Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe . - Dans moins d'un jour - 12 heures, précisément -, s'ouvrira le dernier Conseil européen sous présidence espagnole : son importance est historique. Il doit aborder le soutien à l'Ukraine, l'élargissement de l'UE, la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel (CFP), le conflit au Proche-Orient, les migrations, la COP28 et la lutte contre les discours de haine.
L'Ukraine sera au coeur des discussions. Nous devons tout mettre en oeuvre pour la soutenir et préparer son avenir européen. La Russie espère entrevoir une faille dans notre unité et capitaliser sur une prétendue fatigue des Européens. Mais il n'en est rien. Alors que l'Ukraine aborde un nouvel hiver de guerre difficile et que ses attentes à notre égard sont fortes, notre signal doit être clair : nous la soutiendrons dans la durée. Le Président de la République l'a dit à Bratislava : ancrer l'Ukraine dans l'Europe est une nécessité stratégique, c'est aussi notre intérêt.
Comme chaque mois de décembre, le Conseil européen examinera aussi le paquet élargissement. Il devra statuer sur l'ouverture des négociations d'adhésion avec l'Ukraine, la Moldavie et la Bosnie-Herzégovine et sur la reconnaissance du statut de candidat à la Géorgie. La France a toujours été claire : il faut reconnaître les progrès accomplis et continuer de réformer l'Union. L'élargissement oblige à réfléchir à long terme aux moyens de rendre l'Europe plus forte. Votre commission des affaires européennes a organisé le 30 novembre dernier une table ronde sur ce sujet ; nous y reviendrons au cours de nos échanges.
La poursuite du soutien à l'Ukraine est liée aux discussions sur la révision du CFP. La France plaide pour limiter les effets de la révision sur les finances publiques des États membres et donner à l'Union européenne les moyens de relever les défis auxquels nous faisons face : Ukraine, souveraineté économique, gestion efficace et équilibrée des migrations. Mmes Blatrix-Contat et Lavarde ont présenté voilà quelques jours une communication sur la révision du pacte de stabilité et de croissance (PSC) ; nous pourrons y revenir.
La négociation de l'Agenda stratégique, d'ordinaire consensuelle, revêt cette année une importance particulière : il s'agit de construire une Europe plus forte et qui a vocation à s'élargir. Plan de relance européen, achats mutualisés de vaccins, soutien financier à l'Ukraine : d'importantes décisions ont été prises ces derniers mois, dans des délais brefs. L'Union européenne entend désormais devenir plus souveraine, notamment en matière numérique, de santé et de défense. J'ai pris connaissance de la proposition de résolution européenne sur le programme de travail de la Commission européenne, présentée par Didier Marie et Jean-François Rapin : je souscris pleinement à votre constat sur l'importance de l'approvisionnement en matières premières.
Enfin, la pression migratoire demeure élevée, notamment sur la route de la Méditerranée centrale. Les migrations ont une double dimension, interne - filtrage aux frontières, réallocation budgétaire - et externe, avec la rive sud de la Méditerranée.
M. le président. - Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Nous pourrons aborder aussi la position de la France sur le conflit au Proche-Orient, qui est connue.
M. Pascal Allizard, au nom de la commission des affaires étrangères . - Que faire de l'Europe dans un monde chaotique et qui se désoccidentalise ? La Communauté politique européenne (CPE) a répondu par un triptyque conceptuel : une Europe plus prospère, résiliente et géostratégique. Mais les fâcheux ne se déplaçant pas, les désaccords sont purgés ailleurs... Le Conseil européen qui s'ouvre demain fera-t-il mieux ?
Lors du sommet du 7 décembre avec la Chine, Pékin a opposé une fin de non-recevoir à l'Union européenne. Rien de surprenant, alors que la présidente de la Commission européenne cosigne des déclarations du président américain qualifiant la Chine de rival stratégique - c'est vrai, mais pas seulement. Je rappelle le titre de notre rapport de juillet 2022 sur la relation transatlantique : « Amis, alliés, mais pas alignés ».
Le président Cédric Perrin a rappelé l'engouement européen pour le matériel américain : en 2030, la moitié de la flotte européenne de chasse sera d'origine américaine, ce qui nous inquiète pour notre indépendance stratégique et technologique.
Même si l'élargissement n'aura pas lieu demain, la Commission a recommandé, le 8 novembre dernier, l'ouverture de négociations avec l'Ukraine et la Moldavie, ainsi qu'avec la Bosnie-Herzégovine lorsque les critères d'adhésion seront suffisamment remplis, et d'octroyer sous réserves le statut de candidat à la Géorgie. Madame la ministre, dans un article à la revue Le Grand continent, vous avez expliqué qu'il s'agissait moins de savoir quand l'élargissement aurait lieu que de savoir comment.
De fait, le Financial Times chiffre à 180 milliards d'euros sur sept ans le coût de l'adhésion de la seule Ukraine... Alors que l'Union européenne ne peut pas aujourd'hui lui donner les moyens de se défendre, comment ne pas s'interroger sur notre capacité collective à fournir un effort financier si important ?
Dans le même article, vous écrivez aussi : « C'est une révolution européenne que nous préparons », qui va « bouleverser la politique budgétaire de l'Union ». Cette question ne devrait-elle pas être au coeur de la préparation des élections européennes de l'an prochain ?
