Gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection (Procédure accélérée - suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutins publics solennels sur le projet de loi relatif à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire et sur le projet de loi organique modifiant la loi organique n°2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Explications de vote
M. Patrick Chaize . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.) Ce projet de loi et ce projet de loi organique opèrent trois réformes techniques pour accompagner la relance de notre filière nucléaire entérinée par la loi Nouveau nucléaire du 22 juin dernier.
D'abord, il s'agit de fusionner l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) au sein d'une Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) ; ensuite, de simplifier la commande publique pour les projets nucléaires ; enfin, de repositionner le haut-commissariat à l'énergie atomique (HCEA).
Les commissions de l'aménagement du territoire et du développement durable et des affaires économiques étaient saisies au fond, respectivement, de la première et des deux autres. Je remercie leurs présidents et mon collègue rapporteur, Pascal Martin.
Lors de la loi Nouveau nucléaire, le Gouvernement avait déposé à l'Assemblée nationale des amendements de fusion de l'ASN et de l'IRSN. Cette fusion a été expurgée du texte en commission mixte paritaire. L'ancienne présidente de notre commission des affaires économiques a saisi l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (Opecst), pour remettre le Parlement au centre du jeu. Proposée à la hâte, cette réforme était mal anticipée et mal évaluée.
Las, le Gouvernement n'a pas vraiment revu sa méthode : il affiche un souverain mépris pour la représentation nationale. Entre la nomination du nouveau Premier ministre et l'examen de ces textes, un mois s'est écoulé sans ministre identifié ni direction compétente. Le Gouvernement a refusé d'être auditionné, contre tous les usages, et l'absence de cabinet a empêché les échanges. Tout cela a porté atteinte à la clarté et à la sincérité de nos débats.
La semaine dernière, monsieur le ministre, vous avez évoqué la simplification normative : nous partageons cet objectif, mais simplifier ne signifie pas enjamber le Parlement. Nos amendements ne sont pas des obstacles à vos réformes, mais des gages d'exigence juridique, d'expérience politique et d'acceptabilité sociale. On a tout à gagner à se frotter à la contradiction, à rechercher le compromis.
Sur le fond, le nouveau projet de réforme est plus abouti que le précédent, grâce au travail de l'Opecst et à un an de concertations. Au moment crucial de la relance du nucléaire et alors que s'annonce un projet de loi de programmation pluriannuelle de l'énergie, nous le soutenons dans son principe pour fluidifier les procédures d'instruction, à sûreté inchangée.
Certes, des défis sont devant nous : continuité des procédures, valorisation des compétences, maintien des standards. Mais cette réforme renforcera la confiance du public, la nouvelle ASNR étant une autorité administrative indépendante.
Rapporteur de la commission des affaires économiques, je me suis efforcé de consolider la gouvernance de la filière, de simplifier la commande publique, de prolonger la loi Nouveau nucléaire et de conforter la nouvelle autorité de sûreté.
Plus précisément, j'ai renforcé le Haut-Commissariat et prévu que le Parlement puisse le saisir pour avis et se prononcer sur sa désignation. Je sais que le recours à la procédure de l'article 13 de la Constitution a agacé le ministre, mais il n'a rien d'inédit : cette procédure s'applique déjà à des instances similaires et au secteur nucléaire. Soixante-dix-neuf ans après sa création par le Général de Gaulle, nous voulons faire du Haut-Commissariat la vigie de la relance nucléaire.
Pour simplifier la commande publique, j'ai notamment conforté les dérogations en matière d'allotissement, de durée des accords-cadres et de publicité. Ces souplesses sont nécessaires pour prévenir les risques de rupture et de surcoûts - un mois de retard sur un réacteur coûte 100 millions d'euros.
Prolonger la loi Nouveau nucléaire passe par le suivi des recommandations de l'Opecst et la réintroduction de règles de parité dans le collège de l'ASNR et de publicité au sein de sa commission des sanctions.
