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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
Hommage à des sénateurs décédés
Modifications de l'ordre du jour
Accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur
M. Jean-François Rapin, auteur de la proposition de résolution
M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
Face à la prédation du loup, comment assurer l'avenir du pastoralisme ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Le Républicains
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire
M. Jean Bacci, pour le groupe Les Républicains
Réforme du marché de l'électricité
M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains
M. Patrick Chaize, pour le groupe Les Républicains
M. Franck Montaugé, pour le groupe Socialiste, Écologique et Républicain
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Mme Monique Lubin, pour le groupe SER
Ordre du jour du mercredi 17 janvier 2024
SÉANCE
du mardi 16 janvier 2024
51e séance de la session ordinaire 2023-2024
Présidence de M. Alain Marc, vice-président
Secrétaire : Mme Marie-Pierre Richer.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral publié sur le site internet du Sénat, est adopté sous les réserves d'usage.
Hommage à des sénateurs décédés
M. le président. - (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre se lèvent.) C'est avec émotion que nous avons appris, vendredi 5 janvier, la disparition d'une grande figure de la politique lorraine. Jean-Marie Rausch, qui fut maire de Metz pendant 37 ans, est décédé à l'âge de 94 ans.
La trace que laissera ce chef d'entreprise féru de technologies dans sa ville est grande, tant il a mis son esprit d'innovation au service de la modernisation de sa ville.
Transformant cette ville historiquement associée à la présence militaire, il n'oublia pas les dimensions écologique et culturelle. Il oeuvra ainsi à la réussite de la première décentralisation d'un établissement culturel national, avec le centre Pompidou-Metz.
Jean-Marie Rausch fut un grand élu local qui, devenu maire en 1971, fut également président du conseil général de la Moselle, puis du conseil régional de Lorraine. C'est presque ainsi tout naturellement qu'il siégea à nos côtés durant vingt-trois ans, sur les bancs des groupes Union centriste et RDSE. Tout d'abord de 1974 à 1988, date à laquelle il entra au Gouvernement de Michel Rocard, puis de nouveau de 1992 à 2001.
Durant ces années passées au Sénat, il travailla essentiellement sur les sujets liés à la recherche, aux technologies et aux télécommunications.
Il fut d'ailleurs, en 1982, le rapporteur de la proposition de loi tendant à la création d'un office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). Partout où il est passé, il a su laisser une trace de modernité.
C'est avec la même émotion que nous avons appris le décès de notre ancien collègue Louis Le Pensec, qui fut sénateur du Finistère de 1998 à 2008.
Jeune élu breton de sa petite commune de Mellac, celui que l'on surnommait « le grand Louis » fut élu pour la première fois député à l'âge de 36 ans, avant de devenir une figure ministérielle socialiste connue et reconnue.
La terre et la mer : c'était là le coeur de son engagement, puis de son action publique, tant au sein des différents gouvernements auxquels il a appartenu, qu'au Parlement. Il occupa le premier cette belle fonction de ministre de la mer en juin 1981, avant de devenir ministre des départements et territoires d'outre-mer de 1988 à 1993. C'est sous sa direction que furent négociés les accords de Matignon et d'Oudinot en 1988. Fils de paysan, profondément attaché au monde agricole qu'il connaissait bien, il fut enfin ministre de l'agriculture et de la pêche de 1997 à 1998.
Élu au Sénat de 1998 à 2008, il fut pendant ce mandat membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, il participa également aux travaux de la délégation pour l'Union européenne, notamment au travers de plusieurs rapports, toujours relatifs à la mer - sur le partenariat euro-méditerranéen et l'adhésion de Chypre à l'Union européenne.
Figure tutélaire au sein de son Finistère natal, son engagement au service de notre pays fut constant. Tous ceux qui l'ont connu regrettent un homme d'une profonde humanité.
M. le Président du Sénat souhaitait, en votre nom à tous et particulièrement au nom de nos collègues mosellans et finistériens, leur rendre hommage et avoir une pensée pour leurs proches. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre observent un instant de recueillement.)
Modifications de l'ordre du jour
M. le président. - Par courrier du 22 décembre 2023, le groupe UC a demandé le remplacement de la proposition de loi visant à lutter contre les plastiques dangereux pour l'environnement et la santé par un débat, sous forme de questions-réponses, sur les pratiques des centrales d'achat de la grande distribution implantées hors de France. Ce débat figurerait en premier point de son espace réservé.
Acte est donné de cette demande.
Par ailleurs, par lettre du 15 janvier, le Gouvernement demande que l'examen de la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, initialement prévu le lundi 29 janvier à 16 heures et le soir, et, éventuellement, le mardi 30 janvier après-midi, soit reporté à la fin de l'ordre du jour du mardi 6 février et la suite de son examen au mercredi 7 février, après les questions d'actualité au Gouvernement.
Il demande également le retrait de l'ordre du jour des mardi 6 et mercredi 7 février du projet de loi relatif à la responsabilité parentale et à la réponse pénale en matière de délinquance des mineurs.
Le reste de l'ordre du jour préalablement fixé par la Conférence des Présidents lors de sa réunion du 13 décembre est sans changement.
Acte est donné de ces demandes.
En conséquence, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance sur la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe serait reporté au jeudi 1er février à 12 heures.
Nous pourrions fixer le délai limite d'inscription des orateurs dans la discussion générale sur ce texte au lundi 5 février à 15 heures.
Il en est ainsi décidé.
Accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution relative aux négociations en cours en vue d'un accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par Mme Sophie Primas, M. Jean-François Rapin, Mme Anne-Catherine Loisier, M. Laurent Duplomb et plusieurs de leurs collègues, à la demande du groupe Les Républicains.
M. Jean-François Rapin, auteur de la proposition de résolution . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP) Avec Sophie Primas, Anne-Catherine Loisier et Laurent Duplomb, nous avons déposé cette proposition de résolution en juin dernier pour poser quelques lignes rouges. Après près de vingt ans de négociation, l'Union européenne et le Mercosur sont parvenus à un accord, le 28 juin 2019. Les échanges commerciaux annuels s'élevaient alors à 88 milliards d'euros pour les biens et 34 milliards d'euros pour les services. Il s'agissait de donner à nos entreprises un accès privilégié à un marché de plus 260 millions de consommateurs et d'économiser annuellement 4 milliards d'euros de droits de douane. Mais ces gains affichés masquent des impacts négatifs, notamment pour le monde agricole.
La Commission pensait que l'affaire était conclue, avant que tout ne déraille au Conseil. La déforestation massive au Brésil entrait en contradiction avec l'accord de Paris. L'agriculture, notamment la filière de la viande, avait servi d'ajustement, avec des droits de douane réduits de 7,5 % pour les pays du Mercosur. Or les conditions de production dans le Mercosur ne sont pas les mêmes que celles imposées à nos agriculteurs. Des concessions significatives avaient également été accordées sur le sucre, la volaille, le maïs et l'éthanol.
Face au blocage du Conseil, la Commission a tenté de trouver une voie de sortie via des engagements complémentaires. La Commission, mais aussi la présidence espagnole et les Allemands se sont montrés particulièrement volontaristes. Mais le président de la République, lors de la dernière COP de Dubaï, a rappelé que l'accord, en l'état, ne convenait pas.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Très bien !
M. Jean-François Rapin. - Les élections en Argentine ont changé la donne, mais notre proposition de résolution est-elle devenue caduque ?
Non, car la pression n'est pas retombée. Certains espèrent encore un accord de dernière minute. Le chancelier allemand et le président argentin y appelaient la semaine dernière et la Commission européenne espère un accord avant la fin de son mandat - après ses échecs avec le Mexique ou l'Australie.
Nous entendons les arguments en faveur du derisking de l'économie européenne, et le souhait de réduire notre indépendance vis-à-vis de la Chine. Pour autant, nous ne sommes pas prêts à sacrifier des pans entiers de notre agriculture.
Mme Sophie Primas. - Très bien !
M. Jean-François Rapin. - La méthode de la Commission européenne est aussi en cause. Le Sénat demande que les parlements soient mieux associés à ces accords, pour éviter d'aller de blocage en blocage.
Je ne peux mettre les intérêts de la filière automobile allemande avant ceux de la filière de la viande française. (Mme Sophie Primas renchérit.)
Il faut de la cohérence. À quoi bon d'ambitieux objectifs environnementaux si nous importons des produits qui ne respectent ni nos normes ni nos valeurs ?
Enfin, l'accord avec le Mercosur ne doit pas être scindé pour tenter de contourner les parlements nationaux. Je rappelle que l'accord économique et commercial global avec le Canada (Ceta) est en vigueur à titre provisoire depuis septembre 2017, sans avoir été soumis à la ratification du Sénat...
Nous ne sommes pas hostiles par principe au commerce international - nous n'oublions pas nos entreprises exportatrices ! -, mais nous nous interrogeons sur la capacité de l'Union européenne à conclure des accords globaux respectant ses valeurs et ses standards, notamment en matière d'environnement et de droits de l'homme.
Nous vous demandons de réaffirmer que vous ne sacrifierez pas les intérêts français et respecterez vos lignes rouges. Vous devez refuser cet accord en l'état et les parlements doivent être consultés en temps et en heure. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDSE et du GEST)
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Fabien Gay . - Depuis 1999, la Commission européenne a négocié dans l'opacité la plus totale : ni information du public ni consultation des parlements nationaux - comme pour le Ceta, jamais examiné par le Sénat...
Afin de contourner le rejet du texte par le Parlement européen et le veto de certains États membres, la Commission européenne souhaite aujourd'hui le découper, comme ce fut le cas avec l'accord avec le Chili. Libre-échange rime avec opacité et antidémocratie : c'est inacceptable.
Cet accord propose un modèle de société dépassé et un modèle économique nocif, qui exacerbe les inégalités mondiales.
La France a posé trois conditions : arrêt de la déforestation importée ; respect de l'accord de Paris ; clauses miroirs sanitaires et environnementales. Mais quid de la déforestation en Guyane et de l'orpaillage ?
Le rapprochement avec le président Lula ne doit pas nous faire renoncer à nos exigences, d'autant que l'arrivée au pouvoir du président argentin climatosceptique Milei nous inquiète.
Ce traité présente aussi des risques pour la santé alimentaire de nos concitoyens, avec l'importation de produits ne répondant pas au principe de précaution. Ces risques sanitaires seraient accrus par l'impact climatique de cet accord, incompatible avec l'accord de Paris et le Pacte vert européen.
En outre, les pays du Mercosur risquent de se trouver prisonniers d'un modèle exportateur au détriment de leurs populations et de l'environnement. Et l'absence de mesures miroirs enverrait un message délétère à nos paysans et éleveurs et créerait une concurrence déloyale.
La ratification de ce traité de libre-échange soulève de nombreuses difficultés dont nous devrions être saisis. Elles ne se régleront pas sans consultation des citoyens et des parlements et sans évaluation de leur impact cumulé.
Le contrôle frontalier des importations doit être approfondi, et un mécanisme efficace de résolution des conflits doit être instauré. Nous voterons cette résolution. (Applaudissements)
M. Henri Cabanel . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Depuis trente-quatre ans, l'idée d'un régionalisme ouvert en Amérique du Sud prospère ; mais depuis vingt-cinq ans, les discussions patinent. Notre groupe est très préoccupé par la multiplication des accords de libre-échange. Dans une résolution de 2018, le président Requier avait déjà souligné nos craintes et appelé à ne pas signer précipitamment cet accord déstabilisateur.
Cette proposition de résolution est bienvenue, car elle met en lumière les multiples lacunes de ce texte. Le RDSE se joint aux signataires, pour inciter le Gouvernement à s'y opposer.
Quelles sont nos lignes rouges ? Nous sommes fiers de notre agriculture française, qui se distingue par son excellence sanitaire et environnementale.
L'accord de principe entre l'Union européenne et le Mercosur de 2019 est loin d'être satisfaisant. Nos agriculteurs ne doivent pas être lésés et nos partenaires doivent se conformer aux mêmes règles que nous. Quelles clauses miroirs envisagez-vous, monsieur le ministre ? Quand entendrons-nous, à Bruxelles, la voix du Président de la République, qui estimait que l'accord était inacceptable en l'absence de réciprocité ? Il le reste donc, même avec la déclaration additionnelle prévoyant des dispositions environnementales non contraignantes.
La question des pesticides n'est pas réglée. Au Brésil, la quantité épandue est bien plus élevée qu'en France. Quelle sera la limite maximale de résidus de produits phytosanitaires dans nos importations ?
La Commission européenne souhaite scinder l'accord, pour « accélérer sa mise en oeuvre ». Mais cela permettrait surtout un vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil et éviterait les parlements nationaux. Voilà qui fragilise l'assise démocratique de notre politique commerciale commune. Le mandat de négociation de 2018 du Conseil est ainsi bafoué.
Quand les parlementaires seront-ils associés à ces négociations ? Quand le Ceta sera-t-il inscrit à l'ordre du jour du Sénat ?
Mme Nathalie Goulet. - Eh oui !
M. Henri Cabanel. - Le RDSE soutient toutes les initiatives qui seront du côté des agriculteurs et des consommateurs. Nous voterons cette proposition de résolution, fidèle à celle que nous avions votée en 2018. (Applaudissements sur les travées du RDSE, des groupes INDEP et UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-François Rapin. - Très bien !
Mme Nadège Havet . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Au bout de vingt ans de négociations, un accord a été trouvé le 28 juin 2019, afin de développer les échanges commerciaux et le dialogue politique entre l'Union européenne et le Mercosur.
Cet accord, qui créerait la plus vaste zone de libre-échange au monde, est d'une ampleur considérable : 780 millions de personnes, près de 45 milliards d'euros de biens et services échangés ; 1 000 entreprises françaises actives au Brésil.
SI le volet politique ne pose pas de difficulté, le volet économique suscite des inquiétudes. Pour la France, le volet environnemental ne va pas assez loin : la balance écologique n'est pas à l'équilibre.
Le Président de la République a rappelé que 14 % de la surface mondiale concentre 75 % des stocks de carbone et 91 % des stocks de biodiversité, trésors dont nous ne pouvons nous passer.
Face à la menace qu'il représente pour la forêt amazonienne, poumon de la planète, il a été décidé de ne pas approuver cet accord si trois conditions ne sont pas respectées : limite de la déforestation, respect de l'accord de Paris et clauses miroirs.
Les négociations ont été relancées sous la présidence espagnole, qui en a fait une priorité. Le chancelier allemand et le nouveau président argentin appellent à une conclusion de l'accord.
Le 13 juin 2023, une proposition de résolution a été adoptée par les députés, qui ont estimé que le volet commercial de l'accord n'était compatible ni avec la lutte contre le changement climatique ni avec nos objectifs de souveraineté alimentaire. Ils ont considéré que l'ensemble de l'accord devait être soumis à la procédure de ratification et ont demandé la généralisation du principe de réciprocité des normes de production.
Celle que nous examinons nous alerte sur le respect des conditions démocratiques, économiques, environnementales et sociales et sur les risques pour les agriculteurs français et européens. En effet, les exploitations sud-américaines comptent des dizaines de milliers de têtes, utilisent des antibiotiques de croissance et des phytosanitaires non autorisés dans l'Union européenne : ce serait une concurrence déloyale. Vous demandez donc des clauses miroirs et le renforcement des contrôles aux frontières.
Vous soulevez enfin un problème de méthode, avec la découpe des accords commerciaux par la Commission européenne.
Le RDPI votera cette proposition de résolution. (M. Laurent Duplomb s'en réjouit.) Il faut que la France évalue ce projet d'accord. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE ; Mme Sophie Primas et M. Pascal Allizard applaudissent également.)
M. Jean-Claude Tissot . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Quelques mois après l'Assemblée nationale, nous débattons sur ce potentiel accord commercial, car les négociations se poursuivent.
Nous avons tous en tête l'inacceptable contournement du Parlement avec le Ceta : les accords commerciaux d'une telle ampleur doivent être avalisés par le Parlement. Or cet accord avec le Mercosur serait le plus important en nombre de personnes et de volumes.
L'alinéa 52 de la proposition de résolution rappelle que le monde agricole a trop longtemps été la variable d'ajustement d'un libéralisme débridé. Il y a toujours eu et il y aura toujours des échanges, mais la mondialisation sans limites aboutit à des délocalisations et des pertes de savoir-faire, de souveraineté alimentaire et de biodiversité. Nous ne pouvons plus penser les accords commerciaux comme il y a trente ans.
Le dernier alinéa de la proposition de résolution de l'Assemblée nationale mentionne la généralisation du principe de réciprocité des normes de production dans les accords commerciaux, pour les rendre plus justes et plus vertueux. Il est inacceptable de voir arriver sur nos marchés des produits dangereux et qui menacent nos agriculteurs.
De nombreux produits ont été cités : poulet aux antibiotiques, maïs à l'atrazine, mais aussi les 100 000 tonnes de viande bovine qui perturberont l'élevage français et européen. Or le Mercorsur fournit déjà un tiers du marché mondial de la viande bovine. L'avantage tarifaire serait un coup de massue pour la filière. Alors que l'élevage participe de la déforestation de l'Amazonie, la préservation de la biodiversité et des forêts est une priorité de l'Union européenne...
L'usage de nombreux produits phytosanitaires interdits dans l'Union européenne au sein du Mercorsur pose problème : les accepter constituerait un terrible retour en arrière.
Je m'étonne de l'ambiguïté de nos collègues du groupe Les Républicains, qui utilisent allègrement la défense de l'environnement.
M. Michel Savin. - Nous y sommes très attachés !
M. Jean-Claude Tissot. - Ils étaient pourtant moins ambitieux lors de l'examen de la proposition de loi sur la ferme France ou au Parlement européen.
