« Pouvoir de vivre » : quelles politiques de solidarité pour répondre au choc de la transition écologique ?
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « "Pouvoir de vivre" : quelles politiques de solidarité pour répondre au choc de la transition écologique ? » à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
M. Franck Montaugé, pour le groupe Socialiste, Écologique et Républicain . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.) C'est dans La méthode d'Edgar Morin qu'on trouve ces propos : « à force de sacrifier l'essentiel pour l'urgence, on finit par oublier l'urgence de l'essentiel ».
Ce grand humaniste pose la question du rapport de l'homme au monde. Pour de très nombreux enfants, leurs parents et de plus en plus de personnes âgées, l'urgence se vit d'abord au quotidien, dans l'accès au logement et à la nourriture. Ces conditions de vie, ou de survie, sont inacceptables. Le climat, l'environnement et la biodiversité posent la question de la vivabilité sur terre. Une planification écologique bénéficiant à nos concitoyens doit en résulter.
L'essentiel est sans doute là. Mais on ne peut opposer urgence du quotidien et essentiel de notre avenir collectif. Le groupe SER vous propose donc de débattre du pouvoir de vivre et des politiques de solidarité, la question sociale devant rester au fondement du pacte républicain. Il y va de l'avenir de notre démocratie et du sens de la République, avec un grand R. Or tel n'est plus le cas, en tout cas pas pour tout le monde.
Il n'y aura pas de transition écologique réussie sans prise en compte de tous les citoyens français et une amélioration de la condition sociale de ceux qui sont en grande difficulté.
J'espère que l'expression des groupes du Sénat permettra d'évoquer tous les thèmes qui relèvent du pouvoir de vivre.
Je souhaite saluer l'ensemble des organisations syndicales, associations et ONG qui se sont regroupées dans le pacte du pouvoir de vivre, dont les quatre axes sont : donner à chacun le pouvoir de vivre dans un cadre commun protégeant notre avenir ; remettre la justice sociale au coeur de l'économie ; préparer l'avenir en cessant de faire du court terme l'alpha et l'oméga ; partager le pouvoir.
Il est nécessaire d'identifier les mesures budgétaires aux effets climatiques et sociaux. Ainsi, l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) a dégagé cinq dimensions de l'impact social, des inégalités de revenus à l'accès aux besoins et services fondamentaux.
Ainsi, pour la valorisation du carbone : les tentatives passées, toutes des échecs, montrent la difficulté de concilier les questions écologiques et sociales.
L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) demande une évaluation globale des finances publiques, l'accompagnement des plus vulnérables à court terme et la coconstruction d'un contrat social de transition écologique. Mais tout reste à faire ! La Convention citoyenne pour le climat comme les conseils nationaux de la refondation (CNR) ont été des contre-exemples de ce qu'il faut faire pour mobiliser les citoyens.
Il faudra intégrer une exigence de solidarité et justice sociale. Transition et justice sociale doivent être conciliées, comme l'urgence et l'essentiel. Ainsi, l'heure est à la construction d'un nouveau pacte social et écologique, qui nous engage tous, en redonnant sens à la République. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - Comment vous remercier de passer cette soirée avec vous ? (Sourires)
Ce sujet est de la plus grande importance. Pour mesurer la solidité d'une chaîne, il faut s'intéresser au maillon le plus fragile - de même pour les politiques publiques.
Par ailleurs, même si l'intitulé de votre débat mentionne le « choc » de la transition, l'inaction climatique, elle, serait un choc plus fort encore. Ne pas agir coûterait beaucoup plus cher que d'investir dans la transition. Le rapport Stern de 2006 comme les scénarios de l'Ademe le disent : cela nous coûterait plusieurs points de PIB d'ici à la fin du siècle. Ainsi, la transition écologique est par nature une politique sociale.