Enfin, pour conforter la nouvelle autorité de sûreté, nous avons renforcé son indépendance et sa déontologie, séparé nettement l'expertise et le contrôle et prévu la publication de ses rapports et décisions. Nous avons sanctuarisé sa dimension régalienne en prohibant le recours à des personnels étranger.
Je vous invite à adopter ce projet de réforme, amendé par nos travaux. Le Gouvernement devra, dans d'autres véhicules, concrétiser enfin la relance du nucléaire. Monsieur le ministre, vous pourrez compter sur la vigilance du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Aymeric Durox . - Ce projet de fusion arrive à échéance avec bien du retard, après que l'incident de Fukushima a fait reculer le président Sarkozy - coutumier du fait.
L'IRSN s'est peu à peu transformée, jouant les Cassandre de l'apocalypse nucléaire et instillant le doute dans la population, outrepassant souvent ses prérogatives. Sur la surveillance des rejets à la centrale de Chinon, son étude a duré deux ans et coûté 650 000 euros. Il a joué un rôle central dans l'arrêt de quatre réacteurs du Tricastin et le retard pris à Flamanville, toujours pour des motifs fortement contestés. Les pertes se chiffrent en dizaines de millions d'euros.
Le plus dommageable a été l'obligation faite à EDF de fermer un grand nombre de réacteurs pour corrosion, alors que l'opérateur proposait de mener de front contrôles et production. L'obstination de l'IRSN a entraîné plus de 30 milliards d'euros de pertes et un renchérissement considérable de notre facture électrique.
La majorité présidentielle n'est évidemment pas en reste dans cette série de mauvaises décisions. La fermeture de Fessenheim, en 2017, s'est faite en vertu d'un principe de précaution excessif et pour des raisons bassement électoralistes. Sept ans plus tard, la majorité présidentielle retourne sa veste, redécouvrant l'un des rares avantages comparatifs de notre industrie.
Que de temps perdu depuis sept ans, depuis vingt-sept ans même et l'arrêt dramatique de Superphénix, en 1997. Les défis ne manquent pas pour retrouver notre place de leader du nucléaire, une énergie décarbonée, pilotable et sûre : EPR2, SMR, soutien aux programmes de recherche, dont Iter, qui devrait conduire à la maîtrise de la fusion d'ici à la fin du siècle. Les décroissants antiscience seront définitivement mis au placard !
Nous voterons ce projet de loi, en espérant que la macronie gardera ce cap pronucléaire dont notre pays a tant besoin. (M. Joshua Hochart applaudit.)
M. Cédric Chevalier . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Voilà deux ans, Emmanuel Macron présentait sa feuille de route énergétique dans son discours de Belfort.
M. Mickaël Vallet. - On aurait préféré il y a sept ans...
M. Cédric Chevalier. - Cette vision équilibrée doit s'accompagner d'actes et d'un plan de navigation clairs. Les lois votées depuis février 2022 en dessinent les contours. Nous attendons la prochaine étape avec impatience...
Le développement de technologies nouvelles et le maintien des installations existantes en toute sécurité représenteront un effort financier important pendant des décennies. La sûreté nucléaire est un enjeu essentiel de la relance. Nos concitoyens ont besoin d'être rassurés, d'autant plus dans un département comme le mien, frontalier de départements à enjeux nucléaires - Aube, Ardennes, Haute-Marne.
Travailler à la gouvernance de la sûreté est au fondement de la relance nucléaire. Je salue l'engagement du Gouvernement, les travaux de l'Opecst et la qualité de nos débats.
La nouvelle ASNR aura une tâche immense. À cet égard, ce texte prévoit un cadre pour assurer la réussite de la fusion. Le recours à des groupes permanents d'experts et la création d'une commission de déontologie sont également positifs.
