SÉANCE
du mardi 13 juin 2023
98e séance de la session ordinaire 2022-2023
Présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président
Secrétaires : M. Pierre Cuypers, Mme Victoire Jasmin.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 - Ouverture, modernisation et responsabilité du corps judiciaire (Procédure accélérée - Suite)
Mme le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote et les scrutins publics solennels sur le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 et sur le projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire.
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Valérie Létard et M. Martin Lévrier applaudissent également.) Le vote de ces deux textes offre des perspectives réjouissantes : hausse du budget de la justice et réécriture du code de procédure pénale. Nous répondons ainsi à la dégradation d'un service public essentiel à l'État de droit.
Jean-Yves Roux le disait en discussion générale, la détérioration de la justice se résume en des lieux communs : manque de matériel, souffrance et épuisement des personnels, lenteur des procédures, incompréhension des justiciables. Nous ne pourrons bientôt plus compter sur l'abnégation des magistrats et des agents qui les accompagnent.
Depuis plusieurs exercices budgétaires, nous avons réagi. Le budget de la justice pour 2021 était qualifié d'exceptionnel, d'historique, et le mouvement se poursuit.
Les perspectives sont encourageantes, comme en témoigne le rapport annexé : clarification du rôle de la justice au sein de la société, renforcement de la première instance, ouverture sur la société civile, médiation et modes alternatifs de règlement des conflits - objet d'une proposition de loi déposée par Nathalie Delattre le 13 septembre 2021.
Le RDSE se réjouit que les dispositions de la proposition de loi Requier, adoptée en novembre dernier, aient débouché sur l'article 2 bis, qui corrige un oubli lors de la modification du code de procédure pénale par la loi de décembre 2021.
Les lois sur la justice se sont enchaînées ces dernières années. Espérons que ce texte ne suivra pas la même tendance.
L'article 2 habilite le Gouvernement à réécrire le code de procédure pénale, à droit constant.
L'article 3 a fait débat, notamment sur l'activation à distance du micro et de la caméra des appareils électroniques pour les affaires de terrorisme. Notre groupe est conscient des dangers potentiels, mais aussi des avantages de ces techniques ; il y est donc plutôt favorable.
Il n'en va pas de même pour le recours à la visioconférence, qui doit rester consenti et exceptionnel.
Le tribunal des affaires économiques est une bonne piste, comme la création, à l'article 11, du métier d'attaché de justice et la déjudiciarisation des opérations de saisie des rémunérations prévue à l'article 17, qui simplifiera les procédures sans pour autant remettre en cause les garanties du débiteur.
Nous sommes globalement favorables aux dispositions du projet de loi organique, même si nous entendons les inquiétudes des magistrats. Nous saluons les apports de notre commission, comme la voie d'accès au corps judiciaire pour les docteurs en droit.
Le groupe RDSE se partagera entre le vote pour et l'abstention. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Évelyne Perrot applaudit également.)
M. François-Noël Buffet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La justice est notre bien commun. C'est le ministère régalien qui participe le plus à notre vivre-ensemble en permettant le règlement pacifique des conflits. N'oublions pas que la matière civile est trois fois plus importante que la matière pénale, que l'actualité de la télévision est loin de refléter tout ce qui se passe dans nos tribunaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - C'est bien vrai !
M. François-Noël Buffet. - C'est aussi un ministère en grande difficulté. Combien de fois avons-nous entendu déplorer la lenteur de la justice, la non-exécution des peines... Les magistrats s'estiment trop peu nombreux pour faire face aux demandes, tout comme les greffiers.
En 2017, la commission des lois publiait un rapport comportant une série de constats : manque de magistrats, difficultés des greffiers, conditions déplorables de certains lieux de justice, numérisation insuffisante.
