« L'avenir de la ressource en eau : comment en améliorer la gestion ? »
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème « L'avenir de la ressource en eau : comment en améliorer la gestion ? » à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective.
M. Jean Sol, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective . - « Qui dit eau dit santé, assainissement, hygiène et prévention des maladies ; dit paix ; dit développement durable, lutte contre la pauvreté, soutien aux systèmes alimentaires, création d'emploi et prospérité. C'est pourquoi l'eau doit être au centre de l'agenda politique mondial. » C'est ainsi qu'Antonio Guterres concluait la conférence-cadre sur l'eau le 24 mars dernier.
L'eau est au coeur de notre système alimentaire et énergétique, car elle sert à refroidir nos centrales nucléaires. En cas de manque ou d'excès, les conséquences sont dramatiques. L'eau est au coeur de notre vie quotidienne. Quel miracle : il nous suffit d'ouvrir un robinet pour disposer à tout instant d'une eau de qualité, pour un prix moyen de 4,30 euros les 1 000 litres, assainissement compris.
Mais cet été, plusieurs communes ont été en panne d'eau, choc culturel dans notre pays tempéré.
Nous recevons 200 milliards de m3 de pluies utiles. Nous en utilisons 32 milliards par an, dont 15 milliards pour le refroidissement des centrales, 5 pour l'alimentation des canaux, 5 pour l'eau potable, 3 pour l'agriculture et un peu moins de 3 milliards pour l'industrie.
Nous devrions réussir à répondre à tous nos besoins. Mais le débit de nos rivières baisserait de 10 à 40 %, selon un rapport prospectif. La sécheresse de 2022 nous appelle à remettre en cause nos modèles. Pour le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM), toutes les régions sont touchées. Entre juin et août, la situation est critique, particulièrement cette année.
En 2016, la délégation à la prospective avait déjà sonné l'alarme, avec le rapport « Eau, urgence déclarée » de Jean-Jacques Lozach et Henri Tandonnet. Cette année, Catherine Belrhiti, Cécile Cukierman, Alain Richard et moi-même avons intitulé notre rapport « Comment éviter la panne sèche » - il faut être lucide, plutôt qu'alarmiste et chercher les moyens d'agir.
Ces moyens existent : depuis 1964, c'est la gouvernance par grands bassins hydrogéologiques, la planification via les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage), et une redevance de 2 milliards d'euros par an.
Les collectivités territoriales sont impliquées dans le petit et grand cycle de l'eau, parfois regroupées dans des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB), dans l'idée d'une démocratie de l'eau. Nous sommes armés, mais il ne faut pas sous-estimer les difficultés.
Qualitativement, la directive-cadre sur l'eau (DCE) fixe des objectifs qui ne seront malheureusement pas atteints - malgré le report du délai à 2025. Nous devons continuer à lutter contre la pollution par les nitrates, les résidus de pesticides, les résidus médicamenteux, les plastiques et les per- et polyfluoroalkylées (PFAS).
Quantitativement, il faudra être sobre, comme le dit le Président de la République en présentant les 53 mesures du plan Eau.
Cela ne doit pas aboutir à interdire dogmatiquement toute retenue d'eau. Il faut gérer l'eau, notamment pour permettre l'agriculture. Il faut autoriser de nouvelles retenues dès lors que le service rendu économique et environnemental est positif. Il faut fonder la gestion de l'eau sur la nature, et améliorer les pratiques agricoles. L'agriculture sans eau est impossible, mais on peut améliorer l'irrigation et les pratiques culturales si l'on accompagne les agriculteurs. Il faut améliorer la recherche pour réutiliser les eaux usées, notamment dans les zones côtières, comme nous l'écrivions dans notre rapport.
La question des moyens ne doit pas être éludée. Nous proposons d'augmenter les moyens des agences de l'eau, de décentraliser la décision publique sur l'eau et de repolitiser les instances de gestion.
Enfin, il faut plus de pédagogie sur les enjeux de l'eau et les efforts que chacun devra faire.
Les principes de la politique de l'eau ne doivent pas faire perdre le bon sens. Au nom des débits réservés, on interdit l'utilisation des canaux d'irrigation des Pyrénées-Orientales, alors qu'ils permettent de recharger la nappe, de ralentir l'écoulement de notre fleuve, la Têt, et qu'ils nourrissent un maraîchage local, donc vertueux.
Tuer l'agriculture ne sauvera pas l'eau. J'espère que nous saurons trouver des solutions plus raisonnables, comme le faisaient nos anciens. Si l'eau est plus rare, elle n'a pas disparu, et la France ne sera jamais le Sahara. Notre intelligence collective doit nous éviter la panne sèche. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDPI ; MM. Daniel Breuiller et Hervé Gillé applaudissent également.)
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie. - Le 10 janvier, nous étions déjà réunis ici pour débattre de la gestion de l'eau ; nous partagions l'enjeu d'une gestion résiliente et concertée de cette ressource. Je salue la qualité du travail du Sénat et j'ai plaisir à revenir quelques jours après la présentation par le Président de la République du plan Eau, de ses 53 mesures et des moyens inédits qui répondent à vos préoccupations.
La politique de l'eau est bien structurée et outillée, mais nous devons aller plus loin. C'est le sens de notre plan d'action ambitieux, qui fait suite à une concertation avec les comités de bassin, le comité national de l'eau et les représentants des collectivités. Nous voulons garantir l'accès à une eau de qualité pour tous et des écosystèmes préservés. Ce débat s'inscrit dans l'avenir. Soyons concrets dans les solutions.
Mme la présidente. - Je salue la présence en tribune de la maire de Sainte-Terre et son conseil municipal des jeunes.
M. Alain Joyandet . - Une majorité des communes veut conserver la gestion de l'eau, mais le chemin est ardu. Que de temps perdu !
En 2015, la loi NOTRe prévoit un transfert obligatoire de l'eau et de l'assainissement des communes aux intercommunalités. Depuis, on ne compte plus les textes qui tentent de revenir sur ce point, notamment, en 2017, la proposition de loi adoptée du président Retailleau, le texte de 2018 qui reporte ce transfert à 2026, une proposition de loi en 2020, et une nouvelle loi en 2022 pour les syndicats sur une seule communauté de communes... Preuve qu'il y a un problème.
