Questions orales
M. le président. - L'ordre du jour appelle les réponses à huit questions orales.
Augmentation de la TGAP
M. Pierre-Jean Verzelen . - La fameuse taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) s'applique aux déchets non valorisables - la poubelle noire, sur l'incinération et sur l'enfouissement. Elle représentait 24 euros par tonne en 2019, mais depuis, la courbe est exponentielle : elle devrait atteindre 65 euros en 2025. Cela pèse sur les syndicats de traitement des déchets, donc sur les intercommunalités et, in fine, sur les foyers.
On demande aux citoyens de trier plus et mieux, la redevance incitative se met en place, le ramassage a lieu tous les quinze jours. C'est très bien, mais on leur demande quand même de payer davantage ! Confirmez-vous ce montant de 65 euros, monsieur le ministre ? Qu'est-il prévu pour la suite ?
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - En effet, la dissuasion de l'enfouissement, qui a de graves conséquences écologiques, conduit à cette hausse. Il s'agit de mieux investir pour diminuer les déchets résiduels et, pour la collectivité, de mesurer l'intérêt de la prévention. L'ambition est de diviser par deux les déchets mis en décharge.
La hausse, planifiée jusqu'en 2025, est assortie de contreparties financières pour les collectivités, comme le fonds vert, utilisable pour les biodéchets. Ces derniers représentent une part substantielle des poubelles noires, alors qu'ils sont liquides à 85 % - une aberration. Il y a aussi le fonds Économie circulaire de l'Ademe, porté à 300 millions d'euros, la TVA à 5,5 % sur le tri et le recyclage, la prise en charge par l'État de frais de gestion de la taxe incitative d'enlèvement des ordures ménagères (TiEOM). Enfin, la responsabilité élargie du producteur (REP) fluidifie et moralise le dispositif. Ainsi, en 2022, les collectivités ont bénéficié de 750 millions d'euros, et elles recevront 1,2 milliard en 202, soit 66 % de hausse.
M. Pierre-Jean Verzelen. - Quelle sera la courbe après 2025 ? Cette hausse exponentielle sera intenable pour les familles !
Compensation de la CVAE
M. Jean-Gérard Paumier . - Par la loi de finances pour 2023, le Gouvernement a acté la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). En apparence, la promesse de compensation à l'euro près semble respectée, mais en pratique ?
Ainsi, alors que la communauté de communes de Chinon, Vienne et Loire a enregistré une baisse de 66 %, la compensation n'est pas intégrale. Le fonds vert, piloté par le préfet au gré des projets, ne garantit pas une dotation individuelle à chaque commune, et n'est pas une ressource propre au sens de la Constitution. Certaines collectivités n'ont pas touché un centime !
Monsieur le ministre, comment compenserez-vous de manière effective la perte de CVAE ?
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - Il y a bien compensation à l'euro près, mais sur une moyenne triennale. Or la dynamique de la dernière année de perception était considérable. Le fonds vert a réparti ce delta à l'échelle des préfectures, pour une compensation intégrale.
La CVAE ne varie pas de manière homogène, puisqu'elle repose sur le dynamisme des bases locales. Contrairement à la taxe professionnelle, elle est cyclique : il peut donc y avoir des baisses localisées ou des surperformances.
Maintenant que l'on s'éloigne de cette année très dynamique, tout l'enjeu est la bascule vers la fraction du panier de TVA, choisie par les collectivités et dont le taux progresse plus vite en moyenne que celui de la CVAE. Voilà qui est protecteur du socle de ressources tout en garantissant une plus forte hausse.
M. Jean-Gérard Paumier. - Sans remettre en cause votre bonne foi, les chiffres sont têtus, et les maires inquiets. La fonte de leurs ressources propres ne doit rien au réchauffement climatique, mais à une réelle recentralisation. Pour beaucoup, la DGF baissera. La compensation à l'euro près n'est pas au rendez-vous : les fruits ne tiennent pas la promesse des fleurs. (On apprécie sur plusieurs travées.)
Transfert de gestion des digues domaniales
M. Pierre-Alain Roiron . - La loi Maptam de 2014 prévoit le transfert de gestion des digues au 28 janvier 2024, mais il reste des zones d'ombre. Les intercommunalités et les départements montrent leur engagement à réussir ce transfert - en atteste la collaboration avec l'établissement public Loire et la création d'une plateforme à Tours.
Mais des difficultés émergent sur la convention de fin de gestion avec l'État. Ainsi, l'alternative proposée par les intercommunalités de Maine-et-Loire - que vous connaissez, monsieur le ministre -, du Loir-et-Cher et d'Indre-et-Loire est ignorée par le décret du 21 novembre 2023. Les EPCI étant tenus de délibérer sur la convention avant le 28 janvier, ils sont face à un dilemme : présenter une version inaboutie ou organiser un conseil extraordinaire à fort risque politique.
