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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
Revaloriser le statut de secrétaire de mairie
Mme Céline Brulin, auteure de la proposition de loi
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois
M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques
INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI
Organisation algorithmique du travail
M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de loi
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure de la commission des affaires sociales
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels
Nationalisation du groupe Électricité de France
M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie
M. Gérard Longuet, rapporteur de la commission des finances
Loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements
M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de loi constitutionnelle
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois
M. Charles Guené, rapporteur pour avis de la commission des finances
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Ordre du jour du mardi 11 avril 2023
SÉANCE
du jeudi 6 avril 2023
78e séance de la session ordinaire 2022-2023
Présidence de M. Roger Karoutchi, vice-président
Secrétaires : Mme Esther Benbassa, M. Daniel Gremillet.
La séance est ouverte à 10 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Revaloriser le statut de secrétaire de mairie
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à revaloriser le statut de secrétaire de mairie, présentée par Mmes Céline Brulin, Cécile Cukierman, Michelle Gréaume, Marie-Claude Varaillas, Éliane Assassi et plusieurs de leurs collègues
Discussion générale
Mme Céline Brulin, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, UC et du RDSE) Jeudi, 10 h 30 : la secrétaire de mairie du pays de Caux est arrivée depuis 8 h 30. En début de semaine, elle serait allée dans une autre commune, à 30 kilomètres : bien des communes ne peuvent employer un agent à plein temps. Parfois, il faut se partager entre trois ou quatre communes ; ce n'est pas désagréable, mais cela multiplie les problèmes et les enjeux, surtout si les communes se situent dans des intercommunalités différentes.
Notre secrétaire de mairie examine ce matin l'opération 5 000 terrains de sport, et recherche des subventions pour un projet de citystade. Entre le budget à finaliser, les réunions sur le plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) et les tâches quotidiennes, elle n'a pas encore eu le temps de s'y pencher. Mais les dossiers doivent être déposés avant le 31 mai : il y a urgence. Elle voudrait en parler avec le maire, mais il est au travail, elle devra attendre la fin d'après-midi.
Sur ce, des habitants arrivent à la mairie : ils se plaignent de leur connexion internet. Ils ont cherché à joindre l'opérateur mais sont tombés sur des répondeurs.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Cela me rappelle des souvenirs !
Mme Céline Brulin. - Du coup, ils se tournent vers la mairie. État civil, expertise budgétaire et juridique, organisation des élections, éventuellement gestion des ressources humaines, préparation des conseils municipaux : les secrétaires de mairie sont polyvalentes, de véritables couteaux suisses. Les maires attendent de la symbiose avec leur secrétaire de mairie et se sentent démunis quand cette cheville ouvrière vient à manquer.
La dématérialisation des procédures, l'éloignement des trésoreries, et la montée en puissance des intercommunalités compliquent la situation, d'autant que l'État abandonne parfois ses missions d'égalité républicaine alors qu'il se fait de plus en plus intrusif et procédurier.
Il manque une centaine de secrétaires de mairie en Seine-Maritime, contre cinquante il y a un an, et deux mille à l'échelle nationale.
De nombreuses secrétaires de mairie m'ont fait part de leurs difficultés quotidiennes. Je parle au féminin, car 94 % des secrétaires de mairie sont des femmes. Alors que 30 % d'entre elles partiront à la retraite d'ici 2030, il faut absolument recruter, ce qui suppose de revaloriser le métier.
Il y va de notre cohésion nationale. Les élus locaux démissionnent à tour de bras. Le sentiment d'abandon n'y est pas étranger. Ils doivent être accompagnés et soutenus dans leurs missions. Les compétences des secrétaires de mairie sont décisives à cet égard.
Nos communes, au coeur de la République, jouent leur existence. Or ce sont vers elles que se tourne même le plus jupitérien des présidents à chaque nouvelle crise.
Je remercie mon groupe d'avoir inscrit ce texte dans son ordre du jour réservé et la commission des lois de s'en être saisie avec bienveillance.
Nous proposons une formation solide pour les secrétaires de mairie, qui, souvent, ont dû se former sur le tas. C'est aussi un souhait des maires, car la confiance repose sur la compétence.
Il faut offrir des perspectives de carrière et de promotion interne. L'établissement de listes d'aptitude devra mieux tenir compte de l'exercice de ces fonctions. Les concours ou la promotion interne ont un impact concret sur les rémunérations.