Après la proposition de loi de M. Darnaud déposée le 22 juin 2022, le Sénat adoptait en 2023, à 259 voix pour, un autre texte rétablissant le caractère optionnel de la compétence eau des intercommunalités.
Lors des questions au Gouvernement, le ministre Béchu a estimé que la compétence ne devait pas nécessairement revenir à l'intercommunalité, mais pas non plus à la commune seule. Que faut-il en comprendre ? Certaines communes rurales, ayant anticipé le transfert à l'intercommunalité, s'aperçoivent que c'est ingouvernable, et que l'embauche de nombreux fonctionnaires et contractuels fait flamber le prix de l'eau. Une intercommunalité de Haute-Saône n'a pas été capable d'envoyer ses factures d'eau depuis un an et demi !
Faisons de l'eau une compétence optionnelle des intercommunalités, et laissons les élus décider !
Dans une commune rurale, le prix de l'eau a été multiplié par trois, alors que rien n'a changé : c'est intolérable !
Dans la Haute-Saône, un représentant de l'État m'a dit qu'il y allait de la qualité de l'eau et de la santé de nos enfants ! Et ce dans une commune où, grâce à un fontainier souvent bénévole qui y travaille depuis 25 ans, tout fonctionne bien. Pourquoi casser ce qui marche pour uniformiser ?
Il faut vite un texte, pour que les communes sachent ce qu'elles doivent faire avant 2026. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Louault applaudit également.)
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Pour 88 % des communes, l'intercommunalité assume la compétence eau et assainissement. La mutualisation est donc bien enclenchée. Les communes assumant seules la compétence sont concentrées dans certains départements, comme les Hautes-Alpes.
Le Président de la République a rappelé l'importance de la mutualisation pour l'ingénierie, l'innovation et le maintien d'un niveau de service important.
Vous parlez de communes où tout va bien, mais 2 000 d'entre elles ont connu des problèmes d'approvisionnement, dont la plupart avaient conservé la compétence eau. C'est le cas des 170 communes ayant moins de 50 % de rendement. L'État a engagé 100 millions d'euros supplémentaires en 2022, et autant en 2023, pour les travaux, mais cela ne suffira pas : les communes doivent avoir l'ingénierie nécessaire.
Le Gouvernement ne souhaite pas revenir sur le transfert de compétence.
M. Jean-François Husson. - C'est rassurant !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Pour le ministre Béchu, la mutualisation doit primer.
Une mission parlementaire sera lancée sur le sujet.
M. Alain Joyandet. - Cela ne répond pas à ma question. L'intercommunalité peut décider de prendre la compétence puis la déléguer illico aux communes. C'est ce que prévoit la loi. Est-ce ce que les communes doivent faire ? Pourquoi ne pas clarifier les choses ? (M. François Bonhomme renchérit.)
Je demande qu'on laisse les élus locaux décider. Dans mon département, il y a des syndicats qui regroupent dix-huit communes depuis trente ans, parce que c'est pertinent. Pourquoi ne pas faire confiance aux élus, et rendre la compétence optionnelle pour les intercommunalités de moins de 20 000 habitants ?
Venez en Haute-Saône, vous serez la bienvenue ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Amel Gacquerre applaudit également.)
Mme Vanina Paoli-Gagin . - Jacinda Ardern, ancienne Première ministre néo-zélandaise, a déclaré dans son dernier discours que le changement climatique définissait notre génération de politiciens. Quelle que soit notre vision, nous subissons ses conséquences.
Nous souhaitons tous une gestion améliorée de la ressource vitale qu'est l'eau. Mers et océans abritent une biodiversité essentielle et absorbent la pollution en CO2. L'eau est indispensable, et parfois source de conflits, d'où la nécessité de travailler au niveau mondial.
La récente découverte dans les nappes phréatiques françaises d'un pesticide interdit depuis des années interroge. Comment s'attaquer aux causes des pollutions, accélérer l'homologation de nouveaux produits, comme le biocontrôle, alors que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et ses homologues européens sont saturés ?
Pour parler de quantité et de qualité de l'eau, il faut s'interroger sur sa gestion. Fidèle à sa conception libérale de l'écologie, le groupe Les Indépendants ne croit pas qu'on puisse revenir à des méthodes d'un autre siècle. Les solutions viendront de la recherche et de l'innovation. Nous ne pouvons qu'anticiper et prévenir, investir dans nos réseaux, avec un pilotage optimisé. Il faut clarifier les responsabilités, notamment au sein des collectivités territoriales.
Je salue le plan sobriété lancé par le Gouvernement.
Il faut actualiser les projets hydrologiques, gagner en réactivité par une gestion flexible des territoires. Nous devons partager les bonnes pratiques et trouver des solutions locales spécifiques. La solution n'est pas la même dans l'Aveyron, dans l'Aube ou en Corse.
Nous avons besoin de sensibilisation, mais aussi de formation. Qu'envisagez-vous pour celle des ingénieurs ?
Une nouvelle génération d'Aqua Prêt est prévue ; avec quelles améliorations ? Quid des crédits d'impôts sur les récupérateurs d'eau dans les zones en tension ? Concernant la mise en oeuvre de la tarification progressive de l'eau, nous plaidons pour une association des praticiens.
Une bonne gestion nécessite un pilotage financier, alliant adaptabilité et accessibilité.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Il me faudra plus de deux minutes pour répondre à toutes ces questions.
M. Jean-François Husson. - Telles sont les règles de l'exercice !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Nous avons abordé ce sujet crucial lors de la conférence des Nations unies sur l'eau, la première depuis 46 ans.
Fournir une eau de qualité est une nécessité pour la santé de tous. Or nous observons une dégradation de la qualité chimique des eaux souterraines. Le dépassement du seuil de potabilité est une alerte, sans pour autant constituer un danger immédiat pour notre santé.
L'eau potable provient aux deux tiers des nappes. Il faut prévenir les pollutions diffuses en adaptant les pratiques agricoles dans les aires de captage, avec moins de pesticides et d'engrais chimiques. Le biocontrôle est effectivement une piste pour y parvenir, et nous avons financé la recherche dans ce domaine durant la dernière mandature.
Nous souhaitons aussi favoriser les installations en agriculture bio et en agroécologie ; 100 millions d'euros sont ainsi consacrés aux agriculteurs utilisant moins d'intrants.
