Bilan de l'application des lois
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le bilan de l'application des lois.
Mme Pascale Gruny, président de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances . - (Mme Sophie Primas applaudit.) « Chaque disposition législative qui demeure inappliquée est une marque d'irrespect envers la représentation nationale et de négligence vis-à-vis de nos concitoyens. » (M. Christian Cambon approuve.) Ce ne sont pas là les mots du Sénat, mais de la Première ministre dans sa circulaire du 27 décembre 2022 relative à l'application des lois.
Mon bilan porte sur l'application des lois adoptées lors de la session 2021-2022. Entre le 1er octobre 2021 et le 30 septembre 2022, 64 lois ont été adoptées ; 18 étaient d'application directe, et 46 nécessitaient 649 mesures d'application. Le taux global s'améliore, avec 65 % d'application contre 57 % l'an dernier. Le délai de parution passe sous la limite de six mois fixée par la circulaire de février 2008, réaffirmée par celle de 2022 : 5 mois et 20 jours, contre 6 mois et 9 jours l'an dernier. Enfin, le taux de remise des rapports au Parlement passe de 21 % à 36 %.
Mais le diable se cache dans les détails : le taux d'application de la loi 3DS n'était que de 52 % en mars 2023, plus d'un an après sa promulgation. Surtout, les lois d'origine parlementaire ont un taux d'application bien plus faible, de 56 % contre 65 % toutes lois confondues, alors qu'elles contiennent moins de mesures réglementaires.
Ainsi, la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France du 15 novembre 2021 n'était appliquée qu'à 33 %, alors qu'elle ne nécessitait que six mesures.
J'attire votre attention sur l'application des mesures issues d'amendements sénatoriaux. Alors que le Sénat est raisonnable dans ses propositions pour ne pas augmenter l'inflation législative, ces mesures ne sont appliquées qu'à 57 %, contre 67 % pour les amendements du Gouvernement et 70 % pour ceux de l'Assemblée nationale - qui certes émanent souvent du Gouvernement. Cela pose la question du respect de la volonté du législateur, lorsqu'il siège au Palais du Luxembourg.
Aucune des 21 demandes de rapport émises par le Sénat n'a été suivie d'effet, alors que les commissions se montrent parcimonieuses : la réserve sénatoriale n'est pas récompensée !
Enfin, le Gouvernement recourt toujours massivement à la procédure accélérée (Mme Sophie Primas le confirme), pour 45 des 62 lois adoptées. Pourtant, le délai moyen de publication des textes d'application n'en est pas accéléré - 6 mois et 8 jours, contre 5 mois et 20 jours toutes lois confondues. Le Gouvernement ne s'astreint donc pas à sa propre célérité.
La secrétaire générale du Gouvernement (SGG), Claire Landais, proposait en juillet 2022 de réfléchir à une procédure intermédiaire, accélérée mais « respectant les délais de quatre à six semaines prévus à l'article 42 de la Constitution ». Où en est-on de cette réflexion ?
Quelques questions de méthodologie : le Sénat recense les arrêtés et les décrets d'application, alors que vous ne retenez que les seconds. Ainsi, nous relevons un taux d'application de 68 %, contre 74 % pour le Gouvernement : la différence s'explique par un faible taux de parution des arrêtés, de 42 % seulement. Or dans les deux cas, la non-adoption d'un décret ou d'un arrêté empêche la volonté du législateur de s'appliquer. Mme Landais souhaitait pourtant que le SGG relaie une demande de suivi des arrêtés sur des schémas harmonisés, avec éventuellement des clauses de revoyure. Où en est-on ?
Membre de la commission des affaires sociales et de la commission d'enquête sur la pénurie des médicaments, j'ai deux questions précises. L'article 65 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2022 porte sur la prise en compte des critères d'implantation de lieux de production sur le sol français pour la détermination du prix du médicament et des dispositifs médicaux. Faute de décret, cette mesure est soumise à une doctrine propre du Gouvernement et du Comité économique des produits de santé (CEPS), mais elle a pris beaucoup de retard, pour un champ plus restreint que ce que le législateur prévoyait.
Ensuite, le décret en Conseil d'État nécessaire pour appliquer l'article 61 de la LFSS pour 2022 sur les préparations hospitalières spéciales n'a toujours pas été publié, alors qu'il est indispensable à la lutte contre les pénuries de médicaments.