Mme Sophie Primas. - Il y a une marche !
M. Laurent Duplomb. - C'est bien la gauche !
M. Jean-Claude Tissot. - J'espère que cela ne sera pas une nouvelle promesse non tenue de l'exécutif. (M. Michel Savin renchérit.)
Le groupe SER partage les objectifs de cette proposition de résolution, qu'il votera. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
MM. Damien Michallet et Michel Savin. - Bravo !
Mme Sophie Primas . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nouvelle-Zélande, Mexique, Chili : cet accord n'est-il qu'un simple accord de plus ? J'ai au moins trois raisons, parmi des centaines, pour répondre non.
D'abord, car l'impact cumulé des accords de libre-échange, notamment sur le secteur agricole, n'a toujours pas été mesuré. C'est peut-être l'accord de trop...
Ensuite, le libre-échange donne lieu à des réallocations entre pays, secteurs, entreprises. Mais à ce jeu, notre agriculture française est bien souvent perdante - voyez la proposition de loi de Laurent Duplomb.
La logique d'avoir accès au marché des automobiles allemandes en échange de quotas de boeuf est compréhensible. Quoi de plus rationnel en apparence ? Le Gouvernement met en avant des gains pour l'agriculture, avec la reconnaissance des indications géographiques protégées (IGP) - mais c'est moins de 3 % de notre production agricole !
Soyez certains que les quotas supplémentaires seront une réalité et deviendront un droit opposable, exploité par nos concurrents. Nos filières sont profondément affaiblies, comme on le voit déjà sur le sucre. Pour nos agriculteurs, cela s'ajoute à des aléas, sans que les contrôles aux frontières soient efficaces. Les 1 000 agriculteurs réunis aujourd'hui à Toulouse témoignent du moral de notre ferme France. Cette décroissance de la production européenne organisée menace notre souveraineté alimentaire.
Ensuite, le Mercosur est un géant économique qui peut perturber jusqu'à nos filières les mieux installées, comme celle du sucre. Avec certains collègues, nous sommes allés au Brésil et y avons vu l'agriculture industrielle et intensive, la vraie, monsieur Jadot ! Je n'ai jamais vu cela en France. (M. Yannick Jadot acquiesce en hochant la tête.) Nous avons été pris de vertiges devant ces pratiques si éloignées de nos standards. L'Argentine et le Brésil exportent chaque année l'équivalent de la quantité produite dans l'Union européenne. Le Mercosur est un rouleau compresseur agricole dont les capacités de production peuvent doubler, voire tripler, pour déferler sur l'Europe.
Enfin, cet accord est le symbole d'une fuite en avant, la Commission européenne étant prête à plusieurs concessions pour faire aboutir l'accord.
Voilà pourquoi je vous demande de voter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, du RDSE et du groupe INDEP)
M. Christopher Szczurek . - Le 28 juin 2019, l'accord a été refusé par la France, car il ne respectait pas les trois conditions - ne pas augmenter la déforestation importée, respecter l'accord de Paris, instaurer des clauses miroirs. Une fois n'est pas coutume, cette position a été rappelée au salon de l'agriculture le 27 février dernier, par le Président de la République.
À quelques jours de la présidence espagnole de l'Union européenne, il est urgent de nous battre contre ce projet : les conditions démocratiques, économiques, sociales et environnementales ne sont toujours pas réunies. Malgré quelques avantages comme la proximité avec nos outre-mer, il faut rappeler au Brésil ses engagements agricoles et environnementaux.
Des clauses miroirs en matière environnementale, sociale et de bien-être animal ne sont toujours pas inscrites dans l'instrument additionnel. C'est une concurrence déloyale pour l'agriculture française, que ce soit sur le boeuf ou l'éthanol - ce qui inquiète les producteurs du Pas-de-Calais.
Nous dénonçons la pratique de la Commission européenne de découper les accords de libre-échange, ce qui porte atteinte à la souveraineté des peuples et des nations.
Nous demandons la fin des négociations avec le Mercosur, mais voterons néanmoins sans réserve cette proposition de résolution. (MM. Joshua Hochart et Guislain Cambier applaudissent.)
M. Vincent Louault . - Il n'y a pas de prospérité sans puissance ni de puissance économique et commerciale sans souveraineté alimentaire. Cessons de considérer notre agriculture comme un gage de second rang dans les accords de libre-échange. Réveillons-nous !
Dans moins de six mois se tiendront les élections européennes. Les accords de libre-échange vont apparaître comme le reflet de nos choix en matière de souveraineté. La construction européenne ne doit pas devenir sa propre caricature.
Nous ne devons pas confondre vitesse et précipitation. La vitesse, c'est de se servir de notre politique commerciale pour asseoir le rôle de chef de file dans l'Union dans les domaines des transitions écologiques, en faisant respecter l'accord de Paris. La vitesse, c'est faire à l'échelle internationale ce que les Pères fondateurs ont fait à l'échelle européenne : utiliser les intérêts des pays pour rapprocher les peuples et améliorer leur prospérité.
La précipitation, c'est rêver en fonçant tout droit dans un mirage et nier les divergences qui ne permettent pas une convergence en l'état. À l'heure d'une bataille agricole mondiale, où l'on parle de souveraineté alimentaire, pourquoi un tel accord ?
Rappelons que nos agriculteurs souffrent déjà des surtranspositions françaises. L'adoption de cet accord serait donc une double peine.
Nous sommes à vos côtés pour porter une voix crédible et singulière. Nous sommes face à un choix d'avenir. La France doit rester vigilante. Cette proposition de résolution est une nécessité. Nous en partageons l'esprit et nous la voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Guislain Cambier applaudit également.)
Mme Anne-Catherine Loisier . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition de résolution vise à rappeler les lignes rouges. À l'occasion de la visite du président Lula, la présidence du Conseil européen voulait que l'accord aboutisse, grâce à un addendum qui l'aurait verdi... mais cela avait tout l'air d'être un artifice, non contraignant, et une scission de l'accord était envisagée.
Nos craintes étaient justifiées : sans l'élection du président Milei, un accord aurait probablement été conclu fin 2023.
Nous ne nions pas l'intérêt stratégique d'accéder au marché du Mercorsur, de plus de 280 millions de consommateurs, avec de nouveaux alliés géopolitiques. Mais il faut respecter les conditions démocratiques, économiques et sociales de l'accord, définies par le Gouvernement français au regard de ses engagements : ne pas augmenter la déforestation importée, respecter l'accord de Paris, instaurer des clauses miroirs environnementales et sanitaires.
Je me réjouis que l'exécutif ait redit son opposition à l'adoption de l'accord en l'état.
Les accords mixtes sont adoptés après approbation du Parlement européen, décision à l'unanimité du Conseil et ratification par les parlements nationaux. Une adoption contre l'avis de la France serait donc problématique. Nous nous méfions, après l'outrage de la non-ratification du Ceta par le Parlement.
Quelle cohérence y a-t-il entre notre agenda européen interne - avec les contraintes imposées à nos agriculteurs dans le cadre du Pacte vert - et notre agenda international - avec la multiplication des accords commerciaux sans clauses miroirs ni maîtrise des conséquences sur nos filières d'élevage et notre souveraineté alimentaire ?
Pour toutes ces raisons, je vous invite à soutenir cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. Yannick Jadot . - De quoi parle-t-on ? D'un accord dont les négociations ont commencé il y a un quart de siècle, d'un accord dinosaure, d'avant les dégâts de la mondialisation libérale, le dérèglement climatique, l'effondrement de la biodiversité, la guerre en Ukraine, d'un accord du monde d'avant.
En vingt ans de négociation, c'est l'équivalent de la surface de la péninsule ibérique qui a disparu en forêt amazonienne. Les opinions publiques et certains gouvernements avaient arrêté cette négociation. Il est incompréhensible de la reprendre avec Javier Milei, qui surclasse Bolsonaro.
Les effets de cet accord seront dramatiques. Côté Mercosur, l'accord renforcerait un modèle de développement agro-exportateur déséquilibré au détriment de l'industrie et des classes ouvrières. Après le café et le caoutchouc, le Brésil est dans un cycle soja-boeuf.
La question agricole est bien la plus problématique dans cet accord, qui serait un désastre pour notre agriculture et le Pacte vert. Sa mise en place contribuerait au dérèglement climatique, à la mondialisation de la malbouffe, à la contamination chimique de la nature et de nos organismes, à la souffrance animale, à la disparition des paysans.
Les quotas de boeuf importés augmenteraient de 50 %, et pas n'importe quels morceaux - longe, rumsteck, aloyau ! Le boeuf brésilien passerait de 13 à 26 % du marché européen, mettant en danger nos élevages.
J'ai vu au Brésil les effets de la déforestation sur le Cerrado, château d'eau de la région, détruit aux deux tiers : c'est la nouvelle frontière du soja. Pour le protéger, il faut refuser l'accord.
Que dire des conditions de production dans les États du Mercosur, du travail forcé, du semi-esclavage dans les abattoirs, du mépris du bien-être animal ? Sur un demi-millier de pesticides utilisés au Brésil, 150 sont interdits en Europe !
Il faut donc stopper cet accord, qui ne peut pas évoluer, malgré les tentatives de la Commission européenne, dont la lettre interprétative n'a aucune force juridique. L'accord pourrait être suspendu si l'Europe n'importe pas assez de poulet argentin, mais pas au motif de la déforestation ou des droits sociaux...
Le Gouvernement doit exprimer à Bruxelles le refus de la France.
Cette proposition de résolution européenne n'est pas parfaite, (sourires et exclamations amusées à droite) mais nous la voterons avec un immense plaisir. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées à gauche)
M. Christian Redon-Sarrazy . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La présidence espagnole du Conseil avait pour priorité l'aboutissement de l'accord avec le Mercosur, sur la base d'une déclaration interprétative de la Commission européenne dont nous ne connaissons pas la dernière version.
L'exigence de transparence des négociations commerciales conduites au nom de l'Union, obtenue par la France en 2015, doit être maintenue. Cet accord n'est pas plus acceptable qu'en 2019. Il a été négocié sur la base d'un mandat datant de 2000 - dans un contexte économique, commercial et climatique bien différent. Les garanties négociées restent non contraignantes, le non-respect des normes ne fait pas l'objet de clause suspensive.
Il lui faut une assise démocratique. Nous ne devons pas céder aux manoeuvres qui cherchent à scinder l'accord pour s'exonérer de la ratification des parlements nationaux. Je rappelle que malgré les demandes réitérées du Sénat, la ratification du Ceta n'a toujours pas été inscrite à l'ordre du jour...
Monsieur le ministre, la ratification par le Parlement ne doit pas être contournée. À six mois des élections européennes, une telle contorsion antidémocratique nuirait à l'image que les citoyens ont de l'Union...
Comment cette dernière pourrait-elle ratifier un accord d'ancienne génération dépourvu de clauses contraignantes en matière environnementale et sociale ? La France a émis des conditions : que la déforestation importée n'augmente pas, une conformité avec l'accord de Paris et des mesures miroirs. C'est essentiel pour protéger nos productions agricoles d'une concurrence déloyale. Être cohérent, c'est respecter les lignes rouges définies. Ont-elles été prises en compte dans les négociations ?
Depuis 2015, nous avons introduit, de haute lutte, des critères de durabilité dans la politique commerciale commune, pour un commerce plus équitable. Normes RSE, interdiction des produits issus du travail forcé, taxe carbone aux frontières : nous progressons. Nos exigences sont aussi pour les producteurs et travailleurs des pays tiers.
Nous ne parviendrons pas à faire du neuf avec du vieux. Ne rafistolons pas cet accord qui empêcherait l'Union de peser dans les négociations environnementales. Nous soutiendrons la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Yannick Jadot applaudit également.)
M. Pascal Allizard . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Au temps de la mondialisation heureuse, l'Union européenne a entrepris de développer ses échanges avec de nombreuses régions du monde par le biais d'accords commerciaux. Mais sous la pression des événements, les priorités ont changé. Les attentes sociétales des citoyens et consommateurs européens ne sont plus les mêmes. Le commerce intercontinental sans entraves, par transport maritime de masse, est remis en question. Des enjeux de souveraineté, de normes sociales et environnementales, de bien-être animal, de traçabilité sont désormais au premier plan, particulièrement dans le secteur agricole, qu'on ne peut traiter comme n'importe quel autre. Après la crise sanitaire, l'instabilité géopolitique autour du détroit de Bab el-Mandeb rappelle combien les échanges sont sensibles aux événements extérieurs. La guerre en Ukraine a également montré que les denrées alimentaires étaient une arme de la guerre hybride, une force stratégique.
Familier de l'Amérique du Sud, je sais que le Mercosur est un marché attractif. Mais ses États membres n'ont pas les mêmes pratiques que nous. Ne nous mettons pas dans une situation de dépendance, ou de concurrence déloyale. Nos agriculteurs ne déforestent pas les campagnes et n'élèvent pas des dizaines de milliers de têtes de bétail, mais entretiennent les paysages et participent à la vie de nos territoires. Beaucoup se mettent aux circuits courts, tant il est aberrant de faire venir du bout du monde des productions en tous points inférieures aux nôtres.
Mesures miroirs, renforcement des contrôles aux frontières, meilleure association des parlements nationaux sont des demandes adaptées aux enjeux, comme l'exclusion de certaines productions agricoles de ces accords.
Rapporteur d'une proposition de résolution sur le sujet en 2018, j'avais alerté sur les risques pour le boeuf, le sucre ou la banane. Je voterai cette proposition de résolution. Du nouveau Gouvernement, nous attendons de la fermeté dans la défense de nos intérêts à l'international et la sauvegarde de nos filières agricoles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Amel Gacquerre . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le 10 décembre dernier, l'investiture du président argentin Javier Milei assombrissait les perspectives d'avenir d'un accord entre l'Union européenne et le Mercosur : il considère en effet que certains pans, notamment en matière environnementale, sont inacceptables. Impensable de céder et d'introduire de nouvelles distorsions de concurrence pour nos producteurs.
Cette proposition de résolution est donc plus que jamais d'actualité. Les conditions démocratiques, environnementales et sociales ne sont pas réunies. Il est impératif d'oeuvrer pour plus de transparence.
Traçabilité, concurrence non faussée, information du consommateur : ces principes doivent être sanctuarisés. L'absence de mesures miroirs est regrettable. Nous ne pouvons pas imposer à nos agriculteurs des contraintes dont s'exonèrent leurs concurrents, au risque de voir notre pays envahi par les volailles dopées aux molécules de synthèse. Les mesures miroirs doivent être inscrites dans l'accord.
Autre exigence de bon sens : les États membres doivent être davantage associés à l'élaboration de la politique commerciale commune. Il y a la loi, mais aussi l'esprit de la loi : compétence exclusive ne signifie pas exclusion des États membres. Faisons de la politique commerciale commune l'objet de tous.
Le groupe UC souscrit pleinement à cette proposition de résolution et appelle vivement le Gouvernement à la prendre en compte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)
M. Jean-Jacques Panunzi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'accord négocié par la Commission en juin 2019 n'est pas du meilleur intérêt pour la France : c'est surtout un accord voulu par l'Allemagne afin d'ouvrir les vastes marchés sud-américains à son industrie automobile notamment.
Plutôt que d'assumer cette divergence d'intérêts commerciaux, le Gouvernement français a préféré tergiverser.
Premier argument, ou premier prétexte : l'accord ne serait pas suffisamment vertueux sur le plan environnemental. Il conviendrait donc d'obtenir des pays du Mercosur des engagements additionnels en matière de respect de l'accord de Paris et de lutte contre la déforestation. Ces derniers rechignent à accepter le projet de protocole additionnel, mais si l'accord était amélioré, l'argument ne tiendrait plus.
D'où un deuxième argument : les produits agricoles originaires du Mercosur n'obéiraient pas aux mêmes standards. Il faudrait donc inclure des clauses miroirs. Mais ce concept est une invention franco-française, un gimmick jamais entériné par nos partenaires européens, ni a fortiori par les États avec lesquels nous signerions des accords commerciaux. Il se heurte au demeurant à des obstacles tant pratiques que juridiques. La Commission a souligné que des décisions ne pourraient être prises qu'au cas par cas, produit par produit, norme par norme, selon des critères de faisabilité. Il n'est pas étonnant que ce projet n'ait guère progressé.
Le Gouvernement français devrait assumer son opposition ferme à cet accord, sans chercher de prétexte autre que la défense de nos intérêts nationaux. Il est important à cet égard d'empêcher que la Commission ne scinde l'accord, ne mette la France en minorité au Conseil et ne lie la décision à la seule approbation du Parlement européen.
Les clauses miroirs sont un miroir aux alouettes. Pour protéger nos producteurs agricoles de la concurrence déloyale, ne réduisons pas les droits de douane, n'ouvrons pas les contingents tarifaires : c'est plus honnête et plus efficace. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce débat est l'occasion de faire le point sur un sujet auquel la société civile, et le Gouvernement, prêtent une grande attention. Il illustre les efforts de la France pour une politique commerciale européenne plus durable et plus équilibrée, bénéfique à tous, et d'abord aux Français, monsieur le sénateur Panunzi.
C'est un travail de longue haleine entamé dès 2017, concrétisé notamment avec la nouvelle stratégie de la Commission pour une politique commerciale « ouverte, durable et assertive », décliné sous présidence française de l'Union européenne et dans les accords avec la Nouvelle-Zélande, le Chili, le Kenya et les négociations en cours. Entrés en vigueur en 2023, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et le règlement zéro-déforestation sont des avancées majeures.