J'entends les critiques et les interrogations, les débats sur la fin du monde et la fin du mois. Cette question est au coeur de mon engagement politique. Sans réponse, nous ne ferons qu'alimenter les deux populismes consistant soit à dire qu'on n'irait jamais assez vite, soit qu'on ne ferait qu'emmerder les Français...
Mais auprès des inondés du Pas-de-Calais, aux victimes des intempéries dans la vallée de la Vésubie, ou du dernier cyclone à La Réunion, je le vois bien : c'est bien notre inaction qui causerait le plus d'emmerdements.
Je refuse que l'écologie soit le carburant des extrêmes. Elle doit rimer avec l'économie, pour sortir de l'hypocrisie en réindustrialisant notre pays face à une mondialisation débridée qui détruit notre économie et aggrave notre bilan carbone.
Ainsi, la question de la mobilité se pose avec acuité dans la ruralité. Il faut des solutions là où les transports en commun ne vont pas : c'est le sens de la voiture électrique et du leasing grâce auquel, pour 100 euros par mois - le prix d'un plein -, les plus modestes auront un véhicule.
N'oublions pas le logement, première dépense des ménages. La lutte contre les passoires énergétiques se fait pour le pouvoir d'achat, car il s'agit de combattre des factures exorbitantes. Deux classes d'écart dans le diagnostic de performance énergétique (DPE), c'est un doublement de la facture. Ainsi, nous soulageons la facture énergétique des ménages et réduisons la fracture écologique du pays.
Enfin, pour la consommation, avec la réindustrialisation, nous recréons des opportunités et des emplois. L'Europe a un train d'avance.
Je vous invite à mesurer à quel point la politique d'adaptation au changement climatique est à la croisée des chemins, pour préserver nos paysages, nos modes de vie, comme les plus fragiles. Avec la perspective d'une France à plus quatre degrés, s'adapter, c'est d'abord se préoccuper de ceux qui y seront les plus exposés. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Émilienne Poumirol . - Les crises écologiques sont de plus en plus importantes. La France est parmi les dix pays les plus exposés, et ces crises nourrissent une centaine de pathologies - le Giec en souligne les effets délétères, par exemple, sur la santé professionnelle et mentale. Les plus défavorisés qui subissent la plus grande morbidité : selon Unicef France, les enfants pauvres sont plus vulnérables à la pollution de l'air. Les défis environnementaux sont donc aussi des défis sociaux.
Quelles politiques mettrez-vous en oeuvre pour préserver la soutenabilité de notre système de santé face aux conséquences du changement climatique, tout en préservant notre pacte social, qui impose l'accès de tous à la santé ?
M. Christophe Béchu, ministre. - C'est la sénatrice, mais aussi le médecin qui pose la question. Le groupe santé environnement, créé en 2009, pour montrer la convergence des sujets, est au coeur de nos réflexions. Voyez nos débats anciens sur les zones à faibles émissions (ZFE) : cette question est avant tout une question de santé publique. Idem pour le plan Eau - nous parlons de la qualité de l'eau, car seules 44 % de nos eaux sont de bonne qualité - et à mesure que la quantité diminue, les risques sur la qualité augmentent.
Idem encore sur l'élimination du plastique, que nous tentons d'obtenir à Nairobi - car il finit dans notre estomac.
Politique de santé et politique environnementale ont partie liée. Dès ce matin, j'ai commencé à y travailler avec Catherine Vautrin.
Mme Émilienne Poumirol. - La notion de One Health est connue, mais je regrette que, malgré les plans nationaux santé environnement (PNSE), les politiques soient menées en silo entre ministères.
Mme Else Joseph . - La transition écologique est affirmée par les pouvoirs publics, personne ne conteste sa nécessité. Mais, sur la rénovation des logements, comment les citoyens peuvent-ils se retrouver dans le maquis d'aides ?
L'accompagnement est défaillant. Le réseau Mon Accompagnateur Rénov' ne suffit pas et il n'y a pas de maître d'oeuvre. Au déficit de main-d'oeuvre, patent, s'ajoute la concurrence d'opérateurs malhonnêtes.