La charge pour les EPCI, non compensée, est préoccupante et touche des actions locales essentielles. En cette période de crise, il faut un équilibre. Le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) estima à plus d'un milliard d'euros le coût d'une mission de diagnostic des ouvrages existants, auxquels s'ajoutent 15 milliards d'euros pour les travaux dans les années à venir.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - Une loi de 2014 a prévu un transfert au bout de dix ans, et le délai serait trop court pour délibérer ? Nous avons le génie, dans ce pays, de voter des lois à la quasi-unanimité, pour ensuite dénoncer des délais intenables dans la dernière ligne droite - je pense à l'accessibilité universelle, par exemple.
La loi Maptam, plutôt portée par la gauche, a posé des bases. Nous avons apporté, ces derniers mois, des soultes garantissant à 100 % les travaux sur dix ans. Pas moins de 170 des 200 conventions domaniales sont déjà actives, et les discussions se poursuivent sur les autres.
Discuter du travail entre État et collectivités est une nécessité, mais le présenter comme un défaut de gouvernance est exagéré.
Interruption de la liaison aérienne entre Nice et Paris
M. Philippe Tabarot . - À la surprise générale, nous avons appris la suppression en 2026 par Air France de la desserte depuis Orly de l'aéroport Nice Côte d'Azur. Ce coup d'arrêt aura des répercussions tant sur les salariés de la compagnie que sur les territoires des Alpes-Maritimes.
Cette interruption est une faute : avec plus de douze vols par jour, la ligne est sans doute la plus rentable de France, car mon département n'est pas doté d'une ligne à grande vitesse. Cette décision a été dévoilée sans la moindre concertation ni information. Pourtant, l'offre actuelle est réduite alors que les contribuables ont servi d'assurance vie face à la crise covid.
Je défends le ferroviaire, mais il faut le bon mode de transport au bon endroit. Que ferez-vous pour que la compagnie renonce à toute dégradation de l'offre ?
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - Je vous sais pragmatique et attentif aux chiffres, monsieur Tabarot. Une telle décision n'est pas le fait de l'administration, mais se fonde sur l'évolution prononcée et durable du trafic. Ainsi, le nombre de passagers réalisant depuis Nice un aller-retour sur une journée est en baisse de 60 % ; depuis 2019, on observe une baisse équivalente pour le trafic de la navette Orly-Nice ; la clientèle d'affaires est passée de 100 000 passagers à 50 000 en 2023.
L'offre ne peut donc rester inchangée, sans quoi les vols se feraient à vide ! Personne ne peut se soustraire aux principes économiques. Ce n'est pas une décision contre l'avion, mais de bon sens, même si l'évolution ne doit pas se faire au détriment de la connectivité des territoires.
M. Philippe Tabarot. - Vu le remplissage des avions et les tarifs, j'ai du mal à comprendre vos chiffres. Le ferroviaire ne suffira pas à nous désenclaver, malgré votre soutien au projet de ligne nouvelle Provence Côte d'Azur. L'aérien ne doit pas être victime de la guerre des modes de transport.
Projet d'usine de laine de roche dans le Soissonnais
M. Yannick Jadot . - Les conséquences sanitaires et environnementales du projet d'usine de laine de roche à Courmelles, au coeur du Soissonnais, posent question. Lancé en 2018 par Rockwool, entreprise peu vertueuse, il rencontre une forte opposition. Les agriculteurs sont inquiets ; habitants et élus locaux se sont constitués en collectif. Soutenus notamment par des représentants de la majorité présidentielle sur le territoire, ils ont déposé plusieurs recours.
Potentiellement cancérigène, la laine de roche, interdite par certaines villes, n'est pas un produit d'avenir. Selon Géorisques, cette usine serait l'une des dix plus polluantes de France - la deuxième en ce qui concerne le phénol, la troisième pour le formaldéhyde. Par ailleurs, elle rejetterait 173 tonnes de poussière.
Une première enquête publique a rendu un avis défavorable sur ce projet que la préfecture de l'Aisne a néanmoins autorisé. Monsieur le ministre, écoutez les habitants, les acteurs économiques et les élus !
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - La France importe de la laine de verre. Dans une logique économique et écologique, mieux vaut la produire ici ! La contestation locale est réelle, mais le projet a été validé à l'issue d'une longue procédure : statut d'installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE), interventions de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), évaluations de conformité. Nous avons besoin des matériaux nécessaires à l'isolation thermique pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre.
J'ai reçu ces derniers jours du courrier relatif à ce projet, que je suis en train d'étudier.
Filet de sécurité pour les collectivités territoriales
Mme Elsa Schalck . - Malgré la complexité, que nous avions dès le départ dénoncée, du dispositif d'acompte versé dans le cadre du filet de sécurité, 22 000 communes devaient y avoir droit. Le coup de pouce est devenu coup de grâce avec la publication de l'arrêté du 13 octobre 2023 : seules 2 942 collectivités territoriales en bénéficieront. Dans le Bas-Rhin, 44 d'entre elles doivent rembourser intégralement la somme alors qu'elles avaient reçu confirmation de leur éligibilité !
Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre appelait à la simplification et à la débureaucratisation. Cette aide représente un parfait contre-exemple ! Monsieur le ministre, que répondez-vous aux maires concernés ?
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - Vous présentez les choses de manière originale... Le Gouvernement a appliqué les critères votés par le Parlement : épargne brute de 22 % au maximum, potentiel financier inférieur au double de la moyenne des communes de même taille, baisse de 25 % de l'épargne brute par rapport à 2022. Si vous le regrettez, reconsidérons nos places dans l'hémicycle...
La chute de l'épargne brute des collectivités a été nettement moins grave que prévu. Finalement, 4 177 communes ont bénéficié d'un acompte ; 2 527 l'ont reçu à tort, pour un montant de 68 millions d'euros. Dans 75 % des cas, les reprises portent sur des montants inférieurs à 10 000 euros.
Les communes peuvent solliciter un lissage auprès de la direction générale des finances publiques (DGFiP). De plus, nous assouplirons le filet de sécurité pour 2023 à partir des constats réalisés sur l'exercice 2022.
Mme Elsa Schalck. - Ces trois conditions montrent la complexité du système. Les collectivités du Bas-Rhin doivent rembourser une somme bien supérieure à 10 000 euros !
Déserts médicaux en Seine-Saint-Denis
M. Adel Ziane . - La Seine-Saint-Denis est le premier désert médical du pays : 98 % de ses habitants sont touchés. Le problème ne se limite pas aux zones rurales : 38 des 40 communes de mon département sont classées « en zone d'intervention prioritaire » par l'Agence régionale de santé.
La Seine-Saint-Denis a été durement frappée par la crise sanitaire. La mortalité des enfants y est supérieure de 50 % à la moyenne nationale, alors que la moitié des médecins partiront prochainement à la retraite.
Or la Seine-Saint-Denis n'est pas un territoire gâté de la République : c'est le troisième département contributeur à la TVA, le huitième pour les cotisations sociales. Pourtant, la politique de la ville ne parvient pas à pallier le déficit des politiques de droit commun. C'est bien plus que la double peine.
Dès lors, comment oeuvrer pour plus de justice sociale ? Comment favoriser l'installation de médecins dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ?
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - En effet, un désert médical n'est pas forcément une zone peu dense. La réputation de certains quartiers et leur caractère dégradé freinent les installations de médecins, dont le nombre est insuffisant - les mesures gouvernementales tardent à produire leurs effets, compte tenu de la durée des études de médecine.
Il n'y a pas de réponse unique : nous privilégions des solutions adaptées à chaque contexte local. Nous pouvons nous appuyer sur une boîte à outils diversifiée : stages ambulatoires, maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), déploiement de l'exercice coordonné, assistants médicaux, qui permettent aux médecins de soigner 10 % de patients supplémentaires - 5 000 contrats ont déjà été signés. Le recrutement de médecins étrangers et la concertation locale figurent aussi parmi les solutions.
Droits des salariés des Ésat
M. Claude Kern . - Les établissements et service d'aide par le travail (Ésat) accueillent 120 000 personnes en situation de handicap. Dans la continuité du plan de transformation des Ésat, la loi Plein emploi de décembre 2023 aligne leurs droits avec ceux des salariés, via l'accès aux titres-restaurant et aux chèques vacances ou l'augmentation de leur rémunération directe à hauteur de 15 % du Smic, entre autres.
Mais la situation financière des Ésat demeure complexe : 27,5 % d'entre eux sont en déficit, 31 % sont à l'équilibre ou excédentaires de moins de 50 000 euros. Avec le financement des nouveaux droits, la majorité des Ésat risque d'être déficitaire.
Or ils jouent un rôle primordial : le soutien de l'État est donc essentiel. Quelles actions le Gouvernement compte-t-il mettre en oeuvre ?
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - Merci d'attirer notre attention sur les Ésat, car nous devons collectivement trouver des solutions pour davantage aider les personnes qui y travaillent : celles-ci doivent disposer des mêmes droits que les salariés, conformément aux propos tenus par le Président de la République lors de la Conférence nationale du handicap.
La loi Plein emploi y pourvoit. L'obligation préalable d'orientation pour le couplage entre travail à temps partiel en Ésat et en milieu ordinaire disparaîtra. La rémunération des travailleurs en Ésat ne dépendra plus du complément de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), mais des établissements.
Le modèle économique des Ésat repose actuellement sur des produits tirés de leur activité, une dotation sociale versée par les agences régionales de santé (ARS) et un complément versé par l'État. Le Gouvernement informera le Parlement des suites qu'il compte donner au rapport que l'inspection générale des affaires sociales (Igas) publiera sur le sujet d'ici quelques jours.