Nous négocions actuellement le règlement pour une utilisation durable des pesticides (SUR). En cas de dépassement d'un seuil sanitaire d'une molécule encore en usage, le préfet prendra automatiquement des mesures.
Nous étudions aussi la possibilité de réintroduire un crédit d'impôt pour les récupérateurs d'eau de pluie. (Marques d'impatience à droite) Nous travaillons également sur la question de la formation.
Mme la présidente. - Vous pourrez continuer après la prochaine question.
M. Daniel Breuiller . - Merci à Jean Sol et à la délégation à la prospective pour ce débat.
J'étais satisfait, en écoutant le Président de la République, de constater que certaines de nos propositions - tarification progressive de l'eau, augmentation des financements à l'agriculture biologique, sortie des engrais azotés de synthèse, paiement de services environnementaux - avaient été en partie reprises. Madame la ministre, n'hésitez pas à consulter nos autres propositions !
La moitié des masses d'eau sont polluées par les plastiques, les nitrates, les pesticides ou les herbicides. Sur ce sujet, rien ou presque. Pis, le ministre de l'agriculture - et des pesticides - demande à l'Anses une réévaluation sur le S-métolachlore R 471 811.
Nous revendiquons un plan massif en faveur de l'agriculture biologique, qui a un effet bénéfique pour l'eau notamment grâce aux couverts végétaux. La nature a ses propres solutions ! Il faut engager les agriculteurs vers ce chemin plutôt que de défendre un modèle agro-industriel qui craque de toutes parts, même s'il reste rentable.
L'objectif de diminution de notre consommation d'eau de 10 % en 2024 a été reporté à 2030. Certes l'agriculture consomme 56 %, mais l'industrie n'est pas en reste - on le voit à Crolles avec l'usine ST Microelectronics.
Nous promouvons un moratoire sur les projets à fort impact : mégabassines, réserves d'eau pour les canons à neige et liaison Lyon-Turin. L'étiage des fleuves baisserait de 20 à 40 % d'ici 2050 ; à quel niveau seront-ils en 2100, date de fin de vie de vos EPR ?
L'été, il faudra choisir entre l'eau potable, l'eau pour les milieux, pour l'énergie et pour l'agriculture : qui arbitrera et comment éviter les conflits ? Pour nous, la solution passe par la science partagée et la démocratie, notamment à travers des études préalables accessibles.
Madame la ministre, les conflits d'usage se multiplieront : Sainte-Soline n'était qu'un avant-goût. L'agriculture a besoin d'eau dans les systèmes d'irrigation vertueux, pas dans les mégabassines. Trouvons des réponses démocratiques localement !
Notre groupe souhaite une convention citoyenne de l'eau, comme celle sur la fin de la vie qui a débouché sur un consensus.
Faisons confiance aux citoyens, aux ONG, aux scientifiques - et même aux parlementaires écologistes. René Dumont prédisait la raréfaction de l'eau dès 1974, sous les sarcasmes des partis de gouvernement. Il avait pourtant raison. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Si nous avons repris beaucoup de vos propositions, c'est que nous sommes à l'écoute.
Nous ne voulons pas revenir sur l'objectif de baisse de 10 % de la consommation d'eau ; mais désormais, nous avons un plan complet pour y parvenir. Collectivités, industriels, agriculteurs, chacun doit y contribuer.
Dans le secteur agricole, cela suppose de revoir les cultures trop gourmandes en eau, de favoriser la réutilisation des eaux usées traitées - moins de 1 % dans notre pays, contre 13 % en Espagne.
Le plan Eau octroie les moyens nécessaires pour parvenir aux objectifs que nous nous sommes fixés.
M. Daniel Breuiller. - L'aggravation de la crise climatique ne nous laisse pas le temps d'avancer à un train de sénateur. (Sourires) Il faut engager les débats démocratiques dès maintenant !
Je prends toutefois note de vos engagements : nous sommes prêts à participer à ce travail.
Mme Nadège Havet . - Au cours de l'été 2022, 93 départements ont été touchés par des restrictions d'eau, plus de 1 000 communes ont dû être ravitaillées par bouteilles. La faible pluviométrie des derniers mois est inquiétante pour cet été.
En vingt ans, la France métropolitaine a perdu 14 % de ses capacités d'eau renouvelable par rapport à la période 1990-2001. Le cycle de l'eau se modifie, avec plus d'irrégularités : la répétition des chaleurs et les épisodes de pluie violents nécessiteront une adaptation.
Nous devons relever le défi et adopter une politique de sobriété dans les usages. D'où le plan de réduction de 10 % des usages d'ici 2030. Chaque sous-bassin hydrographique sera doté d'une trajectoire particulière. Un écowatt de l'eau sera mis en place, les plafonds de dépense des agences de l'eau seront supprimés et une tarification progressive de l'eau sera instaurée.
Nous voulons passer d'un taux de réutilisation des eaux usées de 1 % aujourd'hui à 10 % d'ici à 2030. Plusieurs leviers sont nécessaires : lancement d'un appel à manifestation d'intérêt pour les communes littorales, création d'un observatoire national, accélération des procédures administratives, entre autres.
Même si des actions sont menées, notamment sur l'arrosage des espaces verts, il faut accélérer ! Tel est le sens de la sixième recommandation du rapport sénatorial. Les eaux traitées constituent non pas une ressource nouvelle, mais une alternative au prélèvement dans la nature, particulièrement utile sur le littoral.
Le règlement européen adopté en mai 2020 sur la réutilisation des eaux usées entrera bientôt en vigueur. On traite chaque année plus de 40 milliards de mètres cubes d'eau, mais moins d'un milliard est réutilisé.
Fin août, la Première ministre avait abordé la notion de planification écologique de l'eau, appelant à une gestion de l'eau plus résiliente dans l'industrie, l'agriculture et les usages du quotidien.
Un consensus, qui passe par un effort de communication et de démocratisation, s'impose. Madame la ministre, quelles sont les évolutions réglementaires à venir ? Comment simplifier les procédures ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Effectivement, le taux de réutilisation des eaux usées traitées n'est que de 1 %. Nous visons 10 %, et mille projets. Nous accompagnerons les porteurs de projet : un appel à manifestation d'intérêt sera lancé avec l'Ademe pour étudier la faisabilité de cent projets par an, surtout dans les communes littorales.