Le Président de la République a rappelé, à la COP28, sa position constante : cet accord n'est pas acceptable en l'état, car il n'est pas à la hauteur des enjeux climatiques et environnementaux. Nous ne cessons de plaider pour des engagements additionnels contraignants et ambitieux sur le développement durable. Je me félicite de la convergence de vues entre le Gouvernement et le Sénat sur ce sujet.
L'ouverture commerciale reste pourtant nécessaire à l'économie française, pour nos entreprises, pour sécuriser nos approvisionnements ; mais pas au prix d'une hausse des importations en provenance de pays moins-disant sur le plan environnemental.
Les mesures miroirs, sectorielles, sont incluses dans la législation de l'Union et distinctes des accords de commerce : elles appliquent certains standards européens aux produits importés. Rien n'empêche les pays tiers d'exercer leur souveraineté réglementaire ; nous défendons la nôtre.
La proposition de résolution juge les avancées en matière de mesures miroirs insuffisantes. Nous avons pourtant des premiers résultats : l'interdiction d'importer des viandes bovines traitées avec des antimicrobiens, une victoire française, ou des produits portant des traces de deux néonicotinoïdes néfastes pour les pollinisateurs.
Chaque révision sectorielle doit s'accompagner d'un réflexe « mesure miroir » au stade de l'étude d'impact. C'est un travail qui demande du temps : les mesures doivent reposer sur des fondements scientifiques solides. Pour éviter les mesures de rétorsion, il faut laisser aux pays tiers le temps de s'adapter. Nous n'accepterions pas que nos exportations soient soumises à de brusques changements de législation des pays tiers sans période de transition...
Nous ne devons pas craindre un agenda commercial ouvert, tant qu'il reste durable et équilibré. La négociation Union européenne-Mercosur en est l'illustration. Nous ne soutiendrons pas un accord à tout prix.
Mme Cécile Cukierman. - Il faut le refuser, dans ce cas !
M. Stéphane Séjourné, ministre. - On peut s'opposer à cet accord en l'état et, en même temps, (« Ah ! » et marques d'ironie sur les travées du groupe Les Républicains) chercher à approfondir nos liens avec l'Amérique latine, avec laquelle nous partageons les valeurs de l'État de droit.
Le Gouvernement partage vos préoccupations. Il est à l'oeuvre, et émet un avis de sagesse bienveillante à l'égard de cette proposition de résolution. (Mouvements divers à droite et au centre ; Mme Marie Mercier lève les bras au ciel.)
La proposition de résolution est adoptée.
M. le président. - À l'unanimité ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe SER et du GEST)
La séance est suspendue quelques instants.
Face à la prédation du loup, comment assurer l'avenir du pastoralisme ?
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Face à la prédation du loup, comment assurer l'avenir du pastoralisme ? », à la demande du groupe Les Républicains.
Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Le Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) C'est avec une particulière gravité que j'ouvre ce débat, tant la situation est dramatique sur le terrain. Dans les Alpes-Maritimes, sur les neuf premiers mois de 2023, on a dénombré 600 constats d'attaques indemnisables et 1 500 bêtes victimes, ce qui fait de nous le premier département de France en la matière...
La prédation du loup prend de l'ampleur, numériquement et géographiquement. Aucun territoire n'est préservé, plus de cinquante départements sont concernés. Dans les plaines où le loup n'évolue pas en meute, mais isolément, les mesures de prévention n'existaient plus. Autant dire que la question agite beaucoup la ruralité. Mieux que quiconque, chers collègues, vous connaissez la détresse et l'inquiétude que provoque le retour du loup à une telle échelle.
Plusieurs logiques s'affrontent : la survie d'une espèce sauvage protégée et la viabilité du pastoralisme, voire de l'élevage, la décapitalisation n'ayant pas attendu le loup pour se manifester.
Les discours sur la gestion du loup ne sont plus adaptés à la réalité. J'affirme, avec Péguy, qu'il faut toujours dire ce que l'on voit, et surtout, plus difficile, voir ce que l'on voit. Nous le devons à nos concitoyens.
Que voit-on ? Le seuil de préservation de l'espèce lupine était fixé à 500 individus, or on dénombre officiellement 1 104 loups depuis septembre 2023, avec un bond de 198 unités entre juillet et septembre 2023 : l'objectif est plus que doublement atteint.
La Commission européenne elle-même, qui n'est pas une ennemie de la nature, a proposé en décembre de sortir le loup de l'annexe II de la convention de Berne. Or le plan Loup du Gouvernement s'en tient à une réflexion sur l'opportunité d'une telle évolution. Sortons des ambiguïtés et empruntons clairement cette voie ! Faiblir sur le loup, c'est ouvrir la voie pour l'ours, nos collègues des Pyrénées ne le savent que trop bien.
Mme Frédérique Espagnac. - Merci !
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Cela prendra du temps et devra aller de concert avec une révision de la directive Habitat, à l'unanimité des États membres. En attendant, nous devons exploiter toutes les possibilités du droit international et européen. En 2023, une seconde brigade « grands prédateurs » de l'Office français de la biodiversité (OFB) a été installée à Rodez, en sus de celle de Gap. La nouvelle version du plan national d'actions Loup et activités d'élevage contient quelques avancées, notamment sur les protocoles simplifiés de tirs : autorisation de tirs dérogatoires sans attaque préalable ; tirs de défense simple par deux voire trois tireurs, contre un seul auparavant ; tirs des louvetiers sans éclairer la cible au préalable.
Ces mesures s'inscrivent dans la continuité de notre histoire républicaine.
M. Max Brisson. - Très bien !
Mme Dominique Estrosi Sassone. - La Révolution française a créé les primes de destruction du loup, qu'une loi du 3 août 1882 a multiplié par six à huit. En comparaison, le soutien public aux lieutenants de louveterie, entièrement bénévoles, paraît bien maigre. Souhaitons que la mission d'inspection en cours conduise à une meilleure prise en charge de leurs frais.
Sans reproduire les erreurs du passé, ne pourrait-on trouver un meilleur équilibre, reconnaître qu'entre le loup et la brebis, le loup est l'agresseur, la brebis la victime ? Face à la violence de la prédation, les chèques d'indemnisation ne suffiront jamais à apaiser les angoisses d'éleveurs et de bergers soumis à une forme de harcèlement. L'amélioration de leurs conditions de travail doit être notre priorité, à l'aube d'une loi sur le renouvellement des générations, défi majeur de notre agriculture. (M. Vincent Louault acquiesce.) Nos éleveurs ont le droit à la tranquillité et à la sécurité.
Quelle tristesse de voir le pastoralisme réduit à son seul face-à-face avec le loup, alors que la transhumance a été inscrite au patrimoine culturel immatériel de l'humanité à l'Unesco. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; MM. Vincent Louault, Olivier Bitz et Mme Frédérique Espagnac applaudissent également.)
M. Max Brisson. - Bravo !
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Nous devons aboutir à une cohabitation vivable, pour la faune sauvage et pour le pastoralisme. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, SER et du RDSE)
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - (MM. Bernard Buis et Jean-Michel Arnaud applaudissent.) Je suis très heureux de l'organisation de ce débat. Le 6 décembre dernier, la transhumance a été inscrite au patrimoine culturel immatériel de l'Unesco. Résultat d'un long travail collectif, cette inscription permettra de reconnaître le rôle social, économique et culturel de cette pratique et confortera les politiques publiques du plan d'action national Loup, qui sera bientôt publié.
Le sujet du loup ne relève pas entièrement de mon ministère...
M. Max Brisson. - Hélas !
M. Marc Fesneau, ministre. - Toutefois, j'ai souhaité prendre ce sujet à bras-le-corps dès ma prise de fonction, car la prédation est source de grande détresse pour les éleveurs et alimente le sentiment d'abandon de nos agriculteurs. L'indemnisation ne vaut pas quitus. Je sais la désespérance d'hommes et de femmes qui ont investi dans du matériel de prévention, se sont dotés de chiens de protection, qui respectent les règles relatives aux tirs de défense - et ne savent plus comment protéger leurs animaux, faute d'outils adaptés. Le loup est devenu un sujet de tension, symptomatique de l'incompréhension entre le monde urbain et le monde rural.
Après quatre plans Loup visant à protéger strictement une espèce disparue, ce cinquième plan ne pouvait être un simple prolongement. La conservation de l'espèce est désormais assurée : ce ne sont plus les loups qui sont en danger, mais les activités d'élevage ! La population lupine a doublé en cinq ans, le nombre de départements concernés est passé de 31 à 55, 12 000 à 14 000 animaux sont tués chaque année - ovins et caprins, mais aussi bovins, équins, asins.
Le plan recherche un équilibre entre conservation du loup et défense de l'élevage et du pastoralisme. Chacun doit prendre conscience des réalités vécues par les éleveurs, de l'usure, du traumatisme, des crispations dans les territoires. Parfois, la coexistence avec le loup n'est plus compatible avec le maintien de certaines activités d'élevage.
Avec le ministre de l'écologie, nous avons travaillé sur des priorités qui se retrouvent dans le plan 2024-2029. D'abord, mettre le pastoralisme au coeur du plan d'actions. Ensuite, et c'est le noeud du problème, passer du statut d'espèce strictement protégée au statut d'espèce protégée au niveau européen, ce qui permettra de passer de tirs dérogatoires défensifs à des tirs de gestion préventifs.
La France est force de proposition à Bruxelles. La commission environnement du Parlement européen va se saisir de la question fin janvier, pour définir une position commune et réinterroger la convention de Berne. Cela peut paraître long (on le confirme sur les travées du groupe Les Républicains), car cela attend depuis trente ans.
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Effectivement !
M. Marc Fesneau, ministre. - Nous accélérons cependant. C'est la première fois que le plan Loup interroge le statut de l'espèce. Si ce statut évolue, nous pourrons passer à une logique de tirs de prévention, avec des quotas ; intégrer les enjeux liés à la présence du loup sur le front de colonisation, en tenant compte des particularités territoriales, bocagères et parcellaires ; donner un véritable statut aux chiens de troupeau ; simplifier les protocoles de tirs. Le projet de nouvel arrêté de tir qui sera prochainement publié prévoit le passage d'un à deux ou trois tireurs, l'accélération des procédures d'autorisation, la fin de l'éclairage préalable de l'animal par les louvetiers, etc.
Enfin, nous devons mieux anticiper les prélèvements au cours de l'année, en prélevant davantage avant le printemps. Cette année, nous avons abattu 207 loups en situation d'attaque, sur un plafond de 209.
Une circulaire est en préparation pour améliorer les conditions de travail et de formation des louvetiers, qui sont des auxiliaires précieux.
Ce plan est un document d'orientation. Nous changeons de paradigme : il faut protéger le loup...
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Il l'est !
M. Marc Fesneau, ministre. - ... mais nul besoin désormais d'un statut de protection renforcée. Ce qui est en jeu, c'est le maintien du pastoralisme et de l'élevage dans ces zones. Procédure de révision, simplification, non-protégeabilité : voilà ce sur quoi nous allons travailler.
M. Michel Savin. - Et le tourisme !
Mme Maryse Carrère . - Chacun connaît les contraintes du pastoralisme et la détresse des éleveurs face au loup et à l'ours. Je salue la mise en place d'une brigade loup en Aveyron, ou encore le travail entamé sur le statut du chien de protection.
Adoptée par le Sénat en 2013, une proposition de loi de notre ancien collègue Alain Bertrand prévoyait la création de zones d'exclusion du loup, avec un plafond annuel spécifique d'abattage pour une régulation plus efficace des populations.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser l'organisation de la réponse aux problèmes de prédation pour les élevages ? Qu'en est-il des zones d'exclusion prévues en 2013 ? Sont-elles envisagées, ou envisageables ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Sur le plan Loup, j'ai répondu. Sur les zones d'exclusion, je ne suis pas convaincu. Il me semble difficile de déterminer une zone et d'expliquer aux territoires non retenus, à la limite du front de colonisation, qu'ils subiront l'effet débord. Allez dire aux Alpes-Maritimes ou aux Hautes-Alpes que le loup restera chez eux ! (Mme Dominique Estrosi Sassone s'offusque.)
M. Jean-Michel Arnaud. - Absolument !
M. Marc Fesneau, ministre. - Si l'on parvient à changer le statut, nous pourrons augmenter les prélèvements : point de zones d'exclusion, mais des zones de régulation plus forte là où la prédation est plus forte.
M. Bernard Buis . - Entre activités humaines et biodiversité, les cohabitations sont parfois difficiles. Le loup, disparu en France au XXe siècle, est revenu, jusque dans les plaines. L'OFB recense 1 104 loups en 2023, dans 55 départements. Preuve que l'espèce n'est plus en danger d'extinction.
Cette victoire a des conséquences sur nos éleveurs. Comment mieux organiser la coexistence du loup et du pastoralisme ?
Les chiens de protection, éduqués pour la dissuasion, limitent considérablement le nombre d'attaques, mais ne peuvent être utilisés partout. Il faut poser la question de leur statut au regard de la responsabilité civile et pénale des bergers. Ce statut juridique va-t-il évoluer rapidement ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Marc Fesneau, ministre. - Votre département de la Drôme est particulièrement concerné par le problème du loup, symbole d'une biodiversité retrouvée. Il n'est désormais plus menacé, mais le changement de son statut doit être pensé à l'échelle européenne, pour retrouver un équilibre avec l'élevage.
Nous travaillons à une disposition législative sur les patous - pourquoi pas un projet de loi, mais si le Parlement s'en saisit, c'est très bien ainsi. (Mme Dominique Estrosi Sassone approuve.)
Les patous ne doivent plus être soumis aux règles de la divagation. Il faut aussi éviter les poursuites au pénal. Le statut de chien de troupeau n'exonère pas de responsabilité en cas de faute, mais bien dans le cas d'une attitude normale du chien.
Le statut du patou doit également évoluer par rapport aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), car cela crée de la complexité pour les éleveurs.
Aujourd'hui, dans la région Sud, une personne est renvoyée au tribunal pour de tels faits ; ce n'est pas acceptable, alors que c'est l'État qui a demandé aux éleveurs d'avoir de tels chiens.
Mme Frédérique Espagnac . - Chaque jour, les éleveurs subissent des attaques, dont le coût des indemnisations augmente. La directive Habitat et la convention de Berne ont augmenté la présence du loup dans nos territoires, dont les Pyrénées. Les éleveurs ovins et bovins voient des années de sélection génétique anéanties et abandonnent leur activité, alors qu'ils entretiennent 1,5 million d'hectares de prairies naturelles d'altitude.
Le pastoralisme préserve nos paysages. L'inscription récente de la transhumance au patrimoine immatériel de l'Unesco est un premier pas. La Commission européenne a proposé de passer d'espèce strictement protégée à espèce protégée.
Le nouveau plan Loup prévoit de revoir les méthodes de comptage, la facilitation des tirs de défense, l'augmentation des prélèvements en début de saison et des indemnisations plus justes. Quel en sera le financement ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Merci de porter la voix des élus de montagne. Cela fait trente ans que le loup est réapparu, mais c'est la première fois que l'on se préoccupe du pastoralisme...
Il y a longtemps que les départements concernés avouent ne pas savoir gérer l'augmentation des populations. (Mme Dominique Estrosi Sassone le confirme.) Il faut sortir des ambiguïtés et, sans démagogie, reconnaître une espèce remarquable, symbole de la biodiversité, mais qui doit être régulée.
Nous devons arrêter de faire des choses contre les gens. (Mme Frédérique Espagnac acquiesce.) C'est tout le sens du plan Loup : trouver des équilibres. Pour l'instant, c'est notre seul dispositif. Cela représente 40 millions d'euros de crédits de la PAC. L'indemnisation par le ministère de l'environnement atteint, elle, 5 millions d'euros.
Mme Martine Berthet . - Le pastoralisme favorise le bien-être animal, entretient les paysages et, dans mon département de Savoie notamment, les pistes de ski. Mais comment avoir envie de continuer avec 500 constats, dont seulement 300 indemnisés fin 2023 dans mon département, et des dépenses que les éleveurs ne peuvent plus assumer ?
Depuis dix ans, le loup s'en prend aux bovins - 130 tués en Savoie en deux ans. En alpage, ils ne peuvent être protégés comme les caprins ou les ovins. La dernière expérimentation, dans les Bauges, sont des tirs de défense simple, alors que les chiens de troupeau ne sont pas souhaités. Pouvez-vous confirmer la généralisation des tirs de défense simples sans attaque préalable et indemnisation en amont ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Sur les tirs, le statut de l'espèce entraîne des contraintes. Nous procéderons à des simplifications dont, en premier lieu, des décisions plus rapides de tirs. Il faut aussi augmenter le nombre de louvetiers et passer à trois tireurs - voilà ce qui est possible avec le statut actuel.
Dans le plan Loup, la question de la vitesse des indemnisations est posée...
Mmes Dominique Estrosi Sassone et Martine Berthet. - Et les avances !
M. Marc Fesneau, ministre. - Effectivement : pour la trésorerie des éleveurs, il faudrait éviter qu'elles soient versées douze mois après...
M. Pierre Médevielle . - Le plan national d'actions Loup était trop ambitieux, mais la sauvegarde de l'espèce et des troupeaux est difficile à concilier. En Occitanie, c'est un fléau pour les éleveurs de brebis.
En Haute-Garonne, nous cumulons les prédations du loup, de l'ours et du vautour ! Le pastoralisme est un sujet pour l'aménagement du territoire et le maintien de l'activité touristique.
Quid d'un plan de régulation du loup et des autres prédateurs ? Quid de la consultation publique sur le plan 2024-2029 ? À quand une vraie régulation, pour éviter les abattages clandestins ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Dans votre département se conjuguent effectivement plusieurs grands prédateurs, certes, pas de même nature. Nous n'avons pas le problème de dénombrement pour l'ours. Il faut un équilibre, pour que le loup ne se surajoute pas à d'autres éléments. On ne décide pas contre les gens. (Mme Frédérique Espagnac renchérit.)