Face aux vacances de postes, le texte élargit la possibilité de recruter des contractuels dans les communes de 1 000 à 2 000 habitants.
Cette proposition de loi n'épuisera pas le sujet. Monsieur le ministre, il faut poursuivre le chantier de la formation, rendre ce métier attractif. Avec la mise en extinction du corps de secrétaire de mairie de catégorie A en 2001, il n'y a plus de cadre d'emploi rattaché.
Tout agent titulaire de la fonction publique territoriale peut exercer ce métier. Or la plupart des secrétaires de mairie appartiennent à la catégorie C, avec des rémunérations insuffisantes ; la bonification indiciaire de quinze points décidée voilà un an apporte un gain brut de 70 euros par mois. Elles touchent à peine plus que le Smic.
Alors que les communes font face à l'inflation et à la crise énergétique, il faut mieux compenser la revalorisation du point d'indice. Nous y réfléchirons au sein de la délégation aux collectivités locales.
Monsieur le ministre, nous espérons que vous comprenez l'urgence de la situation. Nous ne lâcherons rien sur ce dossier ! (Applaudissements)
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDSE) Ce texte esquisse des réponses pour renforcer l'attractivité du métier de secrétaire de mairie - sujet essentiel tant pour les petites communes que pour les intéressées.
La quasi-totalité des maires font face à une pénurie, qui va s'aggraver. Il faut garantir à ces personnes une reconnaissance légitime et une rémunération à la hauteur de leurs responsabilités.
La commission partage l'esprit de la proposition de loi, mais elle y a apporté quelques modifications pour préserver sa nature législative et la rendre plus opérationnelle.
Elle a jugé inopportune la création d'un statut d'emploi, car un tel statut n'améliorerait pas les perspectives de carrière. En outre, il serait incompatible avec les spécificités du métier, qui peut être exercé par plusieurs catégories de fonctionnaire. Enfin, si la création du statut relève de la loi, les conditions d'accès, son nom et le cadre d'emploi relèvent du règlement, d'où la suppression de l'article 1er.
Nous voulons conforter la formation des secrétaires de mairie. Aux articles 3 et 4, nous avons substitué aux dispositions prévues une formation initiale spécifique obligatoire : dès leur prise de poste, les secrétaires de mairie disposeront d'outils adaptés à leur métier.
Pour garantir et renforcer la promotion interne, la commission a prévu, à l'article 5, que les listes d'aptitude devront obligatoirement prendre en compte l'exercice de secrétaire de mairie.
Elle a écarté le fonds de soutien local financé par l'État, prévu à l'article 6. Les communes ont besoin de ressources libres d'emploi plutôt qu'un soutien de l'État pour payer les salaires. Leur autonomie financière ne passe pas par une compensation, mais par une fiscalité adaptée, ainsi qu'une indexation de la dotation globale de fonctionnement (DGF).
M. André Reichardt. - Parfait !
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - La commission a ainsi supprimé les articles 6 et 7. Elle a ouvert aux communes de 1 000 à 2 000 habitants la possibilité de recruter des agents contractuels à temps complet, et non seulement à temps partiel.
Je vous invite à adopter cette proposition de loi ainsi modifiée, destinée à faciliter le recrutement et la vie des secrétaires de mairie.
Ces aménagements, bienvenus, ne régleront pas à eux seuls la question : au pouvoir exécutif de travailler à des solutions concrètes. Le Gouvernement doit se saisir de cette question urgente, notamment sur la rémunération et les carrières.
Les instruments de revalorisation salariale actuels sont limités. La mise en oeuvre du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (Rifseep), ou la valorisation de la nouvelle bonification indiciaire (NBI) sont à améliorer.
Comment s'étonner du manque d'attractivité lorsque la rémunération horaire d'un secrétaire de mairie, adjoint administratif principal de première classe avec 32 ans d'ancienneté, est de 13,75 euros, soit 2,68 euros de plus que le Smic brut ? Monsieur le ministre, il faut porter une attention particulière à ces personnels - je sais que vous avez entamé une réflexion sur la question.
Il faut aussi moderniser l'image du métier. Les employeurs territoriaux doivent se doter d'une politique de communication, insistant sur la variété des carrières.