Nous avons ouvert de nombreux chantiers réglementaires pour lever les freins à la réutilisation de l'eau non conventionnelle, tout en garantissant la sécurité sanitaire.
La réutilisation de l'eau dans l'industrie agroalimentaire fait l'objet d'une consultation publique. Les acteurs attendent le décret avec impatience.
M. Hervé Gillé . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Daniel Breuiller applaudit également.) Notre groupe a proposé une mission d'information intitulée « Gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement » dont je suis rapporteur. Elle s'inspirera bien sûr des travaux de la délégation.
La mission s'appuiera sur trois axes. D'abord, la qualité de l'eau, cruciale pour l'eau potable mais aussi pour la faune et la flore aquatiques. Or la moitié des masses d'eau sont polluées, et les révélations de l'Anses sur le chlorothalonil et le S-métolachlore montrent que nos progrès sont insuffisants. Nous regrettons que ces enjeux soient absents du plan Eau. La protection de 500 points de captage prioritaires semble porter ses fruits : ne faudrait-il pas en protéger davantage ?
Deuxième axe : la gestion quantitative de l'eau. Les épisodes extrêmes vont se multiplier. Pourquoi ne pas créer de nouvelles ressources multi-usages ? Les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) vont dans le bon sens, mais ils sont trop tardifs. Comptez-vous les faire évoluer ?
Une politique de sobriété s'impose. Vous annoncez 30 millions d'euros pour les retenues agricoles, 180 millions pour la réduction des fuites, 50 millions pour la protection des nappes et des zones humides : autant de pistes intéressantes, mais comment ces chantiers seront-ils financés ? Envisagez-vous une nouvelle fiscalité, ou une hausse des redevances ? Il faut clarifier et éviter les effets d'annonce.
La tarification différenciée est souhaitable, mais elle suppose un travail préalable avec les parties prenantes. À l'instar des déchets, chaque activité devra recevoir une tarification différenciée : les familles nombreuses ne doivent pas être lésées. Notre mission est disponible pour avancer sur ce sujet.
Troisième axe : le rôle des collectivités territoriales. Qui doit agir et avec quels moyens ? Avec l'approvisionnement, l'assainissement et la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi), les collectivités sont en première ligne. L'échelle des bassins-versants est aussi très importante. L'échelon territorial doit être renforcé. La revalorisation de 475 millions d'euros par an pour les agences de l'eau est bienvenue, mais elle ne sera pas mise en oeuvre avant 2025.
Nous devons étudier le contrat d'objectif et de performance avec les parties prenantes et conditionner les aides à la protection de la ressource.
La gestion de l'eau est éminemment politique et doit être travaillée avec l'ensemble des acteurs : cette question mériterait à elle seule un ministère ou un secrétariat d'État. Investissons nos instances, repolitisons-les au sens noble du terme ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Merci pour le travail que vous menez.
Nous ne créerons pas de nouvelle fiscalité, mais relèverons les taux existants de redevance.
La gestion de l'eau est une compétence décentralisée depuis les années 1960, autour des bassins et des sous-bassins ; le Gouvernement n'entend pas revenir dessus. Pas moins de 54 % du territoire est doté d'une commission locale de l'eau (CLE) et d'un document de planification tel qu'un schéma d'aménagement et de gestion des eaux (Sage). Des simplifications réglementaires permettront de couvrir tout le territoire d'ici 2027. Il n'y a rien de mieux que ces parlements de l'eau que sont les CLE, notamment pour atteindre l'objectif d'une réduction de l'utilisation de 10 % de la ressource : je vous invite à en impulser la création dans vos départements.
M. Hervé Gillé. - Vous nous confirmez un relèvement des redevances...
Je suis favorable à un renforcement de la planification : les Sage et les CLE sont utiles. Mais nous devons aussi favoriser l'intégration de la gestion de l'eau dans les politiques d'urbanisme - notamment les schémas de cohérence territoriale (Scot), les plans locaux d'urbanisme (PLU) ou les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi). Je pense aux eaux pluviales et aux zones humides.
Mme Marie-Claude Varaillas . - Le monde est engagé dans une nouvelle ère qui le voit confronté à la vulnérabilité de ses écosystèmes : 40 % de la population mondiale souffre de pénuries d'eau et 1,4 milliard de personnes sont privées d'accès à l'eau potable.
Cet hiver, la France a été privée de pluie durant 32 jours. En 2022, été le plus chaud depuis les années 1950, 93 départements ont été soumis à des restrictions.
Sans action de notre part, la situation continuera à se dégrader. Varenne de l'eau, plan Eau : à la litanie des annonces, il faudrait substituer l'action.
Le rapport de la délégation à la prospective, auquel a participé Cécile Cukierman, propose des pistes utiles : les acteurs locaux jouent un rôle essentiel dans les agences de l'eau, dans les CLE, les comités de bassin, en matière de Gemapi ou pour les travaux d'assainissement.
Le transfert obligatoire de la compétence eau et assainissement aux intercommunalités en 2026 n'a pas été clairement évoqué par le Président de la République, malgré l'hostilité de nombreuses communes.
Les bassins de vie sont mieux intégrés dans les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE). Il faut redonner aux collectivités territoriales et aux agences de l'eau les capacités financières d'agir. Certes, les plafonds mordants sont supprimés, mais d'où viendront les 475 millions d'euros annoncés en faveur des agences régionales de santé ? Pas de l'État, mais des redevances ! (M. Mathieu Darnaud le confirme.)
Ce ne sont pas des mousseurs aux robinets qui régleront le problème, alors que les fuites dans les réseaux représentent la consommation de 18 millions d'habitants !
Les épisodes cévenols sont appelés à se multiplier. Il faut apprendre à retenir l'eau avant qu'elle ne fasse des ravages. Nous devons avoir un débat apaisé sur la question des récupérateurs : on ne vole pas plus d'eau avec une retenue collinaire qu'en installant des récupérateurs dans les maisons individuelles. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Louault applaudit également.)
M. Laurent Duplomb. - Bravo !
Mme Marie-Claude Varaillas. - Il faut généraliser la culture de la conservation : l'eau ne doit plus être considérée comme un marché juteux et opaque pour les multinationales, mais comme un bien commun. « Il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché », disait le Président Macron lors de la pandémie !