La situation de l'armée ukrainienne et le soutien des États-Unis semblent plus incertains que jamais. Tâchons de regarder les choses avec lucidité : qui dira clairement que, si nous restons sur des demi-mesures, l'Ukraine sera vraisemblablement battue ? Nous avons promis un million d'obus : nous en sommes très loin. Les Européens sont-ils prêts à une victoire de la Russie, consacrant le primat de la force sur le droit ? Comment défendrons-nous, demain, notre flanc est ? L'Europe se ressaisira-t-elle avant qu'il ne soit trop tard ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Stéphane Sautarel, au nom de la commission des finances . - La révision du CFP semble indispensable, tant le budget européen devient un outil de gestion de crise. Les nouvelles priorités stratégiques sont la productivité, l'Ukraine et les grandes transitions.
Je tiens à souligner plusieurs points de vigilance sur les propositions formulées par la Commission européenne, puis par la future présidence espagnole.
D'abord, certaines propositions de la Commission européenne ont été affaiblies : ainsi de la plateforme Step de soutien aux technologies de rupture, dont l'enveloppe a été réduite.
Ensuite, les redéploiements de crédits ne doivent pas affaiblir les politiques traditionnelles, dont la politique agricole commune (PAC).
Enfin, les nouvelles ressources propres de l'Union européenne incitent à la prudence, alors que la Cour des comptes européenne parle de recettes insuffisantes, au détriment de la contribution de la France.
Quant à la réforme des règles budgétaires européennes, la suspension du PSC prend fin en janvier prochain. Nous serions proches d'un accord : je m'en réjouis, car les règles étaient trop complexes, trop cycliques et peu appliquées. Toutefois, l'exclusion des dépenses vertes et de la défense semble incertaine, et la clause de sauvegarde divise le couple franco-allemand. L'Allemagne a obtenu un objectif annuel visant à réduire le déficit public de 0,5 % pour tout pays présentant un déficit de plus de 3 %. La France défend, au nom de l'adaptation des règles aux situations nationales, un assouplissement de cette clause. Ne craignez-vous pas que toute demande de flexibilité soit interprétée comme une façon de se soustraire à un effort nécessaire d'assainissement des finances publiques ?
La commission des finances l'a constaté à Madrid fin octobre, pour la conférence dite « article 13 » : l'Allemagne refuse tout nouvel endettement européen et défend des critères quantitatifs.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - Je me réjouis de ce nouveau format de débat préalable au Conseil européen.
Sans doute le Conseil européen qui s'ouvrira demain saluera-t-il sans peine l'accord de la COP28 de Dubaï, avec la fin des énergies fossiles, le développement des énergies renouvelables et l'efficacité énergétique, comme le prône l'Union européenne. Ranger le nucléaire parmi les énergies propres est une bonne nouvelle pour la France.
L'unité européenne ne saurait faillir sur le soutien à l'Ukraine, alors que les Européens n'arrivent pas à fournir les obus annoncés. Durant ce faux plat éprouvant, il ne faut pas fléchir - n'oublions pas que le président Zelensky est allé demander des cadeaux de Noël au Congrès américain, qui hésite. Confirmez-vous que les actifs immobilisés alimenteront l'aide à l'Ukraine ?
La rallonge de 50 milliards d'euros en ce sens se justifie, mais il faut minimiser les contributions nationales, donc redéployer des budgets sans porter atteinte aux politiques stratégiques. Voyez-vous un accord possible, madame la ministre ?
L'élargissement, ensuite. Les chefs d'État et de Gouvernement devront décider s'ils donnent suite aux propositions de la Commission européenne. L'Ukraine est inquiète d'un éventuel véto hongrois. Nous ne pouvons que souscrire aux recommandations de la Commission européenne, mais rappelons la promesse de Grenade : élargir implique de réformer, sans quoi l'Union européenne s'affaiblira. Les Balkans occidentaux, réunis avec les 27 aujourd'hui, sont-ils suffisamment motivés par le plan de relance de 6 milliards d'euros ?
La géopolitique a ses exigences, mais ne lui sacrifions pas nos valeurs.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Nos priorités sont l'Ukraine, les migrations et le fonds de souveraineté Step.
Vous avez souligné le manque de ressources, notamment pour NextGenerationEU : il faut travailler davantage sur les ressources propres, ce qui a manqué sous cette mandature.
Pour le PSC, nous voulons une trajectoire de finances publiques soutenable, compatible avec la croissance, permettant des investissements verts et de défense et adaptée à chaque pays.
La France soutient les recommandations de la Commission européenne sur l'élargissement. Elle insistera sur les progrès à réaliser par la Bosnie-Herzégovine. Nous travaillons à faire évoluer la position de la Hongrie.
Mme Mathilde Ollivier . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Didier Marie applaudit également.) L'Ukraine et le cadre financier pluriannuel sont des sujets étroitement liés.
Depuis l'agression russe, les Européens sont restés unis, pour asphyxier l'effort de guerre russe et soutenir économiquement et militairement l'Ukraine. Mais, depuis trois mois, la Slovaquie, la Bulgarie et la Hongrie menacent cette unité. Jeudi dernier, le Président de la République a reçu le Premier ministre hongrois pour un dîner de travail. Or la Hongrie maintient son chantage, malgré l'annonce du déblocage de 920 millions d'euros sur les 10,4 milliards prévus par le plan de relance européen pour la Hongrie. Quels sont les résultats obtenus par l'Élysée et quelles éventuelles concessions ont été faites à ce pays ? Quel plan B est-il prévu en cas de veto hongrois ?
Le Conseil européen doit ensuite parvenir à un accord sur la réforme du cadre financier pluriannuel. Sans révision, l'Union européenne ne pourrait faire face à une crise future, selon Johannes Hahn. Or de nombreux chefs d'État et de gouvernement ne veulent plus envoyer davantage d'argent à l'Union européenne. Où en sont les discussions sur de nouvelles recettes ? Quelles propositions la France défend-elle et quelle en serait l'incidence sur ses futures contributions ?