Monsieur le ministre, vous l'aurez compris : la balle est dans votre camp ! (Applaudissements)
M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Je la saisis au bond... Le secrétaire de mairie est le bras droit du maire, le coeur battant de nos communes rurales.
Je ne passe pas une semaine sans échanger sur ce beau métier, avec les maires ou avec les intéressés - je pense à Sylvie Gibel, qui a fondé un collectif de 2 000 secrétaires de mairie dans le Gers.
Les secrétaires de mairie sont un rouage essentiel entre la population et les élus municipaux ; ils se chargent du budget, de l'état civil, des actes de la vie quotidienne.
Paradoxalement, les qualifications requises sont peu définies. Malgré l'effort accompli en matière de NBI, et vu l'absence, souvent, de régime indemnitaire, il faut revaloriser leur traitement.
Autre difficulté, les secrétaires de mairie se partagent souvent entre plusieurs employeurs. D'ici huit ans, un tiers d'entre elles seront parties à la retraite. Or une secrétaire de mairie qui part à la retraite, c'est comme fermer une maison France Services ! (M. Jean-Baptiste Lemoyne le confirme.)
Madame Brulin, il est en effet pertinent d'appréhender la fonction de secrétaire de mairie comme un métier à part entière. (M. Jérôme Bascher lève les bras au ciel.)
Je vous le dis sans ambages : je suis un défenseur du statut, qui reste un cadre adapté aux défis que nous devons relever.
Je remercie les auteurs de ce texte pour leur pragmatisme.
Mais les dispositions envisagées relèvent essentiellement du domaine réglementaire, ce qui n'enlève rien à la pertinence des questions posées. Nous poursuivrons le travail avec les associations d'élus locaux et les centres de gestion.
Avec Dominique Faure, nous souhaitons agir sur le recrutement, les compétences, les parcours de rémunération.
Vous souhaitez élargir le recrutement de contractuels jusqu'à 2 000 habitants : j'y suis favorable. Mais cela ne réglera pas tout, et nous nous mobiliserons pour rendre ce métier plus attractif. Cela passe par un partenariat entre Pôle emploi, le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et les centres de gestion pour développer des formations.
Peut-être faudra-t-il aussi rebaptiser ce métier. J'y suis favorable, travaillons-y avec les secrétaires de mairie et les employeurs territoriaux.
La fonction devrait être occupée par des profils divers, au-delà de la seule filière administrative. Les agents des maisons France Services pourraient devenir secrétaires de mairie, par exemple. Réfléchissons à la fonctionnalisation de la profession.
Je souhaite aussi réfléchir au problème du temps partiel. Les centres de gestion pourraient recruter des secrétaires de mairie pour les mettre à disposition des maires. (Mme Françoise Gatel acquiesce.)
Il faut aussi redéfinir le socle de compétences nécessaire pour devenir secrétaire de mairie. Pourquoi ne pas créer une formation de qualification pour les agents ne disposant pas des compétences lors de leur prise de poste ? Si le niveau de responsabilité d'un secrétaire de mairie relève au moins de la catégorie B, rien n'empêche de recruter des fonctionnaires de catégorie C, mais en leur donnant cette formation de qualification.
Pourquoi ne pas créer une formation de professionnalisation ? Cela rejoint l'esprit de l'article 4 modifié.
Pour agir sur les parcours et les rémunérations, nous devons prendre en compte la taille des communes et la pluralité des viviers. Les textes actuels offrent déjà des marges importantes aux maires en matière de régime indemnitaire - même si cela représente un coût. (Mme Cathy Apourceau-Poly opine.) Mais la mutualisation entre plusieurs communes peut alléger l'effort.
M. Hussein Bourgi. - Cela existe déjà.
M. Stanislas Guerini, ministre. - La carrière doit être mieux appréhendée, en favorisant la promotion interne et la mobilité. Nous cherchons à alléger les quotas, d'où mes réserves sur la rédaction de l'article 5.
Améliorer l'attractivité de la fonction publique est l'une de mes priorités. J'approfondirai ces propositions avec les représentants des fonctionnaires et, bien sûr, avec les parlementaires.
Le Gouvernement émet un avis de sagesse sur cette proposition de loi qui éclaire le chemin à parcourir. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI, du groupe INDEP et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Jérôme Bascher ironise.)
Mme Cécile Cukierman . - Le métier de secrétaire de mairie, peu connu, est pourtant fondamental. Ils sont le dernier maillon du service public dans les communes rurales.
