Programmation militaire pour les années 2024 à 2030 (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.
M. Christian Cambon, rapporteur pour le Sénat de la CMP . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, du RDPI, du RDSE et du groupe SER) Nos soldats font admirablement leur devoir, et c'est pour eux que nous sommes réunis : je leur rends un hommage solennel.
Pour le Gouvernement, faire son devoir, c'était donner les moyens à nos armées de remplir leurs missions. Ce projet de loi de programmation militaire (LMP) marque la remontée des crédits et des effectifs pour nos armées : monsieur le ministre, nous vous en donnons acte et vous en remercions.
Pour le Parlement, faire son devoir, c'était soutenir cet effort en lui donnant l'assise démocratique la plus large possible, mais aussi en dissipant certains flous, grâce à un travail approfondi. Je salue les membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et les rapporteurs pour avis des commissions des finances et des lois, ainsi que le président Thomas Gassilloud et le député Jean-Michel Jacques, avec qui nous avons échangé de manière constructive. Nous avons ainsi obtenu un consensus très large des groupes politiques.
Je vous remercie, monsieur le ministre, et je salue les efforts de la Première ministre pour lever certains obstacles. Les échanges ont été francs et directs, dans un esprit constructif et exigeant.
Le Sénat a enrichi le texte, sur la trajectoire financière tout d'abord : elle accélère, avec 2,3 milliards d'euros de plus inscrits sur 2024-2027.
Sur le contrôle parlementaire, ensuite : l'actualisation ne passera que par la loi - nous ne voulons pas revivre l'épisode de 2021 -, et nous avons obtenu une amélioration de l'information dans le domaine capacitaire. La délégation parlementaire au renseignement (DPR) voit ses compétences étendues. Cependant, monsieur le ministre, nous attendons de travailler avec vous sur la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Quant au contrôle des exportations, nous saluons le geste du Gouvernement.
Sur le financement des entreprises de défense, enfin : une partie de la ressource du livret A y sera affectée, fruit d'un compromis avec les députés. C'est une première étape, il faudra aller plus loin.
Nos armées attendaient cette loi de programmation, la nation en a besoin. Je vous invite à adopter les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, du RDPI, du RDSE et du groupe SER)
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Je quitte à l'instant les familles des morts pour la France, rassemblées autour de nous à l'hôtel de Brienne.
M. Christian Cambon, rapporteur. - Nous allons les recevoir au Sénat.
M. Sébastien Lecornu, ministre. - En cet instant si important, j'ai une pensée pour les femmes et hommes qui ont fait le choix de l'engagement.
Tous les cinq à sept ans, le Parlement fixe un cap à notre défense nationale et à nos armées. La nation prend alors la mesure du rôle fondamental que jouent nos militaires pour notre sécurité et notre prospérité. Les puissances étrangères, nos alliés, mais aussi nos compétiteurs nous observent et prennent acte de la puissance de notre République.
L'histoire militaire française est singulière, le contexte mondial l'est tout autant. Les sujets militaires ne sont toujours pas consensuels, même si un seul des quatorze précédents projets de loi de programmation militaire n'a pas été voté, en 1992. Le Sénat avait d'ailleurs rejeté le premier, en 1960.
Ce sont bien des sujets politiques. Des modèles s'affrontent : alliances, dissuasion, emploi des forces. Je suis honoré d'avoir mené ces débats avec les deux chambres, éclairage salutaire sur les positions de chaque groupe.
En grande majorité, nous nous retrouvons sur les fondamentaux. Toutefois, ici, et davantage à l'Assemblée nationale, le débat révèle des visions du monde irréconciliables, malgré certaines clarifications inédites et bienvenues. Ainsi, certaines tendances politiques restent floues sur notre modèle d'alliances et sur le rôle de notre dissuasion nucléaire.
Certaines critiques sont à entendre, mais les contre-propositions crédibles manquent, sur des sujets aussi essentiels que nos alliances bilatérales et multilatérales ou sur le bilan objectif de notre action, par exemple en Afrique.
Le Gouvernement réaffirme sa ligne de conduite en matière d'industrie de défense : privilégier les intérêts de la France. Je me suis engagé, monsieur Cambon, à revenir devant vous à chaque nouvelle phase des programmes comme le Scaf (Système de combat aérien du futur) ou le MGCS (Main Ground Combat System). Je m'engage également à débattre avec vous de la dissuasion nucléaire, si vous le souhaitez.
