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Table des matières
Modification de l'ordre du jour
« L'avenir de la ressource en eau : comment en améliorer la gestion ? »
M. Jean Sol, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie
M. Mathieu Darnaud, président de la délégation sénatoriale à la prospective
« Harcèlement scolaire : quel plan d'action pour des résultats concrets ? »
Mme Alexandra Borchio Fontimp, pour le groupe Les Républicains
M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse
M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains
École de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
M. Max Brisson, auteur de la proposition de loi
M. Jacques Grosperrin, rapporteur de la commission de la culture
M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture
Mme Jacqueline Eustache-Brinio
M. Jacques Grosperrin, rapporteur de la commission de la culture
Ordre du jour du mercredi 12 avril 2023
SÉANCE
du mardi 11 avril 2023
79e séance de la session ordinaire 2022-2023
Présidence de Mme Nathalie Delattre, vice-présidente
Secrétaires : Mme Martine Filleul, M. Jacques Grosperrin.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique du Sénat, est adopté sous les réserves d'usage.
Modification de l'ordre du jour
Mme la présidente. - Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l'inscription à l'ordre du jour du mardi 9 mai des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, après l'examen des conclusions de la CMP sur le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires.
Il en est ainsi décidé.
« L'avenir de la ressource en eau : comment en améliorer la gestion ? »
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème « L'avenir de la ressource en eau : comment en améliorer la gestion ? » à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective.
M. Jean Sol, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective . - « Qui dit eau dit santé, assainissement, hygiène et prévention des maladies ; dit paix ; dit développement durable, lutte contre la pauvreté, soutien aux systèmes alimentaires, création d'emploi et prospérité. C'est pourquoi l'eau doit être au centre de l'agenda politique mondial. » C'est ainsi qu'Antonio Guterres concluait la conférence-cadre sur l'eau le 24 mars dernier.
L'eau est au coeur de notre système alimentaire et énergétique, car elle sert à refroidir nos centrales nucléaires. En cas de manque ou d'excès, les conséquences sont dramatiques. L'eau est au coeur de notre vie quotidienne. Quel miracle : il nous suffit d'ouvrir un robinet pour disposer à tout instant d'une eau de qualité, pour un prix moyen de 4,30 euros les 1 000 litres, assainissement compris.
Mais cet été, plusieurs communes ont été en panne d'eau, choc culturel dans notre pays tempéré.
Nous recevons 200 milliards de m3 de pluies utiles. Nous en utilisons 32 milliards par an, dont 15 milliards pour le refroidissement des centrales, 5 pour l'alimentation des canaux, 5 pour l'eau potable, 3 pour l'agriculture et un peu moins de 3 milliards pour l'industrie.
Nous devrions réussir à répondre à tous nos besoins. Mais le débit de nos rivières baisserait de 10 à 40 %, selon un rapport prospectif. La sécheresse de 2022 nous appelle à remettre en cause nos modèles. Pour le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM), toutes les régions sont touchées. Entre juin et août, la situation est critique, particulièrement cette année.
En 2016, la délégation à la prospective avait déjà sonné l'alarme, avec le rapport « Eau, urgence déclarée » de Jean-Jacques Lozach et Henri Tandonnet. Cette année, Catherine Belrhiti, Cécile Cukierman, Alain Richard et moi-même avons intitulé notre rapport « Comment éviter la panne sèche » - il faut être lucide, plutôt qu'alarmiste et chercher les moyens d'agir.
Ces moyens existent : depuis 1964, c'est la gouvernance par grands bassins hydrogéologiques, la planification via les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage), et une redevance de 2 milliards d'euros par an.
Les collectivités territoriales sont impliquées dans le petit et grand cycle de l'eau, parfois regroupées dans des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB), dans l'idée d'une démocratie de l'eau. Nous sommes armés, mais il ne faut pas sous-estimer les difficultés.
Qualitativement, la directive-cadre sur l'eau (DCE) fixe des objectifs qui ne seront malheureusement pas atteints - malgré le report du délai à 2025. Nous devons continuer à lutter contre la pollution par les nitrates, les résidus de pesticides, les résidus médicamenteux, les plastiques et les per- et polyfluoroalkylées (PFAS).
Quantitativement, il faudra être sobre, comme le dit le Président de la République en présentant les 53 mesures du plan Eau.
Cela ne doit pas aboutir à interdire dogmatiquement toute retenue d'eau. Il faut gérer l'eau, notamment pour permettre l'agriculture. Il faut autoriser de nouvelles retenues dès lors que le service rendu économique et environnemental est positif. Il faut fonder la gestion de l'eau sur la nature, et améliorer les pratiques agricoles. L'agriculture sans eau est impossible, mais on peut améliorer l'irrigation et les pratiques culturales si l'on accompagne les agriculteurs. Il faut améliorer la recherche pour réutiliser les eaux usées, notamment dans les zones côtières, comme nous l'écrivions dans notre rapport.
La question des moyens ne doit pas être éludée. Nous proposons d'augmenter les moyens des agences de l'eau, de décentraliser la décision publique sur l'eau et de repolitiser les instances de gestion.
Enfin, il faut plus de pédagogie sur les enjeux de l'eau et les efforts que chacun devra faire.
Les principes de la politique de l'eau ne doivent pas faire perdre le bon sens. Au nom des débits réservés, on interdit l'utilisation des canaux d'irrigation des Pyrénées-Orientales, alors qu'ils permettent de recharger la nappe, de ralentir l'écoulement de notre fleuve, la Têt, et qu'ils nourrissent un maraîchage local, donc vertueux.
Tuer l'agriculture ne sauvera pas l'eau. J'espère que nous saurons trouver des solutions plus raisonnables, comme le faisaient nos anciens. Si l'eau est plus rare, elle n'a pas disparu, et la France ne sera jamais le Sahara. Notre intelligence collective doit nous éviter la panne sèche. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDPI ; MM. Daniel Breuiller et Hervé Gillé applaudissent également.)
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie. - Le 10 janvier, nous étions déjà réunis ici pour débattre de la gestion de l'eau ; nous partagions l'enjeu d'une gestion résiliente et concertée de cette ressource. Je salue la qualité du travail du Sénat et j'ai plaisir à revenir quelques jours après la présentation par le Président de la République du plan Eau, de ses 53 mesures et des moyens inédits qui répondent à vos préoccupations.
La politique de l'eau est bien structurée et outillée, mais nous devons aller plus loin. C'est le sens de notre plan d'action ambitieux, qui fait suite à une concertation avec les comités de bassin, le comité national de l'eau et les représentants des collectivités. Nous voulons garantir l'accès à une eau de qualité pour tous et des écosystèmes préservés. Ce débat s'inscrit dans l'avenir. Soyons concrets dans les solutions.
Mme la présidente. - Je salue la présence en tribune de la maire de Sainte-Terre et son conseil municipal des jeunes.
M. Alain Joyandet . - Une majorité des communes veut conserver la gestion de l'eau, mais le chemin est ardu. Que de temps perdu !
En 2015, la loi NOTRe prévoit un transfert obligatoire de l'eau et de l'assainissement des communes aux intercommunalités. Depuis, on ne compte plus les textes qui tentent de revenir sur ce point, notamment, en 2017, la proposition de loi adoptée du président Retailleau, le texte de 2018 qui reporte ce transfert à 2026, une proposition de loi en 2020, et une nouvelle loi en 2022 pour les syndicats sur une seule communauté de communes... Preuve qu'il y a un problème.
Après la proposition de loi de M. Darnaud déposée le 22 juin 2022, le Sénat adoptait en 2023, à 259 voix pour, un autre texte rétablissant le caractère optionnel de la compétence eau des intercommunalités.
Lors des questions au Gouvernement, le ministre Béchu a estimé que la compétence ne devait pas nécessairement revenir à l'intercommunalité, mais pas non plus à la commune seule. Que faut-il en comprendre ? Certaines communes rurales, ayant anticipé le transfert à l'intercommunalité, s'aperçoivent que c'est ingouvernable, et que l'embauche de nombreux fonctionnaires et contractuels fait flamber le prix de l'eau. Une intercommunalité de Haute-Saône n'a pas été capable d'envoyer ses factures d'eau depuis un an et demi !
Faisons de l'eau une compétence optionnelle des intercommunalités, et laissons les élus décider !
Dans une commune rurale, le prix de l'eau a été multiplié par trois, alors que rien n'a changé : c'est intolérable !
Dans la Haute-Saône, un représentant de l'État m'a dit qu'il y allait de la qualité de l'eau et de la santé de nos enfants ! Et ce dans une commune où, grâce à un fontainier souvent bénévole qui y travaille depuis 25 ans, tout fonctionne bien. Pourquoi casser ce qui marche pour uniformiser ?
Il faut vite un texte, pour que les communes sachent ce qu'elles doivent faire avant 2026. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Louault applaudit également.)
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Pour 88 % des communes, l'intercommunalité assume la compétence eau et assainissement. La mutualisation est donc bien enclenchée. Les communes assumant seules la compétence sont concentrées dans certains départements, comme les Hautes-Alpes.
Le Président de la République a rappelé l'importance de la mutualisation pour l'ingénierie, l'innovation et le maintien d'un niveau de service important.
Vous parlez de communes où tout va bien, mais 2 000 d'entre elles ont connu des problèmes d'approvisionnement, dont la plupart avaient conservé la compétence eau. C'est le cas des 170 communes ayant moins de 50 % de rendement. L'État a engagé 100 millions d'euros supplémentaires en 2022, et autant en 2023, pour les travaux, mais cela ne suffira pas : les communes doivent avoir l'ingénierie nécessaire.
Le Gouvernement ne souhaite pas revenir sur le transfert de compétence.
M. Jean-François Husson. - C'est rassurant !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Pour le ministre Béchu, la mutualisation doit primer.
Une mission parlementaire sera lancée sur le sujet.
M. Alain Joyandet. - Cela ne répond pas à ma question. L'intercommunalité peut décider de prendre la compétence puis la déléguer illico aux communes. C'est ce que prévoit la loi. Est-ce ce que les communes doivent faire ? Pourquoi ne pas clarifier les choses ? (M. François Bonhomme renchérit.)
Je demande qu'on laisse les élus locaux décider. Dans mon département, il y a des syndicats qui regroupent dix-huit communes depuis trente ans, parce que c'est pertinent. Pourquoi ne pas faire confiance aux élus, et rendre la compétence optionnelle pour les intercommunalités de moins de 20 000 habitants ?
Venez en Haute-Saône, vous serez la bienvenue ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Amel Gacquerre applaudit également.)
Mme Vanina Paoli-Gagin . - Jacinda Ardern, ancienne Première ministre néo-zélandaise, a déclaré dans son dernier discours que le changement climatique définissait notre génération de politiciens. Quelle que soit notre vision, nous subissons ses conséquences.
Nous souhaitons tous une gestion améliorée de la ressource vitale qu'est l'eau. Mers et océans abritent une biodiversité essentielle et absorbent la pollution en CO2. L'eau est indispensable, et parfois source de conflits, d'où la nécessité de travailler au niveau mondial.
La récente découverte dans les nappes phréatiques françaises d'un pesticide interdit depuis des années interroge. Comment s'attaquer aux causes des pollutions, accélérer l'homologation de nouveaux produits, comme le biocontrôle, alors que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et ses homologues européens sont saturés ?
Pour parler de quantité et de qualité de l'eau, il faut s'interroger sur sa gestion. Fidèle à sa conception libérale de l'écologie, le groupe Les Indépendants ne croit pas qu'on puisse revenir à des méthodes d'un autre siècle. Les solutions viendront de la recherche et de l'innovation. Nous ne pouvons qu'anticiper et prévenir, investir dans nos réseaux, avec un pilotage optimisé. Il faut clarifier les responsabilités, notamment au sein des collectivités territoriales.
Je salue le plan sobriété lancé par le Gouvernement.
Il faut actualiser les projets hydrologiques, gagner en réactivité par une gestion flexible des territoires. Nous devons partager les bonnes pratiques et trouver des solutions locales spécifiques. La solution n'est pas la même dans l'Aveyron, dans l'Aube ou en Corse.
Nous avons besoin de sensibilisation, mais aussi de formation. Qu'envisagez-vous pour celle des ingénieurs ?
Une nouvelle génération d'Aqua Prêt est prévue ; avec quelles améliorations ? Quid des crédits d'impôts sur les récupérateurs d'eau dans les zones en tension ? Concernant la mise en oeuvre de la tarification progressive de l'eau, nous plaidons pour une association des praticiens.
Une bonne gestion nécessite un pilotage financier, alliant adaptabilité et accessibilité.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Il me faudra plus de deux minutes pour répondre à toutes ces questions.
M. Jean-François Husson. - Telles sont les règles de l'exercice !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Nous avons abordé ce sujet crucial lors de la conférence des Nations unies sur l'eau, la première depuis 46 ans.
Fournir une eau de qualité est une nécessité pour la santé de tous. Or nous observons une dégradation de la qualité chimique des eaux souterraines. Le dépassement du seuil de potabilité est une alerte, sans pour autant constituer un danger immédiat pour notre santé.
L'eau potable provient aux deux tiers des nappes. Il faut prévenir les pollutions diffuses en adaptant les pratiques agricoles dans les aires de captage, avec moins de pesticides et d'engrais chimiques. Le biocontrôle est effectivement une piste pour y parvenir, et nous avons financé la recherche dans ce domaine durant la dernière mandature.
Nous souhaitons aussi favoriser les installations en agriculture bio et en agroécologie ; 100 millions d'euros sont ainsi consacrés aux agriculteurs utilisant moins d'intrants.
Nous négocions actuellement le règlement pour une utilisation durable des pesticides (SUR). En cas de dépassement d'un seuil sanitaire d'une molécule encore en usage, le préfet prendra automatiquement des mesures.
Nous étudions aussi la possibilité de réintroduire un crédit d'impôt pour les récupérateurs d'eau de pluie. (Marques d'impatience à droite) Nous travaillons également sur la question de la formation.
Mme la présidente. - Vous pourrez continuer après la prochaine question.
M. Daniel Breuiller . - Merci à Jean Sol et à la délégation à la prospective pour ce débat.
J'étais satisfait, en écoutant le Président de la République, de constater que certaines de nos propositions - tarification progressive de l'eau, augmentation des financements à l'agriculture biologique, sortie des engrais azotés de synthèse, paiement de services environnementaux - avaient été en partie reprises. Madame la ministre, n'hésitez pas à consulter nos autres propositions !
La moitié des masses d'eau sont polluées par les plastiques, les nitrates, les pesticides ou les herbicides. Sur ce sujet, rien ou presque. Pis, le ministre de l'agriculture - et des pesticides - demande à l'Anses une réévaluation sur le S-métolachlore R 471 811.
Nous revendiquons un plan massif en faveur de l'agriculture biologique, qui a un effet bénéfique pour l'eau notamment grâce aux couverts végétaux. La nature a ses propres solutions ! Il faut engager les agriculteurs vers ce chemin plutôt que de défendre un modèle agro-industriel qui craque de toutes parts, même s'il reste rentable.
L'objectif de diminution de notre consommation d'eau de 10 % en 2024 a été reporté à 2030. Certes l'agriculture consomme 56 %, mais l'industrie n'est pas en reste - on le voit à Crolles avec l'usine ST Microelectronics.
Nous promouvons un moratoire sur les projets à fort impact : mégabassines, réserves d'eau pour les canons à neige et liaison Lyon-Turin. L'étiage des fleuves baisserait de 20 à 40 % d'ici 2050 ; à quel niveau seront-ils en 2100, date de fin de vie de vos EPR ?
L'été, il faudra choisir entre l'eau potable, l'eau pour les milieux, pour l'énergie et pour l'agriculture : qui arbitrera et comment éviter les conflits ? Pour nous, la solution passe par la science partagée et la démocratie, notamment à travers des études préalables accessibles.
Madame la ministre, les conflits d'usage se multiplieront : Sainte-Soline n'était qu'un avant-goût. L'agriculture a besoin d'eau dans les systèmes d'irrigation vertueux, pas dans les mégabassines. Trouvons des réponses démocratiques localement !
Notre groupe souhaite une convention citoyenne de l'eau, comme celle sur la fin de la vie qui a débouché sur un consensus.
Faisons confiance aux citoyens, aux ONG, aux scientifiques - et même aux parlementaires écologistes. René Dumont prédisait la raréfaction de l'eau dès 1974, sous les sarcasmes des partis de gouvernement. Il avait pourtant raison. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Si nous avons repris beaucoup de vos propositions, c'est que nous sommes à l'écoute.
Nous ne voulons pas revenir sur l'objectif de baisse de 10 % de la consommation d'eau ; mais désormais, nous avons un plan complet pour y parvenir. Collectivités, industriels, agriculteurs, chacun doit y contribuer.
Dans le secteur agricole, cela suppose de revoir les cultures trop gourmandes en eau, de favoriser la réutilisation des eaux usées traitées - moins de 1 % dans notre pays, contre 13 % en Espagne.
Le plan Eau octroie les moyens nécessaires pour parvenir aux objectifs que nous nous sommes fixés.
M. Daniel Breuiller. - L'aggravation de la crise climatique ne nous laisse pas le temps d'avancer à un train de sénateur. (Sourires) Il faut engager les débats démocratiques dès maintenant !
Je prends toutefois note de vos engagements : nous sommes prêts à participer à ce travail.
Mme Nadège Havet . - Au cours de l'été 2022, 93 départements ont été touchés par des restrictions d'eau, plus de 1 000 communes ont dû être ravitaillées par bouteilles. La faible pluviométrie des derniers mois est inquiétante pour cet été.
En vingt ans, la France métropolitaine a perdu 14 % de ses capacités d'eau renouvelable par rapport à la période 1990-2001. Le cycle de l'eau se modifie, avec plus d'irrégularités : la répétition des chaleurs et les épisodes de pluie violents nécessiteront une adaptation.
Nous devons relever le défi et adopter une politique de sobriété dans les usages. D'où le plan de réduction de 10 % des usages d'ici 2030. Chaque sous-bassin hydrographique sera doté d'une trajectoire particulière. Un écowatt de l'eau sera mis en place, les plafonds de dépense des agences de l'eau seront supprimés et une tarification progressive de l'eau sera instaurée.
Nous voulons passer d'un taux de réutilisation des eaux usées de 1 % aujourd'hui à 10 % d'ici à 2030. Plusieurs leviers sont nécessaires : lancement d'un appel à manifestation d'intérêt pour les communes littorales, création d'un observatoire national, accélération des procédures administratives, entre autres.
Même si des actions sont menées, notamment sur l'arrosage des espaces verts, il faut accélérer ! Tel est le sens de la sixième recommandation du rapport sénatorial. Les eaux traitées constituent non pas une ressource nouvelle, mais une alternative au prélèvement dans la nature, particulièrement utile sur le littoral.
Le règlement européen adopté en mai 2020 sur la réutilisation des eaux usées entrera bientôt en vigueur. On traite chaque année plus de 40 milliards de mètres cubes d'eau, mais moins d'un milliard est réutilisé.
Fin août, la Première ministre avait abordé la notion de planification écologique de l'eau, appelant à une gestion de l'eau plus résiliente dans l'industrie, l'agriculture et les usages du quotidien.
Un consensus, qui passe par un effort de communication et de démocratisation, s'impose. Madame la ministre, quelles sont les évolutions réglementaires à venir ? Comment simplifier les procédures ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Effectivement, le taux de réutilisation des eaux usées traitées n'est que de 1 %. Nous visons 10 %, et mille projets. Nous accompagnerons les porteurs de projet : un appel à manifestation d'intérêt sera lancé avec l'Ademe pour étudier la faisabilité de cent projets par an, surtout dans les communes littorales.
Nous avons ouvert de nombreux chantiers réglementaires pour lever les freins à la réutilisation de l'eau non conventionnelle, tout en garantissant la sécurité sanitaire.
La réutilisation de l'eau dans l'industrie agroalimentaire fait l'objet d'une consultation publique. Les acteurs attendent le décret avec impatience.
M. Hervé Gillé . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Daniel Breuiller applaudit également.) Notre groupe a proposé une mission d'information intitulée « Gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement » dont je suis rapporteur. Elle s'inspirera bien sûr des travaux de la délégation.
La mission s'appuiera sur trois axes. D'abord, la qualité de l'eau, cruciale pour l'eau potable mais aussi pour la faune et la flore aquatiques. Or la moitié des masses d'eau sont polluées, et les révélations de l'Anses sur le chlorothalonil et le S-métolachlore montrent que nos progrès sont insuffisants. Nous regrettons que ces enjeux soient absents du plan Eau. La protection de 500 points de captage prioritaires semble porter ses fruits : ne faudrait-il pas en protéger davantage ?
Deuxième axe : la gestion quantitative de l'eau. Les épisodes extrêmes vont se multiplier. Pourquoi ne pas créer de nouvelles ressources multi-usages ? Les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) vont dans le bon sens, mais ils sont trop tardifs. Comptez-vous les faire évoluer ?
Une politique de sobriété s'impose. Vous annoncez 30 millions d'euros pour les retenues agricoles, 180 millions pour la réduction des fuites, 50 millions pour la protection des nappes et des zones humides : autant de pistes intéressantes, mais comment ces chantiers seront-ils financés ? Envisagez-vous une nouvelle fiscalité, ou une hausse des redevances ? Il faut clarifier et éviter les effets d'annonce.
La tarification différenciée est souhaitable, mais elle suppose un travail préalable avec les parties prenantes. À l'instar des déchets, chaque activité devra recevoir une tarification différenciée : les familles nombreuses ne doivent pas être lésées. Notre mission est disponible pour avancer sur ce sujet.
Troisième axe : le rôle des collectivités territoriales. Qui doit agir et avec quels moyens ? Avec l'approvisionnement, l'assainissement et la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi), les collectivités sont en première ligne. L'échelle des bassins-versants est aussi très importante. L'échelon territorial doit être renforcé. La revalorisation de 475 millions d'euros par an pour les agences de l'eau est bienvenue, mais elle ne sera pas mise en oeuvre avant 2025.
Nous devons étudier le contrat d'objectif et de performance avec les parties prenantes et conditionner les aides à la protection de la ressource.
La gestion de l'eau est éminemment politique et doit être travaillée avec l'ensemble des acteurs : cette question mériterait à elle seule un ministère ou un secrétariat d'État. Investissons nos instances, repolitisons-les au sens noble du terme ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Merci pour le travail que vous menez.
Nous ne créerons pas de nouvelle fiscalité, mais relèverons les taux existants de redevance.
La gestion de l'eau est une compétence décentralisée depuis les années 1960, autour des bassins et des sous-bassins ; le Gouvernement n'entend pas revenir dessus. Pas moins de 54 % du territoire est doté d'une commission locale de l'eau (CLE) et d'un document de planification tel qu'un schéma d'aménagement et de gestion des eaux (Sage). Des simplifications réglementaires permettront de couvrir tout le territoire d'ici 2027. Il n'y a rien de mieux que ces parlements de l'eau que sont les CLE, notamment pour atteindre l'objectif d'une réduction de l'utilisation de 10 % de la ressource : je vous invite à en impulser la création dans vos départements.
M. Hervé Gillé. - Vous nous confirmez un relèvement des redevances...
Je suis favorable à un renforcement de la planification : les Sage et les CLE sont utiles. Mais nous devons aussi favoriser l'intégration de la gestion de l'eau dans les politiques d'urbanisme - notamment les schémas de cohérence territoriale (Scot), les plans locaux d'urbanisme (PLU) ou les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi). Je pense aux eaux pluviales et aux zones humides.
Mme Marie-Claude Varaillas . - Le monde est engagé dans une nouvelle ère qui le voit confronté à la vulnérabilité de ses écosystèmes : 40 % de la population mondiale souffre de pénuries d'eau et 1,4 milliard de personnes sont privées d'accès à l'eau potable.
Cet hiver, la France a été privée de pluie durant 32 jours. En 2022, été le plus chaud depuis les années 1950, 93 départements ont été soumis à des restrictions.
Sans action de notre part, la situation continuera à se dégrader. Varenne de l'eau, plan Eau : à la litanie des annonces, il faudrait substituer l'action.
Le rapport de la délégation à la prospective, auquel a participé Cécile Cukierman, propose des pistes utiles : les acteurs locaux jouent un rôle essentiel dans les agences de l'eau, dans les CLE, les comités de bassin, en matière de Gemapi ou pour les travaux d'assainissement.
Le transfert obligatoire de la compétence eau et assainissement aux intercommunalités en 2026 n'a pas été clairement évoqué par le Président de la République, malgré l'hostilité de nombreuses communes.
Les bassins de vie sont mieux intégrés dans les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE). Il faut redonner aux collectivités territoriales et aux agences de l'eau les capacités financières d'agir. Certes, les plafonds mordants sont supprimés, mais d'où viendront les 475 millions d'euros annoncés en faveur des agences régionales de santé ? Pas de l'État, mais des redevances ! (M. Mathieu Darnaud le confirme.)
Ce ne sont pas des mousseurs aux robinets qui régleront le problème, alors que les fuites dans les réseaux représentent la consommation de 18 millions d'habitants !
Les épisodes cévenols sont appelés à se multiplier. Il faut apprendre à retenir l'eau avant qu'elle ne fasse des ravages. Nous devons avoir un débat apaisé sur la question des récupérateurs : on ne vole pas plus d'eau avec une retenue collinaire qu'en installant des récupérateurs dans les maisons individuelles. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Louault applaudit également.)
M. Laurent Duplomb. - Bravo !
Mme Marie-Claude Varaillas. - Il faut généraliser la culture de la conservation : l'eau ne doit plus être considérée comme un marché juteux et opaque pour les multinationales, mais comme un bien commun. « Il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché », disait le Président Macron lors de la pandémie !
Il faut également une intervention particulière dans les outre-mer où l'état des réserves d'eau et des réseaux d'approvisionnement est très préoccupant.
Enfin, la tarification sociale de l'eau via la gratuité des premiers mètres cubes, qui figurait dans une proposition de loi que j'ai portée en 2021, doit être un objectif pour garantir ce droit inaliénable.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Je rappellerai les grands axes du plan Eau : la sobriété, avec l'objectif de baisse de 10 % des prélèvements ; l'optimisation, avec notamment la récupération des eaux traitées ; l'augmentation des partages ; le renforcement de la gouvernance locale avec les Sage, les CLE et les PTGE. Les engagements pris se traduiront ainsi au niveau local.
Qui va payer ? L'ensemble des usagers - ménages, agriculteurs, industriels. Lorsque le coût est partagé, il est mieux accepté.
Les 475 millions d'euros supplémentaires engagés par le Gouvernement pour les agences de l'eau représentent une augmentation de 20 % de leur budget.
Le sujet de la tarification sociale est porté directement par les collectivités territoriales, comme l'a rappelé David Lisnard. L'État sera aux côtés des collectivités territoriales, mais ne viendra en aucun cas imposer une tarification.
M. Jean-François Longeot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Louis-Jean de Nicolaÿ applaudit également.) Avec les sécheresses et canicules récentes, le temps de l'insouciance hydrique est révolu. Nous devons changer notre modèle de gestion de l'eau. L'équation est simple : faire mieux avec moins.
La nouvelle donne nous impose de repenser la notion de gestion durable et de trouver des voies pour prévenir et apaiser les conflits d'usage.
Il faut également mieux anticiper pour ne pas subir. Dans un pays que certains qualifiaient de château d'eau, l'accès à cette ressource devient facteur de tensions voire de conflits. Ne pas se préparer serait suicidaire.
Les assises et le Varenne de l'eau ont préparé le terrain et les esprits. Le plan Eau apporte une série de mesures attendues. On peut regretter que l'objectif de réduction de 10 % des quantités prélevées ne soit qu'indicatif, mais c'est un bon début.
Je salue aussi les 180 millions d'euros prévus pour lutter contre les canalisations fuyardes dans les communes où le rendement des réseaux est inférieur à 50 %, mais je suis inquiet de la conditionnalité des aides : les collectivités les plus fragiles ne doivent pas être pénalisées par des exigences hors de leur portée. Pouvez-vous nous rassurer sur la manière dont les aides seront attribuées et évaluées ?
Les nouvelles molécules retrouvées dans les milieux aquatiques, et, de là, dans l'eau distribuée, inquiètent : leurs effets sont mal évalués. Quelles actions envisagez-vous pour rassurer sur la potabilité de l'eau ?
L'État doit s'appliquer à lui-même les efforts qu'il demande aux entreprises, aux collectivités territoriales et aux citoyens. Il détient 190 000 bâtiments, soit 94 millions de m3 d'eau utilisés. Comment comptez-vous financer la mesure du plan Eau sur le bâti public, et communiquer autour de l'exemplarité de l'État ?
Sans moyens financiers adéquats, la parole publique reste lettre morte. Si les montants alloués paraissent importants, les besoins se chiffrent en milliards d'euros.
Que comptez-vous faire pour que le plan Eau ne soit pas un plan qui prenne l'eau ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Nadège Havet applaudit également.)
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Cela s'arrose !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - La conditionnalité doit rendre plus performante la gestion des services d'eau et d'assainissement, sans laisser des collectivités sur le bord du chemin. Nous ciblons les 2 000 collectivités présentant un risque d'approvisionnement, et les 171 communes dont les réseaux présentent des fuites supérieures à 50 %.
S'agissant du conditionnement des aides, les agences de l'eau fixeront les critères de conformité au regard des cibles, et de la qualité des rejets. Il ne s'agit pas de pénaliser les collectivités territoriales en difficulté : celles qui ne répondent pas aux critères seront accompagnées sous réserve de la présentation d'un plan correctif.
Répondre aux objectifs de baisse de prélèvement, renforcer la gouvernance, être attentif à la qualité de l'eau, c'est répondre à l'ensemble des besoins. Je n'oublie pas, bien sûr, la question des moyens financiers.
M. Jean-François Longeot. - Les collectivités territoriales attendent des moyens, mais aussi des conseils et de l'aide. En matière d'assainissement, il n'est pas facile pour un maire de prendre des décisions. Il y a un réel besoin d'accompagnement, or je ne suis pas certain que l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) soit en mesure de le délivrer.
M. Éric Gold . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Pierre Louault applaudit également.) Après les affrontements de Sainte-Soline, ce débat est cruellement d'actualité. Dans un contexte de pénurie croissante, l'eau va-t-elle enfin être gérée comme un bien commun ?