Comme le disait Jean Bodin, célèbre Angevin, il n'est de richesse que d'hommes. Fusionner, c'est réunir des professionnels qui ne partagent pas forcément la même culture ou la même approche du travail. Certes, il faut aller vite, mais ayons soin de prévenir les difficultés qui pourraient survenir pour les personnels. Sans eux, la fusion échouera, et nous perdrons du temps, de l'argent et des compétences.
Nous devrons veiller à l'attractivité des professions de la future structure. Nous formons des profils d'excellence : l'enjeu est de les conserver au service de la France - il y va de notre souveraineté.
La transparence est essentielle à l'acceptation. Le nucléaire fait peur à beaucoup. Il faut donc assurer la transparence dans les faits, pour que les Français adhèrent à la relance du nucléaire. La nouvelle agence sera un exemple en la matière.
Le lien avec la filière est important pour connaître les innovations et développer la recherche. Veillons toutefois à prévenir les conflits d'intérêts - le texte y pourvoit.
La mise en place de la nouvelle agence est source de défis, mais elle est nécessaire dans un contexte où l'indépendance énergétique est une question de survie. Nous devons garantir aux Français des énergies bas-carbone et sûres. Nous voterons ce texte qui va dans ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Pascal Martin . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable s'était fixée comme priorité essentielle le maintien de notre sûreté nucléaire au niveau le plus élevé possible, en l'adaptant aux enjeux des décennies à venir.
L'excellence de notre système de sûreté est reconnue, mais celui-ci fait face à une charge sans précédent.
Dans les années 1970, le plan Messmer avait permis la construction d'un parc nucléaire en quelques années. Le défi actuel est tout autre : adapter la sûreté au chantier inédit du programme nucléaire gouvernemental, poursuivre l'exploitation du parc, prévenir les risques liés au changement climatique.
Tout en garantissant le niveau d'exigence le plus élevé possible, cette réforme doit renforcer l'efficacité des procédures, s'adapter à l'essor de nouveaux acteurs, améliorer la réponse en cas de crise, clarifier la communication auprès du public et renforcer l'attractivité des métiers de la sûreté.
Le texte initial du Gouvernement atteignait-il cet objectif ? Non. Comme rapporteur, j'ai donc proposé des ajustements pour aboutir à un équilibre qui me paraît aujourd'hui satisfaisant. Je regrette toutefois que nous n'ayons pas pu auditionner le ministre en commission.
D'abord, nous avons bien distingué expertise et décision. Le texte initial renvoyait le sujet au règlement intérieur de la future autorité et ne prévoyait une séparation des processus qu'en cas de prise de décision par le collège - soit 10 % des dossiers. Un redémarrage de centrale n'aurait plus fait l'objet d'une expertise distincte.
La version amendée du texte garantira à la fois la fluidité des procédures et la sûreté, qui suppose la confrontation des doutes. Les procédures d'expertise et de décisions seront distinctes dans tous les dossiers à enjeu, et le signataire de l'expertise ne sera pas celui de la décision. Pour un dossier donné, les agents chargés des deux missions seront bien identifiés. Nous avons aussi renforcé l'expertise tierce, en donnant une assise juridique forte aux groupes permanents d'experts.
Nous maintenons un niveau exigeant de transparence. Le renvoi au règlement intérieur des modalités de publication des travaux d'expertise et le projet de loi initial comportaient des risques de recul. Suivant le rapport de l'Opecst, nous avons inscrit dans la loi le principe de publication des résultats d'expertises.
Nous maintenons les activités de recherche au sein de la nouvelle autorité. Là aussi, le projet de loi initial comportait des risques. Nous avons renforcé la prévention des conflits d'intérêts et créé une commission de déontologie.
Nous avons renforcé l'association du Parlement et de la société civile. L'Opecst sera associé à l'élaboration du règlement intérieur, mais aussi le HCTISN, l'Association nationale des commissions et comités locaux d'information (ANCCLI) et les commissions permanentes compétentes des deux assemblées.