L'adhésion majoritaire du Sénat à notre modèle d'armée a concentré le débat sur sa dimension budgétaire - j'y vois une vertu du bicamérisme. J'ai entendu votre demande, qui consistait à amplifier l'effort en première période. Désormais, nous avons moins besoin d'un débat d'experts que d'un débat populaire.
Le Parlement a trouvé toute sa place dans la discussion. Le débat sur l'exécution de la LPM, avant chaque loi de finances, est un renforcement historique du contrôle parlementaire. Le Parlement s'assurera de l'adaptation des choix du passé aux menaces : trop souvent, l'observance stricte de la programmation nous donne un temps de retard - le précédent des drones ne peut être répété.
Le succès de la LPM tient à une forme de responsabilité budgétaire, au service d'une ambition militaire crédible : il nous faut des capacités concrètes, adaptées aux menaces actuelles et futures. Le compromis trouvé répond au besoin de cohérence d'une armée d'emploi, qui fidélise et entraîne davantage ses forces dans la durée. Je remercie Christian Cambon pour un dialogue franc et constructif, ferme et fiable. C'est précieux. Le Parlement, en CMP, a amplifié les moyens en début de période sans alourdir la facture globale.
Cette LPM n'est pas un aboutissement. Elle est le fruit de l'ambition du Président de la République, chef des armées, de réparer et transformer notre armée, dès 2017. Désormais, il faudra débattre de nouveaux sujets, comme la réarticulation de notre politique en Afrique. J'entends aussi l'appel de Rachid Temal à approfondir nos échanges sur l'Otan - je suis disponible. (M. Rachid Temal et Mme Marie-Arlette Carlotti s'en félicitent.)
Le contrôle démocratique sur nos services de renseignement devra faire l'objet de nouvelles discussions ; idem pour les exportations. Cela étant, il ne faut pas compromettre nos opérations ou menacer la sécurité de nos agents, à qui je rends hommage. (M. Pascal Allizard abonde.)
Le Parlement s'est aussi largement emparé du sujet du financement des entreprises de notre base industrielle et technologique de défense (BITD), en particulier des PME et ETI.
Sur les ressources humaines, tout est dans l'exécution ; le Parlement devra être associé.
Enfin, nous devons à nos concitoyens ultramarins de prendre au sérieux les enjeux des outre-mer.
Humblement, mais de manière engagée, ce fut un honneur pour moi de défendre cette nouvelle LPM. Nous nous sommes livrés à un exercice sans tabou, pour offrir à nos soldats et à nos concitoyens un débat à la hauteur des défis, dans la continuité de notre histoire, en lien avec les anciens combattants comme avec la jeunesse. Ce débat collectif a prouvé que la démocratie est efficace pour nous armer, quand tant d'autres vantent un modèle autoritaire.
Que cette LPM soit féconde pour le succès de nos armées et de la France ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et SER, du RDPI et du RDSE)
M. Jean-Noël Guérini . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI) Malgré les difficiles négociations en amont de la CMP, je garde en mémoire les 314 voix exprimées en faveur de ce projet de loi de programmation, qui sont au diapason des attentes de nos militaires et révélatrices du consensus républicain autour de cet effort budgétaire de 413 milliards d'euros.
Il nous appartient désormais de veiller au respect des engagements. Je regrette que la CMP ait amputé des mesures proposées par le Sénat, comme la création d'une commission de vérification des exportations d'armement au sein de la DPR, remplacée par un dispositif flou.
Exit le livret souveraineté, qui ne serait pas, selon le ministère des finances, de nature à financer la BITD. Quant à déshabiller le livret A en pleine crise du logement, je vous dis : bravo, mais pas merci... Exit aussi le contrôle renforcé des techniques de renseignement. Exit encore nos demandes de matériels supplémentaires.
Cependant, je salue la progression régulière des crédits, conformément aux demandes de notre commission. Pour paraphraser M. Cambon, ce compromis répond à l'effet d'accélération demandé par nos armées, pour atteindre 67 milliards d'euros en 2030.
