Allocution de M. le président du Sénat
M. le président. - Merci, monsieur le doyen, pour vos propos et votre réflexion sur la démocratie et le Parlement, sur la dimension sociétale et sociale de notre action, et pour votre métaphore maritime.
Je remercie les secrétaires du bureau d'âge, fonction éphémère que j'ai connue, voilà quelques années. (Sourires)
Je souhaite la bienvenue à nos nouveaux collègues, qui deviennent héritiers et porteurs du bicamérisme. Du Conseil des Anciens de 1795 au Sénat d'aujourd'hui, voilà près de 230 années où notre pays n'a connu que trois périodes sans deux assemblées parlementaires : la Convention, qui a débouché sur la Terreur, la IIe République, qui, après des débuts remplis d'espérance, s'est terminée par un coup d'État, et enfin l'État français, période particulièrement noire où le Parlement et la République avaient disparu. Le bicamérisme est indispensable à notre démocratie parlementaire. (Applaudissements)
Je pense avec gratitude à celles et ceux qui ne siègent plus parmi nous aujourd'hui. Ils ont apporté au Sénat et au pays.
Je remercie sincèrement celles et ceux qui m'ont témoigné leur confiance. Je m'engage à présider notre Assemblée avec la légitimité que me donne la majorité, mais aussi dans le respect de la diversité de vos sensibilités. Je vous propose de n'avoir pour boussole que l'intérêt de notre pays et de poursuivre la construction du Sénat de demain.
Je salue sincèrement Patrick Kanner, Cécile Cukierman et Guillaume Gontard, qui ont témoigné de la pluralité de notre assemblée. Je serai, comme hier, très attentif au respect des groupes minoritaires et d'opposition, comme d'ailleurs à chaque groupe politique et à chaque sénateur où qu'il siège.
Oui, il existe une manière particulière au Sénat d'exercer la fonction parlementaire. Être sénatrice ou sénateur, c'est faire vivre la démocratie, être au service de la République et des citoyens. Quand 62 % des Français jugent que le Sénat joue un rôle important dans la vie politique française, on mesure le chemin parcouru depuis neuf ans. Nous incarnons plus que jamais ce pôle de stabilité, ce point d'équilibre : le Sénat est plus que jamais au coeur de notre vie démocratique.
Être sénatrice ou sénateur, c'est être autonome, libre et indépendant, se respecter les uns les autres, donner le visage d'une assemblée où l'on débat, on propose, parfois on s'oppose, mais jamais dans le mépris, l'invective ou la violence.
Il y a une façon sénatoriale de faire de la politique : avec sérieux, calme et détermination. C'est la bonne méthode pour recoudre un pays fracturé, sans craindre de dire la vérité, même si elle dérange, en ne reculant jamais devant l'obstacle.
Fort de ces principes, il nous faut imaginer et construire ensemble le Sénat de demain pour mieux répondre aux attentes de nos concitoyens et des territoires, pour retrouver la confiance. Notre pays qui souffre, qui doute, a besoin d'une assemblée attentive, presque affective vis-à-vis de nos compatriotes.
Ces dernières années, j'ai sillonné le pays et rencontré nombre d'élus locaux et d'acteurs économiques et sociaux. Nous traversons une crise profonde : aggravation des fractures territoriales, montée de l'abstention et des votes contestataires, dégradation de nos services publics et de la présence médicale, envolée de la dette et des déficits, montée des violences et des émeutes urbaines, inquiétude face à l'inflation, au défi climatique ; nous l'avons tous ressenti pendant la campagne électorale que nous venons de vivre. Il nous faudra rompre avec cette spirale du déclin. Le Sénat devra y prendre toute sa part.
Tel est le sens du projet pour les trois années à venir que j'ai adressé à chacun d'entre vous.