Jusqu'ici, nous prélevions 35 milliards de litres par an, sans qu'il soit besoin de remettre en cause notre modèle. Mais aujourd'hui, des tensions nouvelles autour du partage de la ressource font surface, avec le sentiment que l'on se réveille trop tardivement.
Sous l'effet du réchauffement climatique, les précipitations vont se réduire, l'évaporation s'accentuer, l'augmentation de la population mondiale accroîtra la pression. Parallèlement, les besoins augmentent - ainsi, en France, pour refroidir les centrales nucléaires.
Gérer durablement l'eau, c'est être en mesure de renouveler les stocks chaque année. Nous devons revoir complètement le modèle, à commencer par le modèle économique des agences de l'eau. Le plan Eau prévoit le déplafonnement des dépenses des agences. Il faut conserver la logique du pollueur payeur.
Si la tarification progressive de l'eau est une idée à creuser, tout ne doit pas reposer sur les ménages. L'objectif d'une réduction de 10 % de la consommation dans tous les secteurs a été repoussé de 2025 à 2030. Un objectif n'est rien sans moyens à la hauteur : le plan Eau prévoit 100 millions d'euros pour soutenir les pratiques vertueuses, autant pour le fonds vert, et une campagne de sensibilisation et d'accompagnement des particuliers.
Il faut une approche intégrée, avec une gestion par bassin ou par écosystème, afin d'éviter les conflits d'usage. Les quantités autorisées pour l'agriculture doivent être définies par les agences de l'eau, en collaboration avec les chambres d'agriculture mais aussi les autres associations et utilisateurs, pour éviter de nouveaux Sainte-Soline.
Il faut accompagner les élus locaux, les aider à mieux financer et mettre en oeuvre leurs projets. La technologie offre des opportunités intéressantes. Le Président de la République a fixé l'objectif de passer de 1 à 10 % de réutilisation de l'eau usée. Quand Israël réutilise 80 %, nous en sommes encore à arroser nos jardins avec de l'eau potable... Il faut en finir avec cette absurdité. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Daniel Breuiller applaudit également.)
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Je partage en partie le constat de M. Gold.
Les épisodes de sécheresse ont au moins permis une prise de conscience des citoyens comme des élus. Le sujet préoccupe naturellement le Gouvernement.
La ministre Wargon avait déjà annoncé la baisse de 10 % des prélèvements. Nous détaillons la méthode pour y arriver.
La réutilisation des eaux usées traitées doit être généralisée : nos voisins le font, et même des entreprises françaises à l'étranger. Pourquoi pas nous ?
Il est impératif de réduire les contraintes réglementaires, pour ne pas faire obstacle à la mise en oeuvre des projets sur les territoires.
M. Éric Gold. - Au vu des tensions croissantes autour de la ressource en eau, une remise à jour de la loi de 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques (Lema) de 2006 serait utile, notamment sur les priorités d'usage. Dans un contexte de pénurie, l'accès à la ressource pour tous et la biodiversité doivent être nos priorités. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du GEST)
M. Jean-François Husson . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La question de la gestion de l'eau s'invite de plus en plus dans le débat public et je m'en félicite.
Une gouvernance ad hoc est nécessaire. Il paraît bienvenu de recréer des services d'ingénierie de l'eau dans tous les territoires. Entre 2012 et 2022, l'Agence de l'eau Rhin-Meuse a supprimé 25 % de ses postes dans le domaine de la gestion et de l'assainissement.
Cette ingénierie doit être facilement mobilisable par les collectivités. La piste d'une ingénierie de proximité mérite d'être explorée, pour une amélioration fonctionnelle et de la performance du service. L'émergence d'une nouvelle ingénierie est la condition nécessaire pour améliorer la gouvernance. Ainsi, nous stimulerons les mécanismes de solidarité.
Il convient de faciliter la remise à niveau des infrastructures au moment où une commune rejoint une intercommunalité : bien souvent, c'est un frein à l'adhésion. Nous pourrions imaginer un contrat de transition guidé par les logiques de performance et de service, dans lequel les agences de l'eau trouveraient naturellement leur place.
Il faut aussi examiner les conditions de transformation des usages et du partage de la ressource en eau, grâce à un dialogue à 360 degrés. Les prévisions anticipent une baisse de la pluviométrie, excepté dans le Grand Est. Les Sage issus de la loi de 1992 constituaient une forme de démocratie locale pionnière, avec une prise en compte de la situation climatique. Il faut les repenser pour les rendre plus opérationnels.
Enfin, nous devons faire des efforts en matière d'innovation. Un volet Eau est prévu dans le plan France 2030. Nous sommes en retard sur la réutilisation des eaux usées.
Nul doute que le Gouvernement fera connaître la suite qu'il entend donner à ces propositions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Je vous remercie pour ces propositions, qui pourront être complétées dans le cadre de la mission d'information parlementaire qui vient d'être lancée.
Rappelons que les agences de l'eau sont dotées de 2,2 milliards d'euros, auxquels s'ajoutent les 475 millions d'euros du plan Eau. Une enveloppe de 180 millions d'euros par an supplémentaire vient aider les communes en difficulté. Il faut y ajouter 100 millions d'euros affectés à la réponse au risque de sécheresse, renouvelés en 2023, et les 400 millions d'euros d'aqua-prêts de nouvelle génération.
Depuis 2010, l'État n'assure plus l'ingénierie en matière d'eau et assainissement. Il revient aux collectivités territoriales de consolider leur ingénierie, d'où l'intérêt de la mutualiser. Il reste cependant l'ingénierie assurée par le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), que la loi 3DS a fait évoluer pour accompagner les projets les plus complexes. Nous sommes heureux, avec Christophe Béchu d'avoir oeuvré pour que le budget de cet établissement ne baisse pas, et que les effectifs de notre pôle ministériel ne baissent pas dans les cinq prochaines années.
M. Jean-François Husson. - Nous sommes à Gravelotte, il pleut des milliards ! Soulignons aussi que le Sénat a obtenu 50 millions d'euros supplémentaires pour les agences de l'eau.
Sur l'ingénierie, vous vous trompez. Le Cerema rencontre de grandes difficultés pour intervenir dans les communes de moins de 2 000 habitants. Vous avez évoqué un parlement de l'eau, mais il faut une vision à 360 degrés. Il y a une solidarité en direction des territoires ruraux, mais il convient d'aller plus loin, en partant du terrain.
Mme Marta de Cidrac . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Michel Laugier applaudit également.) Autrefois abondante, bon marché et disponible, la ressource en eau devient rare. Selon l'étude Explore 2070, la pluviométrie en été se réduira de 16 à 23 %. Notre pays connaît des périodes de stress hydrique important. Rien ne nous prédisposait pourtant à cela...
Nous faisons face à des canicules et à des sécheresses précoces, avec des conséquences dramatiques. Faut-il laisser les nappes se recharger sans retenues ou favoriser le stockage agricole ? Sainte-Soline montre que la problématique devient impossible à ignorer.
Je salue le travail des rapporteurs de la délégation.
L'eau est un sujet qui nous concerne tous. Nous n'avancerons pas sans nos concitoyens. Face à la tentation d'une approche technocratique, il faut privilégier une approche pédagogique et citoyenne.
La loi de 1964, fondatrice, a institué le principe selon lequel l'eau paie l'eau. Il n'est plus respecté : aujourd'hui, l'eau paie l'État, pour reprendre les mots de Mathieu Darnaud. Il faut repenser toute la stratégie.
Certes, il y a le plan Eau. Plusieurs fois reporté, il a finalement été présenté en mars. Je salue ceux qui ont travaillé sur ce sujet : le Sénat, le Centre d'information sur l'eau, les associations d'élus notamment.
Je suis particulièrement sensible au troisième axe du plan, « Investir massivement dans la réutilisation des eaux usées ». Il est nécessaire pour combler notre retard. Les logements français doivent réutiliser eaux grises et pluviales. Nous avons des champions mondiaux du traitement des eaux : associons-les à cet effort, sans les déstabiliser.
Notre modèle de gestion de l'eau a besoin de transformation tout en conservant les spécificités françaises : une eau potable disponible pour tous, mais où chacun contribue à hauteur de sa consommation.
Certains États américains voient la potabilité de leur eau diminuer en raison de la vétusté des réseaux et du manque de moyens. Soyons exigeants et économes, et adaptons chaque eau à son usage et chaque usage à la disponibilité de l'eau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Yves Détraigne applaudit également.)
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - La réutilisation des eaux pluviales doit en effet être renforcée. Jusqu'à présent, il était très difficile d'aménager les logements particuliers en ce sens. Le soutien politique est important dans ce domaine, et il sera possible de récupérer les eaux de pluie pour alimenter les chasses d'eau. Faisons en sorte que chacun participe à l'effort de sobriété, à son niveau.
Nous proposons un plan Eau ambitieux, qui repense notre modèle pour les vingt prochaines années. Donnons-nous tous les moyens d'atteindre nos objectifs : renforcement de la gouvernance locale, optimisation des ressources, sobriété, etc.
Le décalage dans la présentation du plan, prévue à l'origine pour la fin janvier, était nécessaire pour obtenir tous les arbitrages financiers.
Mme Marta de Cidrac. - En France, on a l'impression que l'on peut utiliser de l'eau potable pour tous les usages. J'attire votre attention sur un bon usage de la ressource pour la préserver.
Mme Florence Blatrix Contat . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'été 2022 s'est caractérisé par des records de chaleur et de sécheresse, et l'hiver 2022-2023 a été parmi les plus secs, avec un déficit de pluviométrie de 50 % en février.
Sans action forte des pouvoirs publics, l'été 2023 risque d'être pire. La gestion de l'eau est essentielle pour garantir l'accès à l'eau potable, que l'on pensait définitivement acquis.
La question du petit cycle de l'eau est essentielle. De nombreuses collectivités territoriales sont touchées par des problèmes de qualité des eaux brutes traitées.
La protection des captages est importante pour les collectivités territoriales, en raison des pollutions diffuses. Le Grenelle de l'environnement a identifié, en 2009, 500 captages prioritaires. En 2013, 500 nouveaux ouvrages prioritaires ont été identifiés, en vue d'aboutir à une gestion concertée, de prévenir les pollutions, mieux connaître les vulnérabilités et prévoir des programmes d'action spécifiques, gérés en partenariat avec les chambres d'agriculture. Cette stratégie, qui a montré son efficacité, mérite d'être étendue : il y a 35 000 captages en France !
La directive européenne « Eau potable » du 16 décembre2020 sera bientôt transposée par ordonnance. Elle prévoit notamment l'obligation d'un plan de gestion de la sécurité sanitaire de l'eau.
Comment les collectivités seront-elles associées ? La directive réforme la protection des captages sensibles à la pollution aux pesticides, et autorise les collectivités qui le souhaitent à définir un programme d'action, avec le préfet, encadrant les pratiques agricoles. Est-ce une extension de la politique des captages prioritaires ? Les préfets pourront-ils interdire l'utilisation d'intrants, de pesticides ? Comment développer les baux environnementaux, trop peu utilisés ?
« L'eau est le miroir de nos sociétés, et les liens que l'on entretient avec elle disent en creux ce que sont nos sociétés », écrit Erik Orsenna. Quelle société voulons-nous ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - La réduction de l'usage des pesticides est souhaitée sur tous les bancs. Les plans Ecophyto ont permis une baisse des ventes de produits phytosanitaires depuis 2017.
Le Gouvernement veut anticiper le retrait des substances actives problématiques et renforcer le pilotage et l'adaptation des cultures, avec trois principes d'action. D'abord, aligner les calendriers français et européen, et garantir l'application des clauses miroir pour éviter l'importation de produits contenant des phytosanitaires interdits chez nous.
M. Laurent Duplomb. - C'est déjà le cas !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Deuxièmement, favoriser la recherche de solutions alternatives, comme le biocontrôle. L'Inrae (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement) et les instituts techniques développent des solutions pour accompagner les agriculteurs.
Troisièmement, la gouvernance. Nous assumons d'avoir à la fois refusé la réintroduction de substances actives interdites et accompagné la décision d'interdiction des néonicotinoïdes.
Mme Florence Blatrix Contat. - Le dernier rapport de l'Anses montre la rémanence de certaines molécules après leur interdiction. Il faut anticiper davantage.
La préconisation de l'Anses de retirer le S-métolachlore est utile, et son indépendance est indispensable.
Accélérons la transition vers l'agro-écologie, tout en accompagnant les agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
M. Pierre Louault . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Comment retrouver une ressource plus abondante ?
Le niveau des rivières baisse, les nappes s'épuisent. Nous accumulons les fautes. Dans les années 1960 et 1970, nous avons creusé des fossés, mis à sec les ruisseaux.
Dans les années 2000, la Lema, en donnant une interprétation à la française de la directive européenne sur l'eau, a garanti la « continuité écologique » - mais seulement pour les poissons migrateurs, sans prendre en considération les incidences.
Mme Sonia de La Provôté. - Et les barrages !
M. Pierre Louault. - La surinterprétation administrative a fait jurisprudence : on supprime les seuils, on vide les rivières, on vidange les nappes phréatiques. Je suis paysan ; si vous enlevez 50 centimètres, les nappes se vidangent. Pour les abreuvoirs à poulet, c'est le même système : 2 centimètres d'eau retiennent un mètre d'eau. Les prairies deviennent paillassons, les zones humides sont en train de disparaître. On veut supprimer des étangs vieux de plus de 500 ans, au motif que le cours d'eau les traverse...
On épuise ainsi les réserves d'eau. Rivières et ruisseaux sont de plus en plus abondants en hiver, lorsqu'il pleut. Cela fait monter le niveau des océans, qui en avaient bien besoin ! Et l'été, on a de moins en moins d'eau...
La gestion de l'eau est un défi. Dans ma commune, j'ai rétabli des seuils sur des fossés créés dans les années 1960. Nous avons retrouvé des sources qui coulent toute l'année, rétabli des ruisseaux.
Je ne suis pas un anti-écolo. (Sourires sur les travées du GEST) J'ai recréé des zones humides, et on retrouve de l'eau toute l'année dans des endroits précédemment à sec.
Arrêtons, par pitié, de mettre à tout prix les rivières à sec par principe. On supprime les seuils sans les rétablir, avec une continuité écologique pour que les poissons passent.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Très bien !
M. Pierre Louault. - C'est tellement plus simple de supprimer... Voilà où passe la moitié des crédits des agences de l'eau !
À continuer ainsi, nous allons compromettre la capacité de nos nappes à se recharger. C'est sans doute trop compliqué pour la haute technostructure, mais jetez-y un coup d'oeil. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Françoise Férat. - Très bien !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie . - L'enjeu est de limiter la fragmentation des habitats naturels, l'une des causes majeures d'érosion de la biodiversité. Je défends l'avis scientifique, qui est clair sur le fonctionnement des systèmes hydrologiques. Ainsi, un avis de 2018 du conseil scientifique de l'OFB a infirmé les conséquences que vous avez décrites.
Je n'oppose pas la restauration du grand cycle de l'eau à l'idée de stockage, qui est pertinente. Les ouvrages peuvent répondre à des besoins locaux. Les projets doivent être considérés au cas par cas.
La voie de mon ministère, ce sont les continuités écologiques. Les réserves de substitution ou les réserves collinaires peuvent être adéquates pour les territoires.
M. Pierre Louault. - Je comprends que vous défendiez vos services, mais les agents de l'OFB sont-ils des scientifiques ? (M. Bruno Sido applaudit.)
Lorsque les prairies humides deviennent des paillassons, l'OFB en parle-t-il ? Non. Il ne regarde que ce qui est dans la lignée de son interprétation, et rien d'autre. Nous allons dans le mur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Jean-François Husson. - Quelle sagesse !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Merci pour la richesse de ces échanges, pour la qualité des travaux de la délégation à la prospective, et de tous les sénateurs. Le sujet de l'eau a été abordé à de nombreuses reprises par votre assemblée cette année.
Je considère le travail parlementaire comme source d'inspiration. Je crois à l'intelligence collective. C'est dans cet esprit que nous avons construit le plan Eau.
La ressource en eau est essentielle pour notre environnement, notre santé et notre économie. Notre société est prête pour un changement de rapport à l'eau. Nous allons décliner la trajectoire de sobriété, territoire par territoire et secteur par secteur.
Tous les acteurs sont concernés. Le sujet est vaste et complexe.
J'ai noté vos interrogations sur les moyens des collectivités territoriales et sur le lien entre les différents échelons de gouvernance.
Enfin, vous avez mis la levée des freins à l'innovation au rang des priorités, de même que la réutilisation des eaux usées.
J'espère que le plan Eau répondra à vos attentes. Je suis fière de ce travail interministériel intense, premier exercice de planification écologique piloté par la Première ministre. Je suis également fière des moyens débloqués pour la politique de l'eau : les agences de l'eau voient leurs moyens augmenter de 20 %, dans un effort inédit.
Nous allons aider les collectivités territoriales les plus en difficulté à sécuriser leurs infrastructures.
Nous allons changer d'échelle pour la réutilisation des eaux usées, et soutenir les collectivités. Un partenariat sera noué avec l'Ademe.
La semaine dernière, j'ai remis les trophées des Eco Maires pour récompenser des projets inspirants et participatifs. Je crois à l'initiative des territoires. J'attends une mobilisation pleine et entière des élus locaux, notamment sur le partage de la ressource.
Le 10 janvier dernier, je vous donnais rendez-vous pour vous présenter le plan Eau, et vous remercie d'avoir eu opportunité de le faire. J'aurai plaisir à poursuivre ces échanges avec vous. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Pierre Louault applaudit également.)
M. Mathieu Darnaud, président de la délégation sénatoriale à la prospective . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Louault applaudit également.) Jamais un exercice de prospective n'aura autant collé à la réalité.
Ne tombons pas dans l'opposition entre la sobriété et la mobilisation de la ressource. Monsieur Breuiller, on peut déjà travailler à la sobriété, sans qu'il soit besoin de convention. L'EPTB de l'Ardèche a publié un document exemplaire, Ardèche 2050, qui associe tous les acteurs. (M. Jean-François Husson acquiesce.)
Nous avons besoin de mobiliser la ressource. Pourquoi n'allons-nous pas assez vite sur la réutilisation des eaux usées ? Je vous invite à prendre l'attache de David Lisnard qui, depuis dix ans, est empêché de mettre en place un projet d'envergure par des obstacles administratifs...
En Ardèche, les projets de stockage se succèdent, pour l'agriculture, le tourisme, la défense contre les incendies. Nous avons multiplié les études environnementales, l'État a signé des conventions avec la chambre d'agriculture du département, mais aucun projet ne sort. Telle est la triste et dure réalité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Oui, nous avons des convergences avec certains points du plan Eau - heureusement ! Mais le bât blesse sur le volet financier. On annonce 475 millions d'euros, mais en oubliant que nos agences de l'eau ont dû restituer 400 millions pour financer l'OFB !
M. Jean-François Husson. - Eh oui !
M. Mathieu Darnaud. - Quand vous faites la soustraction, il reste peu d'argent pour répondre aux défis.
Une enveloppe pour les réseaux fuyards, c'est bien - mais le préfet a refusé à 26 communes de mon département la délivrance de permis de construire pour se conformer à leurs obligations, oubliant que les agences de l'eau n'ont pu soutenir la mise en place de schémas directeurs.
Il y a des avancées, mais elles sont insuffisantes.
Oui, il faut une gouvernance territorialisée, réunissant tous les acteurs, mais l'agilité est tout aussi importante. Je n'ai toujours pas compris votre vision de la gouvernance : intercommunale, via des syndicats, par mutualisation ? Il faut être clair vis-à-vis des élus locaux, et leur faire confiance, en permettant à des syndicats, qui épousent les bassins-versants, de porter ce sujet.
M. Bruno Sido. - Très bien !
M. Mathieu Darnaud. - Nous sommes prêts à débattre, mais le temps est venu de l'action ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Alain Richard applaudit également.)
La séance est suspendue quelques instants.
« Harcèlement scolaire : quel plan d'action pour des résultats concrets ? »
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème « Harcèlement scolaire : quel plan d'action pour des résultats concrets ?» à la demande du groupe Les Républicains.
Mme Alexandra Borchio Fontimp, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Harceler tue. Ce phénomène dramatique traduit un laxisme sans précédent vis-à-vis d'un fléau de société. Le harcèlement scolaire touche un million de jeunes chaque année, soit un sur dix. Dès la socialisation naît le rejet ; le harcèlement scolaire apparaît dès l'école primaire, à l'âge des premiers apprentissages.
Les familles, les proches sont également concernés. Des dizaines de nos enfants, de nos petits-enfants subissent ce qu'aucun enfant ne devrait subir.
Ces enfants découvrent la cruauté humaine et perdent foi en autrui. La réalité dépasse souvent l'entendement. Elle est traitée en fait divers, mais nous ne pouvons oublier les victimes, leur souffrance et leur douleur. Suicide ou homicide ? Comment qualifier l'acte d'un enfant qui se donne la mort, poussé à bout par ses camarades - un terme qui renvoie pourtant au partage et à la fraternité ? « Il n'est de camarades que s'ils s'unissent dans la même cordée », disait Saint-Exupéry.
L'école est le lieu de la transmission de valeurs, là où se forment les adultes de demain. Aller à l'école ne doit jamais devenir une contrainte mortifère qui laissera des stigmates. Nos concitoyens ne l'acceptent plus. Il faut répondre d'urgence à ce problème.
Il est choquant que l'enfant harcelé doive quitter l'établissement, quand les auteurs y restent impunément.
M. Max Brisson. - Absolument.
Mme Alexandra Borchio Fontimp. - C'est ce qui a motivé la proposition de loi de Marie Mercier : elle pose le principe de l'éloignement du harceleur pour protéger la victime et lui éviter cette double peine. Une mesure que vous avez d'ailleurs reprise, monsieur le ministre, si l'on en croit la presse de ce matin.
L'impunité doit cesser, les auteurs doivent être pris en charge. Les témoins aussi sont victimes, et développent un sentiment d'impuissance.
Ne faisons pas de faux procès aux parents, qui doivent être associés à la prévention en étant sensibilisés, informés et encouragés à dialoguer avec leurs enfants.
J'espère que ce débat permettra de faire avancer les choses. La mission d'information relative au harcèlement et au cyberharcèlement appelle à faire de ce sujet une grande cause nationale : une simple journée nationale ne suffit pas. Faisons-le pour les parents de Lucas ou d'Ambre - pour eux, il est trop tard.
Malgré les avancées de la loi du 2 mars 2022 et du programme pHARe (programme de lutte contre le harcèlement à l'école), ces drames traduisent un échec collectif. L'autorité judiciaire doit faire de la lutte contre le harcèlement scolaire une priorité de sa politique pénale et se saisir de la nouvelle infraction. Les signalements doivent être pris au sérieux. Le harcèlement scolaire ne doit plus être considéré comme des histoires entre gamins. À Menton, dans mon département, Anna va au collège chaque matin la boule au ventre, depuis six mois...
Levons le voile sur ce phénomène et parlons-en. Aidons à détecter les victimes et à gérer les harceleurs. L'école est aussi un lieu privilégié pour repérer et évaluer les difficultés des élèves.
Je salue l'engagement des personnes qui luttent quotidiennement contre ce fléau, pour que l'école ne soit plus une zone de non-droit et qu'enfant ne rime plus jamais avec violence. (Applaudissements)
M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. - Je vous remercie d'avoir inscrit ce sujet à l'ordre du jour. Longtemps un angle mort, la lutte contre le harcèlement scolaire est un engagement fort du ministère de l'Éducation nationale depuis 2017, et une priorité de mon action.
La loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance inscrit le droit à une scolarité sans harcèlement. La loi du 2 mars 2022 pénalise le fait de harceler. Depuis la dernière rentrée, le programme pHARe a été généralisé : 60 % des écoles et 86 % des collèges sont engagés dans ce programme. Nous avons donc encore du chemin à parcourir. Le programme sera étendu aux lycées à la rentrée.
Ce matin, j'ai annoncé que pour le premier degré, dans certains cas et en dernier recours, l'élève harceleur pourrait être scolarisé dans une autre école. J'y reviendrai.
M. Alain Marc . - Chaque année, près d'un million d'enfants sont victimes de harcèlement scolaire. Personne n'est épargné. Les conséquences sont dramatiques : baisse de l'estime de soi, troubles du sommeil, défiance envers les adultes, décrochage scolaire, honte et culpabilité... Elles sont parfois tragiques, avec vingt suicides d'enfants par an, comme celui, dernièrement, du jeune Lucas. La récurrence de ces drames souligne notre échec collectif à enrayer ce fléau.
Avec l'avènement des réseaux sociaux, les victimes n'ont plus de répit, et le harcèlement se poursuit jusque dans l'intimité de la chambre. Les publications sont parfois virales.
La peur doit changer de camp : tel était le signal envoyé par la mission d'information sénatoriale de juin 2021.
Le constat est sans appel : aucun établissement scolaire, aucun département n'est épargné. Les chiffres sont effrayants. Le rapport de la mission d'information a présenté plusieurs pistes, autour de trois axes : prévention, détection précoce et traitement des cas de harcèlement.
Parents et personnel éducatif sont démunis face au cyberharcèlement. Nous devons développer de nouveaux réflexes de protection, dès les premiers signaux. L'école républicaine doit être un lieu d'épanouissement, et non le théâtre d'humiliations et de violences. Tout le monde doit se mobiliser, et l'État impulser une vaste stratégie.
Monsieur le ministre, quels sont vos ambitions et votre calendrier pour lutter contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement ?
M. Pap Ndiaye, ministre. - Je vous rejoins sur la gravité des conséquences du harcèlement. J'ai moi aussi une pensée pour les victimes - les élèves qui meurent chaque année mais aussi ceux qui sont affectés plus insidieusement, sur le long terme.
Le numéro gratuit 3018 est très efficace pour répondre aux problèmes de cyberharcèlement sur les réseaux sociaux, par exemple pour bloquer la publication d'une photo ou une boucle de messagerie. Il sera systématiquement inscrit dans les carnets de correspondance.
Le programme pHARe a fait ses preuves dans les six académies qui l'ont expérimenté et sera généralisé à la prochaine rentrée. Nous voulons former cinq adultes référents par établissement, ainsi que des élèves ambassadeurs, souvent les mieux placés pour détecter et rapporter les faits. Nous menons un vaste programme de formation des adultes.
Nous voulons que l'élève harceleur reconnaisse ses torts et fasse, si nécessaire, l'objet de sanctions, par le conseil de discipline ou, dans le primaire, via la nouvelle disposition que j'ai évoquée.
M. Thomas Dossus . - Nous aimerions que l'école soit un sanctuaire préservé. Or la semaine dernière, c'est la violence policière qui s'est invitée dans un lycée de Conflans-Sainte-Honorine. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) Un élève plaqué au sol par quatre policiers, sous la menace des flash-balls... Monsieur le ministre, nous aurions aimé une réaction de votre part face à cet usage manifestement disproportionné de la force.
Ce n'est pas la première fois que nous débattons du harcèlement scolaire. Le constat de la mission d'information est dramatique : entre 800 000 et 1 million d'enfants en seraient victimes chaque année, soit deux à trois élèves par classe. La menace ne se cantonne pas à l'école mais rattrape les élèves jusque dans leur foyer via les réseaux sociaux. Les victimes ne connaissent aucune pause, aucun répit.
De nombreux élèves sont harcelés en raison de leur genre, de leur handicap, de leur couleur de peau ou de leur orientation sexuelle. Le suicide de Lucas, 13 ans, en janvier dernier rappelle que l'homophobie et la discrimination tuent.
Monsieur le ministre, vous affirmez que le programme pHARe, généralisé à la rentrée 2022, a produit des résultats. Sur quels critères vous fondez-vous ? Nous avons du mal à croire ce gouvernement sur parole... Aucune évaluation détaillée n'a été produite. Associations et syndicats dénoncent un déploiement inégal, des formations superficielles, un manque cruel de moyens... Le collège de Lucas avait d'ailleurs adhéré à ce programme.
L'année dernière, j'alertais le Sénat sur la situation scandaleuse de la médecine scolaire : un médecin pour 14 000 élèves, un infirmier pour 1 600 élèves, une chute des effectifs de 15 % en cinq ans. Le « quoi qu'il en coûte » s'est arrêté à la porte de l'école. Ces professionnels pourraient détecter les situations à risque et alerter, mais comment faire avec des moyens aussi dérisoires ?
Vous avez annoncé des campagnes de sensibilisation et des observatoires de lutte contre les LGBTphobies à l'école. C'est une première étape, mais insuffisante pour endiguer le fléau des discriminations LGBTphobes. Les moyens doivent être à la hauteur des enjeux.
Le harcèlement scolaire est un fléau protéiforme, pour lequel il n'existe pas de solution simple. Il faut passer à la vitesse supérieure. Investir dans la médecine scolaire ou dans les politiques de prévention, c'est investir dans l'apaisement de l'école et de la société. Il y va de notre responsabilité.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Vous l'avez dit, les solutions simples n'existent pas. Nous n'avons pas de baguette magique, mais nous avançons sur un chemin de progrès.
Souvent, le harcèlement pèse sur des élèves ayant une vulnérabilité ou une différence, réelle ou supposée. Le cas des élèves LGBT est éloquent. Nous sommes mobilisés pour préparer la journée du 17 mai, qui sera l'occasion d'une grande campagne, menée en partenariat avec des associations dont SOS homophobie.
L'expérimentation du programme pHARe dans six académies pendant deux ans fait l'objet d'une évaluation par une équipe de chercheurs. Le nombre de cas de harcèlement scolaire n'y a pas baissé - des cas qui seraient restés sous la ligne de flottaison remontent - mais leur traitement a donné de bons résultats.
Nous sommes mobilisés pour la médecine scolaire, mais un tiers des postes offerts ne sont pas pourvus : doubler leur nombre n'y changerait rien. Avec le ministre de la santé, nous préparons un plan d'action ; pour l'instant, nous attendons le rapport des trois inspections générales.
M. Julien Bargeton . - Le harcèlement entre pairs est la forme la plus répandue de violence en milieu scolaire : violences physiques, moqueries, insultes, humiliations... Avec les réseaux sociaux, le harcèlement se prolonge dans la sphère privée.