Enfin, nous améliorons la gestion de crise et clarifions la communication.
Je salue le président Longeot, mon collègue rapporteur Patrick Chaize et Stéphane Piednoir, président de l'Opecst. Sans oublier le ministre Béchu, qui s'est approprié ce dossier complexe en un temps record...
M. Emmanuel Capus. - Excellent !
M. Rachid Temal. - Quel talent...
M. Pascal Martin. - Nous aurions toutefois préféré travailler en amont sur ce dossier essentiel.
J'espère que notre texte prospérera rapidement à l'Assemblée nationale, l'application de la réforme étant prévue au 1er janvier 2025. Le groupe UC votera ces deux textes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Emmanuel Capus applaudit également.)
Mme Antoinette Guhl . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Le 11 mars 2011, l'horreur : un séisme, un tsunami dévastateur qui provoque à Fukushima une catastrophe nucléaire de niveau 7, le plus élevé. Quelque 154 000 personnes ont été évacuées, et la catastrophe a coûté des centaines de milliards de dollars - sans parler des impacts sur les populations et l'environnement, avec des contaminants radioactifs libérés dans l'air, l'eau et les sols, de manière étendue et irréversible.
La sûreté nucléaire est une affaire sérieuse. Nous avons la chance de disposer de 1 750 femmes et hommes qui ont pour mission l'expertise, la recherche, la protection et le partage d'informations dans ce domaine. Je parle de l'IRSN, un établissement singulier, une exception française fondée sur une sûreté nucléaire adaptative et un système dual séparant l'expertise de la décision.
Cette force, monsieur le ministre, vous avez décidé de la démanteler. Vous muselez la recherche qui vous met en garde contre les coups d'accélérateur insensés qui menacent notre sécurité.
Vous accélérez, mais le débat parlementaire est entravé : pas d'audition de ministre en commission, débats expédiés en six heures trente. Vous êtes prêts à dégrader la sécurité collective au nom d'impératifs hors-sol. Qui peut imaginer une mise en oeuvre de la réforme au 1er janvier prochain ? Fusionner deux organisations essentielles pour la sûreté en moins de dix mois, ce n'est pas sérieux.
Flamanville est un gouffre financier, une débâcle. La prolongation des centrales actuelles, vieillissantes, est un défi en soi. Nous devons être prudents pour éviter la catastrophe.
Nous sommes profondément opposés à cette réforme dangereuse, même si nos rapporteurs ont tenté de l'améliorer.
Lors de la navette, nous veillerons à prévenir tout recul, notamment sur la séparation entre expertise et décision, l'obligation de publication des résultats d'expertise avant les décisions, le maintien des partenariats de recherche avec les industriels du secteur et l'information du Parlement et des citoyens. Nous n'approuvons pas les renvois au règlement intérieur, qui excluent le premier comme les seconds.
L'Opecst vous a avertis que la transition vers une nouvelle organisation pourrait poser des difficultés. Mais vous imposez sans écouter, au détriment de la sûreté.
La recherche est mise sous tutelle, les corps intermédiaires sont muselés, les associations, syndicats, ONG et élus locaux piétinés, comme, parfois, le Parlement. C'est le coeur de la pensée jupitérienne : pour avancer, écraser - comme pour la réforme des retraites ou la mise en pause du plan Écophyto, à rebours de ce que préconisent les scientifiques. C'est irresponsable !
Nous sommes contre le nucléaire, mais pour la sûreté nucléaire. La relance nucléaire est une impasse financière ; les risques associés doivent être démocratiquement débattus. La souveraineté énergétique que vous appelez de vos voeux est un leurre, alors que la dernière mine française d'uranium a fermé en 2001. (On signale sur certaines travées à droite et au centre que l'oratrice a épuisé son temps de parole.)
Toutes nos décisions devraient être fondées sur la maîtrise du risque d'accident nucléaire.