MaPrimeRénov' est trop restrictif : il exclut certains logements et impose comme condition préalable un chauffage décarboné. Mais il est dommage d'exclure les chaudières à gaz avec la perspective du biogaz.
Avec le plan « Nouvelle ambition pour les Ardennes », la région Grand Est a pris les devants, formant les habitants à la sobriété énergétique. Nous voulons une écologie de solutions, pas de punition.
M. Christophe Béchu, ministre. - Fonds vert, compléments pour rénover les écoles, tiers financement... voilà les solutions pour les collectivités.
MaPrimeRénov' est un succès : en 2017, ses deux tiers étaient orientés vers les plus riches ; aujourd'hui, ils le sont vers les plus pauvres. Le volume est de 700 000 par an, c'est colossal ! Simplifier, être plus efficace, voilà l'ambition, et ce dès le premier janvier, en encourageant les monogestes efficaces et la rénovation globale.
Comment faire ? En décentralisant. J'espère que, lors de la loi de décentralisation du logement, nous aboutirons à un régime de rénovation énergétique similaire à celui des aides à la pierre. Qui de mieux que les élus pour repérer ceux qui ne sont pas des margoulins ?
Mme Corinne Bourcier . - La voiture électrique permet de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. Il est nécessaire cependant d'accompagner les ménages modestes. Au-delà du leasing, quels sont les dispositifs de soutien à l'achat ?
Ne faudrait-il pas réorienter le barème kilométrique ? De nombreux Français se déplacent pour travailler, notamment dans le domaine des soins à la personne : ne les pénalisons pas.
Enfin, notre groupe soutient le rétrofit. Quelles sont ses évolutions au 1er janvier ?
M. Christophe Béchu, ministre. - La voiture est irremplaçable dans de nombreux territoires.
Le dispositif repose sur plusieurs niveaux. Nous limitons l'offre à 25 000 véhicules afin de le réserver à des voitures produites en France et en Europe.
S'ajoute à cela la prime à la conversion, jusqu'à 14 000 euros pour les résidents des ZFE.
Nous sommes très favorables au rétrofit. Environ 80 % de l'empreinte carbone d'un véhicule est liée à sa fabrication. Certains constructeurs rechignent à donner les garanties et compliquent le développement de cette technique, mais les choses bougent, notamment sous la pression des consommateurs.
Le développement du marché de l'occasion accélérera cette transition.
Mme Denise Saint-Pé . - Sortir de notre dépendance aux énergies fossiles suppose des investissements considérables. Résultat : nos factures énergétiques augmentent.
Le chèque énergie est un début de réponse, mais il est loin de suivre l'évolution des factures et le taux de non-recours stagne autour de 20 %. Il faut simplifier ce dispositif pour le massifier. De plus, il faut habiter un logement soumis à la taxe d'habitation pour le toucher : avec la fin de cet impôt en 2023, il faut adapter ce dispositif utile, mais perfectible.
M. Christophe Béchu, ministre. - L'évolution du mix énergétique est souhaitable pour la transition, mais aussi pour le pouvoir d'achat. Pour le gaz et le pétrole, nous dépendons de pays tiers dans un contexte international de plus en plus inquiétant. C'est la guerre en Ukraine qui a fait exploser les coûts, même si la tendance était inflationniste. Les énergies pilotables ou renouvelables rendent possible une politique plus sociale.
Les décrets d'attribution à venir entre Bercy et le ministère de l'écologie font que je ne serai peut-être pas l'interlocuteur durable sur ces sujets...
Le taux d'usage du chèque énergie est de 78,5 % : nous avons un effort d'information à mener. La question du montant se pose aussi. Mais pour minorer les factures, il est essentiel de diversifier nos sources d'énergie.
Mme Antoinette Guhl . - Merci au groupe SER d'avoir suscité ce débat.