Nous devons travailler à un dénombrement harmonisé du loup à l'échelle européenne. Notre méthode serait assez performante, mais elle doit être compatible avec celle de nos voisins. Nous avons besoin d'expliquer pour recréer de la confiance auprès des éleveurs. (M. Pierre Médevielle acquiesce.) Le travail est important sur ce sujet.
Mme Sylvie Vermeillet . - Sénatrice du Jura et présidente du comité de massif, j'associe M. Longeot à cette question.
Avec 120 bovins et chevaux tués en deux ans, la prédation du loup est importante, alors que le pastoralisme repousse l'enfrichement, avec le pré-bois typique du Jura, réservoir de biodiversité pour laquelle une politique de l'État et des régions existe depuis plus de vingt ans. Les troupeaux de bovins et de chevaux concernés ne sont pas protégeables. Les clôtures électriques ne peuvent être envisagées.
À quand un zonage des espaces non protégeables ?
M. Marc Fesneau, ministre. - La Franche-Comté est sur un front de colonisation. La question de la non-protégeabilité des espaces doit être posée. J'étais dans le Doubs : avec du parcellaire qui représente 1 000 ou 2 000 mètres carrés, il est évident que ni les patous ni les clôtures ne pourraient protéger ces espaces - sauf à arracher des haies, ce qui pourrait crisper... (M. Guillaume Gontard s'en émeut.) C'est la réalité, monsieur Gontard.
La circulaire est en cours de préparation. Des types d'élevages et de structures agricoles qu'on ne peut protéger seront définis, pour refléter la réalité de la Bourgogne - Franche-Comté.
Mme Sylvie Vermeillet. - Sur l'indemnisation des éleveurs, il faut prendre en compte la valeur génétique des animaux et l'évacuation des carcasses, qui s'ajoute au traumatisme moral.
M. Guillaume Gontard . - Il est frustrant de n'avoir que deux minutes pour ce débat passionnant...
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Et passionné !
M. Guillaume Gontard. - ... mais aux termes mal posés : 50 % de la viande bovine consommée en France est importée. Les mêmes élus Les Républicains, qui prônent le libre-échange, nous expliquent que tous les maux de l'élevage sont de la faute du loup (protestations à droite et au centre) alors que le nombre d'attaques stagne. (On le nie vivement sur les mêmes travées.)
Le dernier plan Loup de Nicolas Hulot semble avoir bien fonctionné pour redynamiser l'élevage ovin et le pastoralisme. Selon la Mutualité sociale agricole (MSA), le renouvellement des exploitations ovines atteint 90 %, contre la moitié pour l'élevage bovin - on atteint parfois 550 %.
Vous avez réussi l'exploit de réunir éleveurs et associations environnementales contre vous ! (Mme Dominique Estrosi Sassone le conteste.)
Les éleveurs font face. Plutôt que de combattre à Bruxelles contre l'inutile déclassement du loup...
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Ce n'est pas inutile !
M. Guillaume Gontard. - ... vous feriez mieux lutter contre les traités de libre-échange et la refonte de l'incohérent mode de calcul de la PAC. Arrêtez la démagogie. (On ironise sur les travées du groupe Les Républicains.) Comment assurerez-vous réellement la survie du pastoralisme ?
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Taclez-le !
M. Marc Fesneau, ministre. - M. Gontard, vous êtes dans un des départements les plus prédatés...
Mme Frédérique Puissat. - Absolument !
M. Guillaume Gontard. - Cela fait 25 ans qu'on attend des réponses !
M. Marc Fesneau, ministre. - Quand vous êtes attaqué quinze fois par an, vous avez envie de continuer ? Vous mobilisez les populismes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Vincent Delahaye. - Absolument !
M. Marc Fesneau, ministre. - Je veux qu'il y ait des conditions réalistes. La démagogie est de votre côté. Quand on ajoute au changement climatique une pression du loup excessive...
M. Guillaume Gontard. - On supprime alors ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Arrêtez la caricature ! On doit changer le statut de l'espèce. (Mme Dominique Estrosi Sassone renchérit.) Il y a des zones où la pression lupine est très forte, où la friche progresse.
M. Guillaume Gontard. - Cela fait 25 ans qu'on attend !
M. Marc Fesneau, ministre. - Quand vous aurez des friches et des incendies, qu'aurez-vous gagné en biodiversité ?
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Rien !
M. Guillaume Gontard. - Absolument !
M. Marc Fesneau, ministre. - Changez de posture. Si nous arrivons à travailler ensemble, nous pourrons travailler sur les autres sujets. Le traité avec le Mercosur n'existe pas aujourd'hui. Un peu d'humilité ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
Mme Cécile Cukierman . - Il faudrait parler des éleveurs victimes d'attaques : cela freine l'installation des jeunes en zone de montagne. Les préjudices sont directs, mais aussi indirects - stress, avortements animaux, gestion des cadavres...
Le statut du loup empêche une véritable politique d'élevage. Il faut un véritable statut pour les patous, dont la multiplication pose problème avec la coexistence avec les touristes, mais aussi avec les élus. Pour un randonneur non averti, ces chiens ressemblent à des loups.
La méthode de comptage des loups demeure discutable. Il y va de l'avenir de l'élevage, de la souveraineté alimentaire, de l'aménagement du territoire : la fin du pastoralisme, c'est la fermeture des territoires. (Mme Dominique Estrosi Sassone le confirme.)
Êtes-vous d'accord avec la saisine directe des louvetiers, la prise en charge du ramassage des carcasses et un statut du chien de protection ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Frédérique Espagnac applaudit également.)
M. Marc Fesneau, ministre. - Plus de 6 500 chiens protègent les troupeaux, créant des tensions avec les randonneurs ou avec des élus qui préfèrent ne plus mettre à bail certaines zones, par peur du risque de morsure. Il faut former ces chiens et sélectionner la lignée génétique.
Il existe un fort risque de fermeture des espaces, s'ils ne sont plus pâturés, avec des conséquences dans un contexte de changement climatique. (M. Guillaume Gontard le déplore.)
Il faut changer le statut de l'espèce pour renforcer le rôle des louvetiers et permettre des amodiations.
Actuellement, on indemnise la perte de l'animal visible. Le nouveau plan Loup prendra mieux en compte les coûts indirects, tels que la perte génétique ou les avortements.
Mme Cécile Cukierman. - Cela compte aussi !
M. Marc Fesneau, ministre. - Tout à fait.
M. Denis Bouad . - Nous sommes confrontés à la difficulté d'appuyer nos débats sur des données fiables et acceptées par tous. Le risque est la désertification des espaces reconquis par le loup. Le pastoralisme participe de l'entretien des espaces ruraux. Dans nos Cévennes, classées au patrimoine mondial de l'humanité pour leur agropastoralisme, les petites exploitations peuvent perdre jusqu'à un quart de leur cheptel.
Rien ne compense le traumatisme des « morsures invisibles » de l'éleveur face aux cadavres de ses bêtes. Il faut cibler les prélèvements sur les meutes qui ont intégré l'attaque des troupeaux dans leurs habitudes alimentaires.
M. Marc Fesneau, ministre. - La question centrale est celle de la compatibilité. La réponse dépend d'un changement de statut du loup. En 2023, des départements ont connu beaucoup plus d'attaques qu'en 2022 : attention aux caricatures, monsieur Gontard.
Peut-on arriver à zéro prédation ? On n'en est pas là ; il faut les diminuer. Le loup est un grand carnivore : nous n'allons pas le rendre végétarien ! (Rires) Je l'ai entendu...
Il y a des techniques qui pourraient permettre une adaptation. Dans certaines zones, les attaques sont telles que le loup et le pastoralisme ne sont plus compatibles.
M. Max Brisson . - Dans les Pyrénées-Atlantiques aussi, on s'inquiète de la pérennité du pastoralisme, associé à une identité qui s'est manifestée sur les Champs-Élysées il y a deux ans, avec le Premier ministre Jean Castex.
Les éleveurs s'interrogent sur une réglementation trop complexe et sur les critères des zones difficilement protégeables, qui reposent sur la densité ovine, ce qui ne répond pas aux pratiques d'élevage en plein air. Le Gouvernement adaptera-t-il ces critères ?
Recrutera-t-on et formera-t-on davantage en louveterie ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Il faut former plus de louvetiers et les doter de lunettes thermiques. Ils ont aujourd'hui cependant un matériel plus performant qu'il y a quelques années - je l'ai constaté.
Il faut se confronter à cette réalité : les exigences ne peuvent pas être les mêmes selon les types d'élevage. Nous devons nous pencher sur ce que font les Allemands et les Italiens.
Quant aux tirs de défense, en janvier de cette année, nous allons commencer à discuter du changement de statut de l'espèce.
M. Max Brisson. - Nous devons envoyer un message clair pour rassurer les bergers : dans nos montagnes, le pastoralisme est une nécessité, un mode de vie, une économie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Yves Bleunven applaudit également.)
M. Jean-Michel Arnaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Dans le Champsaur, vous avez constaté la détresse de nos éleveurs. J'associe Loïc Hervé à ma question : dans son département de Haute-Savoie, 855 ovins ont été tués. Non, le loup n'est pas vegan !
Le Sénat proposait de décider des abattages par arrêté préfectoral, non pour augmenter le nombre de prélèvements, mais pour les répartir d'une façon plus adaptée aux réalités du terrain. Pourriez-vous reprendre l'idée à votre compte ?
Comment le Gouvernement anticipe-t-il l'évolution du statut du loup au niveau européen ? (M. Philippe Folliot applaudit.)
M. Marc Fesneau, ministre. - Je me souviens de ma rencontre avec les éleveurs. Il faut effectivement changer de logique pour prendre en compte l'élevage.
J'ai un doute sur le zonage : bon courage à ceux qui feront la carte ! Certains vivront comme une injustice d'être exclus. De plus, tout cela dépend du statut de l'espèce.
Là où il y a plus de prédation, il n'est pas illogique qu'il y ait plus de tirs, pour relâcher la pression. Mais la profession agricole est dubitative sur le zonage : que dit-on aux départements sans loup aujourd'hui, mais qui risquent d'en avoir demain ?
M. Jean-Michel Arnaud. - Ma question portait sur le pouvoir donné aux préfets ! Il existe des zones sans prélèvements avec des élevages au sein des parcs nationaux, comme celui des Écrins.
M. Michaël Weber . - Depuis décembre, la transhumance est classée au patrimoine mondial de l'Unesco. Or le loup n'est pas le seul ennemi du pastoralisme : concurrence, difficultés d'exercice, manque d'attractivité...
Mais le retour du loup a un coût humain qui n'entre pas dans le modèle économique. L'aide de l'État est indispensable pour une cohabitation durable. Il faut aller plus loin pour compenser les surcoûts de protection : gardiennage de nuit, chiens, clôtures.
L'abaissement du statut de protection mérite une étude d'impact plus importante, par exemple en matière d'aides aux éleveurs. La possibilité de chasser le loup ne doit pas justifier un retrait de l'État.
Pouvez-vous nous confirmer qu'il n'en sera rien ? Comment anticiper dans les secteurs qui ne sont pas encore concernés ?
M. Marc Fesneau, ministre. - La Commission prendra sa décision en se fondant sur des analyses scientifiques. Elle nous a demandé de fournir des éléments. Le loup ne deviendra pas une espèce chassable, mais passerait de très protégée à protégée - cela n'exclut donc pas les mesures de protection.
Les éleveurs posent une question qui n'est pas illégitime : pourquoi est-ce la PAC qui les paie ? Cela apporte des lenteurs auxquelles il faut remédier en travaillant sur les indemnisations, la protégeabilité et la rapidité d'exécution.
M. Fabien Genet . - Je salue l'excellente initiative de Dominique Estrosi Sassone et sa citation de Charles Péguy, qui écrivait aussi : « Une capitulation est essentiellement une opération par laquelle on se met à expliquer au lieu d'agir. »
Nos éleveurs craignaient une telle capitulation : capitulation en matière de souveraineté, capitulation face à ceux qui utilisent la biodiversité pour les attaquer, capitulation face à l'impossibilité de changer le statut du loup. Mais reconnaissons que leur mobilisation et la vôtre nous donnent l'espoir d'une action. Vous êtes venus à Cluny, en Saône-et-Loire, sur un front de colonisation où le loup a tué des ovins, mais aussi des bovins et des équins. Les clôtures ne sont pas adaptées au bocage : on ne peut pas à la fois préserver les haies et les électrifier.
Les chiens patous ne peuvent pas non plus franchir ces haies, et les louvetiers hésitent souvent à appuyer sur la gâchette, de peur que les conditions ne soient pas toutes réunies.
M. Marc Fesneau, ministre. - Je me souviens qu'un loup très prédateur a été prélevé sur la zone.
M. Fabien Genet. - Il a été blessé !
M. Marc Fesneau, ministre. - Manifestement il ne fait plus de dégâts.
M. Fabien Genet. - Il continue...
M. Marc Fesneau, ministre. - Ensuite, c'est après nos échanges à l'été dernier que le constat a été fait qu'il y avait des zones non protégeables. Nous sortons de la déclaration pour entrer dans l'action. Nous ne pouvons enchaîner sur un cinquième plan Loup identique.
Avec Christophe Béchu, nous sommes parvenus à un point de convergence pour conjuguer la biodiversité et la conservation d'activités, qui sont cruciales, non seulement pour la souveraineté alimentaire, mais aussi pour la biodiversité elle-même.
Mme Anne Ventalon . - Anxiété, difficultés et risques, voilà ce que représente le loup pour nos éleveurs.
Malgré leur détresse, les éleveurs n'ont eu de cesse d'adapter leurs pratiques, notamment par l'emploi de patous pour dissuader les prédateurs - mais ces chiens perçoivent toute présence comme une menace, y compris les promeneurs, ce qui cause des incidents.
Le plan Loup propose un nouveau statut des chiens de troupeau : quels sont ses contours ? Sera-t-il effectif dès le printemps ? Malgré les conseils des professionnels, des promeneurs sont mordus. Après ces incidents, certains maires ont même été entendus par la gendarmerie. Ils sont inquiets. (Mme Cécile Cukierman le confirme.)
Comment le Gouvernement entend-il appliquer l'article L. 211-11 du code rural et de la pêche maritime, selon lequel les maires sont responsables des chiens dangereux ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Cette question fait écho à celle de Mme Cukierman. Le plan Loup prévoit d'inclure le chien patou comme un chien de travail. Ils ne seraient plus considérés comme divaguant lorsqu'ils sont autour des troupeaux. Cela écarterait des dispositions pénales. Nous essaierons d'aller assez vite sur un sujet qui semble faire consensus.
M. Guillaume Gontard. - Cela fait quinze ans qu'on en parle !
M. Marc Fesneau, ministre. - La saison va arriver. En région Sud, j'ai encore été saisi d'un tel incident.
M. Cyril Pellevat . - Je rends hommage à Dolly, poney de la présidente de la Commission européenne, tué en Basse-Saxe par un loup le 7 septembre 2022, ce qui l'a convaincue de revoir le statut du loup, avec une proposition de la Commission européenne le passant de l'annexe II à l'annexe III de la convention de Berne.
Cette modification est nécessaire pour prendre les mesures qui s'imposent et préserver le pastoralisme. Pourtant, en juillet 2020, la Commission européenne m'avait répondu qu'il n'en était pas question.
Je regrette la mort du poney Dolly, mais je me réjouis qu'il ait permis de faire changer d'avis la commission. Soutiendrez-vous cette proposition de déclassement du loup au Conseil ?
M. Marc Fesneau, ministre. - J'accepte toutes les conversions, même tardives, quelles qu'en soient les causes.
En juillet 2022, sur les 27 États membres, 26 étaient sur la ligne portée par la France, l'Autriche et l'Italie.
Fin janvier, le Conseil Environnement se prononcera à la majorité simple. À Berne, il faudra ensuite une majorité des deux tiers. Cela reviendra enfin au Conseil Environnement, où il faut l'unanimité. D'ici juin, il pourrait donc y avoir une évolution.
Pour que la Commission, qui a été rugueuse sur ces sujets, change d'avis, c'est bien que les données scientifiques sont claires.
M. Cyril Pellevat. - Nous sommes deux fois plus haut que le seuil de viabilité, qui est à 500. Il faut agir pour nos paysans, qui souffrent sur le terrain.
M. Jean-Claude Anglars . - Avec 1 104 loups en France, le seuil de viabilité démographique, fixé à 500, est en effet dépassé. Son aire s'est étendue. Le loup n'est donc plus menacé de disparition, alors que 55 départements sont touchés.
Le loup a un impact défavorable sur la santé des éleveurs. En Aveyron, l'Aubrac et le Larzac sont touchés - le département compte 200 000 vaches et un million de brebis. Avec le préfet et le département, nous avons établi un plan Loup, avec l'arrivée de la brigade loup à Rodez. Il faut équiper les louvetiers d'armes munies de lunettes de vision nocturne, autoriser le prélèvement de meutes et revoir le statut des lieutenants de louveterie sur la base de celui des sapeurs-pompiers volontaires. La modification du statut du loup est essentielle.
Vous inspirerez-vous de l'expérience de l'Aveyron ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Nous devrons être collectivement vigilants pour que le plan se déploie dans les conditions prévues. Je compte sur vous pour nous aider en veillant à ne pas ajouter de nouvelles contraintes.
Dans des zones comme l'Aveyron, la colonisation du loup déstabilise des filières très organisées. La question du statut de l'espèce est posée.