M. le président. - Il faut conclure...
Mme Antoinette Guhl. - Malgré les efforts pour atténuer certains risques, nous voterons contre ce texte inachevé et dangereux. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Marie-Claude Varaillas . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) La relance de la filière nucléaire exige la plus grande transparence et la confiance de nos concitoyens. La crédibilité du système de contrôle de la sûreté en est une condition essentielle. L'article 7 de la Charte de l'environnement et des conventions internationales nous impose des obligations en la matière.
Les doutes légitimes sur la fusion ASN-IRSN subsistent. Pourquoi remettre en cause un système qui a fait ses preuves et qui fait référence à l'étranger ? Le HCTISN regrette que la réforme n'ait pas été précédée d'une analyse des forces et faiblesses du système actuel ; le comité de déontologie de l'IRSN estime ses motivations trop peu explicites.
Pourquoi prendre le risque de déstabiliser la gouvernance de la sûreté, à l'heure où les chantiers sont énormes : poursuite de l'exploitation des réacteurs actuels, construction de nouveaux réacteurs, apparition de nouveaux acteurs privés avec les SMR ?
Quel sera le sort réservé aux agents de l'IRSN et de l'ASN ? Notre amendement visant à garantir une proportion de fonctionnaires au moins égale à l'existant a été déclaré irrecevable. La préservation d'une culture administrative est pourtant indispensable à l'exercice de ces missions régaliennes. L'IRSN connaît une hémorragie de départs, car le Gouvernement est incapable de dialoguer et d'éclairer ses motivations.
Quels moyens pour la nouvelle entité ? Nous n'en savons rien, alors que la charge de travail sera considérable dans les années à venir. L'indépendance de l'expertise en son sein n'est pas assurée, et vous avez refusé un pilotage de la recherche via un conseil scientifique.
La transparence n'est pas davantage assurée. Le texte fait peu de cas de la société civile, qui a pourtant toute sa place dans cette relance historique. Vous refusez de consacrer la publication des avis avant la décision et la mention explicite à la Charte d'ouverture à la société, qui compte l'Anses, l'Inrae ou Santé publique France parmi ses signataires.
Le Gouvernement et la majorité sénatoriale ont refusé de nommer, et don de reconnaître, les sous-traitants, ces nomades du nucléaire, surexposés aux risques.
Enfin, la séparation des expertises des installations civiles de celles de défense entraîne un risque de divergence des approches.
La sûreté nucléaire est un contrat de confiance entre la société, les exploitants et les instances de contrôle que vous risquez de rompre.
Nous avons besoin d'une véritable autorité publique indépendante de l'autorité de l'État, qui veille aux droits des citoyens. Or vous avez été réticents à qualifier l'ARSN d'indépendante...
Ce texte va à rebours de notre exigence d'une gouvernance de la sûreté au service de l'intérêt général, et non de la seule relance nucléaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)
M. Jean-Yves Roux . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Le Sénat a été saisi en premier de ce texte essentiel, qui engage notre souveraineté énergétique et l'atteinte de nos objectifs de développement durable.
Le RDSE apprécie le débat et les propos nuancés sur un tel sujet. Le Sénat s'était déjà prononcé à une large majorité, voilà quelques mois, sur la relance de la filière.
Notre système dual de sûreté nucléaire a acquis une reconnaissance nationale et internationale. Il sert avec indépendance et transparence l'intérêt général. Il bénéficie de la confiance de nos concitoyens.
Cette transparence n'était pas au rendez-vous quand cette réforme a été proposée, par amendement, l'an dernier. Je suis heureux que le Parlement ait repris sa place aux côtés de l'exécutif.
Ces débats sont essentiels, car démontrer la sûreté d'un système, c'est aussi le confronter au doute.