En 2018, nous espérions beaucoup de la loi, mais n'avions pas obtenu tout ce que nous souhaitions. Nous avons continué à travailler, notamment sur les tribunaux de commerce et les prud'hommes
En septembre 2021, l'Agora de la justice, réunie à l'initiative du Président du Sénat, a permis d'entendre ceux qui ne parlaient jamais. Puis, après le suicide de l'une de leurs collègues, 7 000 magistrats ont signé une tribune pour dire qu'il n'était plus possible de continuer ainsi. Enfin, les états généraux de la justice, sous la présidence de Jean-Marc Sauvé, ont fait des propositions.
Ce texte ne concrétise pas tous ces travaux, mais je préfère les avancées concrètes aux grands soirs.
L'article 1er, qui comprend le rapport annexé, ne pose pas problème. Les budgets de la justice s'inscriront dans la lignée des précédents et le Parlement pourra mieux contrôler leur exécution.
L'article 2, qui habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance, a crispé d'entrée le Sénat.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - C'est vrai !
M. Antoine Lefèvre. - C'est crispant !
M. François-Noël Buffet. - La commission des lois a souhaité que le Parlement conserve ses capacités de contrôle. Le moment venu, il devra aussi se pencher sur le fond. (M. le garde des sceaux le confirme.)
Le groupe Les Républicains a limité les techniques spéciales d'enquête aux infractions punies de plus de dix ans de prison et non cinq. S'agissant des tribunaux des affaires économiques, la question du seuil des contributions financières devra être réexaminée en CMP.
Le projet de loi organique répond à nos souhaits : ouverture de la magistrature, évaluation et responsabilité des magistrats. Nous devons continuer à travailler sur la formation et l'évaluation. La CMP devra aussi préciser la charte de déontologie des magistrats, introduite par amendement.
À côté des magistrats, n'oublions pas le rôle de l'administration pénitentiaire et de la police : c'est un ensemble. Ce qui compte, c'est l'efficacité et la rapidité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC)
M. Emmanuel Capus . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, où une voix s'exclame : « Excellent ! ») Après des décennies de paupérisation, la justice de notre pays commence à retrouver des couleurs, son budget passant de 8 à 11 milliards d'euros.
Mon groupe salue la détermination et la constance de votre action, monsieur le garde des sceaux. Depuis trop longtemps, les gouvernements successifs ont négligé l'institution judiciaire, pourtant essentielle pour notre État de droit et notre démocratie.
Le manque de moyens a embolisé nos juridictions. En France, en 2022, le nombre de juges par habitant était inférieur de moitié à la moyenne des pays du Conseil de l'Europe ! Avec 10 000 recrutements, ce texte y remédie. De même, 1 800 greffiers et 600 conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) supplémentaires rejoindront les juridictions. Les attachés de justice dégageront un temps précieux pour les magistrats.
Le taux d'occupation des prisons s'élève à 120 % : c'est inacceptable. Des milliers de places supplémentaires seront construites. Les Angevins attendent avec impatience une nouvelle prison. (M. le garde des sceaux sourit.)
M. Bruno Retailleau. - Les Vendéens aussi !
M. Emmanuel Capus. - Nos concitoyens attendent des résultats forts en matière de lutte contre la récidive. Les nouvelles techniques d'enquête, certes intrusives, apportent des bénéfices incontestables ; nous les avons encadrées, comme nous avons fixé les conditions permettant de procéder de nuit aux perquisitions, aux visites domiciliaires et aux saisies de pièces à conviction.
Nous avons amélioré le statut de témoin assisté. Ainsi, nos forces de l'ordre pourront mieux lutter contre la criminalité qui augmente.
Mais ces dispositions alourdissent encore un code de procédure pénale obèse. Face au cancer de l'inflation normative, il est urgent de clarifier et de simplifier la procédure pénale.
En matière civile, le délai de jugement dépasse douze mois. Nous nous réjouissons de l'expérimentation proposée par le Sénat : le tribunal des activités économiques libérera du temps pour les magistrats en confiant certaines affaires aux juges consulaires. Les saisies sur rémunérations seront confiées aux 3 700 commissaires de justice, pour une exécution plus rapide.
Le projet de loi organique renforce l'attractivité du corps judiciaire, mais aussi la responsabilité des magistrats tout en étendant à leur famille la protection dont ils bénéficient.