Il faut également une intervention particulière dans les outre-mer où l'état des réserves d'eau et des réseaux d'approvisionnement est très préoccupant.
Enfin, la tarification sociale de l'eau via la gratuité des premiers mètres cubes, qui figurait dans une proposition de loi que j'ai portée en 2021, doit être un objectif pour garantir ce droit inaliénable.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Je rappellerai les grands axes du plan Eau : la sobriété, avec l'objectif de baisse de 10 % des prélèvements ; l'optimisation, avec notamment la récupération des eaux traitées ; l'augmentation des partages ; le renforcement de la gouvernance locale avec les Sage, les CLE et les PTGE. Les engagements pris se traduiront ainsi au niveau local.
Qui va payer ? L'ensemble des usagers - ménages, agriculteurs, industriels. Lorsque le coût est partagé, il est mieux accepté.
Les 475 millions d'euros supplémentaires engagés par le Gouvernement pour les agences de l'eau représentent une augmentation de 20 % de leur budget.
Le sujet de la tarification sociale est porté directement par les collectivités territoriales, comme l'a rappelé David Lisnard. L'État sera aux côtés des collectivités territoriales, mais ne viendra en aucun cas imposer une tarification.
M. Jean-François Longeot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Louis-Jean de Nicolaÿ applaudit également.) Avec les sécheresses et canicules récentes, le temps de l'insouciance hydrique est révolu. Nous devons changer notre modèle de gestion de l'eau. L'équation est simple : faire mieux avec moins.
La nouvelle donne nous impose de repenser la notion de gestion durable et de trouver des voies pour prévenir et apaiser les conflits d'usage.
Il faut également mieux anticiper pour ne pas subir. Dans un pays que certains qualifiaient de château d'eau, l'accès à cette ressource devient facteur de tensions voire de conflits. Ne pas se préparer serait suicidaire.
Les assises et le Varenne de l'eau ont préparé le terrain et les esprits. Le plan Eau apporte une série de mesures attendues. On peut regretter que l'objectif de réduction de 10 % des quantités prélevées ne soit qu'indicatif, mais c'est un bon début.
Je salue aussi les 180 millions d'euros prévus pour lutter contre les canalisations fuyardes dans les communes où le rendement des réseaux est inférieur à 50 %, mais je suis inquiet de la conditionnalité des aides : les collectivités les plus fragiles ne doivent pas être pénalisées par des exigences hors de leur portée. Pouvez-vous nous rassurer sur la manière dont les aides seront attribuées et évaluées ?
Les nouvelles molécules retrouvées dans les milieux aquatiques, et, de là, dans l'eau distribuée, inquiètent : leurs effets sont mal évalués. Quelles actions envisagez-vous pour rassurer sur la potabilité de l'eau ?
L'État doit s'appliquer à lui-même les efforts qu'il demande aux entreprises, aux collectivités territoriales et aux citoyens. Il détient 190 000 bâtiments, soit 94 millions de m3 d'eau utilisés. Comment comptez-vous financer la mesure du plan Eau sur le bâti public, et communiquer autour de l'exemplarité de l'État ?
Sans moyens financiers adéquats, la parole publique reste lettre morte. Si les montants alloués paraissent importants, les besoins se chiffrent en milliards d'euros.
Que comptez-vous faire pour que le plan Eau ne soit pas un plan qui prenne l'eau ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Nadège Havet applaudit également.)
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Cela s'arrose !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - La conditionnalité doit rendre plus performante la gestion des services d'eau et d'assainissement, sans laisser des collectivités sur le bord du chemin. Nous ciblons les 2 000 collectivités présentant un risque d'approvisionnement, et les 171 communes dont les réseaux présentent des fuites supérieures à 50 %.
S'agissant du conditionnement des aides, les agences de l'eau fixeront les critères de conformité au regard des cibles, et de la qualité des rejets. Il ne s'agit pas de pénaliser les collectivités territoriales en difficulté : celles qui ne répondent pas aux critères seront accompagnées sous réserve de la présentation d'un plan correctif.
Répondre aux objectifs de baisse de prélèvement, renforcer la gouvernance, être attentif à la qualité de l'eau, c'est répondre à l'ensemble des besoins. Je n'oublie pas, bien sûr, la question des moyens financiers.
M. Jean-François Longeot. - Les collectivités territoriales attendent des moyens, mais aussi des conseils et de l'aide. En matière d'assainissement, il n'est pas facile pour un maire de prendre des décisions. Il y a un réel besoin d'accompagnement, or je ne suis pas certain que l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) soit en mesure de le délivrer.
M. Éric Gold . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Pierre Louault applaudit également.) Après les affrontements de Sainte-Soline, ce débat est cruellement d'actualité. Dans un contexte de pénurie croissante, l'eau va-t-elle enfin être gérée comme un bien commun ?
Jusqu'ici, nous prélevions 35 milliards de litres par an, sans qu'il soit besoin de remettre en cause notre modèle. Mais aujourd'hui, des tensions nouvelles autour du partage de la ressource font surface, avec le sentiment que l'on se réveille trop tardivement.
Sous l'effet du réchauffement climatique, les précipitations vont se réduire, l'évaporation s'accentuer, l'augmentation de la population mondiale accroîtra la pression. Parallèlement, les besoins augmentent - ainsi, en France, pour refroidir les centrales nucléaires.
Gérer durablement l'eau, c'est être en mesure de renouveler les stocks chaque année. Nous devons revoir complètement le modèle, à commencer par le modèle économique des agences de l'eau. Le plan Eau prévoit le déplafonnement des dépenses des agences. Il faut conserver la logique du pollueur payeur.
Si la tarification progressive de l'eau est une idée à creuser, tout ne doit pas reposer sur les ménages. L'objectif d'une réduction de 10 % de la consommation dans tous les secteurs a été repoussé de 2025 à 2030. Un objectif n'est rien sans moyens à la hauteur : le plan Eau prévoit 100 millions d'euros pour soutenir les pratiques vertueuses, autant pour le fonds vert, et une campagne de sensibilisation et d'accompagnement des particuliers.
Il faut une approche intégrée, avec une gestion par bassin ou par écosystème, afin d'éviter les conflits d'usage. Les quantités autorisées pour l'agriculture doivent être définies par les agences de l'eau, en collaboration avec les chambres d'agriculture mais aussi les autres associations et utilisateurs, pour éviter de nouveaux Sainte-Soline.