Ce métier est exercé par des femmes à plus de 94 %. Elles doivent faire montre de qualités humaines, techniques, juridiques et financières. La société se judiciarise, et toute erreur peut avoir des conséquences importantes pour la commune.
Pour autant, le métier est en constante évolution, comme la politique communale elle-même. Le poids des intercommunalités ajoute de la complexité, tout comme parfois la dématérialisation. Les secrétaires de mairie gèrent l'urbanisme, la recherche de financements, reçoivent les usagers et assurent des missions bien au-delà de celles qui sont prévues.
Seules 62 % des secrétaires de mairie travaillent à temps complet ; 24 % partagent leur temps de travail sur trois communes pour obtenir un salaire convenable, et 60 % sont des agents de catégorie C - avec un traitement très insuffisant. Quelque 1 900 postes sont à pourvoir, et la situation ne s'améliorera pas dans les années à venir. Il y a urgence à pourvoir les postes vacants, à anticiper les vacances à venir, à réfléchir aux rémunérations. Si l'argent ne fait pas le bonheur, il y contribue...
Nous avons déposé cette proposition de loi car les secrétaires de mairie nous ont demandé d'améliorer leur statut, mais tout ne relève pas de la loi : il y aura un volet réglementaire, monsieur le ministre, et une réflexion à mener sur la mutualisation de certains postes. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST ; Mme Françoise Gatel applaudit également.)
Mme Nathalie Goulet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Maryse Carrère applaudit également.) Cette proposition de loi atteste de notre proximité avec les secrétaires de mairie, ces couteaux suisses indispensables aux maires. Ce n'est pas un hasard si elles reçoivent régulièrement des médailles ! (M. André Reichardt acquiesce.)
Appréciées des élus et des citoyens, les secrétaires de mairie sont souvent le dernier rempart humain face au diktat de la dématérialisation.
Le manque d'attractivité de la fonction converge avec la multiplication des démissions d'élus. La faute à la diarrhée législative et réglementaire dont notre pays a le secret.
Le malaise demeure, en dépit des efforts des centres de gestion. (Mme Cathy Apourceau-Poly acquiesce.)
Le nom de « secrétaire de mairie » ne reflète pas leurs fonctions ; « collaborateur du maire » renvoie à une autre fonction. Je propose que nous menions ensemble la réflexion, sans faire appel à McKinsey. (Sourires)
Certes il faut permettre la promotion interne, mais dans le mikado de la fonction publique territoriale, il convient de maintenir une différence avec les agents qui passent des concours difficiles. Nous voterons le texte de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du GEST ; M. André Reichardt applaudit également.)
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI ; M. Alain Duffourg applaudit également.) Jadis, l'instituteur du village faisait office de secrétaire de mairie. (On le confirme sur plusieurs travées.) Aujourd'hui, ces agents, en majorité des femmes, sont un maillon crucial de la vie communale. Elles rédigent les documents administratifs, reçoivent les administrés... De vrais couteaux suisses.
M. André Reichardt. - Il y a aussi des hommes !
Mme Maryse Carrère. - La désaffection s'explique par la faiblesse des rémunérations, la diversité des tâches, la nécessité de cumuler plusieurs temps partiels. Le métier concentre à lui seul les difficultés de la fonction publique territoriale.
Les départs obligent les maires à procéder à des recrutements plus variés et à mutualiser.
En 2021, Amélie de Montchalin avait proposé des améliorations. Une seule mesure a été mise en oeuvre : la NBI de 15 % pour les secrétaires de mairie de communes de moins de 2 000 habitants.
C'est insuffisant. Le syndicat national des directeurs généraux de collectivités territoriales a organisé un colloque intitulé « Secrétaire de mairie, espèce menacée de la territoriale ou clé de voûte du bloc local au XXIe siècle ? » Tout est dit !
Je salue donc l'initiative du groupe CRCE. Je me réjouis de l'introduction d'une formation initiale obligatoire dispensée par le CNFPT durant la première année de la prise de poste. Le texte garantit un déroulement de carrière plus intéressant. Enfin, il autorise les communes de 1 000 à 2 000 habitants à recruter des contractuels. Attention cependant à préserver la spécificité de la fonction publique territoriale.