Nous comprenons l'intention de cette réforme, alors que le nombre de dossiers à traiter va augmenter de façon inédite, mais avons eu du mal à nous forger une conviction quant à la pertinence de ce projet de loi. Malgré le travail exigeant en commission, des questions demeurent.
Il faut veiller à ne pas ébranler un système qui bénéficie d'un lien de confiance avec les Français, condition sine qua non de la relance de la filière. Le Sénat a érigé des garde-fous en imposant une séparation claire entre experts et décideurs. Nous avons atteint une position d'équilibre qui préserve la fluidité et l'efficience des processus décisionnels, tout en garantissant la confrontation des doutes.
Gare toutefois à ne pas recréer un système bicéphale au sein de l'entité fusionnée, au risque de la paralysie, et à ne pas désorganiser ces deux organismes qui travaillaient en bonne intelligence !
Quelles sont les alternatives ? Une augmentation substantielle des ressources et des moyens humains de l'ASN et de l'IRSN, un renforcement de l'attractivité de leurs métiers - ce qui suppose un engagement budgétaire constant.
Nous attendons des réponses sur la perte du statut d'Épic de l'IRSN, qui privera la recherche en sûreté nucléaire des financements issus des partenariats autorisés. Quid de la sous-traitance ? L'ASN a déjà publié un rapport très critique vis-à-vis d'EDF qui ne ferait pas respecter les standards de construction de haute qualité par ses sous-traitants.
Enfin, si nous entendons la volonté de simplification, la nouvelle architecture ne doit pas entamer la confiance. Nous ne parlons pas ici de normes applicables aux haies, mais bien de sûreté nucléaire ! La fusion est-elle la réponse la plus appropriée, vu l'urgence ? L'intégration prendra des années, or le prochain EPR est prévu pour 2035.
Le nucléaire joue un rôle clé dans notre politique énergétique, pour un mix qui nous assure une énergie décarbonée, pilotable et sûre.
Le RDSE partage la volonté commune d'une sûreté nucléaire renforcée, indépendante et transparente, dans le contexte hors norme lié à la relance historique de notre filière nucléaire. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe INDEP)
Mme Nadège Havet . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Faire de la France le premier grand pays industriel à sortir des énergies fossiles, qui représentent encore les deux tiers de la consommation d'énergie finale : pour relever ce défi, il nous faut accélérer la production d'énergies décarbonées, nucléaire et renouvelable. C'est tout le sens des deux lois d'accélération votées l'année dernière et de la réforme du marché européen de l'électricité portée par Agnès Pannier-Runacher.
Au Sénat, nous n'avons pas le nucléaire honteux. La délégation de programme interministérielle au nouveau nucléaire, les investissements massifs de France Relance et France 2030, la tenue du conseil de politique nucléaire sont des signaux positifs.
Cette relance du nucléaire répond à plusieurs enjeux : réduire nos émissions, baisser la facture des ménages, tenir nos engagements de sortie des énergies fossiles, participer à la réindustrialisation, renforcer notre souveraineté énergétique dans un contexte géopolitique instable.
La confiance envers le nucléaire tient à un cadre de sûreté qui repose sur la responsabilité des exploitants et un contrôle indépendant.
Nous abordons un contexte hors norme : prolongation du parc existant, développement des EPR2 et des SMR, nouvelles solutions de stockage des déchets. C'est un changement de paradigme, qui requiert un niveau de sûreté optimal, mais aussi un enjeu industriel, avec cent mille emplois à créer en dix ans, nécessitant des compétences rares.
Après la loi d'accélération, qui a simplifié les procédures administratives des nouvelles installations nucléaires, il fallait réformer la gouvernance de notre sûreté nucléaire.
Ce projet de loi fait suite à l'amendement gouvernemental au projet de loi d'accélération, qui n'avait pas été soumis au Sénat. Le RDPI se félicite qu'une réflexion d'ampleur ait pu avoir lieu, avec un rapport de grande qualité de Stéphane Piednoir et Jean-Luc Fugit pour l'Opecst. (« Ah ! » sur plusieurs travées du groupe Les Républicains) De nombreuses consultations publiques ont été menées avant la présentation du texte en conseil des ministres.