D'abord, notre mission constitutionnelle. Par deux fois, en 2017 et en 2022, le Président de la République a annoncé son intention de procéder à une réforme des institutions. J'ai souhaité à chaque fois que le Sénat soit en anticipation. Notre groupe de travail transpartisan se réunit depuis novembre 2022 et formulera des propositions d'ici la fin de l'année. Nous sommes prêts à envisager toute réforme qui améliorerait le fonctionnement de notre démocratie, si elle permet de recoudre le pays, de retrouver la confiance. Mais je le redis : on ne modifie pas la Constitution en fonction des pulsions du moment ! (Applaudissements)
Ces trois dernières années, à travers notre mission de législateur, nous avons défendu les prérogatives du Parlement face à toutes les tentatives de contournement, nous avons lutté contre le recours excessif aux ordonnances. La loi, pour retrouver sa force, doit obéir à quelques principes : simplicité, lisibilité, efficacité et subsidiarité. Il nous faut donc moins légiférer pour mieux légiférer. Cela vaut tant pour nous que pour l'exécutif. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP) Trop de lois ne sont jamais appliquées - ou sont inefficaces. L'annonce d'un projet de loi est trop souvent devenue un outil de communication. (Marques d'assentiment) Méfions-nous des lois de pulsion, à l'origine d'une inflation législative qu'il faut combattre.
Notre mission de contrôle est essentielle au contre-pouvoir que nous incarnons. Nous avons été fidèles à l'Esprit des lois de Montesquieu et à l'article XV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». C'est ce que nous avons fait ; c'est ce que nous ferons !
Enfin, nous portons la voix des territoires, convaincus que la gouvernance verticale, la suradministration et l'hyperconcentration du pouvoir sont en partie à l'origine des maux dont souffre le pays. Nous devons remettre les maires au coeur de la décision, gérer en proximité et imposer un nouveau souffle de la décentralisation. Mais une décentralisation forte suppose un État territorial fort. Communes, départements, régions, nos collectivités ont besoin de plus de libertés. Nous devrons trouver un juste équilibre entre différenciation et unité de la République.
Le 6 juillet dernier, quinze propositions pour « rendre aux élus le pouvoir d'agir » ont été remises au Président de la République et à la Première ministre : simplification, autonomie fiscale et financière, statut de l'élu, relation entre les services de l'État et les maires, logement, entre autres sujets. C'est une main tendue loyalement et concrètement par le Sénat à l'exécutif : je souhaite qu'il la saisisse. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, ainsi que du RDSE)
En raison de l'absence de majorité à l'Assemblée nationale, le Sénat a un rôle essentiel dans le fonctionnement de nos institutions. Il est le point d'équilibre d'une démocratie à la peine ; une assemblée qui assume ses différences et résiste à la désinformation parfois alarmante et à la justice expéditive des réseaux sociaux.
Michel Debré l'anticipait déjà, le 27 août 1958 : « Il est facile de comprendre pourquoi il faut à la France une puissante deuxième chambre : notre régime électoral peut nous empêcher de connaître les majorités cohérentes qui assurent, sans règles détaillées, la bonne marche du régime parlementaire ». Nous assumons aujourd'hui une responsabilité supplémentaire - pour la première fois depuis 1958.
La démocratie représentative est fragile, il faut en prendre soin. Attention à l'image que nous projetons. Faisons-la vivre en étant ouverts, disponibles, à l'écoute, soyons attentifs au pouls de la société.
À l'extérieur du pays naît un doute sur le rôle et le rang de la France dans le monde. Nos compatriotes établis hors de France méritent attention et solidarité - je pense à ce que nous vivons en Afrique.
Soyons attentifs aux puissances nouvelles qui émergent en Afrique et en Indopacifique, qui bouleversent des équilibres qui semblaient durablement installés. Nous devons faire face à de nouveaux défis : crise migratoire, crise climatique - vastes champs pour lesquels la démocratie, et surtout la diplomatie, parlementaires peuvent être utiles. En ce jour, j'ai une pensée toute particulière et solidaire pour l'Arménie et les Arméniens, qui se sentent une nouvelle fois bien seuls. (Applaudissements nourris et prolongés sur toutes les travées)
Ensemble, nous allons vivre trois années d'engagement au service des Français et de la République. Le Sénat aura une responsabilité particulière pour mobiliser les forces vives de notre pays et faire vivre la démocratie. Nous devrons rester l'assemblée du débat apaisé ; une assemblée responsable face aux défis, mais intransigeante quant aux intérêts de la France. C'est ainsi que nous réussirons à rassembler les Français pour retrouver le sentiment d'appartenance à la nation.
Nous devons retrouver confiance et espérance. Participons ensemble à cette ambition collective.
Notre responsabilité est grande. Assumons-la dans la diversité que nous représentons, en métropole et dans les outre-mer. Nous connaissons notre cap, cher doyen : l'intérêt de la France, pour que vive le Sénat, vive la République et vive la France ! (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre délégué, se lèvent et applaudissent longuement.)