Depuis 2017, les gouvernements ont pris la mesure du problème. Depuis 2018, sur proposition de Richard Ferrand, les portables sont interdits dans les écoles et dans les collèges.
En 2019, la loi pour une école de la confiance a créé un droit à une scolarité sans harcèlement. Les horaires de la plateforme d'écoute dédiée ont été étendus.
Le programme pHARe, rendu obligatoire dans les collèges et écoles élémentaires depuis la rentrée 2022, implique les adultes, les élèves ambassadeurs et les parents : c'est un dispositif à 360 degrés.
La proposition de loi d'Erwan Balanant a créé l'année dernière un nouveau délit de harcèlement scolaire passible de dix ans de prison et de 150 000 euros d'amende en cas de suicide ou de tentative.
Notre arsenal a donc été complété depuis 2017, mais la situation reste dramatique et appelle d'autres changements.
Une proposition de loi de Marie Mercier a posé le principe de l'éloignement du harceleur, pour éviter une double peine à l'enfant victime. Notre collègue Sabine Van Heghe a également déposé une proposition de loi, preuve que le Parlement se saisit de cette question.
Peut-être faut-il se pencher sur des méthodes complémentaires, dans un esprit de parangonnage. Les pays scandinaves ont un temps d'avance en la matière, avec la méthode de « préoccupation partagée » ou le programme finlandais KiVa, en place depuis 2006, qui consiste en des jeux de rôle par exemple.
Je ne doute pas qu'ensemble, nous trouverons de nouvelles armes pour lutter contre ce fléau. (M. Xavier Iacovelli applaudit.)
M. Pap Ndiaye, ministre. - En effet, le programme pHARe est d'inspiration finlandaise. Il a une dimension pédagogique, en ce qu'il ne vise pas d'emblée à sanctionner, mais à sensibiliser le harceleur sur la gravité de ses actes. Parfois, d'anciens harceleurs sont au premier rang des élèves ambassadeurs. En ce sens, l'école assure sa mission pédagogique.
Parfois, cela ne suffit pas et la séparation entre les élèves s'impose. Elle est possible dans le secondaire, sur décision du conseil de discipline, mais pas dans le primaire où cette instance n'existe pas. C'est pourquoi nous proposons, dans certains cas et en dernier recours, de permettre l'éloignement de l'élève harceleur, en passant par la voie réglementaire.
Mme Sabine Van Heghe . - Un million d'élèves victimes de harcèlement scolaire, dont certains vont jusqu'à attenter à leurs jours, c'est intolérable. Le programme pHARe a été généralisé mais on peine encore à franchir le mur administratif et la tentation du « pas de vagues » dans certains établissements.
La lutte contre le harcèlement scolaire passe aussi par les initiatives locales. Dans mon département du Pas-de-Calais, je me réjouis de la mobilisation de tous les acteurs, mais beaucoup reste à faire.
Je viens donc de déposer une proposition de loi pragmatique, simple et concrète afin de compléter l'arsenal juridique existant. Il s'agit notamment d'imposer aux réseaux sociaux une obligation de sensibilisation des usagers, de renforcer le poids des adultes correctement formés dans les écoles ou de permettre l'exclusion des auteurs. Je me félicite que vous ayez repris cette dernière mesure.
La clé réside dans l'augmentation du nombre d'adultes présents dans les établissements, notamment les professionnels du médico-social et les psychologues. Pour que la parole des enfants se libère, ils doivent se sentir écoutés, compris et protégés. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Pap Ndiaye, ministre. - Je vous remercie pour votre rapport et le travail réalisé avec la sénatrice Mélot. Nous avons notamment repris votre proposition d'inscrire les numéros 3018 et 3020 dans les carnets de correspondance et sur les espaces numériques de travail (ENT). Il y a également une campagne d'affichage dans les établissements.
L'époque du « pas de vagues » est révolue, même si beaucoup reste à faire.
Je souhaite que les élèves harceleurs puissent être éloignés - comme le proposait la sénatrice Marie Mercier - indépendamment de l'avis de leurs parents ou représentants légaux, quand la situation est devenue intenable, que la sécurité de l'élève harcelé est mise en cause. Cela suppose l'accord du ou des maires concernés. En la matière, il faut procéder avec discernement, car il s'agit d'enfants de 6 à 11 ans et les situations ne sont pas toujours claires.
Mme Sabine Van Heghe. - Certes, il faut du discernement, mais ne facilitons pas la vie du harceleur au détriment du harcelé.
Mme Céline Brulin . - Le harcèlement scolaire est un fléau. Un élève sur dix subit une forme de harcèlement ou de cyberharcèlement.
Nous ne sommes pas totalement démunis. Le Sénat a ainsi présenté 35 propositions sur ce sujet et la loi du 2 mars 2022 a donné des outils. La lutte contre le harcèlement scolaire a été inscrite dans le code de l'éducation, et les établissements doivent désormais informer les élèves et les parents des risques. Monsieur le ministre, le rapport sur la prise en charge des frais de consultation et des soins, prévu à l'article 7, a-t-il été produit ?
Les assistants d'éducation sont un des rouages d'alerte au sein des établissements. Quand leur CDIsation sera-t-elle généralisée ? Malgré le décret, les établissements ne l'appliquent pas.
La revalorisation des AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap) est également attendue, ainsi qu'un renforcement de leur formation.
La formation du personnel éducatif prévue par la loi est encore insuffisante ; quel est son contenu ?
Je regrette que la généralisation du programme pHARe ait été lancée avant le retour d'expérience des six académies tests. Vous invoquez la baisse démographique pour justifier les suppressions de postes, mais la France reste un mauvais élève en matière de taux d'encadrement. Difficile de trouver cinq adultes par collège, à moyens constants, alors que le personnel assume déjà de plus en plus de missions. Qui assure les dix heures de formation des élèves, et avec quels outils ?
La médecine scolaire est dans une situation critique. Les effectifs ont fondu, particulièrement en milieu rural, et l'on manque de psychologues dans les Rased (réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté). Vous proposiez de travailler avec le ministre de la santé pour envisager des alternatives. Quelles sont-elles ? Où en est-on ?
Avec les réseaux sociaux, les frontières de l'école sont largement dépassées. Les plateformes doivent assumer leurs responsabilités. Pourquoi ne pas les obliger à diffuser des vidéos de prévention et de sensibilisation ?
Ce matin, vous avez annoncé l'éloignement des élèves harceleurs. Avez-vous consulté les associations d'élus sur les conséquences financières d'une telle mesure ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Pap Ndiaye, ministre. - Le programme pHARe et la loi du 2 mars 2022 ont renforcé la place de la formation.
Nous avons systématisé les programmes de formation dans les Inspé pour les professeurs et CPE stagiaires, et organisé des séminaires afin de former les formateurs. Ce processus prend du temps, au vu de la masse de personnes à former : cinq personnes par établissement dans le secondaire, et cinq par circonscription dans le primaire.
En parallèle, nous mettons l'accent sur la sensibilisation des familles par les établissements, notamment la diffusion du 3020 et du 3018.
Nous attendons le rapport des trois inspections générales pour faire des propositions sur la médecine scolaire.
M. Jean Hingray . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La communauté éducative est démunie, affaiblie par un phénomène incompris. Le harcèlement scolaire fracture notre jeunesse, endeuille nos familles et brise notre République.
De Napoléon à Jules Ferry, l'école républicaine a toujours su s'adapter et aller de l'avant. Aujourd'hui, cette légitimité est menacée par la souffrance de millions d'élèves.
Difficile de comprendre la psychologie et les rapports de force entre élèves. En 2021, 22 enfants ont fait le choix de renoncer, par la pire des manières. Ils ne se sentaient plus exister ; ils ont fait le choix de ne plus souffrir.
Nous constatons avec regret l'incapacité de notre système à prendre en charge ce phénomène, qui s'accroît avec l'effet de meute des réseaux sociaux. Ils deviennent le lieu privilégié du harcèlement. Celui-ci est partout : à l'école, dans les transports, et jusqu'à la maison...
Dans le harcèlement, il y a un leader, des suiveurs, des actifs et des passifs, parmi lesquels le corps enseignant, qui agit parfois trop tard.
À quoi bon entendre lorsque nous refusons d'écouter ? Reconnaître une situation de harcèlement est difficile, on les prend parfois pour de simples chamailleries. Difficile de repérer des microviolences...
Nous assistons à une perte de confiance croissante entre les parents, les élèves et l'Éducation nationale.
Les délais de traitement par les établissements sont trop longs, la prise en charge du signalement est floue, les procédures ne sont pas harmonisées. Pendant ce temps, le harcèlement s'intensifie. Ce problème, profondément humain, appelle une réponse de l'État.
L'Éducation nationale s'est dotée de moyens ; le programme pHARe, s'il demeure insuffisant, rend les élèves acteurs de la lutte contre le harcèlement. Attention toutefois : des harceleurs, animés par une soif de domination, intègrent le programme pHARe !
Nous devons faire de l'école un lieu de prise en charge prioritaire des victimes, et encadrer les harceleurs. De nombreuses solutions existent, comme la méthode Farsta. Monsieur le ministre, quelle est la vôtre ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Pap Ndiaye, ministre. - Il y a deux écueils à éviter : dire que rien ne change et, à l'inverse, prétendre que le programme pHARe et les autres mesures prises auraient, miraculeusement, tout changé.
Avec humilité, je reconnais que beaucoup reste à faire collectivement pour réduire ce phénomène catastrophique.
La formation des enseignants prend du temps. J'observe néanmoins une prise de conscience de la communauté éducative.
Les délais de traitement sont sans doute trop longs, mais méfions-nous à l'inverse des jugements expéditifs. Le chef d'établissement ou le Dasen (directeur académique des services de l'Éducation nationale) peut procéder à des mesures de sauvegarde, en écartant temporairement un élève.
En dépit de la démarche pédagogique du programme pHARe, il faut également envisager des sanctions. Elles font partie de la pédagogie, qu'il s'agisse du conseil de discipline ou du transfert de l'élève harceleur, selon une procédure qui sera arrêtée par voie réglementaire.
M. Jean Hingray. - Le travail sera long. À la suite du suicide du jeune Lucas, deux familles vosgiennes sont venues me voir ; le Dasen nous a aidés, mais je reste étonné que l'on sollicite un parlementaire pour des problèmes internes à l'Éducation nationale.
Oui au renforcement des sanctions contre les harceleurs. Pour reprendre une phrase de l'un de vos collègues, il faut être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants !
Mme Esther Benbassa . - Le 7 janvier dernier, Lucas, treize ans, a mis fin à ses jours. Si les raisons du passage à l'acte restent à confirmer, les conséquences du harcèlement subi ne peuvent être niées. Plus de 800 000 enfants souffrent, 26 % ont des idées suicidaires ; 77 % des jeunes déclarent avoir subi des violences, morales ou physiques, à l'école, alors que certains continuent de les considérer comme de simples railleries. Les conséquences sont multiples : perte de l'estime de soi, dépression...
À l'âge où l'on manque de discernement, le soutien du personnel scolaire est indispensable. Il y a urgence à mettre en place des protocoles adaptés pour éviter de nouveaux drames.
Le harcèlement scolaire ne cesse pas aux portes de l'école. La rue et les réseaux sociaux sont également des lieux de calvaire. Certes, des peines sont prévues pour les auteurs, mais les jeunes en ont-ils seulement conscience ? Le programme pHARe, les numéros d'écoute suffisent-ils ? Il faut faire de la sensibilisation une priorité.
Ces violences ne doivent plus être ignorées ni banalisées. Les enseignants doivent être préparés et les parents alertés, afin que l'école redevienne un lieu d'ouverture d'esprit dans lequel chaque enfant trouve à s'épanouir. (M. Yves Détraigne opine.)
M. Pap Ndiaye, ministre. - Nos chiffres ne sont pas stabilisés : ils dépendent des outils de mesure, mais aussi de la définition retenue - rappelons que le harcèlement suppose des actes répétés. Mais, au-delà de ce flou, la réalité est bien là.
Déceler le harcèlement scolaire le plus rapidement possible est un des objectifs de pHARe. Les élèves ambassadeurs sont les mieux à même de repérer les changements d'attitude de leurs camarades, qu'il s'agisse du comportement alimentaire, du travail ou du rapport aux autres. Nous comptons beaucoup sur leur mobilisation.
Il faut ensuite traiter les problèmes. Lorsqu'ils sont pris suffisamment tôt, ils peuvent souvent être résolus au sein de l'établissement. Quand le harcèlement perdure, les autorités académiques peuvent intervenir, avec le concours de professionnels de santé. Enfin, dans les cas extrêmes, une sanction peut intervenir, selon les modalités dont j'ai parlé.
Mme Esther Benbassa. - Je vous alerte sur les cas récents de violences sexuelles entre enfants de six à sept ans. C'est une autre dimension du problème.
M. Bernard Fialaire . - Un an après la promulgation de la loi contre le harcèlement scolaire, où en sommes-nous ?
Ce texte visait à garantir une scolarité apaisée, à prévenir le harcèlement, à améliorer la prise en charge des victimes et le traitement judiciaire des situations.
La prévention passe par la formation continue des encadrants.
Je salue le succès du programme pHARe, destiné à créer une communauté protectrice, à former les enseignants et à mobiliser les élèves - dix ambassadeurs par établissement.
Je me félicite aussi de la poursuite de la journée nationale contre le harcèlement scolaire, instituée en 2015 pour sensibiliser les élèves. Le Safer Internet Day, pour un internet sans crainte, rassemble 150 pays et de nombreuses associations. Je salue aussi les campagnes vidéo menées dans de nombreux établissements. S'y ajoutent les numéros, encore trop peu connus, et la plateforme digitale, qui a reçu 170 déclarations.
Mais la prévention ne suffit pas ; il faut punir les faits lorsqu'ils sont constatés. De ce point de vue, le délit créé, avec un quantum de peine proportionné, a démontré son efficacité.
Le harcèlement sévit aussi sur les réseaux sociaux : nos méthodes de sanction doivent s'y adapter. Nous devons aller plus loin dans la régulation, dans le respect du secret des correspondances et de la liberté d'expression.
Enfin, les élèves harcelés ne doivent plus subir un déplacement, alors que leur agresseur est maintenu dans l'établissement.
Depuis 2010, les pouvoirs publics se mobilisent. Malheureusement, les dernières études disponibles datent de 2021 : nous ne pouvons donc évaluer les effets de la loi de l'année dernière. Je regrette aussi que le rapport promis par le Gouvernement sur la prise en charge des soins ne soit pas venu.
Poursuivons le travail engagé, notamment dans le secteur du digital. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Pap Ndiaye, ministre. - Le Safer Internet Day, en février, et la journée nationale contre le harcèlement, en novembre, ont un vrai retentissement dans les établissements.
Vous avez raison : nous devons responsabiliser les réseaux sociaux. La plateforme 3018 travaille en liaison avec eux pour bloquer les comptes contenant des propos injurieux ou des photos n'ayant pas à circuler. Les réseaux doivent être plus proactifs sur ces questions.
J'ai annoncé une modification réglementaire du code de l'éducation pour déplacer les élèves harceleurs plutôt que les élèves harcelés. Cette décision n'intervient qu'en dernier recours, quand les autres sont épuisées : il s'agit de mettre en sécurité les élèves harcelés lorsque les procédures de conciliation ne fonctionnent pas.
M. Bernard Fialaire. - N'attendons pas passivement que les réseaux sociaux agissent, prenons des initiatives : c'est le rôle de l'État d'assurer la sécurité des élèves.
Mme Marie Mercier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Que se passe-t-il dans nos cours d'école pour qu'on en vienne à parler de l'enfer des récréations ? Y sévissent parfois racket, intimidations et harcèlement. Un million d'élèves, donc de familles, touchés, cela fait combien de larmes ?
L'élève harcelé qui vit un calvaire, l'agresseur qui est lui aussi en souffrance, les encadrants : tout le monde est perdant. Le harcèlement est fait de violences répétées qui isolent la victime, parfois jusqu'à la détruire ; ses conséquences sont graves, parfois dramatiques. Il faut le prendre en considération sérieusement, dans tous ses aspects.
Nous devons avant tout prévenir et, le cas échéant, repérer et traiter au plus vite. Quand le harcèlement a eu lieu, aux adultes de prendre leurs responsabilités pour protéger la victime, qui doit avoir foi en la justice, sanctionner et accompagner les harceleurs.
La proposition de loi que j'ai déposée le 21 février dernier pose un principe simple : il faut éloigner le harceleur pour protéger la victime. Je remercie mes 215 collègues qui l'ont cosignée, ainsi que ceux qui l'approuvent puisqu'ils l'ont reprise.
Certes, une procédure disciplinaire existe au sein des établissements ; mais, souvent, les conseils de discipline ne prononcent pas l'exclusion. Nous devons guider et accompagner les établissements dans leur prise de décision pour éviter aux victimes la double peine.
Je me réjouis que le ministre se soit emparé de cette idée. Mais pourquoi ne pas l'avoir fait plus tôt ?
Aucun enfant victime ne devrait avoir à quitter son école ! Protéger les enfants est notre devoir, pour préserver leur insouciance et leurs rêves. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Pap Ndiaye, ministre. - Je vous remercie pour votre proposition de loi, largement cosignée par les différents groupes du Sénat.
Dans le premier degré, il n'y a pas de conseil de discipline : d'où l'impasse récente dans le cas de Maël, le déplacement du jeune harceleur étant soumis à l'accord de ses représentants légaux. Avec la modification réglementaire que j'ai annoncée, il sera possible de passer outre à leur opposition, avec l'accord du maire. Il s'agit d'inverser la règle actuelle, ce qui est une question de justice. C'est une solution de dernier recours, mais qui doit être prévue, dans le premier comme dans le second degré.
Mme Marie Mercier. - Votre proposition reprend exactement ce que je suggérais d'inscrire dans le code de l'éducation.
Au cours de mes nombreuses auditions, j'ai entendu dire que si cela devient trop compliqué, le terme de harcèlement ne sera plus employé... Ce ne serait pas digne de l'Éducation nationale !
M. Max Brisson. - Très bien !
M. Yan Chantrel . - Nous avons été profondément touchés par le suicide du jeune Lucas, harcelé pour son orientation sexuelle. Quelles mesures ont été prises pour éradiquer de telles brimades au quotidien ?
Monsieur le ministre, votre volonté d'éradiquer ce fléau se vérifiera par vos actions dans deux directions : renforcement des moyens humains à l'école et changement de la culture scolaire.
Toutes les études le montrent : la meilleure manière de lutter contre le harcèlement scolaire est de renforcer les effectifs dans les établissements et les classes. Or nos classes sont les plus chargées de l'Union européenne : au collège, nous comptons 26 élèves en moyenne par classe, contre 21 en Europe ; et plus d'une classe sur dix dépasse 30 élèves, deux fois plus qu'il y a dix ans.
Depuis son élection, Emmanuel Macron n'a fait qu'aggraver la situation : 9 322 postes supprimés depuis 2018. Et vous prévoyez de poursuivre la saignée à la rentrée 2023...
Quant à la médecine scolaire, elle a été abandonnée. Nous comptons un psychologue pour 1 500 élèves et un médecin pour plus de 16 600, bien loin de l'objectif ministériel de 1 pour 5 000.
Comment prétendre lutter contre le harcèlement scolaire en réduisant à ce point les moyens de l'école ?
Nous devons aussi concevoir et organiser l'école autrement. Sortons d'une conception purement punitive, qui délègue la lutte contre le harcèlement aux CPE (conseillers principaux d'éducation), et développons une approche collective. Nous devons passer d'une école de la concurrence, du classement et de la distinction à un modèle solidaire, coopératif et inclusif, dans lequel la santé mentale n'est plus un tabou.
Monsieur le ministre, vous aviez promis des annonces sur la mixité scolaire pour le 20 mars : où en est-on ? (Mme Esther Benbassa applaudit.)
M. Pap Ndiaye, ministre. - Depuis la mort du jeune Lucas, nous intensifions les programmes de lutte contre les haines anti-LGBT. Nous généralisons les observatoires dans chaque académie et préparons la journée du 17 mai.
S'agissant des effectifs, je suis obligé d'apporter un bémol à vos propos : il n'y a pas de lien si évident avec le harcèlement. Ainsi, la classe de Maël ne comptait que dix élèves.
En ce qui concerne la médecine scolaire, je rappelle que de nombreux postes ne sont pas pourvus - dans les Vosges, huit sur dix. Ouvrir de nouveaux postes ne changerait rien tant que les étudiants ne choisiront pas la médecine scolaire, comme d'ailleurs la médecine du travail.
Je souscris à l'approche collective que vous souhaitez. Tous les adultes intervenant auprès des élèves contribuent au dispositif pHARe, et nous devons améliorer encore leur formation.
Mme Béatrice Gosselin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Près d'un enfant sur dix serait victime de harcèlement. Le harcèlement en ligne amplifie le phénomène. En 2021, vingt enfants et adolescents ont perdu la vie des suites de ce fléau, souvent pratiqué en meute.
Le caractère répétitif des agressions crée un sentiment d'isolement : les conséquences psychologiques peuvent être graves, jusqu'au suicide.
Dans un monde où internet accapare nos vies, le cyberharcèlement est devenu le véritable danger, le plus destructeur : car l'agression peut frapper à tout moment, et les harceleurs s'abriter derrière des pseudonymes.
Comment briser cette spirale ?
Le comité d'éducation à la santé, à la citoyenneté et à l'environnement (CESCE) sensibilise les chefs d'établissement, mais il manque de moyens humains et financiers.
Depuis la dernière rentrée, le dispositif pHARe est obligatoire dans les établissements ; il s'agit de former une communauté protectrice. Les élèves doivent être plus impliqués, les personnels mieux formés et les responsables d'établissement plus vigilants pour détecter les situations. Les harceleurs doivent être conscients de la gravité de leurs actes et des sanctions possibles.
La proposition de loi de Marie Mercier visant à l'éloignement du harceleur est une très bonne initiative.
En outre, il convient de renforcer pHARe, d'obliger les plateformes à contrôler et à supprimer les contenus délictueux, d'exclure le harceleur de façon automatique et de renforcer la médecine scolaire avec des professionnels formés à ces questions.
La prévention est primordiale : dénoncer un comportement délictueux doit être un devoir pour tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Pierre Louault et Franck Menonville applaudissent également.)
M. Pap Ndiaye, ministre. - Je souscris à vos propos. Nous sommes en chemin et progressons.
En cas de cyberharcèlement, les plateformes réagissent en quelques heures à la suite des signalements au 3018 ; les équipes de techniciens et de psychologues accompagnent les élèves ou les familles qui les appellent, parfois paniqués - j'ai pu m'en rendre compte lors d'une visite au centre.
La généralisation de pHARe est en cours ; il sera étendu au lycée à la rentrée prochaine, même si les faits de harcèlement sont plus nombreux au collège.
L'Éducation nationale se met en marche. On la compare parfois à une grosse bête de l'ère glaciaire, mais elle sait bouger...
Mme Béatrice Gosselin. - En effet, l'Éducation nationale bouge et doit bouger encore. Sur l'ensemble des réseaux et médias, diffusons des spots de sensibilisation. Certains enfants ne sont pas conscients des conséquences que peuvent avoir leurs paroles ou leurs actes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Sylvie Robert . - Comme le rapport d'information de 2021 l'a montré, le harcèlement a été reconnu tardivement en France, alors que des travaux sur le sujet sont disponibles depuis les années soixante-dix.
Avec l'essor du numérique, ses formes évoluent : il se prolonge désormais en ligne, plus sauvage et plus dangereux encore. Dès 2009, Michel Walrave soulignait les dangers de l'anonymisation.
La loi du 2 mars 2022 a marqué une première étape, en obligeant les fournisseurs d'accès à modérer les contenus. Toutefois, il faut aller plus loin dans la régulation des plateformes, même si elles ne sont pas responsables des faits commis.
En particulier, les réseaux sociaux devraient présenter les principales conditions d'utilisation de manière compréhensible par les jeunes utilisateurs. L'idée d'une courte vidéo sensibilisant aux bons usages du numérique semble faire consensus.
Ma collègue Sabine Van Heghe a déposé une proposition de loi en ce sens, qui sera prochainement débattue dans notre hémicycle. Monsieur le ministre, y serez-vous favorable ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Pap Ndiaye, ministre. - Merci pour vos propos, qui témoignent de la mobilisation du Sénat tout entier. Sur la responsabilité des plateformes, je suis tout à fait disposé à avancer, car l'État a une responsabilité en la matière. Je suis ouvert au travail en commun pour combattre ce fléau.
Mme Sylvie Robert. - Contre le harcèlement, nous avons beaucoup à faire : avancer sur ce sujet est une responsabilité collective.
Mme Sabine Drexler . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La médiatisation de plusieurs suicides d'enfants a révélé à ceux qui l'ignoraient encore la réalité du harcèlement scolaire et de ses conséquences. Ce que l'on sait moins, c'est que la santé, la vie professionnelle et la parentalité des victimes sont durablement marquées par les agressions subies. Dépressions pour les victimes, abus de pouvoir pour les harceleurs, sentiment d'impuissance pour les témoins : le harcèlement scolaire explique de nombreux maux à l'âge adulte.
L'Éducation nationale a pris conscience de la nécessité d'agir. Mais l'ancienne enseignante spécialisée que je suis, sait que l'efficacité d'un programme comme pHARe suppose des professionnels spécialisés : sans moyens humains, ces dispositifs resteront des coquilles vides.
Or si les zones d'éducation prioritaire sont encore dotées de moyens importants, dans la ruralité, les postes sont supprimés les uns après les autres ; les professionnels qui restent sont submergés et peu reconnus. C'est un mauvais calcul, car les économies réalisées à court terme entraîneront des coûts immenses. Chez moi, les violences familiales explosent... Vaut-il mieux prévenir ou guérir ? Créer des postes d'enseignants spécialisés ou d'intervenants sociaux en gendarmerie ?
Monsieur le ministre, n'oubliez pas la ruralité. Dans le sud de l'Alsace, nous n'avons plus que trois professionnels spécialisés pour 108 communes. Familles et élus se sentent abandonnés, et je crains qu'ils n'aient raison... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Pap Ndiaye, ministre. - Je puis vous assurer qu'ils ne sont pas abandonnés. Nous avons lancé un plan pour l'école rurale avec des engagements pluriannuels, afin de donner une visibilité aux maires sur les postes. En matière de taux d'encadrement, les territoires ruraux sont relativement favorisés par rapport aux territoires urbains, ce qui est normal compte tenu des contraintes d'éloignement.
La formation aux questions de harcèlement bénéficie de moyens importants qui seront reconduits, aux niveaux national, académique et départemental.
Nous progressons, et les territoires ruraux ne sont pas oubliés.
Mme Sabine Drexler. - Dans certaines zones, il n'y a même plus d'enseignant spécialisé ou de psychologue scolaire. Quel gâchis... Et quel coût à venir pour la société, bien supérieur à celui des postes que nous pourrions créer ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Toine Bourrat . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le harcèlement scolaire blesse, broie et brise ; il viole l'enfance, ce terreau fertile où grandit la conscience morale et civique. Dans un pays où l'on prétend résoudre les problèmes à coups de numéros verts, il faut stopper cette spirale infernale.
Nous devons instaurer une culture de la vigilance, au plus près du terrain. Il faut repérer rapidement et agir localement.
Les premiers témoins sont les enfants eux-mêmes : libérons leur parole en expliquant qu'il s'agit non pas de dénoncer un camarade, mais de signaler celui qui est en danger. Les applications internes aux établissements, comme Pronote, pourraient être utilisées pour alerter.
Nous devons également redresser la médecine scolaire, en grand danger. Nous ne comptons qu'un médecin pour 12 000 élèves : Dominique Bussereau a évoqué devant le Sénat une situation d'indigence...
Le fléau du harcèlement doit être traité dans son intégralité, alors que pHARe n'est qu'une réponse partielle. En Finlande, grâce à une culture de la vigilance développée depuis plusieurs générations, chacun est le maillon d'une chaîne d'attention à autrui et de compréhension de ses émotions. Les résultats sont surprenants, avec une baisse du phénomène de plus de 40 %.
En ligne, nous devons combattre la multiplication des comptes fantômes et des identités factices.
Comme le disent les militaires, qui s'y connaissent en gestion de l'urgence : être à l'heure, c'est déjà être en retard. En matière de lutte contre le harcèlement, nous avons bien du retard à rattraper ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Pap Ndiaye, ministre. - En Finlande, il a fallu dix ans pour obtenir avec KiVa les résultats actuels. Notre programme est beaucoup plus récent, mais nous espérons atteindre plus rapidement des résultats comparables, en nous inspirant des exemples étrangers.
Mme Toine Bourrat. - La baisse de 40 % dont j'ai parlé est intervenue après deux ou trois ans ; au bout de dix ans, les résultats sont bien meilleurs.
M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - Je serai bref, car nous avons abordé les principaux aspects de la question.
La formation est essentielle : nous nous efforçons de former tous les personnels, comme le prévoit la loi du 2 mars 2022. La formation des professeurs stagiaires est d'ores et déjà systématique. Les inspections et les écoles académiques de formation continue seront davantage mobilisées.
Nous veillons aussi au suivi quantitatif et qualitatif des actions menées.
Nous avons encore des marges de progression : 86 % des collèges et 60 % des écoles font partie du programme pHARe, qui sera étendu aux lycées à la rentrée prochaine.
Comme l'ont proposé vos collègues Colette Mélot et Savine Van Heghe, nous ferons inscrire systématiquement les numéros d'urgence 3018 et 3020 dans les carnets de correspondance et sur les supports numériques.
Le rôle de l'Éducation nationale est de protéger les élèves. Quand une séparation s'impose pour mettre en sécurité l'élève harcelé, il n'est pas juste que celui-ci doive quitter l'établissement. Au primaire, où il n'y a pas de conseil de discipline, la mesure réglementaire que je propose permettra de déplacer le harceleur sans le consentement de ses représentants légaux.
Nous parlons d'enfants de six à dix ans : il faut donc être prudent et prévoir des garanties suffisantes. L'éloignement sera une mesure exceptionnelle destinée à mettre à l'abri l'enfant harcelé.
Au terme de ce débat, j'ai une pensée émue pour tous les élèves victimes de harcèlement scolaire. Tous, nous sommes pleinement engagés pour prévenir ces drames douloureux, et conscients du chemin qui reste à parcourir.