Championne des prélèvements obligatoires, la France ne dispose plus hélas des meilleurs services publics. Nous devons concentrer les moyens sur les missions régaliennes de l'État, dont la justice. Le groupe Les Indépendants votera ces deux textes. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du RDPI)
M. Guy Benarroche . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.) Nos échanges ont été respectueux et de qualité. (M. le garde des sceaux le confirme.) Magistrats épuisés, greffiers en nombre insuffisant : le constat est partagé.
Oui, le budget est en hausse, mais la répartition des crédits interroge. Nous refusons le tout carcéral prôné par la majorité sénatoriale, qui ne jure que par la construction de nouvelles prisons. Mais la prison ne saurait constituer la seule solution ! Notre pays a été condamné pour surpopulation carcérale, mais aussi pour l'absence de recours effectif permettant à un détenu de faire cesser des conditions indignes de détention.
Les états généraux de la justice plaidaient pour la régulation carcérale - grande absente de ce texte. Le ministre évoque une mise en oeuvre au cas par cas, alors qu'il faudrait une application globale. Plutôt que des prisons, bâtissons ensemble des politiques alternatives ! Une société qui emprisonne moins n'est pas moins sécurisante, au contraire. Faire de la prison la seule option conduit à les remplir toujours plus.
Le recrutement de contractuels dans l'administration pénitentiaire est l'amorce d'une ubérisation de la fonction publique. Si les sucres rapides sont parfois nécessaires pour gérer la pénurie, ils ne sauraient être une solution de long terme.
Nous saluons la diversification des voies de recrutement, notamment grâce à un amendement de notre groupe, mais regrettons l'adoption d'un amendement remettant en cause la liberté syndicale des magistrats.
Le recours accru à la visioconférence interroge. L'extension des pouvoirs de perquisition et l'activation à distance des micros et caméras des téléphones nous inquiètent tout autant. Attention à la course à l'échalote technologique. Les caméras-piétons dans les prisons, sans garanties d'accès, relèvent de l'effet d'annonce.
L'effort budgétaire, que nous saluons, ne résoudra pas tout. La construction de prisons tous azimuts et le dessaisissement du juge des libertés et de la détention (JLD) nous inquiètent.
Le garde des sceaux n'a pas pu transformer l'essai : la vision globale de ce texte se résume à la politique immobilière carcérale, alors qu'on aurait pu étendre les compétences des CPIP. Trop de lignes rouges sont franchies : captation d'images tous azimuts, suspicion sur le travail des magistrats, et j'en passe.
Espérons que l'Assemblée nationale limitera la dérive à l'oeuvre en matière de contrôle. L'interpellation par la police antiterroriste de militants manifestant dans une usine Lafarge dans les Bouches-du-Rhône doit nous interroger. Nous voterons contre le projet de loi, et ne voterons pas le projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Marie-Arlette Carlotti applaudit également.)
M. Thani Mohamed Soilihi . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Nous avons pu confronter nos positions dans un climat apaisé et je me réjouis du consensus autour de l'augmentation des moyens. Les crédits accordés à la justice atteindront 11 milliards d'euros en 2027 ; c'est historique.
Nous avons également habilité le Gouvernement à clarifier le code de procédure pénale par ordonnance. Un comité scientifique s'y attellera, avant validation par un comité parlementaire représentatif. Le garde des sceaux s'est en outre engagé à ce que le nouveau code n'entre pas en vigueur avant la ratification de l'ordonnance, et je l'en remercie.
Reprenant des dispositions de la proposition de loi déposée en novembre 2021 par M. Bonhomme et moi-même, des tribunaux des activités économiques et une contribution pour la justice économique seront expérimentés - je m'en réjouis, comme de l'adoption des amendements associant le Parlement à cette expérimentation.
Avec la majorité sénatoriale, nous avons certes quelques divergences quant au rôle des magistrats dans ces tribunaux. Notre proposition de loi de 2021 incluait des professionnels du droit. J'espère que nos débats auront rassuré certains acteurs du monde agricole.