Rien n'empêche que certains éleveurs soient aussi lieutenants de louveterie - il y en a dans mon département. Mais ne perdons pas de vue que prélever une espèce protégée est un exercice particulier.
Le travail que nous menons avec les organisations professionnelles et les services de l'État est complexe. Chacun y met du sien, et je salue celles et ceux qui sont au quotidien aux côtés des éleveurs pour atténuer leur détresse et expliciter le comptage. Ce ne sont pas les agents de l'OFB qu'il faut vilipender ; c'est nous, éventuellement.
Statut, déploiement du plan Loup, simplification : c'est le chemin pour redonner de la confiance aux éleveurs.
M. Jean Bacci, pour le groupe Les Républicains . - Le pastoralisme est un vecteur de développement économique ; il contribue à notre souveraineté alimentaire et à la valorisation de nos territoires - les AOC, de l'agneau de Sisteron aux filières laitières savoyardes, sont particulièrement menacées par la prédation du loup.
Sur les territoires de forte prédation, le plan national d'actions (PNA) prévoit la possibilité de tirs sans attaque préalable ni mise en oeuvre de moyens de protection et de tirs de défense simplifiés : je salue cette position courageuse.
Terres d'estives et de transhumances, nos territoires doivent acquérir un statut de zones pastorales inscrit dans les documents d'urbanisme. Quant au sylvopastoralisme, il contribue à protéger la forêt face au risque incendie. Nos éleveurs ont besoin d'espaces de pâturages, mais doivent délaisser certaines zones à cause du risque de prédation : quel paradoxe...
Le conflit d'usages lié aux activités de plein air pratiquées en présence du chien de protection contraindrait l'accès aux estives, si nous n'engagions pas une campagne d'information digne de ce nom, relayée sur place par des médiateurs en période d'affluence touristique.
Nous souffrons d'un déséquilibre de communication : quand le loup tue des dizaines de bêtes, nous tournons la tête pour ne pas voir le carnage, insoutenable.
Entre positions idéologiques et enjeux qui ne sont plus à démontrer, la position de l'État ne doit souffrir d'aucune ambiguïté : elle ne doit plus être consensuelle par peur du procès, mais refléter la réalité vécue sur les territoires colonisés. La position d'un établissement public de l'État ne doit laisser aucune place aux postures militantes, incompatibles avec l'impartialité nécessaire à l'exercice de missions de police.
Le PNA aborde, pour la première fois, l'enjeu de la maîtrise de la population. Comptage, recensement des attaques, traitement des indices, délai pour les autorisations de tir : la question de la crédibilité des opérateurs et de la fiabilité des indications se pose. Peut-être aussi faudra-t-il, un jour, analyser les conséquences de la présence du loup sur la biodiversité.
La modification du statut du loup est engagée, et je ne puis que soutenir la volonté du ministre de l'agriculture de porter le débat à l'échelle européenne en vue de modifier la Convention de Berne et la Directive habitats. Le chemin est long et son issue, incertaine ; mais les États sont souverains pour déterminer le taux de prélèvement, sur la base de données objectives de conservation.
Le 20 décembre dernier, notre collègue Laurent Duplomb a cité la présidente de la Commission européenne : « La concentration de meutes de loups dans certaines régions d'Europe est devenue un véritable danger pour le bétail et, potentiellement, pour l'homme. »
Ainsi, Marc, chasseur varois que j'ai rencontré la semaine dernière, a eu le malheur de croiser le chemin d'un loup qui l'a attaqué. Terrifié, il n'a eu que le réflexe de tirer en l'air pour le faire fuir. Ce loup avait, la veille, attaqué un troupeau et dévoré son patou - ce que l'OFB, étrangement, semble avoir oublié. Inquiet que l'animal ne croise une famille, Marc alerte la gendarmerie. Et la machine administrative et judiciaire s'emballe, folle d'absurdité : on lui fait peur, l'intimide, le traite d'affabulateur. Il est même convoqué par l'OFB pour tentative de destruction d'espèce protégée ! Sur les caméras placées près du troupeau attaqué quelques heures plus tôt, on voit les loups, tranquillement assis devant la clôture, en train de choisir les bêtes dont ils vont se délecter...
Jeudi dernier, un troupeau a été attaqué à 250 mètres du lycée agricole d'Hyères, fréquenté par 1 700 élèves. Je vous laisse imaginer l'émoi des parents.
Il est grand temps de faire évoluer nos positions, avant que l'inéluctable ne se produise ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Frédérique Espagnac applaudit également.)
La séance est suspendue quelques instants.
Réforme du marché de l'électricité
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur la réforme du marché de l'électricité, à la demande du groupe Les Républicains.
M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains) Depuis cinq ans, le prix de l'électricité ne cesse d'augmenter en Europe, sous l'effet de plusieurs facteurs : reprise de l'économie mondiale, guerre lancée par la Russie contre l'Ukraine, indisponibilité des parcs nucléaire et renouvelable. Entre 2019 et 2023, le prix moyen du kilowattheure est passé de 21 à 29 centimes.
Face à cette hausse, la Commission européenne a lancé le plan REPowerEU, destiné à rendre l'Europe indépendante des hydrocarbures russes avant 2030 et à optimiser l'organisation du marché de l'électricité. Le 14 mars dernier, elle a présenté un paquet législatif composé d'un règlement améliorant l'organisation du marché de l'électricité, d'un autre prévenant la manipulation du marché de gros et d'une recommandation sur le stockage de l'énergie. Cette réforme a fait l'objet d'un accord en trilogue voilà un mois.
Avec Claude Kern, j'ai fait adopter par notre assemblée, le 19 juin dernier, une résolution commune aux commissions des affaires européennes et des affaires économiques : le Sénat y prend une position claire sur l'intérêt, mais aussi les limites, de ce paquet.
D'abord, la réforme du marché européen de l'électricité doit viser la complétude. Or si la réforme annoncée permet le développement d'un marché de long terme, elle restera sans effet dans l'immédiat, faute de remise en cause du principe du coût marginal, qui lie le prix de l'électricité à celui du gaz. Il faut aller plus loin !
Ensuite, la réforme doit respecter le principe de neutralité technologique. Les contrats pour différence doivent couvrir tous les aspects des projets nucléaires et englober toutes les énergies renouvelables, dont l'hydroélectricité. Les contrats d'achat d'électricité doivent, eux aussi, bénéficier aux énergies renouvelables comme au nucléaire. L'article 194 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne consacre en effet le droit de tout État de définir son mix énergétique. À cet égard, je salue l'accord conclu en trilogue, cohérent avec la position du Sénat.
Par ailleurs, cette réforme doit viser la protection des consommateurs. À cette fin, les États doivent bénéficier de toute latitude pour intervenir, au-delà des situations de crise. Il faut contrôler les fournisseurs, élargir les tarifs réglementés de vente et préférer les contrats à prix fixe.
En outre, la réforme doit respecter les compétences des autorités nationales, en vertu de la subsidiarité. Il est ainsi malvenu que certains pouvoirs de régulation, d'enquête et de sanction soient transférés à une autorité européenne.
Enfin, cette réforme doit promouvoir le stockage de l'électricité, de l'hydrogène aux batteries, pour pallier l'intermittence croissante du système et faire face à l'électrification massive des usages.
Ainsi complétée, la réforme du marché européen de l'électricité est indispensable pour protéger les consommateurs, renforcer la compétitivité des entreprises européennes et financer les investissements dans la transition énergétique, en vue d'atteindre les objectifs climatiques de l'Union européenne, dont la réduction de 55 % de nos émissions d'ici à 2030.
Le Gouvernement s'engage-t-il à défendre ces positions ? Quand les nouvelles règles seront-elles intégrées en droit national ? On nous annonce le dépôt prochain d'un projet de loi sur la souveraineté énergétique : monsieur le ministre, confirmez-vous l'actualité de ce texte, attendu pour fixer notre cap énergétique ?
Je ne vous cache pas mon intérêt, mais aussi ma déception, à la lecture de l'avant-projet de loi : seulement deux articles programmatiques sur seize. Pourtant, lors de l'examen de la loi Énergie-climat en 2019, notre commission des affaires économiques a fixé le principe d'une loi quinquennale, afin de consacrer dans ce domaine essentiel la préséance du Parlement sur le Gouvernement, de la politique sur la technique. Cette loi aurait dû être adoptée avant le 1er juillet dernier...
Nous regrettons aussi les lacunes du texte, car la loi quinquennale doit traiter de l'ensemble des enjeux, du mix à la rénovation. Les objectifs doivent courir jusqu'en 2033 pour l'énergie, 2038 pour le carbone.
Le Gouvernement se contente d'actualiser les objectifs de réduction des émissions et de la consommation, renvoyant le reste au règlement. Pire, il propose l'abrogation pure et simple d'une dizaine d'objectifs adoptés sur l'initiative de notre commission en matière d'hydroélectricité, d'hydrogène, d'agrivoltaïsme ou d'éolien en mer. Cette impasse sur les énergies renouvelables est incompréhensible au regard de nos engagements européens...
En matière nucléaire, si un objectif de construction équivalant à six EPR2 est envisagé d'ici à 2026, le reste demeure flou. Rien sur les délais, les technologies et les financements : que d'incertitudes, à l'heure de la relance du nucléaire !
S'agissant de la création d'un versement nucléaire universel en remplacement de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (Arenh), nous avons besoin d'une étude d'impact étoffée pour en mesurer les conséquences sur les prix pour les consommateurs comme sur les recettes d'EDF.
En ce qui concerne l'habilitation à légiférer par ordonnance sur les concessions hydroélectriques, il est crucial de connaître l'intention du Gouvernement. La Commission européenne est-elle prête à passer d'un régime de concession à un régime d'autorisation ? Et pourquoi déstabiliser la concession de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), prorogée de vingt ans en 2022 ?
Entendez-vous corriger le tir avant le dépôt du texte ? À défaut, nous y veillerons. Car la décarbonation de notre économie suppose objectifs clairs et moyens suffisants. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique . - Je me réjouis de débattre avec vous et salue le travail remarquable accompli par Agnès Pannier-Runacher, en particulier autour de l'accord, décisif, sur le marché européen de l'énergie.
Je profite de cette première intervention sur l'énergie pour vous faire part d'une conviction forte : l'énergie est le grand défi économique du XXIe siècle. En le relevant, nous renforcerons notre indépendance, offrirons à nos concitoyens et nos entreprises une énergie décarbonée au coût le plus faible possible et ferons de notre nation la première économie décarbonée en Europe d'ici 2040.
Nous mènerons à cette fin une stratégie globale et cohérente, dans le prolongement du discours tenu par le Président de la République à Belfort.
Le premier pilier de notre stratégie consiste à réduire notre dépendance aux énergies fossiles : 60 % de notre consommation en est encore issue, alors que nous n'en produisons pas. C'est une vulnérabilité climatique et géopolitique - voyez l'invasion de l'Ukraine ou les blocages en Mer rouge -, mais aussi économique et financière, car nous sommes à la merci d'une envolée du baril ou du gaz. Le souci d'indépendance commande de réduire autant que possible la part des énergies fossiles dans notre économie.
Mesurons bien l'enjeu : d'ici à 2050, nous devons porter de 27 à 55 % la part de l'électricité dans notre mix énergétique. Ce doublement de nos capacités en une vingtaine d'années est un défi industriel inédit depuis quarante ans.
Nous devrons accélérer le déploiement de l'éolien, terrestre et off-shore, et du photovoltaïque, construire six nouveaux EPR, investir dans l'hydrogène et le réseau électrique. Pour toutes ces énergies complémentaires - jamais je ne les opposerai les unes aux autres -, le défi industriel est considérable.
Le défi financier ne l'est pas moins : nous avons déjà prévu 7 milliards d'euros pour 2024. Il faudra aussi mieux mobiliser l'épargne privée et instaurer l'union des marchés de capitaux européens pour lever les sommes nécessaires.
Le deuxième pilier de notre stratégie est la réindustrialisation. Nous devons produire en France les pales d'éolienne, les panneaux solaires, les réacteurs et les turbines dont nous avons besoin. Climat et réindustrialisation ont partie liée. La transition climatique est une opportunité unique d'effacer quarante années de désindustrialisation : le climat, ce sont des usines et des emplois.
La loi pour l'industrie verte, largement soutenue par le Sénat, instaure un crédit d'impôt vert, à l'instar de ce qu'ont fait les Américains avec l'Inflation Reduction Act. Il s'agit d'encourager la production en France, avec des technologies françaises. Regardons les faits : la transition climatique nous a permis d'ouvrir une nouvelle chaîne de valeur industrielle dans notre pays : les batteries électriques, avec une filière parmi les plus performantes en Europe.
Nous avons mis en place aussi des instruments financiers, dont les obligations vertes, pour lesquelles 5 milliards d'euros sont prévus cette année. Les soutiens aux exportations d'énergies renouvelables ont été multipliés par treize entre 2018 et 2022.
Le climat est ainsi le moyen de réindustrialiser enfin notre nation. Nous avons déjà des résultats. Maintenant que l'énergie est dans le périmètre du ministère de l'économie et des finances, nous allons accélérer notre décarbonation et réussir le défi de l'électrification.
Notre troisième pilier, c'est la sobriété et l'efficacité énergétique. J'accepte toutes les critiques...
M. Fabien Gay. - Merci !
M. Bruno Le Maire, ministre. - ... mais il n'est pas question d'abandonner cet objectif. Nous devons réduire de 40 à 50 % la consommation d'énergie par rapport à 2021 en luttant contre le gaspillage. Nous renouvellerons le plan de sobriété de 2022, qui a entraîné une baisse de 12 % de la consommation de gaz et d'électricité en douze mois. Être efficace, c'est aussi récupérer la chaleur des usines - je pense à ArcelorMittal, qui approvisionne 40 % du réseau urbain de Dunkerque.
Il y a un quatrième pilier, auquel je tiens beaucoup quoiqu'on en parle moins.
M. Fabien Gay. - Le marché !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Le marché européen - communistes et gaullistes auront toujours partie liée... (Mme Cathy Apourceau-Poly rit.)
Rien ne sert de décarboner notre économie si nous exposons nos industries à des concurrents qui n'ont pas fait ce travail. Produire des éoliennes ou de l'hydrogène en France est plus vertueux, mais plus cher. Le marché européen doit donc se protéger - je n'hésite pas à employer le mot. Les États-Unis et la Chine le font.
Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières compensera les écarts de prix entre productions vertueuses et productions moins coûteuses.
M. le président. - Vous avez dépassé de beaucoup votre temps de parole...
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je termine sur l'Europe, pour ne pas froisser mes amis communistes... (Sourires)
Dans le cadre du Net-Zero Industry Act, un contenu européen sera prévu dans les appels d'offres et marchés publics. Il s'agit encore d'un tabou, mais la France doit le briser. Nous devons exiger que 50 %, par exemple, de la dépense bénéficie réellement à des pays européens.
Je vous remercie pour votre mansuétude, monsieur le président, et me réjouis de répondre aux questions.
M. Bernard Buis . - Depuis 2021, notre économie fait face à l'augmentation des coûts des énergies fossiles, aggravée par la guerre en Ukraine. Mais les hausses pour les consommateurs auraient été plus importantes sans le bouclier tarifaire.
L'Union européenne a enfin trouvé un accord sur la réforme du marché de l'électricité. Cette réforme nécessitera des investissements, notamment dans l'énergie nucléaire. Comment permettra-t-elle de mieux protéger nos concitoyens ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Cette réforme était indispensable. Pendant la crise énergétique, nous avons protégé les ménages et les entreprises face à l'augmentation des prix, je vous remercie de l'avoir rappelé ; mais nous ne pourrons pas le faire à chaque fois.
La réforme que nous avons obtenue - je salue une fois encore le travail d'Agnès Pannier-Runacher - repose sur trois principes clés : visibilité, stabilité, compétitivité. Visibilité, car toutes les entreprises de moins de dix salariés seront concernées par le tarif régulé. Stabilité, car nous pourrons redistribuer l'argent gagné par EDF pour compenser une explosion du prix de l'électricité. Compétitivité, enfin, car les contrats de long terme sécuriseront pour les entreprises un tarif stable et raisonnable, en sorte que nous garderons un atout décisif en la matière - il y a quelques jours, entre cinq sites, Mittal a choisi la France.
M. Franck Montaugé . - Le Gouvernement n'a pas abordé, ou peu, le financement du nouveau nucléaire. Il faudra 150 milliards d'euros pour les quatorze réacteurs annoncés par le Président de la République.
EDF ne peut recourir à l'autofinancement, et sa capacité d'endettement est très limitée. Quels sont les dispositifs permis par l'Union européenne que le Gouvernement privilégiera ?
L'Union européenne promeut les contrats sur différence (CFD) et les Power Purchase Agreements (PPA). Comment allez-vous les utiliser pour les investissements nucléaires ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - La montée en charge sera progressive : 1 à 2 milliards seulement seront nécessaires d'ici à 2027. Il y aura évidemment un soutien de l'État, mais il faut aussi garantir la rentabilité d'EDF, qui doit se désendetter et investir. D'où ma position d'équilibre dans la négociation des tarifs.
M. Franck Montaugé. - Vous n'avez pas tout à fait répondu à ma question.
Construction des centrales, maintenance, démantèlement, recyclage des combustibles : le Gouvernement peut utiliser notamment les emprunts souverains et une base d'actifs régulés. Ces techniques sont plus ou moins coûteuses, et un arbitrage politique est nécessaire entre la contribution publique, celle des partenaires potentiels et celle des consommateurs.
Dans le cadre européen du nouveau marché et de la taxonomie verte, les modalités de financement du nucléaire auront un impact fort sur le prix payé par le consommateur français. Il doit être le plus régulé possible pour protéger nos compatriotes et notre industrie.
