Restitution des restes humains appartenant aux collections publiques (Conclusions de la CMP)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure pour le Sénat de la CMP . - J'interviens avec une profonde émotion alors que le Sénat s'apprête à adopter définitivement la proposition de loi que j'ai déposée en avril dernier avec Max Brisson, Pierre Ouzoulias et d'autres collègues de la commission de la culture, avec le soutien du président Lafon.
Je me félicite que cette discussion s'achève dans la chambre où la réflexion a débuté, il y a vingt ans, avec la proposition de loi déposée par notre ancien collègue Nicolas About visant à la restitution de la dépouille mortelle de Saartje Baartman à l'Afrique du Sud.
La restitution de restes humains est une question essentielle, qui touche au respect de la dignité de la personne humaine et à l'égale dignité des cultures, ainsi qu'à la justice et à la mémoire. Nonobstant les réserves de certains groupes de l'Assemblée nationale, que je peine à comprendre, notre pays s'honore à faciliter la restitution de certains restes humains présents dans ses collections publiques.
Gardons à l'esprit les demandes sincères des communautés étrangères pour honorer la mémoire de leurs ancêtres selon leurs rites et traditions. Nous ne saurions les rejeter systématiquement ou leur imposer des délais exorbitants, alors que l'expérience des têtes maories a démontré que les restitutions sont l'occasion de bâtir des relations solides et apaisées et de développer de nouvelles coopérations.
Il est indispensable que le législateur résolve le conflit de normes entre l'inaliénabilité des collections et l'interdiction de patrimonialisation du corps humain résultant des lois bioéthiques.
Ce texte ne répond pas à une impulsion du moment. Il est le fruit d'une mûre réflexion à laquelle ont contribué feu la commission scientifique nationale des collections et notre commission, depuis 2019.
Grâce à ce long travail de gestation, nous sommes parvenus à un texte équilibré entre restitution de certains restes humains identifiés et préservation du principe d'inaliénabilité.
La CMP est revenue sur la notion trop imprécise de restitution à des fins mémorielles, introduite par les députés. Madame la ministre, vous êtes engagée à préciser le terme « funéraire » dans le décret (Mme Rima Abdul-Malak hoche la tête) : il recouvre en effet, au-delà de la crémation et de l'inhumation, toutes sortes de rites permettant d'honorer la mémoire du défunt.
Le texte apporte des garanties sur le caractère scientifique et impartial de l'examen des demandes de restitution. Le Conseil d'État contrôlera la décision avant son adoption.
Les dispositions introduites en CMP ont renforcé l'information du Parlement tout au long de la procédure.
Il n'a malheureusement pas été possible de traiter la question des restes humains ultramarins, notamment des restes de Kali'nas qui sont conservés au Musée de l'Homme et dont l'association Moliko, présente en tribune, demande la restitution. L'article 2 prévoit que le Gouvernement présentera au Parlement une solution dans un délai d'un an. Il faut nous mettre rapidement autour de la table.
L'examen de cette proposition de loi a été rendu compliqué par l'annonce de la troisième loi-cadre sur les biens culturels.
Les lignes directrices voulues par le législateur sont maintenant bien établies : des dérogations au principe d'inaliénabilité sont nécessaires, mais il faut une procédure garantissant une expertise croisée, un avis indépendant et l'association du Parlement.
Il faut encore accélérer en matière de recherche de provenance, afin que ces lois-cadres produisent leurs effets. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDPI ; MM. Pierre Ouzoulias et Adel Ziane applaudissent également.)
Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Dans le chant VI de l'Énéide, Énée descend aux Enfers pour dialoguer avec son père Anchise. Moment crucial, où son destin se noue. Arrivé au bord du Styx, il trouve une foule importante. Il demande à sa guide ce que signifie ce rassemblement et ce que veulent ces âmes. La prêtresse lui répond : « Tous ceux-ci que tu vois, c'est la foule misérable des morts sans sépulture ; [...] et ils ne peuvent traverser ces rives effrayantes et ces flots grondants avant que leurs ossements n'aient trouvé le repos dans une tombe. » Telle est la question sur laquelle vous vous êtes penchés - qui touche à celle de notre humanité.