Sur l'initiative de Jean-Pierre Sueur, dont je salue la pugnacité et la persévérance, le Sénat a codifié la récente jurisprudence de la Cour de cassation, qui se reconnaît une compétence universelle en matière de double incrimination pour les crimes contre l'humanité.
Mon groupe se réjouit d'avoir fait adopter quinze amendements, notamment celui prévoyant une procédure alternative aux poursuites disciplinaires en détention.
S'agissant du projet de loi organique, nous sommes satisfaits des précisions apportées aux missions que les magistrats substituts à titre temporaire pourront se voir confier et du remplacement du recueil déontologique par une charte.
Des dispositions demeurent clivantes : perquisitions de nuit, recours aux moyens de télécommunication pour l'examen médical en garde à vue, activation à distance des micros et caméras d'appareils connectés.
Je regrette le rejet de nos amendements qui maintenaient la procédure de comparution immédiate lorsque le prévenu n'est pas placé en détention provisoire, remplaçaient la référence aux conditions d'aptitude pour être assesseur de pôle social par une vérification du casier judiciaire, ou rétablissaient l'assignation comme seule voie de saisine du juge de l'exécution en cas de contestation de la saisie des rémunérations.
La trajectoire budgétaire favorable, les créations de postes annoncées et l'attitude constructive des deux rapporteurs sont autant d'éléments qui nous feront voter en faveur des textes modifiés. Le RDPI forme le voeu que la navette permette d'avancer sur les points qui continuent de nous diviser. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le président Buffet l'a dit : la justice est au bord du gouffre. Le Président de la République appelait en 2021 à « renouer le pacte civique entre la population et la justice. » Quand on veut enterrer un problème, on crée une commission, disait Clemenceau : aujourd'hui, on lance des états généraux ! (Sourires ; M. Franck Montaugé applaudit.)
Même si ces textes sont loin de reprendre toutes les conclusions de ces états généraux, nous saluons les hausses budgétaires très importantes, les 10 000 emplois, malheureusement non ventilés, la réduction des délais de jugement, la volonté de transformation numérique, la création d'une équipe autour des magistrats, la revalorisation de certaines professions, notamment les gardiens, ou encore la diversification de l'accès à la magistrature.
Mais ce n'est pas la réforme systémique attendue : pas de renforcement de la première instance, rien sur la régulation carcérale. La seule réponse du Gouvernement est de construire de nouvelles places de prison - ce qui ne fait qu'augmenter le nombre de détenus, la justice française, à rebours des idées reçues, étant de plus en plus sévère. Si nous voulons mettre un terme à la situation d'indignité, il faut réguler.
Rien non plus sur les violences intrafamiliales. Le garde des sceaux a confié à Mme Vérien un rapport, dont les recommandations auraient trouvé leur place dans ce texte, mais elles se sont heurtées à l'article 45, à l'exception de deux lignes dans le rapport annexé, qui n'a aucune valeur normative...
Nous avons travaillé dans de fort mauvaises conditions, avec des délais bien trop courts pour examiner des textes aussi techniques.
La réécriture du code de procédure pénale par ordonnance nous divisait ; nous y sommes désormais favorables, au vu des garanties apportées. L'expérimentation des tribunaux des activités économiques, les mesures sur l'accès à la profession d'avocat sont des éléments qui auraient pu nous convaincre de voter les textes.
Mais les débats en séance ont fait évoluer notre position : le refus d'exclure les journalistes de l'activation des appareils à distance (M. David Assouline s'indigne) et la charte déontologique voulue par M. Retailleau en même temps que la saisine par le garde des sceaux du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) sur le droit de grève et la liberté d'expression des magistrats nous inquiètent.
Nous avons tout de même obtenu la compétence universelle en cas de crime de guerre ou de crime contre l'humanité.