Le Gouvernement doit engager rapidement un débat de fond avec le Parlement sur ce sujet.
M. Guillaume Chevrollier . - Les enjeux de cette réforme ne sont pas mineurs : assurer un prix de l'électricité stable et abordable, au service de notre compétitivité.
Dans un contexte de réindustrialisation et de décarbonatation, de manque de visibilité sur les prix et de concurrence internationale agressive, l'Union européenne est parvenue à un accord sur le marché de l'électricité. Nous pouvons nous en réjouir, mais certaines interrogations demeurent.
Les PPA sont une bonne nouvelle pour nos entreprises, notamment électro-intensives. Mais il semble juste que ce mécanisme soit appliqué à l'ensemble du tissu industriel. Cette extension éviterait les distorsions de concurrence et permettrait à notre industrie de gagner en compétitivité et d'aborder plus sereinement la transition énergétique. Je pense notamment à l'industrie chimique, qui envisage de réduire de 41 à 49 % ses émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030.
Le Gouvernement envisage-t-il de généraliser les contrats de long terme en cours de négociation ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je vous le confirme : les contrats s'étendront à toutes les entreprises.
Les électro-intensifs auront des contrats de très long terme, de l'ordre de quinze ans - le premier a été conclu par ArcelorMittal. Seules les très grandes entreprises peuvent verser l'avance de trésorerie prévue. Ce système est extrêmement vertueux.
Pour les autres entreprises industrielles, le contrat sera moins long - de trois à cinq ans -, mais l'objectif identique : un prix moyen de l'ordre de 70 euros le mégawattheure.
M. Christopher Szczurek . - Le marché européen de l'électricité porte une atteinte déterminante à la souveraineté de la France et au pouvoir d'achat de nos compatriotes.
Grâce aux gouvernements gaullistes, la France avait développé un système cohérent fondé sur le nucléaire et l'hydroélectricité, assurant l'indépendance du pays. Face aux dogmes européens libéraux, nous avons dû intégrer un marché technocratique et incompréhensible pour beaucoup. Les crises récentes ont démontré les vices de ce système.
Le Gouvernement s'est félicité de l'accord européen obtenu au forceps, mais les prix de l'électricité augmenteront de 10 % début février pour nos compatriotes, déjà étranglés, tandis que le Portugal et l'Espagne ont su décrocher temporairement du marché européen.
Le Gouvernement, lui, s'entête. Pourquoi refuser un tel décrochage temporaire, qui donnerait une bouffée d'oxygène aux Français ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - J'entends les critiques sur le marché européen. Nous l'avons réformé, au terme d'une bataille difficile. La réforme vise le marché de détail, pour garantir visibilité, stabilité et compétitivité.
Sur le marché de gros, notre intérêt est de rester dans l'Union européenne. Lorsque nous produisons beaucoup d'électricité, nous l'exportons, ce qui est bon pour notre balance commerciale. Lorsque nous sommes en défaut, nous sommes bien contents d'importer pour éviter le black-out.
L'Espagne n'est pas interconnectée : c'est une sorte d'île énergétique.
Je le répète, nous avons intérêt à rester dans le marché européen, mais un marché réformé.
M. Pierre Jean Rochette . - Avec l'agression de l'Ukraine par la Russie de Poutine, nous voyons que l'électricité est une arme géopolitique. La réforme du marché de l'électricité est un enjeu crucial.
Le raccordement de l'Ukraine au réseau européen en quelques semaines a montré que nous devons travailler sur les interconnexions. Je salue le projet Celtic Interconnector, visant à connecter l'Irlande au continent.
Nous devons repenser notre sécurité énergétique et notre souveraineté en la matière. Je salue à mon tour le travail d'Agnès Pannier-Runacher.
J'ai toujours défendu le nucléaire, une énergie fiable et puissante. Le travail réalisé autour de l'atome, du cycle du combustible et du traitement des déchets est facteur d'espoir. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur l'article 19 B de l'accord conclu ? Sommes-nous sûrs que les régimes d'aides directes seront favorables aux investissements nucléaires ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - L'article 19 B s'appliquera aux installations nucléaires existantes et futures. Le débat a été extrêmement dur, mais nous avons eu gain de cause. De même, nous pourrons redistribuer la rente aux consommateurs lorsque les prix seront élevés. Ce sont deux victoires majeures.
Je suis très favorable au développement des interconnexions. Des projets existent en direction de l'Espagne et de l'Irlande. Tout autre sera bienvenu. Dans vingt ans, la France sera, grâce au nucléaire, l'une des seules nations européennes à pouvoir produire massivement de l'électricité décarbonée. L'exporter sera un moyen, peut-être le seul, de rééquilibrer notre balance commerciale.
M. Patrick Chauvet . - L'accord avec EDF pose les bases de la future régulation du prix de l'électricité nucléaire. Au lieu des 42 euros prévus dans le cadre de l'Arenh, il garantit un prix moyen de 70 euros le mégawattheure. Comment ce prix a-t-il été fixé ?
D'après la presse, ce serait un engagement d'EDF, mais son respect ne pourra être constaté qu'a posteriori. Ce prix pourrait donc être inadapté aux réalités du marché. Une clause de revoyure est-elle prévue ? Et quelles sont les garanties d'équité vis-à-vis des autres acteurs ?
Enfin, où en sont les discussions avec la Commission européenne pour valider au regard du droit de la concurrence cet accord décisif ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - La négociation entre EDF et l'État a été respectueuse, mais longue et difficile. Il s'agissait de conjuguer les intérêts d'EDF et ceux des entreprises industrielles. Je me suis battu pour cet équilibre. Certains voulaient un prix garanti à 60 euros le mégawattheure, et tant pis pour la rentabilité d'EDF... Je pense que nous avons trouvé le bon équilibre.
Nous nous sommes fondés sur le coût moyen de production des centrales existantes et le coût de construction des nouveaux réacteurs. Cet accord a été transmis à la Commission européenne. Nous estimons qu'il est parfaitement conforme à l'accord conclu sur le nouveau marché européen.
M. Daniel Salmon . - L'énergie est un bien commun essentiel. La crise énergétique et les spéculations ont des conséquences délétères pour nos concitoyens, surtout les plus vulnérables.
Il faut garantir un accès à l'énergie permettant de couvrir les besoins à un coût abordable. Ce n'est pas l'orientation de votre politique, construite autour du nucléaire.
Votre objectif est de financer, coûte que coûte, la relance nucléaire. Ainsi, les consommateurs devront payer une part supposée juste du préfinancement de notre futur mix. Mais le coût de la relance nucléaire est incertain et pourrait peser fortement sur le portefeuille des consommateurs. Vieillissement des réacteurs en service, dérive du coût de Flamanville, nouveaux projets : les coûts explosent, tandis que ceux des énergies renouvelables baissent et que la production de celles-ci augmente partout dans le monde. L'année dernière, 510 gigawatts de photovoltaïque ont été installés, un record.
Comment la relance nucléaire pèsera-t-elle sur le prix de l'énergie pour les consommateurs ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - J'ai oublié de répondre à M. Chauvet sur les clauses de révision : un premier rendez-vous est prévu au bout de six mois, puis un tous les trois ans, pour réexaminer les deux seuils définis - 78 et 110 euros.
En effet, 55 milliards d'euros, c'est beaucoup ; mais c'est toute l'électricité qui coûte cher. Depuis 2010, 75 milliards d'euros ont été investis dans les énergies renouvelables. D'ici à 2040, plus de 100 milliards d'euros devront être investis dans les réseaux.
Notre objectif n'est pas le tout nucléaire, mais de réaffirmer cet atout compétitif majeur pour la France en le complétant par les énergies renouvelables, ainsi que par l'efficacité et la sobriété.
M. Fabien Gay . - Quelle est la différence entre le coût, le tarif et le prix de l'électricité ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Le coût, c'est ce que cela coûte à EDF. Le tarif, ce qui est payé par les gens. L'ensemble fait la régulation.
Notre objectif était de préserver un équilibre au nom de l'intérêt général ; je pense que nous l'avons atteint. Hier, à Gravelines, j'ai constaté combien les syndicats d'EDF sont attachés à la rentabilité de l'entreprise.
Nous avons nationalisé EDF, ce qui devrait vous plaire.
M. Fabien Gay. - Étatisé !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Ce n'est pas pour autant que le contribuable doit être sans cesse sollicité. EDF est une entreprise publique, mais c'est une entreprise ; nous devons garantir sa rentabilité.
Nous devons aussi offrir des tarifs compétitifs aux entreprises industrielles. Voilà un an que je négocie avec M. Mittal, père ou fils. C'est le site français qu'ils viennent de choisir. Il n'y a pas de meilleure démonstration de sa compétitivité en matière énergétique. Croyez-moi, les grands industriels ne font de cadeau à personne.
Pour nos concitoyens aussi, nous garantissons un prix de l'énergie parmi les plus bas en Europe.
M. Fabien Gay. - Nous avons des désaccords : vous croyez au marché, nous pensons que l'énergie, bien commun, doit relever d'un monopole public.
Oui, le coût, c'est ce que coûte la production. Le tarif permettait, jusqu'à présent, que chacun accède à l'énergie dans un cadre réglementé. Tout le monde y avait droit : ménages, collectivités territoriales et toutes les entreprises.
Certes, les petites entreprises y auront toujours droit, mais quid des collectivités territoriales et des entreprises de taille intermédiaire ? Les grands groupes veulent des PPA sur quinze ans à tarif préférentiel - grand bien leur fasse.
Le prix, c'est ce qui a dysfonctionné, du fait d'une complète décorrélation par rapport aux coûts. Vous avez mis une pastille sur une jambe de bois. Nous avons arraché des petites choses à l'échelle européenne, mais surtout sauvegardé la compétitivité des entreprises allemandes. C'est toujours l'Europe du trading, et ce sont toujours les usagers qui paient.
Que se passera-t-il pour tout notre tissu industriel et nos collectivités territoriales ? Nous plaidons pour le retour d'un grand service public !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Si l'Allemagne était plus compétitive que la France, Mittal l'aurait choisie. Or elle a choisi la France, car nos tarifs sont imbattables et constituent un atout compétitif majeur.
J'ai mis le marché entre les mains des industriels : on peut vous faire un tarif régulé, mais l'Arenh ne portait que sur un tiers de la production ; ou bien on protège 100 % de la production avec des seuils.
M. Fabien Gay. - Je vous parle de milliers d'entreprises. En réalité, votre réforme continuera à soutenir la compétitivité allemande.
Cela fait quinze ans que l'on biberonne les acteurs alternatifs avec l'Arenh et ça va durer encore deux ans - c'est long ! Certains boulangers ne verront pas le post-Arenh.
Puisque vous êtes le nouveau ministre de l'énergie, nous aurons le temps d'en débattre dans le cadre de la prochaine loi sur l'énergie.
M. Michel Masset . - La France bénéficie d'une énergie nucléaire décarbonée. Dans notre double réforme du marché de l'électricité - européen et national -, nos objectifs doivent être clairs : veiller aux prix payés par les usagers, garantir notre souveraineté énergétique et industrielle, ainsi que la pérennité d'EDF.
La libéralisation a échoué. La question fondamentale est celle de la planification et de l'anticipation. La hausse des prix affecte les ménages les plus modestes. Dans le Lot-et-Garonne, 20 % des ménages souffrent de précarité énergétique. Artisans, agriculteurs, collectivités territoriales sont également touchés.
La politique menée doit intégrer les impératifs de justice sociale, de souveraineté industrielle, d'enseignement supérieur et de transition écologique. Il faut garantir la stabilité des tarifs.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Oui, la politique énergétique couvre tous ces aspects : nous avons une politique sociale avec le chèque énergie, qui a bénéficié à 6 millions de personnes, et les tarifs réglementés de vente de l'électricité (TRVE) désormais accessibles à toutes les entreprises de moins de dix salariés, mais aussi des objectifs environnementaux.
M. Jean-Jacques Michau . - La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a publié jeudi dernier ses calculs pour l'évolution des TRVE, qui concerne 21 millions de ménages et 2 millions de petites entreprises.
Elle a proposé au Gouvernement une baisse de 0,35 % hors taxes. L'augmentation du 1er février est donc uniquement due à la décision gouvernementale d'augmenter la pression fiscale, en réintroduisant la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE). C'est un mauvais coup porté au pouvoir d'achat des Français et une mauvaise nouvelle pour nos territoires.
Le Gouvernement ne veut pas augmenter les impôts des riches, mais augmente les taxes sur un bien de première nécessité.
Évitons que nos concitoyens doivent réduire leur niveau de chauffage. Comment protégez-vous nos concitoyens face à des dépenses de chauffage incompressibles en ces périodes de grand froid ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Un des drames de notre pays, c'est notre incapacité à sortir des dispositifs exceptionnels : on empile de la dépense sur de la dépense. C'est populaire, mais irresponsable. Or je préfère le respect de mes compatriotes à la popularité.
Je n'ai qu'une seule parole : j'ai toujours dit que je retirerai les dispositifs exceptionnels, le moment venu. J'ai dit que nous sortirions du bouclier sur le gaz à partir de l'été tout en garantissant un prix stable du gaz : c'est le cas. J'ai dit aussi que nous sortirions du bouclier sur l'électricité, car pendant deux ans, nous avons payé la moitié de la facture des Français, pour 40 milliards d'euros ! Si on continue, c'est la fin des finances publiques françaises...
M. Michel Savin. - On y est déjà !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Mais, avec le Président de la République et le Premier ministre, nous avons choisi de réduire les déficits et de nous désendetter. Ces décisions sont courageuses, légitimes et transparentes. J'ai dit qu'il n'y aura pas d'augmentation de plus de 10 % de la facture d'électricité à la rentrée : c'est le cas. Il faut avoir le courage de revenir à la normale.
Mme Christine Lavarde . - Trois questions sur le post-Arenh.
Pourquoi conserver un mécanisme avec une électricité de base peu chère qui repose sur la seule filière nucléaire, alors que nous disposons d'une autre filière décarbonée et pilotable, l'hydraulique ?
Le mécanisme de prix fixe des pourcentages de reversements aux consommateurs en fonction du prix de gros de l'électricité. Cela sera-t-il modulé selon les profils de consommateurs ?
Enfin, que se passe-t-il si les prix de gros passent en dessous de 78 euros le mégawattheure ? L'État viendra-t-il au secours d'EDF pour l'aider à couvrir les coûts du nucléaire ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Les capacités de production de l'électricité nucléaire sont de 61 gigawatts, contre 25 pour l'hydraulique. De plus, l'électricité nucléaire est une production de base constante et garantie, alors que l'hydraulique est une production de pointe - mais je suis très favorable à réfléchir à une meilleure utilisation de l'hydraulique.
La redistribution se fera, non pas en fonction du niveau de revenu, mais du profil de consommation : la redistribution sera plus élevée quand il y aura moins de tension sur le réseau, afin d'inciter à la sobriété énergétique et à la consommation hors des périodes de pointe.
À charge d'EDF de faire les réserves suffisantes lorsque les prix sont élevés, afin de puiser dans sa trésorerie ensuite.
Mme Denise Saint-Pé . - L'accord trouvé entre le Gouvernement et EDF sur le post-Arenh interroge. La méthodologie de calcul des TRVE conduit à des prix plafonds. Au vu de la volatilité du marché de l'énergie, c'est contradictoire avec l'objectif de stabilité des prix pour le consommateur. Je crains que le correctif prévu soit insuffisant.
Enfin, si l'objectif de prix moyen est de 70 euros, il n'y aurait pas de stabilité en dessous de 78 euros. Comment, dans ces conditions, assurer la stabilité des TRVE ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Les TRVE seront déterminés en prenant en compte les seuils de 78 et 110 euros : ils bénéficieront donc aussi de cette protection.
M. Michaël Weber . - Nous craignons que la volonté de protection des consommateurs ne soit qu'une posture : en réalité, le Gouvernement souhaite conforter la compétitivité industrielle. Il est illusoire de croire à la convergence des intérêts des producteurs et des consommateurs : à nouveau le mythe du ruissellement...
La question de la redistribution des recettes nous inquiète, les États membres ayant obtenu une grande souplesse pour redistribuer les superprofits des producteurs.
Nous souhaitons des précisions sur le mécanisme de redistribution en direction des ménages, notamment les plus vulnérables. En effet, 40 millions d'Européens n'ont pu se chauffer convenablement en 2022, tandis que 12 millions de Français sont en situation de précarité énergétique.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Pour ces derniers, nous conservons le chèque énergie.
Il n'y a aucune théorie du ruissellement dans cette réforme, mais au contraire une redistribution mécanique : 50 % au-dessus de 78 euros le mégawatt, 90 % au-dessus de 110 euros. Les TRV bénéficieront de l'application de ces seuils. La redistribution sera indiscriminée entre entreprises et ménages.
Mme Martine Berthet . - La réforme du marché de l'électricité doit permettre à nos industriels d'avoir accès à des marchés de long terme.
Chez les électro-intensifs, l'électricité est une part importante des coûts de production. Ils ont besoin d'un accès durable à une énergie décarbonée, en quantité suffisante et à des prix compétitifs et prévisibles. Ils souhaitent donc que les contrats de long terme concernent 50 térawattheures, afin d'assurer 70 % de leurs besoins au moins.
La négociation en cours devrait leur permettre cette compétitivité, mais uniquement grâce à la compensation du CO2 indirect - or combien de temps ce dispositif européen restera-t-il en vigueur ? Un mécanisme de substitution sera-t-il envisagé ? Parviendrons-nous à garantir un prix inférieur à 30 euros le mégawattheure qui les rend compétitifs ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - L'adaptation des barrages permettra de moduler la production en fonction des tarifs de l'électricité : ce volet est très intéressant.