M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Merci, monsieur le ministre, pour les précisions que vous avez apportées et les annonces que vous avez faites au cours de ce débat.
Le groupe Les Républicains a eu raison d'inscrire ce point à notre ordre du jour. Au demeurant, la question fait consensus - pas sûr qu'il en ira de même du texte dont nous débattrons dans quelques instants...
M. Julien Bargeton. - Certes non !
M. Max Brisson. - Mme Borchio Fontimp a posé clairement les termes du débat, rappelant notamment le rapport de nos collègues Sabine Van Heghe et Colette Mélot.
Plusieurs drames récents ont rappelé l'urgence d'intensifier la lutte contre ce fléau. Nombre d'entre vous ont évoqué le cas de Lucas. Je pense aussi à ce lycéen qui a assassiné une enseignante à Saint-Jean-de-Luz, après avoir été harcelé dans son collège. Il est certes hasardeux d'établir une corrélation, mais ce drame est dans tous les esprits.
Au-delà de ces cas extrêmes, il y a une réalité ordinaire. Le cyberharcèlement prolonge le harcèlement dans la sphère privée. Nous manquons d'un appareil statistique adapté et d'enquêtes régulières, notamment pour évaluer les effets du programme pHARe et du dispositif pénal issu de la loi de mars 2022.
Nous avons insisté sur les besoins de formation des personnels. Le principe de la formation continue des enseignants, inscrit dans la loi de l'année dernière, est loin d'être appliqué. Deux tiers des enseignants déplorent un manque de formation et une absence de prise en considération par leur hiérarchie. Monsieur le ministre, vous avez réagi sur le « pas de vagues », mais le sujet dérange toujours et, parfois, l'inertie continue de prévaloir.
Il faut identifier plus rapidement les cas de harcèlement. À cet égard, le manque de moyens est criant : psychologues et médecins scolaires font défaut. Monsieur le ministre, nous attendons la mise en oeuvre du plan que vous avez annoncé et nous avons des propositions à vous faire.
Des progrès sont possibles aussi pour l'accompagnement des victimes et de leur famille. Souvent, elles se sentent peu écoutées. Le programme pHARe manque de moyens humains et financiers.
Nous soutenons fortement la proposition de loi de Marie Mercier. Monsieur le ministre, vos annonces sur l'éloignement sont les bienvenues : nous attendons des mesures précises pour régler cette question.
Les recommandations du Sénat et la proposition de loi de Marie Mercier doivent être réellement prises en compte et se traduire concrètement sur le terrain. La mobilisation ne doit pas fléchir pour garantir la sérénité de nos élèves ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Bernard Fialaire et Jean-Noël Guérini applaudissent également.)
École de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité, présentée par M. Brisson et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
M. Max Brisson, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La France consacre à l'éducation de sa jeunesse 5,2 % de son PIB, contre 4,9 % en moyenne dans l'OCDE. L'éducation nationale est, à 60 milliards d'euros, le premier poste de dépenses de l'État.
Et pourtant... La performance de notre système éducatif ne cesse de se dégrader, ce dont témoignent notre décrochage dans les classements internationaux et les lacunes croissantes dans des domaines fondamentaux : mathématiques, lecture. Cette situation inquiète un peuple tout entier.
Sans qu'on puisse les en blâmer, les parents qui le peuvent retirent leurs enfants des plus mauvais établissements : l'évitement est devenu un sport national...
Parallèlement, le métier d'enseignant est de moins en moins attractif. Le ministère en est réduit à recruter des contractuels bombardés sur le terrain en 48 heures, dans les établissements les plus difficiles... Si elle est nécessaire, nous doutons que la revalorisation salariale remplace la nécessaire réponse structurelle.
Pourtant, l'attachement à l'école demeure, et son redressement est espéré. Ce sont les réponses qui divergent.
Pour la majorité des acteurs, la réponse est financière. Entre 2012 et 2017, le budget de l'Éducation nationale a progressé de 11 % ; de 2017 à 2022, de 21 %. C'était nécessaire, mais les résultats ne sont pas à la hauteur.
Depuis trop longtemps, les moyens supplémentaires sont l'unique réponse aux maux de notre école. On dépense beaucoup, mais sans jamais repenser l'organisation du système éducatif...
La rue de Grenelle tend à répondre aux problèmes par la multiplication des circulaires, l'avalanche des injonctions, l'enchevêtrement des contrats d'objectifs et le plaisir d'un verbiage plus ridicule que précieux.
Verticalité et centralisation découragent les initiatives - au nom de l'égalité, alors que notre système produit de la ségrégation. Il faut en finir avec cette asphyxie bureaucratique et rompre avec le conservatisme ambiant au ministère, où l'on pense soit : « on l'a déjà fait », soit : « c'est impossible ».
La Cour des comptes montre que les systèmes les plus performants reposent sur la liberté et l'autonomie, qui encouragent l'innovation. (M. Jacques Grosperrin, rapporteur, acquiesce.)
Posons donc les fondements d'une plus grande autonomie, en expérimentant la création, sur une base volontaire, d'établissements publics autonomes d'éducation, qui géreront librement leur personnel et leurs moyens en contractualisant avec les rectorats et les collectivités territoriales.
Nous ne proposons pas une contractualisation pilotée par le haut, corsetée, copiée-collée, mais initiée par les équipes pédagogiques et adaptée à la réalité de chaque établissement.
Bref, le contraire de ce qui a été initié jusqu'ici et qui se maintient. En effet, des initiatives telles que « l'école du futur » se poursuivent, empêtrées dans une application restrictive, en dépit de l'intention sincère de donner plus de souplesse aux établissements.
L'expérimentation des établissements publics autonomes d'éducation s'appuiera également sur des contrats de mission, aérant les carrières des professeurs. Ils contribueront à l'envie de changer, d'innover, de véritablement servir.
Chaque territoire est spécifique. Nous avons la conviction qu'aucun établissement ne ressemble aux autres. Or qui, mieux que le directeur, le principal ou le proviseur sait comment agir ?
Cette proposition de loi répond au problème de l'acquisition des savoirs fondamentaux, qui vacille parce que l'école s'éparpille. Tandis que les programmes se densifient, le temps effectif qui leur est dédié se réduit face à « l'éducation à ». De l'institution scolaire, désormais, on attend moins une instruction qu'une réponse aux défis sociétaux. Nous sommes bien loin de « l'asile inviolable » réclamé par Jean Zay.
Face à la baisse de niveau, je propose un service public de soutien scolaire s'appuyant sur des professeurs volontaires, une réserve éducative, ouvert à chaque élève, quels que soient ses moyens.
La formation des enseignants du premier et second degré doit être différenciée. Ce n'est pas le même métier ! Il ne s'agit pas de revenir sur la mastérisation, mais de redonner enfin la main à l'Éducation nationale dans la formation des professeurs des écoles.
En dernier lieu, comme vous le savez, nous sommes vigilants sur la question de la laïcité. L'école doit rester un lieu de rassemblement fondé sur une stricte laïcité, renforçant le sentiment d'appartenance et le vivre-ensemble. Évitons les postures dogmatiques.
Je remercie le rapporteur Grosperrin pour son travail. Si nous sommes parfois en désaccord dans cet hémicycle, je forme le voeu que ce débat soit fertile. Soyez certains que ce texte repose sur une passion immodérée pour l'école de la République. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et sur quelques travées du RDSE ; M. Franck Menonville applaudit également.)
Rappel au Règlement
M. Jean Louis Masson. - Ce rappel se fonde sur l'article 44 alinéa 6 du Règlement.
Deux articles sur la laïcité, les plus importants, ont fait l'objet des interventions les plus passionnées en commission. J'ai été surpris qu'ils figurent en toute fin de texte. Le projet de loi relatif aux retraites, avec son article 7, a montré le mauvais exemple.
Un article important doit figurer en début de texte. En conséquence, je demande la priorité sur les articles 10 et 11.
Mme la présidente. - Acte est donné de votre rappel au Règlement.
Nous débattrons de votre demande de priorité après les interventions du rapporteur et du ministre, si vous en êtes d'accord. (M. Jean Louis Masson acquiesce.)
Discussion générale (Suite)
M. Jacques Grosperrin, rapporteur de la commission de la culture . - Ce texte part du constat que l'institution scolaire est en souffrance. Nos concitoyens sont inquiets. La moitié des Français pensent que l'école fonctionne mal et les deux tiers sont pessimistes sur son avenir. Cette proportion atteint 80 % chez les enseignants, ce qui traduit un mal-être profond. L'école de la défiance a succédé à l'école de la confiance.
La France est l'un des pays où l'origine sociale conditionne le plus le parcours scolaire. Malgré des moyens importants, les écarts entre élèves en REP et REP+ et les autres varient peu. En outre, 70 % des élèves défavorisés ne sont pas scolarisés en REP.
Par ailleurs, l'école ne semble plus en mesure de transmettre les savoirs fondamentaux. Les élèves de CM1 sont particulièrement en retard en mathématiques, tandis que 30 % des élèves de CM2 font au moins 25 erreurs à une dictée, contre 7 % en 1987. La France est à la traîne, par rapport aux pays étrangers, mais aussi au passé.
L'Éducation nationale peine à déployer une politique tenant compte des spécificités territoriales. Le rapport Lafon-Roux a mis en lumière l'absence de la donnée « ruralité ». Or les élèves scolarisés en milieu rural se heurtent aux mêmes difficultés que les élèves de REP.
Si nous partageons les mêmes objectifs que le Gouvernement, nous divergeons sur les moyens d'y parvenir. Je remercie Max Brisson, qui donne au Sénat l'occasion de débattre, projet contre projet, de l'avenir de l'école.
Son texte renforce l'autonomie des établissements scolaires. La politique centralisée et descendante ne répond pas aux besoins des territoires.
L'article 1er prévoit une contractualisation avec le recteur, en dotant les écoles volontaires d'un statut d'établissement public. Il faudra cependant obtenir l'aval des collectivités territoriales.
L'article 2 confère au directeur d'école une autorité hiérarchique sur les enseignants. La commission propose de fixer le plancher à neuf classes, ce qui concernerait 20 % des écoles publiques. De nombreuses écoles ont plus d'élèves que des collèges dont les chefs d'établissement détiennent cette autorité. À ce propos, monsieur le ministre, quand les décrets d'application de la loi Rilhac seront-ils publiés ?
La proposition de loi vise à assurer l'égalité des chances entre les élèves. Pour cela, elle crée un service public de soutien scolaire qui pourra s'appuyer sur la réserve éducative. La commission a souhaité en préciser les conditions. Elle a aussi voulu créer des territoires ruraux à besoins éducatifs particuliers, distincts des zones de revitalisation rurale (ZRR), qui arrivent à échéance en décembre.
En outre, un déploiement automatique des dispositifs d'éducation prioritaire dans les territoires ruraux a peu de sens. C'est le cas du dédoublement des classes systématique entre grande section et CE1, comme l'a montré le rapport d'Ariane Azéma et Pierre Mathiot. Le principal sujet est celui de l'orientation, de l'autocensure et de l'égalité des chances dans la poursuite d'études, plutôt dans le secondaire. La réforme du lycée a été difficile à mettre en place dans les lycées de petite taille.
L'article 9 prévoit un accord du conseil municipal avant la fermeture d'une classe dans une commune rurale. La prévisibilité pluriannuelle est demandée par les élus locaux depuis de nombreuses années. Monsieur le ministre, nous avons entendu vos propos et ceux de la Première ministre.
La proposition de loi améliore la formation des enseignants du premier degré, car cela demande des compétences spécifiques. Faire classe à des élèves de primaire est différent de faire cours à des collégiens ou lycéens.
Je me réjouis que ce texte soit l'occasion de débattre des modalités de recrutement et de formation des enseignants.
La commission a sécurisé les jeunes qui préparent le concours d'enseignant du premier degré.
Le texte vise à encourager le sentiment d'appartenance à l'établissement et à réaffirmer l'importance de la laïcité, notamment lors des sorties scolaires.
Nous revenons sur le sort des jardins d'enfants, qui ne peuvent prendre en charge qu'à titre dérogatoire l'instruction des enfants de 3 à 6 ans jusqu'à la rentrée 2023-2024. Nous avions déjà protesté contre la fin des jardins d'enfants comme alternative à l'école maternelle.
M. Max Brisson. - Très bien !
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Nous avons également introduit un article relatif à la bivalence, qui offre aux enseignants du secondaire de nouvelles perspectives de carrière.
Ce texte se veut résolument ambitieux. Il témoigne de la volonté du Sénat de faire de l'éducation la première priorité de la Nation. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Franck Menonville applaudit également.)
M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Cette proposition de loi témoigne de l'intérêt de la chambre haute pour la politique publique de l'éducation. Elle traite de sujets structurants et d'une grande actualité : gouvernance, formation des professeurs, continuité du service public de l'éducation dans les territoires...
Nous partageons de nombreux constats, mais nos solutions diffèrent.
L'autonomie des établissements que vous proposez existe déjà très largement pour les collèges et les lycées, établissements publics autonomes disposant de la personnalité juridique. Ce n'est pas le cas des écoles, mais je ne suis pas certain que nos maires soient prêts à renoncer à cette compétence qui date de la loi Guizot du 28 juin 1833. Il ne me semble pas opportun d'aligner le fonctionnement de nos écoles sur les établissements du second degré. N'écartons pas les élus.
Le Gouvernement est bien sûr ouvert à une évolution de la gouvernance de l'enseignement du premier degré, comme y appelait la loi Rilhac de décembre 2021 - les décrets seront prêts pour la rentrée.
Je défends l'autorité fonctionnelle des directeurs d'école. C'est un marqueur culturel de notre école primaire.
Avec Sylvie Retailleau, j'ai engagé une réflexion pour que nos professeurs des écoles soient mieux formés aux exigences des apprentissages. Je ne saurai cependant souscrire à votre proposition, qui les priverait d'une formation universitaire et du master.
Je souhaite qu'un soutien scolaire soit apporté à tout élève qui en a besoin, et je poursuis la politique de mon prédécesseur pour transformer le collège, qui, actuellement, ne peut remédier aux principales difficultés scolaires et lutter contre les inégalités. La classe de sixième sera transformée. Je rendrai le dispositif « Devoirs faits » obligatoire, afin que chaque élève soit accompagné.
L'égalité des chances doit exister dans tous les territoires, y compris la ruralité, comme je l'ai rappelé lors de mon déplacement dans la Nièvre avec la Première ministre.
Maintenir des classes ouvertes à tout prix, quelle que soit l'évolution démographique, n'est pas pédagogiquement viable.
Plusieurs propositions sont attendues localement : pluriannualité des moyens, dialogue entre le préfet, le directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) et les élus locaux, regroupements intercommunaux pédagogiques... À une solution égalitaire qui gèlerait les moyens, nous préférons une solution équitable qui prenne en compte la qualité de l'enseignement.
Nous devons mettre fin aux incohérences entre l'État organisateur du territoire et l'État instructeur de nos enfants par un travail de dentelière qui réponde aux particularités des territoires.
Le Gouvernement, comme tous ceux qui l'ont précédé, est opposé à votre proposition sur les parents accompagnateurs. Ce ne sont pas des agents de l'État : le Conseil d'État l'a rappelé. Ils ne sont pas soumis au principe de neutralité, mais il leur est interdit de faire du prosélytisme.
M. Max Brisson. - On peut changer la loi !
M. Pap Ndiaye, ministre. - Il n'est pas non plus souhaitable d'éloigner les parents de l'école.
L'uniforme est déjà une possibilité. Outre-mer, les établissements qui le souhaitent l'ont mis en oeuvre. Le Gouvernement est opposé à toute obligation. Cela ne réglerait pas les problèmes de laïcité : des accessoires y seraient immédiatement ajoutés. Je ne veux pas uniformiser les élèves, mais les faire adhérer aux règles de leur établissement et aux valeurs de la République. C'est par l'instruction et la pédagogie que notre école y parviendra. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe SER, du RDSE et du GEST)
Demande de priorité
Mme la présidente. - Conformément à l'article 44, alinéa 6, du Règlement, je suis saisie par M. Jean Louis Masson d'une demande de priorité d'examen des articles 10 et 11 afin qu'ils soient examinés avant l'article 1er.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Le coeur de ce texte est la ruralité, l'expérimentation sur l'autonomie des enseignants, le vivre-ensemble... Cette demande de priorité n'est pas utile. Examinons les articles dans l'ordre prévu. Avis défavorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Même avis.
La demande de priorité n'est pas adoptée.
Discussion générale (Suite)
Mme Monique de Marco . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Je remercie le groupe Les Républicains d'avoir inscrit cette proposition de loi à l'ordre du jour.
L'école est un sujet de clivage important et ce texte a le mérite de proposer une autre vision, inspirée de la réforme britannique de 2010. Évidemment, le consensus sera difficile à trouver.
Je souhaite nuancer le regard critique sur la performance jugée médiocre du système éducatif français. Les évaluations internationales ne portent pas sur l'intégralité des missions de l'école : apprentissage du socle commun, protection de l'environnement, intégration, prévention de la radicalisation, laïcité... L'école de la République est devenue le rempart contre tous les maux de la société et les enseignants sont en première ligne.
En 2020, en France, les élèves sont 18,4 par enseignant dans le primaire, contre 13,6 dans l'Union européenne. Compte tenu des moyens alloués, la France ne s'en sort pas si mal.
Le métier s'est complexifié, mais manque de reconnaissance.
Monsieur le ministre, certaines de vos déclarations sont conformes à celles des sénateurs Les Républicains : initiative partagée ou test ? Le Gouvernement propose d'amender ce texte - c'est un signe ! Inscrirez-vous cette proposition de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ?
Après les années Blanquer, il est indispensable de restaurer la confiance des enseignants dans l'institution. Il faut créer une communauté enseignante plus unie en y associant les AESH, améliorer les perspectives de carrière, créer un tutorat pour obtenir un soutien tout au long de la carrière.
Article 40 oblige, il ne reste rien de nos propositions ; nous ne pouvons que nous opposer à la création des écoles supérieures du professorat.
Je m'oppose fortement à l'autonomie des écoles ainsi qu'à la contractualisation. Quoi d'autre que le contrat républicain pour nos écoles ? Les difficultés rurales ne sont pas réglées. Dans le secondaire, les REP+ concentrent les populations les plus défavorisées, ce qui nécessite un projet de loi à part entière.
Ne ravivons pas les polémiques sur le principe de laïcité après l'assassinat de Samuel Paty, et supprimons les articles 10 et 11. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio proteste.)
Cette proposition de loi oublie nos langues régionales...
M. Max Brisson. - Ah non, pas à moi ! Ce n'est pas vrai !
Mme Monique de Marco. - ... menace le faible équilibre de l'éducation nationale et creuse les inégalités entre établissements.
Nous souhaitons une école libre et citoyenne, un service public accessible à tous, et ne voterons pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Julien Bargeton . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Lorsqu'on dépose une proposition de loi au Sénat, on a deux choix : celui du consensus, par exemple avec une proposition de loi sur les écoles rurales ou la formation des enseignants, ou celui d'une proposition vaste, qui retranscrit un programme politique. C'est noble, mais sans succès futur. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jérôme Bascher. - Tout comme les projets de loi gouvernementaux !
M. Julien Bargeton. - Cette proposition de loi se veut clivante. Vous annoncez la couleur ! Elle a suscité des amendements variés, sur Parcoursup, les AESH, l'éducation sexuelle à l'école... C'est dommage car cela nous empêche d'avancer sur des sujets précis.
Votre texte revient sur la neutralité des accompagnants scolaires, l'enseignement en famille, l'uniforme à l'école. Des amendements du groupe UC visent à supprimer l'obligation de neutralité lors des sorties scolaires : vous avez même réussi à cliver la majorité sénatoriale !
M. Max Brisson. - C'est sûr, ce n'est pas du « en même temps » !
M. Julien Bargeton. - Il faudrait d'abord évaluer les dispositifs, notamment celui sur l'autorité fonctionnelle prévu par la loi Rilhac, ou sur l'autonomie, objet d'une expérimentation en cours à Marseille. Dans sa sagesse, notre rapporteur a restreint les dispositifs proposés.
Cette proposition de loi arrive dans un calendrier marqué par le plan pour les écoles rurales et la mission d'information du Sénat sur l'autonomie des établissements. Vous auriez pu attendre les conclusions de vos propres initiatives.
M. Max Brisson. - Cela fait cinq ans que l'on attend !
M. Julien Bargeton. - Elle cherche à préempter tous les sujets, de façon précipitée et brutale. Elle ne répond pas à son objet.
Il y a peu de choses sur l'égalité des chances : où est la mixité sociale ?
M. Max Brisson. - Et le soutien scolaire ?
M. Julien Bargeton. - D'autres sujets ne sont pas abordés, comme les écoles privées. Des amendements ont donc été déposés.
Le dédoublement des classes en CP et CE1 concerne 300 000 élèves.
M. Max Brisson. - Pour quels résultats ?
M. Julien Bargeton. - Dix points d'amélioration sur les mathématiques et le français...
M. Max Brisson. - Seulement au CP !
M. Julien Bargeton. - L'école inclusive accueille 430 000 élèves porteurs de handicap, contre 320 000 début 2017. Les cordées de la réussite accompagnent 200 000 élèves de la quatrième à la terminale. Certes, il faut compléter ces dispositifs, mais en partant de ce qui existe.
Cette proposition de loi politique déclenche des polémiques, alors que l'école mérite confiance et efficacité. Vous avez voulu cliver. Mais comment faire de l'école un sujet de rassemblement ? (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe SER et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme Marie-Pierre Monier . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) Le 10 avril 1870, Jules Ferry déclarait au Palais-Bourbon : « Ma prétention est de vous montrer que l'égalité d'éducation n'est pas une utopie ; que c'est un principe ; qu'en droit, elle est incontestable et qu'en pratique », ajoutait-il, « cette utopie apparente est dans l'ordre des choses possibles ».
C'est d'abord à cette exigence d'égalité que nous devons souscrire, et non à celle de la performance. L'école de la République n'est pas une entreprise !
Ce texte est un condensé des propositions de la droite pour transformer une institution soi-disant défaillante : autonomie des établissements renforcée à l'extrême, autorité hiérarchique des directeurs d'école, remise en cause du statut de la fonction publique, uniforme obligatoire...
En 2022, le niveau de confiance dans l'école était de 74 %, selon l'Insee. Certes, tout ne va pas bien, mais l'école a besoin de moyens, non d'une logique libérale. Certains, à droite, diront qu'elle reçoit déjà bien assez... Mais selon la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), la France avait le nombre d'élèves par classe le plus élevé de l'Union européenne en 2022 : 22 en élémentaire contre 19,3 dans le reste de l'Union ; 26 au collège contre 21 dans le reste de l'Union. Nos enseignants assurent un nombre d'heures de cours parmi les plus élevés, pour un salaire inférieur à la moyenne européenne.
Les inégalités d'éducation doivent être scrutées avec attention. La dépense en matière d'éducation est de 7 %, contre 7,7% au mitan des années 1990. L'État s'est désengagé : la part des collectivités dans les dépenses d'éducation est passée de 14 % en 1981 à 23 % en 2021.
L'enseignement privé sous contrat est financé à 73 % par l'argent public. Pourquoi les établissements privés parisiens disposent-ils de plus d'heures d'enseignement rapportées au nombre d'élèves que le public ?
L'article 1er de la proposition de loi prévoit une autonomie renforcée des établissements, à rebours de notre vision républicaine d'une école qui soit la même sur tout le territoire. Le cadre expérimental est juridiquement fragile. En effet, les EPLE ne peuvent être créés temporairement.
L'article 2 instaure une autorité hiérarchique pour les directeurs d'école - certes circonscrite par la commission. Nous sommes attachés au fonctionnement collégial des écoles du premier degré, de pairs parmi les pairs. L'autorité fonctionnelle ouvre une première brèche.
L'article 3 sur les contrats de mission est dérogatoire au cadre commun de la fonction publique. Ce dispositif impacterait l'ensemble des recrutements et ne réduirait pas le déficit d'attractivité de certains établissements ou territoires.
L'article 10 étend le principe de neutralité aux participants occasionnels du service public de l'éducation : il est contraire à la position constante de notre groupe. Nous préférons une meilleure appropriation de ce principe fondamental par les élèves.
D'autres dispositions, moins clivantes, portent sur des problématiques pertinentes. Ainsi, la formation initiale des enseignants du premier degré peut être revue et améliorée. Ne mettons pas fin à la culture professionnelle commune entre premier et second degré permise par les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé) et n'éloignons pas la formation des enseignements du premier degré du monde de l'université et de la recherche.
L'article 6 est positif. Le soutien scolaire ne peut être laissé aux mains du privé, il doit être réalisé par des professeurs et intégré à leurs heures de service. Malheureusement, nos amendements en ce sens ont été déclarés irrecevables.
L'article 7 sur la réserve éducative est redondant par rapport à la réserve citoyenne de l'éducation nationale, dont il faudrait plutôt dresser le bilan.
L'article 8 interroge sur les difficultés propres aux élèves en milieu rural. Si sa portée est floue, il aborde un sujet rarement évoqué, mais crucial.
Nous partageons les préoccupations exprimées à l'article 9. Les alertes sur les fermetures de classe se sont multipliées : plus de 40 dans la Drôme, en application d'une logique purement comptable. Les choix faits en loi de finances ont des conséquences.
Le port de l'uniforme, préconisé à l'article 11, n'est pas la bonne réponse aux inégalités sociales et scolaires. La vraie solution, c'est la mixité sociale.
Ce texte me laisse un goût amer : il n'est pas à la hauteur des enjeux. Pour être plus proche du terrain, écoutons les préoccupations des personnels qui font vivre l'école au quotidien. (Applaudissements à gauche)
Mme Céline Brulin . - Le seul et maigre mérite de cette proposition de loi est de montrer que de véritables projets de société sous-tendent la vision de l'école.
Nous défendons une vision de gauche, celle d'une école qui offre le plus haut niveau de connaissance à des enfants qui deviendront des citoyens et des travailleurs conscients et responsables, une école qui apporte plus à ceux dont le patrimoine culturel est moindre.
Face aux bouleversements technologiques et scientifiques, qui peut résumer l'éducation à un socle minimal de connaissances ? Qui peut considérer que nos jeunes doivent être formés à obéir plutôt qu'à développer un esprit critique et se forger une opinion solide ? Les auteurs de cette proposition de loi ! Cette vision est clairement de droite, et réactionnaire. (Vives protestations à droite ; quelques applaudissements à gauche)
La blouse devient uniforme et l'autorité devient hiérarchique, le recentrage sur le lire-écrire-compter frappant jusqu'à la formation des enseignants.
La main invisible du marché, la concurrence et l'idée selon laquelle seul le privé serait efficace prédominent. Chers collègues, vous n'êtes pas à une contradiction près : vous créez du séparatisme (exclamations sur les travées du groupe Les Républicains) au lieu de renforcer l'école de la République. Vous voulez développer l'innovation tout en encadrant les enseignants au maximum.
Votre contractualisation aboutirait à une école à la carte et à une myriade d'établissements sur le modèle privé, soumis à des objectifs particuliers en termes de programmes, de moyens, d'horaires.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Nous voulons des obligations de résultats, ce n'est pas la même chose !
Mme Céline Brulin. - Vous mettrez en concurrence les établissements. La France ne veut pas d'école à la carte, ni de République à la carte ! (Mme Jacqueline Eustache-Brinio s'exclame.)
Vous pointez du doigt l'éducation prioritaire tout en la revendiquant dans la ruralité.
Les sorties scolaires seraient du temps hors les murs, mais vous refusez nos propositions pour qu'elles soient encadrées par du personnel pédagogique.
Plutôt que des moyens et des dispositifs individualisés, vous voulez utiliser la réserve éducative, qui pèsera sur les collectivités territoriales.
Vos prétendus remèdes sont pires que le mal.
Depuis 1989, l'autonomie des EPLE s'accroît. Cela a-t-il résorbé les inégalités ? Absolument pas. La récente réforme du lycée les renforce. Vous le savez, car certains lycées dans les hyper-centres offrent tous les enseignements de spécialité, quand d'autres, dans les quartiers populaires et les zones rurales, font le minimum.
Est-ce en faisant porter les responsabilités de l'institution sur les enseignants, en première ligne, que l'on répondra aux problèmes de recrutement ? Non.
Avec les contrats de mission, affecter les enseignants les plus expérimentés dans les zones difficiles risque d'être un échec aussi patent que le programme Éclair.
Cette proposition de loi est dangereuse. Nous la combattrons. (Applaudissements à gauche)
Mme Annick Billon . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et au banc des commissions) Je remercie Max Brisson, auteur de la proposition de loi, et Jacques Grosperrin, rapporteur, de nous offrir ce débat de fond.
Nous voulons élever notre école, nos élèves et nos enseignants.
Alors que les dépenses d'éducation sont supérieures à la moyenne des pays de l'OCDE, le système éducatif français peine à remplir ses objectifs : loin d'être un ascenseur social, l'école creuse parfois les inégalités.
L'étude Timss (Trends in Mathematics and Science Study) de 2019 montre que les élèves français de CM1 sont surreprésentés parmi les plus faibles en mathématiques. Un élève français sur sept ne maîtrise pas les compétences élémentaires en mathématiques, contre 6 % au niveau européen.
Toutes les études montrent à quel point l'uniformité nationale peut masquer les inégalités. L'institution scolaire est en souffrance et peine à répondre aux objectifs. Plus d'un Français sur deux et trois enseignants sur quatre pensent que l'école fonctionne mal. Beaucoup sont pessimistes sur son avenir.
Avec Marie-Pierre Monier et Max Brisson, nous avions déjà tiré le signal d'alarme sur la crise d'attractivité du métier d'enseignant. Plus d'un enseignant sur quatre se demande s'il n'aurait pas dû choisir une autre orientation professionnelle.
Cette proposition de loi vise à donner plus de liberté aux communautés éducatives, par exemple en transformant l'autorité fonctionnelle des directeurs d'école en autorité hiérarchique.
Les contrats de mission donneront plus de souplesse et répondront à des besoins précis.
Le texte sépare la formation des enseignants du second degré et du premier degré pour mieux préparer ces derniers.