La Hongrie est l'un des deux principaux bénéficiaires nets du budget européen et assurera la présidence du Conseil au second semestre 2024. Vous avez déclaré ici même que rien ne l'empêche à ce stade d'assurer la présidence tournante. En cas de blocage, dans quel sens évoluera votre position ?
Enfin, la décision de nommer Fiona Scott Morton comme économiste à la direction générale de la concurrence a été unanimement critiquée. Elle a renoncé, mais Wopke Hoekstra a été nommé commissaire européen chargé de l'action pour le climat. Personne ne s'en est ému, alors qu'il a longtemps oeuvré pour l'industrie fossile : Shell, mais aussi McKinsey, qui a conseillé de grands groupes pétroliers. Il a été vivement critiqué pour être revenu sur son engagement à promouvoir l'élimination progressive des combustibles fossiles lors de la COP28, avec la référence très problématique aux combustibles fossiles « sans dispositif d'atténuation ». Quelle est la position de la France sur cette nomination ? (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Didier Marie applaudit également.)
Mme Silvana Silvani . - La semaine dernière, le secrétaire général des Nations unies a invoqué, pour la première fois depuis un demi-siècle, l'article 99 de la charte des Nations unies à propos de la situation à Gaza. Autre fait rare, les agences onusiennes, unanimes, ont dénoncé les 160 enfants tués par jour, les risques de famine et la mort de 100 agents de l'organisation et de 50 journalistes.
Malgré cela, les dirigeants américains ont opposé leur veto à la proposition de résolution appelant à un cessez-le-feu, contre leur peuple. Partout, des milliers d'hommes et de femmes crient leur révolte contre le massacre de Palestiniens. La France s'honorerait à dénoncer la position américaine. Médecins sans frontières estime que le veto des États-Unis les rend complices du carnage. La France exprimera-t-elle des regrets ou une condamnation ? Une résolution européenne est-elle prévue pour condamner cette décision irresponsable des États-Unis, qui se rémunèrent sur les dividendes de la guerre ?
Hier, l'Assemblée générale des Nations unies a voté une résolution pour la protection des civils et le respect du droit humanitaire, bloquée par les États-Unis et Israël. Il faut une initiative concrète de la France, pour reconnaître l'État palestinien selon les frontières de 1967. L'Assemblée nationale et le Sénat ont voté en faveur de cette reconnaissance. Le gouvernement espagnol de Pedro Sanchez essaie de convaincre l'Union européenne de faire de même, alors que 138 pays sur les 193 que compte l'ONU en ont déjà fait autant.
Plus d'une vingtaine de rapporteurs des Nations unies ont réitéré leurs inquiétudes sur un génocide en cours et une seconde Nakba. Une frégate française a été ciblée par un drone yéménite. Agir pour la paix est un devoir urgent ! Le cessez-le-feu doit être exigé. La suspension de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël est un moyen de pression concret. Ne pas le faire nous rend complices de la faillite morale des belliqueux.
L'administration européenne - Josep Borrell en tête - qualifie la situation à Gaza d'apocalyptique et compare les destructions à celles des villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale. Quelles aides européennes seront mobilisées, en urgence, puis pour la reconstruction ?
Nous avons su sanctionner la Russie. Ne souffrons pas d'une indignation sélective en fonction de la religion, de la proximité avec notre sol ou de tout autre prétexte pour taire notre humanité commune. Dans notre pays qui compte les plus importantes communautés musulmanes et juives d'Europe, l'immobilisme risque d'aggraver nos fractures. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
Mme Annick Girardin . - Inévitablement, une partie du Conseil européen sera consacrée aux conflits actuels, notamment en Palestine.
Le RDSE appuie la voie diplomatique d'équilibre prônée par différents États membres : soutien d'un cessez-le-feu à Gaza, création d'un régime de sanctions contre le Hamas, organisation terroriste, condamnation des incidents dans les colonies de Cisjordanie, où des colons jettent de l'huile sur le feu. Il faut défendre la solution à deux États. Vous avez le soutien du RDSE pour des initiatives diplomatiques en ce sens.
L'Union européenne doit se mobiliser aussi pour l'Ukraine, car les intentions de Moscou n'ont pas faibli. Alors que The Economist se demande si Poutine est en train de gagner, nous devons avant tout rester unis. Il faut débloquer les 50 milliards d'euros de fonds et les 5 milliards d'aide militaire. L'agression russe fragilise les frontières orientales de l'Union européenne, n'en déplaise à Viktor Orban.
L'élargissement de l'Union européenne est aussi à l'ordre du jour. Il s'agit d'un autre point de discorde avec la Hongrie. Le donnant-donnant ayant échoué, avons-nous d'autres moyens de pression que les 10 milliards d'euros dus ?
Le RDSE est favorable à l'adhésion de l'Ukraine, dans un contexte de paix. Tous les candidats à l'adhésion doivent s'engager à respecter le projet européen.
Le projet de défense commune devient plus pressant dans un contexte géopolitique plus difficile. En mars 2022, le Conseil européen a mis en place sa boussole stratégique. Quelles sont les avancées concrètes sur l'Agence pour les projets de recherche avancée de défense (Darpa) ? Ces projets supposent une hausse des moyens budgétaires européens.
Le RDSE se réjouit de l'avancée des négociations sur les nouvelles ressources, dont le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.
Le Conseil européen doit se montrer décisif et ne pas laisser de place au chantage des dirigeants populistes.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Sur l'Ukraine, nous n'avons pas d'autre choix que de convaincre la Hongrie. Hier, au Conseil des affaires générales, 26 États sur 27 soutenaient l'ouverture des négociations d'adhésion avec l'Ukraine. Le Président de la République, le chancelier allemand ou encore la Pologne ont fait des déclarations. À cette heure, il n'y a pas de plan B.
