Utilisation des titres-restaurant (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à prolonger en 2024 l'utilisation des titres-restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables.
Discussion générale
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme . - (M. Martin Lévrier applaudit.) Le titre-restaurant fait l'unanimité : salariés, employeurs, restaurateurs et commerçants le plébiscitent. Si nous devons le moderniser - c'est la moindre des choses pour un dispositif créé en 1967 -, il a su s'adapter aux crises récentes. Pendant le confinement, son plafond a été doublé de 19 à 38 euros, avant d'être ajusté à 25 euros de façon pérenne.
Son usage aussi a évolué. À l'été 2022, le Sénat a voté, sur l'initiative de Frédérique Puissat, une mesure étendant le périmètre des produits susceptibles d'être achetés. Ce coup de pouce a été utile pour de nombreux salariés, notamment les plus précaires, et pour ceux qui préfèrent cuisiner des plats chez eux pour les apporter à leur travail.
Prolonger cette mesure au-delà du 31 décembre prochain relève du bon sens au vu du niveau élevé des prix alimentaires. Pourquoi ne pas l'inscrire dans la loi de manière pérenne ? Car les corps intermédiaires s'y opposent, notamment les représentants des partenaires sociaux siégeant à la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR) : Medef, CPME, U2P, CFDT, CGT, FO, CFE-CGC. En outre, cette évolution nécessiterait une concertation approfondie. Elle sera débattue dans le cadre de la réforme structurelle du titre-restaurant prévue pour 2024, qui donnera lieu à un projet de loi.
La dématérialisation abaissera les frais de gestion pour les restaurateurs, ouvrira la possibilité à de nouveaux acteurs d'entrer sur le marché et sécurisera le titre en facilitant la lutte contre la fraude. Les usages solidaire et social du titre feront aussi l'objet d'une réflexion.
En attendant cette réforme structurelle, la présente proposition de loi répond à une attente forte dont, je n'en doute pas, vous avez saisi la nécessité. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE)
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure de la commission des affaires sociales . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Sénat a toujours gardé un oeil vigilant sur le pouvoir d'achat des Français. Malgré le ralentissement de l'inflation, les prix alimentaires sont toujours en hausse. Dans ce contexte, il nous est proposé de prolonger les dispositions temporaires relatives au titre-restaurant instaurées en 2022.
Créé en 1967, le titre-restaurant est un titre spécial de paiement financé par l'employeur à hauteur de 50 à 60 % de sa valeur faciale, remis au salarié sous format papier ou dématérialisé. Sa vocation de soutien aux repas des travailleurs justifie les avantages sociaux et fiscaux associés, notamment l'exclusion de l'assiette des cotisations sociales. Le coût annuel du dispositif s'élève à 1,8 milliard d'euros, dont 1,4 milliard pour la sécurité sociale. Plus de 180 000 employeurs y ont recours, pour 5,2 millions de salariés.
C'est une alternative au restaurant d'entreprise ou à l'indemnité panier. Il n'est pas obligatoire, mais c'est un levier d'attractivité et de fidélisation des salariés. Il est accepté par les restaurateurs, détaillants de fruits et légumes, commerces de bouche et magasins de grande distribution : 234 000 commerces au total, dont deux tiers de restaurants.
Sans avoir pour vocation première de soutenir le pouvoir d'achat des salariés, il a été utilisé à cette fin en 2022. Le plafond d'exonération de la participation de l'employeur a été relevé à 5,92, puis 6,50 et 6,91 euros.
Lors de la discussion au Sénat de la loi du 16 août 2022, Frédérique Puissat, rapporteure de la commission des affaires sociales, a proposé d'étendre le titre-restaurant à une plus large gamme de produits alimentaires : farine, pâtes, riz, viande non préparée... Depuis la mise en oeuvre de cette dérogation, la part d'utilisation des titres-restaurant dans les grandes et moyennes surfaces est passée de 22,4 à 28,9 %. La part des restaurants a baissé de 46,5 à 44,3 %, celle des commerces de bouche de 30,9 à 26,2 %.