Écologie et social sont les deux faces d'une même pièce, celle de la transition. Pour la mener à bien, nous devons répondre aux grands défis sociaux : accès à une alimentation saine, renforcement des services publics de santé, d'éducation et de logement, solidarité intergénérationnelle à l'égard des générations futures, mais aussi de notre jeunesse précarisée et vulnérable.
Les moins de 30 ans ont le taux de pauvreté le plus élevé, de loin. Les 15-25 ans sont très pessimistes, voire fatalistes, à l'égard de la crise environnementale. L'urgence, vraiment, n'est pas l'uniforme à l'école...
Êtes-vous prêts à conditionner les aides aux entreprises pour dégager des moyens au service des politiques sociales ? Quelles politiques pour la jeunesse ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Accompagner notre jeunesse, c'est d'abord la former. Pour lutter contre l'éco-anxiété, il faut éviter d'entretenir un écolo-défaitisme. Nous ne faisons pas tout bien, mais il y a des résultats : faire comme s'ils n'existaient pas, c'est dissuader d'agir.
Les leviers d'engagement doivent être encouragés, par exemple dans le cadre du service national universel (SNU) et du service civique. L'action est un moyen de lutter contre la désespérance.
Le volet social est le verso de la page de la transition. Il offre des opportunités de création d'activités et d'amélioration de la vie, de retrouver des espaces de compétitivité perdus au bénéfice du bout du monde.
Mme Marie-Claude Varaillas . - Les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient : 2023 fut l'année la plus chaude de l'histoire. Une bifurcation écologique s'impose pour éviter une hausse des températures de 4 degrés, qui nous plongerait dans l'inconnu.
Cette transition implique coopération internationale et justice sociale. Il faut demander plus à ceux qui polluent plus pour aider les Français à vivre mieux.
Au lieu des ZFE, nous proposons la gratuité des transports urbains, la rénovation massive des logements par l'aide aux bailleurs, notamment sociaux, et une aide à une alimentation saine. L'urgence est là !
Comptez-vous relever ces défis, alors que les entreprises du CAC 40 ont distribué l'année dernière 97 milliards d'euros de dividendes ? (Mme Cécile Cukierman et M. Franck Montaugé applaudissent.)
M. Christophe Béchu, ministre. - Oui, nous devons massifier nos efforts : c'est le sens du rapport Pisani-Ferry. C'est aussi celui des 10 milliards d'euros supplémentaires prévus pour la transition en 2024 - tout simplement historique - ou encore des 2,5 milliards d'euros du fonds vert.
Demander plus à ceux qui le peuvent ne me choque pas. Le tout est de le faire de façon intelligente.
Ce matin, auprès d'Action Logement, j'ai évoqué le 1,2 milliard d'euros négocié par M. Vergriete et le projet de loi à venir sur les copropriétés dégradées qui mettra fin à la règle de l'unanimité pour les rénovations.
La gratuité des transports n'est pas consensuelle, même dans des villes de gauche. Le plus important est d'investir dans l'offre et la fréquence : peu de gens ne prennent pas les transports en commun pour des raisons de prix, mais beaucoup parce qu'il n'y en a pas suffisamment, pas aux bonnes heures ou qu'on ne s'y sent pas en sécurité.
Mme Marie-Claude Varaillas. - L'empreinte carbone des 10 % les plus riches est sept fois supérieure à celle des 10 % les plus pauvres. Nous ne répondrons pas à l'urgence climatique sans sortir du capitalisme financier, qui nuit à notre souveraineté comme au climat ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Colombe Brossel applaudit également.)
M. Éric Gold . - L'engouement suscité par le leasing social de voitures électriques s'explique par les besoins immenses en mobilité solidaire et écologique en zone rurale.
Dans ces territoires où le revenu par habitant est moins élevé et où la voiture reste indispensable, des innovations se mettent en place. Ainsi, dans le bassin de Riom - dont le maire est en tribune -, la communauté de communes Chavanon Combrailles et Volcans a lancé un réseau solidaire de mobilité pour covoiturer des personnes souvent âgées.