En parallèle, nous devons réformer l'Union européenne. La présidence belge devra ancrer un processus, en matière budgétaire comme de gouvernance. Les chiffres mentionnés par le Financial Times sont déconnectés de la réalité.
Notre position à Gaza est claire : rejet du terrorisme, libération des otages, dont quatre Français, et protection des civils, obligation morale autant que juridique. Un cessez-le-feu doit aboutir à une trêve humanitaire. Le Président de la République souhaite une position européenne coordonnée. La France appelle à sanctionner les colons israéliens.
Mme Mathilde Ollivier. - Vous ne m'avez pas répondu sur le commissaire Hoekstra. À la suite de son changement de pied lors de la COP28, quelle est la position de la France ?
Mme Silvana Silvani. - Vous évoquez des sanctions contre les colons israéliens, mais nous appelons à des sanctions contre l'État israélien. Vous ne répondez pas sur les moyens à mobiliser.
Dans les articles 46 à 48 du PLF pour 2024, et sans débat à l'Assemblée nationale, la France se porte garante de trois aides à l'Ukraine, y compris via des mécanismes européens, pour 500 millions d'euros. Nous voulons des garanties similaires pour le peuple palestinien.
Mme Nadège Havet . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) « C'est un grand jour pour ceux qui pensaient, pendant de nombreuses années, que les choses iraient mieux ». Ainsi parlait Donald Tusk, après son élection au poste de Premier ministre polonais et huit ans de gouvernement populiste. Son expérience et son engagement pour les valeurs européennes rendront l'Union européenne plus forte. Cette victoire politique est à saluer, alors que le drapeau européen, qui est derrière moi, a 68 ans.
De même, saluons le règlement sur une industrie « zéro net » adopté il y a une semaine, pour développer les technologies vertes. Une liste de technologies stratégiques pour la transition écologique a été arrêtée : pompes à chaleur, batteries, éoliennes, captage de CO2... Le Président de la République a annoncé, dans le cadre de France 2030, que la France soutiendrait ces technologies et le stockage de CO2. Nous nous en félicitons. En outre, le nucléaire figure désormais sur la liste des technologies vertes.
Il faudra encore avancer. Les chefs d'États et de gouvernement aborderont les règles financières communes, dont la révision du CFP, notamment pour l'Ukraine. Il nous faut revoir la gouvernance économique et trouver de nouvelles règles pour le PSC, suspendu depuis 2020 pour faire face aux crises. Alors qu'il doit être réactivé, revenir à une approche univoque n'aurait pas de sens. Les règles d'endettement n'ont pas été respectées. Reste à trouver l'équilibre entre la réduction des dettes - sans encourager le dérapage - et les investissements stratégiques.
J'en viens aux deux crises majeures : la situation dramatique au Moyen-Orient et la guerre de la Russie à l'Ukraine. En octobre, une convergence européenne a eu lieu, avec la condamnation de l'agression et la demande du respect du droit humanitaire.
La France et douze membres du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) ont voté, le 8 décembre, une résolution demandant un cessez-le-feu à Gaza, bloquée par le veto américain. Hier, à l'Assemblée générale des Nations unies, une majorité écrasante a voté en ce sens. Le Conseil européen devra avancer sur ce point.
Le Conseil européen avait demandé un renforcement de l'aide à l'Ukraine. Comme l'a dit Ursula von der Leyen, une victoire russe serait lourde de menaces pour ses voisins européens. Nous soutenons l'intégrité territoriale de l'Ukraine et son droit à se défendre. Nous devons rester mobiliser financièrement, diplomatiquement et militairement. Il faut de nouveaux engagements de sécurité. Nous devons intensifier notre aide en matière de protection civile, à l'approche de l'hiver.
Les négociations d'adhésion à l'Ukraine devraient donner lieu à un accord européen, mais le chantage hongrois est inacceptable. Cela interroge sur la règle d'unanimité, qu'il faut réformer.
Le président du Conseil a rappelé que l'élargissement est un investissement géostratégique en matière de stabilité et de prospérité. Plusieurs textes de loi ont été adoptés par le parlement ukrainien pour répondre aux recommandations de la Commission européenne. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Pour conclure, je pense à Mahsa Amini et au mouvement Femme, vie, liberté, alors que le Parlement européen lui a décerné hier le prix Sakharov à titre posthume. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Didier Marie . - L'année fut difficile : l'agression russe dure et la guerre s'enlise, pour un coût humain insupportable ; la COP28 est insatisfaisante ; la croissance est en panne, ralentie par l'inflation. Autant dire que ce Conseil européen sera critique. L'Union européenne doit être unie et parler d'une même voix.
Nous devons un soutien immédiat à l'Ukraine. La contre-offensive piétine, et les réponses ne sont pas à la hauteur : un tiers du million de munitions promis est arrivé. Cela interroge sur les moyens de notre propre défense, et sur une hypothétique défense commune, alors que l'Allemagne est empêtrée dans ses difficultés budgétaires après la décision du tribunal constitutionnel de Karlsruhe.
Si l'on ajoute la possibilité d'une réélection de Donald Trump en 2024, il faut agir. La menace de Viktor Orbán casse la nécessaire cohésion européenne. Espérons qu'Emmanuel Macron a été convaincant avec le président hongrois. En cas de blocage, quel soutien la France donnera-t-elle à l'Ukraine, alors que la Russie mobilise, autoritairement, d'inépuisables ressources humaines ? L'Europe doit être au rendez-vous de l'histoire.