Ce 18 décembre 2023, cette proposition de loi va être, je l'espère, définitivement votée. C'est un moment historique, attendu par plusieurs peuples étrangers, la communauté scientifique, de nombreux parlementaires et par nos concitoyens.
Le Sénat fait figure de pionnier. Dès 2002, une proposition de loi y est déposée en réponse à la demande de restitution de la dépouille de Saartjie Baartman, par l'Afrique du Sud. En 2010, le Sénat vote la loi sur la restitution de têtes maories à la Nouvelle-Zélande, à l'initiative de Catherine Morin-Desailly.
Le changement des mentalités s'est accéléré depuis lors. Un vade-mecum pour la gestion des restes humains dans les collections publiques a été publié en 2019. En 2020, le Sénat a lancé une mission d'information menée par Max Brisson, Pierre Ouzoulias et Catherine Morin-Desailly et une proposition de loi a été déposée - son article 2 concerne les restes humains.
Ce travail de fond a fait converger travail législatif et demandes des professionnels du patrimoine. Le temps d'une loi-cadre était venu, pour trouver un équilibre entre inaliénabilité et gestion éthique des collections publiques. Chaque mot a été pesé. Rares sont les lois pour lesquelles les consultations ont été si nombreuses.
Je salue l'engagement de la sénatrice Catherine Morin-Desailly, à qui nous devons tant. Son travail fait honneur à la France.
M. Max Brisson. - Exact !
M. Pierre Ouzoulias. - Bravo !
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. - Je salue aussi l'implication du député Christophe Marion qui a permis d'aboutir à un texte équilibré.
Le respect de la dignité humaine anime cette loi. La France regarde son histoire en face, elle entend les demandes des autres peuples et souhaite instaurer avec eux une nouvelle ère de coopération culturelle, une fois les mémoires douloureuses apaisées.
Les commissions bilatérales étudieront l'histoire de chaque demande, pour faire naître des consensus qui permettent des restitutions, mais aussi des coopérations scientifiques.
La place centrale du rapport scientifique rédigé par la commission bilatérale a été réaffirmée. Il garantit la qualité scientifique des démarches et associe la représentation nationale au processus de restitution.
La restitution des restes humains originaires des outre-mer n'avait pas sa place dans un texte relatif aux demandes d'États étrangers, mais j'en ferai ma priorité des prochains mois. Dès le début de l'année prochaine, une mission parlementaire sera lancée pour évaluer le corpus, consulter les acteurs et identifier le véhicule législatif approprié. Le Gouvernement tiendra son engagement : d'ici à la fin 2024, avec Philippe Vigier, nous vous proposerons des réponses.
Dans le chant XI de l'Énéide, les ambassadeurs demandent à Énée de pouvoir reprendre les corps des vaincus. Énée répond : « Vous demandez la paix pour des morts victimes des aléas de Mars ; en vérité, c'est à des vivants aussi que je voudrais l'accorder ! » Voilà le sens de votre travail : rendre le corps des morts pour rendre la paix aux vivants.
M. Pierre Ouzoulias et Mme Catherine Morin-Desailly. - Bravo !
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. - C'est un texte d'humanité, de dignité, et de justice. (Applaudissements)
Mme la présidente. - Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12, du Règlement, le Sénat statue par un seul vote sur l'ensemble du texte.
Mme Marie-Claude Lermytte . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Nous remercions les rapporteurs et la commission de la culture, ainsi que tous les parlementaires ayant participé à l'élaboration de ce texte.
Les restes humains ne sont pas des biens culturels comme les autres. Je salue l'engagement de longue date de Catherine Morin-Desailly, de Max Brisson et de Pierre Ouzoulias.