Les collectivités territoriales sont mieux prises en compte dans leur rôle au sein de l'éducation prioritaire.
Certains territoires voient se cumuler les difficultés sociales, qui ont un impact sur l'école. Ces difficultés ont été renforcées par la crise sanitaire. Nous saluons la création de territoires ruraux à besoins éducatifs particuliers, promue par le rapporteur, qui est une revendication portée par notre commission depuis plusieurs années.
Le rôle des collectivités territoriales est réaffirmé à l'article 9. La coréflexion sera instituée sur les fermetures de classes.
Je me félicite des améliorations apportées par la commission : ainsi de la condition de détention du baccalauréat pour le personnel de la réserve éducative.
Nous avons renforcé la formation des professeurs du premier degré, en l'alignant sur celle du second degré.
Le modèle des jardins d'enfants perdurera, grâce à un amendement d'Hervé Marseille qui supprime les dispositions afférentes de la loi pour une école de la confiance.
Nous avons renforcé le rôle des collectivités territoriales à l'article 9 en portant de un à trois ans le moratoire sur les fermetures de classes.
En revanche, le groupe UC souhaite la suppression de l'article 11 qui institue le port de l'uniforme, souvent présenté comme un levier contre les inégalités sociales - ce qu'aucune étude ne vient confirmer. Le port de l'uniforme n'est pas forcément la réponse à la bonne tenue de notre école, et le groupe UC y est majoritairement opposé.
Toutefois, convaincu de son bien-fondé, notre groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Mme Esther Benbassa . - L'intitulé de cette proposition de loi semble porteur d'espoir, son contenu l'est moins.
Le ton est donné dès l'article 1er, avec le renforcement de l'autonomie des établissements scolaires. En donnant aux établissements les moyens de recruter leurs élèves, vous empêchez certains d'accéder à l'établissement de leur choix. Or les inégalités entre élèves augmentent, le poids de l'origine sociale se reflète dans les résultats.
L'école ne parvient plus à prendre en charge les élèves les plus en difficulté, et la France est l'un des pays de l'OCDE où les écarts sont le plus grands entre les élèves favorisés et les autres. À cet égard, les mesures proposées sont insuffisantes.
De surcroît, le texte porte des marqueurs de la droite comme l'interdiction du port du voile pour les accompagnants, ou le port obligatoire de l'uniforme. Le principe de la laïcité est, une fois encore, déformé. Elle serait menacée partout, dans l'assiette des cantines, dans les sorties scolaires, à la récréation ou à la piscine. Tout prétexte est bon pour redéfinir la laïcité et encourager le marché électoral de l'islamophobie. (Indignation sur les travées du groupe Les Républicains)
C'est un engrenage vicieux ! Le 16 mars dernier, Emmanuel Macron a déclaré qu'il ferait de l'école sa priorité - une école ouverte à tous, émancipatrice, libératrice et inclusive. Ce texte ne répond pas à cette ambition : je voterai contre cette proposition de loi qui fait des clins d'oeil à l'extrême droite (on se récrie sur plusieurs travées du groupe Les Républicains) et dont le contenu est suranné. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Bernard Fialaire . - Pourquoi la République n'est-elle plus perçue comme un idéal ? Parce que la promesse républicaine n'est plus tenue. Dès lors, ne nous étonnons pas que certains s'en détournent au profit d'autres promesses. (Marques d'approbation sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Il y a un mois, je vous rappelais, monsieur le ministre, les voeux du Président, qui voyait dans l'école une réponse au déterminisme social. Vous aviez alors annoncé pour la fin mars des dispositions d'affectation plus équilibrées entre le public et le privé : qu'en est-il ?
Cette proposition de loi est une interpellation forte face à un constat accablant : classements internationaux catastrophiques, crise de recrutement des enseignants... Les vérités scientifiques sont contestées par des croyances révélées, la laïcité est bafouée. Nous ne pouvons laisser s'écraser ce pan essentiel de notre République. L'éducation doit être notre priorité. À quoi bon essayer de relocaliser et d'investir sans ressources humaines à la hauteur et épanouies ?
Il faut rétablir une autorité scientifique indiscutable, une autorité morale affermie - celle du maître qui enseigne lui-même sous l'autorité du chef d'établissement. L'absence de hiérarchie handicape l'école publique vis-à-vis de l'école privée.
M. Max Brisson. - Très bien !
M. Bernard Fialaire. - Les collectivités territoriales doivent être associées aux politiques éducatives. L'expérimentation d'établissements publics autonomes va dans ce sens, de même que la réserve éducative.
Le périscolaire n'est pas partout à la hauteur des enjeux : il a été souvent reçu comme une contrainte imposée aux collectivités territoriales. Or, face aux réseaux sociaux, au désoeuvrement, l'encadrement des enfants doit être renforcé.
Combien de parents font le choix de l'enseignement privé à cause de l'absentéisme des enseignants ?
Faire classe dans le primaire n'est pas la même chose qu'enseigner dans le secondaire : il faut une formation adaptée. Ce qui est proposé succède aux Inspé, qui ont pris le relais des Espé, et des IUFM avant eux... Appelons un chat un chat et revenons aux écoles normales !
M. Jean-Claude Requier. - Très bien !
M. Bernard Fialaire. - Jean-Pierre Obin a révélé dans une récente étude que 50 % des enseignants s'autocensuraient par crainte de représailles. L'humilité des savoirs est perçue comme une faiblesse... Ne cédons rien sur les principes de la laïcité, tant pour les élèves que pour les accompagnants scolaires.
M. Olivier Paccaud. - Très bien !
M. Bernard Fialaire. - Le curé, l'imam ou le rabbin ne peuvent remplacer l'instituteur : je suis heureux que nous partagions désormais ce constat.
Dans un contexte de hausse des charges, toute baisse d'effectifs d'une école se traduit automatiquement par un renchérissement de la participation de la commune, puisque ses coûts fixes sont divisés par un nombre plus réduit d'élèves. Tout nouvel investissement est encore plus pénalisant. Les charges devraient être divisées par le nombre d'élèves potentiels, et non par le nombre d'élèves constatés.
Le RDSE votera ce texte, véritable cri d'alerte pour l'excellence républicaine. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
Mme Céline Boulay-Espéronnier . - Plus que jamais, l'éducation est le pilier de notre société. Le système éducatif français fournit un enseignement de qualité. Malgré cela, la crise de l'école ne fait plus débat. Perte de confiance des familles, manque de soutien envers les personnels de l'éducation nationale, crise d'attractivité, baisse du sentiment d'appartenance : tout cela concourt à une institution affaiblie.
L'école doit être renforcée. Plus d'autonomie répondrait mieux aux attentes de tous et favoriserait l'innovation pédagogique. Tel est l'objectif de cette proposition de loi, que nous partageons sans réserve.
Les nouveaux outils technologiques et les réseaux sociaux bouleversent l'apprentissage. Les notions de respect, d'autorité, d'altruisme et de fierté d'appartenance ne sont pas désuètes : il faut recentrer l'école sur les savoirs fondamentaux.
À l'article 11, nous avons préféré le terme « tenue d'établissement » à celui d'uniforme. Le choix de cette tenue sera concerté avec les parents, en tenant compte des spécificités des territoires.
Selon un sondage CSA, 60 % des Français sont favorables à l'uniforme - et cela fonctionne dans les outre-mer. Pourquoi ce qui fonctionne dans une équipe sportive ne marcherait-il pas à l'école ? Comme dans le cadre professionnel, la tenue place l'élève en situation de travail ; elle aide au respect des règles. En outre, elle minimise les risques d'intrusion et évacue la question du port ostentatoire de signes religieux en dispensant la communauté éducative de statuer sur la conformité des vêtements. Nier les vertus de la tenue obligatoire serait priver les enseignants d'un outil qui les protège. (Mmes Monique de Marco et Esther Benbassa protestent.)
Enfin, la tenue d'établissement est une mesure de justice sociale, qui pare aux risques de racket et de harcèlement. Pour les familles modestes, le coût sera abondé par l'État via l'allocation scolaire. C'est aussi un moyen de mettre en avant le made in France.
Ce n'est pas une potion magique, mais elle contribuerait à une culture fondée sur le respect. La consultation à grande échelle est la meilleure évaluation qui soit.
Notre groupe votera cette proposition de loi qui propose de vraies solutions à des difficultés indéniables. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Franck Menonville . - L'école traverse une crise grave : le niveau d'ensemble baisse et le métier d'enseignant attire de moins en moins. Pourtant, l'école est en première ligne pour transmettre la laïcité, la citoyenneté et l'engagement. Elle a besoin d'un nouveau souffle. Tel est l'objet de ce texte.
En matière d'égalité des chances, cette proposition de loi crée un service public de soutien scolaire, dont on sait qu'il est une vraie cause de fracture sociale.
Le texte prévoit la création d'écoles supérieures de professorat pour les enseignants du premier degré, qui est une réelle avancée.
Il accroît l'autonomie des établissements par voie d'expérimentation. Il faut leur donner des capacités d'initiative et d'innovation, et les moyens de motiver les enseignants. Inspirons-nous de ce que font les pays nordiques en matière d'autorité, ou le Portugal en matière de recrutement décentralisé. Allons plus loin en réformant le statut du directeur d'école.
Les territoires ruraux ne sont pas oubliés, avec une approche différenciée. La décision de fermer une classe sera soumise à l'autorisation préalable du conseil municipal.
Le principe de neutralité religieuse est étendu aux accompagnateurs de sortie scolaire. En 2021, une enquête de l'Ifop montrait que 34 % des professeurs en REP avaient constaté des perturbations lors des cérémonies d'hommage à Samuel Paty. Le rapport Obin révèle que la moitié des professeurs s'autocensurent pour éviter les incidents.
Cessons les petits renoncements du quotidien qui mettent à mal l'idéal républicain. Notre école doit être émancipatrice et préparer nos enfants aux défis de demain.
Une réforme structurelle, avec plus d'autonomie donnée aux équipes enseignantes pour adapter et améliorer leur réponse aux élèves. Ce texte est un très bon signal : je salue le travail de Max Brisson et de Jacques Grosperrin. Le groupe INDEP le votera. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe Les Républicains ; Mme Annick Billon et M. Yves Détraigne applaudissent également.)
M. Olivier Paccaud . - L'école passionne, elle suscite des clivages, voire des caricatures : dépeindre Max Brisson en vieux réactionnaire, voilà qui n'était pas gentil, chère madame Brulin... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je ne dirai pas que vous êtes une bolchevique en rose, mais tout de même !
M. Pierre Ouzoulias. - C'est vous qui clivez !
M. Olivier Paccaud. - Réjouissons-nous de débattre et de ne pas penser la même chose. C'est cela, la démocratie.
M. Pierre Ouzoulias. - Encore faut-il vouloir débattre !
M. Olivier Paccaud. - L'école est le sanctuaire républicain par excellence. La République y est née, son idéologie s'y est affermie et diffusée. L'école et la République sont consubstantielles.
Hélas, ce coeur battant de notre société est malade. Il souffre de nombreux maux, trop longtemps niés.
Le tableau symptomatologique n'est guère reluisant. Alors qu'elle obtenait des résultats excellents, l'école peine désormais à inculquer les fondamentaux - lire, écrire, compter - et nombreux sont ceux qui en sortent sans bagage ni diplôme.
C'est à l'école qu'est apparue la première lézarde sur la cuirasse de l'autorité, avec la volonté croissante de s'affranchir des règles communes. Quand la figure tutélaire de l'enseignant est méprisée, comment attendre, à l'âge adulte, le respect des lois ?
L'école est devenue un lieu de souffrance et de violence pour les élèves : le harcèlement scolaire devient permanent, avec les réseaux sociaux il s'insinue jusque dans l'intimité du foyer.
Le tableau est bien sombre. Comment pourrait-il en être autrement, quand les chevilles ouvrières de l'école, les enseignants, sont si mal considérés ? Comment attendre d'eux qu'ils accomplissent leur sacerdoce républicain dans des conditions si navrantes : rémunérations faibles, opprobre permanent, pratiques douteuses de recrutement comme le job dating, concours où le nombre de lauréats est de deux ou trois fois inférieur au nombre de postes... À la fin de la décennie, aurons-nous suffisamment de professeurs devant nos enfants ?
D'aucuns ont opposé l'enseignement public et l'enseignement privé, qui aurait conservé les qualités oubliées du premier. Il y a surtout une éducation prioritaire à deux vitesses : on choie les quartiers Politique de la ville au détriment des zones rurales. Ici comme dans d'autres domaines de l'action publique, il y a les métropoles et le désert français.
Une répartition plus équitable ne serait que justice, pour retrouver certaines pièces manquantes de l'ascenseur social : 70 % des élèves relevant de l'éducation prioritaire n'en bénéficient pas. On nous annonce depuis six ans une refonte de la carte scolaire, qui ne vient pas.
Ce texte administre les premiers soins au malade, sans se contenter d'expédients : la création d'un service public de soutien scolaire, un partenariat réel avec les collectivités territoriales, une attention particulière portée aux territoires ruraux défavorisés, l'encouragement à la bivalence des professeurs, le port d'une tenue vestimentaire commune sont autant de solutions susceptibles d'enrayer la maladie de l'école. Tâchons de nous en saisir : c'est à l'école que se forge la société du futur, que l'égalité des droits et des chances peut prendre corps. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)
La séance est suspendue à 20 heures.
Présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
Mme le président. - Soixante-sept amendements sont à examiner sur ce texte. Nous pourrions prolonger nos débats au-delà de minuit. Si nous n'avions pas achevé nos débats à 1 h 30, nous pourrions, en accord avec le Gouvernement et la commission, fixer la suite de l'examen de ce texte demain soir, mercredi 12 avril, à l'issue du débat sur la pollution lumineuse.
Il en est ainsi décidé.
Discussion des articles
AVANT L'ARTICLE 1er
Mme le président. - Amendement n°82 rectifié, présenté par Mme de Marco, MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 111-1 du code de l'éducation, est complétée par les mots : « et à faire naitre chez eux un esprit de coopération ».
Mme Monique de Marco. - Légiférer sur l'école, c'est poser la question de la société que nous voulons demain. L'école républicaine fondée sur le système méritocratique a davantage développé la compétition que la coopération, malgré les initiatives des enseignants. Faisons de celle-ci une mission de l'éducation nationale, pour favoriser la collaboration, la communication, la solidarité et l'entraide entre élèves.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Je souscris à votre constat - les élèves français coopèrent moins que les Européens - mais l'article L. 101-1 du code de l'éducation mentionne déjà la coopération. Votre amendement est satisfait : retrait ou avis défavorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Avis défavorable également, pour les mêmes raisons.
L'amendement n°82 rectifié est retiré.
ARTICLE 1er
Mme Sylvie Robert . - Cet article consacre la logique de contractualisation, en constante progression - au point de menacer de morcellement l'éducation nationale, dont l'objectif premier devrait être la réussite de chaque élève. L'autonomisation des établissements depuis 2005 serait-elle bénéfique pour les élèves et pour le personnel éducatif ? Non, c'est empirique.
Les dernières études montrent que l'école française amplifie les inégalités et n'assure plus la mobilité sociale.
Avec cet article 1er, vous renforcez un modèle de mise en concurrence, sans mixité, qui va accentuer les difficultés au nom d'une idéologie. C'est la fin de l'ambition républicaine sur tout le territoire pour tous les élèves : à l'heure où l'école publique devrait être soutenue, vous dérégulez. Vous détruisez l'idéal qui la sous-tend.
M. Patrick Kanner. - Très bien.
M. Yan Chantrel . - Les auteurs de la proposition de loi s'inspirent de la réforme du système éducatif britannique engagée en 2010 pour favoriser l'autonomie des établissements. Les écoles publiques ont été transformées en académies, dirigées par des trusts, soumis aux droits des sociétés, gérés par des sponsors, entreprises, organismes ou associations. Voilà de quoi on parle. Le contrat de financement type n'exige ni qualification des enseignants, ni respect des conventions salariales, ni respect des programmes nationaux. Les académies fixent leur propre politique d'admission.
Le tout privé du new public management est loin des idéaux de l'école républicaine. La réforme britannique a donné des résultats très mitigés en matière de performance, et a réduit la mixité sociale à l'école, tout en soulevant des doutes sur l'utilisation des deniers publics.
M. Max Brisson . - Je ne suis pas l'héritier de Margaret Thatcher, je serais plus volontiers celui de Tony Blair, qui a imaginé le système que vous venez de décrire... Votre discours sent la naphtaline. Concentrons-nous sur la qualité des débats.
M. Stéphane Piednoir. - Ce sera un effort...
M. Max Brisson. - C'est le système actuel, centralisé, qui produit la ségrégation et l'inégalité. Cher Julien Bargeton, avec toutes ses imperfections, ce texte offre une autre voie pour 10 % des établissements volontaires. Il ne s'agit nullement de tout privatiser !
Un peu plus de liberté, un peu moins de circulaires et de copier-coller, et davantage de confiance pour les professeurs ! Vous êtes largement responsables de la crise de notre école. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Bravo.
M. Stéphane Piednoir . - Considérons-nous que le système actuel est satisfaisant ? Que le niveau des élèves est à la hauteur de l'argent public déversé dans ce puits sans fond ? C'est un enseignant qui a fait toute sa carrière dans le public qui vous le dit.
M. Chantrel parle de privatiser : que lit-il dans l'article 1er ? De la libéralisation ? De la privatisation ? Au contraire, j'y vois moins de centralisation, un peu plus de souplesse et d'autonomie donnée aux responsables d'établissement, qui connaissent les réalités locales. Dans certains quartiers, les solutions envisagées ne seront pas les mêmes que dans le quartier voisin. C'est pourquoi nous proposons du sur-mesure, pour mieux utiliser l'argent public.
M. Cédric Vial . - Une fois n'est pas coutume, je ne partage pas l'avis de l'auteur de la proposition de loi sur l'autonomie des établissements. Dans le primaire, la configuration n'est pas celle du secondaire, les écoles sont plus petites. Créer des établissements autonomes se fera au détriment de l'aménagement du territoire, qui garantit des établissements de proximité. Il y a d'autres moyens pour donner plus de liberté. De même que je m'étais opposé aux regroupements proposés par M. Blanquer, je ne voterai ni cet article ni l'article 2.
M. Julien Bargeton . - Cet article ne remet-il pas en cause les compétences communales ? M. le rapporteur a tenté de le circonscrire, sans doute pas parfaitement. L'expérimentation de l'école du futur a débuté à Marseille ; ne devrions-nous pas attendre son évaluation avant de la généraliser ?
M. Max Brisson. - Pas de généralisation !
Mme Céline Brulin . - Je remercie la majorité du Sénat d'avoir refusé la demande de priorité : cet article 1er est le coeur du texte. Là s'arrête le consensus. (Sourires)
On jetterait l'argent public dans un « puits sans fond », ai-je entendu. Si nous investissions dans l'éducation la même part du PIB qu'en 1995, ce seraient 25 milliards d'euros de plus !
Je croyais voir une droite décomplexée, mais vous nous dites qu'il ne s'agit que d'une expérimentation, pour 10 % des établissements seulement, sur la base du volontariat...
M. Max Brisson. - C'est dans le texte depuis le début.
Mme Céline Brulin. - Ce projet ne recueille aucun soutien dans le pays. Ni les maires, ni les syndicats, ni les parents d'élèves n'approuvent ce décalque du modèle anglo-saxon. Que reste-t-il de gaulliste chez vous ?
Vous invoquez la Cour des comptes à l'envi, mais ce n'est pas elle qui définit la politique éducative dans ce pays.
M. Olivier Paccaud . - Mme Brulin m'ôte les mots de la bouche ! (Sourires) « À titre expérimental », tels sont les premiers mots de l'article 1er. Professeur du public et pur produit de la méritocratie républicaine, j'aime l'école de la République et, comme beaucoup d'enseignants, je suis malheureux de ses difficultés. Il faut un électrochoc, alors que les importants moyens investis depuis des années n'ont pas résolu les problèmes. Il faut tenter autre chose : une expérimentation, Mme Brulin l'a dit, qui ne peut excéder 10 % des établissements et 20 % des élèves d'une même région académique. Je suis un pur jacobin, mais je crois en une éducation nationale. Tentons l'expérience. (M. Thierry Meignen applaudit.)
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture . - Cet article 1er est le plus important de cette proposition de loi. Ma famille politique a toujours prôné la subsidiarité, c'est-à-dire la recherche de l'échelon où l'action est la plus efficace. La proposition de Max Brisson respecte cette vision : elle est cohérente avec la décentralisation d'une partie de la compétence scolaire au bloc communal. C'est une forme de déconcentration, assortie de garde-fous.
Lors de la campagne présidentielle, le candidat élu mettait en avant l'autonomie des établissements. Voilà une occasion, monsieur le ministre, de préciser vos intentions en la matière, ce qui serait utile à notre réflexion.
Mme le président. - Amendement n°27, présenté par Mme Monier et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
Mme Marie-Pierre Monier. - Cet article 1er ouvre largement les possibilités d'expérimentations dérogatoires : carte scolaire, recrutement des personnels, organisation pédagogique. Il ne dit pas si elles pourront être cumulées. L'établissement pourra s'affranchir de nombreuses dispositions légales : nomination du chef d'établissement par l'État, présidence de l'organe délibératif de l'établissement par celui-ci, présence d'un conseiller pédagogique dans chaque établissement... Autant d'exceptions dangereuses. En outre, un établissement pourra déroger aux règles régissant les marchés publics.
En fixant un plafond de 10 % des établissements et de 20 % des élèves d'une même région académique, on légalise un système à deux vitesses. Nous sommes hostiles à cette brèche dans l'unicité de l'école de la République.
Cette expérimentation rappelle le projet d'école du futur. Monsieur le ministre, vous n'avez pas déposé d'amendement de suppression : quelle est votre position ?
Mme le président. - Amendement identique n°56, présenté par Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Céline Brulin. - L'école n'est pas d'un seul bloc. Bien des dispositifs ont été développés au fil des ans : territoires éducatifs ruraux, cités éducatives, Marseille en grand notamment. La question est celle des critères qui fondent la différenciation. L'école crée des inégalités, qu'il faut corriger. Or certains recteurs ont exclu les écoles de moins de 100 élèves des contrats locaux d'accompagnement. D'autres décident selon l'ancienneté des professeurs : où est la réduction des inégalités ?
Comment peut-on régler les questions de mixité sociale à l'échelle de l'école primaire, qui est celle d'un quartier, d'un morceau de quartier ? L'école reflète la réalité sociale de notre pays. Vous faites erreur.
Mme le président. - Amendement identique n°83 rectifié, présenté par Mme de Marco, MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Mme Monique de Marco. - Cet article va à l'encontre du principe fondateur de l'école de la République, en transposant le modèle britannique à la France. Méfions-nous des comparaisons internationales : pourquoi prendre les seuls modèles anglo-saxons en exemple, alors que les modèles scandinaves ou portugais, qui reposent certes sur d'autres logiques budgétaires, ont montré leur efficacité ?
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - L'article 1er est central. Il est très encadré, avec un plafond par académie, une expérimentation sur cinq ans et une évaluation, monsieur Bargeton. Avis défavorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Distinguons les établissements scolaires des écoles. L'article 1er rejoint certaines des préoccupations du ministère, mais le cadre législatif et réglementaire offre déjà une autonomie aux collèges et lycées, notamment en matière de personnel et de pédagogie. Les établissements sont couverts par les textes existants.
Les écoles, en revanche, ne disposent pas de la personnalité morale. En faire des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE), alors qu'un tiers a trois classes ou moins, n'est pas souhaitable. Le CNR, auquel participent plusieurs milliers d'établissements, offre des financements avec le fonds d'innovation pédagogique. Il répond à cette demande d'autonomie, illustrée par l'expérience marseillaise.
Avis favorable aux amendements de suppression.
Mme Marie-Pierre Monier. - L'autonomie n'est pas une recette miracle. Au Royaume-Uni, on ne note pas d'effet significatif, à court terme, sur les résultats des élèves. La Suède, qui a suivi une démarche similaire, a observé une baisse des résultats et une forte disparité entre les collectivités et les établissements due à la formation hétérogène des enseignants.
L'école du futur fera l'objet d'un bilan. Lors d'une visite en septembre, nous y avons vu des projets intéressants, dotés de moyens humains et financiers et soutenus par la hiérarchie. Mais les parents sont inquiets du fait de l'inégalité, puisque d'autres ne reçoivent rien.
Cette logique libérale favorise la concurrence entre écoles plutôt que de répondre à leurs besoins et garantir une répartition juste et égalitaire des moyens afin d'être fidèle à la promesse républicaine d'offrir à chaque enfant les mêmes chances.
M. Max Brisson. - N'étant pas le grand libéral de service, je ne répondrai pas à Mme Monier mais à M. le ministre.
Vous nous dites que la proposition est satisfaite pour les établissements du second degré. L'autonomie existe, mais que sur le papier. Selon la Cour des comptes, 2 % à peine des décisions prises par les EPLE le sont en autonomie complète.
Je propose d'aller progressivement, de manière expérimentale, vers une autonomie réelle, libérée de l'administration.
Monsieur le ministre, ne faites pas peur aux maires. Pourquoi un parallèle avec 1982 ? En 1982, les bâtiments de l'État ont été transférés aux collectivités territoriales. On pourra très bien faire preuve d'imagination et accorder de l'autonomie aux écoles sans revenir sur la question des bâtiments.
Vous butez sur l'absence de personnalité morale des écoles. (M. Bruno Belin applaudit.)
M. Jean Louis Masson. - Depuis quarante ans, on empile les réformes de l'éducation nationale et la situation va de mal en pis. Actuellement, un bachelier n'aurait pas le certificat d'études. Ajouter une réforme à la réforme est aberrant. Commençons par revenir à ce qui fonctionnait jadis.
Je ne voterai pas les articles de cette proposition de loi, sauf ceux relatifs à la laïcité. Les autres ne valent pas un clou. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Laure Darcos. - Vous n'étiez pas présent en commission...
M. Pierre Ouzoulias. - Je siège comme conseiller départemental au conseil d'administration d'un collège des Hauts-de-Seine. L'autonomie du responsable du collège est très faible, et c'est voulu par le conseil départemental ! Voilà l'autonomie de papier ! Tout ne vient pas de l'État. Je connais beaucoup de cas où les collectivités territoriales ont une main de fer sur la gestion.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Quel contenu donnez-vous à l'autonomie, pour quels objectifs et selon quelles modalités ? S'agit-il de programmes, d'horaires, de recrutement, d'organisation pédagogique ?
Par principe, je ne suis pas opposé à l'autonomie, mais nous gagnerions à converser plus avant sur son contenu.
Les amendements identiques nos27, 56 et 83 rectifié ne sont pas adoptés.
Mme le président. - Amendement n°9, présenté par M. Masson.
Rédiger ainsi cet article :
Après l'article L. 111-2 du code de l'éducation, il est inséré un article L. 111-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 111-2-1. - Les élèves des écoles primaires, des collèges et des lycées portent une tenue vestimentaire uniforme au sein de leur établissement. Les caractéristiques de cette tenue vestimentaire, comprenant le choix d'une tenue sportive uniforme, sont précisées par le règlement intérieur de chaque établissement. L'obligation mentionnée au présent alinéa n'est pas applicable aux spectacles, y compris les répétitions, joués par les élèves et aux événements qui leur sont liés.
« Le présent article est applicable aux établissements liés à l'État par contrat mentionnés aux sections 3 et 4 du chapitre II du livre IV du présent code. »
M. Jean Louis Masson. - Je propose d'examiner au début les seuls articles dignes d'intérêt, ceux qui portent sur la laïcité. Et cela permet de réécrire l'article 1er.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Vous remplacez l'article 1er par l'article 11. Avis défavorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Même avis.
L'amendement n°9 n'est pas adopté.
Mme le président. - Amendement n°20 rectifié, présenté par MM. Sautarel et D. Laurent, Mme Lassarade, M. Burgoa, Mmes Puissat et Goy-Chavent, MM. Chaize et Bouloux, Mme Imbert et MM. Bouchet, Sido, Houpert et Rapin.
I. - Alinéa 1
Supprimer les mots :
avec des écoles dotées de la personnalité morale, en application du IV, ou
II. - Alinéa 15
Supprimer cet alinéa.
M. Stéphane Sautarel. - Le lancement d'une expérimentation modifie le cadre d'organisation territoriale de l'école ainsi que la relation historique nouée par les communes ou EPCI avec leurs écoles publiques. Cela nécessite une concertation préalable, car on va pousser à la concentration pour atteindre une taille critique, au détriment du maillage territorial. En l'absence d'une telle concertation, mon amendement supprime cette expérimentation pour les écoles primaires.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - En commission, nous avons prévu un accord préalable des conseillers municipaux si la compétence scolaire est transférée. Pour éviter tout déséquilibre, le texte prévoit un nombre maximum d'établissements et d'élèves, et des objectifs en termes de réussite et de mixité scolaire. Passer par une expérimentation permettra de mesurer les effets à l'échelle du territoire. Avis défavorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Doter les écoles de personnalité morale n'est pas envisagé à ce stade. Toute évolution dans ce sens nécessiterait une concertation approfondie avec les collectivités territoriales et la communauté éducative. Avis défavorable.
M. Max Brisson. - Je voudrais rassurer M. Sautarel.
Ma proposition est porteuse d'une rupture, c'est vrai. Il faudra du temps et de la concertation.
Nous pourrons tirer de cette expérimentation toutes les réponses aux questions légitimes qu'elle pose. Il faudra prendre le temps de l'évaluer.
Je comprends la situation particulière des petites écoles rurales, mais il y a aussi de grandes écoles, plus grandes que certains collèges, qui ont moins d'autonomie. Elles gagneraient à participer à l'expérimentation.
Sur le fond, nous pouvons faire preuve d'originalité et traiter la question du bâti autrement que pour les EPLE, car il s'agit du patrimoine historique des communes.
M. Cédric Vial. - Nous sommes au coeur du sujet. On aurait pu parler de concertation et d'étude d'impact. Par cohérence, je voterai cet amendement.
M. Stéphane Sautarel. - Je salue l'initiative de Max Brisson. Il faut une rupture si l'on veut réformer, mais l'école, c'est d'abord des élèves.
Or le premier égal accès à l'école est la proximité. Le maillage du territoire est essentiel. L'accès à l'école est un prérequis pour prétendre à l'égalité.