Il faut accompagner les élus locaux, les aider à mieux financer et mettre en oeuvre leurs projets. La technologie offre des opportunités intéressantes. Le Président de la République a fixé l'objectif de passer de 1 à 10 % de réutilisation de l'eau usée. Quand Israël réutilise 80 %, nous en sommes encore à arroser nos jardins avec de l'eau potable... Il faut en finir avec cette absurdité. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Daniel Breuiller applaudit également.)
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Je partage en partie le constat de M. Gold.
Les épisodes de sécheresse ont au moins permis une prise de conscience des citoyens comme des élus. Le sujet préoccupe naturellement le Gouvernement.
La ministre Wargon avait déjà annoncé la baisse de 10 % des prélèvements. Nous détaillons la méthode pour y arriver.
La réutilisation des eaux usées traitées doit être généralisée : nos voisins le font, et même des entreprises françaises à l'étranger. Pourquoi pas nous ?
Il est impératif de réduire les contraintes réglementaires, pour ne pas faire obstacle à la mise en oeuvre des projets sur les territoires.
M. Éric Gold. - Au vu des tensions croissantes autour de la ressource en eau, une remise à jour de la loi de 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques (Lema) de 2006 serait utile, notamment sur les priorités d'usage. Dans un contexte de pénurie, l'accès à la ressource pour tous et la biodiversité doivent être nos priorités. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du GEST)
M. Jean-François Husson . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La question de la gestion de l'eau s'invite de plus en plus dans le débat public et je m'en félicite.
Une gouvernance ad hoc est nécessaire. Il paraît bienvenu de recréer des services d'ingénierie de l'eau dans tous les territoires. Entre 2012 et 2022, l'Agence de l'eau Rhin-Meuse a supprimé 25 % de ses postes dans le domaine de la gestion et de l'assainissement.
Cette ingénierie doit être facilement mobilisable par les collectivités. La piste d'une ingénierie de proximité mérite d'être explorée, pour une amélioration fonctionnelle et de la performance du service. L'émergence d'une nouvelle ingénierie est la condition nécessaire pour améliorer la gouvernance. Ainsi, nous stimulerons les mécanismes de solidarité.
Il convient de faciliter la remise à niveau des infrastructures au moment où une commune rejoint une intercommunalité : bien souvent, c'est un frein à l'adhésion. Nous pourrions imaginer un contrat de transition guidé par les logiques de performance et de service, dans lequel les agences de l'eau trouveraient naturellement leur place.
Il faut aussi examiner les conditions de transformation des usages et du partage de la ressource en eau, grâce à un dialogue à 360 degrés. Les prévisions anticipent une baisse de la pluviométrie, excepté dans le Grand Est. Les Sage issus de la loi de 1992 constituaient une forme de démocratie locale pionnière, avec une prise en compte de la situation climatique. Il faut les repenser pour les rendre plus opérationnels.
Enfin, nous devons faire des efforts en matière d'innovation. Un volet Eau est prévu dans le plan France 2030. Nous sommes en retard sur la réutilisation des eaux usées.
Nul doute que le Gouvernement fera connaître la suite qu'il entend donner à ces propositions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Je vous remercie pour ces propositions, qui pourront être complétées dans le cadre de la mission d'information parlementaire qui vient d'être lancée.
Rappelons que les agences de l'eau sont dotées de 2,2 milliards d'euros, auxquels s'ajoutent les 475 millions d'euros du plan Eau. Une enveloppe de 180 millions d'euros par an supplémentaire vient aider les communes en difficulté. Il faut y ajouter 100 millions d'euros affectés à la réponse au risque de sécheresse, renouvelés en 2023, et les 400 millions d'euros d'aqua-prêts de nouvelle génération.
Depuis 2010, l'État n'assure plus l'ingénierie en matière d'eau et assainissement. Il revient aux collectivités territoriales de consolider leur ingénierie, d'où l'intérêt de la mutualiser. Il reste cependant l'ingénierie assurée par le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), que la loi 3DS a fait évoluer pour accompagner les projets les plus complexes. Nous sommes heureux, avec Christophe Béchu d'avoir oeuvré pour que le budget de cet établissement ne baisse pas, et que les effectifs de notre pôle ministériel ne baissent pas dans les cinq prochaines années.
M. Jean-François Husson. - Nous sommes à Gravelotte, il pleut des milliards ! Soulignons aussi que le Sénat a obtenu 50 millions d'euros supplémentaires pour les agences de l'eau.
Sur l'ingénierie, vous vous trompez. Le Cerema rencontre de grandes difficultés pour intervenir dans les communes de moins de 2 000 habitants. Vous avez évoqué un parlement de l'eau, mais il faut une vision à 360 degrés. Il y a une solidarité en direction des territoires ruraux, mais il convient d'aller plus loin, en partant du terrain.
Mme Marta de Cidrac . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Michel Laugier applaudit également.) Autrefois abondante, bon marché et disponible, la ressource en eau devient rare. Selon l'étude Explore 2070, la pluviométrie en été se réduira de 16 à 23 %. Notre pays connaît des périodes de stress hydrique important. Rien ne nous prédisposait pourtant à cela...
Nous faisons face à des canicules et à des sécheresses précoces, avec des conséquences dramatiques. Faut-il laisser les nappes se recharger sans retenues ou favoriser le stockage agricole ? Sainte-Soline montre que la problématique devient impossible à ignorer.
Je salue le travail des rapporteurs de la délégation.
L'eau est un sujet qui nous concerne tous. Nous n'avancerons pas sans nos concitoyens. Face à la tentation d'une approche technocratique, il faut privilégier une approche pédagogique et citoyenne.
La loi de 1964, fondatrice, a institué le principe selon lequel l'eau paie l'eau. Il n'est plus respecté : aujourd'hui, l'eau paie l'État, pour reprendre les mots de Mathieu Darnaud. Il faut repenser toute la stratégie.
Certes, il y a le plan Eau. Plusieurs fois reporté, il a finalement été présenté en mars. Je salue ceux qui ont travaillé sur ce sujet : le Sénat, le Centre d'information sur l'eau, les associations d'élus notamment.