L'élargissement est une obligation géopolitique. Le parlement ukrainien a voté de nombreuses améliorations sur l'indépendance de la justice et l'État de droit. Mais nous restons interrogatifs sur la PAC et les défis de la reconstruction.
La Moldavie est un bon élève : une perspective d'adhésion serait un bon message adressé à son peuple et à la Russie. La Géorgie doit sortir de l'ambiguïté politique. Il faut poursuivre le travail avec l'Albanie et la Macédoine du Nord, et le Monténégro doit sortir de l'instabilité politique. La Bosnie-Herzégovine doit avancer, malgré sa complexité institutionnelle issue des accords de Dayton et le séparatisme serbe. Enfin, que la Serbie choisisse entre Russie et Europe. L'élargissement doit assurer la défense de notre modèle démocratique et de notre sécurité. Quelle lecture faite vous de ces pays, sachant que notre patrimoine commun est le respect de l'État de droit et la démocratie ?
La question ce n'est pas quand - le plus vite possible -, mais comment ! La France va-t-elle interroger les traités et convoquer une convention ? Il faut ouvrir un nouveau chapitre de l'histoire européenne.
De nombreux accords commerciaux sont en cours de finalisation, avec la Nouvelle-Zélande, le Chili. D'autres patientent, comme avec l'Australie, ou font le yoyo, comme avec le Mercosur, pour lequel le président Lula promet une signature rapide.
Quel est le logiciel ? La théorie des avantages comparatifs ne vaut plus. Il faut des standards environnementaux, sociaux et démocratiques ambitieux, avec des dispositifs de conditionnalité et de réversibilité des accords.
Pouvez-vous nous confirmer qu'il n'y aura pas d'accord avec Mercosur et que le Parlement sera consulté - contrairement à l'Accord économique et commercial global (Ceta), en vigueur depuis cinq ans et jamais présenté au Sénat ?
Sur la COP28, au regard de ses conclusions, l'atteinte de la trajectoire à 1,5° C est-elle possible ? Quelles sont les incidences sur l'Union européenne ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - L'Union européenne a déjà fait beaucoup pour les achats communs et créé un fonds d'investissement et un fonds de recherche et développement. Nous voulons amplifier ces initiatives pour une véritable industrie européenne de défense.
Sur les accords commerciaux, le cadre reste le même, celui posé par les trois principes suivants : réciprocité, dimension stratégique et engagements environnementaux. L'accord sur le Mercosur ne répond pas à ces trois critères : c'est non.
Le commissaire Wopke Hoekstra a obtenu des résultats à la COP28 : sortie des énergies fossiles et intégration du nucléaire comme énergie décarbonée - une victoire !
En matière d'élargissement, comme au Conseil des affaires générales, nous soutiendrons les propositions de la Commission européenne pour ouvrir les négociations avec l'Ukraine et la Moldavie. Nous avons demandé une présentation des progrès de l'Ukraine de la part de la présidente de la Commission, afin de convaincre la Hongrie.
Pour les Balkans occidentaux, nous encourageons les efforts avec l'intégration graduelle, et un plan de croissance. Quand il y a des progrès, il y a versement de fonds. Sinon, les aides sont réversibles...
M. Didier Marie. - Sur la COP28, je suis insatisfait. Si le tabou de la sortie des énergies fossiles figure bien dans la déclaration, il n'y a aucune date précise, et le gaz reste une énergie de transition, comme le charbon, pour la Chine. Comment atteindre la baisse de 95 % des énergies fossiles d'ici à 2050 et maintenir la hausse à 1,5° C ? Cela semble inatteignable.
Mme Christine Lavarde . - Certes, la révision du CFP est à l'ordre du jour, mais celle du PSC sera sans doute évoquée dans les couloirs. Selon la vision portée par Bruno Le Maire, il ne serait pas une fin en soi, mais un moyen du projet politique européen.
Le conseil Écofin de vendredi a échoué. Le ministre allemand des finances estime que les États membres ne touchent pas au but, et que les positions espagnoles de compromis ne clôturent pas le débat technique.
Un point d'accord, toutefois : la clause de sauvegarde pour la réduction de la dette, de 1 % en moyenne par an pour les plus endettés, 0,5 % si la dette est entre 60 % et 90 % du PIB.
Sur la marge de résilience pour le déficit, des États ont demandé à moduler l'effort selon l'endettement : 1,5 % de PIB de déficit pour les plus endettés, et une convergence en dessous de 2 % pour ceux dont la dette est entre 60 % et 90 % du PIB. Sur le volet correctif, la France a demandé une flexibilité de 0,2 % du PIB par rapport au niveau de 0,5 % qui était prévu pour l'ajustement structurel. Cela permet aux pays en déficit excessif - dont le nôtre, hélas - d'investir.
Un accord avec l'Allemagne devrait être trouvé, reste à convaincre les pays dits frugaux. Si l'Allemagne accepte de tenir compte de la charge des taux d'intérêt pour 2025-2027, l'Italie voudrait que ce soit permanent.
Enfin, un mécanisme de contrôle permettrait de suivre les évolutions d'endettement. Le Portugal demande qu'un État en excédent budgétaire ne puisse faire l'objet d'une procédure de déficit excessif pour la seule raison de l'endettement. Les députés européens de la commission des finances ne veulent pas de critère quantitatif pour le déficit public, mais leur vision est moins restrictive sur le compte de contrôle que celle de la Commission.
Bruno Le Maire croit à un accord fin décembre. Partagez-vous son optimisme, madame la ministre ? S'il n'y a pas d'accord fin décembre, il n'y aura pas d'accord du tout. En cas d'échec, la présidence belge ne pourrait-elle pas rouvrir les négociations ? (M. Jean-François Rapin applaudit.)