Après son adoption au Sénat, cette proposition de loi a été adoptée à l'Assemblée nationale. Elle fait suite au projet de loi concernant les oeuvres d'art spoliées par les nazis aux familles juives. Ces textes importants touchent à notre humanité. Ils font écho à notre rapport à la mort et au passé.
Que faire des restes humains ? Cette question a des enjeux diplomatiques, historiques et patrimoniaux majeurs. Elle touche à l'éthique et au sacré. Qu'il s'agisse de crânes de combattants hérités de notre passé colonial ou de squelettes intégrés dans nos collections publiques, nous défendons le principe du respect de la dignité humaine.
Auparavant, les demandes de restitution étaient traitées au cas par cas. Il était temps de prévoir une loi-cadre. Ce texte facilitera le retour des restes humains, tout en clarifiant les conditions. Nous nous réjouissons que la CMP soit parvenue à un accord.
Une question reste en suspens : celle du devenir des restes humains restitués. Les usages funéraires varient selon les pays. La France doit soutenir la recherche de provenance. Il faut proposer une solution digne pour réparer d'éventuelles injustices.
Une vaste réflexion doit être menée pour adapter nos collections muséales à l'évolution des usages et aux mutations technologiques. Comment perpétuer la mémoire des restes humains et des oeuvres culturelles destinées à quitter nos musées ? Notre politique patrimoniale doit évoluer. Le groupe INDEP s'engagera pleinement sur ces questions et votera ce texte. (Applaudissements au banc des commissions, sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur quelques travées du RDPI et du groupe SER)
M. Pierre-Antoine Levi . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) L'amélioration de l'information du Parlement est l'apport le plus notable de la CMP, car on aurait pu craindre que le Parlement ne se dessaisisse de sa compétence. Un équilibre a été trouvé : le Parlement sera informé des procédures de restitution, sans être mobilisé non plus à tout bout de champ par des lois d'espèce - les centristes sont naturellement friands de ce type d'équilibre.
Je me réjouis que le groupe UC ait été moteur sur la question. Les deux premières lois de restitution votées en France l'ont été sur l'initiative de Nicolas About, en 2002, et de Catherine Morin-Desailly, en 2010. Ces lois d'espèce ont ouvert la voie à l'élaboration d'une procédure générale qui ne mobilise pas systématiquement le Parlement.
La proposition de loi a bénéficié de l'ensemble des travaux menés sur le sujet depuis plus de dix ans.
Le champ du texte est restreint aux seuls restes humains identifiés d'origine étrangère. La restitution ne pourra être accordée qu'à des fins funéraires. La procédure est claire, et les critères précis.
Je remercie Catherine Morin-Desailly d'avoir gardé le cap jusqu'au bout, ainsi que Max Brisson et Pierre Ouzoulias. Le groupe UC votera les conclusions de cette CMP avec une très grande satisfaction. (Applaudissements)
M. Thomas Dossus . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Dans un contexte géopolitique très sombre, l'aboutissement de cette proposition de loi est un message d'apaisement international bienvenu. Je félicite ses auteurs, tout particulièrement Catherine Morin-Desailly.
En matière de restitutions culturelles, nous changeons d'ère. Je vous remercie, madame la ministre, pour le travail engagé. Ce texte est une première étape essentielle. Nous avons suffisamment dénoncé le fait du prince en matière de restitution...
Un cadre clair et transparent était nécessaire. Le travail engagé par la rapporteure a permis d'avancer en ce sens. Ce texte s'adresse à tous les États demandant à la France la restitution d'ossements et autres éléments confectionnés à partir de restes humains.
Les lois funéraires de chaque communauté humaine s'imposent à nos visions du monde passées. Nous disons notre détermination à respecter la dignité et l'intégrité dues à chaque corps humain après la mort. Respecter les morts, c'est réconcilier les vivants.