Il me semble paradoxal de vouloir retirer aux communes, déjà malmenées, la compétence scolaire, même si elle peut être partagée.
Cette disposition présente un risque pour les élèves. Je ne pouvais pas ne pas le soulever.
L'amendement n°20 rectifié n'est pas adopté.
M. Patrick Kanner. - Ce débat est fondamental, car l'article 1er est le coeur idéologique de la proposition de loi Brisson.
Comme le disait un ancien député du Nord malheureusement disparu, Alain Cacheux, il est plus facile de faire venir les pauvres dans un quartier riche que l'inverse...
Le recul de la mixité est un phénomène sociologique qui s'impose à nous. Ministre de la ville, je disais qu'il faut donner plus à ceux qui ont moins, pour rétablir l'égalité.
L'expérimentation proposée règlera-t-elle les problèmes d'inégalité ? Non, car elle fragilisera le socle de l'école de la République, une et indivisible, qui est l'école primaire.
Nous voterons contre l'article 1er, car nous combattons l'ensemble du texte sur le plan idéologique. Vous n'êtes pas réactionnaire, monsieur Brisson, mais révolutionnaire : révolutionnaire libéral !
M. Max Brisson. - Je vais décevoir beaucoup de monde : je ne suis ni réactionnaire, ni révolutionnaire, ni même tout à fait libéral... (Sourires)
Vous avez des avis définitifs sur une expérimentation qui n'a pas été tentée... Essayons, puis évaluons : nous verrons bien. D'autant que, monsieur Kanner, le dispositif s'adaptera à la réalité de chaque territoire. Pour moi, les meilleurs professeurs, les plus chevronnés, doivent aller dans les établissements les plus difficiles.
Nous n'avons jamais tenté cette expérience : essayons ! Nous verrons bien si M. Kanner a raison. Ce qui est certain, c'est que l'école unitaire et centralisée produit des inégalités. Sortons des sentiers battus, empruntons de nouveaux chemins pour plus d'égalité ! (Marques d'assentiment sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Olivier Paccaud applaudit.)
M. Pierre Ouzoulias. - Ce n'est pas l'école, mais la société qui produit de l'inégalité ; le problème, c'est que l'école ne corrige plus cette inégalité.
L'expérimentation ne pourrait avoir pour échelle que le département. À l'échelle d'une ou deux communes, cela a déjà été tenté, sans succès.
Nous demandons trop à l'école. Il faudrait commencer par une grande réforme de la ville, pour lutter contre les inégalités liées à l'habitat !
M. Olivier Paccaud. - Dans le Nord comme dans l'Oise, la mixité sociale n'existe malheureusement plus, parce que, lorsque les parents ne sont pas satisfaits de l'école publique, ils placent leurs enfants dans l'enseignement privé, et l'école publique est impuissante.
La proposition de Max Brisson n'aura peut-être pas les effets espérés, mais nous ne le saurons jamais si nous ne tentons pas l'expérimentation ! Aujourd'hui, il n'y a plus de mixité sociale - de Beauvais à Compiègne, je le vois bien. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Céline Brulin. - On demande beaucoup à l'école, mais les inégalités sont le produit de la société. L'école s'efforce, avec l'ensemble de la Nation, de les résorber.
La ségrégation, les disparités sociales - chacun emploie les termes qu'il souhaite - sont profondes : comment l'école seule pourrait-elle y remédier ? Et vous le demandez aux agents de première ligne, alors que des gouvernements entiers, la Nation tout entière, n'y parviennent pas... Pensez-vous les soutenir en les rendant responsables de la situation ? Vous allez aggraver encore la crise du recrutement !
À la demande du groupe SER, l'article 1er est mis aux voix par scrutin public.
Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°269 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 219 |
Contre | 121 |
L'article 1er est adopté.
APRÈS L'ARTICLE 1er
Mme le président. - Amendement n°29, présenté par Mme Monier et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La cinquième phrase de l'article L. 411-1 du code de l'éducation est supprimée.
Mme Marie-Pierre Monier. - Cet amendement supprime l'autorité fonctionnelle du directeur d'école, notion floue et dangereuse issue de la loi du 21 décembre 2021. Sur qui s'exerce cette autorité ? Rappelons que les directeurs sont issus du corps des enseignants. Cette disposition ne correspond pas à notre conception de la fonction ; inutile, elle est source de confusion - d'ailleurs, les décrets d'application ne sont toujours pas parus, et il n'est pas certain que la notion d'autorité fonctionnelle y figure.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Les mesures d'application sur l'autorité fonctionnelle sont en cours de concertation. La possibilité pour le directeur d'école de régler les problèmes administratifs nous semble intéressante. Avis défavorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - La notion d'autorité fonctionnelle des directeurs d'école a été largement débattue en décembre 2021, et le législateur a trouvé un point d'équilibre pour conforter le positionnement des directeurs selon le principe primus inter pares.
Les décrets, qui seront bientôt publiés, reprendront bien la notion d'autorité fonctionnelle et clarifieront les missions des directeurs.
Le Gouvernement partage l'objectif de la loi de décembre 2021 et s'attache à en concrétiser les avancées. Avis défavorable.
M. Max Brisson. - M. Bargeton sera d'accord avec moi : autorité fonctionnelle ou hiérarchique, qu'importe - on pourrait passer la nuit en exégèse sur le sujet.
Il y a le primus inter pares, animateur d'un projet pédagogique ; mais il y a aussi les responsabilités croissantes qui incombent au directeur, notamment en matière de sécurité - par exemple, quand il faut décider que la porte de l'école ferme à 18 heures. En zone rurale, l'autorité pour les prendre ne peut pas relever de l'inspecteur de l'éducation nationale, qui gère plusieurs dizaines d'écoles et se trouve peut-être à 30 kilomètres de distance.
Le texte apporte de la proximité. D'ailleurs, les parents d'élèves pensent déjà que le directeur exerce une autorité fonctionnelle, voire hiérarchique.
M. Julien Bargeton. - Le ministre nous a rassurés sur la parution prochaine des décrets. Attendons l'application de la loi Rilhac avant d'aller plus loin. L'autorité fonctionnelle a été demandée par des associations de directeurs d'école, pas l'autorité hiérarchique. Ce n'est pas le moment de rouvrir ce débat.
L'amendement n°29 n'est pas adopté.
Mme le président. - Amendement n°71, présenté par M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa de l'article L. 912-1-1 du code de l'éducation est ainsi rédigé :
« Les élèves, leurs parents ou leurs représentants légaux ne peuvent porter atteinte à cette liberté. »
M. Pierre Ouzoulias. - La liberté pédagogique de l'enseignant est garantie par le premier alinéa de l'article L. 912-1-1 du code de l'éducation. Le deuxième alinéa précise, de manière surprenante : « Le conseil pédagogique prévu à l'article L. 421-5 ne peut porter atteinte à cette liberté ». Si une atteinte lui est portée, il est douteux que ce soit par le conseil pédagogique... Je propose donc de remplacer cette formulation par la suivante : « Les élèves, leurs parents ou leurs représentants légaux ne peuvent porter atteinte à cette liberté. » Voilà qui correspond un peu mieux à la réalité !
Nous sommes très favorables à la liberté des enseignants. Lors du précédent quinquennat, nous avions dénoncé l'avalanche des circulaires de M. Blanquer, allant jusqu'à préciser comment il fallait tenir un crayon... M. Brisson, lui, ne s'y était guère opposé.
M. Max Brisson. - Le dernier débat avec lui prouve le contraire !
M. Pierre Ouzoulias. - À la fin, peut-être... Mais, au début, vous étiez favorable à cette prétendue reprise en main.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Nombre de parents s'immiscent dans la liberté pédagogique, remettant en cause le contenu de l'enseignement ou sa méthode. Avis favorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Votre amendement vise à protéger les professeurs contre la remise en cause de leur enseignement. (M. Pierre Ouzoulias le confirme.)
Les textes sont déjà précis. Le code de l'éducation impose le respect des élèves et des familles à l'égard des professeurs, des autres personnels et de l'institution scolaire. Quant à la loi confortant le respect des principes de la République, elle punit l'entrave à l'exercice de la fonction d'enseignement d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Et concrètement ?
M. Pap Ndiaye, ministre. - Cet arsenal est suffisant pour protéger les professeurs.
Le conseil pédagogique favorise la concertation entre les professeurs, dans le respect de leur liberté pédagogique. La rédaction actuelle est donc justifiée.
Tout en partageant le fond de votre amendement, j'y suis défavorable.
M. Cédric Vial. - Monsieur Ouzoulias, la disposition que vous jugez étonnante a été ajoutée dans la loi Fillon à la demande des syndicats d'enseignants. Elle peut surprendre aujourd'hui, mais il s'agissait de rassurer les professeurs à la demande de leurs représentants. (M. le ministre le confirme.)
L'amendement n°71 est adopté et devient un article additionnel.
ARTICLE 2
M. Max Brisson . - Le ministre estime qu'un consensus a été trouvé sur le métier de directeur d'école. C'est vrai dans la navette, parce qu'il a bien fallu avancer. Mais l'administration a mis un an et trois mois pour préparer des décrets aussi simples.
Nous ne cachions pas être plutôt favorables à l'autorité hiérarchique ; nous sommes donc constants. Mais le consensus s'est fait autour de l'autorité fonctionnelle. Il n'y a que M. Bargeton, dont je salue les qualités d'exégète, pour parvenir à expliquer la différence... (M. Julien Bargeton rit.) Mme Robert et moi, qui en avons beaucoup parlé, avons du mal à la percevoir !
Tout le monde comprend ce qu'est l'autorité hiérarchique, et je connais des directeurs qui la souhaitent. La représentation syndicale est surtout une représentation d'enseignants : c'est pourquoi le discours dominant ne va pas dans ce sens.
M. Julien Bargeton. - Il y a une association de directeurs...
M. Max Brisson. - Lorsque les décrets seront enfin parus, les directeurs s'empareront de l'autorité fonctionnelle. Ils ne demandent qu'à le faire aussi pour l'autorité hiérarchique.
Mme Sonia de La Provôté . - L'autorité fonctionnelle est le fruit d'un consensus très large. Pour ma part, je connais nombre de directeurs qui refusent l'autorité hiérarchique. Dans le contexte des protocoles sanitaires, nous nous sommes rendu compte que les directeurs, véritables couteaux suisses de l'école, avaient besoin d'une clarification de leurs compétences. Mais ils veulent rester pairs parmi leurs pairs, et non pas devenir de petits patrons. Je voterai contre l'article 2. (MM. Julien Bargeton et Franck Menonville acquiescent.)
Mme Céline Brulin . - L'autorité fonctionnelle est un compromis, plus qu'un consensus, entre ceux qui réclamaient une autorité hiérarchique et la masse des directeurs qui n'en voulaient et n'en veulent toujours pas.
Inutile de rappeler ici le cheminement baroque de la proposition de loi Rilhac, nous l'avons tous à l'esprit.
Le ministère a commandé des enquêtes : il en ressort que, massivement, les directeurs et leurs équipes ne veulent pas de l'autorité hiérarchique. Pendant le covid, avoir été pairs parmi leurs pairs plutôt que d'être pris en étau entre le ministère et leurs collègues pour mettre en place les protocoles sanitaires parfois inapplicables a été un atout pour les directeurs.
lls ont plus besoin de soutien de leur hiérarchie que d'un pouvoir hiérarchique. Quant à la porte qu'il faut fermer à 18 heures, monsieur Brisson, on vous a connu plus convaincant...
Mme le président. - Amendement n°28, présenté par Mme Monier et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
M. Lucien Stanzione. - Nous souhaitons supprimer la notion d'autorité hiérarchique du directeur d'école, qui doit rester pair parmi ses pairs. L'Inspection de l'éducation nationale (IEN) doit rester l'autorité extérieure et neutre. Le rapporteur a prévu un critère de nombre de classes, mais cela complexifiera encore les choses : les directeurs n'auront pas les mêmes compétences selon les établissements. Or l'autorité dont il s'agit n'est pas anecdotique : elle inclut un pouvoir disciplinaire et d'évaluation.
Mme le président. - Amendement identique n°52, présenté par le Gouvernement.
M. Pap Ndiaye, ministre. - L'autorité fonctionnelle des directeurs d'école est un point d'équilibre satisfaisant. Nous ne sommes pas favorables à leur autorité hiérarchique, qui ne fait aucunement consensus et créerait plus de difficultés qu'elle n'en résoudrait. Les décrets à venir clarifieront la position des directeurs.
Mme le président. - Amendement identique n°84 rectifié, présenté par Mme de Marco, MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Mme Monique de Marco. - L'article 2 va contre la volonté de la majorité des directeurs, qui souhaitent rester pairs parmi leurs pairs, sans devoir évaluer leurs collègues. Ils attendent surtout des renforts humains et une aide administrative pérenne. Nous ferons le bilan de l'autorité fonctionnelle, qui sera compliquée à expliquer...
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - La commission a restreint la portée de cet article aux plus grandes écoles : le seuil de neuf classes nous semblait intéressant, mais cette limite sera finalement fixée par décret.
Bien sûr, on ne peut pas donner l'autorité hiérarchique au directeur d'une école de trois ou quatre classes, mais certaines écoles accueillent 350 élèves, soit autant qu'un collège ou un petit lycée. Les directeurs des écoles les plus grandes souhaitent l'autorité hiérarchique, ce sont les professeurs qui n'en veulent pas.
Les amendements identiques nos28, 52 et 84 rectifié ne sont pas adoptés.
Mme le président. - Amendement n°11, présenté par M. Masson.
Rédiger ainsi cet article :
Le code de l'éducation est ainsi modifié :
1° Le troisième alinéa de l'article L. 111-1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les personnes qui participent au service public de l'éducation sont également tenues de respecter ces valeurs. » ;
2° Après le premier alinéa de l'article L. 141-5-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La même interdiction s'applique aux personnes qui participent, y compris lors des sorties scolaires, aux activités liées à l'enseignement dans ou en dehors des établissements, organisées par ces écoles et ces établissements publics locaux d'enseignement. »
M. Jean Louis Masson. - Je suis défavorable à cet article, que je propose de remplacer par le dispositif relatif à la laïcité, le plus important de ce texte.
Mme le président. - Amendement n°57, présenté par Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Rédiger ainsi cet article :
L'article L. 411-1 du code de l'éducation est ainsi rédigé :
« Art. L. 411-1. - Un directeur veille à la bonne marche de chaque école maternelle ou élémentaire ; il assure la coordination nécessaire entre les maîtres. Un décret en Conseil d'État fixe les conditions de recrutement, de formation et d'exercice des fonctions spécifiques des directeurs d'école maternelle et élémentaire. Le directeur de l'école préside le conseil d'école qui réunit les représentants de la communauté éducative et donne son avis sur les principales questions de la vie scolaire. La composition et les attributions du conseil d'école sont précisées par décret. La participation des parents se fait par le biais de l'élection de leurs représentants au conseil d'école chaque année. »
M. Jérémy Bacchi. - La gouvernance du système éducatif a beaucoup changé : à une hiérarchie qui connaissait les équipes et construisait des dynamiques locales s'est substituée une hiérarchie donneuse d'ordres.
L'absence de statut est, pour les directeurs, une protection : elle leur permet de ne pas être coincés entre les enseignants et l'inspection.
Toutes les enquêtes montrent que l'autorité hiérarchique est majoritairement rejetée. Les équipes pédagogiques demandent soutien et moyens pour répondre aux inégalités.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n°11 ; nous débattrons des signes religieux ultérieurement.
Avis défavorable à l'amendement n°57, car l'autorité fonctionnelle est nécessaire.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Avis défavorable à l'amendement n°11.
Avis défavorable également à l'amendement n°57. L'autorité fonctionnelle des directeurs d'école est importante. Les organisations syndicales y étaient favorables. Nous sommes en train de travailler à sa mise en oeuvre.
Mme Céline Brulin. - Les syndicats sont loin d'être tous favorables à l'autorité fonctionnelle, d'autant qu'elle devait être assortie de décharges améliorées ; or les choses coincent sur ce point... Il y a aussi le problème des chargés d'école, non reconnus comme directeurs. Revenons-en à la situation antérieure.
L'amendement n°11 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°57.
L'article 2 est adopté.
APRÈS L'ARTICLE 2
Mme le président. - Amendement n°2 rectifié ter, présenté par Mme Borchio Fontimp, MM. Retailleau, H. Leroy et Tabarot, Mme V. Boyer, M. Genet, Mme Schalck, M. C. Vial, Mme Pluchet, MM. Belin et Calvet, Mmes Del Fabro, Drexler et Dumont, MM. Favreau et Laménie, Mmes Micouleau, Muller-Bronn et Noël, MM. Paccaud, Piednoir et Savin et Mme Thomas.
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 131-5 du code de l'éducation est ainsi modifié :
1° Le quatrième alinéa est ainsi rédigé :
« L'autorisation mentionnée au premier alinéa est accordée pour les motifs suivants : » ;
2° Le 4° est ainsi rédigé :
« 4o Un projet éducatif personnalisé, adapté aux capacités et au rythme d'apprentissage de l'enfant, dans le respect de son droit à l'instruction tel que défini à l'article L. 131-1-1. Dans ce cas, la demande d'autorisation comporte une présentation écrite du projet éducatif et l'engagement d'assurer cette instruction majoritairement en langue française. » ;
3° Au neuvième alinéa, après la deuxième phrase, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Elle peut être demandée en cours d'année scolaire. » ;
4° Après le neuvième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Dans l'attente de l'avis de l'autorité de l'État compétente en matière d'éducation, la demande d'autorisation d'instruction en famille déposée par les responsables d'un enfant bénéficie d'un accord provisoire dès le dépôt du dossier.
« Par dérogation, l'autorisation prévue au premier alinéa est accordée de plein droit, aux enfants régulièrement instruits dans la famille au cours de l'année scolaire précédente et pour lesquels les résultats du contrôle organisé en application du troisième alinéa de l'article L. 131-10 ont été jugés suffisants. » ;
5° Le quatorzième alinéa est supprimé.
Mme Alexandra Borchio Fontimp. - L'instruction en famille est une liberté fondamentale que la loi confortant le respect des principes de la République a remise en cause. Pourtant, en 2020, 97 % des contrôles étaient positifs ! Dans certaines académies, le taux de refus à la rentrée dernière a atteint 90 %.
Nous proposons une simplification administrative : une autorisation de plein droit serait prévue pour les familles ayant fait l'objet d'un contrôle positif l'année précédente. Il ne faut s'attaquer qu'aux dérives et respecter les choix parentaux. Aucune famille ne doit être la victime collatérale de la défaillance de l'État en matière de lutte contre le séparatisme !
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Cet amendement assouplit les conditions d'enseignement en famille. Avis favorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Il les assouplit en réalité beaucoup trop. Sur 59 000 demandes instruites, 90 % ont donné lieu à une autorisation - même s'il est vrai que ce taux varie selon les académies. Élargir le motif 4 à tout projet éducatif personnalisé ouvrirait le champ du dispositif à toutes les familles. Rappelons que l'autorisation peut être demandée pendant l'année en cas d'urgence ou pour un motif de santé. Avis défavorable.
M. Jacques-Bernard Magner. - Il est regrettable de revenir sur ce sujet longuement débattu lors de la loi confortant les principes de la République.
Les parents peuvent être capables d'inculquer des connaissances, mais ce n'est pas l'école de la République, laquelle vise aussi la mixité sociale - dont il n'est guère question dans cette proposition de loi. L'école à domicile, pour nous, n'est pas la vraie école.
N'assouplissons pas les critères. Il est plus facile d'examiner le cas de certaines familles qui ont besoin de l'école à domicile, mais plus difficile de contrôler chaque année les 60 000 enfants en instruction à domicile. Je ne voterai pas l'amendement.
M. Cédric Vial. - Monsieur Magner, vous voulez refaire le match et gagner sur tapis vert...
M. Jacques-Bernard Magner. - Il y a la loi !
M. Cédric Vial. - Un compromis a été trouvé pour accorder une autorisation selon la situation de l'élève. L'éducation nationale parle de « situation particulière justifiant l'éducation à domicile ».
Pour le motif 4, 47 % des autorisations sont refusées, 39 % après recours des familles. En l'absence de circulaire, la loi est interprétée différemment selon les territoires. Le ministère souhaiterait-il une réécriture du dispositif par les tribunaux ?
Ne laissons pas M. Magner ou la jurisprudence réécrire la loi !
M. Max Brisson. - Ce texte devait cliver, c'est réussi. Nous sommes constants : nous avons toujours été attachés à la liberté d'enseignement, à ce système équilibré depuis Jules Ferry et Victor Hugo.
Nous avions dit que la loi sur les principes de la République s'attaquerait, non au séparatisme, mais à ceux qui font des choix particuliers. Monsieur le ministre, vous reconnaissez les inégalités : des élèves et des familles sont en souffrance, face à des inspecteurs qui vont au-delà de la volonté du législateur. Comme nous le craignions, l'éducation nationale a une interprétation restrictive.
Je suis déçu, monsieur le ministre, car je pensais que vous seriez plus ouvert à la liberté d'enseignement que votre prédécesseur. Les séparatistes ne craignent pas la loi, et de braves gens souffrent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme Annick Billon. - Le groupe UC votera cet amendement. L'éducation en famille a besoin de transparence. Simplification ne signifie pas laxisme. Les contrôles, légitimes, doivent se faire sans a priori. L'éducation nationale gagnerait à se demander pourquoi il y a de plus en plus d'instruction en famille. Peut-être pour pallier les failles de l'école...
M. Pap Ndiaye, ministre. - Nous restons fidèles à la notion de « situation propre », précisée par le Conseil d'État. Je reconnais que nous devons balayer devant notre porte, car il y a des inégalités entre académies. C'est l'objet du séminaire du 5 mai au cours duquel nous établirons des règles communes à l'ensemble de l'éducation nationale.
Nous gagnons pratiquement tous les contentieux devant les tribunaux administratifs : notre interprétation, particulièrement du motif 4, n'est pas trop restrictive. Nous acceptons 90 % des demandes.
L'amendement n°2 rectifié ter est adopté et devient un article additionnel.
Mme le président. - Amendement n°46 rectifié, présenté par M. Piednoir, Mme Deroche, MM. Reichardt, Courtial et Pellevat, Mme Garriaud-Maylam, M. Détraigne, Mme Lassarade, M. Tabarot, Mmes Belrhiti, Billon et Gosselin, M. Meurant, Mme Gatel, MM. Mizzon, Belin et Burgoa, Mme Drexler, M. Saury, Mme Estrosi Sassone, M. Bouchet, Mme Lopez, MM. Lefèvre, P. Martin, Houpert, Gremillet, Rapin, Klinger et Moga et Mme Borchio Fontimp.
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'autorité de l'État compétente en matière d'éducation publie chaque année le nombre de demandes d'autorisation formulées au titre de l'article L. 131-5 du code de l'éducation ainsi que celui des autorisations accordées.
M. Stéphane Piednoir. - Nous sommes régulièrement interpellés sur les conséquences sur l'instruction en famille de la loi relative aux principes de la République. Les disparités entre académies sont considérables. Nous l'avions souligné à l'époque.
Je propose que le rectorat publie chaque année le nombre de demandes formulées et d'autorisations accordées. Si tout est clair, il n'y aura aucune difficulté.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Publier ces informations offrira un suivi sur le temps long, montrant l'évolution de la scolarisation en famille. Avis favorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - C'est inutile : toute personne peut obtenir ces chiffres auprès du rectorat, sous réserve des limites de communication des documents administratifs. Retrait, sinon avis défavorable.
M. Cédric Vial. - Nous avons besoin de transparence, notamment pour évaluer un nouveau dispositif. Nous avons aussi besoin de directives du ministère de l'éducation nationale envers les rectorats. Le rectorat de Toulouse prononce 90 % de refus au titre du motif 4. Si 90 % des demandes sont acceptées à l'échelle nationale, c'est du fait de l'inertie des autorisations existantes. Les nouveaux refus atteignent 39 %, avec un traitement inégal au sein de fratries. Les petits frères d'enfants auxquels on accorde l'instruction en famille se la voient refuser.
Par ailleurs, dans certaines académies, il semble que les inspecteurs fixent le nombre d'autorisations en fonction de leur capacité de contrôle : décider ainsi de sa propre charge de travail est inacceptable. Il faut une circulaire.
M. Jacques-Bernard Magner. - On fait la part belle à un phénomène extrêmement minoritaire. Plus de cinq millions d'élèves fréquentent l'école publique ! L'instruction en famille est une forme de séparatisme, même s'il n'est pas nécessairement religieux. Beaucoup de familles sont encouragées par la législation. Plus on débattra de cette possibilité, plus on en fera la publicité, plus on mettra l'école publique en difficulté alors que nous sommes censés la défendre.
Bien sûr, certains cas particuliers justifient de ne pas aller à l'école.
La phobie scolaire est à la mode : des familles croient bien faire en gardant leurs enfants à la maison. C'est le plus mauvais service à leur rendre.
M. Stéphane Piednoir. - On ne devrait pas s'occuper des minorités au motif qu'elles sont minoritaires ? (M. Jacques-Bernard Magner proteste.)
Monsieur le ministre, vous mentionnez un taux global issu du ministère. Ceux que nous mentionnons proviennent des associations. Les rectorats devraient publier eux-mêmes les chiffres. Ce n'est pas insurmontable.
Mme Annick Billon. - Je conteste ce terme de minoritaire : doit-on abandonner ces 60 000 élèves ?
M. Jacques-Bernard Magner. - Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !
Mme Annick Billon. - L'amendement de Stéphane Piednoir met en exergue l'opacité sur l'instruction en famille. Quelle n'a pas été ma surprise quand, en 2020, j'ai constaté que les nouveaux maires manquaient totalement d'information sur leurs devoirs en matière d'instruction en famille ! Il faut voter cet amendement.
M. Laurent Lafon, président de la commission. - Ce sujet a été longuement débattu lors de l'examen de la loi sur les principes de la République. Les témoignages attestant du besoin de lutter contre le séparatisme nous ont, finalement, amenés à voter cette disposition. Hors séparatisme et dérives sectaires, il faut défendre la liberté des parents. Il s'agit de vérifier que le dispositif atteint bien ces deux cibles.
La transparence montrerait que l'application de la loi correspond à l'accord trouvé lors de son vote.
L'amendement n°46 rectifié est adopté et devient un article additionnel.
Mme le président. - Amendement n°45 rectifié, présenté par M. Piednoir, Mme Deroche, MM. Reichardt, Courtial et Pellevat, Mmes Garriaud-Maylam et Lassarade, M. Tabarot, Mmes Belrhiti et Gosselin, MM. Meurant, Mizzon, Belin et Burgoa, Mme Drexler, M. Saury, Mmes Estrosi Sassone et Garnier, MM. Bouchet, Lefèvre, P. Martin, Houpert, Gremillet, Rapin, Klinger et Moga et Mme Borchio Fontimp.
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le cinquième alinéa de l'article L. 131-10 du code de l'éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« À la demande des personnes responsables de l'enfant, ce second contrôle peut être effectué par des personnes différentes de celles chargées du premier contrôle. »
M. Stéphane Piednoir. - Sans revenir sur le régime d'autorisation et toujours dans un souci d'objectivité, je demande que l'inspecteur qui a réalisé le premier contrôle ne soit pas chargé du second. Là encore, cela ne semble pas insurmontable : c'est déjà la pratique pour l'inspection des enseignants.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Cela apaiserait les relations entre les familles et le rectorat. Avis favorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Votre amendement est tellement légitime qu'il est déjà satisfait. En effet, le vademecum adressé aux rectorats précise déjà qu'en cas d'avis réservé lors du premier contrôle, une autre personne effectue le second contrôle. Je vous propose de retirer votre amendement, qui, de plus, relève du domaine règlementaire. À défaut, avis défavorable, même si nous sommes d'accord sur le fond.
M. Jacques-Bernard Magner. - Je n'ai jamais dit qu'il ne fallait pas s'occuper des enfants instruits en famille, minoritaires par rapport à ceux qui sont scolarisés. La loi semble suffisante pour traiter ces besoins.
Le sujet de l'instruction en famille est sensible en raison de ses dévoiements : certaines familles pensent protéger leurs enfants en leur évitant de se confronter à leurs pairs. À nous de leur démontrer que, hors cas pathologiques, l'intérêt de l'enfant est de s'instruire et de s'éduquer avec ses pairs. C'est la première idée qui vient à tout éducateur.
L'amendement n°45 rectifié est adopté et devient un article additionnel.
ARTICLE 2 BIS
M. Rémi Féraud . - Je salue les membres de la commission pour leur travail transpartisan sur les jardins d'enfants pédagogiques. Ces structures jouent un rôle important en Alsace ou à Paris par exemple. Les élus locaux sont nombreux à se mobiliser pour les sauver, alors que la loi pour une école de la confiance les a fragilisés. La dérogation à laquelle ils avaient droit touche à sa fin ; les jardins d'enfants ne peuvent envisager d'inscription pour 2024.
Ils sont le fruit de l'histoire sociale et associative. La mixité sociale y est réelle. Ils accueillent bien plus d'enfants en situation de handicap que les écoles maternelles et jouent un rôle utile, en particulier dans les quartiers populaires. J'espère qu'ils pourront poursuivre leur activité.
M. Claude Kern. - Très bien.
Mme Elsa Schalck . - Cet article permet aux jardins d'enfants de perdurer, alors qu'ils sont voués à disparaître à la rentrée 2024 du fait de l'obligation de scolarisation dès 3 ans. Il y a une volonté transpartisane de les sauver, qu'ils soient conventionnés ou associatifs.
Les parents y sont attachés, comme le Parlement. Ces structures, qui existent depuis plus de cent ans, concourent à l'intégration des enfants porteurs de handicap - j'ai un exemple en tête, à Strasbourg. Évitons la disparition de cette solution complémentaire de notre système éducatif. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Claude Kern. - Très bien.
Mme le président. - Amendement n°53, présenté par le Gouvernement.
Supprimer cet article.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Je reconnais l'ancienneté et l'ancrage social des jardins d'enfants, notamment à Strasbourg et à Paris.