Nous ne nous interdisons pas de modifier notre vote si nos demandes en matière de régulation carcérale, de liberté d'expression des magistrats et de protection des journalistes étaient prises en compte en deuxième lecture. Pour l'heure, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme Cécile Cukierman . - Notre groupe ne peut que soutenir une justice plus rapide et plus claire, ou encore les recrutements de magistrats et de greffiers. L'ouverture du corps judiciaire sur l'extérieur et la protection des magistrats dans le cadre de leurs fonctions sont bienvenues.
Nous sommes satisfaits de l'adoption de nos amendements qui allongent le délai de contestation d'une mise en examen ou d'une mise sous statut de témoin assisté, étendent les compétences du pôle cold cases de Nanterre ou améliorent la prise en compte de l'expérience acquise dans l'Union européenne pour l'accès à la profession d'avocat. Comme d'autres, nous avons apporté notre pierre à l'édifice.
Pour autant, des réserves demeurent. La géolocalisation en temps réel et l'activation des caméras et micros en matière de terrorisme traduisent une surenchère sécuritaire. Le principe de loyauté de la preuve doit s'appliquer à tout agent de police. Le message envoyé aux justiciables est inquiétant et les garanties insuffisantes.
Gare à l'effet cliquet : une fois acceptées pour le terrorisme, ces techniques de surveillance seront élargies au droit commun. C'est ainsi que le Gouvernement généralise la surveillance.
Nous regrettons que la proposition de loi d'Éliane Assassi sur la surpopulation carcérale n'ait pas été entendue. Avec 73 000 détenus pour 60 000 places, construire de nouvelles places n'y suffira pas. Une énième condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) se profile. Prétendre qu'il n'y a pas d'alternative qui ne fasse monter le populisme ne tient pas, car le tout carcéral est synonyme de récidive. Comme le souligne la contrôleure générale des lieux de privation de liberté dans son dernier rapport, l'inertie doit cesser.
Le projet de loi organique conditionne la liberté syndicale des magistrats au principe d'impartialité, ce qui aboutit à la neutraliser. Vous le savez, monsieur le garde des sceaux, puisque vous n'avez pas soutenu l'amendement en question, qui risque la censure constitutionnelle. Ce qui s'est passé au tribunal judiciaire de Mamoudzou ne saurait justifier que l'on bâillonne nos magistrats. Nous nous opposerons à l'inscription dans la loi de leur obligation d'impartialité et au remplacement du recueil déontologique par une charte : ne les accablons pas d'obligations superflues et vides de sens.
Nous nous abstiendrons tout en suivant attentivement l'évolution de ce texte à l'Assemblée nationale et en CMP. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Dominique Vérien . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Disons-le, ce n'est pas le grand soir de la justice. Si l'on salue un volontarisme sincère sur le plan budgétaire, on regrette un manque d'ambition à l'égard des conclusions des états généraux de la justice. Chaque pas est cependant une avancée.
La massification du recrutement dans la magistrature était nécessaire pour se mettre au niveau des standards européens. La commission a choisi de porter de 1 500 à 1 800 le nombre de nouveaux greffiers pour respecter le ratio habituel. Comme le préconisait le rapport de Laurence Harribey et Marie Mercier, nous avons aussi augmenté les effectifs des Spip, car la punition ne peut se concevoir sans réinsertion.
Le projet de loi organique entend ouvrir et diversifier le recrutement des magistrats. Cette logique doit se poursuivre jusque dans la formation à l'École nationale de la magistrature (ENM), qui ne doit pas craindre de se frotter au monde réel ou au monde de l'entreprise. Si nous n'avons pas adopté l'amendement de Mme Gatel à ce sujet, nous savons que la directrice de l'ENM est ouverte sur cette question.
Le texte élargit également les possibilités de saisine du CSM. Rappeler le principe d'impartialité ne signifie pas empêcher un magistrat de s'exprimer. Nous ne faisons que répéter une exigence constitutionnelle et conventionnelle, cela devrait rassurer. L'impartialité n'est pas un gros mot !
Je comprends la déception de certains quant à la non-intégration des conclusions du plan rouge VIF dans le rapport annexé, mais nous ne souhaitions pas inclure un rapport dans le rapport. Je ne doute pas de l'engagement du ministre de la justice et de la ministre pour l'égalité entre les hommes et les femmes sur la question.