Ce texte doit accompagner les conservateurs vers la sortie du déni et renouveler nos pratiques. Voyez notre fascination malsaine pour le zoo humain de l'exposition universelle de 1889. Dans Nous et les autres, Tzvetan Todorov a dénoncé cet exotisme. Il y voyait le revers du racisme : un éloge dans la méconnaissance réductrice de l'autre. Sortons l'exotisme de notre politique muséale !
La société française est attachée à la dignité et les collections publiques sont le reflet de notre société : le maintien de restes humains contre la volonté des peuples est désormais impensable.
L'équilibre trouvé dans ce texte doit faciliter les restitutions des restes humains. Ce texte enrichira les coopérations culturelles avec les États demandeurs. Il allégera nos collections de vestiges issus de pratiques colonialistes dépassées. Le GEST votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du GEST et du RDPI, ainsi que sur quelques travées du groupe SER)
M. Pierre Ouzoulias . - (M. Olivier Jacquin applaudit.) « Tous ceux qui à ce jour ont obtenu la victoire, participent à ce cortège triomphal, où les maîtres d'aujourd'hui marchent sur les corps de ceux qui aujourd'hui gisent à terre. Le butin, selon l'usage de toujours, est porté dans le cortège. C'est ce qu'on appelle les biens culturels. [...] De tels biens doivent leur existence non seulement à l'effort des grands génies qui les ont créés, mais aussi au servage anonyme de leurs contemporains. Car il n'est pas de témoignage de culture qui ne soit en même temps un témoignage de barbarie. Cette barbarie inhérente aux biens culturels affecte également le processus par lequel ils ont été transmis de main en main. »
Ainsi parlait Walter Benjamin dans son ouvrage posthume, Sur le concept d'histoire. Le caractère barbare de l'exhibition morbide de restes humains spoliés donne à cette proposition de loi son bien-fondé quasi philosophique.
Il a fallu vingt ans pour que les têtes maories soient restituées à la Nouvelle-Zélande. Je loue ici le travail de Catherine Morin-Desailly. Ce texte concernait d'ailleurs toutes les têtes maories, non seulement celles du musée de Rouen. Il consacrait donc déjà la possibilité d'une dérogation au principe d'inaliénabilité des collections publiques. La présente proposition de loi n'est donc qu'une extension à l'ensemble des restes humains de ces dispositions de 2012.
Par une curieuse alliance, les groupes LFI et Les Républicains de l'Assemblée nationale nous ont reproché de déposséder le Parlement de ses prérogatives, je regrette qu'ils n'aient pas davantage pris connaissance de nos nombreux travaux... (Mme Catherine Morin-Desailly renchérit.)
Le Sénat a tranché un conflit juridique entre la nécessaire protection des collections publiques et l'inviolabilité du corps humain, qui ne cesse pas avec la mort. Avec cette proposition de loi, nous renversons la jurisprudence du juge administratif, en considérant que le respect dû au corps humain justifie une dérogation au principe d'inaliénabilité des collections publiques : les restes humains ne peuvent être perçus comme des biens patrimoniaux.
En quelque sorte, nous transposons dans le droit français la déclaration des Nations unies sur le droit aux peuples autochtones de 2007 sur le rapatriement des restes humains.
Des conditions draconiennes sont fixées pour les restitutions, sous la surveillance du Conseil d'État et du Parlement. Le récolement complet des restes humains susceptibles de restitution devra être réalisé dans l'année. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, du GEST, ainsi que sur quelques travées du RDPI, du RDSE et du groupe UC)
M. Bernard Fialaire . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La CMP a été conclusive : je me réjouis de cette issue consensuelle, à un moment où nous avons bien besoin de CMP conclusives... (Sourires)
Cette proposition de loi est une nouvelle étape dans l'engagement de Catherine Morin-Desailly, dont je salue la persévérance, en attendant le troisième volet sur les biens culturels.