D'autres initiatives ont été lancées : la multiplication de ces innovations nécessiterait l'instauration d'un portail national unique pour la mobilité solidaire. Le leasing électrique ne permettra pas de répondre à tous les besoins, notamment ceux des classes moyennes.
D'autres projets sont-ils envisagés par le Gouvernement pour faciliter la mobilité en zone rurale ?
M. Christophe Béchu, ministre. - L'ouverture de petites lignes ferroviaires peut apporter des réponses dans certains territoires. Le plan France Ruralités prévoit 90 millions d'euros de soutien aux collectivités territoriales. Le fonds vert permet d'accompagner des centaines de territoires.
Le transport représente 30 % de nos émissions. En Auvergne-Rhône-Alpes, il me reste trois ou quatre COP territoriales à installer pour accélérer la décarbonation du secteur. Ce n'est pas à Paris de dire ce qu'il faut faire, mais aux territoires en fonction des besoins qu'ils identifient.
Mme Nadège Havet . - Merci au groupe SER pour ce débat sur un sujet fondamental.
Les classes populaires polluent moins, alors même qu'elles souffrent plus des pollutions. On entend pourtant des leçons de la part de personnes ayant un niveau de vie peu compatible avec des discours moralisateurs.
Le leasing social est une avancée considérable : les politiques publiques deviennent enfin compatibles avec le portefeuille des Français. Pourriez-vous revenir dans le détail sur cette mesure ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Oui, nous arrivons au moment où des innovations prometteuses peuvent être généralisées.
La planification écologique à la française ne repose pas sur des innovations qui n'existent pas ; ce n'est pas du technosolutionnisme. Dans notre schéma, 20 % de l'effort vient de changements de comportements, 60 % de l'accélération de dispositifs qui existent et 20 % d'espérances d'innovation - l'hydrogène, par exemple.
Le leasing électrique soutient la transformation de notre industrie automobile. Si nous n'avions rien fait, nous aurions été submergés par des produits fabriqués au bout du monde. Nos concitoyens sont en train de prendre ce virage : tous les mois, le taux d'immatriculation de véhicules électriques augmente.
Le leasing à 100 euros hors assurance concrétise un engagement du Président de la République pour des véhicules construits en Europe et des personnes modestes - il s'agit bien d'une politique sociale. Dans le sillage de cette mesure emblématique, l'offre va s'accroître en nombre et en variété. Elle se démocratisera grâce au marché de l'occasion.
M. Hervé Gillé . - Dans son rapport annuel de 2023, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) évalue l'adhésion des Français aux défis de la transition. Sans surprise, l'éco-anxiété s'installe.
Nous attendions beaucoup d'une loi de programmation Énergie-climat ; à la place, un projet de loi Transition énergétique voit le jour, avec du retard. Avez-vous abandonné l'idée d'une loi de programmation ?
Quelles sont vos propositions, alors que le prix de l'électricité va augmenter de 10 % ? Le taux d'effort n'est pas le même pour toutes et tous. J'ai proposé par exemple un rééquilibrage de la taxe sur l'eau. (Mme Colombe Brossel applaudit.)
M. Christophe Béchu, ministre. - Notre pays est le seul à avoir défini une planification. Nous devons passer à sa territorialisation et à son financement. J'ose croire que ce qui vous importe n'est pas le jour de la présentation du dispositif, mais sa cohérence et son ambition. Prendre du temps pour associer les acteurs territoriaux, ce n'est pas perdre du temps.
Le coût de l'inaction rendra économiquement nécessaire une accélération de la décarbonation. La performance de l'industrie n'est pas liée seulement à une prise de conscience citoyenne, mais aussi aux effets économiques de la dépendance à des énergies qu'on ne maîtrise pas.
L'argent public, limité, devra être concentré là où il y a impasse de financement, sur la base d'un diagnostic territorial fin.