La CMP confirme une meilleure information du Parlement sur le soutien à l'Ukraine et retient des mesures mémorielles bienvenues, notamment un assouplissement des critères d'attribution de la mention « mort pour la France ».
Malgré des réserves, le RDSE, en responsabilité, estime que la LPM n'est pas qu'une farandole de chiffres : elle défend nos armées. Nous la voterons. (Applaudissements des travées du groupe Les Républicains jusqu'aux travées du RDPI)
M. Pascal Allizard . - Comme législateurs, nous savons que toutes les lois sont importantes, mais certaines le sont plus que d'autres. Ainsi, la LPM touche à l'essentiel ; elle est un socle sur lequel repose la vocation première de l'État : protéger les Français.
Ce texte clôt un cycle de sept mois. Notre commission, avec celles des lois et des finances, a oeuvré pour l'enrichir. Nous sommes allés au fond des choses, afin de produire un texte crédible et opérationnel pour les armées françaises, très sollicitées en Opex depuis quelques années.
L'accord trouvé en CMP est une bonne nouvelle. La plupart des orientations retenues par le Sénat ont été conservées. En particulier, le Sénat a obtenu que l'effort soit rehaussé dès l'année prochaine, avec 2,3 milliards d'euros supplémentaires mobilisés d'ici à 2027. C'était fondamental face aux menaces grandissantes, mais aussi à l'inflation - dépenser un peu plus vite, c'est économiser sur la totalité de la période.
Le renforcement du contrôle du Parlement rappelle que la défense est l'affaire de tous.
Le texte tient compte des difficultés de financement des entreprises de la BITD, notamment des PME et des ETI, tout comme des contraintes normatives. Nous devons absolument préserver un outil industriel performant pour ne pas devenir captifs de l'industrie américaine.
La création d'un environnement plus favorable pour les banques et les investisseurs se met en place. Le fléchage d'une partie du livret A vers les entreprises de la défense est une première étape - un bilan est prévu dans trois ans. Nous améliorons aussi la visibilité des entreprises sur les commandes.
Dans le nouvel ordre mondial, la France doit conserver un rôle de premier plan. La modernisation de notre dissuasion y concourt. Les conflits de haute intensité ou hybrides requerront plus d'agilité, mais aussi plus de moyens ; le Sénat a contribué à faire mieux dans ce domaine.
Le groupe Les Républicains votera cette LPM, jalon important sur le chemin de la restauration des armes de la France. Nous devrons rester vigilants sur son exécution. Nous devons cette exigence aux Français, ainsi qu'à tous ceux qui s'engagent pour défendre notre pays. En cette veille de 14 juillet, nous avons pour eux une pensée fraternelle et respectueuse. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que du RDPI et du RDSE)
M. Emmanuel Capus . - Foch disait : « Un homme sans mémoire est un homme sans vie ; un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir ». La France sait que la sécurité n'est pas donnée, mais doit être acquise. Certains refusaient de voir qu'une prospérité sans défense ne protégeait pas des agressions. L'invasion russe de l'Ukraine marque la fin des illusions - le réveil est douloureux pour les Européens.
À moins de 3 000 kilomètres de Paris, deux armées modernes s'affrontent. La France doit désormais faire face à une menace de haute intensité. La guerre est de retour sur notre continent : 300 000 soldats auraient été mis hors de combat, 100 000 Russes et 200 000 Ukrainiens.
Changement de paradigme : la Russie a perdu 2 000 chars, la France en a 200 en tout et pour tout... Les femmes et hommes de nos armées ont cependant toujours réussi à remplir les missions délicates qui leur ont été confiées. Je leur rends hommage et salue la mémoire de ceux qui sont tombés.
Les menaces hybrides, émanant d'États comme d'acteurs asymétriques, nous imposent une massification et une montée en gamme. La trajectoire financière de la programmation a été renforcée en CMP, le contexte géopolitique imposait d'accélérer le calendrier. La dissuasion nucléaire est la clé de voûte de notre sécurité stratégique, elle doit être maintenue au plus haut niveau capacitaire.
Nos entreprises de la BITD ont besoin de commandes et doivent pouvoir exporter. Pour être souverains, les Européens doivent acheter européens. Nous nous réjouissons qu'une fraction du livret A soit fléchée vers nos entreprises de défense.