Les jardins d'enfants se voient offrir trois possibilités. La première est de se recentrer sur la tranche des 2-3 ans, pour offrir une passerelle douce vers l'école. À Paris, on observe une baisse des effectifs en maternelle et en élémentaire. La deuxième est de devenir des crèches collectives : c'est ce qui se passe à Strasbourg. La troisième, de devenir des écoles maternelles privées sous contrat.
Les échanges avec les municipalités de Paris et Strasbourg doivent se poursuivre ; les recteurs y travaillent. En signe de bonne volonté, je suis prêt à laisser une année supplémentaire à ces structures, le temps de trouver une solution. (On appelle sur les travées du groupe Les Républicains au retrait de l'amendement.)
Cependant, le Gouvernement est opposé à cet article qui revient sur la loi du 26 juillet 2019.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Octroyer une année supplémentaire ne suffit pas. Les jardins d'enfants sont centenaires, ils fonctionnent très bien. On le voit aussi en Europe du Nord.
Les 260 jardins en France regroupent 8 300 enfants. Nous voulons qu'ils continuent à accueillir des enfants de 3 à 6 ans, sans recréer de nouveau statut pour les jardins d'enfants qui existaient déjà avant la promulgation de la loi pour l'école de la confiance.
M. Max Brisson. - Monsieur le ministre, je suis très déçu par votre amendement. Une année de plus ? Un peu de patience, monsieur le bourreau !
Lors de l'examen du projet de loi sur l'école de la confiance, en 2019, le ministère semblait découvrir les jardins d'enfants. Nous avons organisé leur sauvetage. Nous avions cinq ans pour trouver une solution. Vous nous accordez un an de plus, mais au-delà, c'est une question de fond. Nous, nous tenons compte de la diversité des situations. Il y a des constructions historiques - parisienne, alsacienne, réunionnaise - mais votre ministère veut que tous les systèmes soient identiques.
Pourquoi casser des solutions éprouvées, qui ont socialisé des enfants ? Pourquoi vouloir que tout soit d'équerre ?
M. Rémi Féraud. - Monsieur le ministre, je ne vois pas comment vous pourriez accorder une année de plus. Pour le moment, vous défendez un amendement de suppression - ce qui a au moins le mérite de clarifier les positions.
Devant le Sénat, vous vous êtes montré ouvert à une solution juridique. Vous avez demandé aux élus locaux de signifier leur intérêt. La maire de Paris vous a écrit.
Il ne s'agit pas de remplacer les écoles maternelles par des jardins d'enfants, mais de permettre le maintien de ceux qui existent.
Cet article formule une proposition juridique. C'est un article d'appel, auquel vous répondez par une logique de rouleau compresseur, au motif que la loi sur l'école de la confiance ne supporterait aucune exception. On disait que c'était la faute de la Ville de Paris... Désormais, c'est clair. Votre discours est plus ouvert que vos actes. Retirez cet amendement !
M. Claude Kern. - Faites un geste !
Mme Elsa Schalck. - Pareillement, je ne comprends pas cet amendement de suppression. À l'Assemblée nationale, vous indiquiez vous-même vouloir trouver un chemin pour préserver les jardins d'enfants.
Pourquoi supprimer ce qui fonctionne ? Reporter la suppression des jardins d'enfants d'un an n'est pas une solution pérenne.
L'amendement n°53 n'est pas adopté.
L'article 2 bis est adopté.
ARTICLE 3
Mme le président. - Amendement n°30, présenté par Mme Monier et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
Mme Marie-Pierre Monier. - Nous supprimons la possibilité ouverte aux recteurs de passer un contrat de mission, avec de multiples postes à profil. C'est inutile et dangereux, car cela ouvre des brèches dans les modalités d'affectation des professeurs. Les postes à mission n'ayant pas à tenir compte des besoins de service, cela pose la question des critères d'attribution. Tous les abus seraient permis.
Ce dispositif ne fera que renforcer la différence de traitement entre enseignants et entre établissements, dans un système à deux vitesses.
Mme le président. - Amendement identique n°58, présenté par Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Jérémy Bacchi. - Les règles de mobilité doivent être transparentes et équitables, ce qui n'est pas compatible avec les postes à profil dont les règles d'attribution restent opaques.
Le profilage ne règle en rien la difficulté à pourvoir certains postes.
En outre, l'État procède aux mutations de ses fonctionnaires en tenant compte des besoins du service, ce qui est essentiel pour éviter la création de déserts éducatifs.
Mme le président. - Amendement identique n°85 rectifié, présenté par Mme de Marco, MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Mme Monique de Marco. - L'article 3 prévoit une dérogation pour permettre aux directeurs de recruter par contrat. Les expérimentations précédentes se sont soldées par des échecs. L'obligation de réaffecter l'enseignant sur son poste d'origine à l'issue de son contrat est très contraignante. Cela rappelle les dispositifs Éclair (École collège lycée ambition innovation réussite) de 2011. Nous nous opposons à cette disposition.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Au contraire, cet article est intéressant. Il s'agit d'un engagement réciproque entre un enseignant et son administration. Je me souviens, il n'y a pas si longtemps, d'un recrutement via Pôle Emploi. On ne peut l'accepter.
La bonification octroyée à ces enseignants les incitera peut-être à rester ou à trouver un poste ailleurs. Avis défavorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - La mobilité des enseignants tient compte de leur ancienneté et de leur situation personnelle.
Parallèlement à ces mouvements au barème, il existe des recrutements qui apparient les compétences des enseignants et les besoins spécifiques des postes à pourvoir. Cela concerne 60 000 professeurs des écoles.
Depuis l'année dernière, nous expérimentons les postes à profil. Les professeurs retenus s'engagent à rester trois ans dans l'affectation.
Le Gouvernement va déjà dans cette direction, notamment en outre-mer. La disposition est déjà largement effective. Avis défavorable.
M. Max Brisson. - Cet article est extrêmement important. Le contrat de mission figurait déjà dans un rapport que j'avais rendu avec Françoise Laborde. Oui, il remet en cause le système du barème et de l'ancienneté, qui conduit à bizuter les jeunes enseignants en les envoyant dans les établissements les plus difficiles.
Le contrat de mission diffère du poste à profil, car ce dernier, même s'il facilite l'adéquation entre compétences et besoins particuliers, oublie la sortie. Notre éducation nationale n'a pas la mémoire du service rendu à la République. Je propose un contrat gagnant-gagnant. Si vous préparez la sortie, si ce contrat est un accélérateur de carrière, vous aurez beaucoup plus de candidats.
Je vous invite donc à rejeter les amendements de suppression et à voter l'article 3.
Les amendements identiques nos30, 58 et 85 rectifié ne sont pas adoptés.
L'article 3 est adopté.
ARTICLE 4
M. Max Brisson. - Cet article est un peu disruptif et crée des remous, j'en suis conscient. Je remercie le rapporteur d'avoir réparé une erreur sur la mastérisation.
Il est important de dissocier la formation du premier et du second degré. Apprendre à lire, à écrire et à compter est certainement le plus beau métier du monde - bien qu'enseignant, je n'aurais probablement pas su le faire. On a apparié les formations au nom d'un certain égalitarisme. Or on constate un parallèle entre création des IUFM, puis des Inspé, et dégradation de l'apprentissage des savoirs fondamentaux.
Bien sûr, il faut un lien avec l'université et la recherche.
La transformation des Espé en Inspé n'est qu'un changement de lettre. Par cet article, monsieur le ministre, nous vous proposons de reprendre la main.
Mme le président. - Amendement n°31, présenté par Mme Monier et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
Mme Sylvie Robert. - Nous nous opposons à la séparation entre la formation des enseignants du premier degré et du second degré. Cela s'apparente à un retour en arrière, aux écoles normales. C'est surtout l'abandon d'une formation ambitieuse s'appuyant sur la recherche.
La solution du rapporteur à ce nivellement par le bas est en demi-teinte : permettre la conclusion de conventions avec les établissements d'enseignement supérieur et la double inscription, sans obtention de droit du master.
Nous souhaitons maintenir une formation exigeante des futurs enseignants du premier degré et demandons la suppression de cet article.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Avis défavorable.
Faire cours n'est pas faire classe, je rejoins Max Brisson sur ce point. Nous donnons l'occasion au ministre de reprendre la main sur la formation des enseignants du premier degré.
La commission a adopté un amendement pour renforcer le lien entre écoles et établissements d'enseignement supérieur, sur le modèle des classes préparatoires.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Il y a un enjeu d'attractivité du métier de professeur et d'amélioration de la formation initiale et continue.
J'ai engagé une réflexion avec Sylvie Retailleau sur un recrutement à bac+3 avec deux années solides de formation d'élèves de professorat. Il convient toutefois de conserver le cadre de la mastérisation, ce que la proposition de M. Brisson ne garantit pas.
Tout en partageant la philosophie de votre proposition, le Gouvernement émet un avis favorable à l'amendement de suppression.
M. Jacques-Bernard Magner. - Lorsque les Espé ont été créées dans la loi de 2013 à la suite de la suppression des IUFM, le but était d'associer la formation professionnalisante sur le terrain à la formation universitaire.
Malheureusement, le niveau master revient à se priver des classes populaires, qui étaient auparavant le vivier privilégié des écoles normales.
Aujourd'hui, les professeurs des écoles demandent à être mieux formés à la pédagogie. C'est ce qui est le plus difficile à acquérir pour les jeunes enseignants, alors qu'il leur est toujours possible d'acquérir des savoirs livresques.
M. Max Brisson. - Madame Robert, que vous parliez de nivellement par le bas me chagrine. Je n'ai pas le sentiment que l'expression aurait pu s'appliquer aux écoles normales... L'idée de différencier la formation va dans le bon sens.
Combien de professeurs d'université enseignent dans les Inspé ? Combien de directeurs de laboratoires collaborent avec les Inspé ? Très peu. On se paie de mots : le lien avec la recherche est en réalité ténu.
Trois ans après le vote de la loi Blanquer, l'objectif de 30 % de praticiens dans les Inspé n'est toujours pas atteint. Il y a une résistance, au nom de l'autonomie des universités.
L'amendement n°31 n'est pas adopté.
Mme le président. - Amendement n°74 rectifié, présenté par MM. Fialaire, Artano et Bilhac, Mmes M. Carrère et N. Delattre, M. Gold, Mmes Guillotin et Pantel et M. Roux.
I. - Alinéas 5 et 9
Remplacer les mots :
supérieures du professorat des écoles
par les mots :
normales primaires
II. - Alinéas 6 et 10
Remplacer les mots :
supérieure du professorat des écoles
par les mots :
normale primaire
M. Bernard Fialaire. - Revenons à la simplicité : il faut une formation particulière pour un type d'enseignement particulier.
Je proposais de rétablir la dénomination d'école normale primaire, ce qui n'est pas une régression.
Nous avons besoin de clarté et de repères. Que les étudiants qui se lancent dans ces études puissent aller jusqu'au master est important, mais ne perdons pas de vue l'importance de la formation de ces maîtres, dont notre école publique a besoin.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Gardons plutôt le nom d'Espé, sans aller jusqu'à les appeler ENS Max Brisson... (Sourires) Cela donnera des lettres de noblesse à ces écoles.
M. Pap Ndiaye, ministre. - En cohérence avec ma position sur l'article, avis défavorable. Je réitère néanmoins notre volonté de travailler plus avant l'articulation entre recrutement à bac+3, mastérisation et contrôle plus avancé de l'éducation nationale sur la formation des professeurs des écoles.
M. Michel Canévet. - La formation pédagogique !
L'amendement n°74 rectifié n'est pas adopté.
L'article 4 est adopté.
APRÈS L'ARTICLE 4
Mme le président. - Amendement n°60, présenté par Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Après l'article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport examinant l'opportunité d'ouvrir un dispositif de pré-recrutement dès la licence, afin de faire bénéficier les élèves-professeurs d'une formation de deux ans comme fonctionnaire-stagiaire, assortie d'une obligation de dix ans de service au sein de l'éducation nationale.
M. Jérémy Bacchi. - L'absence d'anticipation inquiète les parents : à la rentrée 2022, 4 000 postes n'étaient pas pourvus dans le secondaire. Depuis 2017, 7 500 postes ont été supprimés dans le second degré - l'équivalent de 175 collèges.
Cette pénurie s'explique par le manque de candidats.
Dans le premier degré, en 2022, le taux de postes pourvus est de 83 %, idem dans le second degré, contre 94 % en 2021.
Il faudrait embaucher 30 000 enseignants, avec un pré-recrutement en licence sous le statut d'élèves fonctionnaires, qui seraient titularisés à bac+5.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Avis défavorable à cette demande de rapport. En revanche, monsieur le ministre, nous sommes preneurs de tout document sur le pré-recrutement et un concours à bac+3.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Avis défavorable. Le recrutement à bac+3 pour les professeurs des écoles n'est pas une hérésie, mais nous avons besoin d'établir un calendrier et des modalités de travail en lien avec le ministère de l'enseignement supérieur. Retrait, sinon avis défavorable.
L'amendement n°60 n'est pas adopté.
ARTICLE 5
Mme le président. - Amendement n°32, présenté par Mme Monier et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
Mme Sylvie Robert. - C'est un amendement de coordination avec celui présenté à l'article 4.
Mme le président. - Amendement identique n°91 rectifié, présenté par Mme de Marco, MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Mme Monique de Marco. - Dans la continuité de notre position, nous ne sommes pas favorables à une distinction entre l'enseignement pour devenir professeur des écoles et celui des Inspé. La continuité dans la formation favorise les évolutions de carrière du primaire vers le secondaire, et inversement.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Avis défavorable à ces amendements.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Par cohérence avec notre avis défavorable à l'article 4, avis favorable à ces amendements de suppression.
Les amendements identiques nos32 et 91 rectifié ne sont pas adoptés.
Mme le président. - Amendement n°33, présenté par Mme S. Robert et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Rédiger ainsi cet article :
Le code de l'éducation est ainsi modifié :
1° L'article L. 721-2 est ainsi modifié :
a) À la dernière phrase du huitième alinéa, après les mots : « écosystème numérique », sont insérés les mots : «, à la protection des données personnelles » ;
b) À la dernière phrase du neuvième alinéa, après le mot : « laïcité », sont insérés les mots : « , aux méthodes pédagogiques qui favorisent sa compréhension par les élèves » ;
c) Au dixième alinéa, après le mot : « laïcité », sont insérés les mots « , sur les méthodes pédagogiques qui favorisent sa compréhension par les élèves » ;
2° Le cinquième alinéa de l'article L. 721-3 est complété par les mots : « sur proposition du conseil de l'école ».
Mme Sylvie Robert. - Plutôt que de mettre fin à la culture commune de formation des enseignants du premier et du second degré, nous proposons d'améliorer cette formation, au regard du développement rapide des outils numériques et de l'intelligence artificielle - tout le monde connaît ChatGPT. Il faut sensibiliser les enseignants à la protection des données personnelles, et favoriser un usage raisonné des réseaux sociaux.
Il faut aussi donner une coloration plus concrète à l'enseignement de la laïcité, avec des modules pédagogiques.
Nous voulons enfin décentraliser la nomination des directeurs d'Inspé, après la centralisation décidée par votre prédécesseur, monsieur le ministre, en 2019. Faisons davantage confiance aux équipes qui administrent ces écoles.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Avis défavorable. Nous voulons que le ministère ait la main sur la nomination des directeurs d'Inspé.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Pour la même raison, avis défavorable.
Sur la protection des données personnelles, le texte en vigueur prévoit déjà une formation aux outils et ressources numériques, c'est suffisant.
L'amendement n°33 n'est pas adopté.
L'article 5 est adopté.
ARTICLE 6
Mme Marie-Pierre Monier . - Le groupe SER est favorable à la création d'un service public de soutien scolaire. Cela mettrait fin au creusement des inégalités entre les parents qui ont les moyens d'un soutien privé et les autres.
Mais il convient que ce service soit bien organisé. Nous aurions souhaité un meilleur encadrement, mais nos amendements ont été déclarés irrecevables. Nous sommes favorables à ce que ce soutien soit de la compétence exclusive des enseignants eux-mêmes dans le second degré. Mais nous ne souscrivons pas à la logique qui veut que les enseignants l'assurent en dehors du cadre de leur service. C'est une ligne rouge : les académies de soutien privées sont souvent créées par des multinationales, comme levier de défiscalisation.
Pourquoi ne pas réactiver la réserve citoyenne de l'éducation nationale, tombée en désuétude, plutôt que d'en créer une nouvelle ?
M. Julien Bargeton. - C'est un article intéressant, que j'avais essayé d'amender dans le sens d'un accompagnement gratuit à l'aide aux devoirs. Le dispositif « Devoirs faits » fonctionne bien ; il concerne 20 % des élèves, soit 700 000 d'entre eux.
Le RDPI votera cet article si l'amendement du Gouvernement est adopté. Ce sera l'occasion d'avancer sur ce point, le plus consensuel du texte.
Mme Monique de Marco. - Les conditions de participation des enseignants au service public de soutien scolaire ne sont pas précisées dans l'article. Nous avions déposé des amendements pour prévoir une rémunération ; quoique gagés, ils ont été déclarés irrecevables. Cela nous éclaire : il n'est donc pas question de les rémunérer...
Mme le président. - Amendement n°61, présenté par Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Supprimer cet article.
M. Jérémy Bacchi. - Cet article repose sur l'idée que l'on pourrait apprendre et se former partout ailleurs qu'à l'école. Cela reviendrait à une délégation du service public de l'éducation à des acteurs privés ; il y a un risque réel de fragmentation de la qualité de l'enseignement en fonction des territoires, des moyens des collectivités et des intervenants.
La création d'un tel service répond à une réelle demande des usagers, mais la solution passe par un renforcement des moyens de l'institution scolaire.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Des associations ou des fondations interviennent déjà au titre du périscolaire et de l'extrascolaire. Cet article 6 met en cohérence toutes les formations et garantit un soutien scolaire sur tous les territoires. Avis défavorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Des dispositifs au service de la réussite des élèves existent déjà, comme les stages de la réussite, « Vacances apprenantes », ou encore « Devoirs faits », généralisés aux classes de sixième et obligatoires dès la prochaine rentrée.
Je suis favorable à ce que tout élève dispose d'un soutien aux devoirs, sur le temps de la scolarité obligatoire. C'est le sens de l'amendement n°94 du Gouvernement à cet article. Cela consacrerait un droit ouvert aux élèves. Retrait, au profit de l'amendement du Gouvernement.
L'amendement n°61 n'est pas adopté.
Mme le président. - Amendement n°94, présenté par le Gouvernement.
Rédiger ainsi cet article :
Après l'article L. 311-3-1 du code de l'éducation, il est inséré un article L. 311-3-... ainsi rédigé :
« Art. L. 311-3-.... - Un accompagnement aux devoirs est proposé aux élèves tout au long de la scolarité obligatoire. »
M. Pap Ndiaye, ministre. - Défendu.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Nous préférons la rédaction de l'article 6 adoptée par la commission. (M. Julien Bargeton manifeste sa déception.) Soutien scolaire et aide aux devoirs ne se recoupent pas totalement.
L'amendement n°94 n'est pas adopté.
Mme le président. - Amendement n°38, présenté par Mme S. Robert et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 3, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
Mme Sylvie Robert. - Au détour d'un amendement adopté en commission, a été votée une phrase passée inaperçue, qui soumettrait les intervenants occasionnels du soutien scolaire à une obligation de neutralité. Or la jurisprudence administrative est claire : la neutralité ne s'applique qu'aux agents de service public, pas aux collaborateurs occasionnels.
Si vous voulez faire entrer dans le soutien scolaire les associations, les fondations, la réserve éducative, pourquoi cette obligation de neutralité pour quelques heures par semaine ? Et si vous réservez le soutien scolaire aux professeurs, la question de la neutralité ne se pose pas.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Nous créons un service public, donc l'obligation de neutralité s'applique. Avis défavorable. (Mme Sylvie Robert désapprouve.)
M. Pap Ndiaye, ministre. - Même avis.
L'amendement n°38 n'est pas adopté.
L'article 6 est adopté.
ARTICLE 7
Mme le président. - Amendement n°63, présenté par Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Supprimer cet article.
Mme Céline Brulin. - Nous souhaitons supprimer la réserve éducative instituée par l'article 7. Bien sûr, il faut soutenir les enfants, mais dans le cadre de l'éducation nationale. Or nous assistons à la disparition progressive des dispositifs qui y tendent, comme les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased), ou le dispositif « Plus de maîtres que de classes ».
Vous proposez de remplacer cela par une réserve dont on ne connaît pas la typologie des membres. Dans le contexte de crise du recrutement, aura-t-on beaucoup d'enseignants volontaires pour faire partie de cette réserve ? Il en va de même pour les associations, déjà très mobilisées pour d'autres tâches.
Cette réserve risque de peser lourd sur les collectivités territoriales, car elle demandera des moyens et des locaux.
En commission, il m'avait semblé qu'un amendement renforçant les exigences vis-à-vis de la réserve éducative avait été adopté. Pourquoi ne figure-t-il pas dans le texte ?
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - La réserve éducative a vocation à être l'un des piliers du service public de soutien scolaire. En commission, nous avons défini des conditions de probité et de diplôme. Retrait, sinon avis défavorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Même si nous comprenons la nécessité de mobiliser des moyens, l'article 7 est trop imprécis pour être opérationnel. C'est aux professeurs d'assurer cette mission, au titre de leur rôle d'accompagnement pédagogique. Avis favorable à la suppression de l'article.
L'amendement n°63 n'est pas adopté.
Mme le président. - Amendement n°39, présenté par Mme Monier et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Rédiger ainsi cet article :
L'article L. 911-6-1 du code de l'éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Avant le 31 décembre 2023, un rapport est remis par le Gouvernement au Parlement sur la mobilisation de la réserve citoyenne de l'éducation nationale, le nombre de personnes y participant et ses modalités d'intervention. Il précise dans quelles conditions cette réserve pourrait contribuer au service public de soutien scolaire. »
Mme Marie-Pierre Monier. - Durant les auditions, nous avons constaté la faible utilisation de la réserve citoyenne de l'éducation nationale mise en place en 2017. Nous demandons donc un rapport pour en faire le bilan, comme préalable à tout nouveau dispositif.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Avis défavorable à cette demande de rapport. Cela étant, monsieur le ministre, combien y a-t-il d'inscrits à cette réserve, et quel est leur profil ?
M. Pap Ndiaye, ministre. - Avis défavorable. Nous prolongerons nos échanges sur ce sujet.
L'amendement n°39 n'est pas adopté.
L'article 7 est adopté.
ARTICLE 7 BIS
M. Olivier Paccaud . - Étant l'auteur de l'amendement qui a introduit cet article, je souhaitais m'en expliquer. Rendons à César ce qui appartient à César : je me suis inspiré d'un jeune député franc-comtois, Jacques Grosperrin (sourires), auteur d'un rapport sur la bivalence.
M. Pierre Ouzoulias. - Ambivalence !
M. Olivier Paccaud. - Il ne s'agit pas de ressusciter les professeurs d'enseignement général de collège (PEGC). La bivalence, cela existe et cela marche : c'est l'histoire et la géographie, par exemple. Les marier est une spécificité française et républicaine, que nous ne partageons qu'avec l'Espagne. Idem pour la physique et la chimie, le latin et le français... La bivalence ouvre des horizons à certains enseignants, leur évite de se partager entre deux ou trois établissements et facilite la gestion des emplois du temps.
Les termes de transversalité et d'interdisciplinarité sont omniprésents dans les programmes. Autant les fonder sur des professeurs maîtrisant bien deux matières, pour faire rimer bivalence avec excellence.
Mme le président. - Amendement n°51, présenté par Mme Monier et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
M. Lucien Stanzione. - Si l'on veut recréer des enseignants bivalents, il faut adapter la formation en conséquence. L'article L. 911-2 du code de l'éducation prévoit un plan de recrutement des personnels publié pour cinq ans, révisable annuellement. Dans le nouveau dispositif, il faudra favoriser le recrutement d'enseignants bivalents, sur la base du volontariat. Mais le volontariat ne protège qu'à la marge.
Le corps des PEGC a été créé en 1969 dans un contexte de massification rapide et de prolongation de l'obligation scolaire à 16 ans, qui a fait accéder de nombreux professeurs du primaire, polyvalents, au secondaire. L'enseignement supérieur ne formait pas, alors, un nombre suffisant de licenciés. Ces enseignants ont ensuite obtenu de n'enseigner finalement que deux, voire une seule matière.
La démocratisation de l'enseignement supérieur a ensuite rendu caduc le recours à ces professionnels.
On peut acquérir des compétences dans plusieurs disciplines mais la formation universitaire n'y correspond pas...
Mme le président. - Amendement identique n°62, présenté par Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Supprimer cet article.
Mme Céline Brulin. - Nous traversons une grave crise de recrutement, malgré un léger mieux qui est loin d'inverser la tendance.
La réponse est-elle de demander toujours plus aux enseignants ? Max Brisson veut qu'ils alimentent une réserve éducative pour le soutien scolaire, le ministre leur demande d'assumer des missions complémentaires pour une petite augmentation de salaire.
Or les heures supplémentaires obligatoires ont été augmentées pour pallier le manque d'enseignants. En moyenne, les enseignants travaillent déjà 43 heures par semaine. La bivalence n'est pas un levier de réussite pour les élèves. Supprimons cet article.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Avis défavorable. Olivier Paccaud a très bien défendu cet article.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Il convient de distinguer l'ouverture de concours bivalents dans le second degré, à laquelle nous sommes défavorables, du complément de service dans une autre discipline, solution souple en gestion qui répond à certains besoins. Avis favorable.
M. Olivier Paccaud. - La bivalence serait possible sur la base du volontariat. Certains professeurs seraient heureux de renforcer ainsi leurs compétences : un professeur de lettres qui accroîtrait ses connaissances en histoire pourrait être encore plus formidable ! À la lueur du Grand Siècle et de l'absolutisme louis-quatorzien, on comprend bien mieux les fables de La Fontaine. Leurs élèves en bénéficieront.
M. Cédric Vial. - La bivalence a été instaurée par Gilles de Robien en 2005, puis suspendue par un autre gouvernement de droite. Il s'agissait de permettre à des enseignants volontaires de passer une mention complémentaire dans une autre discipline, selon un choix personnel, pour des raisons pédagogiques voire pragmatiques - exercer dans un seul établissement, par exemple. C'est déjà le cas dans l'enseignement privé, qui n'a pas de moins bons résultats.
Cela permet une meilleure gestion des ressources humaines, tout en offrant une rémunération complémentaire à l'enseignant. C'est du gagnant-gagnant. Seule la FSU (Fédération syndicale unitaire) s'y était opposée, avec des arguments purement syndicaux que nous retrouvons ce soir...
M. Michel Savin. - Ah !
M. Cédric Vial. - On ne va pas obliger les enseignants à faire tout et n'importe quoi, mais leur assurer une reconnaissance par un diplôme et une meilleure rémunération.
M. Max Brisson. - La bivalence pourrait aussi régler les problèmes des petits collèges. Certains professeurs passent beaucoup de temps en voiture, alors qu'ils pourraient enseigner deux disciplines dans un même établissement.
Si l'on veut moins de turnover, il faut construire des services intéressants pour les jeunes professeurs.
Monsieur le ministre, vous dites que cela existe déjà - réponse classique du ministère, avec « c'est impossible ». Avec l'article 7 bis, nous donnons aux enseignants les moyens de construire un métier un peu différent.
Mme Micheline Jacques. - Je pense à mon territoire de Saint-Barthélemy - 21 km², avec un seul collège, et des enseignants qui se partagent entre notre île et celle de Saint-Martin. La bivalence pérenniserait les équipes, pour un meilleur bilan carbone.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Je suis en accord avec vos propos. Ces possibilités figurent déjà dans le décret de 2014 sur l'obligation de service des enseignants. Nul besoin de créer un corps bivalent alors que le décret de 2014 offre déjà la possibilité aux enseignants qui le souhaitent d'enseigner deux disciplines, notamment dans les petits collèges ruraux.
Les amendements identiques nos51 et 62 ne sont pas adoptés.
L'article 7 bis est adopté.
L'article 7 ter est adopté.
ARTICLE 8
M. Max Brisson . - Je suis heureux de la rédaction adoptée en commission. Oui, les territoires ruraux ont des besoins éducatifs particuliers, le turnover des enseignants et les résultats scolaires témoignent de leur enclavement et de leur pauvreté.
Les fermetures de classes ont des conséquences dramatiques, vu l'éloignement.
Le président Lafon l'a dit dans un rapport rédigé avec Jean-Yves Roux : il faut une approche différenciée. Cela existe avec les territoires éducatifs ruraux, me direz-vous. Envoyons le message de la nécessité d'un regard particulier. Tenons compte, enfin, de la ruralité dans sa diversité, comme l'Éducation nationale sait déjà le faire pour les territoires d'éducation prioritaire.
M. Olivier Paccaud . - Dans cet article 8, c'est une volonté de justice territoriale, d'équité professionnelle et d'efficacité éducative qui s'exprime. Dans l'Oise, à Janville, l'école compte deux classes, pour 56 élèves, dont une classe quintuple, du CP au CM2, avec 28 élèves. L'année prochaine, ils seront 30. Et à quelques kilomètres, il y a une école en REP+, avec des classes dédoublées en CP et 12 enfants par classe.
Nous n'avons pas pu inscrire dans le texte la prime multiniveaux, qui est d'ordre réglementaire. Elle est très attendue, monsieur le ministre. Le professeur qui enseigne à 30 élèves de cinq niveaux différents est moins payé que son homologue en REP+, pour plus de travail.
M. Lucien Stanzione . - Les élèves des territoires ruraux, trop longtemps dans l'angle mort, méritent une attention spécifique. La délégation aux droits des femmes, dans son rapport sur la ruralité, avait appelé à en finir avec les zones blanches de l'inégalité. La récente réforme du baccalauréat a tout particulièrement pénalisé les lycéens de ces territoires, où les choix d'options sont restreints.
Toute politique publique éducative doit cependant répondre à un cadre national : la définition par les recteurs d'académie nous interpelle.
La généralisation des territoires éducatifs ruraux, expérimentés dans trois académies, a été annoncée dans la précipitation. Pour être efficace, cette politique doit s'inscrire dans la durée, bénéficier des moyens appropriés, et l'État doit jouer son rôle d'impulsion et de régulation.
Mme le président. - Amendement n°64, présenté par Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Supprimer cet article.