M. Hervé Gillé. - Nous devons repenser la mesure du taux d'effort (M. Christophe Béchu renchérit), en liaison avec les CAF et les conseils départementaux. Je vous propose de travailler sur ce chantier.
M. Marc Laménie . - Je remercie nos collègues du groupe SER pour ce débat de société qui met en jeu des budgets très importants. J'insisterai sur un sujet qui m'anime particulièrement : les transports publics ferroviaires.
Je connais l'engagement de l'État pour le fret capillaire et les petites lignes. Certains de nos concitoyens prennent souvent le train, d'autres restent des inconditionnels de la voiture.
Nous devons réfléchir aux dessertes et aux tarifications, mais aussi aux moyens humains, notamment pour assurer la sécurité. Les contrôleurs sont de moins en moins nombreux, sans parler du personnel en gare - où, parfois, les automates ne fonctionnent pas. Il est important de préserver ce lien humain.
M. Christophe Béchu, ministre. - Je ne suis pas surpris de vous entendre sur ce sujet. Notre pays est riche de ses 29 000 km de voies ferrées. Le choix de tout investir sur les grandes lignes a détérioré le service sur les petites. Il ne suffit pas d'inscrire une somme dans une loi de finances pour que les trains circulent. Le train de nuit pour Aurillac montre bien qu'il faut un sursaut national.
Cent milliards d'euros, voilà l'engagement acté par Élisabeth Borne et qui sera confirmé par Gabriel Attal. C'est une pierre angulaire de notre politique de décarbonation.
Nous devons majorer la part de notre fret - 10 % aujourd'hui, deux fois moins que la moyenne européenne. Comme l'a bien montré un rapport du Sénat, il ne suffit pas d'investir dans les rails : il faut aussi rénover les plateformes.
Nos concitoyens prennent de plus en plus le train. Il faut proposer une expérience voyageur en matière de sécurité et de propreté à la hauteur de leurs attentes.
M. Bernard Pillefer . - Les aides de MaPrimeRénov' pour le chauffage au bois baissent de 30 %. Or ce mode de chauffage concerne un quart des Français.
La programmation pluriannuelle de l'énergie prévoit le doublement du nombre de logements chauffés par biomasse à l'horizon 2028.
Pourquoi cette baisse paradoxale de 30 %, qui n'est justifiée ni par des critères environnementaux ni par des critères sanitaires ? Le prélèvement de bois en France est bien inférieur à la croissance de la forêt et pour réduire l'émission de particules fines, il faudrait plutôt remplacer les équipements anciens. Dans les zones rurales et périurbaines, cela concerne la moitié des ménages.
Pourquoi avoir baissé cette aide ? Quelle est la place du chauffage au bois dans votre politique de transition écologique ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Nous n'avons rien contre le chauffage à bois. Effectivement, la biomasse croît plus vite que la consommation. Mais si tous les Français se chauffaient au bois, il en irait autrement. Certaines mégapoles mondiales ont interdit ce type de chauffage. Nous devons rappeler les bonnes pratiques, par exemple ne pas faire brûler du bois mouillé - mais je ne vous apprends rien.
Le prix du bois et des pellets est revenu à des niveaux normaux. En baissant les aides, nous voulons seulement ne pas favoriser le bois plutôt que les pompes à chaleur. Compte tenu de ses faibles coûts de fonctionnement, le chauffage au bois reste très compétitif sur le long terme.
Mme Viviane Artigalas . - L'accès à un logement abordable et digne est un droit fondamental. Mais les inégalités augmentent : 37 % des passoires énergétiques sont occupées par des ménages pauvres. Leur pouvoir de vivre, c'est choisir entre payer le loyer ou se nourrir correctement.
Mais vous, dans la loi Immigration, vous réduisez l'accès aux aides personnelles au logement (APL) pour les immigrés en situation régulière !