La compensation carbone est pérennisée jusqu'en 2030 ; nous sommes favorables à aller au-delà.
Enfin, nous travaillons à des capacités suffisantes pour les électro-intensifs.
Mme Catherine Belrhiti . - La spirale inflationniste touche nos concitoyens et nous sommes loin d'en être sortis. La consommation d'électricité augmente et augmentera. La production française est structurellement excédentaire ; or la mise en place de l'Arenh est l'un des plus grands sabordages de notre économie, contraignant EDF à revendre son électricité à perte, à 42 euros le mégawattheure.
Votre réforme vise à corriger cette situation et à limiter les fluctuations de marché qui ont conduit le Gouvernement à mettre en place des dispositifs coûteux et souvent insuffisants - bouclier tarifaire, recapitalisation d'EDF.
Certaines mesures sont à saluer, comme le maintien des TRV. Dans mon département, plusieurs collectivités en profiteront. Mais il est à craindre que le coût de ces mesures sera supporté par les ménages.
Comment conjuguer prix bas et sauvegarde d'EDF ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - L'Arenh est imparfaite, mais pendant la crise, de nombreux États européens nous ont envié une électricité à 42 euros sur une partie de la production, ce qui a permis d'amortir le choc.
Avec la réforme, nous passerions à un prix garanti pour 100 % de la production. Le prix fixé permettra de garantir les investissements d'EDF, l'amortissement de sa dette - la plus importante d'Europe pour une entreprise, 65 milliards d'euros - et la compétitivité industrielle. Nous avons trouvé le bon équilibre.
M. Marc Laménie . - Ce débat est particulièrement important. La tarification inquiète les particuliers comme les entreprises et les collectivités territoriales. Il n'y a pas de petites économies : vous avez raison d'insister sur la sobriété.
EDF est un acteur économique très important dans les Ardennes, avec une centrale nucléaire qui fonctionne à nouveau et des emplois directs et indirects. Je pense aussi au transport et à la distribution avec Réseau de transport d'électricité (RTE).
Vous avez parlé de l'implantation de six EPR, monsieur le ministre. À quelle échéance envisagez-vous ces constructions, et sur quels sites ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Sur les trois premiers sites - Gravelines, Penly et Bugey - nous aurons un premier réacteur en 2035. Les implantations suivantes seront échelonnées.
M. Patrick Chaize, pour le groupe Les Républicains . - La réforme du marché européen doit mieux protéger les consommateurs face aux fluctuations de prix. Selon le Médiateur de l'énergie, 80 % des Français ont vu leur facture d'électricité augmenter, 25 % ont du mal à s'en acquitter et 20 % souffrent du froid.
Le rapport de notre commission des affaires économiques du 5 juillet 2023, relatif à la fraude à l'Arenh, a été adopté à l'unanimité.
L'Arenh est à bout de souffle et il faut en corriger les effets de bord d'ici à 2025, en relevant son prix entre 49 et 120 euros le mégawattheure.
Sur les pénalités pour les fournisseurs alternatifs, qui ont atteint 1,6 milliard d'euros en 2022, nous souhaitons que le premier complément de prix soit alloué aux consommateurs et que le plafond du second complément de prix soit supprimé. Or la loi de finances pour 2024 a autorisé le Gouvernement à capter ces recettes à son profit, au mépris de nos recommandations et de celles du régulateur.
Nous devons aussi renforcer les contrôles et les sanctions liés à l'Arenh, en faisant évoluer la notion d'abus d'Arenh et en complétant les sanctions, pour supprimer le bénéfice de l'Arenh en cas d'abus avéré.
Nous voulons établir des obligations prudentielles des fournisseurs et centraliser les autorisations auprès du régulateur, dans un souci d'efficacité. Les suspensions et retraits doivent enfin devenir effectifs.
Pour protéger les consommateurs, les conditions de modification des contrats doivent être limitées ; l'information sur les offres peut aussi progresser, notamment sur leur caractère risqué ; enfin, le comparateur d'offres doit être complété selon la logique du name and shame.
La prochaine loi sur la souveraineté énergétique sera utile. Mais aucune décentralisation des autorisations de fourniture d'électricité vers le régulateur n'est prévue. En outre, le médiateur est omis. Restera à évaluer l'impact sur les consommateurs du versement universel nucléaire.
Monsieur le ministre, entendez-vous consolider le projet de loi en ce sens avant son dépôt ? Sinon, nous y procéderons.
Allez-vous reprendre par voie réglementaire nos autres recommandations, notamment la modification de l'Arenh d'ici à son extinction afin d'éviter tout effet d'aubaine comme en 2022 ?
Les consommateurs ont besoin d'un cadre législatif et réglementaire protecteur. L'accès à l'électricité relève d'un principe de solidarité nationale, alors que 3,4 millions de ménages sont en situation de précarité énergétique en 2021.
Les consommateurs, et notamment les ménages modestes, doivent être mis au coeur de la réforme européenne et de la prochaine loi.
La séance est suspendue à 19 h 05.
Présidence de M. Mathieu Darnaud, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
« Pouvoir de vivre » : quelles politiques de solidarité pour répondre au choc de la transition écologique ?
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « "Pouvoir de vivre" : quelles politiques de solidarité pour répondre au choc de la transition écologique ? » à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
M. Franck Montaugé, pour le groupe Socialiste, Écologique et Républicain . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.) C'est dans La méthode d'Edgar Morin qu'on trouve ces propos : « à force de sacrifier l'essentiel pour l'urgence, on finit par oublier l'urgence de l'essentiel ».
Ce grand humaniste pose la question du rapport de l'homme au monde. Pour de très nombreux enfants, leurs parents et de plus en plus de personnes âgées, l'urgence se vit d'abord au quotidien, dans l'accès au logement et à la nourriture. Ces conditions de vie, ou de survie, sont inacceptables. Le climat, l'environnement et la biodiversité posent la question de la vivabilité sur terre. Une planification écologique bénéficiant à nos concitoyens doit en résulter.
L'essentiel est sans doute là. Mais on ne peut opposer urgence du quotidien et essentiel de notre avenir collectif. Le groupe SER vous propose donc de débattre du pouvoir de vivre et des politiques de solidarité, la question sociale devant rester au fondement du pacte républicain. Il y va de l'avenir de notre démocratie et du sens de la République, avec un grand R. Or tel n'est plus le cas, en tout cas pas pour tout le monde.
Il n'y aura pas de transition écologique réussie sans prise en compte de tous les citoyens français et une amélioration de la condition sociale de ceux qui sont en grande difficulté.
J'espère que l'expression des groupes du Sénat permettra d'évoquer tous les thèmes qui relèvent du pouvoir de vivre.
Je souhaite saluer l'ensemble des organisations syndicales, associations et ONG qui se sont regroupées dans le pacte du pouvoir de vivre, dont les quatre axes sont : donner à chacun le pouvoir de vivre dans un cadre commun protégeant notre avenir ; remettre la justice sociale au coeur de l'économie ; préparer l'avenir en cessant de faire du court terme l'alpha et l'oméga ; partager le pouvoir.
Il est nécessaire d'identifier les mesures budgétaires aux effets climatiques et sociaux. Ainsi, l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) a dégagé cinq dimensions de l'impact social, des inégalités de revenus à l'accès aux besoins et services fondamentaux.
Ainsi, pour la valorisation du carbone : les tentatives passées, toutes des échecs, montrent la difficulté de concilier les questions écologiques et sociales.
L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) demande une évaluation globale des finances publiques, l'accompagnement des plus vulnérables à court terme et la coconstruction d'un contrat social de transition écologique. Mais tout reste à faire ! La Convention citoyenne pour le climat comme les conseils nationaux de la refondation (CNR) ont été des contre-exemples de ce qu'il faut faire pour mobiliser les citoyens.
Il faudra intégrer une exigence de solidarité et justice sociale. Transition et justice sociale doivent être conciliées, comme l'urgence et l'essentiel. Ainsi, l'heure est à la construction d'un nouveau pacte social et écologique, qui nous engage tous, en redonnant sens à la République. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - Comment vous remercier de passer cette soirée avec vous ? (Sourires)
Ce sujet est de la plus grande importance. Pour mesurer la solidité d'une chaîne, il faut s'intéresser au maillon le plus fragile - de même pour les politiques publiques.
Par ailleurs, même si l'intitulé de votre débat mentionne le « choc » de la transition, l'inaction climatique, elle, serait un choc plus fort encore. Ne pas agir coûterait beaucoup plus cher que d'investir dans la transition. Le rapport Stern de 2006 comme les scénarios de l'Ademe le disent : cela nous coûterait plusieurs points de PIB d'ici à la fin du siècle. Ainsi, la transition écologique est par nature une politique sociale.
J'entends les critiques et les interrogations, les débats sur la fin du monde et la fin du mois. Cette question est au coeur de mon engagement politique. Sans réponse, nous ne ferons qu'alimenter les deux populismes consistant soit à dire qu'on n'irait jamais assez vite, soit qu'on ne ferait qu'emmerder les Français...
Mais auprès des inondés du Pas-de-Calais, aux victimes des intempéries dans la vallée de la Vésubie, ou du dernier cyclone à La Réunion, je le vois bien : c'est bien notre inaction qui causerait le plus d'emmerdements.
Je refuse que l'écologie soit le carburant des extrêmes. Elle doit rimer avec l'économie, pour sortir de l'hypocrisie en réindustrialisant notre pays face à une mondialisation débridée qui détruit notre économie et aggrave notre bilan carbone.
Ainsi, la question de la mobilité se pose avec acuité dans la ruralité. Il faut des solutions là où les transports en commun ne vont pas : c'est le sens de la voiture électrique et du leasing grâce auquel, pour 100 euros par mois - le prix d'un plein -, les plus modestes auront un véhicule.
N'oublions pas le logement, première dépense des ménages. La lutte contre les passoires énergétiques se fait pour le pouvoir d'achat, car il s'agit de combattre des factures exorbitantes. Deux classes d'écart dans le diagnostic de performance énergétique (DPE), c'est un doublement de la facture. Ainsi, nous soulageons la facture énergétique des ménages et réduisons la fracture écologique du pays.
Enfin, pour la consommation, avec la réindustrialisation, nous recréons des opportunités et des emplois. L'Europe a un train d'avance.
Je vous invite à mesurer à quel point la politique d'adaptation au changement climatique est à la croisée des chemins, pour préserver nos paysages, nos modes de vie, comme les plus fragiles. Avec la perspective d'une France à plus quatre degrés, s'adapter, c'est d'abord se préoccuper de ceux qui y seront les plus exposés. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Émilienne Poumirol . - Les crises écologiques sont de plus en plus importantes. La France est parmi les dix pays les plus exposés, et ces crises nourrissent une centaine de pathologies - le Giec en souligne les effets délétères, par exemple, sur la santé professionnelle et mentale. Les plus défavorisés qui subissent la plus grande morbidité : selon Unicef France, les enfants pauvres sont plus vulnérables à la pollution de l'air. Les défis environnementaux sont donc aussi des défis sociaux.
Quelles politiques mettrez-vous en oeuvre pour préserver la soutenabilité de notre système de santé face aux conséquences du changement climatique, tout en préservant notre pacte social, qui impose l'accès de tous à la santé ?
M. Christophe Béchu, ministre. - C'est la sénatrice, mais aussi le médecin qui pose la question. Le groupe santé environnement, créé en 2009, pour montrer la convergence des sujets, est au coeur de nos réflexions. Voyez nos débats anciens sur les zones à faibles émissions (ZFE) : cette question est avant tout une question de santé publique. Idem pour le plan Eau - nous parlons de la qualité de l'eau, car seules 44 % de nos eaux sont de bonne qualité - et à mesure que la quantité diminue, les risques sur la qualité augmentent.
Idem encore sur l'élimination du plastique, que nous tentons d'obtenir à Nairobi - car il finit dans notre estomac.
Politique de santé et politique environnementale ont partie liée. Dès ce matin, j'ai commencé à y travailler avec Catherine Vautrin.
Mme Émilienne Poumirol. - La notion de One Health est connue, mais je regrette que, malgré les plans nationaux santé environnement (PNSE), les politiques soient menées en silo entre ministères.
Mme Else Joseph . - La transition écologique est affirmée par les pouvoirs publics, personne ne conteste sa nécessité. Mais, sur la rénovation des logements, comment les citoyens peuvent-ils se retrouver dans le maquis d'aides ?
L'accompagnement est défaillant. Le réseau Mon Accompagnateur Rénov' ne suffit pas et il n'y a pas de maître d'oeuvre. Au déficit de main-d'oeuvre, patent, s'ajoute la concurrence d'opérateurs malhonnêtes.
MaPrimeRénov' est trop restrictif : il exclut certains logements et impose comme condition préalable un chauffage décarboné. Mais il est dommage d'exclure les chaudières à gaz avec la perspective du biogaz.
Avec le plan « Nouvelle ambition pour les Ardennes », la région Grand Est a pris les devants, formant les habitants à la sobriété énergétique. Nous voulons une écologie de solutions, pas de punition.
M. Christophe Béchu, ministre. - Fonds vert, compléments pour rénover les écoles, tiers financement... voilà les solutions pour les collectivités.
MaPrimeRénov' est un succès : en 2017, ses deux tiers étaient orientés vers les plus riches ; aujourd'hui, ils le sont vers les plus pauvres. Le volume est de 700 000 par an, c'est colossal ! Simplifier, être plus efficace, voilà l'ambition, et ce dès le premier janvier, en encourageant les monogestes efficaces et la rénovation globale.
Comment faire ? En décentralisant. J'espère que, lors de la loi de décentralisation du logement, nous aboutirons à un régime de rénovation énergétique similaire à celui des aides à la pierre. Qui de mieux que les élus pour repérer ceux qui ne sont pas des margoulins ?
Mme Corinne Bourcier . - La voiture électrique permet de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. Il est nécessaire cependant d'accompagner les ménages modestes. Au-delà du leasing, quels sont les dispositifs de soutien à l'achat ?
Ne faudrait-il pas réorienter le barème kilométrique ? De nombreux Français se déplacent pour travailler, notamment dans le domaine des soins à la personne : ne les pénalisons pas.
Enfin, notre groupe soutient le rétrofit. Quelles sont ses évolutions au 1er janvier ?
M. Christophe Béchu, ministre. - La voiture est irremplaçable dans de nombreux territoires.
Le dispositif repose sur plusieurs niveaux. Nous limitons l'offre à 25 000 véhicules afin de le réserver à des voitures produites en France et en Europe.
S'ajoute à cela la prime à la conversion, jusqu'à 14 000 euros pour les résidents des ZFE.
Nous sommes très favorables au rétrofit. Environ 80 % de l'empreinte carbone d'un véhicule est liée à sa fabrication. Certains constructeurs rechignent à donner les garanties et compliquent le développement de cette technique, mais les choses bougent, notamment sous la pression des consommateurs.
Le développement du marché de l'occasion accélérera cette transition.
Mme Denise Saint-Pé . - Sortir de notre dépendance aux énergies fossiles suppose des investissements considérables. Résultat : nos factures énergétiques augmentent.
Le chèque énergie est un début de réponse, mais il est loin de suivre l'évolution des factures et le taux de non-recours stagne autour de 20 %. Il faut simplifier ce dispositif pour le massifier. De plus, il faut habiter un logement soumis à la taxe d'habitation pour le toucher : avec la fin de cet impôt en 2023, il faut adapter ce dispositif utile, mais perfectible.
M. Christophe Béchu, ministre. - L'évolution du mix énergétique est souhaitable pour la transition, mais aussi pour le pouvoir d'achat. Pour le gaz et le pétrole, nous dépendons de pays tiers dans un contexte international de plus en plus inquiétant. C'est la guerre en Ukraine qui a fait exploser les coûts, même si la tendance était inflationniste. Les énergies pilotables ou renouvelables rendent possible une politique plus sociale.
Les décrets d'attribution à venir entre Bercy et le ministère de l'écologie font que je ne serai peut-être pas l'interlocuteur durable sur ces sujets...
Le taux d'usage du chèque énergie est de 78,5 % : nous avons un effort d'information à mener. La question du montant se pose aussi. Mais pour minorer les factures, il est essentiel de diversifier nos sources d'énergie.
Mme Antoinette Guhl . - Merci au groupe SER d'avoir suscité ce débat.
Écologie et social sont les deux faces d'une même pièce, celle de la transition. Pour la mener à bien, nous devons répondre aux grands défis sociaux : accès à une alimentation saine, renforcement des services publics de santé, d'éducation et de logement, solidarité intergénérationnelle à l'égard des générations futures, mais aussi de notre jeunesse précarisée et vulnérable.
Les moins de 30 ans ont le taux de pauvreté le plus élevé, de loin. Les 15-25 ans sont très pessimistes, voire fatalistes, à l'égard de la crise environnementale. L'urgence, vraiment, n'est pas l'uniforme à l'école...
Êtes-vous prêts à conditionner les aides aux entreprises pour dégager des moyens au service des politiques sociales ? Quelles politiques pour la jeunesse ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Accompagner notre jeunesse, c'est d'abord la former. Pour lutter contre l'éco-anxiété, il faut éviter d'entretenir un écolo-défaitisme. Nous ne faisons pas tout bien, mais il y a des résultats : faire comme s'ils n'existaient pas, c'est dissuader d'agir.
Les leviers d'engagement doivent être encouragés, par exemple dans le cadre du service national universel (SNU) et du service civique. L'action est un moyen de lutter contre la désespérance.
Le volet social est le verso de la page de la transition. Il offre des opportunités de création d'activités et d'amélioration de la vie, de retrouver des espaces de compétitivité perdus au bénéfice du bout du monde.