Le Gouvernement a fixé quatre objectifs, quatre principes : efficience des procédures, indépendance vis-à-vis des exploitants et du Gouvernement, transparence renforcée, attractivité des métiers.
Notre commission a apporté des précisions sur la séparation entre expertise et décision et sur la publication des avis d'expertise. Elle a introduit une commission d'éthique et de déontologie comme il en existe une à l'IRSN, chargée de suivre la rédaction et l'application du règlement intérieur et de prévenir les conflits d'intérêts. Nos deux rapporteurs ont également proposé de pérenniser les groupes permanents d'experts.
Trois points nécessiteront une attention particulière : l'engagement d'un rattrapage des salaires, l'accompagnement des changements dans les procédures de travail, la mise en oeuvre des dispositions sociales.
Le RDPI salue les évolutions intervenues au Sénat et votera ces deux projets de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Sébastien Fagnen . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Depuis la tentative avortée de fusion brutale et cavalière menée par le Gouvernement l'an dernier, que s'est-il passé ? L'Opecst a rendu un rapport de qualité, mais reste muet sur l'option consistant en un renforcement du système dual actuel. L'absence d'audition ministérielle a été dénoncée avec force par la présidente Estrosi Sassone en ouverture de nos débats la semaine dernière. (« Excellent ! » sur quelques travées du groupe Les Républicains) Ces lacunes ont justifié le dépôt de deux motions par les groupes de gauche, démarche peu commune qui illustre le parcours chaotique de ce texte.
Notre opposition à cette réforme n'est nullement un rejet du nucléaire et de sa relance - c'est un parlementaire de la Manche, département façonné par l'industrie nucléaire, qui vous le dit.
Loin d'être raisonnée, cette réforme précipitée est à rebours de l'histoire du nucléaire français. La précipitation est mauvaise conseillère lorsqu'il s'agit de la sûreté d'une industrie non conventionnelle, à la veille d'une relance sans précédent... Elle serait justifiée par la quête d'une fluidité présentée comme indispensable à la réussite de la relance de la filière. Or à aucun moment du débat parlementaire, y compris lors de l'audition du président de l'ASN, pourtant partisan de la fusion, cette fluidité ne sera apparue comme autre chose qu'un voeu pieux.
Alors que le système dual actuel a fait toutes ses preuves et que nous entrons dans une décennie décisive pour la filière, pouvons-nous nous offrir le luxe, et le risque, d'une déstabilisation durable de la sûreté nucléaire ? Non ! Pas de relance sans confiance, pas de confiance sans transparence.
Avec cette réforme, le compte n'y est pas. Le rejet de nos amendements sur la publication des expertises en amont de la décision ou sur la garantie d'indépendance fonctionnelle est un mauvais signal.
C'est aussi le sens de l'avis de l'ANCCLI, qui craint la remise en cause de la confiance acquise, sur laquelle repose l'adhésion au nucléaire. La Cour des comptes, le Haut-Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement et de nombreux experts ont fait part de leurs réserves, voire de leur opposition au projet de loi. Personne ne perçoit les bénéfices de cette réforme, mais chacun en identifie les méfaits. Les salariés de l'IRSN et de l'ASN s'y opposent, non par conservatisme, mais au nom de l'exigence.
La multitude des avis négatifs doit nous interroger. La seule voie envisageable est celle d'une décision mûrement réfléchie et concertée. Ne cédons pas à l'urgence, confortons les missions des deux entités, confortons la triangulation avec l'exploitant et dotons-les des ressources adéquates pour faire face à la montée en charge programmée.
La seule certitude à ce jour est celle de la désorganisation qui découlerait d'une fusion à marche forcée.