Le groupe SER a multiplié les propositions : proposition de loi visant à résorber la précarité énergétique, nombreux amendements au projet de loi de finances. Rien n'a été retenu.
Pour réduire ces inégalités, allez-vous enfin accompagner nos concitoyens ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Je ne m'attendais pas à être interpellé sur la loi Immigration...
Michel Rocard disait que notre pays ne peut accueillir toute la misère du monde. (Protestations sur les travées du groupe SER)
M. Franck Montaugé. - Mais que chacun doit en prendre sa part !
M. Christophe Béchu, ministre. - Je trouve que vos jugements sont à géométrie variable !
Partout en Europe, quelle que soit la couleur du Gouvernement, on rencontre les mêmes problèmes : une contraction des mètres carrés à cause de la hausse du coût de l'argent et de celui de la construction.
S'ajoute à cela l'enjeu écologique. L'Île-de-France compte 3,5 millions de mètres carrés de bureaux vides. Nos concitoyens développent parfois une allergie à avoir des voisins, avec des pétitions s'opposant à des permis de construire. Nous devons retrouver les raisons collectives pour construire plus sobre.
Mme Viviane Artigalas. - Une transition écologique réussie doit bénéficier à tous, pas seulement aux plus aisés. Les Français ne se sentent pas concernés, car ces politiques n'apportent aucune amélioration de leur quotidien. La politique du logement ne peut être une variable d'ajustement budgétaire ; elle doit être une cause de mobilisation nationale.
M. Jean-Claude Anglars . - Les mobilités sont un enjeu au coeur du quotidien de nos concitoyens. Dans les zones peu denses, la voiture est essentielle. Pour les jeunes actifs, les seniors, les personnes dépendantes, les touristes, le pouvoir de vivre, c'est l'accès aux infrastructures routières.
Mais la limitation de la vitesse à 80 kilomètres par heure et la hausse du prix du carburant et des péages sont vécues comme autant de stigmatisations.
La transformation des mobilités est difficile dans les zones rurales, faute d'alternative. Dans l'Aveyron, nous attendons l'achèvement de la RN88.
Quels investissements le Gouvernement envisage-t-il pour répondre à l'augmentation des coûts de la mobilité, notamment dans l'Aveyron ?
M. Christophe Béchu, ministre. - L'article 38 de la loi 3DS prévoit le transfert de compétences de certaines routes. C'est le cas de la RN88, dont la charge revient désormais au conseil départemental de l'Aveyron. Même si nous privilégions les infrastructures ferroviaires, le contrat de plan État-région (CPER) pourra concerner des études relatives à la RN88, dont certains secteurs sont en zone Natura 2000.
Je vous rejoins sur la stigmatisation des habitants des zones rurales : ne construisons pas des adversaires de la transition écologique. C'est pourquoi, avec l'aide France Ruralités aux autorités organisatrices de la mobilité (AOM) en milieu rural, nous espérons ne laisser personne au bord de la route, qu'elle soit nationale ou départementale...
M. Fabien Genet . - Je ne regrette pas d'avoir assisté à ce débat, même si je n'ai pu assister à la déclaration de politique générale que le Président de la République a cru bon de prononcer, de manière constitutionnellement un peu audacieuse...
Sur le terrain, la fracture sociale est grande. Nos concitoyens trouvent que cette politique de transition écologique est élaborée bien loin d'eux, sans prendre en compte leurs difficultés, comme à Barbieland.
Nous nous interrogeons aussi sur la méthode. La présentation des objectifs par le sous-préfet, dans mon département, était un effrayant parangon de centralisme jacobin. Il faut mieux associer les collectivités territoriales.
L'autoconsommation énergétique doit être favorisée, grâce au photovoltaïque, avec un éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) ou un taux de TVA réduit de 5,5 %. Nous l'avions proposé dans le cadre du projet de loi de finances, mais le 49.3 en a décidé autrement. Peut-on espérer une évolution ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Une confidence : je n'ai pas eu le temps de voir Barbie - j'ai préféré Oppenheimer.