La corrélation entre cette évolution et le régime dérogatoire n'est toutefois pas évidente : il faut aussi tenir compte du développement du télétravail et de la préférence pour des plats préparés à domicile. La tendance remonterait à la crise sanitaire.
Selon la Fédération du commerce et de la distribution, la composition du panier d'achat n'a pas été bouleversée : 70 à 75 % des produits achetés sont directement consommables.
Quinze mois après, l'inflation est toujours d'actualité. Selon l'Insee, les prix alimentaires ont augmenté de 7,6 % entre novembre 2022 et novembre 2023. Le Gouvernement, qui n'avait pas anticipé, a été interpellé par des associations familiales et des élus ; Bruno Le Maire s'est prononcé pour la prolongation du dispositif. Nous voici contraints de légiférer pour une entrée en application dans deux semaines...
Par ailleurs, je rappelle qu'une proposition de loi a été déposée, deux jours avant celle-ci, par Sophie Primas, Frédérique Puissat et Alexandra Borchio Fontimp, avec le même objet.
M. Laurent Burgoa. - Exact !
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - Restaurateurs et partenaires sociaux craignent un détournement du titre-restaurant et expriment des réserves. Le Sénat a entendu leur message et sera vigilant.
Le titre-restaurant a déjà connu des assouplissements : ainsi, la loi du 3 décembre 2008 a permis le don de titres-restaurant non utilisés à des associations d'aide alimentaire.
Une évolution pérenne du titre doit cependant être envisagée avec prudence, pour ne pas l'éloigner de sa vocation initiale, qui est de financer le déjeuner du salarié. La réflexion doit s'inscrire dans le cadre plus large de sa modernisation, en concertation avec la CNTR.
L'Autorité de la concurrence a préconisé une régulation renforcée du marché des titres-restaurant et le rééquilibrage du rapport de force entre sociétés émettrices et restaurateurs. Le risque de déstabilisation du secteur de la restauration est réel, après une succession de crises. Une solution pérenne doit être trouvée, la politique du chèque étant un pansement sur une jambe de bois.
Dans l'immédiat, face à l'urgence, la commission vous propose d'adopter ce texte sans modification. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, du RDPI et du RDSE)
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Depuis la loi du 16 août 2022, les salariés peuvent utiliser leurs titres-restaurant pour l'achat de produits alimentaires non directement consommables dans les grandes et moyennes surfaces. Le Gouvernement, qui n'a pas anticipé la fin de ce dispositif au 31 décembre prochain (Mme Olivia Grégoire lève les yeux au ciel), a été contraint de faire déposer cette proposition de loi par sa majorité à l'Assemblée nationale.
Les titres-restaurant sont un acquis social important. Mais dans un contexte de forte inflation alimentaire, quand 16 % des Français déclarent avoir faim contre 9 % il y a quelques années, la question principale n'est pas tant la pérennisation de cette exception que l'indexation des salaires sur l'inflation.
Dans les faits, les Français utilisent les bons de réduction et les titres-restaurant pour remplir leurs caddies. On ne saurait le leur reprocher, alors que le Gouvernement refuse toute revalorisation des salaires.
Il faut ouvrir une véritable réflexion sur l'évolution durable des titres-restaurant. Ne prenons pas le risque de dénaturer leur usage, voire de remettre en cause leur raison d'être.
Les titres-restaurant sont, de facto, une subvention aux entreprises, puisqu'un tiers de la charge patronale est pris en charge par l'État. Nous ne pouvons continuer d'enrichir avec de l'argent public des plateformes de livraison ubérisées qui ne respectent pas les droits élémentaires des salariés !
Alors que le décrochage des salaires par rapport à l'inflation a plongé de nombreux ménages dans la précarité alimentaire, une réforme s'impose. Face à l'ampleur de la crise sociale, l'extension des titres-restaurant n'est évidemment pas une réponse complète et satisfaisante, mais elle est nécessaire pour de nombreuses familles. C'est pourquoi nous voterons ce texte. (Applaudissements)
Mme Véronique Guillotin . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Fin novembre, le ministre de l'économie a reconnu que l'inflation alimentaire pénalise encore beaucoup trop de Français. Cette réalité économique a de vives répercussions sur la vie de nos concitoyens les plus précaires.