D'ici à 2030, les effectifs globaux seront portés à 275 000 et ceux de la réserve opérationnelle à 80 000, ce qui représente un coût élevé.
« L'État pourrait être efficace dans la police et la justice, s'il ne s'occupait pas de mille préoccupations accessoires », disait Frédéric Bastiat. Il en va de même de nos armées. Nous devrons y veiller. (Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudit.)
M. Guillaume Gontard . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Nous saluons les avancées obtenues, notamment en matière de contrôle parlementaire sur ce domaine réservé de l'exécutif, véritable incongruité démocratique. Le Parlement se prononcera sur l'actualisation de programmation en 2027, et un Livre blanc préparera la prochaine. Nous regrettons cependant que la CMP ait amputé les compétences de la commission parlementaire de contrôle des exportations d'armes, qui devient une simple commission d'évaluation : c'est un net recul par rapport à l'ambition première du Sénat.
Cette LPM demande un effort budgétaire important à la nation : 118 milliards d'euros supplémentaires. Le président du Haut Conseil des finances publiques souligne les incertitudes sur le financement d'une partie des ressources extrabudgétaires : nous ne sommes pas rassurés.
Enfermé dans son dogmatisme, le Gouvernement refuse de faire contribuer les plus aisés à l'effort national et promet un retour du déficit public à 3 % à la fin du quinquennat. Nous ne savons toujours pas comment vous financerez cette LPM. Les crédits d'autres politiques publiques tout aussi essentielles seront amputés : les défis climatiques sont trop nombreux pour que nous laissions filer nos dépenses militaires.
Cette programmation ne répond que partiellement aux besoins, notamment à ceux de notre armée de terre. La France maintient un modèle d'armée globale reposant sur une dissuasion très coûteuse et inadaptée.
En refusant d'établir des priorités, le Gouvernement expose le pays à un double risque : échantillonnage des moyens ou augmentation exponentielle des dépenses dans les prochaines décennies. Pour nous, notre armée doit être rationalisée et intégrée à l'échelle européenne.
Si la LPM reste peu diserte sur plusieurs sujets, nous nous réjouissons de certaines avancées obtenues par les groupes écologistes des deux chambres : amélioration de l'inclusivité et de la mixité dans nos armées, affirmation de quelques ambitions en matière de transition énergétique, rappel de nos engagements de non-prolifération.
Dans l'ensemble, nous saluons le travail parlementaire sur ce texte et vous remercions, monsieur le ministre, pour nos échanges constructifs. (M. Sébastien Lecornu remercie à son tour l'orateur.) Il y a un an, nous étions en droit de croire que tous les textes législatifs de la mandature, sans majorité absolue, seraient examinés de la sorte... Néanmoins, étant donné nos réserves, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Ludovic Haye . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Avec Nicole Duranton, que j'associe à mon intervention, je salue nos militaires en cette veille de Fête nationale : nous les remercions pour leur altruisme, leur professionnalisme et leur abnégation au service de notre protection.
Ce texte sert la souveraineté de la France et marquera notre politique de défense pour les sept prochaines années.
Dès 2017, le Président de la République a engagé une politique de rupture pour mettre un terme à plusieurs décennies de diminution de nos capacités militaires. Alors que la grammaire de la force fait son retour dans les relations internationales, la France devait renouer avec la grammaire de la puissance, renforcer ses moyens pour garantir son autonomie stratégique, assurer ses engagements envers l'Otan et l'Union européenne et s'affirmer comme puissance d'équilibre.
À l'horizon 2030, nous visons un modèle d'armée complet et équilibré, apte à répondre à des menaces protéiformes. Nous passons d'une loi de réparation à une loi de transformation de nos capacités de défense. L'excellence française doit reprendre toute sa place dans le monde.
Cette LPM prévoit un effort particulier pour l'outre-mer, de 13 milliards d'euros : notre groupe y est sensible. Nos forces de souveraineté bénéficieront d'un effort sur le plan capacitaire, afin de décourager toute tentative de déstabilisation ou de prédation.
Je salue l'exemplarité des travaux menés par nos deux chambres et remercie l'ensemble de nos collègues. Le travail parlementaire sur ce texte fera date. La concorde et l'écoute ont été les maîtres mots en CMP. Je salue le dialogue constructif avec le ministre des armées.