Mme Céline Brulin. - Oui, il faut des dispositifs pour les territoires ruraux, mais aussi des postes, et ne pas fermer des classes !
Certains territoires ruraux devraient être en REP ; les critères le justifient largement. Or à chaque refonte de la carte de l'éducation prioritaire, on fait entrer des territoires - la Guyane, Mayotte par exemple - mais comme nous sommes à moyens constants, on en fait sortir d'autres.
On oppose les questions territoriales et sociales, or les territoires ruraux ont aussi des problèmes sociaux. Visons plutôt l'élargissement de l'éducation prioritaire.
Enfin, à Eu, dans mon département, le dispositif « Territoires éducatifs ruraux » n'empêche pas les suppressions de classes et de postes.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Il ne s'agit pas d'opposer, mais de régler le problème pour tous les enfants. Par ailleurs, l'indice de position sociale du ministère (IPS) donne déjà ces informations. Avis défavorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Sagesse. Nous allons examiner le cas mentionné par M. Paccaud. Le contrat local d'accompagnement scolaire (CLAS) permet de soutenir les établissements défavorisés avec des moyens ciblés.
Vous avez supprimé en commission la référence à l'éducation prioritaire, qui n'est pas forcément adaptée aux territoires ruraux où les difficultés sont d'une autre nature. L'expérimentation « Territoires éducatifs ruraux », qui favorise la coopération entre acteurs, mérite d'être étendue.
L'amendement n°64 n'est pas adopté.
L'article 8 est adopté.
APRÈS L'ARTICLE 8
Mme le président. - Amendement n°42, présenté par Mme Monier et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La première phrase du premier alinéa de l'article L. 312-16 du code de l'éducation est complétée par les mots : « , inscrites dans l'horaire global annuel des élèves ».
Mme Marie-Pierre Monier. - L'éducation à la sexualité est obligatoire, mais le compte n'y est pas sur le terrain. Trois associations, Planning familial, SOS Homophobie et Sidaction, ont attaqué l'État en justice sur cette question.
Le rapport de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche a révélé que moins de 15 % des élèves du primaire et du lycée bénéficient de ces séances, et moins de 20 % des collégiens. Il convient donc de préciser le code de l'éducation.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - La circulaire de septembre 2022 a rappelé que ces heures devaient être effectives. Avis défavorable, car satisfait.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Même avis.
L'amendement n°42 n'est pas adopté.
Mme le président. - Amendement n°41, présenté par Mme Monier et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Le code de l'éducation est ainsi modifié :
1° Le quatrième alinéa de l'article L. 442-5 est complété par les mots : « et ne peuvent excéder le ratio de dépense par élève constaté dans l'enseignement public » ;
2° Le premier alinéa de l'article L. 442-9 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elles ne peuvent excéder le ratio de dépense par élève constaté dans l'enseignement public »
II. - La perte de recettes résultant pour l'État du I est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
III. - La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du I est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
IV. - La perte de recettes résultant pour l'État du paragraphe précédent est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
Mme Marie-Pierre Monier. - Les moyens que le rectorat consacre par élève aux établissements privés sous contrat ne peuvent être supérieurs à ceux qui sont consacrés au public. C'est pourtant le cas à Paris par exemple, dans le sillage des politiques récentes comme la loi pour une école de la confiance : la scolarisation obligatoire à 3 ans a conduit au transfert, sans contrepartie, de 150 millions d'euros vers le secteur privé.
Le privé sous contrat est subventionné à 73 % par de l'argent public, alors qu'il accueille deux fois plus d'élèves favorisés et deux fois moins d'élèves défavorisés que le public, et encourage une logique élitiste. Seul le public fait vivre au quotidien l'égalité des chances.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Cet amendement remet en cause l'équilibre de la loi Debré. Avis défavorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Même avis.
L'amendement n°41 n'est pas adopté.
ARTICLE 9
Mme Marie-Pierre Monier . - L'article 9 permet aux communes rurales de s'opposer, par décision du conseil municipal, à une fermeture de classe pendant trois ans. Plus douloureuses encore en ruralité, ces fermetures sont nombreuses dans mon département, alors que certaines communes concernées comme Saint-Laurent-en-Royans dépassent largement les 24 élèves par classe, avec des classes multiniveaux.
Nous voterons donc cet article, mais j'ai le sentiment d'avoir joué le rôle de Cassandre lors de l'examen du dernier projet de loi de finances. Vous aviez refusé nos amendements créant des postes. Les territoires ruraux paient le prix de vos choix politiques.
Mme le président. - Amendement n°13 rectifié, présenté par M. Sautarel, Mme Goy-Chavent, MM. Saury, Burgoa, Bascher et D. Laurent, Mme Thomas, MM. Milon, Anglars, B. Fournier, Frassa et Panunzi, Mme Dumont, MM. Mandelli et Bouchet, Mme Raimond-Pavero, MM. Cadec, Somon, de Nicolaÿ et Chaize, Mme Drexler, M. Laménie, Mmes Ventalon et F. Gerbaud, MM. Belin, Mouiller et Le Rudulier, Mmes Bellurot et Puissat, MM. Rietmann, Perrin, Babary et Bouloux, Mme Imbert, MM. Sido et Houpert, Mme Pluchet et M. Rapin.
I. - Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Un conseil municipal saisi en application du premier alinéa dispose d'un délai de deux mois à compter de sa saisine ou, si elle est postérieure, de l'information des parents d'élèves pour émettre un avis. À défaut, son avis est réputé favorable.
II. - Après l'alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« "Un conseil municipal saisi en application du premier alinéa dispose d'un délai de deux mois à compter de sa saisine ou, si elle est postérieure, de l'information des parents d'élèves pour émettre un avis. À défaut, son avis est réputé favorable.
M. Stéphane Sautarel. - Je me félicite de la rédaction adoptée en commission. Tout n'est pas une question de moyens : il y a aussi les choix d'affectation. Cet amendement allonge le délai de délibération du conseil municipal.
Je remercie la commission d'avoir retenu, à l'article 7 ter, mon amendement sur le respect de la personne des élèves et des étudiants. Quand on parle de respect, comment ne pas penser à Parcoursup ?
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Ce délai supplémentaire allongerait le calendrier d'élaboration de la carte scolaire. Avis défavorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Avis défavorable pour les mêmes raisons.
L'amendement n°13 rectifié n'est pas adopté.
Mme le président. - Amendement n°48 rectifié, présenté par M. Piednoir, Mme Deroche, MM. Courtial et Pellevat, Mme Garriaud-Maylam, M. Détraigne, Mme Lassarade, M. Tabarot, Mmes Belrhiti et Gosselin, MM. Meurant, Belin et Burgoa, Mme Drexler, M. Saury, Mme Estrosi Sassone, MM. Bouchet, Lefèvre et Houpert, Mme Guidez, MM. Rapin, Klinger et Moga et Mme Borchio Fontimp.
Alinéas 3 et 6
Remplacer les mots :
aucune fermeture de classe ne peut intervenir durant les trois années suivantes
par les mots :
un moratoire est prononcé pour la prochaine année, et est reconductible une fois
M. Stéphane Piednoir. - Plutôt qu'un moratoire de trois ans, qui me paraît excessif, je propose que l'avis du conseil municipal vaille pour un an, reconductible une fois.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Avis défavorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Avis défavorable : le travail sur la carte scolaire doit s'inscrire dans une perspective pluriannuelle. Ne rigidifions pas les choses.
L'amendement n°48 rectifié n'est pas adopté.
Mme le président. - Amendement n°16 rectifié, présenté par MM. Sautarel, D. Laurent et Burgoa, Mmes Puissat et Goy-Chavent, MM. Chaize, Babary, Bouloux et Anglars, Mme Imbert et MM. Bouchet, Sido, Houpert et Rapin.
Alinéas 3 et 6
Compléter ces alinéas par les mots et une phrase ainsi rédigée :
si la classe compte au moins huit élèves à la date à laquelle est émis l'avis. Cet avis doit être pris par une délibération motivée au regard de la nécessité de garantir, notamment par un encadrement pédagogique suffisant, l'effectivité du droit à la formation scolaire de tout enfant et la poursuite dans de bonnes conditions des objectifs mentionnés à l'article L. 111-2 du code de l'éducation, mais aussi des perspectives de développement offertes au niveau de la commune.
M. Stéphane Sautarel. - Cet amendement fixe un seuil de huit élèves avant toute décision sur une fermeture de classe.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Avis défavorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Avis défavorable.
L'amendement n°16 rectifié est retiré.
Mme le président. - Amendement n°12 rectifié, présenté par M. Courtial, Mme V. Boyer, MM. Charon, Perrin, Rietmann, Mouiller, Tabarot, Guerriau, Chasseing et Menonville, Mme Lopez, MM. Allizard, Klinger et Chatillon, Mme Pluchet, MM. Regnard et H. Leroy, Mmes Dumont et Drexler, MM. Daubresse, Saury, Sido, Laménie, Cigolotti et B. Fournier, Mme Belrhiti, MM. Gremillet et Moga, Mme Garriaud-Maylam et M. Cadec.
Après l'alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« À l'occasion de la fermeture d'une classe, une consultation est organisée à laquelle prennent part un représentant de l'État dans le département et celui de l'Éducation nationale, les sénateurs du département, le député et les conseillers départementaux du ressort de la commune, le maire de la commune et éventuellement son adjoint, les autres maires concernés en cas de regroupement scolaire et les associations de parents d'élèves, afin d'établir une perspective du nombre de classes prévues lors des trois prochaines années à l'échelle de la commune et des communes voisines. »
Mme Sabine Drexler. - L'incertitude sur l'avenir de leurs classes pèse sur les communes rurales. L'article 9 répond à l'urgence, mais ne suffit pas. D'où cette proposition d'un espace d'échanges pour permettre un travail prospectif.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Les parents d'élèves sont déjà informés des projets de fermeture de classes. Inutile de l'inscrire dans la loi. Avis défavorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Avis défavorable.
L'amendement n°12 rectifié est retiré.
Mme le président. - Amendement n°14 rectifié bis, présenté par M. Sautarel, Mme Goy-Chavent, MM. Saury, Burgoa et D. Laurent, Mme Thomas, MM. Milon, Anglars, B. Fournier et Frassa, Mme Dumont, MM. Mandelli et Bouchet, Mme Raimond-Pavero, MM. Cadec, Somon, de Nicolaÿ et Chaize, Mme Drexler, M. Laménie, Mmes Ventalon et F. Gerbaud, MM. Belin et Mouiller, Mmes Bellurot et Puissat, MM. Rietmann, Perrin, Babary et Bouloux, Mme Imbert, MM. Sido et Houpert, Mme Pluchet, M. Rapin et Mme Del Fabro.
I. - Après l'alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Sans préjudice de la possibilité pour les services compétents de l'État de recourir à tout autre procédé approprié, l'information des parents d'élèves prévue dans le présent article est regardée comme effectuée dès lors qu'elle donne lieu à un affichage en mairie et dans l'école. »
II. - Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« " Sans préjudice de la possibilité pour les services compétents de l'État de recourir à tout autre procédé approprié, l'information des parents d'élèves prévue dans le présent article est regardée comme effectuée dès lors qu'elle donne lieu à un affichage en mairie et dans l'école. "»
M. Stéphane Sautarel. - Nous renforçons l'information des parents d'élèves.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Avis défavorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Avis défavorable.
L'amendement n°14 rectifié bis est retiré.
Mme le président. - Amendement n°69, présenté par Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
.... - Le 1° de l'article L. 421-2 du code de l'éducation est complété par les mots : « et dans les collèges, les délégués départementaux de l'éducation nationale ».
M. Pierre Ouzoulias. - Cet amendement fait siéger de droit les délégués départementaux de l'éducation nationale dans les conseils d'administration des collèges. Nous l'avions déjà voté au Sénat, mais il avait été repoussé en CMP.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Avis favorable : le Sénat persiste et signe.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Les missions des délégués départementaux de l'éducation nationale portent sur le premier degré, pas sur les collèges et lycées. Avis défavorable.
M. Pierre Ouzoulias. - Ils siègent pourtant au conseil départemental de l'éducation nationale (CDEN), compétent pour les collèges. Je ne vois pas de raison de les en écarter.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Certes, mais ils y siègent au titre du premier degré.
L'amendement n°69 est adopté.
L'article 9, modifié, est adopté.
Les amendements nos3 et 7 ne sont pas défendus.
ARTICLE 10
Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - Le 29 octobre 2019, le Sénat votait ma proposition de loi imposant la neutralité religieuse aux personnes contribuant au service public de l'éducation, que l'Assemblée nationale n'a pas inscrite à son ordre du jour. Toujours dans le déni, celle-ci a refusé la même disposition dans le projet de loi confortant le respect des principes de la République.
Depuis, le nombre d'atteintes à la laïcité ne cesse d'augmenter, qamis et abayas se sont invités dans le débat, des lycéens réclament d'être autorisés à porter ces vêtements religieux. Cet entrisme rampant fragilise l'école, et votre absence de clarté et de fermeté, monsieur le ministre, ouvre la porte à toutes les revendications communautaires. L'école de la République doit préserver à tout prix la liberté de conscience, la laïcité, ces facteurs d'émancipation qui donnent un socle commun à tous les enfants de la République.
Clemenceau disait : « toute tolérance devient, à la longue, un droit acquis ».
M. Pierre Ouzoulias . - Cet article me pose un problème. J'ai compris que M. Brisson proposait d'étendre à tout personnel participant au service public les principes de laïcité et donc de neutralité. Mais vous condamnez de facto les services d'aumônerie : comment un aumônier, qui participe au service public, peut-il respecter la neutralité religieuse ?
Pire, puisque vous n'excluez pas du champ du texte l'Alsace-Moselle, où l'enseignement religieux fait partie du service public, expliquez-moi comment votre proposition pourrait être mise en oeuvre ? C'est un peu fort : vous faites tomber d'un coup tout le droit local ! (M. Claude Kern s'exclame.)
Pour le groupe CRCE, l'école hors les murs est l'école de la République. Elle doit être encadrée par des fonctionnaires de l'Éducation nationale.
M. Yan Chantrel . - Cet article dénature le principe de neutralité et de devoir de réserve. Il s'agit de la quatrième offensive en quatre ans de la part de la droite sénatoriale : une vraie obsession... (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Gare au risque d'inconstitutionnalité. Selon une étude du Conseil d'État de 1993, il n'y a pas de troisième catégorie entre les agents du service public et ses usagers. Les agents accompagnateurs ne sont pas soumis au principe de neutralité religieuse ; seuls leur sont interdits la propagande et le prosélytisme, et cela vaut pour toutes les religions.
Même s'ils peuvent être appelés collaborateurs du service public, les parents accompagnateurs n'exercent pas une mission de service public : ils restent des usagers et, à ce titre, ne peuvent être soumis au principe de neutralité.
Il y a un risque d'engrenage, outre que vous compliqueriez l'organisation des sorties scolaires. On affaiblit l'école en réduisant l'ouverture au monde et en restreignant l'égalité des chances. Jusqu'où irez-vous ? Chercherez-vous à imposer votre conception de la neutralité jusqu'au conseil d'administration de l'école ?
M. Max Brisson . - Nous avons eu ce débat de nombreuses fois.
M. Thomas Dossus. - En effet !
M. Max Brisson. - Nous sommes obligés de suppléer une gauche qui ne défend plus la laïcité, creuset dans lequel s'est construite la République.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio et M. Stéphane Piednoir. - Exactement !
M. Max Brisson. - De longue date, l'école a une exigence de neutralité. Contrairement à ce que prétend le Gouvernement, la neutralité s'impose à ses usagers : c'est ce qui la différencie des autres services publics. Vous avez abandonné un noble héritage, que nous entendons défendre haut et fort.
M. Thomas Dossus. - N'importe quoi !
M. Max Brisson. - À l'école, la neutralité s'impose aux agents, aux usagers et à celles et ceux qui font la classe, dans les murs comme hors les murs. Une sortie scolaire n'a de raison d'être que pédagogique. Les enfants doivent être protégés de toute forme de prosélytisme religieux.
M. Philippe Mouiller. - Bravo !
Mme le président. - Amendement n°22, présenté par M. Dossus, Mme de Marco, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Supprimer cet article.
M. Thomas Dossus. - Il s'agit d'une lubie idéologique de la droite, qui instrumentalise la laïcité à des fins discriminatoires. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Vous voulez interdire le port du voile aux accompagnantes. Pourtant, elles ne sont pas des agentes du service public ; elles ne prennent pas part à l'activité pédagogique. Au nom de quoi imposerait-on des contraintes liées à une fonction à des personnes qui ne l'exercent pas ?
En réalité, vous cherchez à instrumentaliser une nouvelle fois la laïcité pour discriminer nos concitoyens de confession musulmane, avec un petit fumet permanent de racisme. (Protestations indignées sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - C'est scandaleux !
M. Thomas Dossus. - La laïcité devrait nous rassembler, pas nous diviser !
Mme le président. - Amendement identique n°43, présenté par Mme S. Robert et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Mme Sylvie Robert. - Je ne céderai pas à la provocation de M. Brisson. C'est la quatrième fois que nous débattons de ce sujet, sur lequel nous avons déjà passé plus de dix heures... Que dire de plus ? Nous connaissons vos positions, vous connaissez les nôtres. La différence, c'est que le droit est de notre côté.
Pourtant, à chaque texte, vous rejouez la scène, comme si l'issue pouvait en être changée. Mais votre entêtement ne modifiera pas les conclusions du Conseil d'État : les parents accompagnateurs n'exercent pas une mission de service public et ne sont donc pas soumis à la neutralité ; en revanche, ils doivent s'abstenir de tout prosélytisme.
Notre droit est équilibré et conforme à la philosophie de la laïcité.
Mme le président. - Amendement identique n°54, présenté par le Gouvernement.
M. Pap Ndiaye, ministre. - L'avis de tous les gouvernements est constant, en accord avec la position du Conseil d'État.
Mme le président. - Amendement identique n°66, présenté par Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Céline Brulin. - Les parents d'élèves sont des usagers du service public et ne sauraient donc être soumis aux règles de neutralité applicables à ses agents.
Nous voulons tous lutter contre les séparatismes et les obscurantismes. Pour cette raison même, il ne faut éloigner personne de l'école.
Les signes que vous visez, religieux pour certains, se répandent : signe que votre stratégie n'est sans doute pas la bonne... Elle est non seulement inefficace mais dangereuse, car nos concitoyens préfèrent souvent l'original à la copie.
Mme le président. - Amendement identique n°75, présenté par M. Cabanel.
M. Henri Cabanel. - Dans certaines classes, vous priverez tout simplement les élèves de sortie.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Les débats ont déjà eu lieu, évitons de polémiquer. Avis défavorable.
Les amendements identiques nos22, 43, 54, 66, 75 et 23 ne sont pas adoptés.
Mme le président. - Amendement n°23, présenté par M. Dossus, Mme de Marco, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Rédiger ainsi cet article :
Après le premier alinéa de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Cette interdiction ne s'applique pas aux personnes qui ne sont ni fonctionnaires, ni agents publics contractuels, lorsqu'elles concourent occasionnellement et bénévolement au service public de l'éducation sans participer à la mission d'enseignement, notamment lorsqu'elles accompagnent des sorties scolaires. »
M. Thomas Dossus. - Cet amendement de repli rappelle simplement le droit. Les accompagnantes de sorties scolaires sont des usagers comme les autres. Si vous ne voulez pas d'elles, recrutez du personnel dans l'éducation nationale ! Ne décourageons pas ceux qui viennent bénévolement donner un coup de main.
Mme le président. - Amendement n°70, présenté par M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Rédiger ainsi cet article :
Après l'article L. 141-6 du code de l'éducation, il est inséré un article L. 141-... ainsi rédigé :
« Art. L 141-.... - L'enseignement religieux est facultatif dans les écoles, collèges et lycées publics des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. »
M. Pierre Ouzoulias. - Je le répète : en votant l'article 10, vous mettriez fin à l'enseignement religieux en Alsace-Moselle. Ce que je propose est moins radical, même si, par le passé, j'ai défendu fortement la laïcité, sans que nos collègues de droite me suivent - je pense à la suppression du Concordat et du régime dérogatoire de la Guyane...
Je propose de rendre facultatif l'enseignement religieux prévu par la loi d'administration allemande du 9 juin 1871. En Alsace, moins de 50 % des collégiens le suivent, et moins de 10 % des lycéens ; en Moselle, par moins de 10 % des collégiens et seulement neuf lycéens...
Cette inversion du principe dispenserait les professeurs d'établir, à chaque rentrée, le rôle des parents ne souhaitant pas que leur enfant suive cet enseignement.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Avis défavorable aux amendements nos23 et 70, ce dernier modifiant le droit local.
M. Pierre Ouzoulias. - Vous le faites aussi !
M. Pap Ndiaye, ministre. - Avis défavorable à l'amendement n°70. Avis défavorable également à l'amendement n°23, car le Gouvernement ne souhaite pas toucher à l'équilibre de la loi de 2004.
L'amendement n°23 n'est pas adopté.
M. Claude Kern. - Devant cette nouvelle attaque en règle contre le droit local, je suis obligé de faire une mise au point.
En Alsace, les enfants bénéficient d'un enseignement religieux de qualité et qui a fait ses preuves. Ma collaboratrice me l'a confirmé : elle considère qu'étudier sa propre religion et celle de ses camarades est un facteur de bien vivre ensemble.
Ceux qui souhaitent être dispensés suivent un cours de morale, lui aussi bien utile.
Mme le président. - Il est 1 h 20, et il reste 18 amendements à examiner... Faisons en sorte de terminer l'examen du texte cette nuit, par respect les uns pour les autres.
M. Pierre Ouzoulias. - La loi allemande dit qu'il faut enseigner la religion, sans préciser laquelle. Demain, les musulmans pourraient exiger que leur religion soit enseignée. Ce jour-là, monsieur Kern, sans doute aurez-vous une position différente. (M. Claude Kern le conteste.)
L'amendement n°70 n'est pas adopté.
Les amendements nos6 et 5 ne sont pas défendus.
L'amendement n°77 rectifié est retiré.
APRÈS L'ARTICLE 10
Mme le président. - Amendement n°78 rectifié, présenté par MM. Fialaire, Artano et Bilhac, Mmes M. Carrère et N. Delattre, M. Gold, Mmes Guillotin et Pantel et M. Roux.
Après l'article 10
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 551-1 du code de l'éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le projet éducatif territorial souscrit aux objectifs de la charte de la laïcité ainsi qu'au respect du principe d'égalité des chances entre citoyens. »
M. Bernard Fialaire. - Il s'agit d'inclure dans le projet éducatif territorial la valorisation de la charte de la laïcité et de l'égalité des chances entre les citoyens.
Les amendements nos79 rectifié, 80 rectifié et 76 rectifié sont retirés.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Avis favorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - L'égalité des chances n'est pas un principe du droit français, contrairement à l'égalité des citoyens devant la loi, si bien que la portée de l'engagement serait très incertaine. Avis défavorable.
L'amendement n°78 rectifié est adopté et devient un article additionnel.
ARTICLE 11
Mme le président. - Amendement n°24, présenté par M. Dossus, Mme de Marco, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Supprimer cet article.
M. Thomas Dossus. - Encore une lubie conservatrice... Le port de l'uniforme serait une question de respect et d'égalité ? Il ne faut pas confondre respect et autoritarisme, et nous préférons la lutte réelle contre les inégalités à des artifices qui ne trompent personne. Vous voulez une République hors sol, nous préférons une République en actes.
Mme le président. - Amendement identique n°25 rectifié bis, présenté par Mme Billon, MM. Lafon, Hingray et Kern, Mme Morin-Desailly, M. Laugier, Mmes Férat et Saint-Pé, MM. J.M. Arnaud, Canévet, Duffourg et Henno et Mme Sollogoub.
Mme Annick Billon. - Le port de l'uniforme est souvent présenté comme une réponse aux inégalités et un facteur de mixité, ce qu'aucune étude ne confirme. L'idée peut sembler séduisante sur le papier, mais elle n'est pas raisonnable. En outre, dans les pays anglo-saxons, l'uniforme coûte 400 euros par an et par élève. Il n'a jamais été dans notre culture, sauf peut-être la blouse. Mais celle-ci n'évitera pas la différenciation : il y aura toujours des téléphones, des baskets et des sacs...
Mme le président. - Amendement identique n°44, présenté par Mme S. Robert et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Mme Sylvie Robert. - Mme Billon a tout dit.
Mme le président. - Amendement identique n°55, présenté par le Gouvernement.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Le Gouvernement souscrit aux arguments de Mme Billon.
Mme le président. - Amendement identique n°68, présenté par Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Céline Brulin. - Défendu.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Avis défavorable.
Mme Sonia de La Provôté. - Je ne voterai pas les amendements de suppression. À une époque de dictature des apparences, l'uniforme amoindrit les différences sociales. (M. Stéphane Piednoir renchérit.)
Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Je rejoins Mme de La Provôté. S'agissant du coût, l'État soutiendrait les familles les plus modestes via l'allocation de rentrée scolaire. Non, monsieur Dossus, nous ne sommes pas nostalgiques d'un temps qui n'a jamais existé !
M. Thomas Dossus. - Si !
À la demande du groupe UC, les amendements identiques nos24, 25 rectifié bis, 44, 55 et 68 sont mis aux voix par scrutin public.
Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°270 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Pour l'adoption | 177 |
Contre | 145 |
Les amendements identiques nos24, 25 rectifié bis, 44, 55 et 68 sont adoptés.
L'article 11 est supprimé et l'amendement n°26 rectifié ter n'a plus d'objet. (MM. Yan Chantrel et Thomas Dossus applaudissent.)
APRÈS L'ARTICLE 11
Mme le président. - Amendement n°47 rectifié, présenté par M. Piednoir, Mme Deroche, MM. Reichardt, Courtial et Pellevat, Mmes Garriaud-Maylam et Lassarade, M. Tabarot, Mmes Belrhiti et Gosselin, MM. Levi, Meurant, Mizzon, Belin et Burgoa, Mme Drexler, M. Saury, Mme Estrosi Sassone, MM. Bouchet, Lefèvre, P. Martin, Houpert et Gremillet, Mme Guidez, MM. Rapin, Klinger et Moga, Mme Borchio Fontimp et M. Cadec.
Après l'article 11
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 312-2 du code de l'éducation, il est inséré un article L. 312-2-... ainsi rédigé :
« Art. L. 312-2-... - Les médecins de santé scolaire sont destinataires des certificats médicaux lorsqu'une inaptitude d'une durée supérieure à un mois est constatée. »
M. Stéphane Piednoir. - Cet amendement reprend une disposition votée dans la loi confortant les principes de la République pour lutter contre les certificats de complaisance en matière de dispense d'EPS.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Avis favorable.
M. Pap Ndiaye, ministre. - Le contrôle du certificat médical d'inaptitude de plus de trois mois est déjà prévu par le code de l'éducation. Cela relève du pouvoir réglementaire. Avis défavorable.
L'amendement n°47 rectifié est adopté et devient un article additionnel.
L'article 12 est adopté.
L'amendement n°8 n'est pas défendu.
Interventions sur l'ensemble
M. Thomas Dossus . - Le Gouvernement étant bloqué, incapable de proposer des textes structurants, la droite passe l'offensive. Avec ce texte, elle entreprend méthodiquement de déstructurer l'école républicaine et de faire prospérer ses lubies réactionnaires. Nous sommes inquiets lorsque le Gouvernement explique qu'il ne faut pas aller si vite : c'est ce qu'il disait ces dernières années à propos de l'amendement sur les retraites... Ce texte fera-t-il partie d'un futur deal avec la droite ? Nous sommes soucieux pour l'avenir de l'école.
M. Max Brisson . - Les débats sur l'éducation sont rares, compte tenu de l'étendue du champ réglementaire. Celui-ci était clivant - je m'y attendais -, mais il était noble, en dépit de quelques dérapages et même de propos assez insupportables. Il n'y a pas de raciste sur ces travées ! (On renchérit avec énergie sur les travées du groupe Les Républicains.)
Deux visions de l'école s'opposent, la nôtre étant plus décentralisée. Le pays ne peut dépenser pour son éducation de tels moyens, nécessaires, sans obtenir des résultats à la hauteur.
Il y a eu aussi quelques sujets de consensus.
Non, madame Brulin, cette proposition de loi n'est pas le faux nez d'un texte gouvernemental.
Je me félicite, monsieur le ministre, que vous ayez appelé à un travail plus poussé sur certaines de nos propositions - même si j'aurais aimé moins d'amendements de suppression...
M. Jacques Grosperrin, rapporteur de la commission de la culture . - Je remercie M. Brisson d'avoir déposé cette proposition de loi. Ce débat a été utile. Je remercie également le ministre, ainsi que notre présidente de séance.
M. Julien Bargeton . - Le RDPI votera contre cette proposition de loi. Les uns parlent d'un texte de commande du Gouvernement, les autres déplorent le nombre d'amendements de suppression : la contradiction est évidente. Nous avons voté contre la plupart des articles du texte.
M. Michel Savin. - Comme la gauche !
M. Julien Bargeton. - C'est une chose de parler de pistes de travail, mais il faut de la clarté.
À la demande du groupe Les Républicains, l'ensemble de la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°271 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Pour l'adoption | 220 |
Contre | 118 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 12 avril 2023, à 15 heures.
La séance est levée à 1 h 40.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 12 avril 2023
Séance publique
À 15 h, 16 h 30 et le soir
Présidence : M. Gérard Larcher, président, M. Alain Richard, vice-président, M. Vincent Delahaye, vice-président
Secrétaires : Mme Esther Benbassa - M. Daniel Gremillet
1. Questions d'actualité au Gouvernement
2. Débat d'actualité sur le thème : « Impacts économique, social et politique de l'intelligence artificielle générative»
3. Proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, exprimant la gratitude et la reconnaissance du Sénat aux membres des forces de l'ordre déployées sur tout le territoire national, présentée par M. Bruno Retailleau et les membres du groupe Les Républicains, M. Hervé Marseille et plusieurs de leurs collègues (n°479, 2022-2023) (demande des groupes Les Républicains et UC)
4. Conclusions de la CMP sur le projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions (texte de la commission, n°497, 2022-2023) (demande du Gouvernement)
5. Débat sur la pollution lumineuse (demande de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques)