous, le Sénat doit prendre le relais, et, selon la parole forte du regretté Robert Badinter : « être le phare qui éclaire les voies de l'avenir et non le miroir qui reflète les passions de l'opinion publique. » (Nombreuses marques d'assentiment à gauche)

M. Patrick Kanner.  - Très bien !

Mme Nicole Bonnefoy.  - Promouvoir le développement durable, n'est-ce pas l'ADN de notre commission ? Ne laissons pas filer l'occasion pour notre pays de prendre un leadership écologique. Mes chers collègues, dépassez les mots d'ordre, votez pour le vivant ! (Vifs applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et du GEST ; M. Henri Cabanel applaudit également.)

M. Michaël Weber, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Mon propos sera terre à terre, car il faut en finir avec une politique hors sol...

Chaque fraction de sol abrite des millions de bactéries, vers de terre, nématodes. On a connu des causes plus séduisantes, et pourtant ! Pour être invisible, cette vie n'en est pas moins essentielle.

Le premier service des sols est indépassable : nous nourrir. Je salue, comme vous tous, le travail de nos agriculteurs. Des sols vivants sont gage de fertilité. Y veiller garantit la pérennité de notre agriculture et de notre souveraineté alimentaire. Des sols en bonne santé assurent aussi le grand cycle de l'eau, plus que jamais nécessaire alors qu'inondations et sécheresses vont s'intensifiant. Ils captent en outre le carbone, ce qui est essentiel pour respecter nos engagements à l'horizon 2050.

Notre dépendance à cette fine couche est donc absolue. Or les sols se dégradent ; érosion, tassement, diminution de la biodiversité. Les scientifiques sont unanimes : il faut agir vite ! Le sol se régénère à l'échelle d'une vie humaine : il est donc une ressource non renouvelable. Sa gestion non durable revient à scier, inconsciemment mais irrémédiablement, la branche sur laquelle nous sommes assis.

La protection des sols a des fondements juridiques fragiles : le droit les aborde de haut, comme support du bâti ou du droit de la propriété, et non comme un milieu systémique. Alors que le code de l'environnement comprend des objectifs ambitieux pour l'air et l'eau, le sol demeure un impensé.

Ce texte consacre donc la qualité patrimoniale des sols et crée un chapitre consacré à la santé des sols dans le code de l'environnement. C'est essentiel, non pas idéologie ou idéalisme, mais par pragmatisme et même bon sens paysan.

L'examen en commission a suscité de riches échanges sur le diagnostic de performance des sols. Il orienterait nos stratégies nationales des sols, confiées à un haut-commissaire.

Mieux protéger les sols est une nécessité, nous en sommes tous convenus. Mais la commission a considéré que le calendrier posait des difficultés, alors que la Commission européenne a proposé un projet de directive en janvier 2023 : il y aurait ainsi un risque d'incohérence avec cette proposition de loi.

En outre, l'échelle européenne lui apparaît la plus adaptée. Enfin, ce texte est apparu comme une contrainte juridique supplémentaire, en décalage avec la demande sociétale de simplification des normes.

Si je comprends la prudence chère à notre Haute Assemblée - une norme doit être proportionnée -, permettez-moi de présenter quelques considérations personnelles.

Au cours de nos 22 auditions, l'enthousiasme de Nicole Bonnefoy m'a contaminé. (Murmures approbateurs sur les travées du groupe SER) Nous avons une fenêtre d'opportunité pour protéger les sols, ce que la Commission européenne a compris. Mais ne lui abandonnons pas ce sujet primordial. Les gestionnaires forestiers plantent pour leurs petits-enfants : légiférons dans le même esprit, dans la lignée du message de Robert Badinter. (Marques d'assentiment à gauche)

Ce texte est imparfait, mais il sera amendé à l'aune des auditions.

La reconnaissance des services écosystémiques rendus par les sols est une base législative efficace pour le paiement des services environnementaux, comme le fait par exemple le parc naturel régional des caps et marais d'Opale, qui m'est cher.

La mauvaise qualité des sols entraîne inondations, coulées de boue, sécheresses et altère l'absorption du carbone. Or, sans puits de carbone, il faudrait cesser toute émission de gaz à effet de serre. Sans traiter le problème à la racine, il faudra agir dans l'urgence, pour un coût faramineux.

Ayons à l'esprit ce que disait le président américain Roosevelt après le Dust Bow: une nation qui détruit ses sols se détruit elle-même. Il n'est pas trop tard pour agir. Je suis persuadé que chacun partage cet objectif et ce devoir. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et du GEST ; M. Henri Cabanel applaudit également.)

M. Hervé Berville, secrétaire d'État chargé de la mer et de la biodiversité .  - Je salue à mon tour l'enthousiasme de Nicole Bonnefoy, qui a à coeur de mettre ce sujet fondamental au centre du débat.

De la Moselle aux Yvelines, madame la présidente, jusqu'à la Bretagne, le sol est un maillon indispensable à tous les écosystèmes, fournissant un ensemble de services écosystémiques directs et indirects, du cycle de l'eau à la captation du carbone. Ceux-ci assurent l'habitabilité de notre territoire. Le sol est le principal support des activités humaines, particulièrement agricoles.

Le sol est une ressource non renouvelable, rare à l'échelle planétaire. Or les pressions sont multiples : tassement, salinisation, artificialisation... Leur dégradation entraîne des mouvements de terrain et la perte de carbone organique et de biodiversité.

L'artificialisation est l'une des principales causes de leur dégradation. Chaque année, 24 000 hectares sont consommés - ce qui représente un département tous les sept ans. Mais l'intensification de l'agriculture et l'industrie les fragilisent aussi. C'est donc une priorité d'intérêt général.

Depuis 2017, le Gouvernement a pris la mesure de la problématique des sols vivants et l'a inscrite dans la stratégie nationale biodiversité présentée l'année dernière par Élisabeth Borne, Christophe Béchu et Sarah El Haïry. Sa 26e mesure y est pleinement consacrée.

La loi Climat et résilience de 2021 comprend des mesures de protection des sols. Je rappelle aussi l'objectif du zéro artificialisation nette (ZAN) en 2050, pour lequel nous devons accompagner les territoires. La même loi renforce la protection des sols et des sous-sols, avec une politique nationale pour les sols pollués.

Nous avons travaillé avec le ministre de l'économie sur les friches et leur restauration. Votre Haute Assemblée a voté 2,5 milliards d'euros pour le fonds vert en 2024, comprenant un soutien à la renaturation. Les programmes Action coeur de ville et Petites Villes de demain sont une autre déclinaison de nos interventions.

La connaissance des sols a progressé, grâce au groupement d'intérêt scientifique (GIS) sur les sols, commun aux ministères de la transition écologique et de l'agriculture, et à plusieurs agences qui mènent des programmes essentiels, y compris sur les sols ultramarins.

Au-delà de ces dispositifs, vous proposez de reconnaître les sols comme patrimoine commun de la nation et d'instaurer une planification régionale. Nous partageons ces objectifs. Une directive sur la surveillance et la résilience des sols sains est à l'étude à Bruxelles. Les indicateurs de qualité des sols sont en cours de définition.

Le Gouvernement propose donc de différer l'adoption de la proposition de loi, dans l'attente de l'adoption de la directive. (Marques de désapprobation sur les travées du groupe SER)

Mme Audrey Linkenheld et M. Hervé Gillé.  - Il est urgent d'attendre...

M. Olivier Jacquin.  - Pourquoi procrastiner ?

M. Hervé Berville, secrétaire d'État.  - Les discussions au niveau européen relèvent d'une bonne organisation de nos travaux.

D'abord, nous disposerons d'études d'impact correctement nourries, car nous devons étudier le coût des mesures envisagées.

Ensuite, il faut rassurer les élus ruraux : laissons à nos maires le temps de mettre en oeuvre le ZAN, qui a fait l'objet de nombreuses heures de discussions au Parlement. Vous avez pointé des difficultés : nous avons favorisé l'adoption d'une proposition de loi adaptant le ZAN.

Enfin, laissons nos territoires agir avant toute nouvelle modification législative et évitons de créer des réglementations fondées sur des systèmes différents.

Depuis 2017, nous avons adopté le ZAN. Il faut mettre en oeuvre cette belle politique publique, à travers le fonds vert.

Mme Audrey Linkenheld.  - Vous mélangez tout !

M. Hervé Berville, secrétaire d'État.  - Et il faut surtout porter le combat au niveau européen.

Le Gouvernement est favorable à l'objectif global, que nous mettons en oeuvre, mais défavorable à cette proposition de loi.

M. Patrick Kanner.  - C'est bien dommage.

M. Henri Cabanel .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe SER) Les sols ne bénéficient de la même attention législative que l'eau et l'air. Mieux les préserver est une nécessité, car ils assurent le potentiel de nos exploitations agricoles. Un sol en bonne santé est source de productivité et de compétitivité de la ferme France.

Mais l'approche conjoncturelle me pose question : le mouvement de révolte actuel suppose une vision de long terme.

Nous ne devons pas accabler nos agriculteurs et forestiers de nouvelles normes : ne faisons pas de nouvelles sur-réglementations.

Cela dit, ne laissons pas passer cette occasion de faire du droit un terreau propice pour la protection des sols. L'Union européenne prépare dans le cadre du pacte vert une directive sur la préservation et la surveillance des sols, mais ne laissons pas Bruxelles décider seul. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

La mise en jachère est destinée à régénérer les sols. N'opposons pas productivité et agroécologie. Il faut donner le choix aux agriculteurs et non les faire subir. Incitons les agriculteurs via des paiements pour service environnementaux.

Aidons les agriculteurs à s'adapter à de nouvelles pratiques agroécologiques. Les écorégimes de la PAC sont un début, mais il faut aller plus loin. Un hectare de la Beauce ne doit pas être valorisé à la même échelle qu'une prairie des Hautes-Alpes.

L'objectif de cette proposition de loi est juste et nécessaire. Nous devons montrer la voie : le groupe RDSE, dans sa majorité, la votera.

M. Saïd Omar Oili.  - Cette proposition de loi part d'un bon constat : le sol héberge 59 % de la biodiversité de notre planète. Pourtant, le sujet occupe une place trop réduite dans notre droit. C'est le seul milieu naturel à ne pas être protégé par une politique nationale.

Or la protection des sols est un enjeu majeur pour la protection de notre planète : les sols régulent le climat, filtrent l'eau et contribuent à la production agricole. Ils déterminent l'habitabilité de nombreuses espèces.

L'appauvrissement des sols a des conséquences sur la population. Mayotte, que je connais bien, vit une crise de l'eau depuis plusieurs mois : les conséquences sont nombreuses sur les sols et, in fine, les populations.

Le groupe RDPI accueille favorablement l'ensemble des mesures visant à créer une politique nationale en faveur de la protection des sols, notamment l'article 1er du texte, qui consacre la qualité des sols comme patrimoine commun de la nation, et son article 3, qui institue un haut-commissaire à la préservation des sols auprès du Premier ministre.

L'article 2, visant à inscrire les services écosystémiques des sols dans la loi, est aussi une bonne idée pour sensibiliser l'ensemble de la société. Le sol est perçu comme un espace d'aménagement sans prise en compte de sa richesse ou de sa capacité à séquestrer le carbone.

Toutefois, assurons-nous que ce texte ne crée pas de contraintes excessives pour nos agriculteurs et nos industries. Si la mise en place d'un diagnostic de performance écologique est intéressante, cela imposerait une nouvelle norme aux agriculteurs. Laissons-nous du temps avant d'adopter une telle mesure.

Par ailleurs, ce diagnostic ne prend pas en compte les spécificités des douze territoires ultramarins : à Mayotte, la biodiversité est unique et le territoire est vulnérable au changement climatique. Nous constatons aussi un manque de connaissances pour trouver des solutions adaptées. Prenons le temps de la concertation pour que les réalités des territoires soient bien prises en compte.

Méditons aussi les paroles de Clemenceau : quand on veut enterrer une décision, on crée une commission - ou un haut-commissariat...

Le groupe RDPI s'abstiendra sur cette proposition de loi.

M. Olivier Jacquin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) Je salue l'efficacité du rapporteur qui a mené 22 auditions et Nicole Bonnefoy pour la constance de ses travaux.

La promotion des sols vivants se rattache au principe One Health - une seule santé.

Je m'exprime en tant que sénateur, mais aussi en tant qu'agriculteur en grandes cultures, avec 39 moissons au compteur et converti au bio depuis sept ans. (M. Patrick Kanner apprécie.) Ce texte est très intéressant. Je dois beaucoup à l'enseignement agricole. Si la phytotechnie était au coeur de la formation, il n'y avait aucune approche pédologique : quasiment rien sur les microorganismes et la faune du sol. Aujourd'hui, la formation s'est adaptée.

Je m'occupe de la ferme familiale de 149 hectares depuis 1984, entre Nancy et Metz, sur le plateau de Haye. La terre argilo-calcaire est parfois peu productive, le rendement varie de un à quatre entre haut de côte et fond de vallon. Les paysans connaissent ces réalités qui déterminent le prix des terres agricoles, mais l'urbanisme moderne n'en tient pas compte. Nous devons défendre cet épiderme vivant.

Avant la Seconde Guerre mondiale, pas de produits chimiques, mais agronomie, rotation, travail du sol, charrue. Avec la mécanisation, il est plus facile de travailler en profondeur - ce qui a été néfaste pour les sols. D'où un mouvement inverse : l'agriculture de conservation tente de se rapprocher du fonctionnement naturel du sol, avec un moindre travail mécanique mais en utilisant des produits phytosanitaires très efficaces, comme le glyphosate, qui détériorent, eux, la faune ou le microbiote.

Devenu agriculteur bio, j'ai redécouvert l'agronomie, l'amour du métier et les expérimentations de conservation des sols. Il faut plus de régularité et donner des moyens à la recherche et aux agriculteurs pour verdir les pratiques. Sans dogmatisme, je soutiens toutes les agricultures, dès lors qu'elles sont écologiquement intensives. Nos propositions ne sont pas caricaturales mais empreintes de bon sens et de pragmatisme. Pour l'agronome de terrain que je suis, cette proposition de loi est une brique essentielle.

Je compte sur votre clairvoyance pour séparer le bon grain de l'ivraie. En pleine crise agricole, certaines propositions antiécologiques et démagogiques montrent que nous marchons sur la tête.

Comme le disait Robert Badinter, « le Sénat doit être le phare qui éclaire les voies de l'avenir, et non le miroir qui reflète les passions de l'opinion publique. » Nous pouvons être précurseurs : un tiens vaut mieux que deux tu l'auras ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du RDSE)

Mme Marta de Cidrac .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue l'auteure de la proposition de loi et le rapporteur pour la qualité de leurs travaux. Ce texte ouvre la voie à des politiques structurelles de protection des sols. Malgré ce grand objectif, nous sommes opposés aux principales mesures qui rajoutent contraintes et complexité.

La France dispose déjà d'un cadre juridique pour la protection des sols, notamment l'article L. 110-1 du code de l'environnement. Notre pays souffre d'une inflation normative et organisationnelle : cette proposition de loi y contribue, avec un énième plan quinquennal, une énième stratégie, un énième haut-commissariat... Oui à la protection et à la résilience des sols, mais de manière responsable et efficace. N'ajoutons pas encore de la complexité aux 3 420 pages du code de l'environnement. Depuis 2002, il a enflé de 653 % !

Alors que les agriculteurs manifestent contre l'excès de normes, cette proposition de loi leur imposera, ainsi qu'aux forestiers, un diagnostic de performance écologique dont le coût n'a pas été estimé. Le sol est l'outil de travail de nos agriculteurs : comment les suspecter de vouloir l'abîmer ? Nombre d'entre eux sont déjà soumis à des diagnostics.

Nous défendons tous nos agriculteurs. Nous ne pouvons pas les assurer de notre soutien le lundi et voter, le jeudi, de nouvelles contraintes ! Monsieur le ministre, je vous rappelle aux promesses du Gouvernement : nous sommes vigilants.

À l'heure où nous parlons de dé-surtransposition, ce texte serait une pré-transposition, puisqu'une directive est en cours d'examen. Lors de sa transposition en droit interne, nous pourrons nous appuyer sur nos débats. Il conviendra d'utiliser les bons outils, avec pragmatisme, sans multiplier les normes contraignantes et complexes.

Cela passera par le soutien de tous les acteurs, or ces conditions ne sont pas réunies aujourd'hui. Le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-François Longeot applaudit également.)

M. Vincent Louault .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur plusieurs travées du groupe UC) La préservation des sols est vitale. Ils rendent des services importants en contribuant à stocker le carbone et en filtrant les sols. Ils nous nourrissent, et nous les empruntons à nos enfants.

Cependant, le moment est-il opportun ? Depuis plusieurs semaines, les agriculteurs expriment leurs difficultés. Faut-il encore légiférer, pré-transposer, alors qu'une directive est en cours d'examen au sein de la commission environnement du Parlement européen ?

Stratégie nationale, diagnostic obligatoire ou haut-commissariat ne me semble pas constituer des mesures efficaces.

Confier aux agences de l'eau la préservation des sols est une mauvaise idée, alors que leur fonctionnement sur le terrain est très décrié. Réformons ces agences qui sont parfois devenues de vraies principautés.

Avant de me faire accuser d'être vendu aux lobbies, je rappelle que j'ai installé Xavier Mathias sur mon exploitation, que j'ai travaillé avec Maxime de Rostolan sur Fermes d'avenir. Je suis le méchant agriculteur du film On a 20 ans pour changer le monde.

Les seuls sols morts que je connaisse sont sous le bitume des villes, sous le plastique de certaines exploitations ou passés à la vapeur de certaines machines pour produire de prétendus produits biologiques. Le groupe INDEP votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Olivier Jacquin.  - On avait compris !

Mme Jocelyne Antoine .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je salue le travail du rapporteur et de la commission. Qui pourrait s'opposer à la préservation des sols vivants ? Le texte poursuit un objectif louable : protéger un milieu fragile et propice à la vie. Mais les conditions pour son adoption sont loin d'être réunies.

Alors qu'une directive se profile, n'anticipons pas. Nous serions contraints de revenir sur certaines mesures au moment de la transposition. Créer de nouvelles obligations nationales risque d'engendrer des distorsions de concurrence que seul le droit européen peut éviter.

La création d'un diagnostic de performance est aussi en décalage avec la forte demande sociale d'allégement des normes. Nous ne pouvons légiférer en fonction de seules approches conjoncturelles.

Les sols sont l'outil de travail des agriculteurs : qui saborderait son propre outil de travail ? Protégeons-le sans accabler les acteurs.

Enfin, le texte créé un haut-commissariat à la protection des sols. Les nouvelles autorités sont le pendant de l'inflation législative ! Le groupe UC ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP ; M. Louis-Jean de Nicolaÿ applaudit également.)

M. Jacques Fernique .  - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Nicole Bonnefoy et M. Adel Ziane applaudissent également.) Si nos agriculteurs sont en difficulté, si la souveraineté alimentaire est compromise, les sols y sont pour beaucoup. La perte annuelle de productivité agricole liée la dégradation des sols atteint 1,25 milliard d'euros, et 60 à 70 % des sols européens ne sont pas en bon état. Il est de notre responsabilité d'enrayer cette dégradation. Les sols ne se reconstituent pas à l'échelle d'une vie humaine.

Autant l'air et l'eau, fluides, sont perçus comme des biens communs, autant le sol est vu comme un bien statique, privé. Il faut dépasser cette courte vue.

C'est dire l'utilité de la proposition de loi de Nicole Bonnefoy et du groupe SER, qui est à la hauteur de son deuxième adjectif. Mais notre commission du développement durable ne veut pas légiférer au motif que l'opinion publique serait contre et que l'alinéa 2 de l'article L. 110-1 du code de l'environnement serait suffisamment solide. (M. Hervé Gillé renchérit.) À l'époque, le Sénat s'était pourtant opposé à la mention des sols dans cet alinéa, en invoquant la restriction du droit de propriété...

Procrastiner n'apportera rien de bon. La dégradation des sols engendre des inondations et dégrade la qualité de l'eau. (On acquiesce à gauche.) Nous abdiquerions notre rôle de chambre des territoires en renonçant de légiférer aujourd'hui.

M. Michaël Weber.  - Très bien !

M. Jacques Fernique.  - Différer serait se dérober.

Il faut modifier le code de l'environnement : le sol n'est pas qu'un adjuvant. La force de cette proposition de loi est de considérer le sol comme un milieu de naturalité.

Il faut des diagnostics pour dresser un état des lieux et éviter d'artificialiser les sols les plus favorables au vivant. Ce n'est pas d'abord la mise en oeuvre du ZAN puis ensuite la protection, monsieur le ministre, mais les deux, ensemble ! (On renchérit sur les travées du SER.) Si un diagnostic dévalorise votre terrain, vous ne serez pas encouragé à le réaliser... Engageons-nous dans cette direction sans perdre de temps ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)

Mme Marie-Claude Varaillas .  - « La Terre n'a pas besoin de nous, nous avons besoin de la Terre », nous rappelait l'astronaute Mae Jemison à la COP24. Or le réchauffement a atteint 1,5 degré en 2023. Le dérèglement climatique a des effets dévastateurs. Avec 1 500 milliards de tonnes de carbone stocké, les sols en sont de puissants régulateurs, derrière les océans et les mers.

L'urbanisation a renforcé le risque d'inondations, comme dans le Pas-de-Calais. Érosion, glissements de terrain rappellent l'importance des sols dans les politiques d'aménagement - mon département de la Dordogne est ainsi très touché par le retrait-gonflement d'argiles.

Les objectifs du ZAN doivent être travaillés avec les élus locaux et les aménageurs pour aller vers la renaturation. Agir sur le recensement et la reconversion des friches est une priorité. Alors que les sols agricoles représentent 7 % de la surface de la terre, il faut les protéger.

Les agriculteurs sont les garants de la qualité des sols et des sous-sols : soutenons-les, comme nous avions protégé les ouvriers du plomb et de l'amiante. Il y va de la santé de l'environnement, et des agriculteurs eux-mêmes. Il est du devoir de l'État d'être à leurs côtés, y compris financièrement. Plutôt que de mettre le plan Écophyto en pause, il faut le financer en taxant les pollueurs - producteurs de produits phytosanitaires ou chercheurs d'or noir aux profits records.

Cette proposition de loi ouvre des perspectives pour protéger les sols au même titre que l'eau et l'air. Les sols vivants sont poreux et sont la garantie de l'infiltration et du stockage de l'eau. Il faut les reconnaître comme un patrimoine commun. La création d'un haut-commissaire place le curseur au bon niveau.

Mon groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, du GEST et sur quelques travées du groupe SER)

M. Hervé Gillé.  - Bravo !

M. Jean-Baptiste Blanc .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Comment concilier la protection des sols vivants avec le fait de nourrir le pays ? Cette proposition de loi est louable, mais plusieurs points méritent notre attention.

Nos agriculteurs subissent des pressions climatiques et normatives croissantes. Il faut les accompagner vers des pratiques plus durables et se garder des pré-surtranspositions. Il faut une approche incitative plutôt que punitive pour soutenir l'innovation.

Évitons de rendre les pratiques traditionnelles agricoles synonymes de dégradation des sols. Faut-il créer un chapitre du code de l'environnement ? Le ZAN est en cours, la mission de suivi intégrera l'objectif de préservation des sols vivants. J'invite donc Nicole Bonnefoy et Michaël Weber à y présenter leurs travaux. Nous avancerons, j'en suis persuadé. Face à une approche surfacique, évitons d'entraver notre capacité à cultiver de manière durable.

Je suis moi aussi lecteur de Marc André Sellos et vous recommande Humus, de Gaspard Koenig : à la fin, des ONG envahissent un Sénat inactif...

Soyons plus mesurés et constructifs et réglons d'abord la question de la mise en oeuvre du ZAN. Ensuite, collectivement, nous nous attaquerons à la préservation des sols. L'acceptabilité est au centre de tout. Je vous invite à méditer ces questions pour une politique au service de nos territoires. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Vincent Louault applaudit également.)

M. Bernard Pillefer .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Alors que 95 % de nos aliments en proviennent, les sols, impensé du droit, ont été réduits à leur potentiel agronomique et nutritif. Les mots de Gaspard Koenig sonnent juste : « l'humanité a longtemps regardé le ciel. » En revanche, « nous ignorons tout ou presque du fourmillement vivant sous nos pieds, de cet autre infini que nous ne regardons pas alors même que nous en dépendons. »

M. Vincent Louault.  - Excellent !

M. Bernard Pillefer.  - La bonne gestion des sols est essentielle pour faire face à la kyrielle de problématiques actuelles. Mais ne confondons pas vitesse et précipitation, n'empilons pas les normes, alors qu'on nous réclame plus de simplification administrative. Attendons la transposition de la directive européenne à venir.

Le diagnostic instauré par ce texte à compter de 2028 a un coût qui n'est pas évalué : ne votons pas à l'aveugle ! Sur les sols forestiers, cela reviendrait à établir un plan de gestion qui existe déjà. Les autres dispositifs ne sont pas adaptés à la particularité de ces sols.

La préservation des sols est source de préoccupation, n'accablons pas ceux qui en vivent ! Sortons de l'interdit, soyons force de proposition ! Aidons-les à mettre en place des techniques de régénération des sols et de nouveaux moyens culturaux.

Le groupe UC votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)

Discussion des articles

Article 1er

M. Pierre Cuypers .  - Nous disposons d'un cadre juridique pour la protection des sols dans le code de l'environnement. Les sols fournissent des systèmes écosystémiques et valeurs d'usage.

Notre pays souffre d'une inflation normative et organisationnelle que cette proposition de loi augmente encore en créant une énième autorité.

M. Patrick Kanner.  - Ça, c'est la FNSEA !

M. Pierre Cuypers.  - Les agriculteurs qui manifestent partout en France travaillent le vivant, chouchoutent ce patrimoine et veillent à son bon équilibre.

Cette proposition de loi revient à pré-transposer une directive en cours d'élaboration : une fois de plus, la France serait en avance par rapport à l'Union européenne.

Il faut arrêter l'acharnement contre l'agriculture, préserver la liberté d'entreprendre et de travailler. Nous nous opposerons à faire entrer les sols dans le patrimoine commun de la nation, car nous tenons aussi au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Louault applaudit également.)

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 1er est mis aux voix par scrutin public.

M. Hervé Gillé.  - Quelle faiblesse...

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°124 :

Nombre de votants 318
Nombre de suffrages exprimés 313
Pour l'adoption 110
Contre 203

L'article 1er n'est pas adopté.

Article 2

M. Jean-Claude Tissot .  - Il faut un tournant dans la gestion des sols. Selon la stratégie européenne des sols, 60 à 70 % des sols de l'Union européenne sont en mauvaise santé, alors que notre alimentation provient à 95 % des sols.

Mieux gérer les sols fatigués est une priorité. J'invite la majorité du Sénat à se saisir de ce texte et à en comprendre le sens.

J'ai été agriculteur pendant vingt ans, aucun de mes collègues ne me parle de l'excès des normes environnementales -  ils veulent juste vivre de leur production. Cet article 2 ne comporte aucune mesure contraignante et prévoit un accompagnement financier pour les diagnostics. La proposition de loi de Daniel Salmon pour reconquérir les haies va dans le même sens. Le spécialiste des microbiotes des sols Claude Bourguignon demande à remettre de la science dans les sols : c'est l'objet de cet article.

Mme la présidente.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

I.  -  Alinéa 7, deuxième phrase

Après la première occurrence du mot :

Leur

insérer les mots :

connaissance, leur

II.  -  Alinéa 8

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Les dispositions du présent chapitre ont pour objet de promouvoir la capacité des sols à constituer des réservoirs de biodiversité, à assurer leurs fonctions écologiques et à fournir les services écosystémiques suivants :

III.  -  Alinéa 9

Remplacer les mots :

Production de

par les mots :

Approvisionnement en

IV.  -  Alinéa 10

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 2° Support des infrastructures et du bâti ;

V.  -  Alinéa 11

Supprimer cet alinéa.

VI.  -  Alinéa 12

Remplacer le mot :

Préservation

par le mot :

Régulation

VII.  -  Alinéa 13

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 5° Atténuation du changement climatique ;

VIII.  -  Alinéa 14

Remplacer le mot :

Contrôle

par le mot :

Prévention

IX.  -  Alinéa 15

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 7° Dégradation des contaminants ;

X.  -  Alinéa 16

Supprimer cet alinéa.

Mme Nicole Bonnefoy.  - Le ZAN a bon dos : c'est un outil de planification et d'urbanisme. Il ne s'oppose pas à ce texte, il en est complémentaire.

Cet amendement vise à affiner la liste des services écosystémiques rendus par les sols, compte tenu des auditions du rapporteur.

M. Michaël Weber, rapporteur.  - La commission y est défavorable. À titre personnel, je considère que préciser la liste de ces services est très important. Le ZAN visait à préserver les sols non artificialisés.

M. Hervé Berville, secrétaire d'État.  - Sagesse. (« Oh ! » sur plusieurs travées du groupe SER) Pour préserver, il faut connaître les sols. Nous pourrions aussi préciser que les sols fournissent des nutriments.

Mme Laurence Rossignol.  - Vous pouvez sous-amender !

M. Hervé Berville, secrétaire d'État.  - Il n'y a en effet pas d'opposition entre le ZAN et la préservation des sols : qualité et quantité. Or le ZAN comporte bien des éléments qualitatifs. Je renvoie à la mesure 26 de la stratégie nationale biodiversité.

L'amendement n°1 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°2 rectifié, présenté par Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

I.  -  Alinéa 18

1° Remplacer le mot :

élaborée

par le mot :

définie

2° Après le mot :

éducation

supprimer la fin de cet alinéa.

II.  -  Alinéa 19

1° Première phrase

Supprimer les mots :

, à réduire les impacts négatifs des valeurs d'usage

2° Deuxième phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

Un schéma national des données sur les sols est établi dans le cadre de cette stratégie pour contribuer à une meilleure connaissance des sols.

M. Hervé Gillé.  - Cet amendement précise la future stratégie nationale. Il supprime l'objectif de réduction des impacts négatifs des valeurs d'usage pour mettre en avant la restauration des services écosystémiques des sols. Il confirme aussi l'établissement d'un schéma national des données.

Je regrette l'irrecevabilité d'un amendement complémentaire qui créait un haut-commissaire et confiait le suivi de la stratégie nationale aux agences de l'eau, comme celles-ci le demandent. En effet, elles interviennent déjà sur les sols, indissociables du grand cycle de l'eau.

M. Michaël Weber, rapporteur.  - La commission a émis un avis défavorable, en cohérence avec sa volonté de ne pas prétransposer. Toutefois, à titre personnel, j'y suis favorable. L'intérêt des agences de l'eau a été bien perçu lors des auditions.

M. Hervé Berville, secrétaire d'État.  - Avis défavorable. Je partage les objectifs de meilleure connaissance et de meilleure protection des sols, mais, comme disait ma grand-mère, « un tiens vaut mieux que deux tu l'auras ». Or nous avons déjà la stratégie nationale de biodiversité, qui est en cours de déploiement, et la stratégie climat, qui comprend une mesure sur la préservation des sols.

M. Pascal Savoldelli.  - Bref, tout va bien ! La commission d'enquête sur la protection des sols était pourtant unanime, et nous avions voté une enveloppe de 50 millions d'euros pour l'indentification des sols et espaces pollués : à l'Assemblée nationale, votre majorité a voté contre...

La carte des sites pollués montre que cette pollution est liée au passif industriel. Des départements entiers ne peuvent plus ouvrir d'équipements publics ni aménager leur territoire ! Il faut une grande politique publique d'investigation pour identifier les sites touchés par les polluants infiltrants que sont l'amiante, le mercure et les hydrocarbures.

L'amendement n°2 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par Mme Varaillas et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

Alinéa 19

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Elle comprend des mesures d'accompagnement des agriculteurs afin de faciliter sa mise en oeuvre.

Mme Marie-Claude Varaillas.  - La qualité des sols est cruciale pour lutter contre le changement climatique et pour une alimentation saine. L'actualité récente a rappelé les difficultés des agriculteurs à changer de modèle. Ces derniers ne sont pas des adversaires, mais des acteurs clés de la transition écologique, dont il faut valoriser l'action. Cela passe par un revenu décent, des prix rémunérateurs, une concurrence équitable avec les productions étrangères moins encadrées. La stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols devra intégrer des mesures d'accompagnement des agriculteurs.

M. Michaël Weber, rapporteur.  - La commission a émis un avis défavorable. Toutefois, cet amendement soulève l'enjeu important de l'accompagnement de la transition agricole : je le soutiens à titre personnel.

M. Hervé Berville, secrétaire d'État.  - Sagesse. Issu, comme beaucoup ici, d'un territoire agricole, je partage la nécessité d'accompagner nos agriculteurs.

Je ne dis pas que tout va bien, monsieur Savoldelli. C'est précisément parce qu'il est urgent d'agir qu'il faut utiliser ce qui existe déjà ! La stratégie nationale climat prend en compte la préservation des sols. La stratégie nationale biodiversité, que nous avons construite deux ans durant, est sortie en novembre 2023. La loi de finances pour 2024 consacre non pas 50 millions, mais 400 millions d'euros pour la renaturation. Soyons dans l'action, non dans la procrastination, avec une énième stratégie !

L'amendement n°6 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°3 rectifié, présenté par Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

I.  -  Alinéa 21

Remplacer les mots :

performance écologique des sols

par les mots :

l'état des sols

II.  -  Alinéas 22 et 23

Remplacer ces alinéas par trois alinéas ainsi rédigés :

« Art. L. 240-3.  -  À compter du 1er janvier 2027, en cas de cession d'un immeuble non bâti, un diagnostic de l'état des sols, fourni par le vendeur ou le cessionnaire, est annexé à la promesse de vente ou, à défaut de promesse, à l'acte authentique de vente. En cas de vente publique, le diagnostic de l'état des sols est annexé au cahier des charges.

« Ce diagnostic détermine l'état physique, chimique et biologique du sol ainsi que sa capacité à générer les services écosystémiques mentionnés à l'article L. 240-1, en tenant compte des différents types de sols et des usages des terres.

« Un décret fixe le seuil de surface à partir duquel le diagnostic de l'état des sols est fourni, détermine le référentiel pédologique utilisé ainsi que l'échelle permettant d'évaluer les services écosystémiques mentionnés à l'article L. 240-1.

III.  -  Alinéa 24

1° Première phrase

Remplacer les mots :

propriétaire ou du mandataire

par les mots :

vendeur ou du cessionnaire

2° Deuxième phrase

Remplacer le mot :

ou

par le mot :

et

et remplacer les mots :

la performance écologique

par les mots :

les fonctions écologiques

IV.  -  Alinéa 25

Supprimer les mots :

pris sur le rapport des ministres chargés de l'environnement, de l'agriculture et de la forêt

V.  -  Alinéa 26

Remplacer les mots :

à un organisme public

par les mots :

à l'agence de l'eau dans le ressort de laquelle est situé l'immeuble,

VI.  -  Alinéa 27

Remplacer les mots :

Haut-commissaire à la résilience et à la protection des sols

par les mots :

Comité national de la biodiversité

Mme Nicole Bonnefoy.  - Cet amendement renomme le diagnostic des sols en diagnostic de l'état des sols, et modifie sa fréquence : il serait réalisé lors de la vente ou de la cession d'immeubles non bâtis.

La proposition de loi de Laurent Duplomb prévoit la même chose, sous le nom de diagnostic de performance agronomique des sols et d'émissions de gaz à effet de serre. Bref, tout le monde est d'accord !

M. Michaël Weber, rapporteur.  - La commission est défavorable. Cependant, la réalisation du diagnostic au moment de la cession est souhaitée par la plupart des organismes que nous avons auditionnés. C'est d'ailleurs déjà le cas lors d'une cession en vue de la construction. J'y suis favorable à titre personnel.

M. Hervé Berville, secrétaire d'État.  - Nous avons besoin de données pour accélérer sur la préservation de la biodiversité et gagner la bataille contre le changement climatique. Sagesse.

Mais souvenons-nous du ZAN : ne sous-estimons pas la difficulté à mettre en place ce diagnostic de performance écologique des sols. Le consensus technique est loin d'être évident, tant au niveau français qu'européen. Le GIS Sol et l'Ademe en soulignent la complexité.

On l'a vu avec le diagnostic de performance énergétique sur les bâtiments : à vouloir aller plus vite que les autres, nous avons mis les acteurs en difficulté, faute de synchronisation avec le niveau européen.

M. Daniel Salmon.  - Le documentaire Paysans du Ciel à la Terre montre l'érosion dramatique des sols dans le nord de la France. Les coulées de boue entraînent le limon vers la mer, asphyxiant les cours d'eau. Les modes d'agriculture irrespectueux des sols les fragilisent au point de les stériliser. Les agriculteurs de demain s'échineront à cultiver sur des cailloux, à force de béquilles chimiques et engrais vecteurs de gaz à effet de serre ! Pour sortir de l'impasse, il faut impérativement diagnostiquer l'état des sols, au moment de la cession.

L'amendement n°3 rectifié n'est pas adopté.

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°125 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 310
Pour l'adoption 105
Contre 205

L'article 2 n'est pas adopté.

Article 3

Mme la présidente.  - Je vais mettre aux voix l'article 3. S'il n'était pas adopté, je considérerais que le vote est le même pour l'article 4, qui est un article de gage et qui deviendrait sans objet. Par conséquent, l'amendement déposé sur cet article tomberait.

En outre, puisque tous les articles composant la proposition de loi auraient été successivement supprimés, l'amendement modifiant l'intitulé tomberait également. Il n'y aurait plus lieu de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi. C'est donc le moment d'expliquer votre vote.

M. Jacques Fernique .  - Avant ce dernier vote, je veux saluer le remarquable investissement de Nicole Bonnefoy et de Michaël Weber. Cela a été inutile aujourd'hui - mais Cyrano nous dit que « c'est bien plus beau lorsque c'est inutile » ! (Sourires) Nul doute que ce riche rapport fera référence lorsque le législateur se décidera à reprendre du service pour stopper la dégradation des sols, qui font toute la différence entre la Terre, Mars et la Lune.

Comme l'écrit si bien Bruno Latour, nous avons « une minuscule zone entre l'atmosphère et les roches-mères, une pellicule, un vernis, une peau, quelques couches infiniment plissées. Tout ce qui nous concerne réside dans cette minuscule zone critique ». Nous n'aurions que quatre mois d'espérance de vie - de désespérance de vie - si le sol se dérobait. Aujourd'hui, hélas, c'est le Sénat qui se dérobe. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)

Mme Nicole Bonnefoy .  - Je regrette que le dogmatisme l'ait emporté sur le bon sens paysan. Petite-fille de paysans, je sais ce que représentent les sols. N'ayons pas peur d'être à l'avant-garde. La communauté scientifique, les experts, de nombreux agriculteurs soutiennent ce texte.

Nous aurons posé les bases d'une réflexion d'avenir sur la protection des sols et la nécessaire transition agroécologique. Il y a ceux qui marchent sur la tête et ceux qui ont les pieds sur terre - une terre que nous voulons fertile, vivante de sa biodiversité, nourricière, garante d'un juste revenu pour les agriculteurs et de la santé humaine et environnementale. (Applaudissements à gauche)

M. Pascal Savoldelli .  - J'invite la majorité sénatoriale à aller au bout de l'examen du texte et à prendre ses responsabilités. D'abord, parce qu'il faut toujours encourager le débat politique. Certains parlent de liberté d'entreprendre, du droit de propriété, questions importantes. Mais se pose aussi celle du droit commun.

Ensuite, parce que cette proposition de loi crée, avec le haut-commissaire, une autorité pilote sur les risques sanitaires et écologiques. Il faut l'encourager, car il y va de l'action publique de l'État contre les polluants infiltrants. Nous avions voté cet outil à l'unanimité dans la commission d'enquête !

Ne pas voter jusqu'au bout, c'est se désengager de nos débats.

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 3 est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°126 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 302
Pour l'adoption   98
Contre 204

L'article 3 n'est pas adopté.

En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.  - Je salue l'auteure de la proposition de loi et le travail du rapporteur. Démystifions le débat : je comprends la déception de Mme Bonnefoy, mais ce n'est pas parce que nous avons des différends que nous ne sommes pas également sensibles à l'avenir des sols.

Nous apprécions différemment les délais : un texte européen arrive prochainement. Gardons-nous des transpositions trop rapides, des surtranspositions qui nous sont souvent reprochées. Sur le ZAN, par exemple, nous avons constaté d'énormes difficultés sur le terrain. Idem pour les zones à faible émission (ZFE) : même les maires qui y sont favorables demandent du temps. Nous dénonçons tous des réglementations trop lourdes, trop contraignantes. Réfléchissons-y en amont ! Il y a dix ans, quand je suis arrivé au Sénat, j'avais la conviction que nous lèverions les problèmes administratifs, or on en ajoute.

Il n'y a pas les méchants et les gentils. François Mitterrand, pour qui je n'ai jamais voté, ...

Mme Laurence Rossignol.  - C'est un tort !

M. Jean-François Longeot.  - ... appelait à donner du temps au temps. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)

M. Hervé Berville, secrétaire d'État.  - Je remercie Mme Bonnefoy pour la qualité de son texte et salue le travail du rapporteur Weber. Merci à la présidente de séance et au président Longeot pour ce débat serein.

C'est l'honneur du Sénat de débattre d'un sujet aussi important. Le concept One Health est un enjeu majeur de nos politiques publiques : climat, biodiversité, océans, mers, sols, tout est lié. Le Sénat est à l'avant-garde des discussions au niveau européen.

Nous ne procrastinons pas. C'est parce qu'il est urgent d'agir qu'il faut s'appuyer sur la stratégie nationale Biodiversité, le fonds vert de 2,5 milliards d'euros et, surtout, la directive européenne, gage d'harmonisation. À créer une nouvelle machinerie administrative tous les trois ans, on ne fera que désespérer les agriculteurs.

Mme Nicole Bonnefoy.  - La directive, ce sera dans dix ans !

M. Hervé Berville, secrétaire d'État.  - Nous continuons à porter la question de la préservation des sols au niveau européen, dans la perspective de la directive. (Mme Nicole Bonnefoy proteste.) Lors de sa transposition, nous pourrons travailler ensemble, autour des trois défis majeurs que sont la souveraineté alimentaire, la préservation de la biodiversité et la lutte contre le dérèglement climatique.