Le contexte actuel, notamment le conflit en Palestine, impose une lecture particulière de la question des restes humains. Nous ne pouvons les considérer comme des biens culturels banals. Quelle que soit la date du décès, la dignité humaine impose de respecter le lien entre un corps et ses proches, par descendance, ou par héritage culturel.
L'attente vécue par les familles des otages du Hamas est significative à cet égard. Cette comparaison n'est pas inopportune. Le principe d'inaliénabilité des biens culturels ne saurait s'appliquer. Les seules précautions relèvent des doutes sur l'identification, qu'il revient à un comité scientifique de lever.
Bien que ce texte associe le Parlement au travail de restitution, les problématiques ultramarines sont oubliées - elles avaient pourtant fait l'objet de dispositions adoptées par le Sénat. Je me réjouis de votre engagement à cet égard, madame la ministre.
Comment associer les restes humains à des oeuvres d'art inaliénables ? L'inaliénabilité doit porter sur la dimension culturelle, non sur la patrimonialité. Cette conception conforte la perception particulière des restes humains, que le temps ne saurait transformer en simples biens culturels.
Cette proposition de loi nous engage à prolonger la réflexion, avec notamment le troisième volet.
Le groupe RDSE votera les conclusions de la CMP. (Applaudissements)
M. Martin Lévrier . - En janvier 2023, Rima Abdul-Malak a annoncé trois lois-cadres sur les restitutions. La première, sur la spoliation des biens des Juifs entre 1933 et 1945, a été promulguée en juillet dernier. La seconde devrait être adoptée définitivement par le Sénat aujourd'hui.
Il fallait apporter une solution éthique à la question des restes humains dans nos collections publiques. La commission a reconnu le besoin d'un cadre législatif général, tout en respectant le principe d'inaliénabilité.
Les sénateurs Catherine Morin-Desailly, Pierre Ouzoulias et Max Brisson ont joué un rôle essentiel. Je salue notamment l'engagement sans faille depuis dix ans de Catherine Morin-Desailly.
Notre approche a été équilibrée entre inaliénabilité des collections et réponse à des demandes légitimes de populations. La rigueur scientifique guidera les restitutions. Le rapport annuel au Parlement est un gage de transparence et renforce la légitimité du processus. Le Parlement pourra jouer pleinement son rôle.
La CMP a été consensuelle. Cette initiative collective témoigne de la capacité du législateur à répondre de manière responsable aux défis sociétaux.
La dernière loi de restitution annoncée par Rima Abdul-Malak sur les biens pillés lors de la période coloniale pourrait nous être soumise au début de l'année prochaine. Espérons que nous parviendrons également à un résultat consensuel sur ce texte encore plus complexe. (Applaudissements sur les travées du RDPI et au banc des commissions ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. Adel Ziane . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce texte est essentiel : il transcende les clivages politiques et nous invite à une réflexion sur notre passé, pour agir avec justice et respect.
Je salue la pugnacité des sénateurs Morin-Desailly, Brisson et Ouzoulias : leur engagement a été crucial.
Les restes humains sont les témoins silencieux de vies passées, de cultures riches, porteurs d'un passé colonial complexe. Ils ont été trop souvent acquis dans des conditions incompatibles avec les valeurs de la République et perpétuent une vision dépassée du patrimoine matériel.
Pourtant, le code civil rappelle que le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort - je salue le travail de Jean-Pierre Sueur sur notre législation funéraire.
L'inaliénabilité du domaine public a longtemps empêché les restitutions : c'est pourquoi le Sénat a adopté deux lois, en 2002 et en 2010, pour rendre la « Vénus hottentote » et vingt têtes maories. Plus récemment, 24 crânes algériens ont été restitués à l'Algérie en 2020, hors de tout cadre scientifique et législatif.
Dès lors, une loi-cadre s'imposait. Les musées en étaient les premiers demandeurs : ils ne sont pas étanches aux demandes de la société civile. De nombreux pays européens ont déjà modifié leur législation.
La présente proposition de loi instaure un cadre clair pour les restitutions futures, loin des précédentes décisions fragmentées et arbitraires.
Cette initiative incarne notre volonté collective de reconnaître un passé douloureux, notamment entre la France et ses anciennes colonies.
Il faut aussi répondre aux demandes de nos compatriotes ultramarins : madame la ministre, je me réjouis de votre annonce. Cette loi-cadre ne pouvait être utilisée, d'où un autre texte.
Les moyens humains et financiers doivent suivre, pour identifier les dizaines de milliers de restes humains dans nos musées.
En votant cette proposition de loi, nous faisons bien plus que réparer les erreurs du passé : nous faisons honneur à notre pays et travaillons à la réconciliation des mémoires. Le groupe SER votera ce texte. (Applaudissements au banc des commissions et sur les travées des groupes SER, CRCE-K et du RDPI)
M. Max Brisson . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean Hingray applaudit également.) Je suis très honoré d'être coauteur de ce texte, avec Pierre Ouzoulias et Catherine Morin-Desailly, pour un cadre méthodologique pérenne.
Nous avons voulu une réflexion transpartisane, pour nous éloigner des passions que ce sujet peut déclencher.
Mais il est consensuel : il faut restituer les restes humains au nom de la dignité des personnes. Le Sénat a joué un rôle majeur dans la restitution de la « Vénus hottentote » et des têtes maories. Mais d'autres voies ont aussi été empruntées, au mépris du Parlement, comme pour les crânes algériens en 2020. Nous avons donc voulu élaborer un cadre pour éviter le fait du prince. Le Parlement ne saurait être une chambre d'enregistrement de décisions déjà exécutées : il fallait une loi-cadre. Nous voulions aussi une commission scientifique pour éviter vaines polémiques et réécritures historiques. Mais nous avions alors été éconduits par le Gouvernement. Fort heureusement, à votre arrivée, vous avez rouvert le dialogue, madame la ministre, en proposant un triptyque législatif.
Ainsi, un comité scientifique identifiera les restes humains avec l'État demandeur. Le Parlement recevra un rapport annuel. À chaque demande de restitution, le Gouvernement informera les commissions permanentes chargées de la culture. Les critères de restituabilité seront clairement définis.
Ce texte fixe une méthode et un cadre juridique clairs, conformément à notre demande récurrente depuis plusieurs années.
Notre positionnement du jour ne présage en rien celui sur la troisième loi-cadre. Notre pays doit encore affiner une méthodologie consensuelle et transparente. Pour la restitution des oeuvres d'art, la France doit-elle se doter d'un cadre pérenne solide ou en rester à des lois d'espèces ? Pour ma part, je suis favorable à une loi-cadre, mais il faudra encore convaincre...
La solution passera par l'inscription du principe intangible d'universalisme de nos musées et du caractère exceptionnel de la dérogation à l'inaliénabilité des collections. Nous ne dérogerons pas à notre ligne : une méthode claire, fondée sur un éclairage scientifique et impliquant le Parlement.
Le groupe Les Républicains votera la présente proposition de loi. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; MM. Michel Masset et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
La proposition de loi est définitivement adoptée.
(Applaudissements)
Mme la présidente. - À l'unanimité.
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Nous nous réjouissons de ce vote unanime.
Ce texte vient de loin : il aura fallu vingt ans pour passer de lois spécifiques à une loi-cadre. Vingt ans pour trouver le bon équilibre.
Je salue les trois auteurs du rapport et de la proposition de loi. Catherine Morin-Desailly a fait montre d'une grande persévérance.
Sénateurs d'aujourd'hui et d'hier, nous sommes tous attachés au respect dû à chaque homme après la mort. Cette idée de l'humanité donne sens à notre engagement politique.
Jules Michelet disait : « Chaque homme est une humanité et une histoire universelle. » Telle est bien la ligne dans laquelle nous nous inscrivons. (Applaudissements)
La séance est suspendue quelques instants.