M. Fabien Genet. - Choix très genré !
M. Christophe Béchu, ministre. - Oui, nous avons des marges de progrès dans l'association des élus. Notre politique est encore balbutiante : tous les territoires ne se sont pas saisis du fonds vert de la même manière.
Nos concitoyens doivent comprendre que le risque n'est pas de faire, mais de ne pas faire. J'ai échangé avec des habitants du Pas-de-Calais qui s'interrogent sur les permis de construire... On comprend qu'il faut changer notre approche.
Sur l'autoconsommation, nous avons doublé par rapport à 2022 - et même triplé en 24 mois ! Continuez à y croire : c'est une attente de nos concitoyens et cela diversifie notre mix énergétique.
Mme Monique Lubin, pour le groupe SER . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'effort pour réussir la transition écologique est sans précédent. Le pouvoir de vivre est central et les plus précaires doivent faire l'objet d'une attention renforcée, car ils sont plus durement touchés et ont moins de moyens.
Une étude du ministère de la santé montre que les communes les plus pauvres sont les plus exposées à la pollution de l'air et des sols.
Les plus précaires n'ont pas le bilan carbone le plus lourd. Philippe Coulangeon, sociologue au CNRS, synthétise le problème : la frugalité sans intention pèse lourd pour 27 % des ménages, qui consomment peu et polluent peu. Or l'acceptabilité sociale est cruciale ; à défaut, des résistances se créent, comme pour la taxe carbone.
Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz montrent que les sociétés avancées ont été incapables de répartir équitablement les gains de la mondialisation.
Éloi Laurent l'a dit : les inégalités sociales jouent un rôle moteur dans les crises écologiques. Il revient aux pouvoirs publics de le comprendre pour trouver des solutions. Nous devons embarquer les populations pour réussir la transition écologique.
Il faut ainsi adapter les minima sociaux, car plus de 9 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le groupe SER a défendu en janvier 2021 l'extension du revenu de solidarité active (RSA) aux jeunes dès 18 ans.
Nous sommes aussi attentifs à la rénovation énergétique des bâtiments, notamment des logements sociaux, qui doivent être adaptés au réchauffement climatique.
Sur le front des mobilités, nous voulons aussi des véhicules vertueux à des prix adaptés, pour les populations rurales qui ne peuvent accéder au métro ou au train.
Les politiques de solidarité doivent permettre d'amortir le choc de la transition écologique. Il faut une juste redistribution de l'impôt, pour accompagner les plus modestes dans la transition écologique. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K et du GEST)
La séance est levée à 22 h 55.
Prochaine séance demain, mercredi 17 janvier 2024, à 15 heures.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 17 janvier 2024
Séance publique
À 15 heures et le soir
Présidence : M. Gérard Larcher, président, Mme Sophie Primas, vice-présidente, M. Pierre Ouzoulias, vice-président
Secrétaires : M. François Bonhomme, Mme Nicole Bonnefoy
1. Questions d'actualité
2. Désignation des 23 membres de la commission d'enquête portant sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050 (droit de tirage du groupe Union Centriste)
3. Proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à condamner l'offensive militaire de l'Azerbaïdjan au Haut-Karabagh et à prévenir toute autre tentative d'agression et de violation de l'intégrité territoriale de la République d'Arménie, appelant à des sanctions envers l'Azerbaïdjan et demandant la garantie du droit au retour des populations arméniennes au Haut-Karabagh, présentée par MM. Bruno Retailleau, Gilbert-Luc Devinaz et plusieurs de leurs collègues (n°157, 2023-2024) (demande du groupe Les Républicains)
4. Proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale, présentée par Mme Nathalie Delattre et plusieurs de ses collègues (n°602, 2022-2023) (demande du groupe RDSE)
5. Débat portant sur les violences associées au football, dans et hors des stades (demande du groupe UC)