Le groupe UC se réjouit du compromis trouvé sur la clarification à droit constant du code de procédure pénale.
À l'article 3, nous avons trouvé un équilibre grâce à l'amendement de Bruno Retailleau, qui limite l'activation des appareils à distance aux infractions passibles de plus de dix ans de prison. Le garde des sceaux a opposé que dès lors, le contrôle ne s'appliquerait pas aux proxénètes ; pourquoi pas ne pas augmenter cette peine ? Cinq ans, ce n'est pas cher payé pour asservir des femmes ! (Mme Marie-Pierre de La Gontrie abonde.)
Suivant les préconisations du Conseil d'État, nous protégeons les journalistes, dès lors qu'ils appartiennent à une société de presse.
L'expérimentation des tribunaux des affaires économiques et la contribution économique sont également à saluer.
Quelques allers-retours sont à prévoir, mais, le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Esther Benbassa . - (Applaudissements sur des travées du GEST) Albert Camus écrit dans Les Justes : « On commence par vouloir la justice et on finit par organiser une police. » Je suis très inquiète de la tournure que prennent certaines mesures, comme l'activation à distance des appareils électroniques - et je ne suis pas la seule. La généralisation de mesures intrusives menace les droits fondamentaux. Les garanties apportées seront-elles suffisantes ?
Privilégier la sécurité au détriment des droits individuels, c'est aller vers une société que nul ne souhaite. Imaginez-vous de tels instruments tomber entre les mains d'un gouvernement extrémiste ? Nous aurions signé nous-mêmes l'arrêt de mort de notre État de droit.
Je regrette l'insuffisance des mesures pour l'administration pénitentiaire, qui reste la mal aimée des missions de la justice. Certes, monsieur le garde des sceaux, vous avez considérablement augmenté les budgets. Mais si ce n'est que pour construire des prisons supplémentaires, ce sera vain... La logique du tout-carcéral n'a jamais fait ses preuves ! Il faut développer les peines alternatives, encourager la réinsertion et offrir un suivi adapté aux détenus vulnérables.
Tout ne se fait pas du jour au lendemain, je vous le concède ; et je ne nie pas les efforts entrepris pour redresser la justice. Mais il faut poursuivre cet effort pour une réforme de la justice efficace et respectueuse des droits et libertés. Je m'abstiendrai. (Applaudissements sur des travées du GEST ; Mmes Martine Filleul et Laurence Cohen applaudissent également.)
Le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, modifié, est mis aux voix par scrutin public solennel.
Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°300 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 244 |
Pour l'adoption | 231 |
Contre | 13 |
Le projet de loi est adopté.
(Applaudissements sur de nombreuses travées du RDPI et du groupe INDEP, sur des travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Le projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire, modifié, est mis aux voix par scrutin public solennel.
Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°301 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 239 |
Contre | 1 |
Le projet de loi organique est adopté.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Aux grands soirs, je préfère les petits matins qui ouvrent sur le jour. (Sensation)
Sortir la justice de l'ornière dans laquelle elle se trouve depuis trente ans, le Président de la République s'y était engagé ; la Première ministre et son prédécesseur en avaient fait l'une de leurs priorités ; c'est mon ambition depuis mon arrivée à la Chancellerie. Cet après-midi, c'est vous, mesdames et messieurs les sénateurs, qui envoyez un signal fort à toutes les juridictions et tous les établissements pénitentiaires de France. Je vous en remercie.
Je salue le travail des rapporteurs Vérien et Canayer et l'engagement du président Buffet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.) Je me félicite des compromis trouvés. Quant aux divergences qui demeurent, elles ne sont pas insurmontables. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie proteste.)
Vos débats font honneur à la démocratie parlementaire. C'est dans le même esprit de dialogue républicain que je défendrai ce texte à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du RDPI et des groupes INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains ; Mme Gisèle Jourda applaudit également.)
La séance est suspendue quelques instants.