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Table des matières



Services express régionaux métropolitains (Conclusions de la CMP)

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour le Sénat de la CMP

M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports

Discussion du texte élaboré par la CMP

Article 1er bis

Article 5 ter

Explications de vote

M. Didier Mandelli

M. Louis Vogel

M. Franck Dhersin

M. Jacques Fernique

M. Pierre Barros

M. Ahmed Laouedj

Mme Nadège Havet

M. Olivier Jacquin

Ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP (Conclusions de la CMP)

M. Franck Dhersin, rapporteur pour le Sénat de la CMP

M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports

M. Louis Vogel

M. Vincent Capo-Canellas

M. Jacques Fernique

M. Pierre Barros

M. Ahmed Laouedj

Mme Nadège Havet

M. Simon Uzenat

M. Philippe Tabarot

Mise au point au sujet d'un vote

Restitution des restes humains appartenant aux collections publiques (Conclusions de la CMP)

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure pour le Sénat de la CMP

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture

Mme Marie-Claude Lermytte

M. Pierre-Antoine Levi

M. Thomas Dossus

M. Pierre Ouzoulias

M. Bernard Fialaire

M. Martin Lévrier

M. Adel Ziane

M. Max Brisson

Revaloriser le métier de secrétaire de mairie (Conclusions de la CMP)

Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour le Sénat de la CMP

M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques

Mme Françoise Gatel

M. Grégory Blanc

Mme Céline Brulin

M. Michel Masset

M. Martin Lévrier

M. Pierre-Alain Roiron

M. Didier Mandelli

M. Joshua Hochart

Mme Marie-Claude Lermytte

Mise au point au sujet d'un vote

Accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels (Conclusions de la CMP)

Mme Corinne Imbert, rapporteure pour le Sénat de la CMP

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Mme Anne Souyris

Mme Céline Brulin

Mme Véronique Guillotin

M. Martin Lévrier

Mme Émilienne Poumirol

Mme Florence Lassarade

Mme Corinne Bourcier

Mme Nadia Sollogoub

Utilisation des titres-restaurant (Procédure accélérée)

Discussion générale

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure de la commission des affaires sociales

Mme Cathy Apourceau-Poly

Mme Véronique Guillotin

M. Martin Lévrier

Mme Annie Le Houerou

Mme Alexandra Borchio Fontimp

Mme Corinne Bourcier

Mme Nadia Sollogoub

Mme Raymonde Poncet Monge

M. Marc Laménie

Discussion de l'article unique

Avant l'article unique

Article unique

Ordre du jour du mardi 19 décembre 2023




SÉANCE

du lundi 18 décembre 2023

48e séance de la session ordinaire 2023-2024

Présidence de Mme Sophie Primas, vice-présidente

Secrétaires : Mme Véronique Guillotin, M. Philippe Tabarot.

La séance est ouverte à 16 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Services express régionaux métropolitains (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative aux services express régionaux métropolitains (Serm).

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour le Sénat de la CMP .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDPI) Quatre ans après la promulgation de la loi d'orientation des mobilités (LOM), dont le rapport annexé préconisait déjà la réalisation de RER métropolitains, je suis heureux de vous retrouver pour les conclusions de la CMP sur cette proposition de loi relative aux Serm. Depuis son dépôt en avril par Jean-Marc Zulesi, rapporteur à l'Assemblée nationale, cette proposition de loi s'est considérablement enrichie au cours de la navette.

Je me félicite que la plupart des apports du Sénat aient été retenus dans le texte de la CMP. En premier lieu, nous avons fait des Serm un outil au service d'une plus grande équité territoriale. Nous y avons ainsi intégré des lignes de cars express, plus souples et plus rapides que le ferroviaire. Cet ajout ainsi que celui, là aussi systématique, des pistes cyclables, ont été maintenus dans la définition des Serm, pour en faire de véritables services multimodaux.

Nous avons remis les territoires au coeur du processus en renforçant la place des collectivités territoriales dans la décision de faire participer la Société des grands projets (SGP) à un projet de Serm.

Nous avons clarifié la répartition des compétences entre la SGP d'une part, et SNCF Réseau et sa filiale SNCF Gares & Connexions d'autre part. La navette a levé les ambiguïtés tout en évitant l'archipélisation du réseau ferré national.

Nous avons précisé le modèle économique et financier des Serm. Le Sénat avait posé le principe d'une conférence nationale de financement d'ici au 30 juin 2024, rendez-vous confirmé en CMP, de même qu'une tarification spécifique : les péages ne sauraient freiner le développement de nouvelles offres de transports collectifs.

La CMP a également maintenu l'annexion au contrat de performance État-SNCF Réseau du programme triennal des investissements du gestionnaire d'infrastructure.

Il reste encore beaucoup à faire dans nos territoires pour voir sortir dix Serm d'ici dix ans. Restons lucides : ce texte ne résout pas le problème du financement, en investissement et surtout en fonctionnement. Gardons en tête l'exemple préoccupant du Grand Paris Express.

Les 765 millions d'euros prévus dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER) sont un signal encourageant, mais ils ne financeront tout au plus que quelques études. Je place beaucoup d'espoir dans la conférence de financement.

Les transports sont un secteur de temps long, il faut un cap clair et de la visibilité en matière de financement. Je me réjouis de l'augmentation du plafond d'emploi de la SGP inscrite dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2024, en souhaitant que cette dynamique se poursuive, car les besoins iront croissant. Une nouvelle loi de programmation des infrastructures de transport est une priorité, monsieur le ministre ! (Applaudissements)

M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports .  - À quelques jours de Noël, je suis heureux de célébrer avec vous un texte important, qui réunit plusieurs ambitions concrètes et cruciales pour l'écologie.

C'est un grand texte écologique, qui permettra de développer des réseaux de services de transport public dans une dizaine de métropoles - pour commencer. C'est une profonde transformation, car comme le dit le Président de la République, nous avons besoin de donner aux millions de Français qui utilisent la voiture faute d'alternative un accès aux transports collectifs publics. Ces Serm ne sont pas métropolitains au sens étroit du terme. Nos centres-villes sont souvent déjà bien équipés. Il s'agit de donner aux millions de Français qui habitent à 30, 50 ou 80 km des centres-villes un accès à des transports collectifs décarbonés pour qu'ils puissent choisir et non subir leur mode de transport. C'est une ambition politique, au sens noble, et écologique.

Ce texte est également pragmatique : il fait confiance aux collectivités territoriales, et repose sur leur liberté. Il ne plaque pas un modèle unique calqué sur le Grand Paris Express, il offre une faculté pour que chaque métropole concernée puisse proposer un projet, pour une labellisation et un financement. Le Sénat a conforté cette approche, essentielle pour réussir la transition écologique, qui exige du sur-mesure.

Le « S » des Serm est essentiel : il s'agit bien de services et non d'un seul modèle de transport. Les besoins de mobilité ne sont pas les mêmes à Lille et à Bordeaux, à Grenoble et à Rennes ; les métropoles pourront offrir une large palette d'options de transports décarbonés. Je pense que ce pragmatisme ambitieux est intelligent.

Enfin, c'est un texte d'intelligence collective. Je rends hommage au rapporteur, au président Longeot, à M. Dhersin entre autres, et au président M. Zulesi. Ensemble, avec l'Assemblée nationale, vous avez réussi à trouver des améliorations tout au long de la navette : bus à haut niveau de service, conférence de financement... La navette a été exemplaire.

Nous avons la mauvaise habitude, dans notre pays, de ne pas capitaliser sur ce qui a bien fonctionné - soit en pérennisant une structure sans faire évoluer ses missions, soit en détruisant sa valeur ajoutée. Mais la Société du Grand Paris a développé des compétences et un savoir-faire ; elle devient utilement une Société des grands projets, qui apportera son expertise pour piloter, et le cas échéant financer les projets de Serm.

Début janvier, je détaillerai les prochaines étapes : un cahier des charges sera rendu public pour les collectivités, afin qu'elles puissent rapidement lancer des études - grâce aux crédits des CPER - et présenter les projets les plus avancés.

Avant l'été 2024 se tiendra la conférence de financement, pour fixer les modalités de financement, y compris pour l'exploitation dans la durée.

Nous avons repris le meilleur du Grand Paris Express - société de projets, financements dédiés - et tiré les conséquences du manque d'anticipation sur le financement de l'exploitation, même si nous avons enfin réussi à négocier des financements pérennes avec la région Île-de-France. Nous ferons tout pour que cette belle idée ne devienne pas une pomme de discorde entre l'État et les collectivités territoriales.

Nous dépasserons probablement les 800 millions d'euros dans les CPER pour financer les études et les investissements. C'est plus qu'une marque de soutien : une modalité concrète d'avancement.

Dans quelques années, nous pourrons être fiers d'avoir participé à la belle aventure des Serm par ce texte essentiel.

Discussion du texte élaboré par la CMP

Mme la présidente.  - En application de l'article 42, alinéa 12 du Règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.

Article 1er bis

Mme la présidente.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 5

Remplacer les mots :

il assure

par les mots :

ils assurent

M. Clément Beaune, ministre délégué.  - Cet amendement corrige une erreur rédactionnelle : les membres du groupement d'intérêt public (GIP) ou de la structure de coordination sont bien les maîtres d'ouvrage des projets d'infrastructures constituant le Serm.

M. Philippe Tabarot, rapporteur.  - Favorable. C'est opportun.

Article 5 ter

Mme la présidente.  - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 1

Remplacer la date :

31 décembre 2023

par la date :

30 juin 2024

M. Clément Beaune, ministre délégué.  - Cet amendement repousse la date de remise d'un rapport, le 31 décembre 2023 nous semblant un peu proche ! (Sourires) Je m'engage à ce que ce rapport soit rendu avant la conférence de financement, pour ne pas l'enjamber.

M. Philippe Tabarot, rapporteur.  - Favorable. C'est pragmatique.

Explications de vote

M. Didier Mandelli .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-François Longeot applaudit également.) En novembre 2022, le Président de la République s'est engagé à créer des RER métropolitains, rappelant l'ambition de la LOM. Désaturation des accès aux villes, réduction des inégalités territoriales, amélioration des offres de déplacement du quotidien, accessibilité des villes moyennes : Jean-Baptiste Djebbari affirmait déjà en 2019 la volonté du Gouvernement de doter les métropoles de liaisons transversales rapides, fréquentes et interconnectées.

Une nouvelle fois, le Parlement vient au secours du Gouvernement, avec cette proposition de loi. Grâce à l'excellent travail de Philippe Tabarot, nous avons amélioré le texte, notamment en systématisant l'inclusion d'une offre de cars express et de réseaux cyclables, pour offrir une offre multimodale. Nous avons aussi renforcé le rôle des collectivités. Il n'y a pas de modèle unique à dupliquer : les Serm doivent être pensés à l'échelle du territoire, et ne se développeront pas sans l'engagement des acteurs locaux, qui ont déjà initié de beaux projets.

Nous avons prévu, pour les financer, une conférence de financement d'ici le 30 juin 2024. La Première ministre s'est engagée à augmenter de 50 % les financements pour le ferroviaire d'ici 2027. Vous avez annoncé 767 millions d'euros pour la réalisation des études, et indiqué que les collectivités pourront mobiliser des recettes fiscales - mais on reste loin des 13 milliards d'euros nécessaires selon Jean-Pierre Farandou.

Je me félicite de l'accord en CMP, qui conserve largement les apports du Sénat - et j'en remercie notre rapporteur.

Les Serm sont un premier pas vers les nouvelles mobilités. Reste à trouver le modèle adapté à chaque territoire et à les financer. Nous suivrons avec attention la conférence nationale de financement à venir. Le groupe Les Républicains votera ce texte.

M. Louis Vogel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Cette proposition de loi répond aux enjeux de mobilité, de transition écologique et aux enjeux des territoires - lutte contre l'artificialisation des sols, aménagement du territoire écologiquement et socialement juste, offre de transports variés.

Je salue le travail de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de son rapporteur. Les deux assemblées sont au rendez-vous de ce sujet structurant.

En première lecture, notre groupe avait soulevé plusieurs points d'attention. Les financements et les investissements nécessaires restent à trouver : sans argent, pas de projet. Les Serm supposeront des financements publics et privés bien orientés, et des solutions pérennes comme les ressources fiscales. Je salue la création de la conférence nationale de financement, dont les missions ont été précisées en CMP.

Nous avions dit nos inquiétudes sur les sillons ferroviaires, déjà portés au maximum de leurs capacités, et proposé des amendements sur la possibilité d'organiser des Serm entre plusieurs métropoles - question de bon sens. Les Serm sont une chance pour relever le défi de l'intermodalité et les liaisons entre banlieue et centre-ville. Il conviendra de cibler la desserte de certaines gares pour assurer la connexion entre le rail et la route.

Enfin, les élus locaux sont les acteurs de terrain les mieux à même de régler les problèmes de terrain. Nous souscrivons à l'objectif du Président de la République de développer ces services de manière décentralisée. Le groupe INDEP votera les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

M. Franck Dhersin .  - Le groupe UC est plus que favorable à cette évolution législative. Ce texte est une occasion unique de bénéficier, avec la SGP, d'un retour sur expérience formidable avec le Grand Paris Express. Peu de métropoles peuvent se targuer d'avoir créé 200 kilomètres de lignes supplémentaires, avec la création de quatre lignes de métro et le prolongement de deux autres.

Ce texte permettra à la SGP de dépasser son statut initial et d'utiliser son savoir-faire au bénéfice d'autres métropoles. Cette évolution sécurisera en outre les carrières des collaborateurs de la SGP.

Au sein des GIP, le dialogue entre les acteurs sera primordial. Faisons confiance à la SGP et à SNCF Réseau pour créer les synergies nécessaires. Le législateur a confié à juste titre le pilotage aux collectivités locales : il faudra la plus grande transparence dans les échanges entre la SGP, SNCF Réseau et les collectivités.

La question du financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) n'est pas traitée sérieusement depuis des années. Comment voulez-vous que les collectivités s'engagent dans des projets dont les financements peuvent s'étaler sur des dizaines d'années, sans aucune visibilité sur les ressources qu'apportera l'État ?

Si le Gouvernement souhaite que les AOM construisent des réseaux de transport ambitieux, il est indispensable que les collectivités puissent percevoir ou lever en propre de nouvelles ressources. À cet égard, je me réjouis de la création d'une conférence de financement des Serm, à l'initiative de notre rapporteur.

Il se dit que le plafond d'emplois de la SGP ne serait pas -  ou peu  -  relevé, alors que le législateur élargit le cadre de ses missions. Monsieur le ministre, une absence de revalorisation de ce plafond d'emplois dans le PLF 2024 susciterait l'incompréhension totale des parlementaires. Le Grand Paris Express n'est pas encore livré, or les études préparatoires des Serm vont être lancées : le SGP doit avoir les moyens de faire face.

Une fois ces obstacles surmontés, il sera temps pour tous les acteurs de se mettre au travail. Notre pays est une grande nation de transport. Nul doute qu'ils envisageront ces Serm comme un grand dessein national, industriel et écologique.

M. Jacques Fernique .  - Cette proposition de loi doit contribuer à un essor puissant des mobilités durables du quotidien. Dès 1995, émergeait l'idée de RER en province, vite reléguée par d'autres priorités à grande vitesse. En 2007, le Grenelle de l'environnement fixait l'objectif de 20 % de part modale du ferroviaire pour 2020, avec le succès que l'on sait. L'idée a ressurgi en 2018 dans le premier rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI), avant d'être reprise lors de la LOM en 2019, puis lorsque le Président de la République a annoncé un déploiement pour dix métropoles - ambition précisée dans le dernier rapport du COI.

Des intentions, des annonces, mais qu'en est-il concrètement ? Aujourd'hui, une dizaine de projets sont en cours, dont beaucoup n'avancent guère. Seuls ressortent le Léman Express, Bordeaux et le réseau express métropolitain européen de Strasbourg.

Ce texte vise à donner de la cohérence aux Serm et à en finir avec l'omniprésence de la voiture : 90 % des déplacements entre 10 et 80 km se font en voiture, le plus souvent seul, et à peine 2 % des kilomètres parcourus chaque année par nos concitoyens le sont en TER. Il faut sortir de cette mobilité subie et rendre l'offre de transports publics attractive, car continue, cadencée, et bien connectée.

Cette proposition de loi est le fruit d'un travail riche et transpartisan entre nos deux chambres et de nombreux échanges avec les acteurs concernés. J'y ai contribué en organisant un colloque ici au Sénat.

Je salue Philippe Tabarot et Jean-Marc Zulesi pour la qualité des travaux en CMP. Le texte comprend des dispositions innovantes pour permettre le déploiement des Serm, garantir un maillage territorial et une multimodalité, et pour tirer parti de l'expérience de la SGP.

Il est déterminant que le vélo ait été placé au bon endroit du texte, car c'est un accélérateur d'intermodalité et de décarbonation. Les usagers aspirent à la fluidité.

Notre groupe se satisfait de la mention claire du caractère gratuit de la remise des nouvelles infrastructures à SNCF Réseau. Nous espérons que la question des péages ferroviaires sera reconsidérée.

Nous n'approuvons pas en revanche l'article 5 ter qui impute au forfait national du ZAN les consommations foncières résultant des Serm, qui auraient vocation à figurer dans le forfait régional.

Reste la lourde incertitude du financement. Il faut construire des trajectoires financières pour assurer les coûts d'exploitation et les éventuels investissements nouveaux. La conférence nationale de financement est à ce titre essentielle, car nous ne disposons pour le moment que de 767 millions d'euros sur cinq ans via les CPER. À vous de jouer, monsieur le ministre, pour que votre gouvernement propose une programmation solide et stable pour les Serm.

C'est avec l'espoir de ne pas revivre une nouvelle grande annonce déçue que mon groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Pierre Barros .  - Alors que les transports sont responsables de 30 % des émissions de gaz à effet de serre, sortir des énergies fossiles d'ici à 2050 est une priorité. Il faut donc trouver des alternatives à la voiture et au camion, et le transport ferroviaire est au coeur de la stratégie du Gouvernement.

Nous nous félicitons du consensus trouvé sur le présent texte. Notre groupe avait défendu une proposition de résolution sur le sujet, adoptée au Sénat en décembre 2022.

Des moyens importants sont enfin annoncés pour faire du ferroviaire une grande cause nationale. Cette proposition de loi va dans le bon sens. Les Serm offriront un véritable maillage de transports dans nos grandes agglomérations.

Reste la question des moyens déployés. Seuls 765 millions d'euros ont été fléchés sur les cinq prochaines années, pour financer des études. En matière d'investissement, les quelques milliards inscrits au PLF 2024 sont bien insuffisants, quand le rapport du COI chiffre les besoins entre 15 et 20 milliards d'euros.

Nous serons attentifs aux décisions prises lors de la conférence nationale de financement, désormais inscrite dans la loi. Nous verrons si nous avions raison d'espérer ou si les projets resteront dans les tiroirs...

Ceux-ci ne pourront pas reposer uniquement sur les finances des collectivités, en investissement comme en fonctionnement. Monsieur le ministre, l'État doit prendre ses responsabilités pour aller au-delà de l'opération de communication. Vous avez annoncé investir 100 milliards d'euros pour une nouvelle donne ferroviaire. Combien pour les Serm ?

La situation préoccupante des lignes du quotidien et du fret ferroviaire ne doit pas être oubliée. Le droit à la mobilité doit être effectif partout. Or de nombreux territoires ruraux sont aujourd'hui rayés de la carte, et éprouvent un sentiment de déclassement douloureux. La ligne de l'Aubrac est menacée de disparition ; sur la ligne POLT, les fréquences sont drastiquement réduites.

Le fret ferroviaire n'est pas en reste. La part du rail dans les transports de marchandises a été divisée par deux entre 2006 et 2019, au profit du transport routier, bien plus polluant. La ligne Flamboin-Montereau est sacrifiée, ainsi que les emplois qui vont avec : pourquoi ?

Dans le PLF, nous avons proposé d'allouer dès cette année 3,9 milliards d'euros au ferroviaire, sans succès. Le groupe CRCE-K votera néanmoins ce texte, mais sera vigilant sur les décisions prises, car le futur du rail est en jeu. Depuis 1945, 20 000 kilomètres de lignes ont été abandonnés ! L'effort à accomplir est colossal.

Vous avez la possibilité de porter réellement l'alternative que nous appelons de nos voeux. Nous avons envie de vous croire. Ne décevez pas les Français ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du GEST)

M. Ahmed Laouedj .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Je salue le travail mené par nos deux chambres, dans un esprit de dialogue et d'ouverture. Cette proposition de loi est bienvenue, affranchie des clivages idéologiques au bénéfice de l'intérêt général et de l'écologie. Quatre ans après la LOM, le texte offre enfin un cadre légal au développement des mobilités du quotidien. Face à l'urgence climatique et à la fracture économique, sociale et territoriale entre la France urbaine et la France rurale, espérons que le déploiement des Serm soit rapide et efficace.

Demeure la question fondamentale du financement. Notre groupe se réjouit que l'apport sénatorial de la conférence nationale du financement soit maintenu.

Le déploiement rapide des Serm dans les territoires doit répondre à l'urgence du couperet des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), enjeu central mis en avant notamment par Nathalie Delattre.

Loin d'une écologie bourgeoise ou punitive, il faut des alternatives décarbonées, opérantes et accessibles à tous. La transition écologique des transports doit être un ferment d'inclusion sociale et économique, non de fracture territoriale.

Grâce à Nathalie Delattre, les gares et pôles d'échange comprendront des aménagements pour les personnes en situation de handicap, car il faut aussi réduire les inégalités au quotidien.

Notre groupe se félicite de voir le rôle des collectivités renforcé dans la mise en oeuvre des Serm, outil pensé par et pour les territoires. Nous nous réjouissons que les maires occupent une place centrale dans la concertation préalable - c'était une demande de notre groupe. Un projet d'une telle dimension ne peut se faire sans l'avis des maires et les décisions prises dans ce cadre ne sauraient aller à l'encontre des intérêts locaux. Les acteurs locaux doivent avoir toute notre confiance pour définir le périmètre adapté à leur situation. Au-delà de la mobilité, il y va de l'aménagement durable des territoires, autour des exigences de liberté, de flexibilité et de souplesse opérationnelles.

Le RDSE souscrit aux ambitions et objectifs de cette proposition de loi équilibrée tout en restant attentif à sa traduction budgétaire. Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Jacques Fernique applaudit également.)

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.  - Très bien !

Mme Nadège Havet .  - Je salue le travail de Jean-Marc Zulesi et de Philippe Tabarot.

M. Philippe Tabarot, rapporteur.  - Bon début !

Mme Nadège Havet.  - L'objectif est partagé par tous : améliorer les mobilités du quotidien de façon écologique en désenclavant nos territoires.

Adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale en juin et ici en octobre, cette proposition de loi a fait l'objet d'une CMP, certes moins médiatique que celle qui se tient aujourd'hui (sourires), mais qui a intégré plusieurs apports majeurs du Sénat : renforcement du rôle des collectivités dans le déploiement des Serm ; inclusion des cars express et des réseaux cyclables aux projets ; tarification spécifique des péages ferroviaires ; prise en compte des ZFE-m.

Il s'agit de concrétiser une promesse du Président de la République, avec un budget de près de 800 millions d'euros acté dans le PLF 2024, qui s'ajoute aux investissements réalisés dans les CPER. Le principe d'une conférence nationale de financement avant fin juin 2024 est acté.

L'idée est d'accroître la part du transport ferroviaire dans les déplacements du quotidien. Chaque collectivité concernée doit pouvoir s'approprier le dispositif et l'adapter à ses besoins. Il existera autant de Serm que de territoires retenus.

Pour répondre à l'urgence environnementale, il faut des offres de mobilité adaptées et décarbonées. L'usage de la voiture reculera quand nos concitoyens auront un accès facile à un service de transport en commun régulier et fiable, rappelait la Première ministre. Ce texte y contribuera.

La SGP, anciennement Société du Grand Paris, jouera un rôle essentiel dans le déploiement des Serm. Son expertise reconnue sera mise au service d'autres métropoles, régions et territoires, avec une importante capacité d'emprunt et un fonctionnement souple.

Monsieur le ministre, je rends hommage à votre volontarisme pour le déploiement du train en France. La ligne Paris-Aurillac, supprimée il y a vingt ans, a été relancée, de même que les trains de nuit, avec le Paris-Vienne ou le Paris-Berlin. À quand le Paris-Brest ? (Sourires)

Mes chers collègues, nous sommes sur de bons rails. Mon groupe votera ce texte.

M. Olivier Jacquin .  - Ce texte aura été une belle aventure législative - même dépourvu d'étude d'impact. Je félicite le rapporteur pour l'ensemble de son oeuvre ferroviaire (M. Philippe Tabarot apprécie) ainsi que le président Zulesi et le ministre pour leur écoute. Le Sénat avait adopté quatorze amendements du groupe socialiste : sept ont été intégralement maintenus, deux partiellement. Il n'est pas dit que l'ambiance soit tout à fait la même pour la CMP qui va débuter d'ici quelques minutes à l'Assemblée nationale... (Sourires)

J'adresse mes félicitations à l'immense Jacques Fernique (M. Jacques Fernique sourit), qui grâce à son colloque du 16 octobre, a contribué à rapprocher les points de vue.

Il y a un peu plus d'un an, le Président de la République annonçait par surprise le déploiement de dix RER métropolitains, un nouvel épisode de l'incohérence de sa politique en matière de transport. Mobilités du quotidien un jour, grande vitesse le lendemain, suivi d'un contrat de performance de SNCF Réseau qui bloque tout...

Je ne perds pas l'espoir de voir un futur contrat de performance mettre fin à ce carcan, ni de pouvoir débattre d'une prochaine loi de programmation des infrastructures, puisque nous recherchons toujours les 100 milliards annoncés par la Première ministre. D'où l'importance de la conférence nationale de financement qui se tiendra dans six mois.

Nous attendons toujours de savoir de quel côté la pièce du 49.3 tombera : stress annuel insoutenable, alors que le temps des mobilités est un temps long, qui souffre des à-coups et des têtes à queue. Il faut un plan de financement clair.

Je regrette la suppression de deux précisions apportées par notre groupe concernant la répartition entre l'État et les collectivités et la révision du contrat de performance, que nous jugeons très insuffisant. Quant à l'article 5 ter A sur le ZAN, il est un brin démagogique.

Globalement, nous saluons ce nouvel outil à la disposition de nos territoires. Gare cependant au risque d'accentuer les fractures sociales et territoriales si nous ne prenons pas en compte des périphéries et aires d'attractivité des métropoles. ?uvrons pour les mobilités pour tous, en appliquant la belle idée des Serm dans des agglomérations de plus petite taille : depuis la voiture individuelle socialisée vers les transports plus lourds, sans se concentrer uniquement sur les étoiles ferroviaires.

M. le ministre a insisté sur le « S » des Serm. J'insiste pour ma part sur le « M », pour : mobilités pour tous. Allons plus loin, pour un droit à la mobilité effectif pour tous, pour mettre fin aux mobilités à deux vitesses. Le groupe SER votera en faveur de cette proposition de loi telle qu'issue des travaux de la CMP. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K)

La proposition de loi est définitivement adoptée.

Mme la présidente.  - À l'unanimité ! (Applaudissements)

M. Jean-François Longeot, président de la commission.  - Je remercie le président Zulesi, Philippe Tabarot, M. le ministre, ainsi que l'ensemble des membres de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable pour le travail réalisé. De nombreux amendements ont été adoptés et ont enrichi le texte.

Reste à présent à mettre en place les financements nécessaires au déploiement des Serm. Il faut y parvenir rapidement, pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre.

M. Clément Beaune, ministre délégué.  - Je remercie les parlementaires, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, pour leur esprit constructif. Ce texte a été amélioré tout au long de la navette, même si nous avons eu quelques désaccords.

J'ai entendu les points de vigilance. Mais comme le disait Churchill : « Ce n'est pas la fin. Ce n'est même pas le commencement de la fin. Mais, c'est peut-être la fin du commencement ». Nous devons encore franchir des étapes financières et opérationnelles, car les opérations de transport s'inscrivent dans le long terme. Avec ce texte, nous avons un cadre juridique et des bases solides pour avancer. Merci pour l'esprit consensuel qui a présidé à nos travaux. (Applaudissements)

Ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP.

M. Franck Dhersin, rapporteur pour le Sénat de la CMP .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Après un itinéraire à travers l'ordre du jour embouteillé de l'automne, la desserte des deux assemblées et un arrêt réussi en CMP, nous voici au terminus du trajet parlementaire de cette proposition de loi...

Notre collègue Vincent Capo-Canellas a tiré les conclusions de la mission de préfiguration de MM. Bailly et Grosset pour aplanir les difficultés liées à l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP, soit 19 000 salariés, 308 lignes et 4 500 bus, notamment en élargissant les bénéficiaires du sac à dos social par rapport à ce que prévoyait la loi d'orientation des mobilités (LOM).

Nous avons renforcé la sécurité juridique du texte, sans en modifier l'architecture. Je connais les réticences, voire l'opposition, d'une partie de l'hémicycle. (M. Pascal Savoldelli lève le bras.) Mais il ne s'agit pas de se prononcer pour ou contre l'ouverture à la concurrence : ce débat est tranché depuis quinze ans, et les acteurs se préparent à l'ouverture.

Si le législateur n'avait pas agi, le transfert intégral des personnels et des matériels aurait eu lieu dans la nuit du 31 décembre 2024, un nombre plus réduit de salariés aurait bénéficié des garanties sociales de haut niveau et la représentation syndicale pendant la période sensible des transferts de salariés aurait été interrompue.

Ce texte s'inscrit dans la continuité de la volonté du législateur, en modulant le calendrier d'ouverture à la concurrence : le cap demeure inchangé, mais nous tenons compte de la réalité opérationnelle et sociale avec pragmatisme et responsabilité.

Seul point d'achoppement en CMP : le choix de l'instance chargée d'arbitrer les litiges entre la RATP et Île-de-France Mobilités (IDFM). L'Assemblée nationale avait choisi de rendre compétent le juge civil, ce qui aurait allongé les délais de jugement de manière déraisonnable. Nous avons obtenu gain de cause : l'Autorité de régulation des transports (ART) tranchera les contentieux. Mais il faudra lui accorder les moyens nécessaires à l'exercice de cette mission - les craintes à cet égard de Bruno Millienne, rapporteur de l'Assemblée nationale, sont fondées.

Enfin, j'en appelle au Gouvernement pour que les décrets d'application soient publiés rapidement ; pour sa part, le législateur a abouti en un trimestre.

Je remercie tous nos collègues qui se sont investis sur ce texte, en particulier MM. Longeot, Capo-Canellas et Tabarot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Ahmed Laouedj applaudit également.)

M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports .  - L'unanimité sera moins évidente sur ce texte que sur le précédent... (Sourires) Il ne s'agit pourtant pas de rouvrir le débat sur l'ouverture à la concurrence des transports publics en Île-de-France - distinct, au demeurant, de celui de la privatisation. (On le conteste sur les travées du groupe CRCE-K.) La plupart des métropoles françaises ont recours à la délégation de service public (DSP).

Ce texte vise à apporter des garanties supplémentaires au processus en cours. J'avais exprimé mes doutes et mes craintes sur le calendrier prévu. Je me félicite que la présidente de la région ait accepté d'ouvrir la discussion et demandé un rapport à Jean-Paul Bailly et Jean Grosset.

Je salue l'initiative de M. Capo-Canellas, qui apporte deux avancées essentielles : des garanties sociales renforcées pour les salariés, dont le volontariat pour l'affectation des chauffeurs dans un nouveau centre bus ; un calendrier réaliste et maîtrisé, plutôt qu'une bascule généralisée au 1er janvier 2025 qui n'aurait été protectrice ni pour les agents ni pour les usagers du service public.

Jusqu'en CMP, des débats ont eu lieu sur les paramètres du texte, notamment l'attribution de la compétence en cas de litiges. Je me réjouis de l'accord intervenu sur ce point - monsieur le rapporteur, nous veillerons à ce que l'ART puisse exercer pleinement cette compétence.

Le Gouvernement vous invite à adopter ce texte qui prévoit des garanties sociales supplémentaires et un calendrier pragmatique, pour un processus mieux maîtrisé. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe UC)

Mme Françoise Gatel.  - Très bien !

Mme la présidente.  - En application de l'article 42, alinéa 12, du Règlement, le Sénat statue par un seul vote sur l'ensemble du texte.

M. Louis Vogel .  - L'ouverture à la concurrence doit être pensée de manière réaliste pour être efficace : tel est l'objectif de cette proposition de loi. Je salue le travail des deux chambres, notamment de notre commission, de l'auteur du texte et du rapporteur.

Alors que notre pays se prépare à accueillir l'événement sportif le plus important au monde, il était fondamental d'aménager les modalités d'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien sur deux points : calendrier et conditions du transfert des salariés.

En première lecture, j'avais évoqué le retour d'expérience de la Seine-et-Marne : à Melun, Sénart, Fontainebleau, Bucy, Lagny ou Moret-sur-Loing, le recours mal préparé aux DSP a été à l'origine de nombreux dysfonctionnements. Mais si le constat est partagé, nous n'en tirons pas, les uns et les autres, les mêmes conséquences.

Pour Les Indépendants, la solution réside dans une ouverture à la concurrence dans des conditions saines et apaisées.

Il faut, d'abord, la mettre en oeuvre au moment opportun, lorsque les territoires sont prêts. L'adoption conforme de l'article 4, qui repousse le processus de deux ans, prouve qu'une flexibilité était nécessaire.

Ensuite, il convient de prendre en compte les questionnements légitimes des salariés. Alors que la RATP peine à recruter, peut-être notre texte aidera-t-il à surmonter les réticences.

Conditions de travail, transfert des salariés, mandats des représentants du personnel, remise des biens : les apports du Sénat ont été préservés. La question du règlement des différends a été tranchée dans le sens que nous souhaitions.

Associer au maximum tous les acteurs et leur donner des règles claires relève du bon sens. L'ouverture à la concurrence est un enjeu essentiel pour notre économie. Le groupe Les Indépendants votera ce texte équilibré et raisonnable. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDPI ; M. Ahmed Laouedj applaudit également.)

M. Vincent Capo-Canellas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je me réjouis de l'aboutissement de ce texte, déposé fin septembre. Il comprend des avancées pour les agents de la RATP tout en apportant des précisions utiles pour l'ouverture à la concurrence. Je remercie le rapporteur Franck Dhersin et l'ensemble de la commission, plus particulièrement Jean-François Longeot, Philippe Tabarot et Didier Mandelli.

L'ouverture à la concurrence est un défi opérationnel et social d'une ampleur inédite. Pour assurer la réussite de ce processus, le texte vise à garantir la continuité et la qualité de service public, ainsi que l'acceptabilité sociale des conditions de transfert des 19 000 salariés. Il est le fruit du dialogue social mené par MM. Bailly et Grosset, dont j'ai repris nombre des préconisations.

Ce texte n'institue pas l'obligation de mise en concurrence, il en corrige simplement les modalités pour garantir la qualité du service et l'équité concurrentielle dans un cadre social exigeant. L'ouverture à la concurrence a été négociée avec la Commission européenne voilà plus d'une décennie, par un gouvernement de gauche ; la LOM, en 2019, en a détaillé le calendrier. Ce débat est donc tranché depuis longtemps, et revenir en arrière nous exposerait à un recours en manquement. Il ne s'agit pas d'une privatisation, puisqu'IDFM, le donneur d'ordres, est une entité 100 % publique. (Murmures sur les travées du groupe CRCE-K)

Nous fluidifions le processus et prenons en compte la situation des salariés dans le respect du cadre européen. En particulier, les agents affectés dans les centre-bus ne seront transférés qu'avec leur accord.

L'équilibre était subtil, mais nous avons trouvé le meilleur compromis possible. Loin des discussions doctrinaires, ce texte est pragmatique. Sur l'arbitrage des différends, la CMP a retenu la bonne solution, celle de l'ART. Le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et du RDPI)

M. Jacques Fernique .  - Nous voici au terme du cheminement parlementaire, très rapide (M. Pascal Savoldelli renchérit), de cette proposition de loi sur la privatisation - pardon, la délégation au secteur privé - du réseau de bus francilien. Nous continuons de nous interroger sur les modalités de ce processus - conditions de travail des salariés, intérêts des usagers, continuité du service public.

La LOM prévoyait une ouverture au 1er janvier 2025, mais, chacun en convient, les conditions matérielles, économiques et sociales ne sont pas réunies. La loi de 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports prévoyait la possibilité d'une régie publique régionale : cette option, compatible avec la réglementation européenne, n'a jamais été sérieusement étudiée, ce qui est bien dommage.

Le fameux sac à dos social, malgré sa sympathique connotation boy-scout, ne rassure pas les 19 000 agents concernés. Alors que la RATP peine à recruter, faut-il en rajouter ?

Je m'interroge sur le calendrier retenu : avec un rythme aussi enlevé sitôt les jeux Olympiques passés, il sera difficile d'apaiser les tensions. Or il nous a été impossible de proposer des alternatives, toute initiative étant vouée à être frappée par l'article 40 de la Constitution.

IDFM a retenu le prix comme premier critère de sélection des offres, à hauteur de 40 % : mais l'offre la moins-disante économiquement risque fort de l'être aussi socialement. Nous devons pourtant garantir l'attractivité des métiers, car développer les transports publics du quotidien est essentiel pour encourager le report modal vers les mobilités décarbonées.

Au moment où la région s'apprête à engager l'électrification des bus, la multiplicité des opérateurs et l'attribution des lots pour cinq ans seront source d'instabilité. Et quid du document d'allotissement, dont le contenu précis nous est inconnu ? Jusqu'à la fin 2026, un lot nouveau doit être alloué tous les deux mois : comment garantir un traitement équitable ? C'est finalement l'ART qui jugera des différends : encore faut-il qu'elle ait les moyens de cette mission.

L'ouverture à la concurrence risque d'amplifier la discrimination territoriale. Dans le réseau Optile, certaines communes souffrent d'un manque de bus, et la dégradation de l'offre est nette dans certains secteurs. Pourquoi ne pas en avoir tiré les leçons ?

Ces précédents plaident pour ne pas se précipiter sitôt passés les jeux Olympiques. Notre groupe ne votera donc pas ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. Pierre Barros .  - Le Sénat et l'Assemblée nationale ont proposé des dizaines d'amendements, tous rejetés. Je regrette que nos propositions de bon sens n'aient pas été entendues.

À quelques mois des jeux Olympiques, les Franciliens ont connu ces dernières semaines des conditions de transport déplorables : la présidente d'IDFM, Valérie Pécresse, a rappelé à la RATP et la SNCF la nécessité de remonter la pente, mais elle ne doit pas échapper à sa responsabilité, d'autant que ce texte ne va rien arranger

C'est elle en effet, soutenue par le Gouvernement et la majorité parlementaire, qui a eu l'idée brillante, originale, d'ouvrir à la concurrence la RATP, dont la création, en 1949, visait à pallier la désorganisation totale des anciennes compagnies privées. Avec cette loi, vous inventez la machine à remonter le temps - au risque d'aggraver encore la galère dans les transports. Les exemples d'échecs sont multiples : dans l'énergie, les tarifs ont augmenté en même temps que la précarité énergétique ; la part du rail dans le transport de marchandises a été divisée par deux entre 2006 et 2019. Même l'Angleterre fait marche arrière et revient à une gestion publique.

L'ouverture à la concurrence du réseau de bus ne fera pas exception. Les conséquences de la privatisation du réseau Optile n'ont pas été tirées. Dans le Val-d'Oise, il a fallu des grèves dans de nombreux dépôts, de Saint-Ouen-l'Aumône à Magny-en-Vexin en passant par Argenteuil, pour arracher des accords sociaux encore insatisfaisants. L'ouverture à la concurrence n'est pas réaliste, si l'on veut trouver des chauffeurs.

L'ouverture à la concurrence aura des conséquences prévisibles : moins de bus, des lignes supprimées, une colère plus forte encore des usagers. Les maires devront faire le service après-vente, seuls - ils en ont l'habitude.

Alors que l'hémorragie des effectifs détériore le service - il manque 1 700 chauffeurs -, le fameux sac à dos social ne s'appliquera pas aux opérateurs de maintenance. La proposition de loi n'apporte pas de réponse à la suppression de la double garantie d'emploi et de retraite, opérée par la LOM.

L'ouverture à la concurrence aura des conséquences dramatiques pour IDFM, qui devra trouver 4,9 milliards d'euros pour racheter les biens de la RATP. Comme toujours, on nationalise les pertes et on privatise les profits ! Elle est repoussée au 31 décembre 2026, mais personne n'est dupe de la manoeuvre : il s'agit de reporter toute contestation sociale d'ampleur après les jeux Olympiques.

Nous pensons qu'une autre voie est possible. Nous voterons contre ce texte et déposerons prochainement une proposition de loi pour créer une régie régionale. (Applaudissements à gauche)

M. Ahmed Laouedj .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La RATP a longtemps été en situation de quasi-monopole : c'est peu propice à l'innovation et à l'amélioration du service.

L'ouverture à la concurrence du réseau de bus est un processus engagé depuis plus de quinze ans et anticipé par les acteurs. Certains y voient une opportunité de modernisation, d'autres une menace pour les acquis sociaux et la qualité de service.

Nous sommes confrontés à un défi technique et social inédit : conserver un service public des transports de qualité tout en permettant l'arrivée de nouveaux acteurs. Dans une approche prudente et progressive, nos deux assemblées ont élaboré un texte pragmatique, tenant compte des intérêts de chacun.

Je regrette que mon amendement visant à éviter la perte d'accès au plan d'épargne entreprise pour les salariés transférés n'ait pas été retenu. Mais, plus largement, l'échelonnement de l'ouverture à la concurrence est un choix réaliste et responsable pour garantir la continuité du service et permettre aux nouveaux acteurs de se préparer. Une régulation et un contrôle sont prévus. Au total, ce système dynamisera l'offre de transports en Île-de-France.

La grande majorité des membres du RDSE voteront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Franck Dhersin applaudit également.)

Mme Nadège Havet .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Cette initiative sénatoriale a fait l'objet d'un compromis en CMP ; nous saluons l'accord trouvé et voterons le texte.

L'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP est aménagée et reportée, pour une transition réussie plutôt qu'une bascule chaotique. Aucun salarié n'y perdra, grâce au sac à dos social.

Ce texte traduit les préconisations de la mission Bailly-Grosset. Le monopole de la RATP devait cesser dans un an, mais ce délai paraît beaucoup trop court compte tenu des difficultés opérationnelles et sociales. À l'approche des JOP, le risque serait réel de désorganisation et de rupture de service. D'où cet accord pragmatique pour un report de deux ans.

Ne restait que la question du règlement des différends relatifs au transfert des salariés. La LOM avait confié cette mission à l'ART : ce principe est confirmé, comme le souhaitait le Sénat.

Nous voterons ce texte pragmatique qui opère une synthèse entre garanties sociales, utilité concurrentielle et respect de nos engagements européens. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe UC ; M. Ahmed Laouedj applaudit également.)

M. Simon Uzenat .  - (Applaudissements sur des travées du groupe SER et du GEST) Cette proposition de loi n'est pas anodine : 19 000 salariés travaillant sur 308 lignes de bus et des millions de voyageurs attendent un service de qualité.

Nous déplorons une procédure législative débridée, avec un véhicule législatif qui a permis de se passer d'étude d'impact comme d'avis du Conseil d'État, fruit d'un accord revendiqué entre le Gouvernement et la majorité sénatoriale, dont la présidente d'IDFM est proche.

Soyons clairs : la concurrence sur ces services n'est pas une obligation européenne. Et elle n'est pas une solution magique, au contraire : les nombreux dysfonctionnements du réseau Optile et les difficultés financières des entreprises délégataires le prouvent.

Le débat sur la concurrence a été tranché depuis quinze ans, nous répète-t-on. Mais qu'a-t-on fait en quinze ans pour que, à un an de l'échéance, nous ne soyons pas prêts ? Ce texte montre une précipitation pour enjamber les JOP et éviter un crash industriel.

Pour notre part, nous avons proposé une date postérieure à 2028. Nous ne sommes pas opposés par principe aux DSP, mais il faut que les conditions en soient réunies, ce qui n'est pas le cas. La dislocation du réseau en treize lots - chacun de la taille de Rennes ou Nantes - interroge notamment sur l'intermodalité et la gestion des incidents.

IDFM fait face à un mur d'investissements ; malgré les annonces récentes, le compte n'y est pas. Il est prévu que l'ART tranche les différends, mais elle doit en avoir les moyens.

Nos demandes de garanties sociales n'ont pas été entendues. Les inquiétudes sont parfaitement justifiées lorsqu'on considère les dysfonctionnements du réseau Optile. Nous craignons une dégradation de la qualité du service pour des millions de Franciliens. Le groupe SER votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche)

M. Philippe Tabarot .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Nadège Havet applaudit également.) Alors que la plus attendue des CMP se tient en ce moment même, nous nous penchons sur le résultat d'une de ses petites soeurs... Si elle n'a pas battu le record de la CMP la plus longue, détenu par la loi Climat, cette proposition de loi n'est pas secondaire.

Elle reporte à 2026 l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP et apporte des garanties sociales nouvelles. Les deux assemblées ont oeuvré dans l'intérêt des voyageurs, du service et des salariés. Cette proposition de loi consacre l'initiative parlementaire en montrant qu'un problème peut être résolu en amont, avec une souplesse dont l'État bureaucratique est souvent incapable.

Les mobilités en Île-de-France ont une dimension européenne : il est nécessaire que nous nous penchions sur l'organisation d'un grand service public (exclamations sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Cathy Apourceau-Poly ironise) à l'approche des jeux Olympiques et Paralympiques. Oui, un grand service public, pas un système privatisé laissé aux mains des assoiffés libéraux, comme d'aucuns l'ont prétendu à l'Assemblée nationale... Ce qu'ils appellent une concurrence à marche forcée est en réalité une délégation de service public régionalisée, placée sous l'autorité d'IDFM.

La concurrence est source d'émulation et le challenge fait grandir. Les usagers bénéficieront d'une offre de meilleure qualité, et les acteurs du développement du marché.

Ce texte pragmatique et équilibré reporte une échéance trop proche et offre aux salariés des garanties nécessaires. Saluons le retour du phénix dans la course finale parlementaire : je veux parler de l'ART, qui doit pouvoir mener sa mission d'importance en toute indépendance grâce à des moyens renforcés, que le Sénat demande à chaque PLF.

Le groupe Les Républicains se félicite de l'accord trouvé et votera la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Nadège Havet applaudit également.)

À la demande des groupes SER et UC, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°104 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l'adoption 242
Contre   98

La proposition de loi est définitivement adoptée.

(Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains, ainsi que du RDPI et du RDSE)

M. Jean-François Longeot, président de la commission.  - Je remercie l'auteur du texte, le rapporteur, et tous les membres de notre commission, ainsi que le rapporteur de l'Assemblée nationale, Bruno Millienne. Nous avons surmonté le point d'achoppement autour de l'ART pour obtenir un accord. Je remercie aussi les groupes qui ont exprimé leurs désaccords - c'est le sens du débat démocratique. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)

M. Clément Beaune, ministre délégué.  - Nous n'avons pas réussi le doublé de l'unanimité sur les textes du jour relatifs aux transports... (Sourires) Je vous remercie néanmoins de ces débats approfondis et utiles. Nous aboutissons à un calendrier raisonnable et détendu, ainsi qu'à des garanties sociales supplémentaires. Je remercie le sénateur Capo-Canellas, très engagé sur les transports, le rapporteur et la commission. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE, des groupes INDEP, UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

La séance est suspendue quelques instants.

Mise au point au sujet d'un vote

M. Michel Masset.  - Lors du scrutin public n°102, mon collègue Philippe Grosvalet souhaitait voter contre.

Acte en est donné.

Restitution des restes humains appartenant aux collections publiques (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure pour le Sénat de la CMP .  - J'interviens avec une profonde émotion alors que le Sénat s'apprête à adopter définitivement la proposition de loi que j'ai déposée en avril dernier avec Max Brisson, Pierre Ouzoulias et d'autres collègues de la commission de la culture, avec le soutien du président Lafon.

Je me félicite que cette discussion s'achève dans la chambre où la réflexion a débuté, il y a vingt ans, avec la proposition de loi déposée par notre ancien collègue Nicolas About visant à la restitution de la dépouille mortelle de Saartje Baartman à l'Afrique du Sud.

La restitution de restes humains est une question essentielle, qui touche au respect de la dignité de la personne humaine et à l'égale dignité des cultures, ainsi qu'à la justice et à la mémoire. Nonobstant les réserves de certains groupes de l'Assemblée nationale, que je peine à comprendre, notre pays s'honore à faciliter la restitution de certains restes humains présents dans ses collections publiques.

Gardons à l'esprit les demandes sincères des communautés étrangères pour honorer la mémoire de leurs ancêtres selon leurs rites et traditions. Nous ne saurions les rejeter systématiquement ou leur imposer des délais exorbitants, alors que l'expérience des têtes maories a démontré que les restitutions sont l'occasion de bâtir des relations solides et apaisées et de développer de nouvelles coopérations.

Il est indispensable que le législateur résolve le conflit de normes entre l'inaliénabilité des collections et l'interdiction de patrimonialisation du corps humain résultant des lois bioéthiques.

Ce texte ne répond pas à une impulsion du moment. Il est le fruit d'une mûre réflexion à laquelle ont contribué feu la commission scientifique nationale des collections et notre commission, depuis 2019.

Grâce à ce long travail de gestation, nous sommes parvenus à un texte équilibré entre restitution de certains restes humains identifiés et préservation du principe d'inaliénabilité.

La CMP est revenue sur la notion trop imprécise de restitution à des fins mémorielles, introduite par les députés. Madame la ministre, vous êtes engagée à préciser le terme « funéraire » dans le décret (Mme Rima Abdul-Malak hoche la tête) : il recouvre en effet, au-delà de la crémation et de l'inhumation, toutes sortes de rites permettant d'honorer la mémoire du défunt.

Le texte apporte des garanties sur le caractère scientifique et impartial de l'examen des demandes de restitution. Le Conseil d'État contrôlera la décision avant son adoption.

Les dispositions introduites en CMP ont renforcé l'information du Parlement tout au long de la procédure.

Il n'a malheureusement pas été possible de traiter la question des restes humains ultramarins, notamment des restes de Kali'nas qui sont conservés au Musée de l'Homme et dont l'association Moliko, présente en tribune, demande la restitution. L'article 2 prévoit que le Gouvernement présentera au Parlement une solution dans un délai d'un an. Il faut nous mettre rapidement autour de la table.

L'examen de cette proposition de loi a été rendu compliqué par l'annonce de la troisième loi-cadre sur les biens culturels.

Les lignes directrices voulues par le législateur sont maintenant bien établies : des dérogations au principe d'inaliénabilité sont nécessaires, mais il faut une procédure garantissant une expertise croisée, un avis indépendant et l'association du Parlement.

Il faut encore accélérer en matière de recherche de provenance, afin que ces lois-cadres produisent leurs effets. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDPI ; MM. Pierre Ouzoulias et Adel Ziane applaudissent également.)

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Dans le chant VI de l'Énéide, Énée descend aux Enfers pour dialoguer avec son père Anchise. Moment crucial, où son destin se noue. Arrivé au bord du Styx, il trouve une foule importante. Il demande à sa guide ce que signifie ce rassemblement et ce que veulent ces âmes. La prêtresse lui répond : « Tous ceux-ci que tu vois, c'est la foule misérable des morts sans sépulture ; [...] et ils ne peuvent traverser ces rives effrayantes et ces flots grondants avant que leurs ossements n'aient trouvé le repos dans une tombe. » Telle est la question sur laquelle vous vous êtes penchés - qui touche à celle de notre humanité.

Ce 18 décembre 2023, cette proposition de loi va être, je l'espère, définitivement votée. C'est un moment historique, attendu par plusieurs peuples étrangers, la communauté scientifique, de nombreux parlementaires et par nos concitoyens.

Le Sénat fait figure de pionnier. Dès 2002, une proposition de loi y est déposée en réponse à la demande de restitution de la dépouille de Saartjie Baartman, par l'Afrique du Sud. En 2010, le Sénat vote la loi sur la restitution de têtes maories à la Nouvelle-Zélande, à l'initiative de Catherine Morin-Desailly.

Le changement des mentalités s'est accéléré depuis lors. Un vade-mecum pour la gestion des restes humains dans les collections publiques a été publié en 2019. En 2020, le Sénat a lancé une mission d'information menée par Max Brisson, Pierre Ouzoulias et Catherine Morin-Desailly et une proposition de loi a été déposée - son article 2 concerne les restes humains.

Ce travail de fond a fait converger travail législatif et demandes des professionnels du patrimoine. Le temps d'une loi-cadre était venu, pour trouver un équilibre entre inaliénabilité et gestion éthique des collections publiques. Chaque mot a été pesé. Rares sont les lois pour lesquelles les consultations ont été si nombreuses.

Je salue l'engagement de la sénatrice Catherine Morin-Desailly, à qui nous devons tant. Son travail fait honneur à la France.

M. Max Brisson.  - Exact !

M. Pierre Ouzoulias.  - Bravo !

Mme Rima Abdul-Malak, ministre.  - Je salue aussi l'implication du député Christophe Marion qui a permis d'aboutir à un texte équilibré.

Le respect de la dignité humaine anime cette loi. La France regarde son histoire en face, elle entend les demandes des autres peuples et souhaite instaurer avec eux une nouvelle ère de coopération culturelle, une fois les mémoires douloureuses apaisées.

Les commissions bilatérales étudieront l'histoire de chaque demande, pour faire naître des consensus qui permettent des restitutions, mais aussi des coopérations scientifiques.

La place centrale du rapport scientifique rédigé par la commission bilatérale a été réaffirmée. Il garantit la qualité scientifique des démarches et associe la représentation nationale au processus de restitution.

La restitution des restes humains originaires des outre-mer n'avait pas sa place dans un texte relatif aux demandes d'États étrangers, mais j'en ferai ma priorité des prochains mois. Dès le début de l'année prochaine, une mission parlementaire sera lancée pour évaluer le corpus, consulter les acteurs et identifier le véhicule législatif approprié. Le Gouvernement tiendra son engagement : d'ici à la fin 2024, avec Philippe Vigier, nous vous proposerons des réponses.

Dans le chant XI de l'Énéide, les ambassadeurs demandent à Énée de pouvoir reprendre les corps des vaincus. Énée répond : « Vous demandez la paix pour des morts victimes des aléas de Mars ; en vérité, c'est à des vivants aussi que je voudrais l'accorder ! » Voilà le sens de votre travail : rendre le corps des morts pour rendre la paix aux vivants.

M. Pierre Ouzoulias et Mme Catherine Morin-Desailly.  - Bravo !

Mme Rima Abdul-Malak, ministre.  - C'est un texte d'humanité, de dignité, et de justice. (Applaudissements)

Mme la présidente.  - Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12, du Règlement, le Sénat statue par un seul vote sur l'ensemble du texte.

Mme Marie-Claude Lermytte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Nous remercions les rapporteurs et la commission de la culture, ainsi que tous les parlementaires ayant participé à l'élaboration de ce texte.

Les restes humains ne sont pas des biens culturels comme les autres. Je salue l'engagement de longue date de Catherine Morin-Desailly, de Max Brisson et de Pierre Ouzoulias.

Après son adoption au Sénat, cette proposition de loi a été adoptée à l'Assemblée nationale. Elle fait suite au projet de loi concernant les oeuvres d'art spoliées par les nazis aux familles juives. Ces textes importants touchent à notre humanité. Ils font écho à notre rapport à la mort et au passé.

Que faire des restes humains ? Cette question a des enjeux diplomatiques, historiques et patrimoniaux majeurs. Elle touche à l'éthique et au sacré. Qu'il s'agisse de crânes de combattants hérités de notre passé colonial ou de squelettes intégrés dans nos collections publiques, nous défendons le principe du respect de la dignité humaine.

Auparavant, les demandes de restitution étaient traitées au cas par cas. Il était temps de prévoir une loi-cadre. Ce texte facilitera le retour des restes humains, tout en clarifiant les conditions. Nous nous réjouissons que la CMP soit parvenue à un accord.

Une question reste en suspens : celle du devenir des restes humains restitués. Les usages funéraires varient selon les pays. La France doit soutenir la recherche de provenance. Il faut proposer une solution digne pour réparer d'éventuelles injustices.

Une vaste réflexion doit être menée pour adapter nos collections muséales à l'évolution des usages et aux mutations technologiques. Comment perpétuer la mémoire des restes humains et des oeuvres culturelles destinées à quitter nos musées ? Notre politique patrimoniale doit évoluer. Le groupe INDEP s'engagera pleinement sur ces questions et votera ce texte. (Applaudissements au banc des commissions, sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur quelques travées du RDPI et du groupe SER)

M. Pierre-Antoine Levi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) L'amélioration de l'information du Parlement est l'apport le plus notable de la CMP, car on aurait pu craindre que le Parlement ne se dessaisisse de sa compétence. Un équilibre a été trouvé : le Parlement sera informé des procédures de restitution, sans être mobilisé non plus à tout bout de champ par des lois d'espèce - les centristes sont naturellement friands de ce type d'équilibre.

Je me réjouis que le groupe UC ait été moteur sur la question. Les deux premières lois de restitution votées en France l'ont été sur l'initiative de Nicolas About, en 2002, et de Catherine Morin-Desailly, en 2010. Ces lois d'espèce ont ouvert la voie à l'élaboration d'une procédure générale qui ne mobilise pas systématiquement le Parlement.

La proposition de loi a bénéficié de l'ensemble des travaux menés sur le sujet depuis plus de dix ans.

Le champ du texte est restreint aux seuls restes humains identifiés d'origine étrangère. La restitution ne pourra être accordée qu'à des fins funéraires. La procédure est claire, et les critères précis.

Je remercie Catherine Morin-Desailly d'avoir gardé le cap jusqu'au bout, ainsi que Max Brisson et Pierre Ouzoulias. Le groupe UC votera les conclusions de cette CMP avec une très grande satisfaction. (Applaudissements)

M. Thomas Dossus .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Dans un contexte géopolitique très sombre, l'aboutissement de cette proposition de loi est un message d'apaisement international bienvenu. Je félicite ses auteurs, tout particulièrement Catherine Morin-Desailly.

En matière de restitutions culturelles, nous changeons d'ère. Je vous remercie, madame la ministre, pour le travail engagé. Ce texte est une première étape essentielle. Nous avons suffisamment dénoncé le fait du prince en matière de restitution...

Un cadre clair et transparent était nécessaire. Le travail engagé par la rapporteure a permis d'avancer en ce sens. Ce texte s'adresse à tous les États demandant à la France la restitution d'ossements et autres éléments confectionnés à partir de restes humains.

Les lois funéraires de chaque communauté humaine s'imposent à nos visions du monde passées. Nous disons notre détermination à respecter la dignité et l'intégrité dues à chaque corps humain après la mort. Respecter les morts, c'est réconcilier les vivants.

Ce texte doit accompagner les conservateurs vers la sortie du déni et renouveler nos pratiques. Voyez notre fascination malsaine pour le zoo humain de l'exposition universelle de 1889. Dans Nous et les autres, Tzvetan Todorov a dénoncé cet exotisme. Il y voyait le revers du racisme : un éloge dans la méconnaissance réductrice de l'autre. Sortons l'exotisme de notre politique muséale !

La société française est attachée à la dignité et les collections publiques sont le reflet de notre société : le maintien de restes humains contre la volonté des peuples est désormais impensable.

L'équilibre trouvé dans ce texte doit faciliter les restitutions des restes humains. Ce texte enrichira les coopérations culturelles avec les États demandeurs. Il allégera nos collections de vestiges issus de pratiques colonialistes dépassées. Le GEST votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du GEST et du RDPI, ainsi que sur quelques travées du groupe SER)

M. Pierre Ouzoulias .  - (M. Olivier Jacquin applaudit.) « Tous ceux qui à ce jour ont obtenu la victoire, participent à ce cortège triomphal, où les maîtres d'aujourd'hui marchent sur les corps de ceux qui aujourd'hui gisent à terre. Le butin, selon l'usage de toujours, est porté dans le cortège. C'est ce qu'on appelle les biens culturels. [...] De tels biens doivent leur existence non seulement à l'effort des grands génies qui les ont créés, mais aussi au servage anonyme de leurs contemporains. Car il n'est pas de témoignage de culture qui ne soit en même temps un témoignage de barbarie. Cette barbarie inhérente aux biens culturels affecte également le processus par lequel ils ont été transmis de main en main. »

Ainsi parlait Walter Benjamin dans son ouvrage posthume, Sur le concept d'histoire. Le caractère barbare de l'exhibition morbide de restes humains spoliés donne à cette proposition de loi son bien-fondé quasi philosophique.

Il a fallu vingt ans pour que les têtes maories soient restituées à la Nouvelle-Zélande. Je loue ici le travail de Catherine Morin-Desailly. Ce texte concernait d'ailleurs toutes les têtes maories, non seulement celles du musée de Rouen. Il consacrait donc déjà la possibilité d'une dérogation au principe d'inaliénabilité des collections publiques. La présente proposition de loi n'est donc qu'une extension à l'ensemble des restes humains de ces dispositions de 2012.

Par une curieuse alliance, les groupes LFI et Les Républicains de l'Assemblée nationale nous ont reproché de déposséder le Parlement de ses prérogatives, je regrette qu'ils n'aient pas davantage pris connaissance de nos nombreux travaux... (Mme Catherine Morin-Desailly renchérit.)

Le Sénat a tranché un conflit juridique entre la nécessaire protection des collections publiques et l'inviolabilité du corps humain, qui ne cesse pas avec la mort. Avec cette proposition de loi, nous renversons la jurisprudence du juge administratif, en considérant que le respect dû au corps humain justifie une dérogation au principe d'inaliénabilité des collections publiques : les restes humains ne peuvent être perçus comme des biens patrimoniaux.

En quelque sorte, nous transposons dans le droit français la déclaration des Nations unies sur le droit aux peuples autochtones de 2007 sur le rapatriement des restes humains.

Des conditions draconiennes sont fixées pour les restitutions, sous la surveillance du Conseil d'État et du Parlement. Le récolement complet des restes humains susceptibles de restitution devra être réalisé dans l'année. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, du GEST, ainsi que sur quelques travées du RDPI, du RDSE et du groupe UC)

M. Bernard Fialaire .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La CMP a été conclusive : je me réjouis de cette issue consensuelle, à un moment où nous avons bien besoin de CMP conclusives... (Sourires)

Cette proposition de loi est une nouvelle étape dans l'engagement de Catherine Morin-Desailly, dont je salue la persévérance, en attendant le troisième volet sur les biens culturels.

Le contexte actuel, notamment le conflit en Palestine, impose une lecture particulière de la question des restes humains. Nous ne pouvons les considérer comme des biens culturels banals. Quelle que soit la date du décès, la dignité humaine impose de respecter le lien entre un corps et ses proches, par descendance, ou par héritage culturel.

L'attente vécue par les familles des otages du Hamas est significative à cet égard. Cette comparaison n'est pas inopportune. Le principe d'inaliénabilité des biens culturels ne saurait s'appliquer. Les seules précautions relèvent des doutes sur l'identification, qu'il revient à un comité scientifique de lever.

Bien que ce texte associe le Parlement au travail de restitution, les problématiques ultramarines sont oubliées - elles avaient pourtant fait l'objet de dispositions adoptées par le Sénat. Je me réjouis de votre engagement à cet égard, madame la ministre.

Comment associer les restes humains à des oeuvres d'art inaliénables ? L'inaliénabilité doit porter sur la dimension culturelle, non sur la patrimonialité. Cette conception conforte la perception particulière des restes humains, que le temps ne saurait transformer en simples biens culturels.

Cette proposition de loi nous engage à prolonger la réflexion, avec notamment le troisième volet.

Le groupe RDSE votera les conclusions de la CMP. (Applaudissements)

M. Martin Lévrier .  - En janvier 2023, Rima Abdul-Malak a annoncé trois lois-cadres sur les restitutions. La première, sur la spoliation des biens des Juifs entre 1933 et 1945, a été promulguée en juillet dernier. La seconde devrait être adoptée définitivement par le Sénat aujourd'hui.

Il fallait apporter une solution éthique à la question des restes humains dans nos collections publiques. La commission a reconnu le besoin d'un cadre législatif général, tout en respectant le principe d'inaliénabilité.

Les sénateurs Catherine Morin-Desailly, Pierre Ouzoulias et Max Brisson ont joué un rôle essentiel. Je salue notamment l'engagement sans faille depuis dix ans de Catherine Morin-Desailly.

Notre approche a été équilibrée entre inaliénabilité des collections et réponse à des demandes légitimes de populations. La rigueur scientifique guidera les restitutions. Le rapport annuel au Parlement est un gage de transparence et renforce la légitimité du processus. Le Parlement pourra jouer pleinement son rôle.

La CMP a été consensuelle. Cette initiative collective témoigne de la capacité du législateur à répondre de manière responsable aux défis sociétaux.

La dernière loi de restitution annoncée par Rima Abdul-Malak sur les biens pillés lors de la période coloniale pourrait nous être soumise au début de l'année prochaine. Espérons que nous parviendrons également à un résultat consensuel sur ce texte encore plus complexe. (Applaudissements sur les travées du RDPI et au banc des commissions ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. Adel Ziane .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce texte est essentiel : il transcende les clivages politiques et nous invite à une réflexion sur notre passé, pour agir avec justice et respect.

Je salue la pugnacité des sénateurs Morin-Desailly, Brisson et Ouzoulias : leur engagement a été crucial.

Les restes humains sont les témoins silencieux de vies passées, de cultures riches, porteurs d'un passé colonial complexe. Ils ont été trop souvent acquis dans des conditions incompatibles avec les valeurs de la République et perpétuent une vision dépassée du patrimoine matériel.

Pourtant, le code civil rappelle que le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort - je salue le travail de Jean-Pierre Sueur sur notre législation funéraire.

L'inaliénabilité du domaine public a longtemps empêché les restitutions : c'est pourquoi le Sénat a adopté deux lois, en 2002 et en 2010, pour rendre la « Vénus hottentote » et vingt têtes maories. Plus récemment, 24 crânes algériens ont été restitués à l'Algérie en 2020, hors de tout cadre scientifique et législatif.

Dès lors, une loi-cadre s'imposait. Les musées en étaient les premiers demandeurs : ils ne sont pas étanches aux demandes de la société civile. De nombreux pays européens ont déjà modifié leur législation.

La présente proposition de loi instaure un cadre clair pour les restitutions futures, loin des précédentes décisions fragmentées et arbitraires.

Cette initiative incarne notre volonté collective de reconnaître un passé douloureux, notamment entre la France et ses anciennes colonies.

Il faut aussi répondre aux demandes de nos compatriotes ultramarins : madame la ministre, je me réjouis de votre annonce. Cette loi-cadre ne pouvait être utilisée, d'où un autre texte.

Les moyens humains et financiers doivent suivre, pour identifier les dizaines de milliers de restes humains dans nos musées.

En votant cette proposition de loi, nous faisons bien plus que réparer les erreurs du passé : nous faisons honneur à notre pays et travaillons à la réconciliation des mémoires. Le groupe SER votera ce texte. (Applaudissements au banc des commissions et sur les travées des groupes SER, CRCE-K et du RDPI)

M. Max Brisson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean Hingray applaudit également.) Je suis très honoré d'être coauteur de ce texte, avec Pierre Ouzoulias et Catherine Morin-Desailly, pour un cadre méthodologique pérenne.

Nous avons voulu une réflexion transpartisane, pour nous éloigner des passions que ce sujet peut déclencher.

Mais il est consensuel : il faut restituer les restes humains au nom de la dignité des personnes. Le Sénat a joué un rôle majeur dans la restitution de la « Vénus hottentote » et des têtes maories. Mais d'autres voies ont aussi été empruntées, au mépris du Parlement, comme pour les crânes algériens en 2020. Nous avons donc voulu élaborer un cadre pour éviter le fait du prince. Le Parlement ne saurait être une chambre d'enregistrement de décisions déjà exécutées : il fallait une loi-cadre. Nous voulions aussi une commission scientifique pour éviter vaines polémiques et réécritures historiques. Mais nous avions alors été éconduits par le Gouvernement. Fort heureusement, à votre arrivée, vous avez rouvert le dialogue, madame la ministre, en proposant un triptyque législatif.

Ainsi, un comité scientifique identifiera les restes humains avec l'État demandeur. Le Parlement recevra un rapport annuel. À chaque demande de restitution, le Gouvernement informera les commissions permanentes chargées de la culture. Les critères de restituabilité seront clairement définis.

Ce texte fixe une méthode et un cadre juridique clairs, conformément à notre demande récurrente depuis plusieurs années.

Notre positionnement du jour ne présage en rien celui sur la troisième loi-cadre. Notre pays doit encore affiner une méthodologie consensuelle et transparente. Pour la restitution des oeuvres d'art, la France doit-elle se doter d'un cadre pérenne solide ou en rester à des lois d'espèces ? Pour ma part, je suis favorable à une loi-cadre, mais il faudra encore convaincre...

La solution passera par l'inscription du principe intangible d'universalisme de nos musées et du caractère exceptionnel de la dérogation à l'inaliénabilité des collections. Nous ne dérogerons pas à notre ligne : une méthode claire, fondée sur un éclairage scientifique et impliquant le Parlement.

Le groupe Les Républicains votera la présente proposition de loi. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; MM. Michel Masset et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

La proposition de loi est définitivement adoptée.

(Applaudissements)

Mme la présidente.  - À l'unanimité.

M. Laurent Lafon, président de la commission.  - Nous nous réjouissons de ce vote unanime.

Ce texte vient de loin : il aura fallu vingt ans pour passer de lois spécifiques à une loi-cadre. Vingt ans pour trouver le bon équilibre.

Je salue les trois auteurs du rapport et de la proposition de loi. Catherine Morin-Desailly a fait montre d'une grande persévérance.

Sénateurs d'aujourd'hui et d'hier, nous sommes tous attachés au respect dû à chaque homme après la mort. Cette idée de l'humanité donne sens à notre engagement politique.

Jules Michelet disait : « Chaque homme est une humanité et une histoire universelle. » Telle est bien la ligne dans laquelle nous nous inscrivons. (Applaudissements)

La séance est suspendue quelques instants.

Revaloriser le métier de secrétaire de mairie (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour le Sénat de la CMP .  - Au terme d'une année marquée par le dépôt de deux propositions de loi sur la revalorisation du métier de secrétaire de mairie, nous allons adopter celle de M. Patriat.

Ce texte est porteur d'avancées indéniables, même s'il ne réglera pas les problèmes d'attractivité. Il consacre l'emploi de secrétaire de mairie comme un emploi de catégorie B - au moins. Monsieur le ministre, nous vous savons gré d'avoir intégré cette mesure à l'Assemblée nationale, l'article 40 nous ayant empêchés de le faire. Au 1er janvier 2028, une nouvelle dynamique de recrutement s'ouvrira. Je suis consciente de l'effort financier demandé aux maires, mais la compétence a un prix. Les maires joueront le jeu...

Nous avons voulu que le nouvel intitulé de « secrétaire général de mairie » s'applique dès la promulgation de la proposition de loi, sans attendre 2028. Ce changement d'intitulé participe d'une revalorisation symbolique.

L'article 2 prévoit une voie de formation interne via une formation qualifiante. Le Sénat avait souhaité la réserver aux personnes déjà en poste. L'Assemblée nationale a rétabli la version initiale de l'article 2, permettant à tout agent de catégorie C de devenir rédacteur territorial - un prodigieux effet d'aubaine ! Des conditions ont été prévues en CMP : seuls les adjoints administratifs principaux seront concernés ; il faudra avoir validé un examen professionnel organisé par les centres de gestion ; l'inscription sur la liste d'aptitude du cadre d'emploi de catégorie B ne vaudra que pour le métier de secrétaire de mairie.

Je regrette qu'aucune disposition ne concerne les secrétaires de mairie qui relèvent déjà de la catégorie B depuis plusieurs années.

Mme Françoise Gatel.  - Absolument !

Mme Catherine Di Folco, rapporteur.  - Il ne faut pas les oublier : ce sont un quart des effectifs. La préparation d'un concours pour accéder à la catégorie A est hors de portée et les règles de promotion interne sont rigides. Ces agents ne méritent-ils pas une disposition exceptionnelle ? Pourquoi leur refuser ce que la présente proposition de loi prévoit pour les autres ? En aucun cas je ne demande une requalification globale en catégorie A, mais il aurait été juste de donner un coup de pouce limité à ces agents. Je regrette de ne pas avoir été comprise.

Cette proposition de loi est une première étape et je vous invite à la voter.

Il faudra cependant revoir les grilles indiciaires de la fonction publique territoriale, ainsi que les règles d'avancement de l'ensemble des fonctionnaires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Martin Lévrier applaudit également.)

M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Le 6 avril, lors de l'examen de la proposition de loi de Mme Brulin au Sénat, je m'étais engagé à revaloriser le métier de secrétaire de mairie. Huit mois plus tard, nous y sommes.

Je vous remercie, madame Brulin, monsieur Patriat et madame Di Folco - je connais votre exigence, madame la rapporteure. Je salue aussi Françoise Gatel, présidente de la délégation aux collectivités territoriales.

Je pense à tous les élus locaux qui se sont impliqués dans la rédaction de ce texte et aux secrétaires de mairie, qui en attendent beaucoup, même si tout n'est pas dans la loi.

Cette étape législative est importante, car vous avez adopté une version ambitieuse lors de la CMP.

Adopter ce texte permettra d'inscrire la fonction de secrétaire général de mairie dans le code général des collectivités territoriales et ces postes seront au moins de catégorie B.

Grâce à vous, madame la rapporteure, les secrétaires généraux de mairie des communes de 2 000 à 3 500 habitants relèveront de la catégorie A.

Les secrétaires de mairie qui relèvent actuellement de la catégorie C pourront progresser via la validation des acquis de l'expérience (VAE). Des agents de catégorie C pourront aussi exercer ce métier dès lors qu'ils auront validé une formation qualifiante. En outre, les secrétaires généraux de mairie de catégorie B bénéficieront d'une priorité pour la promotion en catégorie A. Tous les secrétaires généraux de mairie bénéficieront d'un accélérateur de carrière, avec des gains de rémunération indiciaire.

Ces apports sont essentiels. Ce n'est toutefois pas la fin de l'histoire.

Nous avons encore plusieurs chapitres à écrire : prochaine étape, la rédaction des décrets sur les critères du plan de requalification, le contenu des formations, les accélérateurs de carrière.

Mairies, centres de gestion, Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) : tous doivent être consultés pour donner au régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (Rifseep) les contours d'une prime de responsabilité. Je veux y travailler sans attendre, avec les syndicats, les employeurs territoriaux, mais aussi avec vous.

Cela n'achève pas nos travaux sur l'attractivité de la fonction publique. Il était primordial de légiférer sur l'un des métiers les plus en tension de la fonction publique territoriale, ce qui pose les fondements d'un débat plus large. C'est dans nos mairies que nous devons travailler sur l'attractivité des services publics : derrière chaque secrétaire général de mairie se trouve l'agent public de demain.

Formation qualifiante, quotas de promotion, accélérateurs de carrière sont parmi les sujets dont nous débattrons au premier semestre 2024, lors de l'examen du projet de loi que j'aurai l'honneur de vous présenter.

Vivent nos secrétaires généraux de mairie, vive la fonction publique, et vivent nos services publics ! (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP)

Mme la présidente.  - Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12, du Règlement, le Sénat statue par un seul vote sur l'ensemble du texte.

Mme Françoise Gatel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains ; M. Grégory Blanc applaudit également.) Nous allons clore ce chantier ouvert il y a un an par la délégation aux collectivités territoriales, avec le rapport de Catherine Di Folco, Jérôme Durain et Cédric Vial, sur l'attractivité de la fonction publique territoriale. Ont suivi les propositions de loi de Céline Brulin, puis de François Patriat. Les associations d'élus l'attendaient.

Je remercie Catherine Di Folco, experte des questions d'emploi et de carrière territoriales, pour son travail remarquable.

Il n'y a pas d'avenir pour nos territoires sans nos élus, et pas d'avenir pour nos élus sans la fonction publique territoriale. Le désenchantement de tant de maires résulte en partie de leurs obligations d'infaillibilité juridique, qui repose souvent sur les épaules des secrétaires de mairie. Si les maires sont des inventeurs de possibles, les 23 000 secrétaires de mairie, que je salue, en sont la cheville ouvrière. Il en manque 1 900, et 30 % d'entre eux partiront à la retraite d'ici à 2030.

La nouvelle appellation de secrétaire général de mairie et la revalorisation de leur carrière recréent de l'attractivité tout en évitant l'évasion vers des collectivités territoriales plus attractives. Nous luttons contre la solitude, par la création d'un réseau d'échanges et de partage de bonnes pratiques : tout comme un médecin rural ne peut plus exercer son métier seul, ainsi des secrétaires de mairie. Les centres de gestion effectuent un travail remarquable - je pense notamment au centre de gestion 35, qui a beaucoup travaillé sur la marque employeur.

La mutualisation avec les intercommunalités est intéressante.

Je remercie le ministre de son écoute. (M. Stanislas Guerini apprécie.) Mais j'ai un billet d'humeur : je n'en peux plus de cet article 40 appliqué avec un rigorisme insupportable ! Parce que cela crée une dépense, le maire n'aura même pas le droit de faire évoluer sa secrétaire de mairie de la catégorie B à A. C'est contre-productif alors que, dans l'allégresse de l'inflation normative, les nouvelles normes créées entre 2017 et 2021 ont coûté 2,5 milliards d'euros aux collectivités territoriales.

Monsieur le ministre, il faut pouvoir faire avancer une secrétaire de mairie qui a de l'expérience. Les maires sont responsables et sont obligés d'avoir un budget équilibré. Le refuser est une entrave à la libre administration.

Cela étant, le groupe UC votera cette proposition de loi dans l'allégresse. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Nadège Havet applaudit également ; M. Stanislas Guerini s'en félicite.)

M. Grégory Blanc .  - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.) Guy Benarroche est retenu par une certaine CMP à l'Assemblée nationale... (Sourires)

La proposition de loi du groupe CRCE-K adoptée en avril prévoyait un statut innovant pour les secrétaires de mairie, essentiels au bon fonctionnement des communes de moins de 2 000 habitants, plus des trois quarts des communes françaises. Nous partageons l'incompréhension des Français sur la multiplication des strates : le maire étant l'élu préféré des Français, il faut le consolider, ce qui passe par un travail sur le statut de l'élu et sur celui de secrétaire de mairie.

Il est regrettable que l'unanimité d'alors n'ait pas suffi à la majorité présidentielle, qui a déposé un texte similaire pour revendiquer la paternité sur le sujet ; ce alors que le Gouvernement n'avait pas jugé utile d'amender cette proposition de loi, reflet de son impréparation.

Le poste de secrétaire de mairie est un rouage clef de l'administration locale, une interface entre élus, administration et concitoyens. À 94 %, ce sont des femmes. Leur statut n'est pas à la hauteur des missions et les difficultés de recrutement sont importantes, alors que l'âge moyen est de 50 ans. Il manque près de 2 000 secrétaires de mairie.

Les communes veulent la pérennisation. Nous regrettons toutefois l'absence de statut spécifique pour ces postes. En effet, selon la rapporteure, les dispositions relatives au cadre d'emploi ne relèvent pas de la compétence du législateur - elle préfère donc créer une formation initiale commune et valoriser la promotion interne. Nous regrettons que le Gouvernement n'ait pris aucun engagement, sur ce point comme sur le soutien financer pour le passage des catégories B à A.

L'extension aux communes de 2 000 habitants du recrutement de contractuels est un pansement sur une jambe de bois, et la contractualisation à grande échelle nous pose problème. Comme les deux tiers sont à temps partiel et un quart travaille sur plusieurs communes, nous aurions préféré des mutualisations au niveau intercommunal. Il faut plus de visibilité au sein de ce mille-feuille.

Les perspectives de carrière comme la pérennisation sont essentielles à la reconnaissance du travail des secrétaires de mairie. Nous invitons le Gouvernement à les prendre en compte dans le cadre des travaux sur la fonction publique lancés le 1er février.

Ce texte n'est qu'une étape vers une réelle amélioration des conditions des secrétaires de mairie. Nous le voterons, mais appelons à poursuivre le travail. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Céline Brulin .  - (Applaudissements sur des travées du groupe SER) L'importance du rôle des maires n'est plus à démontrer, même si leur statut doit être reconsidéré. Le métier de secrétaire de mairie doit être revalorisé. Le groupe CRCE-K avait lancé ce travail, avec une proposition de loi adoptée en avril dernier.

Aujourd'hui, nous voterons une plus juste reconnaissance, qui confortera nos communes et nos élus locaux, qui doutent à mesure que les moyens financiers et leurs moyens d'intervention se réduisent.

Dans nos villages, le binôme maire-secrétaire de mairie doit gérer un nombre de tâches grandissantes, de plus en plus complexes et numérisées et pallier le recul des services publics. Ces femmes, pour la plupart, doivent être polyvalentes, cumulent des temps partiels sur des sujets divers et dans plusieurs communes. Elles doivent aussi répondre aux demandes des habitants, la commune étant le premier, mais aussi parfois le dernier service public de proximité.

J'ai constaté la lassitude des secrétaires de mairie. Nous connaissons une crise de recrutement. Un tiers vont partir en retraite d'ici 2030, et il en manque une centaine en Seine-Maritime.

Cette proposition de loi apporte des réponses. Elle permettra aux secrétaires de mairie de passer plus facilement de la catégorie C à B et les renomme secrétaires générales de mairie. Plus aucune ne sera recrutée sous la catégorie B et le travail en réseau sera facilité.

Ce texte ne devra cependant pas être un point final. Nous avons mieux mis en lumière cette profession ; cette lumière ne doit plus s'éteindre. Il faut favoriser le passage de catégorie B à A pour les secrétaires de mairie en catégorie B déjà en poste, pour éviter de constater dans plusieurs années que toutes les secrétaires de mairie seront restées en catégorie B. Ne restons pas au milieu du gué.

Le vote de cette proposition de loi doit être assorti de mesures réglementaires cohérentes et fortes, et d'une revalorisation salariale. C'est entre vos mains, monsieur le ministre.

Il faut aussi travailler sur les remplacements, pour permettre formations et congés. Face aux difficultés budgétaires des communes, il faut les soutenir pour qu'elles puissent traduire cette revalorisation.

Le groupe CRCE-K votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Émilienne Poumirol et M. François Patriat applaudissent également.)

M. Michel Masset .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Grégory Blanc applaudit également.) Ce texte fait l'unanimité. Nous saluons les travaux de notre assemblée, de la proposition de loi CRCE-K à la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France, présidée par Maryse Carrère, et finalement de la proposition de loi de François Patriat.

Dans le Lot, cher à Raphaël Daubet, vous avez rencontré à Cahors l'association des secrétaires de mairie, monsieur le ministre. Nous connaissons leur importance pour notre démocratie rurale. Élu de Lot-et-Garonne, je sais ce que nous leur devons : elles exercent un métier aride, parfois ardu. Rouages essentiels des services publics de proximité, en première ligne de la demande citoyenne, elles sont à 94 % des femmes, assurant souvent le service de plusieurs communes, sans la reconnaissance institutionnelle nécessaire.

En juillet dernier, nous avons réuni les 280 secrétaires de mairie de Lot-et-Garonne, remettant aux lauréates et lauréats le diplôme universitaire « Carrières territoriales en milieu rural », initiative de plusieurs départements : 220 secrétaires de mairie ont ainsi été formés en dix ans.

Je soutiens cette proposition de loi. Il faut susciter des vocations : 1 900 postes sont vacants et le tiers des secrétaires de mairie cesseront leur activité d'ici dix ans, alors que cette profession est cardinale pour l'action publique locale.

L'article 1er reconnaît les secrétaires généraux de mairie dans le code général des collectivités territoriales. À compter du 1er janvier 2028, ceux des communes de moins de 2 000 habitants devront relever d'un emploi de catégorie B - A pour les communes de plus de 2 000 habitants. Les secrétaires de mairie de catégorie C bénéficient de facilités pour accéder à la catégorie B. Des formations initiales et continues sont prévues.

Le RDSE votera des deux mains ce texte utile pour nos services publics. Jeune sénateur, c'est encore avec des visages encore très vifs à l'esprit que je voterai ce texte. (Sourires) Mais il faudra travailler sur la revalorisation des carrières territoriales. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI ; M. Pierre-Alain Roiron applaudit également.)

M. Martin Lévrier .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Quel que soit notre groupe d'appartenance, nous saluons cette proposition de loi. Je remercie les membres de la CMP ayant travaillé dans un esprit de concertation transpartisane.

Le métier de secrétaire de mairie concerne 29 000 communes, mais figure parmi les douze métiers les plus en tension dans la fonction publique territoriale, avec 1 900 postes non pourvus et un tiers des agents prenant leur retraite d'ici 2030.

Les auteurs de la proposition de loi ont eu une double volonté : rendre le métier plus attractif et revaloriser ceux qui l'exercent déjà - majoritairement des femmes. La profession est en effet confrontée au manque de temps, à l'éloignement géographique entre communes et à la diversité et à la complexité des sujets traités.

Les apports de la CMP sont significatifs : à partir du 1er janvier 2028, tous les secrétaires de mairie seront au moins en catégorie B, grâce à la validation d'un examen ou une formation spécifique. La dénomination commune de secrétaire général de mairie est une bonne chose.

La proposition de loi prévoit une ancienneté minimale pour l'avancement d'échelon, reconnaissant l'expérience et le dévouement des secrétaires de mairie en place.

En application de l'article 2 ter A, le Gouvernement rendra un rapport sur les formations du supérieur préparant au métier de secrétaire de mairie, répondant à la demande d'accompagnement à la formation.

Le RDPI, en soutien à François Patriat, démontre une fois de plus sa connaissance des territoires. Il votera cette proposition de loi, qui renforcera l'ensemble de nos communautés rurales. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Pierre-Alain Roiron applaudit également.)

M. Pierre-Alain Roiron .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Les travaux parlementaires sur la situation des secrétaires de mairie ont débuté en avril dernier. Le vote d'un texte avant la fin de l'été aurait été bienvenu, compte tenu de l'urgence, mais cela n'a pas été le cas.

Le sujet a fait l'objet d'une prise de conscience partagée et transpartisane, à la suite d'alertes des élus municipaux. Je remercie Céline Brulin et François Patriat, qui ont inscrit cette question à l'ordre du jour du Sénat, ainsi que Catherine Di Folco, Jérôme Durain et Cédric Vial, pour leur rapport de qualité. Le groupe SER a participé à ces travaux et soutient le texte issu de la CMP, soucieux de répondre aux demandes des secrétaires de mairie.

Leur rôle est primordial : juristes, urbanistes, comptables, informaticiennes, elles sont des interlocutrices indispensables pour les habitants, et le premier, parfois le seul service public de proximité... Elles sont aussi des partenaires précieux pour les maires et leurs équipes.

Chevilles ouvrières de l'action publique, elles méritent la mobilisation du législateur, mais aussi, et surtout, celle de l'exécutif. Car cette profession attire de moins en moins de monde : 1 900 postes sont vacants et plus de 30 % de départs à la retraite sont attendus d'ici 2030. En Indre-et-Loire, près de la moitié des secrétaires de mairie partiront à la retraite d'ici quatre ou cinq ans. (M. Jean-Gérard Paumier hoche la tête.)

Les conditions de travail sont difficiles et les secrétaires de mairie mettent en avant le manque de reconnaissance, une trop faible rémunération et un manque de perspectives en matière d'évolution et de promotion. Le législateur a tenté d'y remédier, dans les limites de l'article 40 de la Constitution.

Ainsi, si cette proposition de loi est bienvenue, elle ne réglera pas tout. Le groupe SER, avec lucidité, la votera.

Mme Françoise Gatel.  - Très bien !

M. Pierre-Alain Roiron.  - Mais nous regrettons qu'un texte plus ambitieux ne puisse être adopté en raison des contraintes constitutionnelles. Nous attendons donc avec impatience le projet de loi que vous nous avez annoncé, monsieur le ministre.

Notre vote est assorti d'une clause de revoyure. Les secrétaires de mairie le méritent, c'est en leur nom que nous vous demandons d'y répondre. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Françoise Gatel applaudit également.)

M. Didier Mandelli .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Gatel applaudit également.) Le Sénat a l'habitude de mettre en avant le rôle essentiel des communes. Leur maillage même fait que la plupart sont petites et dotées de moyens limités.

Les secrétaires de mairie sont donc une cheville ouvrière indispensable : de l'accueil du public à la gestion des opérations funéraires en passant par la passation de marchés publics, leurs tâches sont multiples et elles se partagent parfois entre plusieurs communes.

Comme l'ont montré Catherine Di Folco, Jérôme Durain et Cédric Vial dans leur rapport, la profession souffre d'un déficit d'attractivité aux répercussions inquiétantes. La pyramide des âges est vieillissante, alors que la profession requiert une polyvalence et une technicité administrative croissantes.

Or les statuts et les situations varient : catégories C, à 60 %, ou B, à 20 %, parfois des contractuels. Pour y remédier, le Sénat avait adopté unanimement cette proposition de loi, rapportée par Catherine Di Folco, qui facilite la promotion interne et ouvre le recrutement de contractuels dans les communes de moins de 2 000 habitants. La fonction sera aussi inscrite dans le code général des collectivités territoriales avec le titre de secrétaire général de mairie.

Les députés ont largement partagé notre appréciation de la question, sans divergences fondamentales, avant de voter unanimement le texte. Puis un accord a été trouvé en CMP, sur la consécration de la terminologie de secrétaire général de mairie et sur son inscription dans le code général des collectivités territoriales.

Nous avons obtenu le rétablissement de l'article 2 ter, qui promeut la promotion interne de la catégorie B vers la catégorie A.

Le groupe Les Républicains votera les conclusions de la CMP, afin que le rouage essentiel, trop souvent méconnu, de l'administration communale que sont les secrétaires de mairie soit enfin soutenu.

M. Joshua Hochart .  - Le travail du législateur est aussi de prendre en compte les remontées des collectivités. Ce texte y répond en grande partie : les secrétaires de mairie sont les piliers de notre administration locale. Travaillant dans l'ombre, gardiens des procédures administratives, agents de première ligne, ils sont essentiels à nos concitoyens. C'est pourquoi il fallait reconnaître leur importance et renforcer l'attractivité de ce métier.

Promotion interne, formation qualifiante, prise en compte de l'ancienneté sont autant d'avancées de ce texte.

Les élus des petites communes sont souvent des catalyseurs de la cohésion sociale, loin de la vision mondialisée du Gouvernement. Les communes rurales sont le coeur battant de nos traditions. Vous les avez bien souvent oubliées, au profit des grands centres urbains, mais pour une fois, monsieur le ministre, vous semblez les avoir entendues.

Cependant, les budgets des petites communes sont à l'euro près : il est facile d'agir avec l'argent des autres.

Cela dit, nous sommes favorables à toute avancée en faveur des secrétaires de mairie : nous voterons ce texte, comme nos collègues de l'Assemblée nationale, notamment Pierrick Berteloot, très engagé sur la question. Notre boussole sera toujours l'intérêt du peuple de France.

Mme Marie-Claude Lermytte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; MM. Martin Lévrier et Grégory Blanc applaudissent également.) Nous remercions les rapporteurs de la commission des lois et tous les parlementaires ayant participé à l'élaboration de ce texte commun, qui vise à améliorer les conditions de travail et la carrière des secrétaires de mairie.

Nous nous réjouissons qu'un accord ait été trouvé en CMP.

Les secrétaires de mairie sont des couteaux suisses, tout terrain, nécessaires au bon fonctionnement de nos mairies et à l'accès de tous aux services publics. Conseils pour les démarches administratives, suivi de la comptabilité, du budget, des recrutements, et j'en passe : les secrétaires de mairie sont les alliés indispensables des maires. Toutefois, ceux-ci peinent à recruter.

Selon le panorama de l'emploi territorial, le métier de secrétaire de mairie est premier sur le podium des métiers de la fonction publique territoriale les plus en tension, du fait de la difficulté des tâches et de l'immense diversité des missions. Je fais un clin d'oeil à Séverine Linette, secrétaire de mairie à Brouckerque, avec qui j'ai travaillé pendant près de dix ans.

Les secrétaires de mairie se partagent parfois entre cinq voire six mairies, ce qui implique une adaptabilité et une grande disponibilité. Ce poste est également sensible, impliquant de bâtir une relation de confiance avec les élus, fortiori dans les très petites communes. Des mesures concrètes sont nécessaires pour en renforcer l'attractivité.

Un tiers des secrétaires de mairie partiront à la retraite dans les huit prochaines années. Notre boussole, lors de l'examen du texte, était d'assouplir les procédures d'embauche, sécuriser les carrières et faciliter la progression de statut. Nous devons poursuivre le travail, pour valoriser ces agents à la hauteur de l'importance de leurs missions.

Le groupe INDEP votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDPI ; M. Akli Mellouli applaudit également.)

À la demande du RDPI, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°105 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 334
Pour l'adoption 334
Contre    0

La proposition de loi est adoptée.

Mme la présidente.  - À l'unanimité ! (Applaudissements)

La séance est suspendue à 19 h 50.

Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président

La séance reprend à 21 h 30.

Mise au point au sujet d'un vote

Mme Véronique Guillotin.  - Lors du scrutin public n°102, sur l'article unique de la proposition de loi organique visant à rétablir la réserve parlementaire, je souhaitais voter contre.

Acte en est donné.

Accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels.

Mme Corinne Imbert, rapporteure pour le Sénat de la CMP .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du RDPI et du RDSE) Après des échanges nourris avec le rapporteur Frédéric Valletoux, la CMP réunie le 7 décembre est parvenue à un texte commun, cohérent avec la ligne défendue par le Sénat : la confiance plutôt que la contrainte.

Ce texte préserve largement les apports du Sénat : vingt et un articles ont été adoptés dans notre rédaction, et huit articles supprimés par le Sénat ont vu leur suppression maintenue.

Sur plusieurs dispositions, les points de vue ont spontanément convergé. Ainsi, le Sénat a souscrit à la volonté de l'Assemblée nationale de renforcer le rôle du médecin coordonnateur en Ehpad et de créer un statut d'infirmier référent. Les dispositions étendant le contrat d'engagement de service public (CESP) aux étudiants de maïeutique et de pharmacie et la lutte contre le nomadisme médical nous ont réunis.

Sur d'autres articles, les positions du Sénat et de l'Assemblée divergeaient sensiblement. Citons l'article 3 sur l'adhésion automatique aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et l'article 4 bis réintroduisant l'obligation de participation à la permanence des soins ambulatoires (PDSA), mais dont la portée juridique était nulle. Le maintien de leur suppression était pour moi une condition sine qua non de la réussite de la CMP.

L'article 1er témoigne de l'esprit de compromis qui nous a animés. Avec pour objectif de dynamiser la démocratie sanitaire à l'échelle locale, nous avons renforcé les pouvoirs du conseil territorial de santé (CTS), sans déposséder les acteurs de l'offre de soins de premier recours de leurs prérogatives actuelles et de leur capacité d'initiative.

À l'article 2 quinquies, le Sénat s'était opposé à la création d'un énième indicateur de l'offre de soins. Finalement, le texte prévoit une actualisation régulière du diagnostic territorial partagé ainsi que, sur notre initiative, des zonages déterminant les aides à l'installation.

La CMP a également conservé l'article inséré par le Sénat pour étendre à tout le territoire l'expérimentation des certificats de décès par les infirmiers. Le Gouvernement devra modifier au plus vite les récentes dispositions réglementaires pour lancer l'expérimentation.

Sur les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue), les amendements du Sénat ont tous été maintenus.

Enfin, concernant l'hôpital, le texte préserve la rédaction du Sénat visant à engager un rééquilibrage de la permanence des soins entre établissements privés et publics et renforcer la gouvernance médico-administrative des hôpitaux.

Ce texte ne résoudra pas tous les problèmes d'accès aux soins, mais grâce au travail conduit avec le rapporteur de l'Assemblée nationale, il porte des mesures utiles et pragmatiques pour mieux valoriser l'engagement des professionnels sans les irriter inutilement. Je vous propose de l'adopter. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDSE et du RDPI)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Avec Aurélien Rousseau, je salue cet accord et remercie la rapporteure Corinne Imbert. Nous avons eu des divergences, mais je sais la qualité du travail fourni dans une assemblée exigeante. Avec Frédéric Valletoux, vous êtes parvenus à un compromis. Je remercie le président Mouiller pour son écoute.

Je sais votre assemblée sensible à la problématique de l'accès aux soins et d'égalité entre les territoires. Notre réponse s'inscrit en complémentarité avec les politiques publiques menées, pour une collaboration renforcée entre les métiers et entre les acteurs locaux.

C'est la logique du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, qui comprend des mesures fortes pour l'attractivité hospitalière - j'en remercie Corinne Imbert et la rapporteure générale Élisabeth Doineau ; des négociations conventionnelles, qui suivent leur cours avec les médecins libéraux et s'ouvrent avec les pharmaciens ; des différentes propositions de loi votées ces dernières années, car l'actualité législative a été dense ; enfin, du plan d'action, présenté en juillet dernier, qui prévoit le recrutement de 10 000 assistants médicaux, la création de 4 000 maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), la généralisation des CPTS et le déploiement de cent médicobus pour faire le dernier kilomètre. D'ici à 2027, deux millions de Français supplémentaires auront accès à un médecin.

Sur tous ces chantiers, nous avançons main dans la main avec les acteurs pour mieux utiliser les compétences de chacun en incitant au partage des tâches et à l'élargissement de compétences. En deux ans, vingt nouvelles délégations de tâches ont été décidées ; il faut maintenant les déployer et surtout les faire connaître des patients.

Cette proposition de loi s'inscrit dans cette dynamique. Ainsi de l'article 1er sur les territoires de santé, qui redonne la main aux acteurs du territoire pour porter un diagnostic et des solutions, dans une logique graduée de responsabilisation.

À l'article 3, le Sénat a supprimé l'adhésion obligatoire des professionnels de santé aux CPTS. Reste qu'il est nécessaire que les professionnels de santé se coordonnent mieux, notamment grâce aux CPTS, au bénéfice des patients. D'ici la fin de l'année, 85 % de la population sera couverte, soit vingt points gagnés en un an. Il nous faut poursuivre notre travail d'information et d'accompagnement sur le terrain.

Pour donner envie à nos étudiants de s'installer dans les territoires, le Sénat a élargi le CESP aux étudiants en maïeutique et pharmacie. Un amendement de Patricia Schillinger a étendu le bénéfice des aides des collectivités locales aux étudiants en santé non couverts, notamment en chirurgie dentaire. Grâce à Véronique Guillotin, vous avez inclus les représentants des étudiants dans le guichet unique d'aide à l'installation.

Nous devons renforcer la formation et mieux prendre en compte la santé physique et mentale des internes en stage : après Stéphanie Rist à l'Assemblée nationale, votre rapporteur l'a fait pour le deuxième cycle. Prendre soin de ceux qui nous soignent est un impératif qui me tient particulièrement à coeur.

L'article 2 quater C élargit l'expérimentation des certificats de décès par les infirmiers à l'ensemble du territoire.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales.  - Ah !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Je comprends votre impatience, mais le décret et les arrêtés permettant d'engager la mise en oeuvre de l'expérimentation sur six régions viennent juste d'être publiés, le 7 décembre. Une extension, qui plus est sur de l'Ondam, poserait des problèmes opérationnels.

Nous devons rééquilibrer la charge de la responsabilité de la permanence des soins entre établissements publics et privés, pour réduire la pression sur l'hôpital. Chaque citoyen doit pouvoir obtenir une réponse, là où il se trouve, quand il en a besoin.

Le secteur hospitalier attendait que l'on dote les groupements hospitaliers de territoire (GHT) de la personnalité morale et que l'on facilite les regroupements. Je salue les efforts de régulation et d'encadrement de l'intérim médical, désormais interdit en début de carrière - non pour stigmatiser, mais pour sécuriser le passage du statut d'étudiant à celui de professionnel de santé. Du côté des fins de carrière, la prise en compte des émoluments hospitaliers des personnels hospitalo-universitaires dans le calcul de la retraite est une juste reconnaissance sociale de leur exercice.

Nous supprimons la majoration du ticket modérateur pour les patients sans médecin traitant, renforçons le rôle des médecins coordonnateurs en Ehpad et créons la fonction d'infirmier référent.

Je regrette le rejet de l'article 10 sur les Padhue, qui était complémentaire de l'article 9. Vous êtes nombreux à vouloir favoriser la venue des praticiens étrangers dans vos départements. La carte de séjour pluriannuelle prévue à l'article 10 était un facteur d'attractivité. C'est une occasion perdue pour l'accès aux soins.

Les articles 9 et 10 bis assouplissent la réalisation des stages de consolidation des compétences, dont la durée sera modulable, et pourra être limitée à six mois. C'est une avancée pour les Padhue, et pour l'accès aux soins. Je salue les apports du Sénat et du RDPI sur les Padhue outre-mer.

Le Gouvernement vous invite à adopter ces conclusions. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE)

M. le président.  - En application de l'article 42, alinéa 12, du Règlement, le Sénat statue par un seul vote sur l'ensemble du texte.

Mme Anne Souyris .  - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.) Cette proposition de loi fera oeuvre utile, mais sans apporter de véritables réponses aux difficultés d'accès aux soins. Depuis 2019, le Gouvernement préfère des mesures éparses à un projet de loi pourtant nécessaire. Alors que la stratégie nationale de santé 2023-2033 est soumise à consultation, je regrette l'absence de texte correspondant.

Même si je regrette que les termes de démocratie sanitaire disparaissent du code de la santé publique, l'article 1er va dans le bon sens. J'invite le Gouvernement à prendre en compte nos remarques dans l'application de cette mesure.

La communication aux ARS d'une cessation d'activité sur un territoire est certes bienvenue, mais pour garantir l'accès aux soins, nous ne pourrons faire l'économie d'une véritable régulation, et d'un effort massif de formation aux métiers du soin.

Il y a 197 000 médecins actifs en France ; ils seront 188 000 l'année prochaine, alors que les besoins de santé augmentent. Nous manquons de professionnels de santé. La suppression du numerus clausus ne fera effet qu'en 2030. Les jeunes sont pourtant attirés par les métiers du soin, mais bloqués par Parcoursup ! Vous avez hélas refusé la création d'écoles normales des métiers de la santé. Le Sénat a rejeté la semaine dernière notre proposition pour créer une allocation d'autonomie d'études. Le Gouvernement devrait à tout le moins étudier une extension aux études de santé du dispositif des écoles normales supérieures.

Je salue la création du groupement hospitalier de territoire, et celle du statut d'infirmier référent. Je regrette cependant que notre proposition d'aligner les conditions de cumul d'activité des professionnels de santé territoriaux sur celles des hospitaliers ait été rejetée.

Sur la permanence des soins, on donne davantage de responsabilité aux ARS en dernier recours, mais sans proposer de vraie réforme.

Je salue l'auteur de la proposition de loi, la rapporteure Corinne Imbert et le Gouvernement. Dommage que ces débats importants aient accouché d'une souris. Nous ne pouvons nous contenter de rafistolages, certes utiles. Le GEST, sans s'opposer à la proposition de loi, s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Céline Brulin .  - (Applaudissements à gauche) Un compromis a été trouvé. Malheureusement, il n'y a pas grand-chose dans ce texte fourre-tout. Son titre laisse à penser que c'est l'engagement territorial qui ferait défaut. Or le premier problème est que les médecins ne sont pas assez nombreux ! Cela exige une vraie politique de santé publique assortie de moyens humains et financiers.

Les Français ne se satisferont pas de rustines. Or il n'y a pas l'ombre d'un début de régulation de l'installation des praticiens pour lutter contre les déserts médicaux. De même, vous refusez d'encadrer les dépassements d'honoraires, de plus en plus incontrôlés : selon l'UFC-Que Choisir, 70 % des gynécologues, 66 % des ophtalmologues et 48 % des pédiatres sont concernés, en hausse de dix points en cinq ans.

Déception aussi sur la permanence des soins : les hôpitaux publics continueront d'assumer seuls les gardes de nuit et le week-end, les cliniques privées n'étant sollicitées qu'en cas de carence persistante. En pleine renégociation de la convention avec les médecins libéraux, il aurait été judicieux d'imposer des gardes le soir et le week-end en contrepartie d'une revalorisation des tarifs. Il ne peut y avoir de citoyens de seconde zone.

Certes, quelques mesures vont dans le bon sens, comme les indicateurs territoriaux ou l'accès au CESP dès la deuxième année, utile pour inciter les jeunes de familles modestes à se lancer dans des études de médecine - mais il est injuste qu'ils soient les seuls à subir des contraintes d'installation.

Il est nécessaire de former dès à présent beaucoup plus de professionnels de santé pour faire face aux besoins de la société. Il faut augmenter le nombre d'étudiants, de formateurs, de tuteurs. En attendant que les futurs professionnels de santé soient formés, il faut freiner les démissions en revalorisant les carrières, les rémunérations et surtout les conditions de travail.

Les Padhue sont indispensables dans nos hôpitaux mais ils ne sont ni rémunérés ni reconnus à la hauteur de leurs compétences. Certains vont se retrouver sans contrat et sans droits au 31 décembre. Alors que six millions de Français n'ont pas de médecin traitant, que les urgences sont débordées, nous ne pouvons pourtant nous passer d'eux !

Le groupe CRCE-K ne soutiendra pas ce texte. (Applaudissements à gauche)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI et du groupe UC) Nous avions abordé cette proposition de loi avec scepticisme en octobre. Le calendrier d'examen était regrettable, juste avant le PLFSS et la reprise des négociations conventionnelles. Pourtant, la majorité du RDSE a voté pour en première lecture, certains irritants ayant été supprimés. Je salue le travail de la rapporteure qui a permis d'aboutir à un texte consensuel.

L'expérimentation encourageant l'orientation vers les études de santé des lycéens de zones rurales diversifiera les origines des étudiants en santé et favorisera les implantations en zone sous-dotée. La région Grand Est est partante pour déployer un projet que je porte.

Une autre mesure consensuelle comporte en réalité des écueils : l'affiliation à l'Ircantec, sur leur activité hospitalière, des praticiens hospitaliers universitaires (PHU). Le rapport Uzan a mis en évidence les inégalités en matière de calcul de pension de retraite des PHU. Une réforme était attendue, mais celle votée va pénaliser les plus jeunes et ne sera pas applicable pour les praticiens en poste. L'attractivité déjà faible de ces métiers pourtant essentiels mérite une attention particulière. Les jeunes PHU sont inquiets.

Je me réjouis, pour les professionnels de santé libéraux, que le bon sens ait prévalu sur les CPTS, avec le rejet de l'inscription automatique, qui était un irritant majeur.

La participation des établissements privés à la permanence des soins va dans le bon sens, et répartira la charge.

J'ai des réserves sur l'interdiction de l'intérim en début de carrière. Mieux vaudrait améliorer l'attractivité des carrières hospitalières.

L'ARS est au courant de l'évolution de la démographie médicale, le préavis de six mois ne sera pas très utile. Il faut anticiper bien en amont.

Nous soutenons l'extension à tout le territoire de l'expérimentation des certificats de décès par les infirmiers et la désignation d'un infirmier référent pour les patients en affection de longue durée (ALD). Il faut agir pour l'attractivité des métiers, mais j'insiste sur le rôle pivot du médecin généraliste, pour ne pas déstabiliser le parcours de soins.

Je salue la possibilité de désigner le médecin coordonnateur en Ehpad comme médecin traitant. Cela évitera des allers-retours à l'hôpital pour les personnes âgées dépendantes.

Cette loi ne résoudra pas tout mais nous n'en attendions pas plus. Il faut plus de prévention et de décentralisation.

En attendant, le RDSE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI et du groupe UC)

M. Martin Lévrier .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Merci aux deux rapporteurs de l'Assemblée nationale et du Sénat et aux membres de la CMP, qui sont parvenus à un accord. L'accès aux soins est difficile, mais la majorité présidentielle et le Gouvernement s'attellent depuis six ans à résoudre le problème : développement des exercices coordonnés, délégations de compétences, instauration de la quatrième année d'internat, par exemple. C'est en continuité avec ces mesures que nous avons travaillé à un texte pragmatique et méthodique.

Nous voulons susciter des vocations chez les jeunes : c'est le sens de l'expérimentation d'options santé dans les lycées.

Nous nous félicitons de la création du statut d'infirmier référent, qui crée un triptyque autour du patient avec le médecin et le pharmacien.

Nous sommes parvenus à un compromis satisfaisant sur la permanence des soins. Cliniques et hôpitaux seront mobilisés pour y participer. Sans créer une obligation de garde, le texte octroie aux ARS des pouvoirs gradués leur permettant d'intervenir en cas de carence.

Nous nous félicitons de l'encadrement de l'intérim médical en début de carrière. Certes, le modèle de l'intérim n'a pas vocation à supplanter une offre de soins stable, continue et garantie, mais il permet aux étudiants de financer leurs études.

La CMP a adopté un texte de compromis qui responsabilise sans contraindre, développe l'exercice coordonné sans enfermer les praticiens, concilie le droit à l'accès aux soins et l'aspiration légitime à de meilleures conditions de travail. Le RDPI le votera.

Mme Émilienne Poumirol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Voilà des années que nous vous alertons sur la désespérance de nos concitoyens qui ne trouvent pas de médecin et sur la nécessité d'une réorganisation complète du système de santé pour garantir l'accès aux soins. Chaque année, 1,6 million de personnes renoncent à se soigner.

Certes, nous avons soutenu certaines mesures de ce texte : lutte contre le nomadisme médical, CESP dès la deuxième année, consécration du statut d'infirmier référent pour les ALD. Mais la problématique de l'attractivité de la médecine générale n'est pas abordée, non plus que celle de la formation des médecins. Ces leviers sont pourtant fondamentaux pour lutter contre la désertification médicale. La question de l'exercice coordonné en équipe pluriprofessionnelle n'apparaît pas davantage, alors que l'Ordre des médecins le préconise, et que cela permettrait de dégager du temps médical.

De nombreuses mesures sont inefficaces : création d'un conseil de territoires inutile, qui ne favorise pas la démocratie sanitaire, obligation de déclarer son départ à la retraite six mois avant, dénuée de portée.

La mise en place du volontariat a dégradé la permanence des soins et entraîné l'engorgement des urgences ; il est indispensable de rétablir la PDSA obligatoire, mais, là encore, le texte manque d'ambition.

Le mercenariat pratiqué par certains à l'hôpital est indécent. Pour autant, ne cibler que les jeunes en fin d'études entraîne une discrimination par l'âge qui n'est pas souhaitable.

Enfin, nous regrettons la disparition du nouvel indicateur territorial de l'offre de soins.

Ce texte manque cruellement de vision. Le 21 novembre dernier, l'UFC-Que Choisir a déposé un recours devant le Conseil d'État pour dénoncer l'inaction du Gouvernement face aux inégalités d'accès aux soins et lui enjoindre d'agir, au nom du  droit constitutionnel à la santé.

Il appartient à l'État d'apporter une réponse ambitieuse aux territoires abandonnés par le service public de la santé, car ce sentiment d'abandon nourrit l'abstention ou le vote d'extrême droite.

Mme Sophie Primas.  - Et l'extrême gauche ?

Mme Émilienne Poumirol.  - Partout en France, des centres de santé de soins primaires à but lucratif ouvrent leur porte avec pour seul objectif la rentabilité financière, pour verser des dividendes à leurs actionnaires. Ce n'est pas le modèle de santé que nous défendons. Nous voterons contre l'adoption de ce texte malgré ses quelques avancées. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K)

Mme Florence Lassarade .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous saluons le travail de la rapporteure, dont la détermination a payé. (Mme Corinne Imbert sourit.) L'accord reprend les principales orientations du Sénat.

Nous avons soutenu la suppression des mesures inutilement irritantes pour les professionnels de santé, notamment l'adhésion obligatoire aux CPTS, définitivement retirée. Laissons les professionnels s'organiser dans les territoires !

Idem pour l'obligation de participer à la PDSA, quelques mois à peine après l'adoption de la loi Rist sur l'accès aux soins. Ce n'est guère sérieux. En outre, cette question relève de la négociation conventionnelle.

De nombreuses données statistiques permettent déjà de documenter les inégalités d'accès aux soins ; pas besoin d'un indicateur de plus.

Nous nous félicitons en revanche de plusieurs apports du Sénat, comme l'autorisation faite aux infirmiers de signer des certificats de décès, la création du statut d'infirmer référent pour les ALD et l'expérimentation des antennes d'officines dans les communes faiblement peuplées. Là encore, le texte de la CMP rejoint le nôtre.

L'article 1er affiche l'objectif ambitieux de consolider la démocratie sanitaire en s'appuyant sur les CTS. L'organisation de l'offre de soins sur les territoires souffre en effet de la diversité des acteurs et de la superposition des périmètres d'action, d'où un manque de lisibilité. Sur la composition des CTS, le Sénat ajouté la participation des conseils des ordres professionnels. Nous sommes parvenus à un compromis permettant de renforcer les missions du CTS en l'associant à l'élaboration des projets territoriaux de santé ; la CMP a conservé le recentrage opéré par le Sénat.

Les guichets uniques départementaux chargés d'accompagner les professionnels de santé leur offriront une assistance pour leurs démarches administratives ; espérons qu'ils seront en capacité de mener à bien leur mission.

Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

Mme Corinne Bourcier .  - Je félicite le député Frédéric Valletoux pour son texte ambitieux, enrichi par les débats parlementaires, et remercie la rapporteure Corinne Imbert pour son travail. Je me réjouis de l'accord trouvé en CMP sur ce sujet important ; il fait honneur au travail du Parlement.

Avec 6 millions de Français sans médecin traitant, la France est un grand désert médical. Il faut donc renforcer l'accès aux soins en motivant les professionnels et en encourageant les vocations.

Ce texte ne résoudra pas tout. Une grande partie de la solution réside dans la formation, qui demande plusieurs années, mais nous ne pouvons pas demander aux Français de s'armer de patience : nous avons besoin de mesures de court terme, c'est le sens de ce texte.

Il confère un rôle plus important aux CTS, améliore la prise en compte des situations locales et répartit mieux la permanence des soins entre établissements publics et privés.

Une majorité des membres du groupe Les Indépendants n'est pas favorable à l'adhésion automatique aux CPTS. Mais ces structures doivent être renforcées, car elles améliorent la coordination entre professionnels.

La lutte contre le nomadisme médical par la limitation des aides à l'installation une fois tous les dix ans est de bon sens.

Sur l'encadrement de l'intérim, nous préférions la version du Sénat. L'intérim peut apporter, notamment en début de carrière, un véritable enrichissement de la pratique professionnelle. Il correspond à la demande de flexibilité des jeunes générations. J'espère que le décret d'application en tiendra compte.

Enfin, le texte simplifie l'exercice des Padhue, mesure bienvenue pour renforcer l'accès aux soins.

Nous voterons pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI)

Mme Nadia Sollogoub .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDPI et du RDSE) La pénurie médicale généralisée est au centre des préoccupations des Français. Dans ce contexte, les initiatives se succèdent, parfois sans que les précédentes aient pu porter leurs fruits : la loi Rist n'est pas encore appliquée et des négociations conventionnelles sont en cours, et nous voici saisis de cette nouvelle proposition de loi.

Fidèle à sa ligne, le Sénat souhaite des mesures concertées avec les professionnels et susceptibles d'être opérationnelles. Tant de choses semblent simples sur le papier, mais la vraie vie en va autrement...

Dans un contexte de crise, il est essentiel de respecter les sensibilités de chaque profession. Nous n'avons rien à gagner à susciter le découragement des professionnels, voire leur départ.

Faire bouger les curseurs dans un contexte de pénurie est compliqué. Toutefois, ce texte peut apporter une bouffée d'oxygène dans un contexte d'asphyxie.

La création de l'infirmer référent est une bonne nouvelle. La majorité des propositions du Sénat a été retenue : limitation à une fois tous les dix ans des aides à l'installation, fermeture par l'ARS de centres de santé pour manquement, entre autres. Une rédaction de compromis a été trouvée sur les CTS et l'adhésion obligatoire à une CTPS a été abandonnée, à raison. Si certains certificats médicaux n'ont pas été supprimés, la possibilité pour les infirmiers de signer un certificat de décès est élargie.

Nous soutenons ces mesures ciblées, qui, certes, ne sont pas le grand soir : c'est la formation qui apportera une solution de long terme au problème de l'accès aux soins. La majorité du groupe centriste votera ce texte qui répond globalement aux attentes des professionnels, au service des patients. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE)

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°106 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 322
Pour l'adoption 241
Contre   81

La proposition de loi est définitivement adoptée.

(Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)

La séance est suspendue quelques instants.

Utilisation des titres-restaurant (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à prolonger en 2024 l'utilisation des titres-restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables.

Discussion générale

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme .  - (M. Martin Lévrier applaudit.) Le titre-restaurant fait l'unanimité : salariés, employeurs, restaurateurs et commerçants le plébiscitent. Si nous devons le moderniser - c'est la moindre des choses pour un dispositif créé en 1967 -, il a su s'adapter aux crises récentes. Pendant le confinement, son plafond a été doublé de 19 à 38 euros, avant d'être ajusté à 25 euros de façon pérenne.

Son usage aussi a évolué. À l'été 2022, le Sénat a voté, sur l'initiative de Frédérique Puissat, une mesure étendant le périmètre des produits susceptibles d'être achetés. Ce coup de pouce a été utile pour de nombreux salariés, notamment les plus précaires, et pour ceux qui préfèrent cuisiner des plats chez eux pour les apporter à leur travail.

Prolonger cette mesure au-delà du 31 décembre prochain relève du bon sens au vu du niveau élevé des prix alimentaires. Pourquoi ne pas l'inscrire dans la loi de manière pérenne ? Car les corps intermédiaires s'y opposent, notamment les représentants des partenaires sociaux siégeant à la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR) : Medef, CPME, U2P, CFDT, CGT, FO, CFE-CGC. En outre, cette évolution nécessiterait une concertation approfondie. Elle sera débattue dans le cadre de la réforme structurelle du titre-restaurant prévue pour 2024, qui donnera lieu à un projet de loi.

La dématérialisation abaissera les frais de gestion pour les restaurateurs, ouvrira la possibilité à de nouveaux acteurs d'entrer sur le marché et sécurisera le titre en facilitant la lutte contre la fraude. Les usages solidaire et social du titre feront aussi l'objet d'une réflexion.

En attendant cette réforme structurelle, la présente proposition de loi répond à une attente forte dont, je n'en doute pas, vous avez saisi la nécessité. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE)

Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Sénat a toujours gardé un oeil vigilant sur le pouvoir d'achat des Français. Malgré le ralentissement de l'inflation, les prix alimentaires sont toujours en hausse. Dans ce contexte, il nous est proposé de prolonger les dispositions temporaires relatives au titre-restaurant instaurées en 2022.

Créé en 1967, le titre-restaurant est un titre spécial de paiement financé par l'employeur à hauteur de 50 à 60 % de sa valeur faciale, remis au salarié sous format papier ou dématérialisé. Sa vocation de soutien aux repas des travailleurs justifie les avantages sociaux et fiscaux associés, notamment l'exclusion de l'assiette des cotisations sociales. Le coût annuel du dispositif s'élève à 1,8 milliard d'euros, dont 1,4 milliard pour la sécurité sociale. Plus de 180 000 employeurs y ont recours, pour 5,2 millions de salariés.

C'est une alternative au restaurant d'entreprise ou à l'indemnité panier. Il n'est pas obligatoire, mais c'est un levier d'attractivité et de fidélisation des salariés. Il est accepté par les restaurateurs, détaillants de fruits et légumes, commerces de bouche et magasins de grande distribution : 234 000 commerces au total, dont deux tiers de restaurants.

Sans avoir pour vocation première de soutenir le pouvoir d'achat des salariés, il a été utilisé à cette fin en 2022. Le plafond d'exonération de la participation de l'employeur a été relevé à 5,92, puis 6,50  et 6,91 euros.

Lors de la discussion au Sénat de la loi du 16 août 2022, Frédérique Puissat, rapporteure de la commission des affaires sociales, a proposé d'étendre le titre-restaurant à une plus large gamme de produits alimentaires : farine, pâtes, riz, viande non préparée... Depuis la mise en oeuvre de cette dérogation, la part d'utilisation des titres-restaurant dans les grandes et moyennes surfaces est passée de 22,4 à 28,9 %. La part des restaurants a baissé de 46,5 à 44,3 %, celle des commerces de bouche de 30,9 à 26,2 %.

La corrélation entre cette évolution et le régime dérogatoire n'est toutefois pas évidente : il faut aussi tenir compte du développement du télétravail et de la préférence pour des plats préparés à domicile. La tendance remonterait à la crise sanitaire.

Selon la Fédération du commerce et de la distribution, la composition du panier d'achat n'a pas été bouleversée : 70 à 75 % des produits achetés sont directement consommables.

Quinze mois après, l'inflation est toujours d'actualité. Selon l'Insee, les prix alimentaires ont augmenté de 7,6 % entre novembre 2022 et novembre 2023. Le Gouvernement, qui n'avait pas anticipé, a été interpellé par des associations familiales et des élus ; Bruno Le Maire s'est prononcé pour la prolongation du dispositif. Nous voici contraints de légiférer pour une entrée en application dans deux semaines...

Par ailleurs, je rappelle qu'une proposition de loi a été déposée, deux jours avant celle-ci, par Sophie Primas, Frédérique Puissat et Alexandra Borchio Fontimp, avec le même objet.

M. Laurent Burgoa. - Exact !

Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure.  - Restaurateurs et partenaires sociaux craignent un détournement du titre-restaurant et expriment des réserves. Le Sénat a entendu leur message et sera vigilant.

Le titre-restaurant a déjà connu des assouplissements : ainsi, la loi du 3 décembre 2008 a permis le don de titres-restaurant non utilisés à des associations d'aide alimentaire.

Une évolution pérenne du titre doit cependant être envisagée avec prudence, pour ne pas l'éloigner de sa vocation initiale, qui est de financer le déjeuner du salarié. La réflexion doit s'inscrire dans le cadre plus large de sa modernisation, en concertation avec la CNTR.

L'Autorité de la concurrence a préconisé une régulation renforcée du marché des titres-restaurant et le rééquilibrage du rapport de force entre sociétés émettrices et restaurateurs. Le risque de déstabilisation du secteur de la restauration est réel, après une succession de crises. Une solution pérenne doit être trouvée, la politique du chèque étant un pansement sur une jambe de bois.

Dans l'immédiat, face à l'urgence, la commission vous propose d'adopter ce texte sans modification. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, du RDPI et du RDSE)

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - Depuis la loi du 16 août 2022, les salariés peuvent utiliser leurs titres-restaurant pour l'achat de produits alimentaires non directement consommables dans les grandes et moyennes surfaces. Le Gouvernement, qui n'a pas anticipé la fin de ce dispositif au 31 décembre prochain (Mme Olivia Grégoire lève les yeux au ciel), a été contraint de faire déposer cette proposition de loi par sa majorité à l'Assemblée nationale.

Les titres-restaurant sont un acquis social important. Mais dans un contexte de forte inflation alimentaire, quand 16 % des Français déclarent avoir faim contre 9 % il y a quelques années, la question principale n'est pas tant la pérennisation de cette exception que l'indexation des salaires sur l'inflation.

Dans les faits, les Français utilisent les bons de réduction et les titres-restaurant pour remplir leurs caddies. On ne saurait le leur reprocher, alors que le Gouvernement refuse toute revalorisation des salaires.

Il faut ouvrir une véritable réflexion sur l'évolution durable des titres-restaurant. Ne prenons pas le risque de dénaturer leur usage, voire de remettre en cause leur raison d'être.

Les titres-restaurant sont, de facto, une subvention aux entreprises, puisqu'un tiers de la charge patronale est pris en charge par l'État. Nous ne pouvons continuer d'enrichir avec de l'argent public des plateformes de livraison ubérisées qui ne respectent pas les droits élémentaires des salariés !

Alors que le décrochage des salaires par rapport à l'inflation a plongé de nombreux ménages dans la précarité alimentaire, une réforme s'impose. Face à l'ampleur de la crise sociale, l'extension des titres-restaurant n'est évidemment pas une réponse complète et satisfaisante, mais elle est nécessaire pour de nombreuses familles. C'est pourquoi nous voterons ce texte. (Applaudissements)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Fin novembre, le ministre de l'économie a reconnu que l'inflation alimentaire pénalise encore beaucoup trop de Français. Cette réalité économique a de vives répercussions sur la vie de nos concitoyens les plus précaires.

Selon l'Insee, la diminution des dépenses alimentaires est sans précédent : face à la flambée des prix, nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à surveiller leur ticket de caisse et à adapter leurs modes de consommation. Les banques alimentaires voient les demandes d'aide augmenter fortement.

Depuis le 1er octobre 2022, à la suite d'une mesure proposée par Frédérique Puissat, les titres-restaurant peuvent être utilisés pour acheter tout produit alimentaire, directement consommable ou non. Cette dérogation devait prendre fin le 31 décembre. La présente proposition de loi prolonge le dispositif d'un an, et nous y sommes favorables.

Nous entendons néanmoins les inquiétudes des restaurateurs. Sur les 8 milliards d'euros dépensés en titres-restaurant au cours de la dernière année, 500 millions l'ont été dans la grande distribution. D'où la crainte d'un « titre-caddie », alors que le titre-restaurant avait été créé pour permettre aux salariés de bien se nourrir sur leur lieu de travail.

Il faut tout remettre à plat et penser le titre-restaurant de demain, en prenant en compte les nouvelles aspirations des salariés et le télétravail. La réforme structurelle que vous préparez, madame la ministre, devra aussi prendre en considération les besoins des salariés en milieu rural, ainsi que la dimension santé et prévention, à laquelle je sais le Gouvernement très attaché.

Dans l'attente de cette réforme, le groupe RDSE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Martin Lévrier .  - Depuis quelques années, les habitudes des Français au travail ont changé. Les outils liés à la vie au travail doivent suivre.

Depuis 1967, le titre-restaurant est cofinancé par l'employeur et le salarié. Il est accepté dans les restaurants et les grandes surfaces pour l'achat de plats préparés. Il a évolué pour répondre à la hausse du coût de la vie, la dernière évolution datant de 2022 pour élargir le panier alimentaire, sur l'initiative de Frédérique Puissat.

Cette dérogation permet l'achat d'aliments non directement consommables, comme les pâtes et le riz, afin de tenir compte des conséquences de l'inflation sur le pouvoir d'achat. Cette mesure a trouvé son public, les Français préparant de plus en plus leur propre gamelle pour limiter le prix des repas ou déjeunant chez eux du fait du télétravail.

Nous avons tous été pris de court en découvrant que ce dispositif devrait prendre fin le 31 décembre. Il fallait donc agir dans l'urgence pour le prolonger.

Pourquoi d'un an seulement ? Parce que le temps presse, et que nous avons besoin d'un vote conforme rapidement. De plus, les titres-restaurant sont gérés par les partenaires sociaux : on ne peut faire l'économie des discussions nécessaires à une évolution pérenne.

En attendant la réforme à laquelle la ministre s'est engagée pour l'année prochaine, le groupe RDPI votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Annie Le Houerou .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.) Cette proposition de loi prolonge jusqu'au 31 décembre 2024 l'utilisation des titres-restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables.

Dans la loi du 17 août 2022, un amendement de Mme Frédérique Puissat a introduit cette mesure dérogatoire d'urgence sociale, que nous avons soutenue. Face à la vive émotion suscitée par la fin imminente de cette mesure, nous nous retrouvons aujourd'hui à en débattre dans l'urgence. Nous aurions espéré une meilleure anticipation du Gouvernement, afin d'adapter ce dispositif sur le long terme et de clarifier sa raison d'être aujourd'hui dévoyée.

Le titre-restaurant est né en 1967 d'un accord entre les représentants des employeurs, ceux des salariés et l'État. Ce n'était en aucun cas une contribution au budget alimentation de la famille, mais une mesure de soutien à une bonne alimentation au travail.

Jusqu'aux années 1980, le titre-restaurant était presque exclusivement utilisé dans les restaurants, tenus de proposer un menu dit ouvrier correspondant à son prix. Le système a été élargi aux grandes surfaces, pour les produits traiteur, puis cette tolérance, non-négociée avec les partenaires sociaux, s'est élargie à tout commerce proposant des préparations alimentaires immédiatement consommables. La CNTR a dû adopter une charte de régulation, certaines grandes surfaces autorisant l'utilisation de carnets entiers pour payer les courses...

Dans les années 2000, l'utilisation des titres-restaurant a été élargie aux fruits et légumes, aux produits laitiers et aux distributeurs automatiques.

Depuis quelques années, le télétravail détache le salarié de son lieu de travail et la crise du pouvoir d'achat contraint de nombreux salariés à apporter leur repas au travail. Il faut réfléchir à une modernisation du titre-restaurant dans ce contexte, en concertation avec la CNTR.

Le titre-restaurant ne doit pas être confondu avec une aide alimentaire de droit commun, devenue indispensable dans un contexte de précarité croissante. L'inflation alimentaire reste très élevée : entre octobre 2022 et octobre 2023, les prix alimentaires ont augmenté de 7,7 %. Depuis la crise du covid, le nombre de nouveaux bénéficiaires de l'aide alimentaire a augmenté d'un tiers. La précarité alimentaire ne touche plus seulement les personnes sans emploi, mais aussi, désormais, des actifs.

Dans ce contexte, on comprend que les salariés souhaitent utiliser leurs titres-restaurant pour couvrir les frais alimentaires de la famille.

Reste que seuls 5,4 millions de salariés sur 27 millions d'actifs en bénéficient ; pas plus d'une entreprise sur cinq participe au dispositif. C'est une subvention de l'employeur couvrant 50 à 60 % du coût, en échange d'avantages fiscaux et sociaux. Il faut donc relativiser l'aide des employeurs.

Nous demandons, comme les représentants des salariés, un véritable coup de pouce : une indexation des salaires sur l'inflation et la revalorisation du Smic et des minima sociaux.

Le Gouvernement veut donner l'illusion d'oeuvrer pour le pouvoir d'achat, mais pour cela il faudrait augmenter les salaires et relancer la discussion avec les partenaires sociaux.

Thierry Marx, président de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih), alerte sur la situation des restaurateurs. Nous avons vu la fermeture de nombreux restaurants et commerces après la crise sanitaire. L'essor du télétravail a bousculé l'utilisation des titres-restaurant. Il faut un dispositif durable pour soutenir l'alimentation des salariés lorsqu'ils travaillent et cuisinent chez eux.

Nous souhaitons que la négociation avec les partenaires sociaux aboutisse à un accord à l'unanimité.

Nous voterons les amendements identiques du groupe UC et du GEST, pour un accord dans les six prochains mois. À défaut d'adoption de ces amendements, le groupe SER, ne souhaitant pas pénaliser les salariés, votera cette proposition de loi, qui ne répondra pas à leurs inquiétudes pour le pouvoir d'achat. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K ; Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

Mme Alexandra Borchio Fontimp .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Inflation : ce mot préoccupe tous les Français qui n'ont d'autre choix que de travailler pour survivre. En cumul, dans l'alimentaire, elle a été de 17,9 % entre janvier 2022 et juillet 2023, et 97 % des Français ont vu leurs dépenses d'alimentation augmenter. Plusieurs facteurs sont avancés, climatiques, géopolitiques et conjoncturels.

Le ministre évoque la fin de l'inflation, mais la réalité est tout autre : si l'inflation plie, elle ne rompt pas. Et baisse de l'inflation ne veut pas dire baisse des prix. La facture est salée pour le panier des fêtes. Souvent, les quantités baissent dans les boîtes, donnant l'illusion d'une stabilité des prix. Ce tour de passe-passe est sordide. Les Français se restreignent, la qualité en pâtit, ce qui induit de la frustration.

Vous aviez incité, madame la ministre, à privilégier le fait maison et proposé d'apprendre aux écoliers à cuisiner. Il est vrai que ne pas sombrer dans la malbouffe est un enjeu de santé publique.

Cette proposition de loi permettra de ne pas consommer uniquement des plats préparés. Début novembre, j'avais alerté le Gouvernement. Quelques jours plus tard, nous avons déposé une proposition de loi au Sénat, car protéger le pouvoir d'achat n'est pas une option, c'est une obligation. Nous voulons apporter une solution aux fins de mois difficiles, que connaissent 75 % des Français.

Nous devons réfléchir à l'utilisation des titres-restaurant sur le long terme, même s'il faut répondre à une urgence aujourd'hui. J'espère que le Gouvernement saura protéger le pouvoir d'achat des Français et les professionnels de la restauration, fragilisés par le covid.

Cette proposition de loi va dans le bon sens, car elle reprend en tout point celle du Sénat - le hasard fait bien les choses. Le groupe Les Républicains la votera donc. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Corinne Bourcier .  - (M. Grégory Blanc applaudit.) Le dispositif des titres-restaurant bénéficie à 5,9 millions de salariés, soit 19 % d'entre eux. Il est cofinancé entre l'employeur et le salarié, en l'absence de cantine. La participation de l'employeur est exonérée de cotisations sociales.

Le titre-restaurant n'a pas été créé initialement comme un dispositif de soutien au pouvoir d'achat. Mais en 2022, son plafond d'utilisation journalier a été rehaussé, et le plafond d'exonération de la participation de l'employeur aussi. En août 2022, le titre-restaurant a été élargi à l'achat de produits alimentaires non directement consommables. Cette proposition de loi étend d'un an cette mesure.

Le groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi, car l'inflation est encore présente. De nombreux Français doivent sortir la calculatrice pour faire leurs courses. Mais que ferons-nous dans un an ? Le retour en arrière sera difficile. Il faut une réflexion plus large, sans attendre décembre 2024. Plus d'un demi-siècle après la création du titre-restaurant, réinterrogeons son utilité, car la société a bien évolué.

Le titre-restaurant ne permet pas à tous ses bénéficiaires de manger au restaurant, soit faute de pause déjeuner suffisamment longue, soit faute de restaurant à proximité. Beaucoup préfèrent préparer leur repas chez eux, pour manger mieux et pour moins cher.

Cette évolution pérenne ne devrait pas se faire au détriment des restaurateurs, qui ont subi la crise sanitaire, la hausse des coûts de l'énergie et des matières premières, et qui rencontrent des difficultés de recrutement. Ils ont aussi du mal à se faire rembourser les titres-restaurant - la dématérialisation est attendue.

Nous soutenons cette proposition de loi et plus largement l'idée d'une réforme du titre-restaurant, en tenant compte des intérêts des salariés et des restaurateurs. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe UC)

Mme Nadia Sollogoub .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) À l'initiative du Sénat, la loi du 16 août 2022 a instauré un dispositif dérogatoire applicable jusqu'au 31 décembre ; il est vrai que la crise sanitaire avait fait disparaître le mot de restaurant de notre vocabulaire et que de nombreux titres-restaurant restaient à utiliser. Ce titre-restaurant, qui devrait plutôt s'appeler titre-déjeuner, est prévu pour les nombreux salariés ne disposant pas de cantine sur leur lieu de travail.

Dans le territoire rural où je suis élue, de nombreuses PME n'ont pas de cantine et le proposent, mais certaines sont éloignées de tout commerce ou restaurant. Comme un entrepreneur me le faisait remarquer, c'est le choix des salariés d'apporter leur gamelle, mais pas seulement quand il n'y a pas de commerce de bouche à proximité. Tout le monde ne peut pas traverser la rue pour acheter un plat préparé...

Il n'existe pas qu'une seule catégorie de salariés : certains sont en rase campagne (Mme Olivia Grégoire proteste), d'autres ont des intolérances alimentaires ; d'autres enfin travaillent de chez eux. Avec le télétravail, pense-t-on vraiment que le salarié va sortir de chez lui pour acheter un plat tout prêt ?

Ne pas tenir compte de l'évolution des pratiques professionnelles ni des préférences de consommation serait réducteur. Ne pas voter cette extension favoriserait la malbouffe et irait à l'encontre des campagnes officielles qui vantent le fait maison.

Les avis sont partagés. La majorité du groupe UC votera cette proposition de loi. Je précise que l'amendement de Michel Canévet a été déposé en son nom personnel, et non au nom du groupe.

Je ne sais pas comment sont représentées les petites PME dans les syndicats nationaux, mais je sais que ces salariés existent. Il aurait également été utile d'entendre les nutritionnistes.

Tout ce qui soutient le pouvoir d'achat des familles est bienvenu. Cuisiner chez soi revient moins cher, c'est évident ! Cela permet aussi d'utiliser des produits locaux, ce qui est bon pour nos agriculteurs et pour l'environnement. Nous devons nous réjouir que les salariés reprennent la maîtrise de leur alimentation. Je suis très favorable à la pérennisation de cette mesure.

L'enfer étant pavé de bonnes intentions, n'enfermons pas les salariés dans une vision univoque sans respecter leurs aspirations. Le droit du travail peut-il l'emporter sur le droit du consommateur ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE et du RDPI)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER) Dans le contexte du covid lors de la fermeture des restaurants, l'extension des titres-restaurant aux produits alimentaires non directement consommables faisait sens. Deux ans plus tard, cette dérogation au code du travail était justifiée par l'inflation.

Certes, la situation est très grave. En 2021, un Français sur sept est pauvre : c'est 550 000 personnes de plus qu'en 2017, voilà votre bilan ! Sans revalorisation des minima sociaux dans les prochains mois, 200 000 Français supplémentaires vont tomber dans la pauvreté.

L'augmentation des prix alimentaires étrangle les foyers. À défaut de lutter contre la pauvreté et les surmarges des groupes alimentaires, le Gouvernement utilise le titre-restaurant pour favoriser le pouvoir d'achat, prétendument pour une année.

Sur cette proposition de loi déposée en urgence, vous tenez le vote du Sénat pour acquis : ce week-end, vous annonciez dans la presse qu'une partie des titres-restaurant pourrait être fléchée vers de la consommation en grande surface. Nous validons ici votre passage en force.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - C'était au conditionnel.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Les organisations syndicales et patronales s'opposent à cette prorogation que vous imposez sans concertation. Ce dévoiement du titre-restaurant le fragilise en le réduisant à un titre alimentaire et ne permet pas de lutter contre la précarité alimentaire.

Il n'a pas de vocation redistributive, ni à compléter le salaire. Il vise, en l'absence de restaurant d'entreprise, à faciliter la prise d'un repas en restauration assise, entre deux séquences d'un même jour travaillé.

En le transformant en un bon alimentaire de produits de base, vous minez le fondement des exemptions sociales et fiscales qui y sont attachées et qui pourraient être remises en cause par le Conseil d'État. Il devient un dispositif de partage de la valeur, qui ne bénéficie qu'à la grande distribution, seule à la réclamer. Elle a pourtant, en un an de dérogation, déjà bénéficié d'un transfert de 600 millions d'euros, au détriment des commerces de proximité. Mais cela ne semble guère inquiéter la ministre du commerce et des PME...

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Et de la consommation.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - La Banque de France prévoit une augmentation de 69 % des défaillances de restaurants en un an. Or le titre-restaurant est un apporteur d'affaires vital pour le secteur : 15 % de leur chiffre d'affaires en dépend - contre 1 % pour la moyenne et grande distribution. C'est délétère pour l'économie de proximité.

Cette proposition de loi fait fi du dialogue social, en témoigne la lettre de cinq organisations syndicales. D'où notre amendement, soutenu par l'union des entreprises de proximité (U2P) et l'Umih, pour limiter la dérogation à juin 2024 et rétablir le paritarisme. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

M. Marc Laménie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je suis très heureux de participer à cette discussion générale. Entre 2007 et 2014, j'étais membre de la commission des affaires sociales. Je salue le travail de la rapporteure et de la commission. C'est un sujet très important.

Les tickets-restaurant, comme on le disait, datent de 1967. La ministre a évoqué la dématérialisation de ces titres, pour éviter la fraude. Personnellement, j'aime mieux le papier...

Cette proposition de loi a été déposée à l'Assemblée nationale, mais aussi au Sénat grâce à nos collègues Sophie Primas, Alexandra Borchio Fontimp et Frédérique Puissat.

Vous avez rappelé la conjoncture particulière : crise sanitaire, nouvelles habitudes de travail, inflation alimentaire. Plus de 5 millions de salariés sont concernés par les titres-restaurant.

Cathy Apourceau-Poly a évoqué la notion de pouvoir d'achat, Annie Le Houerou celle de précarité alimentaire. Ce sont des sujets importants.

La gouvernance relève de la CNTR. Il faut soutenir ce dialogue entre salariés et employeurs.

Autrefois, il y avait de nombreux restaurants dans les bourgs et villages. Beaucoup ont fermé, malheureusement. Il faut aider le commerce de proximité. Les habitudes de déjeuner ont changé avec le télétravail.

Avec le groupe Les Républicains, je voterai cette proposition de loi qui soutient le pouvoir d'achat et les commerces de proximité. (Applaudissements)

Discussion de l'article unique

Avant l'article unique

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par MM. Khalifé et Mizzon, Mme Belrhiti, MM. J.B. Blanc, Burgoa, Somon et Longeot, Mme Joseph, MM. Sautarel et Pernot, Mmes Josende, Bellurot, Berthet, Gosselin et Malet et M. Klinger.

Avant l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement engage, dans les conditions prévues à l'article L. 1 du code du travail, une concertation avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel sur l'assouplissement des règles d'utilisation du titre-restaurant, suivie le cas échéant d'une négociation.

M. Jean-Marie Mizzon.  - L'année 1967, c'est aussi celle de l'instruction obligatoire jusqu'à 16 ans. Ça fait longtemps... Il faudrait dépoussiérer le titre-restaurant, madame la ministre ? Pourquoi pas, mais ne serait-il pas temps de concerter l'ensemble des partenaires sociaux sur le sujet ? Les modes de vie et de travail ont changé, la pauvreté s'est aggravée. Il faut associer à la réflexion, dès janvier, les partenaires sociaux en vue d'obtenir un texte plus conforme à la société actuelle - peut-être n'est-ce qu'un détail, mais c'est dans les détails que se cache le diable. C'est un amendement d'appel.

Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure.  - Cet amendement contraint le Gouvernement à engager une concertation sur l'assouplissement des règles du titre-restaurant, suivie, éventuellement, d'un accord interprofessionnel. La CNTR existe déjà : il est préférable que les débats y soient conduits. Retrait ou avis défavorable.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - L'intention du Gouvernement est bien que la négociation soit engagée dès le début de l'année prochaine. Retrait, sinon avis défavorable.

L'amendement n°1 rectifié est retiré.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Je le reprends !

M. le président.  - Il devient l'amendement n°1 rectifié bis.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - La lettre du 23 novembre de Marylise Léon, Sophie Binet, Frédéric Souillot, François Hommeril et Cyril Chabanier ne vous est peut-être pas parvenue, mais elle dit que la liste des produits doit être négociée par les partenaires sociaux.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Je reçois mon courrier !

Mme Raymonde Poncet Monge.  - L'ouverture exceptionnelle a été décidée temporairement et les quatre collèges de la CNTR étaient opposés à cette prorogation - c'est pourquoi vous ne les avez pas consultés. L'éclosion de plusieurs propositions de loi comme l'intense lobbying de la grande distribution nous interrogent. Le titre-restaurant est assimilé à un dispositif en faveur du pouvoir d'achat : il faut le négocier.

Mme Annie Le Houerou.  - Nous voterons cet amendement, étant attachés au dialogue social. Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras peut-être... pas... (Mme Cathy Apourceau-Poly s'en amuse.)

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Nous le voterons aussi. Même si, dans l'urgence, nous voterons le texte, il est grand temps de se remettre à la table des négociations.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Pendant la suspension des travaux de fin d'année, certaines pourraient prendre connaissance des débats, en commission et en séance, à l'Assemblée nationale : j'ai rappelé cette obligation de négociation. Je recevrai les personnes que vous avez mentionnées début janvier.

M. Laurent Burgoa.  - Je ne voterai pas cet amendement, même si je l'ai cosigné. Évitons une CMP, soyons responsables.

M. Philippe Mouiller, président de la commission.  - Très bien !

L'amendement n°1 rectifié bis n'est pas adopté.

Article unique

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié, présenté par MM. Canévet et Longeot, Mme N. Goulet, MM. Kern et Cambier, Mme Jacquemet et MM. Delcros et Duffourg.

Remplacer la date :

31 décembre 2024

par la date :

30 juin 2024

M. Michel Canévet.  - Nous examinons les titres-restaurant. S'il a été opportun d'étendre son usage à l'achat de denrées alimentaires, il faut revenir à l'esprit de ce titre, c'est-à-dire la restauration, comme le demande cette profession. Nous limitons donc la prorogation à six mois.

M. le président.  - Amendement identique n°3 rectifié, présenté par Mme Poncet Monge, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Cet amendement a été rejeté en commission en raison de la nécessité d'obtenir un texte conforme. La démocratie parlementaire n'a pas à subir de telles injonctions à cause de la précipitation du Gouvernement, qui décide de manière unilatérale. Votre objectif est de favoriser l'utilisation en supermarché, comme vous l'avez dit dans la presse...

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - N'importe quoi !

Mme Raymonde Poncet Monge.  - La CNTR considère que cela a rompu la confiance d'une année de travaux. En accord avec les partenaires sociaux, nous limitons cette prorogation à six mois, pour laisser au Gouvernement le temps de s'attaquer enfin au pouvoir d'achat et aux partenaires sociaux de négocier.

Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure.  - On peut entendre les réserves exprimées par les auteurs des amendements, mais je vous ai répondu sur le risque de disparition du régime fiscal et social.

La prolongation est limitée à un an, de manière à ce que la concertation adapte le titre-restaurant aux nouvelles réalités du monde du travail. Limiter à six mois pourrait nous obliger à légiférer dans l'urgence, à nouveau. Je suis étonnée par une attitude qui conduirait à priver 5,2 millions de Français d'un soutien. Retrait, sinon avis défavorable.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Même avis, pour les mêmes raisons.

M. Grégory Blanc.  - J'ai du mal à comprendre pourquoi cet amendement pose problème. Le titre-restaurant n'est pas une mesure de pouvoir d'achat : sinon, il concernerait tous les Français. C'est une mesure de politique salariale, qui se négocie au niveau soit de la branche, soit de l'entreprise.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Jusqu'ici, je suis d'accord...

M. Grégory Blanc.  - Quand on a été salarié ou employeur, ou les deux - cela peut arriver -, on sait qu'il y a une occasion chaque année de négociation salariale. Si ce n'est pas une politique salariale, on arrête à six mois. Ce qui fait le succès d'une négociation, c'est son intensité, non sa durée. (Mme Olivia Grégoire ironise.)

M. Cédric Vial.  - Pourrions-nous avoir une explication sur la présence d'Étienne Blanc parmi les cosignataires de cet amendement ?

M. le président.  - Cette erreur a été corrigée en ligne.

Les amendements identiques nos2 rectifié et 3 rectifié ne sont pas adoptés.

À la demande du GEST, l'article unique est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°107 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 324
Pour l'adoption 322
Contre     2

L'article unique constituant la proposition de loi est adopté.

M. Philippe Mouiller, président de la commission.  - Je félicite Marie-Do Aeschlimann pour son premier texte comme rapporteure (applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Martin Lévrier applaudit également), ainsi que Sophie Primas, Alexandra Borchio Fontimp et Frédérique Puissat pour le succès de cette proposition de loi jumelle de la leur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La séance est levée à 23 h 50.

Prochaine séance demain, mardi 19 décembre 2023, à 9 h 30.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mardi 19 décembre 2023

Séance publique

À 9 h 30, 14 h 30 et le soir

Présidence : M. Alain Marc, vice-président, M. Mathieu Darnaud, vice-président, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente

Secrétaires : M. Jean-Michel Arnaud, Mme Catherine Conconne

1. Questions orales

2Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration

3Sous réserve de sa transmission, nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2024

4Explications de vote puis vote sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à faciliter la mobilité internationale des alternants, pour un « Erasmus de l'apprentissage » (texte de la commission, n°197, 2023-2024)

5. Nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants (texte de la commission, n°199, 2023-2024)

6. Projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires (Procédure accélérée) (texte de la commission, n°201, 2023-2024)