Enfin l'article 37 de la LFSS pour 2023 prévoit d'ajouter une quatrième année au troisième cycle de médecine générale, remplaçant une disposition qui, là encore, n'avait pas fait l'objet d'une mesure d'application. Souhaitons que l'histoire ne se répète pas... (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, M. Guy Benarroche applaudit également.)
M. Franck Riester, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement . - Je salue la qualité de votre travail et des contributions des commissions permanentes, sur la base des échanges avec le SGG, dont je souligne l'engagement permanent.
La Première ministre, dans sa circulaire du 27 décembre 2022, rappelait la triple exigence de démocratie, de sécurité juridique et de responsabilité politique. Il s'agit d'assurer une application des lois rapide et conforme aux intentions du législateur. Ainsi, nous atteignons un taux de 74 % pour l'année dernière, en hausse de 14 points. L'effort ne s'est pas relâché : on atteint désormais 78 %, et 92 % pour les textes de la XVe législature.
Les arrêtés sont trop nombreux pour faire l'objet d'un suivi centralisé. Néanmoins, je m'engage à soulever la question lors du prochain comité interministériel sur l'application des lois. Deux tiers des décrets d'application sont cependant pris moins de six mois après la promulgation de la loi.
Comme vous le soulignez, l'application de certaines lois est en deçà des attentes. Les ministères y travaillent. Ainsi pour la loi Climat et résilience, nous sommes passés de 12 % d'application au 31 mars 2022 à 78 % en un an.
L'écart entre projets et propositions de loi s'explique par une moindre anticipation des textes d'origine parlementaire. N'y voyez pas un signe de mauvaise volonté ! J'ai demandé aux directeurs de cabinet de tous les ministres de réduire cet écart.
Quant aux rapports, 71 % ont été remis à ce jour pour ceux portant sur l'application des lois, 43 % pour les autres rapports ponctuels - nous progressons. Cependant, je partage votre mécontentement sur la non-transmission des rapports demandés par le Sénat et contacterai les ministres concernés dès demain matin.
Enfin, 353 ordonnances avaient été prises lors de la précédente législature, contre seulement 23 pour la présente, avec 34 demandes d'habilitation à ce jour.
L'engagement de la procédure accélérée vise surtout à obtenir une CMP dès la fin de la première lecture. Le Gouvernement s'efforce de limiter l'impact, modéré, sur les délais d'examen.
Un décret sera publié au second semestre 2023 sur la pénurie de médicaments ; il est en cours de concertation. Quant au CEPS, il prend bien en compte la localisation de sites français dans la fixation du prix.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques . - La loi Climat et résilience du 24 août 2021 atteint, vingt mois après sa promulgation, un taux d'application de 58 %, modeste au regard des ambitions. Manquent des dispositions dans le domaine du logement - définition des classes de logement ; de l'agriculture - menu végétarien ; de la forêt - adaptation de la gestion forestière et prévention du risque incendie ; ou encore de la construction - utilisation de matériaux biosourcés.
Alors que la décarbonation de l'économie est une priorité partagée, d'où vient ce retard ? Heureusement que nous légiférions dans l'urgence ! Cela révèle l'absence de vision de long terme. C'est pourquoi la loi Énergie climat de 2019, modifiée par la loi Climat et résilience de 2021, prévoyait une loi quinquennale pour déterminer les objectifs et les priorités d'action de la politique énergétique nationale, point majeur du compromis passé avec l'Assemblée nationale. Cette loi devait prévaloir, notamment sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Cependant, le projet de loi sera déposé après ces deux textes, à rebours de la volonté du législateur. Où en est le calendrier, et pourquoi ne pouvez-vous tenir les délais ?
M. Franck Riester, ministre délégué. - Je confirme la mobilisation du ministère compétent. Les projets de loi Énergies renouvelables et Nucléaire ont été adoptés prioritairement. Un projet de loi de programmation Énergie climat sera bien présenté à l'automne, comme indiqué par la Première ministre le 26 avril dernier, pour remettre notre pays sur sa trajectoire énergétique. (Mme Sophie Primas opine.)
Le grand chantier de concertation lancé le 23 mai par Agnès Pannier-Runacher associera notamment les parlementaires. Les groupes de travail sont pilotés par les élus et rassemblent les parties prenantes pour déterminer les objectifs, les moyens et la déclinaison opérationnelle et territoriale d'une stratégie que le Gouvernement veut robuste, concrète et consensuelle. La PPE et la SNBC seront adoptées par décret dans l'année suivant la loi de programmation.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères . - Le bilan de l'application des lois est plutôt positif pour ce qui relève de notre commission : tous les décrets ont été pris pour la loi relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. En revanche, la mise en oeuvre du décret du 6 mai 2022 relatif au fonctionnement de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement (CEAPD) plus de vingt mois après la promulgation de la loi, pose problème : cette commission n'est toujours pas en place, pour une modeste enveloppe de 13 milliards d'euros...
Les rapporteurs ont écrit à la ministre de l'Europe et des affaires étrangères il y a deux mois : aucune réponse. Pourquoi un tel blocage ?
M. Franck Riester, ministre délégué. - Le retard s'explique par les difficultés de gouvernance concernant la présidence de cette commission, placée auprès de la Cour des comptes. La présidence par son premier président, comme il devrait être d'usage, n'a pas été prévue. Le projet de loi de finances pour 2023 a été l'occasion d'y revenir, avec un amendement gouvernemental adopté par le Sénat, mais écarté par l'Assemblée nationale. Les travaux ont repris au printemps.
Les huit personnalités qualifiées ont été identifiées, et deux députés et deux sénateurs devront être désignés. La Cour des comptes a lancé ses travaux de préfiguration.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. - Merci de ce rappel. Je souhaite que la commission soit mise en place très rapidement. Il s'agit d'un véritable contrôle parlementaire sur 13 milliards d'euros de crédits annuels. Je compte sur la diligence du Gouvernement.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales . - Les neuf lois examinées par la commission des affaires sociales appelaient 191 mesures d'application ; 116 sont déjà prises, soit un taux de 61 %. Cependant, la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants accuse un fort retard : 37 % seulement des mesures réglementaires ont été prises. La secrétaire d'État Charlotte Caubel a argué devant notre commission de l'ampleur de la tâche ou encore de la défaillance de l'État - nous ne la contredirons pas. Demeurent des situations absurdes : le décret sur l'hébergement hôtelier des enfants protégés pendant le délai transitoire avant une interdiction complète intervient alors que cette période transitoire est déjà écoulée aux deux tiers...
Le taux d'application devrait atteindre 75 % d'ici l'été, mais quid des six dispositions restantes pour lesquelles un décret n'est pas prévu à court terme ?
M. Franck Riester, ministre délégué. - Mme Caubel s'est engagée à publier 75 % des décrets d'application en juin. Cette politique, décentralisée, nécessite une concertation technique avec les départements et les associations, et politique avec l'Assemblée des départements de France (ADF). En outre, plusieurs instances comme le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) et le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) doivent être consultés.
Même si le délai d'habilitation d'une ordonnance portant sur l'extension et l'adaptation de certaines dispositions en outre-mer a expiré, il n'y a pas de problème particulier de mineurs non accompagnés (MNA) dans les territoires concernés. Je regrette cependant que les demandes d'habilitation ne soient pas utilisées dans les temps.
Le rapport sur l'inscription à l'assurance maladie de certains actes effectués par les infirmières puéricultrices de protection maternelle et infantile (PMI) sera discuté lors des assises de la pédiatrie.
Mme Catherine Deroche présidente de la commission des affaires sociales. - Nous ne demandons presque jamais de rapports, car ils ne sont jamais rendus. Nous avons confié une mission de suivi de l'application des lois sur la protection de l'enfance à Bernard Bonne et suivrons le dossier de près.
Mme Marta de Cidrac, vice-présidente de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Nous déplorons un taux d'application trop faible de certains textes, dont la loi REEN du 15 novembre 2021. Fin mars, dix-huit mois après la promulgation, seules deux mesures sur six avaient été prises. Deux décrets doivent notamment préciser les modalités de mise en oeuvre de l'écoconditionnalité de l'avantage fiscal attribué aux centres de données en matière d'électricité. Alors que la crise énergétique et de l'eau sont sans précédent, aucun secteur ne peut s'exonérer des efforts nécessaires.
Ensuite, la loi d'orientation des mobilités (LOM), publiée il y a plus de trois ans, n'est pas encore pleinement appliquée. Le cadre réglementaire de l'ouverture de la concurrence des transports publics urbains par autobus de la RATP demeure inachevé : on attend un décret sur la portabilité de certains droits des salariés en cas de changement d'employeur. Alors que l'ouverture à la concurrence se profile en janvier 2025, la finalisation du cadre réglementaire devrait être une priorité, pour donner de la visibilité aux salariés.
M. Franck Riester, ministre délégué. - L'article 158 de la loi d'orientation des mobilités (LOM) précise l'ouverture à la concurrence du réseau de bus de la RATP et le cadre social afférent, pour la continuité du service public.
Elle nécessite quatre décrets, dont un reste à prendre, relatif à la portabilité du régime spécial. Il a fait l'objet de premières réunions techniques entre les acteurs concernés. Les travaux reprendront après la publication des décrets d'application de la réforme des retraites. La LOM est appliquée à 95 %.
La loi REEN prévoit la fixation par décret des règles de mise en oeuvre de l'écoconditionnalité. Les travaux interministériels sont en cours : nous devons analyser la base légale, afin de réduire le risque de contentieux.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances . - Nous constatons un taux d'application des lois examinées par la commission des finances équivalent à celui de l'année dernière, avec une amélioration du délai.
Cependant, l'article 9 de la loi de finances rectificative du 16 août 2022 prévoyait des mesures s'appliquant aux aéronefs et aérodromes, notamment la taxe d'accise sur l'électricité, les recettes de la taxe sur le transport aérien ou la taxe sur les nuisances sonores. Ces mesures appelaient cinq arrêtés d'application, qui n'ont toujours pas été pris alors que le Parlement a dû adopter la loi en session extraordinaire. Quand seront-ils publiés ?
L'article 16 de la loi de finances initiale pour 2020 a introduit un nouvel article 1418 au sein du code général des impôts, relatif à l'établissement de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires et à la taxe annuelle sur les logements vacants. Avant même la publication du décret, l'administration fiscale a lancé la procédure dès janvier 2023, celle-ci devant être accomplie avant le 30 juin. N'est-ce pas étrange ? Le décret d'application a-t-il été publié courant avril ?
Enfin, des décrets de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) devaient tirer les conséquences de la privatisation d'ADP, repoussée à une date indéterminée. Ne faudrait-il pas abroger ces mesures qui n'ont plus vocation à s'appliquer ?
M. Franck Riester, ministre délégué. - La LFR pour 2022 comprend plusieurs mesures sur les aéronefs. Pour le tarif réduit d'accises sur l'électricité, une demande de dérogation à la directive 2003/96/CE a été adressée en avril 2022 à la Commission européenne. Nous lui avons adressé les compléments d'information demandés, et la demande est en cours de traitement.
Pour la gestion des aérodromes, un arrêté a été pris le 27 décembre 2022 sur les déclarations de coût des exploitants. Les arrêtés sur le solde de taxe sur les nuisances sonores aériennes à rembourser sont en cours de rédaction. Enfin, le décret sur l'exonération de taxe sur les transports aériens de passagers pour les vols au départ de l'aéroport de Bâle-Mulhouse a été soumis à consultation le 24 mai, et sera prochainement publié pour une entrée en vigueur du nouveau tarif au 1er juillet prochain.
En ce qui concerne l'article 16 de la loi de finances pour 2020 sur la taxe d'habitation pour les résidences secondaires, l'administration a ouvert la procédure de télédéclaration dès janvier 2023, compte tenu du niveau de précision de la loi et dans un souci de célérité. Le décret a été publié le 30 avril 2023, soit avant la date limite de déclaration, fixée au 30 juin 2023 ; il n'y a donc pas de risque sur la légalité de la télédéclaration.
Les conditions ne sont plus réunies pour envisager la privatisation d'ADP. Compte tenu des incertitudes entourant la reprise du trafic aérien, il est impossible de prévoir un calendrier pour une éventuelle session, reportée mais non abandonnée. L'abrogation des décrets n'est donc pas requise.
Mme Catherine Di Folco, vice-présidente de la commission des lois . - L'article 229 de la loi 3DS prévoit les conditions dans lesquelles les chambres régionales des comptes participent à l'élaboration des politiques publiques territoriales. Le décret du 8 décembre 2022 prévoit que « la chambre régionale des comptes peut, de sa propre initiative, procéder à l'évaluation d'une politique publique relevant des collectivités territoriales et organismes soumis à sa compétence de contrôle des comptes et de la gestion. » Or cette capacité d'autosaisine excède largement l'intention du législateur, qui était de créer une compétence nouvelle d'évaluation, sur saisine exclusive des collectivités territoriales. Le pouvoir réglementaire a outrepassé l'intention du législateur. Le ministre de la cohésion des territoires a opposé une fin de non-recevoir à Françoise Gatel qui réclamait la modification du décret. Restez-vous également dans le déni ?
L'article 3 de la loi visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte souffre du problème inverse, alors qu'elle prévoyait un système de réception et de traitement unique au sein des groupes de sociétés. Le décret du 3 octobre 2022 instaure un système perdant-perdant : le lanceur d'alerte doit retirer son signalement avant de le redéposer auprès de la filiale la plus appropriée. La Commission européenne entendait pourtant alléger les charges administratives et simplifier le système, et le Parlement l'avait entendue. Comment expliquer une telle situation ?
M. Franck Riester, ministre délégué. - L'article 229 de la loi 3DS prévoit que les chambres régionales des comptes contribuent à l'évaluation des politiques publiques locales. Le décret prévoit qu'elles peuvent procéder à une évaluation de leur propre initiative. La rédaction de la loi reprend les dispositions du code des juridictions financières relatives à la Cour des comptes, qui peut réaliser une évaluation de sa propre initiative. La loi 3DS offre cette faculté aux chambres régionales des comptes. Le Gouvernement considère ainsi que le décret pris est conforme aux termes de la loi.
S'agissant de la loi du 21 mars 2022 sur les lanceurs d'alerte, le décret du 3 octobre 2022 distingue les phases de réception et de traitement des signalements. La réception des signalements peut être mutualisée ou gérée en externe. Le décret pris épuise toutes les situations prévues par la directive 2019/1937 sur les lanceurs d'alerte, qui ne prévoit pas d'externaliser ou de mutualiser le traitement des signalements.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - Je déplore le recours aux ordonnances pour transposer des directives ou prendre des mesures d'application des règlements. La commission des affaires européennes réalise une veille pour éviter les surtranspositions. Or le Gouvernement révèle rarement ses intentions lorsqu'il fait le choix d'un recours aux ordonnances.
La transposition de la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) en témoigne : le Gouvernement a sollicité une habilitation du Parlement dans de nombreux domaines, alors que la directive n'avait pas encore été adoptée. Le délai d'habilitation sollicité était donc très long. Le Parlement ne pouvait pas se prononcer, faute de connaître les intentions du Gouvernement. Au surplus, le périmètre d'habilitation était particulièrement large. Le Sénat a rejeté cette demande dans un premier temps, avant d'accepter une version édulcorée en CMP.
Le Gouvernement peut-il garantir que pareille mésaventure ne se reproduira pas ?
M. Franck Riester, ministre délégué. - Le recours aux ordonnances prévu à l'article 38 de la Constitution représente 2,7 % de la transposition des règles européennes, surtout techniques. Les directives les plus sensibles passent par un projet de loi ou une proposition de loi.
Le secrétariat général des affaires européennes organise des réunions de transposition.
La nouvelle méthode voulue par la Première ministre prévoit un recours modéré aux habilitations.
Les efforts conjugués en faveur de l'adaptation rapide du droit européen aboutissent à un faible déficit de transposition de la France, de 0,3 %.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture . - Le bilan d'application des lois qui intéressent notre commission est contrasté. Certains textes, comme la loi de programmation de la recherche, offrent un taux satisfaisant. Toutefois, les décrets de la loi créant la fonction de directeur d'école tardent à venir. Selon le ministre de l'éducation, la publication a été retardée pour articuler les dispositions avec les nouvelles missions proposées aux professeurs des écoles. Ces mesures seront-elles publiées d'ici la prochaine rentrée scolaire ?
Il en est de même pour les décrets relatifs à la loi pour une école de la confiance : le Gouvernement publiera-t-il le décret prévu à l'article 30 sur les conventions de coopération entre établissements médico-sociaux et établissements scolaires pour la scolarisation des élèves en situation de handicap ? Notre commission s'est fortement investie sur ce sujet.
Enfin, quid des décrets d'application de la loi visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne, alors que le projet de loi Sécuriser et réguler l'espace numérique sera bientôt examiné ? Allez-vous les abandonner ?
M. Franck Riester, ministre délégué. - Dans la loi du 21 décembre 2021 créant la fonction de directeur d'école, deux mesures sur six ont été appliquées. Les autres ont été examinées le 16 mai au comité social d'administration du ministère et le 17 mai au Conseil supérieur de l'éducation. Le Conseil d'État devrait en être saisi dès cette semaine.
La loi pour une école de la confiance de 2019 présente un taux d'application de 90 %. Les décrets relatifs au handicap seront publiés après le Conseil national du handicap, donc avant la fin de l'année.
En ce qui concerne la loi du 19 octobre 2020 encadrant l'exploitation commerciale de l'image des enfants en ligne, l'étude de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique a permis de mieux appréhender les enjeux liés à cette exploitation. Il y aura besoin de régulation sur la base de ces résultats ; les décrets seront pris très prochainement.