Mme Marie-Claude Varaillas . - Les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient : 2023 fut l'année la plus chaude de l'histoire. Une bifurcation écologique s'impose pour éviter une hausse des températures de 4 degrés, qui nous plongerait dans l'inconnu.
Cette transition implique coopération internationale et justice sociale. Il faut demander plus à ceux qui polluent plus pour aider les Français à vivre mieux.
Au lieu des ZFE, nous proposons la gratuité des transports urbains, la rénovation massive des logements par l'aide aux bailleurs, notamment sociaux, et une aide à une alimentation saine. L'urgence est là !
Comptez-vous relever ces défis, alors que les entreprises du CAC 40 ont distribué l'année dernière 97 milliards d'euros de dividendes ? (Mme Cécile Cukierman et M. Franck Montaugé applaudissent.)
M. Christophe Béchu, ministre. - Oui, nous devons massifier nos efforts : c'est le sens du rapport Pisani-Ferry. C'est aussi celui des 10 milliards d'euros supplémentaires prévus pour la transition en 2024 - tout simplement historique - ou encore des 2,5 milliards d'euros du fonds vert.
Demander plus à ceux qui le peuvent ne me choque pas. Le tout est de le faire de façon intelligente.
Ce matin, auprès d'Action Logement, j'ai évoqué le 1,2 milliard d'euros négocié par M. Vergriete et le projet de loi à venir sur les copropriétés dégradées qui mettra fin à la règle de l'unanimité pour les rénovations.
La gratuité des transports n'est pas consensuelle, même dans des villes de gauche. Le plus important est d'investir dans l'offre et la fréquence : peu de gens ne prennent pas les transports en commun pour des raisons de prix, mais beaucoup parce qu'il n'y en a pas suffisamment, pas aux bonnes heures ou qu'on ne s'y sent pas en sécurité.
Mme Marie-Claude Varaillas. - L'empreinte carbone des 10 % les plus riches est sept fois supérieure à celle des 10 % les plus pauvres. Nous ne répondrons pas à l'urgence climatique sans sortir du capitalisme financier, qui nuit à notre souveraineté comme au climat ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Colombe Brossel applaudit également.)
M. Éric Gold . - L'engouement suscité par le leasing social de voitures électriques s'explique par les besoins immenses en mobilité solidaire et écologique en zone rurale.
Dans ces territoires où le revenu par habitant est moins élevé et où la voiture reste indispensable, des innovations se mettent en place. Ainsi, dans le bassin de Riom - dont le maire est en tribune -, la communauté de communes Chavanon Combrailles et Volcans a lancé un réseau solidaire de mobilité pour covoiturer des personnes souvent âgées.
D'autres initiatives ont été lancées : la multiplication de ces innovations nécessiterait l'instauration d'un portail national unique pour la mobilité solidaire. Le leasing électrique ne permettra pas de répondre à tous les besoins, notamment ceux des classes moyennes.
D'autres projets sont-ils envisagés par le Gouvernement pour faciliter la mobilité en zone rurale ?
M. Christophe Béchu, ministre. - L'ouverture de petites lignes ferroviaires peut apporter des réponses dans certains territoires. Le plan France Ruralités prévoit 90 millions d'euros de soutien aux collectivités territoriales. Le fonds vert permet d'accompagner des centaines de territoires.
Le transport représente 30 % de nos émissions. En Auvergne-Rhône-Alpes, il me reste trois ou quatre COP territoriales à installer pour accélérer la décarbonation du secteur. Ce n'est pas à Paris de dire ce qu'il faut faire, mais aux territoires en fonction des besoins qu'ils identifient.
Mme Nadège Havet . - Merci au groupe SER pour ce débat sur un sujet fondamental.
Les classes populaires polluent moins, alors même qu'elles souffrent plus des pollutions. On entend pourtant des leçons de la part de personnes ayant un niveau de vie peu compatible avec des discours moralisateurs.
Le leasing social est une avancée considérable : les politiques publiques deviennent enfin compatibles avec le portefeuille des Français. Pourriez-vous revenir dans le détail sur cette mesure ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Oui, nous arrivons au moment où des innovations prometteuses peuvent être généralisées.
La planification écologique à la française ne repose pas sur des innovations qui n'existent pas ; ce n'est pas du technosolutionnisme. Dans notre schéma, 20 % de l'effort vient de changements de comportements, 60 % de l'accélération de dispositifs qui existent et 20 % d'espérances d'innovation - l'hydrogène, par exemple.
Le leasing électrique soutient la transformation de notre industrie automobile. Si nous n'avions rien fait, nous aurions été submergés par des produits fabriqués au bout du monde. Nos concitoyens sont en train de prendre ce virage : tous les mois, le taux d'immatriculation de véhicules électriques augmente.
Le leasing à 100 euros hors assurance concrétise un engagement du Président de la République pour des véhicules construits en Europe et des personnes modestes - il s'agit bien d'une politique sociale. Dans le sillage de cette mesure emblématique, l'offre va s'accroître en nombre et en variété. Elle se démocratisera grâce au marché de l'occasion.
M. Hervé Gillé . - Dans son rapport annuel de 2023, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) évalue l'adhésion des Français aux défis de la transition. Sans surprise, l'éco-anxiété s'installe.
Nous attendions beaucoup d'une loi de programmation Énergie-climat ; à la place, un projet de loi Transition énergétique voit le jour, avec du retard. Avez-vous abandonné l'idée d'une loi de programmation ?
Quelles sont vos propositions, alors que le prix de l'électricité va augmenter de 10 % ? Le taux d'effort n'est pas le même pour toutes et tous. J'ai proposé par exemple un rééquilibrage de la taxe sur l'eau. (Mme Colombe Brossel applaudit.)
M. Christophe Béchu, ministre. - Notre pays est le seul à avoir défini une planification. Nous devons passer à sa territorialisation et à son financement. J'ose croire que ce qui vous importe n'est pas le jour de la présentation du dispositif, mais sa cohérence et son ambition. Prendre du temps pour associer les acteurs territoriaux, ce n'est pas perdre du temps.
Le coût de l'inaction rendra économiquement nécessaire une accélération de la décarbonation. La performance de l'industrie n'est pas liée seulement à une prise de conscience citoyenne, mais aussi aux effets économiques de la dépendance à des énergies qu'on ne maîtrise pas.
L'argent public, limité, devra être concentré là où il y a impasse de financement, sur la base d'un diagnostic territorial fin.
M. Hervé Gillé. - Nous devons repenser la mesure du taux d'effort (M. Christophe Béchu renchérit), en liaison avec les CAF et les conseils départementaux. Je vous propose de travailler sur ce chantier.
M. Marc Laménie . - Je remercie nos collègues du groupe SER pour ce débat de société qui met en jeu des budgets très importants. J'insisterai sur un sujet qui m'anime particulièrement : les transports publics ferroviaires.
Je connais l'engagement de l'État pour le fret capillaire et les petites lignes. Certains de nos concitoyens prennent souvent le train, d'autres restent des inconditionnels de la voiture.
Nous devons réfléchir aux dessertes et aux tarifications, mais aussi aux moyens humains, notamment pour assurer la sécurité. Les contrôleurs sont de moins en moins nombreux, sans parler du personnel en gare - où, parfois, les automates ne fonctionnent pas. Il est important de préserver ce lien humain.
M. Christophe Béchu, ministre. - Je ne suis pas surpris de vous entendre sur ce sujet. Notre pays est riche de ses 29 000 km de voies ferrées. Le choix de tout investir sur les grandes lignes a détérioré le service sur les petites. Il ne suffit pas d'inscrire une somme dans une loi de finances pour que les trains circulent. Le train de nuit pour Aurillac montre bien qu'il faut un sursaut national.
Cent milliards d'euros, voilà l'engagement acté par Élisabeth Borne et qui sera confirmé par Gabriel Attal. C'est une pierre angulaire de notre politique de décarbonation.
Nous devons majorer la part de notre fret - 10 % aujourd'hui, deux fois moins que la moyenne européenne. Comme l'a bien montré un rapport du Sénat, il ne suffit pas d'investir dans les rails : il faut aussi rénover les plateformes.
Nos concitoyens prennent de plus en plus le train. Il faut proposer une expérience voyageur en matière de sécurité et de propreté à la hauteur de leurs attentes.
M. Bernard Pillefer . - Les aides de MaPrimeRénov' pour le chauffage au bois baissent de 30 %. Or ce mode de chauffage concerne un quart des Français.
La programmation pluriannuelle de l'énergie prévoit le doublement du nombre de logements chauffés par biomasse à l'horizon 2028.
Pourquoi cette baisse paradoxale de 30 %, qui n'est justifiée ni par des critères environnementaux ni par des critères sanitaires ? Le prélèvement de bois en France est bien inférieur à la croissance de la forêt et pour réduire l'émission de particules fines, il faudrait plutôt remplacer les équipements anciens. Dans les zones rurales et périurbaines, cela concerne la moitié des ménages.
Pourquoi avoir baissé cette aide ? Quelle est la place du chauffage au bois dans votre politique de transition écologique ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Nous n'avons rien contre le chauffage à bois. Effectivement, la biomasse croît plus vite que la consommation. Mais si tous les Français se chauffaient au bois, il en irait autrement. Certaines mégapoles mondiales ont interdit ce type de chauffage. Nous devons rappeler les bonnes pratiques, par exemple ne pas faire brûler du bois mouillé - mais je ne vous apprends rien.
Le prix du bois et des pellets est revenu à des niveaux normaux. En baissant les aides, nous voulons seulement ne pas favoriser le bois plutôt que les pompes à chaleur. Compte tenu de ses faibles coûts de fonctionnement, le chauffage au bois reste très compétitif sur le long terme.
Mme Viviane Artigalas . - L'accès à un logement abordable et digne est un droit fondamental. Mais les inégalités augmentent : 37 % des passoires énergétiques sont occupées par des ménages pauvres. Leur pouvoir de vivre, c'est choisir entre payer le loyer ou se nourrir correctement.
Mais vous, dans la loi Immigration, vous réduisez l'accès aux aides personnelles au logement (APL) pour les immigrés en situation régulière !
Le groupe SER a multiplié les propositions : proposition de loi visant à résorber la précarité énergétique, nombreux amendements au projet de loi de finances. Rien n'a été retenu.
Pour réduire ces inégalités, allez-vous enfin accompagner nos concitoyens ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Je ne m'attendais pas à être interpellé sur la loi Immigration...
Michel Rocard disait que notre pays ne peut accueillir toute la misère du monde. (Protestations sur les travées du groupe SER)
M. Franck Montaugé. - Mais que chacun doit en prendre sa part !
M. Christophe Béchu, ministre. - Je trouve que vos jugements sont à géométrie variable !
Partout en Europe, quelle que soit la couleur du Gouvernement, on rencontre les mêmes problèmes : une contraction des mètres carrés à cause de la hausse du coût de l'argent et de celui de la construction.
S'ajoute à cela l'enjeu écologique. L'Île-de-France compte 3,5 millions de mètres carrés de bureaux vides. Nos concitoyens développent parfois une allergie à avoir des voisins, avec des pétitions s'opposant à des permis de construire. Nous devons retrouver les raisons collectives pour construire plus sobre.
Mme Viviane Artigalas. - Une transition écologique réussie doit bénéficier à tous, pas seulement aux plus aisés. Les Français ne se sentent pas concernés, car ces politiques n'apportent aucune amélioration de leur quotidien. La politique du logement ne peut être une variable d'ajustement budgétaire ; elle doit être une cause de mobilisation nationale.
M. Jean-Claude Anglars . - Les mobilités sont un enjeu au coeur du quotidien de nos concitoyens. Dans les zones peu denses, la voiture est essentielle. Pour les jeunes actifs, les seniors, les personnes dépendantes, les touristes, le pouvoir de vivre, c'est l'accès aux infrastructures routières.
Mais la limitation de la vitesse à 80 kilomètres par heure et la hausse du prix du carburant et des péages sont vécues comme autant de stigmatisations.
La transformation des mobilités est difficile dans les zones rurales, faute d'alternative. Dans l'Aveyron, nous attendons l'achèvement de la RN88.
Quels investissements le Gouvernement envisage-t-il pour répondre à l'augmentation des coûts de la mobilité, notamment dans l'Aveyron ?
M. Christophe Béchu, ministre. - L'article 38 de la loi 3DS prévoit le transfert de compétences de certaines routes. C'est le cas de la RN88, dont la charge revient désormais au conseil départemental de l'Aveyron. Même si nous privilégions les infrastructures ferroviaires, le contrat de plan État-région (CPER) pourra concerner des études relatives à la RN88, dont certains secteurs sont en zone Natura 2000.
Je vous rejoins sur la stigmatisation des habitants des zones rurales : ne construisons pas des adversaires de la transition écologique. C'est pourquoi, avec l'aide France Ruralités aux autorités organisatrices de la mobilité (AOM) en milieu rural, nous espérons ne laisser personne au bord de la route, qu'elle soit nationale ou départementale...
M. Fabien Genet . - Je ne regrette pas d'avoir assisté à ce débat, même si je n'ai pu assister à la déclaration de politique générale que le Président de la République a cru bon de prononcer, de manière constitutionnellement un peu audacieuse...
Sur le terrain, la fracture sociale est grande. Nos concitoyens trouvent que cette politique de transition écologique est élaborée bien loin d'eux, sans prendre en compte leurs difficultés, comme à Barbieland.
Nous nous interrogeons aussi sur la méthode. La présentation des objectifs par le sous-préfet, dans mon département, était un effrayant parangon de centralisme jacobin. Il faut mieux associer les collectivités territoriales.
L'autoconsommation énergétique doit être favorisée, grâce au photovoltaïque, avec un éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) ou un taux de TVA réduit de 5,5 %. Nous l'avions proposé dans le cadre du projet de loi de finances, mais le 49.3 en a décidé autrement. Peut-on espérer une évolution ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Une confidence : je n'ai pas eu le temps de voir Barbie - j'ai préféré Oppenheimer.
M. Fabien Genet. - Choix très genré !
M. Christophe Béchu, ministre. - Oui, nous avons des marges de progrès dans l'association des élus. Notre politique est encore balbutiante : tous les territoires ne se sont pas saisis du fonds vert de la même manière.
Nos concitoyens doivent comprendre que le risque n'est pas de faire, mais de ne pas faire. J'ai échangé avec des habitants du Pas-de-Calais qui s'interrogent sur les permis de construire... On comprend qu'il faut changer notre approche.
Sur l'autoconsommation, nous avons doublé par rapport à 2022 - et même triplé en 24 mois ! Continuez à y croire : c'est une attente de nos concitoyens et cela diversifie notre mix énergétique.
Mme Monique Lubin, pour le groupe SER . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'effort pour réussir la transition écologique est sans précédent. Le pouvoir de vivre est central et les plus précaires doivent faire l'objet d'une attention renforcée, car ils sont plus durement touchés et ont moins de moyens.
Une étude du ministère de la santé montre que les communes les plus pauvres sont les plus exposées à la pollution de l'air et des sols.
Les plus précaires n'ont pas le bilan carbone le plus lourd. Philippe Coulangeon, sociologue au CNRS, synthétise le problème : la frugalité sans intention pèse lourd pour 27 % des ménages, qui consomment peu et polluent peu. Or l'acceptabilité sociale est cruciale ; à défaut, des résistances se créent, comme pour la taxe carbone.
Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz montrent que les sociétés avancées ont été incapables de répartir équitablement les gains de la mondialisation.
Éloi Laurent l'a dit : les inégalités sociales jouent un rôle moteur dans les crises écologiques. Il revient aux pouvoirs publics de le comprendre pour trouver des solutions. Nous devons embarquer les populations pour réussir la transition écologique.
Il faut ainsi adapter les minima sociaux, car plus de 9 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le groupe SER a défendu en janvier 2021 l'extension du revenu de solidarité active (RSA) aux jeunes dès 18 ans.
Nous sommes aussi attentifs à la rénovation énergétique des bâtiments, notamment des logements sociaux, qui doivent être adaptés au réchauffement climatique.
Sur le front des mobilités, nous voulons aussi des véhicules vertueux à des prix adaptés, pour les populations rurales qui ne peuvent accéder au métro ou au train.
Les politiques de solidarité doivent permettre d'amortir le choc de la transition écologique. Il faut une juste redistribution de l'impôt, pour accompagner les plus modestes dans la transition écologique. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K et du GEST)
La séance est levée à 22 h 55.
Prochaine séance demain, mercredi 17 janvier 2024, à 15 heures.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 17 janvier 2024
Séance publique
À 15 heures et le soir
Présidence : M. Gérard Larcher, président, Mme Sophie Primas, vice-présidente, M. Pierre Ouzoulias, vice-président
Secrétaires : M. François Bonhomme, Mme Nicole Bonnefoy
1. Questions d'actualité
2. Désignation des 23 membres de la commission d'enquête portant sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050 (droit de tirage du groupe Union Centriste)
3. Proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à condamner l'offensive militaire de l'Azerbaïdjan au Haut-Karabagh et à prévenir toute autre tentative d'agression et de violation de l'intégrité territoriale de la République d'Arménie, appelant à des sanctions envers l'Azerbaïdjan et demandant la garantie du droit au retour des populations arméniennes au Haut-Karabagh, présentée par MM. Bruno Retailleau, Gilbert-Luc Devinaz et plusieurs de leurs collègues (n°157, 2023-2024) (demande du groupe Les Républicains)
4. Proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale, présentée par Mme Nathalie Delattre et plusieurs de ses collègues (n°602, 2022-2023) (demande du groupe RDSE)
5. Débat portant sur les violences associées au football, dans et hors des stades (demande du groupe UC)