Selon l'Insee, la diminution des dépenses alimentaires est sans précédent : face à la flambée des prix, nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à surveiller leur ticket de caisse et à adapter leurs modes de consommation. Les banques alimentaires voient les demandes d'aide augmenter fortement.
Depuis le 1er octobre 2022, à la suite d'une mesure proposée par Frédérique Puissat, les titres-restaurant peuvent être utilisés pour acheter tout produit alimentaire, directement consommable ou non. Cette dérogation devait prendre fin le 31 décembre. La présente proposition de loi prolonge le dispositif d'un an, et nous y sommes favorables.
Nous entendons néanmoins les inquiétudes des restaurateurs. Sur les 8 milliards d'euros dépensés en titres-restaurant au cours de la dernière année, 500 millions l'ont été dans la grande distribution. D'où la crainte d'un « titre-caddie », alors que le titre-restaurant avait été créé pour permettre aux salariés de bien se nourrir sur leur lieu de travail.
Il faut tout remettre à plat et penser le titre-restaurant de demain, en prenant en compte les nouvelles aspirations des salariés et le télétravail. La réforme structurelle que vous préparez, madame la ministre, devra aussi prendre en considération les besoins des salariés en milieu rural, ainsi que la dimension santé et prévention, à laquelle je sais le Gouvernement très attaché.
Dans l'attente de cette réforme, le groupe RDSE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Martin Lévrier . - Depuis quelques années, les habitudes des Français au travail ont changé. Les outils liés à la vie au travail doivent suivre.
Depuis 1967, le titre-restaurant est cofinancé par l'employeur et le salarié. Il est accepté dans les restaurants et les grandes surfaces pour l'achat de plats préparés. Il a évolué pour répondre à la hausse du coût de la vie, la dernière évolution datant de 2022 pour élargir le panier alimentaire, sur l'initiative de Frédérique Puissat.
Cette dérogation permet l'achat d'aliments non directement consommables, comme les pâtes et le riz, afin de tenir compte des conséquences de l'inflation sur le pouvoir d'achat. Cette mesure a trouvé son public, les Français préparant de plus en plus leur propre gamelle pour limiter le prix des repas ou déjeunant chez eux du fait du télétravail.
Nous avons tous été pris de court en découvrant que ce dispositif devrait prendre fin le 31 décembre. Il fallait donc agir dans l'urgence pour le prolonger.
Pourquoi d'un an seulement ? Parce que le temps presse, et que nous avons besoin d'un vote conforme rapidement. De plus, les titres-restaurant sont gérés par les partenaires sociaux : on ne peut faire l'économie des discussions nécessaires à une évolution pérenne.
En attendant la réforme à laquelle la ministre s'est engagée pour l'année prochaine, le groupe RDPI votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
Mme Annie Le Houerou . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.) Cette proposition de loi prolonge jusqu'au 31 décembre 2024 l'utilisation des titres-restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables.
Dans la loi du 17 août 2022, un amendement de Mme Frédérique Puissat a introduit cette mesure dérogatoire d'urgence sociale, que nous avons soutenue. Face à la vive émotion suscitée par la fin imminente de cette mesure, nous nous retrouvons aujourd'hui à en débattre dans l'urgence. Nous aurions espéré une meilleure anticipation du Gouvernement, afin d'adapter ce dispositif sur le long terme et de clarifier sa raison d'être aujourd'hui dévoyée.
Le titre-restaurant est né en 1967 d'un accord entre les représentants des employeurs, ceux des salariés et l'État. Ce n'était en aucun cas une contribution au budget alimentation de la famille, mais une mesure de soutien à une bonne alimentation au travail.
Jusqu'aux années 1980, le titre-restaurant était presque exclusivement utilisé dans les restaurants, tenus de proposer un menu dit ouvrier correspondant à son prix. Le système a été élargi aux grandes surfaces, pour les produits traiteur, puis cette tolérance, non-négociée avec les partenaires sociaux, s'est élargie à tout commerce proposant des préparations alimentaires immédiatement consommables. La CNTR a dû adopter une charte de régulation, certaines grandes surfaces autorisant l'utilisation de carnets entiers pour payer les courses...