M. Jean-Yves Roux . - Ce débat est un incontournable de la vie parlementaire et du travail d'évaluation du Sénat, mais il prend cette année une tout autre saveur. Il s'agit de la valeur de la loi, à travers son cheminement parlementaire et réglementaire, donc de la valeur de la démocratie représentative.
Je salue le travail de Pascale Gruny, qui en dit long sur l'état de l'institution parlementaire et insiste clairement sur des leviers d'action qui nous concernent également. Trop de lois en procédure accélérée, des lois pantagruéliques mal digérées, des communications empressées : les travers sont connus. Voyez le texte sur le zéro artificialisation nette (ZAN)...
La circulaire du 27 décembre 2022 est bienvenue. Mais, comme le disait Pierre Mendès France, « la conception d'une démocratie purement formelle ne correspond pas forcément à une réalité vivante », à laquelle je suis très attaché. Ce n'est pas seulement le temps d'application des décrets qui pose problème, mais surtout le manque d'information pour nos concitoyens et nos collectivités.
Pascale Gruny pointait les décrets d'application des lois Climat et résilience et 3DS, qui freinent l'action locale, notamment sur le ZAN.
L'encadrement des réseaux d'influence est également très important.
Nous pouvons anticiper dès le début de nos débats des difficultés : pourquoi ne pas recourir à l'expérimentation ? Malheureusement, celle-ci est trop diluée : or elle est intéressante, pour renouveler notre démocratie et nous éloigner du populisme.
M. Franck Riester, ministre délégué. - Les destinataires de nouvelles normes rencontrent des difficultés à les appliquer, comme pour le ZAN.
La Première ministre a pris des engagements devant le congrès des maires et Christophe Béchu a réagi dès l'été dernier en suspendant les textes d'application. Le travail se poursuit sur la base des réflexions du Sénat, dont la proposition de loi devrait être examinée à l'Assemblée nationale le 21 juin.
Vous évoquez les réseaux d'influence. Certes, il faut prévenir tout conflit d'intérêts, mais il est nécessaire que les administrations échangent régulièrement avec les acteurs concernés, pour ne pas être déconnectées du terrain.
Par ailleurs, les mesures prises sont soumises à l'avis d'organismes consultatifs.
Le recours à l'expérimentation est intéressant. Le droit de dérogation du préfet, expérimenté en 2018 et 2019 et généralisé en 2020 a fait l'objet d'un bilan positif en 2022.
Le dispositif France Expérimentation permet de lever des blocages juridiques entravant le développement de projets innovants grâce à la mise en place de dérogations. Le 17 mai 2023, la Première ministre a insisté auprès des cadres dirigeants de l'État sur la pertinence de l'expérimentation, invitant chacun à « prendre son risque » et à « se saisir de toutes ses capacités de dérogation et d'adaptation ».
M. André Reichardt . - La loi du 16 août 2022 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne illustre de nombreux dysfonctionnements.
Rapporteur, à l'époque, j'avais critiqué la méthode : le texte était une fausse proposition de loi, pour éviter l'étude d'impact et l'avis du Conseil d'État, alors qu'il touchait à nos libertés publiques : il exigeait le retrait en une heure les contenus incriminés. La loi Avia du 24 juin 2020 avait été censurée. Le Gouvernement souhaitait aller vite. Compte tenu des enjeux, le Sénat avait joué le jeu, avec une adoption en juillet et une loi promulguée le 16 août. Or il ne s'est rien passé depuis !
Faute de décrets d'application, la loi n'est pas applicable. Aucune injonction de retrait nationale n'a pu être émise par l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication, tandis qu'aucune injonction de retrait transfrontalière venue d'une autorité européenne ne peut être traitée. Seule la nomination d'un suppléant de la personnalité nommée au sein de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a été publiée : voilà un bien maigre bilan. Quand le décret sera-t-il publié ? Évitons à l'avenir de tels dysfonctionnements.
M. Franck Riester, ministre délégué. - La loi du 21 juin 2004 Confiance dans l'autorité numérique, telle que modifiée par la loi du 16 août 2022, prévoit un décret précisant les modalités d'échange d'informations dans le cadre des injonctions de retrait de contenu à caractère terroriste entre, d'une part, l'autorité administrative et l'Arcom et, d'autre part, entre ces autorités et les autres autorités compétentes étrangères désignées pour la mise en oeuvre du règlement UE 2021/784.