La CMP a acté une accélération des investissements sur les quatre premières années et trouvé un accord sur les augmentations annuelles, avec 2,3 milliards d'euros redéployés sur les années 2027-2030.
Cette LPM envoie le message clair d'une France qui répond aux besoins de transformation de ses armées, qui souhaite avancer sans s'interdire d'ambitieux programmes de coopération.
Je vous invite à voter ce texte. Il y va de la grandeur de la France. Un grand homme nous a appris qu'une seule attitude nous est permise : viser haut et se tenir droit. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE, des groupes INDEP et UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Rachid Temal . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le groupe SER votera ce texte avec satisfaction et exigence. La LPM a été un exemple de coconstruction avec les deux chambres - puissent d'autres ministres s'en inspirer...
La CMP a retenu de nombreux apports du Sénat, portés notamment par notre groupe. Ainsi, il était important de commencer par définir les objectifs de cette LPM, tout en gardant une certaine souplesse. Sur le plan financier, nous étions satisfaits des 400 plus 13 milliards d'euros. Nous nous réjouissons que la « bosse » prévue pour 2027-2030 ait été ramenée à 2023-2027. Ces sommes supplémentaires devront aller à l'entraînement, à la fidélisation des postes et à l'entretien du matériel.
De même, nous nous satisfaisons des mesures visant à améliorer la vie de nos troupes, notamment sur le plan indiciaire.
La précédente LPM faisait l'impasse sur le contrôle parlementaire. Nous saluons donc le principe d'un bilan et d'un Livre blanc, ou kaki pour ceux qui préfèrent, pour préparer la prochaine LPM. C'est un élément important du lien armées-nation.
Le groupe SER se réjouit également que le principe d'une évaluation des ventes d'armes ait été conservé, sous la forme d'une commission parlementaire. Nous soutenons notre industrie de défense et souhaitons que la France conserve son rang, voire progresse en la matière, mais il est essentiel que le débat démocratique ait lieu. À cet égard, nous saluons le compromis trouvé : c'est une première.
Comme nous l'avons fait sur la politique de la France en Afrique, il faudra tenir des débats sur l'Otan ou la politique européenne de défense - je pense notamment à l'aide à apporter à nos amis ukrainiens.
Pour conclure, je veux souligner le travail des deux chambres et saluer la méthode du président Cambon, qui a su associer tous les groupes, ainsi que la capacité d'écoute et de discussion « à l'ancienne » du ministre des armées.
Enfin, je rends hommage aux femmes et aux hommes qui composent nos armées et qui, parfois, donnent leur vie pour la France. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDPI, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Pierre Laurent . - C'est donc un projet coécrit par le Gouvernement et la droite sénatoriale qui a été adopté en CMP. Les différends budgétaires ont été résolus, et la CMP a consacré l'augmentation accélérée des dépenses militaires. Au moment où Gabriel Attal annonce un serrage de vis, la LPM prévoit, elle, 48,5 milliards d'euros dès 2024, 69 milliards en 2030 - 413 milliards au total, auxquels s'ajoutent les Opex et les dépenses pour Ukraine. Celles-ci vont durer, le sommet de l'Otan venant de consacrer la perspective d'une guerre longue et coûteuse, au lieu de la recherche de la paix...
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Ce n'est pas l'Otan qui fait la guerre.
M. Pierre Laurent. - Cette LPM s'inscrit dans un contexte d'escalade militaire mondiale qui, loin de réduire l'insécurité collective, la nourrit : surarmement, militarisation des espaces communs...
Malgré l'augmentation des crédits, des paradoxes demeurent dans l'équipement de nos forces. On privilégie la dissuasion nucléaire, avec 54 milliards d'euros supplémentaires, mais l'opacité est totale. Alors que cette stratégie est censée être le socle de notre protection, aucun débat n'a eu lieu sur cette question. Notre proposition d'accéder au statut d'observateur du Traité sur l'interdiction des armes nucléaires (Tian) a été repoussée sans ménagement. Nous avons passé plus de temps à débattre de la tenue des futurs réservistes... Rien non plus sur la promotion de la paix, le désarmement multilatéral ou la stratégie de prévention des conflits ; la ministre des affaires étrangères n'a d'ailleurs pas assisté à nos débats.