Dans les années 2000, l'utilisation des titres-restaurant a été élargie aux fruits et légumes, aux produits laitiers et aux distributeurs automatiques.
Depuis quelques années, le télétravail détache le salarié de son lieu de travail et la crise du pouvoir d'achat contraint de nombreux salariés à apporter leur repas au travail. Il faut réfléchir à une modernisation du titre-restaurant dans ce contexte, en concertation avec la CNTR.
Le titre-restaurant ne doit pas être confondu avec une aide alimentaire de droit commun, devenue indispensable dans un contexte de précarité croissante. L'inflation alimentaire reste très élevée : entre octobre 2022 et octobre 2023, les prix alimentaires ont augmenté de 7,7 %. Depuis la crise du covid, le nombre de nouveaux bénéficiaires de l'aide alimentaire a augmenté d'un tiers. La précarité alimentaire ne touche plus seulement les personnes sans emploi, mais aussi, désormais, des actifs.
Dans ce contexte, on comprend que les salariés souhaitent utiliser leurs titres-restaurant pour couvrir les frais alimentaires de la famille.
Reste que seuls 5,4 millions de salariés sur 27 millions d'actifs en bénéficient ; pas plus d'une entreprise sur cinq participe au dispositif. C'est une subvention de l'employeur couvrant 50 à 60 % du coût, en échange d'avantages fiscaux et sociaux. Il faut donc relativiser l'aide des employeurs.
Nous demandons, comme les représentants des salariés, un véritable coup de pouce : une indexation des salaires sur l'inflation et la revalorisation du Smic et des minima sociaux.
Le Gouvernement veut donner l'illusion d'oeuvrer pour le pouvoir d'achat, mais pour cela il faudrait augmenter les salaires et relancer la discussion avec les partenaires sociaux.
Thierry Marx, président de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih), alerte sur la situation des restaurateurs. Nous avons vu la fermeture de nombreux restaurants et commerces après la crise sanitaire. L'essor du télétravail a bousculé l'utilisation des titres-restaurant. Il faut un dispositif durable pour soutenir l'alimentation des salariés lorsqu'ils travaillent et cuisinent chez eux.
Nous souhaitons que la négociation avec les partenaires sociaux aboutisse à un accord à l'unanimité.
Nous voterons les amendements identiques du groupe UC et du GEST, pour un accord dans les six prochains mois. À défaut d'adoption de ces amendements, le groupe SER, ne souhaitant pas pénaliser les salariés, votera cette proposition de loi, qui ne répondra pas à leurs inquiétudes pour le pouvoir d'achat. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K ; Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)
Mme Alexandra Borchio Fontimp . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Inflation : ce mot préoccupe tous les Français qui n'ont d'autre choix que de travailler pour survivre. En cumul, dans l'alimentaire, elle a été de 17,9 % entre janvier 2022 et juillet 2023, et 97 % des Français ont vu leurs dépenses d'alimentation augmenter. Plusieurs facteurs sont avancés, climatiques, géopolitiques et conjoncturels.
Le ministre évoque la fin de l'inflation, mais la réalité est tout autre : si l'inflation plie, elle ne rompt pas. Et baisse de l'inflation ne veut pas dire baisse des prix. La facture est salée pour le panier des fêtes. Souvent, les quantités baissent dans les boîtes, donnant l'illusion d'une stabilité des prix. Ce tour de passe-passe est sordide. Les Français se restreignent, la qualité en pâtit, ce qui induit de la frustration.
Vous aviez incité, madame la ministre, à privilégier le fait maison et proposé d'apprendre aux écoliers à cuisiner. Il est vrai que ne pas sombrer dans la malbouffe est un enjeu de santé publique.
Cette proposition de loi permettra de ne pas consommer uniquement des plats préparés. Début novembre, j'avais alerté le Gouvernement. Quelques jours plus tard, nous avons déposé une proposition de loi au Sénat, car protéger le pouvoir d'achat n'est pas une option, c'est une obligation. Nous voulons apporter une solution aux fins de mois difficiles, que connaissent 75 % des Français.