Le projet de décret a été présenté en section de l'intérieur du Conseil d'État le 16 mai ; la publication est prévue avant le 7 juin 2023, date de remise du rapport de mise en oeuvre du règlement.
M. Alain Marc . - Une fois la loi votée, l'oeuvre du législateur n'est pas terminée. Cet exercice traditionnel s'inscrit dans notre mission de contrôle de l'action du Gouvernement.
Le Gouvernement a recours trop fréquemment à la procédure accélérée, ce qui porte une atteinte trop importante au principe de la double lecture. Parmi les 20 lois promulguées examinées par la commission des lois, 17 avaient subi une procédure accélérée. Il faut que cette procédure reste exceptionnelle !
Le respect du délai de la publication des rapports laisse à désirer, le taux de publication global n'est que de 36 %.
Nous déplorons que l'inflation législative perdure : alors que la commission des lois maintient son coefficient multiplicateur des dispositions législatives, le nombre d'articles comptabilisés au niveau du dépôt a subi une augmentation de 31 %. Quelles mesures envisagez-vous pour remédier à cette situation portant atteinte à la crédibilité de l'action publique ?
M. Franck Riester, ministre délégué. - Le recours à la procédure accélérée est motivé par la faculté de convoquer une CMP dès la fin de la première lecture. Le Gouvernement s'est efforcé d'en maîtriser l'usage lors de la XVIe législature.
Pour la session 2021-2022, 71 % des rapports pour l'application des lois et 43 % des autres rapports ponctuels ont été remis. Je sais que le Sénat ne souhaite pas les multiplier afin de ne pas saturer les services.
Je partage votre préoccupation en matière d'inflation législative. Lors des travaux de préparation, nous voulons éviter tout empiétement sur le domaine réglementaire. Mais, au cours de la XVe législature, le SGG estime que le nombre de renvois à des décrets d'application entre le projet de loi déposé et la loi promulguée a doublé. Il s'agit donc d'une responsabilité partagée entre le Gouvernement et le Parlement : j'en appelle à une sobriété normative. (M. François Patriat applaudit.)
M. Guy Benarroche . - Difficile d'être original à ce stade du débat... (Sourires)
Le nombre de recours à la procédure accélérée est toujours aussi élevé : l'exceptionnel est devenu la norme. Pourtant, les lois adoptées selon cette procédure ne sont pas celles qui sont appliquées le plus rapidement - en moyenne, c'est même le contraire.
Benoîtement, je demande donc : puisque ces textes ne répondent pas à une situation d'urgence, pourquoi utiliser la procédure accélérée avec aussi peu de discernement ? Serait-ce pour réduire le temps de débat au Sénat ?
En matière de rapports, alors même que nous nous autocensurons beaucoup, 36 % seulement des rapports demandés par le Sénat nous ont été remis. Est-ce par manque de personnels ou ne souhaitez-vous pas les rendre publics ?
M. Franck Riester, ministre délégué. - En moyenne, entre 2021 et 2023, 36 jours séparent le dépôt des projets de loi de leur examen par la première assemblée saisie ; 58 jours séparent leur transmission à leur examen par l'autre ; et 17 jours séparent la dernière lecture de la réunion de la CMP. Notez que ces chiffres sont fortement tirés à la baisse par la quinzaine de textes relatifs à l'urgence sanitaire.
Le recours à la procédure accélérée permet de convoquer une CMP après la première lecture, ce qui est fort utile.
L'absence de transmission des rapports est tout à fait regrettable et fortuite. Il n'y a aucune dissimulation, mais les procédures de concertation et de validation peuvent être longues. Cependant, je reconnais que 21 rapports non rendus, c'est problématique. Je ne manquerai pas de le signaler à mes collègues concernés.
M. Bernard Buis . - La Première ministre a réaffirmé dans une circulaire l'impératif démocratique qui s'attache à l'application des lois. C'est la première fois depuis 2008 qu'une telle impulsion est donnée en la matière.
En particulier, elle a demandé le renforcement du réseau des correspondants ministériels pour l'application des lois, maillon bienvenu pour réduire les délais d'application. De fait, la célérité et l'efficacité dans ce domaine relèvent d'un triple enjeu de démocratie, de sécurité juridique et de responsabilité politique.
Pouvez-vous préciser en quoi consiste ce réseau ?