Je suis particulièrement sensible au troisième axe du plan, « Investir massivement dans la réutilisation des eaux usées ». Il est nécessaire pour combler notre retard. Les logements français doivent réutiliser eaux grises et pluviales. Nous avons des champions mondiaux du traitement des eaux : associons-les à cet effort, sans les déstabiliser.
Notre modèle de gestion de l'eau a besoin de transformation tout en conservant les spécificités françaises : une eau potable disponible pour tous, mais où chacun contribue à hauteur de sa consommation.
Certains États américains voient la potabilité de leur eau diminuer en raison de la vétusté des réseaux et du manque de moyens. Soyons exigeants et économes, et adaptons chaque eau à son usage et chaque usage à la disponibilité de l'eau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Yves Détraigne applaudit également.)
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - La réutilisation des eaux pluviales doit en effet être renforcée. Jusqu'à présent, il était très difficile d'aménager les logements particuliers en ce sens. Le soutien politique est important dans ce domaine, et il sera possible de récupérer les eaux de pluie pour alimenter les chasses d'eau. Faisons en sorte que chacun participe à l'effort de sobriété, à son niveau.
Nous proposons un plan Eau ambitieux, qui repense notre modèle pour les vingt prochaines années. Donnons-nous tous les moyens d'atteindre nos objectifs : renforcement de la gouvernance locale, optimisation des ressources, sobriété, etc.
Le décalage dans la présentation du plan, prévue à l'origine pour la fin janvier, était nécessaire pour obtenir tous les arbitrages financiers.
Mme Marta de Cidrac. - En France, on a l'impression que l'on peut utiliser de l'eau potable pour tous les usages. J'attire votre attention sur un bon usage de la ressource pour la préserver.
Mme Florence Blatrix Contat . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'été 2022 s'est caractérisé par des records de chaleur et de sécheresse, et l'hiver 2022-2023 a été parmi les plus secs, avec un déficit de pluviométrie de 50 % en février.
Sans action forte des pouvoirs publics, l'été 2023 risque d'être pire. La gestion de l'eau est essentielle pour garantir l'accès à l'eau potable, que l'on pensait définitivement acquis.
La question du petit cycle de l'eau est essentielle. De nombreuses collectivités territoriales sont touchées par des problèmes de qualité des eaux brutes traitées.
La protection des captages est importante pour les collectivités territoriales, en raison des pollutions diffuses. Le Grenelle de l'environnement a identifié, en 2009, 500 captages prioritaires. En 2013, 500 nouveaux ouvrages prioritaires ont été identifiés, en vue d'aboutir à une gestion concertée, de prévenir les pollutions, mieux connaître les vulnérabilités et prévoir des programmes d'action spécifiques, gérés en partenariat avec les chambres d'agriculture. Cette stratégie, qui a montré son efficacité, mérite d'être étendue : il y a 35 000 captages en France !
La directive européenne « Eau potable » du 16 décembre2020 sera bientôt transposée par ordonnance. Elle prévoit notamment l'obligation d'un plan de gestion de la sécurité sanitaire de l'eau.
Comment les collectivités seront-elles associées ? La directive réforme la protection des captages sensibles à la pollution aux pesticides, et autorise les collectivités qui le souhaitent à définir un programme d'action, avec le préfet, encadrant les pratiques agricoles. Est-ce une extension de la politique des captages prioritaires ? Les préfets pourront-ils interdire l'utilisation d'intrants, de pesticides ? Comment développer les baux environnementaux, trop peu utilisés ?
« L'eau est le miroir de nos sociétés, et les liens que l'on entretient avec elle disent en creux ce que sont nos sociétés », écrit Erik Orsenna. Quelle société voulons-nous ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - La réduction de l'usage des pesticides est souhaitée sur tous les bancs. Les plans Ecophyto ont permis une baisse des ventes de produits phytosanitaires depuis 2017.
Le Gouvernement veut anticiper le retrait des substances actives problématiques et renforcer le pilotage et l'adaptation des cultures, avec trois principes d'action. D'abord, aligner les calendriers français et européen, et garantir l'application des clauses miroir pour éviter l'importation de produits contenant des phytosanitaires interdits chez nous.
M. Laurent Duplomb. - C'est déjà le cas !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Deuxièmement, favoriser la recherche de solutions alternatives, comme le biocontrôle. L'Inrae (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement) et les instituts techniques développent des solutions pour accompagner les agriculteurs.
Troisièmement, la gouvernance. Nous assumons d'avoir à la fois refusé la réintroduction de substances actives interdites et accompagné la décision d'interdiction des néonicotinoïdes.
Mme Florence Blatrix Contat. - Le dernier rapport de l'Anses montre la rémanence de certaines molécules après leur interdiction. Il faut anticiper davantage.
La préconisation de l'Anses de retirer le S-métolachlore est utile, et son indépendance est indispensable.
Accélérons la transition vers l'agro-écologie, tout en accompagnant les agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
M. Pierre Louault . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Comment retrouver une ressource plus abondante ?
Le niveau des rivières baisse, les nappes s'épuisent. Nous accumulons les fautes. Dans les années 1960 et 1970, nous avons creusé des fossés, mis à sec les ruisseaux.
Dans les années 2000, la Lema, en donnant une interprétation à la française de la directive européenne sur l'eau, a garanti la « continuité écologique » - mais seulement pour les poissons migrateurs, sans prendre en considération les incidences.
Mme Sonia de La Provôté. - Et les barrages !
M. Pierre Louault. - La surinterprétation administrative a fait jurisprudence : on supprime les seuils, on vide les rivières, on vidange les nappes phréatiques. Je suis paysan ; si vous enlevez 50 centimètres, les nappes se vidangent. Pour les abreuvoirs à poulet, c'est le même système : 2 centimètres d'eau retiennent un mètre d'eau. Les prairies deviennent paillassons, les zones humides sont en train de disparaître. On veut supprimer des étangs vieux de plus de 500 ans, au motif que le cours d'eau les traverse...
On épuise ainsi les réserves d'eau. Rivières et ruisseaux sont de plus en plus abondants en hiver, lorsqu'il pleut. Cela fait monter le niveau des océans, qui en avaient bien besoin ! Et l'été, on a de moins en moins d'eau...
La gestion de l'eau est un défi. Dans ma commune, j'ai rétabli des seuils sur des fossés créés dans les années 1960. Nous avons retrouvé des sources qui coulent toute l'année, rétabli des ruisseaux.