Nous devons réfléchir à l'utilisation des titres-restaurant sur le long terme, même s'il faut répondre à une urgence aujourd'hui. J'espère que le Gouvernement saura protéger le pouvoir d'achat des Français et les professionnels de la restauration, fragilisés par le covid.
Cette proposition de loi va dans le bon sens, car elle reprend en tout point celle du Sénat - le hasard fait bien les choses. Le groupe Les Républicains la votera donc. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Corinne Bourcier . - (M. Grégory Blanc applaudit.) Le dispositif des titres-restaurant bénéficie à 5,9 millions de salariés, soit 19 % d'entre eux. Il est cofinancé entre l'employeur et le salarié, en l'absence de cantine. La participation de l'employeur est exonérée de cotisations sociales.
Le titre-restaurant n'a pas été créé initialement comme un dispositif de soutien au pouvoir d'achat. Mais en 2022, son plafond d'utilisation journalier a été rehaussé, et le plafond d'exonération de la participation de l'employeur aussi. En août 2022, le titre-restaurant a été élargi à l'achat de produits alimentaires non directement consommables. Cette proposition de loi étend d'un an cette mesure.
Le groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi, car l'inflation est encore présente. De nombreux Français doivent sortir la calculatrice pour faire leurs courses. Mais que ferons-nous dans un an ? Le retour en arrière sera difficile. Il faut une réflexion plus large, sans attendre décembre 2024. Plus d'un demi-siècle après la création du titre-restaurant, réinterrogeons son utilité, car la société a bien évolué.
Le titre-restaurant ne permet pas à tous ses bénéficiaires de manger au restaurant, soit faute de pause déjeuner suffisamment longue, soit faute de restaurant à proximité. Beaucoup préfèrent préparer leur repas chez eux, pour manger mieux et pour moins cher.
Cette évolution pérenne ne devrait pas se faire au détriment des restaurateurs, qui ont subi la crise sanitaire, la hausse des coûts de l'énergie et des matières premières, et qui rencontrent des difficultés de recrutement. Ils ont aussi du mal à se faire rembourser les titres-restaurant - la dématérialisation est attendue.
Nous soutenons cette proposition de loi et plus largement l'idée d'une réforme du titre-restaurant, en tenant compte des intérêts des salariés et des restaurateurs. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe UC)
Mme Nadia Sollogoub . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) À l'initiative du Sénat, la loi du 16 août 2022 a instauré un dispositif dérogatoire applicable jusqu'au 31 décembre ; il est vrai que la crise sanitaire avait fait disparaître le mot de restaurant de notre vocabulaire et que de nombreux titres-restaurant restaient à utiliser. Ce titre-restaurant, qui devrait plutôt s'appeler titre-déjeuner, est prévu pour les nombreux salariés ne disposant pas de cantine sur leur lieu de travail.
Dans le territoire rural où je suis élue, de nombreuses PME n'ont pas de cantine et le proposent, mais certaines sont éloignées de tout commerce ou restaurant. Comme un entrepreneur me le faisait remarquer, c'est le choix des salariés d'apporter leur gamelle, mais pas seulement quand il n'y a pas de commerce de bouche à proximité. Tout le monde ne peut pas traverser la rue pour acheter un plat préparé...
Il n'existe pas qu'une seule catégorie de salariés : certains sont en rase campagne (Mme Olivia Grégoire proteste), d'autres ont des intolérances alimentaires ; d'autres enfin travaillent de chez eux. Avec le télétravail, pense-t-on vraiment que le salarié va sortir de chez lui pour acheter un plat tout prêt ?
Ne pas tenir compte de l'évolution des pratiques professionnelles ni des préférences de consommation serait réducteur. Ne pas voter cette extension favoriserait la malbouffe et irait à l'encontre des campagnes officielles qui vantent le fait maison.
Les avis sont partagés. La majorité du groupe UC votera cette proposition de loi. Je précise que l'amendement de Michel Canévet a été déposé en son nom personnel, et non au nom du groupe.
Je ne sais pas comment sont représentées les petites PME dans les syndicats nationaux, mais je sais que ces salariés existent. Il aurait également été utile d'entendre les nutritionnistes.