M. Louis Vogel . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Les élections européennes auront lieu dans six mois. L'Union européenne est à la croisée des chemins : certains pays se sont laissé séduire par les sirènes du populisme, dont les Pays-Bas, pays fondateur de l'Union européenne. Même l'arrivée au pouvoir de Donald Tusk en Pologne ne peut faire oublier que ce sont bien les ultraconservateurs de Droit et justice (PiS) qui sont arrivés en tête aux élections législatives.
Un sondage de novembre propose une projection du prochain Parlement européen : la droite ultraconservatrice nationaliste - dont Orbán se rapproche - se renforcerait. Identité et démocratie, dont fait partie le RN, également. À plus de 80 membres, et comme ils le font à l'Assemblée nationale, ces groupes pourraient entraver le Parlement.
Au cours des élections, les uns ne parleront que de migrations, les autres que d'urgence climatique : ces objectifs ne sont pas incompatibles avec l'Europe, au contraire, c'est le seul moyen de les atteindre ! Faisons taire les fossoyeurs de l'Europe.
Sur la révision du CFP jusqu'en 2027, nous croyons à des ressources propres solides, moyens d'une véritable politique, et à la fin des rabais.
De nouveaux chiffres ont été mis sur la table : la proposition de Charles Michel mentionne 22,5 milliards d'euros. Nous nous interrogeons sur la contribution nationale. Quelles sont les lignes rouges de la France ?
J'en viens aux négociations d'adhésion. Nous croyons profondément à une Europe puissante et approfondie. Cela interroge sur la procédure de réforme de l'élargissement. Madame la ministre, comment appréhendez-vous les négociations sur l'Ukraine ? Quelle est la position française sur l'élargissement ?
Enfin, nous vous assurons de tout notre soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Sur le PSC, madame Lavarde, les avancées sur la dette sont significatives. Nous allons revoir la procédure du 1/20e qui valait avant covid.
Au cours de la procédure de déficit excessif, la flexibilité sur les investissements est importante pour effectuer les investissements nécessaires aux transitions. Comme Bruno Le Maire, je suis confiante.
Monsieur Vogel, en Pologne, un gouvernement PPE (Parti populaire européen) sera mis en place. Il a réaffirmé son soutien à l'Union européenne. En même temps que les législatives polonaises, un référendum a rejeté la proposition du gouvernement populiste sur l'avortement - avec une participation de 70 % !
Nous voulons une hausse mesurée du budget européen pour soutenir l'Ukraine, mettre en oeuvre le pacte sur les migrations et le fonds de souveraineté.
Enfin, la France a largement porté la réforme de l'élargissement, sans totem ni tabou. Nous ferons le nécessaire.
Mme Christine Lavarde. - J'ai du mal à partager votre optimisme : peut-être y aura-t-il un accord fin 2023, mais pas de nouvelles règles début 2024. En effet, les parlementaires européens ont de grandes divergences d'opinions. Le trilogue sera compliqué. Si nous n'y arrivons pas, les Belges ont-ils déjà inscrit ce sujet à leur ordre du jour, ou rebasculerons-nous dans le régime d'avant covid ?
M. Louis Vogel. - Une hausse mesurée du CFP ne veut pas dire grand-chose, mais je vous remercie d'avoir mentionné les priorités.
Mme Brigitte Devésa . - Le 22 novembre, le Parlement européen a adopté une résolution tendant à la révision des traités à la suite de la Conférence sur l'avenir de l'Europe de mai 2022. Il s'agit de consolider l'Union européenne et de donner la parole aux citoyens, sur dix-sept thématiques.
Ainsi du droit d'initiative du Parlement européen (M. Didier Marie acquiesce), une Commission européenne réduite à quinze membres et respectueuse des équilibres géographiques et démographiques, le passage à des votes à la majorité qualifiée, notamment pour la politique étrangère.
M. Didier Marie. - Très bien !
Mme Brigitte Devésa. - On lit aussi une proposition de compétence exclusive de l'Union européenne en matière d'environnement, et une défense européenne avec une force de déploiement rapide.
La résolution promeut une éducation qui défende les valeurs démocratiques, l'État de droit, les traditions régionales et la mobilité des travailleurs.
La résolution propose aussi une politique renforcée de l'immigration et de la santé.
Toutefois, elle n'a été votée qu'à 291 voix contre 274. Elle amorce une forme de fédéralisme européen, pour la deuxième fois après juin 2022. Pour une telle réforme, il faut un examen par le Conseil européen - cela ne semble pas prévu. Cette résolution est-elle un signe de future révision des traités ? (M. Didier Marie acquiesce.)
Il faut un débat. La résolution suscite bien des réactions, notamment sur de potentielles atteintes à la souveraineté des États et sur la remise en cause du sacro-saint principe du vote à l'unanimité. Une réforme des traités est cependant nécessaire, huit États étant candidats à l'adhésion.
La guerre en Ukraine a bouleversé le fonctionnement de l'Union européenne. Mais, comme le disait Jean Monnet, l'Europe se fera dans les crises. Nous allons vers un élargissement au temps long, car la révision des traités se fait sur plusieurs années, d'autant que certains États y sont hostiles.
Jean-François Rapin et Muriel Jourda, l'année dernière, ont rendu un rapport sur la Conférence sur l'avenir de l'Europe, soulignant la souplesse institutionnelle des traités. Ainsi de la composition de la Commission européenne ou de l'article 352 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). L'article 122 permet des mesures temporaires, prises à la majorité qualifiée, notamment en matière de fiscalité.
Sur la forme, les Français s'exprimeront-ils par référendum sur l'élargissement ? À qui l'Union européenne doit-elle s'ouvrir ?
Mme Audrey Linkenheld . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Au croisement des questions extérieures et intérieures, je souhaite parler de cybersécurité. Corapporteure de la proposition de résolution européenne sur la cybersolidarité, je souligne le besoin de champions européens. Cela vaut aussi pour les autres défis économiques et climatiques.
Le groupe SER pense que ce Conseil européen doit renforcer la solidarité et la coopération industrielle. Or les discussions sur le CFP et le PSC ne semblent pas aller en ce sens. Nous demandons un fonds de souveraineté d'ampleur, face aux besoins colossaux d'une transition juste. Face à l'Inflation Reduction Act (IRA) américain, l'Europe mérite mieux que les fonds de tiroir de la plateforme Step. Sans champion, comment accélérer la transition énergétique et assurer notre autonomie en la matière ?
J'en viens au PSC : des plus libéraux aux plus interventionnistes, chacun convient qu'il est obsolète. Nous saluons l'intégration des investissements de transition, mais il faudrait les exclure complètement du calcul, car la souveraineté climatique est prioritaire. La lutte contre le réchauffement climatique se prolongera bien au-delà de 2027...
Par ailleurs, derrière les réformes structurelles demandées, on trouve moins la taxation du capital que la réduction de la protection sociale, à l'encontre de la raison d'être de l'Union européenne : la paix et la justice. Comment la France résoudra-t-elle ce paradoxe européen d'un nouveau pacte favorable aux investissements, mais sans fonds de souveraineté ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Madame Devésa, l'élargissement va de pair avec la réforme de l'Union européenne : celle-ci ne doit pas le suivre - nous avons tenu sur ce point.
Cela prendra du temps : deux, trois ou dix ans. Difficile de le dire actuellement, car l'élargissement est fondé sur le mérite et les progrès réalisés.
En parallèle, nous réformons l'Union européenne, ce qui pose la question des politiques prioritaires. La présidence belge ancrera un processus de travail.
Entretemps, nous pourrons évoluer sur la PESC ou sur la fiscalité, pour lesquels nous sommes favorables à l'adoption de la majorité qualifiée.
En réponse à l'IRA, la présidence belge a demandé à Mario Draghi un rapport pour amender les politiques existantes en vue d'améliorer la compétitivité de l'Union européenne. Celui-ci sera rendu en juin et comprendra des propositions visant à réduire la bureaucratie et à favoriser les investissements stratégiques. Dans l'industrie, ceux-ci passent par les projets importants d'intérêt européen commun (Piiec), dont le cloud.
Il n'est dans l'intérêt de personne de ne pas avancer sur les règles du PESC. La présidence belge reprendra les négociations.
M. Cyril Pellevat . - Le Conseil européen abordera la situation au Proche-Orient, qui inclut le conflit israélo-palestinien et la politique de voisinage de l'Union européenne dans la région. Le compte n'y est pas : l'Union européenne est divisée, comme en témoigne la suspension, annoncée puis démentie, des aides européennes à l'Autorité palestinienne.
Ursula von der Leyen a multiplié les annonces sans consulter le président du Conseil ni les États membres : cette cacophonie sape notre influence.
L'Union européenne a eu tort de se tenir à distance du conflit israélo-palestinien, alors qu'elle disposait de leviers d'action pour peser : elle est le premier donateur à la Palestine et le premier partenaire commercial d'Israël.
La politique de l'Union européenne au Moyen-Orient n'est pas à la hauteur : nous devons avoir une approche globale.
Certes, nous entretenons des relations privilégiées avec certains pays, comme la Jordanie. Mais les échanges avec d'autres sont trop superficiels, fondés sur la coopération bilatérale.
Nous devons renforcer la politique européenne de libre-échange avec les pays du Golfe, à l'image du Royaume-Uni, qui a engagé des négociations avec le Conseil de coopération des États arabes du Golfe (CCEAG).
Il est temps que l'Union européenne ait un discours autonome et cohérent : le conflit israélo-palestinien doit aussi figurer en tête de son agenda diplomatique. Certes, l'instabilité de la région et la souveraineté des États membres ne facilitent pas la tâche, mais l'Union européenne gagnerait à définir une politique commune, complémentaire des États membres. Sinon, elle restera un simple pompier spectateur.
Le Gouvernement partage-t-il cette vision d'une position commune ? Qu'en pensent les autres États membres ? Quels moyens la France mobilisera-t-elle à cette fin ?
M. Alain Cadec . - Quel bonheur de passer en dernier ! (Sourires)
L'ordre du jour de ce Conseil européen sera extrêmement chargé. L'Union européenne est à la croisée des chemins tant sur le plan géopolitique que pour son fonctionnement interne. Elle doit revoir ses priorités, préserver sa sécurité et assurer la pérennité de son modèle.
Les défis sont existentiels : l'Union européenne et la France doivent faire entendre leur voix en défendant une position d'apaisement, pour éviter que les violences au Moyen-Orient ne se répercutent dans nos sociétés, en accentuant les fragmentations.
L'Union européenne doit renforcer sa défense et sa sécurité - menacées par la Russie -, tout en faisant face à un possible désengagement des États-Unis sur le continent.
Mais c'est sans doute l'aide à l'Ukraine et son avenir européen qui seront au coeur des discussions, vu le risque d'un blocage hongrois. Mon propos pourra paraître iconoclaste : on présente l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne comme quelque chose qui va de soi et contre laquelle ne se positionneraient que des dirigeants infréquentables, comme le serait Viktor Orbán.