M. Franck Riester, ministre délégué. - La Première ministre a réaffirmé la position centrale de ces correspondants ministériels, interlocuteurs uniques du SGG. Les procédures et les outils de travail ont été refondus. La plateforme Osmose, développée par la direction interministérielle du numérique (Dinum), a été déployée au sein du réseau. Données détaillées, annuaires, calendriers : les correspondants disposent ainsi de plus d'outils pour devenir la tour de contrôle de l'application des lois dans leur ministère.
M. Hussein Bourgi . - Le recours trop fréquent à la procédure accélérée est regrettable, d'autant que vingt et une des lois adoptées selon cette procédure ne sont pas pleinement appliquées : où donc est l'urgence ?
Nous sommes parcimonieux, pour ne pas dire chiches, en matière de rapports. Pourtant, nous attendons toujours les deux tiers d'entre eux pour éclairer nos travaux et mieux légiférer. Comment comptez-vous remédier à cette situation ?
Enfin, sur la loi 3DS, une cinquantaine de mesures d'application manquent, parfois sur des sujets tout sauf mineurs : déclaration de catastrophe naturelle en outre-mer, dénomination des voies et lieux-dits, accompagnement des collectivités territoriales par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et les centres de gestion - sujet que je connais bien, comme délégué du CNFPT pour l'Occitanie.
M. Franck Riester, ministre délégué. - La procédure accélérée est devenue une norme : c'est utile en matière de volume de textes traités comme en matière de normes à décider, pour répondre plus rapidement aux besoins des administrés.
Le taux d'application de la loi 3DS était de 61 % en mars, de 71 % en mai. Les concertations, notamment avec les collectivités territoriales, prennent du temps. Des consultations obligatoires sont aussi prévues. S'ajoute à cela la forte inflation des mesures d'application entre le texte du Gouvernement et la version adoptée, le texte étant passé de 38 à 96 articles.
Mme Éliane Assassi . - Pour la loi Sécurité globale, moins de la moitié des mesures d'application nécessaires ont été prises - 14 sur 29.
Rappelons que l'ex-article 24, devenu article 52, a été très fortement contesté, avant d'être déclaré inconstitutionnel pour atteinte à la liberté d'informer, un véritable camouflet pour le Gouvernement. Cette loi est l'exemple type d'un texte qui clive pour rien. Pourquoi agir contre les intérêts du plus grand nombre et malmener nos principes constitutionnels ?
En matière de formation des agents de sécurité privée, les mesures de l'article 23 se feront au détriment d'enseignements fondamentaux.
C'est à se demander si le Gouvernement ne cherche pas volontairement à jouer la montre face à des dispositions contestées...
M. Franck Riester, ministre délégué. - Ce n'est pas vraiment une question...
La loi Sécurité globale et la loi sur les principes de la République sont appliquées respectivement à hauteur de 94 et 100 %.
S'agissant de la première, deux ordonnances ont été prises récemment. L'une fixe les modalités de fonctionnement du Conseil national des activités de sécurité privé, afin de sécuriser l'organisation de la coupe du monde de rugby et des jeux Olympiques. L'autre poursuit la moralisation du secteur de la sécurité et le renforcement de sa qualité : un agrément des dirigeants est prévu et la sous-traitance sera mieux encadrée.
M. le président. - Monsieur le ministre, vous venez d'expliquer que les mesures d'application étaient prises pour un texte que Mme Assassi préférerait ne pas voir s'appliquer... (Sourires)
Mme Amel Gacquerre . - La loi Égalim prévoit des mesures ambitieuses pour améliorer la qualité des repas servis en restauration collective. La priorité donnée aux produits de nos terroirs, notamment identifiés par des signes de qualité, constitue un signal fort pour les agriculteurs. C'est un levier important pour la structuration des filières et le développement de la production locale.
La loi Climat et résilience a renforcé ces objectifs. Malheureusement, le compte n'y est pas : au 1er janvier 2022, un tiers des cantines scolaires n'atteignaient pas l'objectif intermédiaire de 20 % de produits durables. Or ces objectifs sont primordiaux, tant pour la santé de nos concitoyens que pour celle de nos agriculteurs.
M. Franck Riester, ministre délégué. - Le Gouvernement est pleinement engagé pour atteindre ces objectifs. En juin dernier, nous avons mis en place un groupe de travail et la plateforme « Ma cantine » pour accompagner les gestionnaires dans la mise en oeuvre de la loi. Nous avons accordé 50 millions d'euros aux cantines des petites communes, 85 millions d'euros pour les projets alimentaires territoriaux et instauré une politique de tarification sociale, avec des repas à 1 euro pour 100 000 enfants.