Le groupe SER votera résolument contre cette réforme inutile et néfaste. (Applaudissements à gauche ; M. Jean-Luc Brault applaudit également.)
Scrutin public solennel sur le projet de loi Gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°118 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Pour l'adoption | 228 |
Contre | 98 |
Le projet de loi est adopté.
(Applaudissements sur quelques travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
Scrutin public solennel sur le projet de loi organique Modification de la loi organique du 23 juillet 2010
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°119 :
Nombre de votants | 333 |
Nombre de suffrages exprimés | 319 |
Pour l'adoption | 222 |
Contre | 97 |
Le projet de loi organique est adopté.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - Je salue les deux présidents de commission et les deux rapporteurs.
Vous venez d'adopter un texte important, en votre âme et conscience. Vous avez remis d'aplomb une démarche qui, je le dis sans langue de bois, n'avait pas été bien engagée par le Gouvernement.
M. Stéphane Piednoir. - Là, nous sommes d'accord !
M. Christophe Béchu, ministre. - À la suite du rejet de l'amendement gouvernemental, un nouveau travail a été mené. Je salue la présidente Sophie Primas (« Ah ! » sur les travées du groupe Les Républicains) et le président de l'Opecst, Stéphane Piednoir (mêmes mouvements), grâce auxquels nous bénéficions d'un regard transpartisan.
Le nucléaire français est un objet de fierté et d'indépendance.
M. Mickaël Vallet. - C'est bien récent !
M. Christophe Béchu, ministre. - Je connais la liberté et l'exigence du Sénat. J'ai entendu, lors de nos débats, des arguments de fond. J'en ai entendu d'autres, invoqués pour défendre le statu quo, qui avaient été employés naguère pour refuser la création de l'ASN !
Dès lors que nous avons engagé un programme de relance, nous ne pouvons nous satisfaire d'instances de sûreté façonnées pour l'existant. La poursuite de l'exploitation de 56 réacteurs, la construction d'EPR2, l'essor des SMR, la consolidation du cycle de combustible, tout cela suppose de réinterroger notre modèle. La dualité entraînait des complexités d'interface, un risque de concurrence pour attirer les compétences, des processus et outils distincts, sources de lourdeur.
Vos rapporteurs ont amélioré le texte, sur la distinction entre expertise et décision, sur la transparence de l'activité d'expertise interne au sein de la future ASNR, sur la clarification entre agents et salariés.
Parmi nos points de divergence : la place du règlement intérieur, le Gouvernement souhaitant conserver la souplesse dont bénéficie l'ASN, ou le statut du haut-commissaire à l'énergie.
Vu la qualité de nos débats en séance, je ne doute pas que nous trouverons un chemin au cours de la navette. Nous le devons aux milliers de personnes qui travaillent aujourd'hui à l'ASN et à l'IRSN.
Ce texte témoigne de notre détermination à donner au pays les moyens de la relance nucléaire, en maintenant la sûreté et la sécurité de nos installations. Cette relance est plébiscitée par nos concitoyens et dictée par l'urgence climatique.
Après vous avoir entendu réclamer - de façon insistante et parfois touchante (sourires) - un ministre dédié, et ayant fait amende honorable en expliquant les circonstances qui m'ont empêché d'être celui-là dès l'entame de vos travaux, je ne suis pas venu seul cet après-midi. (« Ah ! » sur plusieurs travées) Je suis accompagné du ministre de l'industrie et de l'énergie, Roland Lescure. (« Ah ! ») Il sera votre interlocuteur pendant la navette. (« Ah ! ») Vous aurez non pas une, mais deux portes que vous pourrez pousser.
M. Yannick Jadot. - Merci à vous !
M. Christophe Béchu, ministre. - C'est le signe, non d'un désengagement, mais d'un réarmement ! (Exclamations sur les travées du GEST ; applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes INDEP et UC)
La séance, suspendue à 16 heures, reprend à 16 h 10.