Cette LPM consacre aussi un tournant vers une stratégie militaire agressive et totalement otanienne. Le sommet de Vilnius vient de confirmer que les Américains mènent le bal : ce sont eux qui ont annoncé l'accord honteux avec la Turquie pour faire entrer la Suède dans l'Otan, eux qui fixent les calendriers ou la stratégie indopacifique d'hostilité à la Chine. La France en est réduite à jouer les bons élèves, livrant à l'Ukraine des missiles Scalp alors que les États-Unis annoncent la livraison d'armes à sous-munitions, bannies par la convention d'Oslo.
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Quel est le rapport ?
M. Pierre Laurent. - Autre problème, la LPM fait reposer le financement de notre souveraineté industrielle sur l'augmentation des ventes d'armes. Nous faisons ainsi du Premier ministre indien Modi l'invité d'honneur du 14 juillet, après avoir reçu Mohammed ben Salmane. C'est sans doute ce que vous appelez défendre le camp de la démocratie...
Bref, nous avons de nombreuses raisons de voter contre cette LPM, comme nos collègues de l'Assemblée nationale.
Le texte entérine le principe d'un contrôle parlementaire des ventes d'armes, même si son périmètre est insuffisant. Nous entendons réclamer la transparence, car les ventes d'armes ne sauraient être la variable d'ajustement de notre balance commerciale. Plus largement, de nombreuses étapes de contrôle parlementaire sont prévues. Le groupe CRCE y participera activement, car nous entendons rester fortement impliqués dans ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Olivier Cigolotti . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains et du RDPI) Avec cette LPM, il s'agit de préparer un modèle pour nos armées dans un contexte international en profonde mutation. Nous devons moderniser la troisième génération de la dissuasion et renouveler des équipements conventionnels majeurs sans négliger les nouveaux défis technologiques.
La grande majorité des sénateurs partagent l'ambition du Gouvernement de redresser nos capacités et d'en prévoir la transformation. Le texte permet d'importants investissements dans le spatial, les drones, le cyber, le renseignement. Il renouvelle notre arsenal de dissuasion nucléaire, océanique comme aérienne, afin de conserver une capacité d'intervention - ce qui exige dès à présent un budget substantiel. Je salue les 5 milliards d'euros alloués au programme de porte-avions nouvelle génération, qui devrait donner un successeur au Charles-de-Gaulle.
Je salue le travail du Sénat, tant en commission qu'en séance. La CMP a largement repris ses apports, notamment sur le contrôle parlementaire de l'exécution de la programmation, la souplesse dans les marchés publics de défense et de sécurité et l'adoption d'une trajectoire ambitieuse de hausse des effectifs de la réserve opérationnelle.
Cependant, reports de charges et marges frictionnelles ont rendu les discussions difficiles. Les marches d'évolution budgétaire très progressives repoussaient après 2027 la plus forte hausse des dépenses. Le compromis trouvé en CMP répond à la principale demande du Sénat, en actant un effort significatif de 3,3 milliards d'euros dès 2024 et 2025, puis de 3,2 milliards en 2026 et 2027. Cet ajustement est très attendu par nos armées, notamment pour le maintien en condition opérationnelle du matériel et la préparation opérationnelle de nos forces.
Le travail collectif sur cette LPM améliore aussi les conditions de vie du personnel de la défense et des familles, bonifie le statut des réservistes et renforce notre crédibilité stratégique.
Le groupe UC votera ce texte majeur. À la veille du 14 juillet, ayons une pensée pour ceux qui, au quotidien, assurent notre sécurité. Le défilé militaire de cette année mettra à l'honneur les forces morales de la France. C'est un thème porté par toutes les générations, notamment par la jeunesse, qui incarne le présent et l'avenir de nos armées. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains et du RDPI ; M. Rachid Temal et Mme Hélène Conway-Mouret applaudissent également.)
À la demande de la commission et du groupe SER, le projet de loi est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°331 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 330 |
Pour l'adoption | 313 |
Contre | 17 |
Le projet de loi est définitivement adopté.
(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDSE et du RDPI, ainsi que sur quelques travées du groupe SER)
La séance est suspendue quelques instants.