Je m'interroge : à quelques mois des élections européennes, pensez-vous que notre opinion publique soit réellement favorable à un élargissement en général, et à l'Ukraine en particulier ? Nombre de nos compatriotes estiment que l'élargissement de 2004 a plus affaibli que renforcé l'Union européenne. (Mme Audrey Linkenheld hoche la tête.)
L'élargissement effraie, car les institutions européennes ne sont pas conçues pour fonctionner à trente pays. Il faudrait réviser les traités.
Sur l'Ukraine, les inquiétudes sont multiples : voulons-nous étendre les frontières européennes avec la Russie, sur des zones contestées ? Le pays, qui souffre de corruption endémique, répond-il aux conditions des traités ? De plus, l'intégration de cette grande puissance agricole serait dévastatrice pour la PAC.
Si le soutien militaire et économique à l'Ukraine recueille un large assentiment, il n'en va pas de même pour son adhésion à l'Union européenne. Avant de penser aux objections de Viktor Orbán, commencez par vous préoccuper de celles de nos concitoyens. Les formations politiques favorables à l'élargissement devront l'assumer clairement lors de la campagne électorale du printemps prochain. (M. Jean-François Rapin applaudit.)
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Monsieur Cadec, il s'agit de soutenir l'Ukraine dans la durée. L'ouverture des négociations d'adhésion est aussi un signal lancé à la Russie. Nous ne pouvons répéter les erreurs de 2008 et 2014. Vous avez raison, nous devons réviser nos priorités : cela prendra du temps, car nous ne sommes pas prêts pour intégrer de nouveaux pays.
Monsieur Pellevat, nous oeuvrons à des positions communes, car nous sommes plus forts ensemble. L'Union européenne travaille au renforcement de son partenariat avec les pays du CCEAG. En juin 2023, elle a nommé un envoyé spécial pour les relations avec les pays du Golfe, Luigi di Maio. Le changement climatique, le renforcement du partenariat commercial et l'approvisionnement énergétique figurent, entre autres, au coeur de la feuille de route.
Lors de la 27e réunion interministérielle UE-CCEAG de Mascate, au cours de laquelle la France a été représentée par Olivier Becht, un dialogue renforcé sur la sécurité régionale a été annoncé. Une première réunion sur la sécurité régionale entre nos pays aura lieu à Riyad le 24 janvier.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - Je remercie tous les collègues présents, ainsi que la ministre qui s'est pliée à ce nouvel exercice. Nous verrons avec le Bureau si les ajustements retenus lui conviennent également. J'espère que notre dialogue a été plus dynamique.
La Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac) n'est pas le Conseil européen. Avec Didier Marie et Claude Kern, nous revenons de celle de Madrid. L'essentiel du débat a porté sur le conflit israélo-palestinien. Nous sommes préoccupés par les vies humaines, d'un côté comme de l'autre. On ne peut que condamner l'attaque indescriptible du Hamas, et comprendre aussi que le peuple palestinien souffre.
Nous espérons que tout le monde sortira du Conseil européen la tête haute.
Nous nous sommes sentis relativement seuls sur le Mercosur, en France, hormis les Pays-Bas, les Belges, les Autrichiens nous dit-on. (Mme Laurence Boone le confirme.)
L'épisode est bouclé. Nous en débattrons au Sénat courant janvier sur une proposition de résolution que j'ai déposée avec Sophie Primas.
Les questions financières commencent à nous inquiéter. Lorsque je suis devenu président de la commission des affaires européennes, c'était une question traditionnelle. Elle est à creuser davantage, désormais. J'en ai parlé hier à Bruno Le Maire. Nous subissons une inflation budgétaire que nous avons l'impression de ne pas maîtriser. Dans quelque temps, des interrogations sur la contribution de la France au budget de l'Union européenne se feront jour, si nous n'avançons pas sur les ressources propres - c'est une conviction que j'ai chevillée au corps. On peut parler de pacte de stabilité, mais aussi du budget.
La Belgique prendra prochainement la présidence de l'Union européenne. Contrairement à ce qui se pratique actuellement, nous lui indiquerons que notre préférence va aux directives, plutôt qu'aux règlements, qui nuisent à notre souveraineté. (M. Didier Marie renchérit.)
Prochaine séance demain, jeudi 14 décembre 2023, à 10 h 30.
La séance est levée à 23 h 20.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du jeudi 14 décembre 2023
Séance publique
De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures, et à l'issue de l'espace réservé au groupe RDPI et au plus tard de 16 heures à 20 heures
Présidence : Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente Mme Sylvie Robert, vice-présidente
Secrétaires : Mme Sonia de La Provôté, M. Mickaël Vallet
1. Proposition de loi tendant à tenir compte de la capacité contributive des collectivités territoriales dans l'attribution des subventions et dotations destinées aux investissements relatifs à la transition écologique des bâtiments scolaires, présentée par Mme Nadège Havet et plusieurs de ses collègues (procédure accélérée) (texte de la commission, n°164, 2023-2024)
2. Débat sur le thème : « Comment le Gouvernement compte-t-il appliquer au plus vite les mesures du Comité Interministériel des Outre?mer ? »
3. Proposition de loi organique visant à rétablir la réserve parlementaire en faveur des communes rurales et des associations, présentée par M. Hervé Maurey, Mme Dominique Vérien et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission, n°167, 2023-2024)
4. Proposition de loi relative aux droits de l'enfant à entretenir régulièrement des relations personnelles avec ses parents en cas de séparation de ces derniers, présentée par Mme Élisabeth Doineau et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°177, 2023-2024)
En outre, à 14 h 30 :
Désignation des 19 membres de la commission d'enquête portant sur les moyens mobilisés et mobilisables par l'État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France (droit de tirage du Groupe Écologiste - Solidarités et Territoires)