Je ne suis pas un anti-écolo. (Sourires sur les travées du GEST) J'ai recréé des zones humides, et on retrouve de l'eau toute l'année dans des endroits précédemment à sec.
Arrêtons, par pitié, de mettre à tout prix les rivières à sec par principe. On supprime les seuils sans les rétablir, avec une continuité écologique pour que les poissons passent.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Très bien !
M. Pierre Louault. - C'est tellement plus simple de supprimer... Voilà où passe la moitié des crédits des agences de l'eau !
À continuer ainsi, nous allons compromettre la capacité de nos nappes à se recharger. C'est sans doute trop compliqué pour la haute technostructure, mais jetez-y un coup d'oeil. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Françoise Férat. - Très bien !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie . - L'enjeu est de limiter la fragmentation des habitats naturels, l'une des causes majeures d'érosion de la biodiversité. Je défends l'avis scientifique, qui est clair sur le fonctionnement des systèmes hydrologiques. Ainsi, un avis de 2018 du conseil scientifique de l'OFB a infirmé les conséquences que vous avez décrites.
Je n'oppose pas la restauration du grand cycle de l'eau à l'idée de stockage, qui est pertinente. Les ouvrages peuvent répondre à des besoins locaux. Les projets doivent être considérés au cas par cas.
La voie de mon ministère, ce sont les continuités écologiques. Les réserves de substitution ou les réserves collinaires peuvent être adéquates pour les territoires.
M. Pierre Louault. - Je comprends que vous défendiez vos services, mais les agents de l'OFB sont-ils des scientifiques ? (M. Bruno Sido applaudit.)
Lorsque les prairies humides deviennent des paillassons, l'OFB en parle-t-il ? Non. Il ne regarde que ce qui est dans la lignée de son interprétation, et rien d'autre. Nous allons dans le mur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Jean-François Husson. - Quelle sagesse !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Merci pour la richesse de ces échanges, pour la qualité des travaux de la délégation à la prospective, et de tous les sénateurs. Le sujet de l'eau a été abordé à de nombreuses reprises par votre assemblée cette année.
Je considère le travail parlementaire comme source d'inspiration. Je crois à l'intelligence collective. C'est dans cet esprit que nous avons construit le plan Eau.
La ressource en eau est essentielle pour notre environnement, notre santé et notre économie. Notre société est prête pour un changement de rapport à l'eau. Nous allons décliner la trajectoire de sobriété, territoire par territoire et secteur par secteur.
Tous les acteurs sont concernés. Le sujet est vaste et complexe.
J'ai noté vos interrogations sur les moyens des collectivités territoriales et sur le lien entre les différents échelons de gouvernance.
Enfin, vous avez mis la levée des freins à l'innovation au rang des priorités, de même que la réutilisation des eaux usées.
J'espère que le plan Eau répondra à vos attentes. Je suis fière de ce travail interministériel intense, premier exercice de planification écologique piloté par la Première ministre. Je suis également fière des moyens débloqués pour la politique de l'eau : les agences de l'eau voient leurs moyens augmenter de 20 %, dans un effort inédit.
Nous allons aider les collectivités territoriales les plus en difficulté à sécuriser leurs infrastructures.
Nous allons changer d'échelle pour la réutilisation des eaux usées, et soutenir les collectivités. Un partenariat sera noué avec l'Ademe.
La semaine dernière, j'ai remis les trophées des Eco Maires pour récompenser des projets inspirants et participatifs. Je crois à l'initiative des territoires. J'attends une mobilisation pleine et entière des élus locaux, notamment sur le partage de la ressource.
Le 10 janvier dernier, je vous donnais rendez-vous pour vous présenter le plan Eau, et vous remercie d'avoir eu opportunité de le faire. J'aurai plaisir à poursuivre ces échanges avec vous. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Pierre Louault applaudit également.)
M. Mathieu Darnaud, président de la délégation sénatoriale à la prospective . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Louault applaudit également.) Jamais un exercice de prospective n'aura autant collé à la réalité.
Ne tombons pas dans l'opposition entre la sobriété et la mobilisation de la ressource. Monsieur Breuiller, on peut déjà travailler à la sobriété, sans qu'il soit besoin de convention. L'EPTB de l'Ardèche a publié un document exemplaire, Ardèche 2050, qui associe tous les acteurs. (M. Jean-François Husson acquiesce.)
Nous avons besoin de mobiliser la ressource. Pourquoi n'allons-nous pas assez vite sur la réutilisation des eaux usées ? Je vous invite à prendre l'attache de David Lisnard qui, depuis dix ans, est empêché de mettre en place un projet d'envergure par des obstacles administratifs...
En Ardèche, les projets de stockage se succèdent, pour l'agriculture, le tourisme, la défense contre les incendies. Nous avons multiplié les études environnementales, l'État a signé des conventions avec la chambre d'agriculture du département, mais aucun projet ne sort. Telle est la triste et dure réalité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Oui, nous avons des convergences avec certains points du plan Eau - heureusement ! Mais le bât blesse sur le volet financier. On annonce 475 millions d'euros, mais en oubliant que nos agences de l'eau ont dû restituer 400 millions pour financer l'OFB !
M. Jean-François Husson. - Eh oui !
M. Mathieu Darnaud. - Quand vous faites la soustraction, il reste peu d'argent pour répondre aux défis.
Une enveloppe pour les réseaux fuyards, c'est bien - mais le préfet a refusé à 26 communes de mon département la délivrance de permis de construire pour se conformer à leurs obligations, oubliant que les agences de l'eau n'ont pu soutenir la mise en place de schémas directeurs.
Il y a des avancées, mais elles sont insuffisantes.
Oui, il faut une gouvernance territorialisée, réunissant tous les acteurs, mais l'agilité est tout aussi importante. Je n'ai toujours pas compris votre vision de la gouvernance : intercommunale, via des syndicats, par mutualisation ? Il faut être clair vis-à-vis des élus locaux, et leur faire confiance, en permettant à des syndicats, qui épousent les bassins-versants, de porter ce sujet.
M. Bruno Sido. - Très bien !
M. Mathieu Darnaud. - Nous sommes prêts à débattre, mais le temps est venu de l'action ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Alain Richard applaudit également.)
La séance est suspendue quelques instants.