Tout ce qui soutient le pouvoir d'achat des familles est bienvenu. Cuisiner chez soi revient moins cher, c'est évident ! Cela permet aussi d'utiliser des produits locaux, ce qui est bon pour nos agriculteurs et pour l'environnement. Nous devons nous réjouir que les salariés reprennent la maîtrise de leur alimentation. Je suis très favorable à la pérennisation de cette mesure.
L'enfer étant pavé de bonnes intentions, n'enfermons pas les salariés dans une vision univoque sans respecter leurs aspirations. Le droit du travail peut-il l'emporter sur le droit du consommateur ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE et du RDPI)
Mme Raymonde Poncet Monge . - (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER) Dans le contexte du covid lors de la fermeture des restaurants, l'extension des titres-restaurant aux produits alimentaires non directement consommables faisait sens. Deux ans plus tard, cette dérogation au code du travail était justifiée par l'inflation.
Certes, la situation est très grave. En 2021, un Français sur sept est pauvre : c'est 550 000 personnes de plus qu'en 2017, voilà votre bilan ! Sans revalorisation des minima sociaux dans les prochains mois, 200 000 Français supplémentaires vont tomber dans la pauvreté.
L'augmentation des prix alimentaires étrangle les foyers. À défaut de lutter contre la pauvreté et les surmarges des groupes alimentaires, le Gouvernement utilise le titre-restaurant pour favoriser le pouvoir d'achat, prétendument pour une année.
Sur cette proposition de loi déposée en urgence, vous tenez le vote du Sénat pour acquis : ce week-end, vous annonciez dans la presse qu'une partie des titres-restaurant pourrait être fléchée vers de la consommation en grande surface. Nous validons ici votre passage en force.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - C'était au conditionnel.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Les organisations syndicales et patronales s'opposent à cette prorogation que vous imposez sans concertation. Ce dévoiement du titre-restaurant le fragilise en le réduisant à un titre alimentaire et ne permet pas de lutter contre la précarité alimentaire.
Il n'a pas de vocation redistributive, ni à compléter le salaire. Il vise, en l'absence de restaurant d'entreprise, à faciliter la prise d'un repas en restauration assise, entre deux séquences d'un même jour travaillé.
En le transformant en un bon alimentaire de produits de base, vous minez le fondement des exemptions sociales et fiscales qui y sont attachées et qui pourraient être remises en cause par le Conseil d'État. Il devient un dispositif de partage de la valeur, qui ne bénéficie qu'à la grande distribution, seule à la réclamer. Elle a pourtant, en un an de dérogation, déjà bénéficié d'un transfert de 600 millions d'euros, au détriment des commerces de proximité. Mais cela ne semble guère inquiéter la ministre du commerce et des PME...
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Et de la consommation.
Mme Raymonde Poncet Monge. - La Banque de France prévoit une augmentation de 69 % des défaillances de restaurants en un an. Or le titre-restaurant est un apporteur d'affaires vital pour le secteur : 15 % de leur chiffre d'affaires en dépend - contre 1 % pour la moyenne et grande distribution. C'est délétère pour l'économie de proximité.
Cette proposition de loi fait fi du dialogue social, en témoigne la lettre de cinq organisations syndicales. D'où notre amendement, soutenu par l'union des entreprises de proximité (U2P) et l'Umih, pour limiter la dérogation à juin 2024 et rétablir le paritarisme. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
M. Marc Laménie . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je suis très heureux de participer à cette discussion générale. Entre 2007 et 2014, j'étais membre de la commission des affaires sociales. Je salue le travail de la rapporteure et de la commission. C'est un sujet très important.
Les tickets-restaurant, comme on le disait, datent de 1967. La ministre a évoqué la dématérialisation de ces titres, pour éviter la fraude. Personnellement, j'aime mieux le papier...
Cette proposition de loi a été déposée à l'Assemblée nationale, mais aussi au Sénat grâce à nos collègues Sophie Primas, Alexandra Borchio Fontimp et Frédérique Puissat.
Vous avez rappelé la conjoncture particulière : crise sanitaire, nouvelles habitudes de travail, inflation alimentaire. Plus de 5 millions de salariés sont concernés par les titres-restaurant.
Cathy Apourceau-Poly a évoqué la notion de pouvoir d'achat, Annie Le Houerou celle de précarité alimentaire. Ce sont des sujets importants.
La gouvernance relève de la CNTR. Il faut soutenir ce dialogue entre salariés et employeurs.
Autrefois, il y avait de nombreux restaurants dans les bourgs et villages. Beaucoup ont fermé, malheureusement. Il faut aider le commerce de proximité. Les habitudes de déjeuner ont changé avec le télétravail.
Avec le groupe Les Républicains, je voterai cette proposition de loi qui soutient le pouvoir d'achat et les commerces de proximité. (Applaudissements)
Discussion de l'article unique
Avant l'article unique
M. le président. - Amendement n°1 rectifié, présenté par MM. Khalifé et Mizzon, Mme Belrhiti, MM. J.B. Blanc, Burgoa, Somon et Longeot, Mme Joseph, MM. Sautarel et Pernot, Mmes Josende, Bellurot, Berthet, Gosselin et Malet et M. Klinger.
Avant l'article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement engage, dans les conditions prévues à l'article L. 1 du code du travail, une concertation avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel sur l'assouplissement des règles d'utilisation du titre-restaurant, suivie le cas échéant d'une négociation.
M. Jean-Marie Mizzon. - L'année 1967, c'est aussi celle de l'instruction obligatoire jusqu'à 16 ans. Ça fait longtemps... Il faudrait dépoussiérer le titre-restaurant, madame la ministre ? Pourquoi pas, mais ne serait-il pas temps de concerter l'ensemble des partenaires sociaux sur le sujet ? Les modes de vie et de travail ont changé, la pauvreté s'est aggravée. Il faut associer à la réflexion, dès janvier, les partenaires sociaux en vue d'obtenir un texte plus conforme à la société actuelle - peut-être n'est-ce qu'un détail, mais c'est dans les détails que se cache le diable. C'est un amendement d'appel.
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - Cet amendement contraint le Gouvernement à engager une concertation sur l'assouplissement des règles du titre-restaurant, suivie, éventuellement, d'un accord interprofessionnel. La CNTR existe déjà : il est préférable que les débats y soient conduits. Retrait ou avis défavorable.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - L'intention du Gouvernement est bien que la négociation soit engagée dès le début de l'année prochaine. Retrait, sinon avis défavorable.
L'amendement n°1 rectifié est retiré.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je le reprends !
M. le président. - Il devient l'amendement n°1 rectifié bis.
Mme Raymonde Poncet Monge. - La lettre du 23 novembre de Marylise Léon, Sophie Binet, Frédéric Souillot, François Hommeril et Cyril Chabanier ne vous est peut-être pas parvenue, mais elle dit que la liste des produits doit être négociée par les partenaires sociaux.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Je reçois mon courrier !
Mme Raymonde Poncet Monge. - L'ouverture exceptionnelle a été décidée temporairement et les quatre collèges de la CNTR étaient opposés à cette prorogation - c'est pourquoi vous ne les avez pas consultés. L'éclosion de plusieurs propositions de loi comme l'intense lobbying de la grande distribution nous interrogent. Le titre-restaurant est assimilé à un dispositif en faveur du pouvoir d'achat : il faut le négocier.
Mme Annie Le Houerou. - Nous voterons cet amendement, étant attachés au dialogue social. Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras peut-être... pas... (Mme Cathy Apourceau-Poly s'en amuse.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Nous le voterons aussi. Même si, dans l'urgence, nous voterons le texte, il est grand temps de se remettre à la table des négociations.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Pendant la suspension des travaux de fin d'année, certaines pourraient prendre connaissance des débats, en commission et en séance, à l'Assemblée nationale : j'ai rappelé cette obligation de négociation. Je recevrai les personnes que vous avez mentionnées début janvier.
M. Laurent Burgoa. - Je ne voterai pas cet amendement, même si je l'ai cosigné. Évitons une CMP, soyons responsables.
M. Philippe Mouiller, président de la commission. - Très bien !
L'amendement n°1 rectifié bis n'est pas adopté.
Article unique
M. le président. - Amendement n°2 rectifié, présenté par MM. Canévet et Longeot, Mme N. Goulet, MM. Kern et Cambier, Mme Jacquemet et MM. Delcros et Duffourg.
Remplacer la date :
31 décembre 2024
par la date :
30 juin 2024
M. Michel Canévet. - Nous examinons les titres-restaurant. S'il a été opportun d'étendre son usage à l'achat de denrées alimentaires, il faut revenir à l'esprit de ce titre, c'est-à-dire la restauration, comme le demande cette profession. Nous limitons donc la prorogation à six mois.
M. le président. - Amendement identique n°3 rectifié, présenté par Mme Poncet Monge, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Cet amendement a été rejeté en commission en raison de la nécessité d'obtenir un texte conforme. La démocratie parlementaire n'a pas à subir de telles injonctions à cause de la précipitation du Gouvernement, qui décide de manière unilatérale. Votre objectif est de favoriser l'utilisation en supermarché, comme vous l'avez dit dans la presse...
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - N'importe quoi !
Mme Raymonde Poncet Monge. - La CNTR considère que cela a rompu la confiance d'une année de travaux. En accord avec les partenaires sociaux, nous limitons cette prorogation à six mois, pour laisser au Gouvernement le temps de s'attaquer enfin au pouvoir d'achat et aux partenaires sociaux de négocier.
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - On peut entendre les réserves exprimées par les auteurs des amendements, mais je vous ai répondu sur le risque de disparition du régime fiscal et social.
La prolongation est limitée à un an, de manière à ce que la concertation adapte le titre-restaurant aux nouvelles réalités du monde du travail. Limiter à six mois pourrait nous obliger à légiférer dans l'urgence, à nouveau. Je suis étonnée par une attitude qui conduirait à priver 5,2 millions de Français d'un soutien. Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Même avis, pour les mêmes raisons.
M. Grégory Blanc. - J'ai du mal à comprendre pourquoi cet amendement pose problème. Le titre-restaurant n'est pas une mesure de pouvoir d'achat : sinon, il concernerait tous les Français. C'est une mesure de politique salariale, qui se négocie au niveau soit de la branche, soit de l'entreprise.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Jusqu'ici, je suis d'accord...
M. Grégory Blanc. - Quand on a été salarié ou employeur, ou les deux - cela peut arriver -, on sait qu'il y a une occasion chaque année de négociation salariale. Si ce n'est pas une politique salariale, on arrête à six mois. Ce qui fait le succès d'une négociation, c'est son intensité, non sa durée. (Mme Olivia Grégoire ironise.)
M. Cédric Vial. - Pourrions-nous avoir une explication sur la présence d'Étienne Blanc parmi les cosignataires de cet amendement ?
M. le président. - Cette erreur a été corrigée en ligne.
Les amendements identiques nos2 rectifié et 3 rectifié ne sont pas adoptés.
À la demande du GEST, l'article unique est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°107 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Pour l'adoption | 322 |
Contre | 2 |
L'article unique constituant la proposition de loi est adopté.
M. Philippe Mouiller, président de la commission. - Je félicite Marie-Do Aeschlimann pour son premier texte comme rapporteure (applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Martin Lévrier applaudit également), ainsi que Sophie Primas, Alexandra Borchio Fontimp et Frédérique Puissat pour le succès de cette proposition de loi jumelle de la leur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
La séance est levée à 23 h 50.
Prochaine séance demain, mardi 19 décembre 2023, à 9 h 30.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mardi 19 décembre 2023
Séance publique
À 9 h 30, 14 h 30 et le soir
Présidence : M. Alain Marc, vice-président, M. Mathieu Darnaud, vice-président, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente
Secrétaires : M. Jean-Michel Arnaud, Mme Catherine Conconne
1. Questions orales
2. Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration
3. Sous réserve de sa transmission, nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2024
4. Explications de vote puis vote sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à faciliter la mobilité internationale des alternants, pour un « Erasmus de l'apprentissage » (texte de la commission, n°197, 2023-2024)
5. Nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants (texte de la commission, n°199, 2023-2024)
6. Projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires (Procédure accélérée) (texte de la commission, n°201, 2023-2024)