J'espère que vos travaux, monsieur le ministre, amélioreront l'attractivité de ce métier. Le RDSE votera le texte à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC)
M. Cédric Vial . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi est l'occasion d'évoquer le beau métier de secrétaire de mairie, polyvalent, au service du public, un métier qui a du sens, un métier utile.
Mais ces agents de l'ombre, présents sur tous les fronts - juridique, politique, social -, doivent souvent se partager entre plusieurs mairies, et font souvent défaut, au point que les maires doivent eux-mêmes les remplacer.
Ces postes n'attirent plus. Ce n'est qu'un début : un quart des agents ont plus de 58 ans, 60 % plus de 50 ans.
Les secrétaires de mairie paient au prix fort le recul des services de l'État dans les territoires. Autrefois, ils pouvaient s'adresser à la trésorerie, à la direction départementale des territoires (DDT) ; désormais, ils doivent se débrouiller seuls.
La bureaucratie frénétique, entre législation débordante et une réglementation prolifique, rend impossible la conduite de projets si l'on n'est pas expert... Or les secrétaires de mairie ne peuvent être experts en tout !
Loin de simplifier leurs missions, la création des intercommunalités se traduit par de nouveaux process et peut entraîner un sentiment de déclassement ou de dépossession chez les secrétaires de mairie.
Cette proposition de loi est un début de réponse, nous la voterons. Nous voyons tous des secrétaires de mairie à bout, usés et désabusés. (Mme Cathy Apourceau-Poly le confirme.) Nous voyons tous des maires qui ont du mal à exercer leur mandat, faute de secrétaire de mairie.
Je salue le travail de la commission des lois, de sa rapporteure et le sens des responsabilités des auteurs de la proposition de loi, rendue consensuelle grâce à ce travail constructif qui est la marque du Sénat.
Le travail amorcé se poursuivra avec une mission d'information dont je serai rapporteur avec Jérôme Durain, dans le cadre de la délégation aux collectivités territoriales présidée par Françoise Gatel.
M. Philippe Folliot. - Très bien !
M. Cédric Vial. - Nous devons apporter des solutions concrètes aux secrétaires de mairie, en matière de formation et d'accompagnement. Le binôme maire-secrétaire de mairie est le moteur des territoires ruraux : mettons tout en oeuvre pour éviter la panne. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Hussein Bourgi applaudit également.)
Mme Françoise Gatel. - Très bien !
Mme Colette Mélot . - « L'urgent est fait. L'impossible est en cours. Pour les miracles, prévoir un délai ». Ce panneau affiché dans une mairie rurale reflète bien le quotidien des secrétaires de mairie.
Le tandem composé du maire et de sa secrétaire de mairie - car ce sont majoritairement des femmes - est indispensable à la réussite du mandat et la bonne marche du service public.
Les secrétaires de mairie assurent l'accueil, aident à la réalisation des démarches administratives et sont constamment en rapport avec les administrés. C'est souvent l'unique guichet de proximité.
Nous pouvons en témoigner, leurs missions quotidiennes sont multiples : comptabilité, demandes de subventions, réponses aux habitants, gestion du personnel...
Leur formation est insuffisante sur le fond et inadaptée sur la forme. Le Sénat s'est fait l'écho des demandes des élus locaux.
Je salue le dépôt de cette proposition de loi, mais le texte initial était lacunaire. Les amendements de la rapporteure en comblent les failles.
La création d'une formation obligatoire est une avancée concrète.
Méconnues, parfois délaissées, les secrétaires de mairie sont le coeur battant de nos communes : il faut redonner de l'attractivité à leurs postes.
Le groupe Les Indépendants votera le texte de la commission. (MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Jean-François Longeot applaudissent.)
M. Guy Benarroche . - À l'heure où le fait politique n'est plus compris, le maire demeure l'élu préféré des Français. Son action concrète, de proximité, maintient un lien solide dans le millefeuille territorial.
Les secrétaires de mairie, des femmes à 94 %, sont un rouage clé de la commune, entre élus, administration et public, mais le manque de reconnaissance aggrave les difficultés de recrutement, alors que plus de 2 000 postes sont vacants.
Le groupe CRCE proposait un statut innovant. La commission a modifié le texte, mais l'urgence à agir demeure. Je regrette que la commission ait refusé de créer un statut spécifique. Je comprends toutefois que certaines dispositions relèvent du domaine réglementaire.
Le choix d'étendre aux communes de 2 000 habitants le droit de recruter des contractuels est insuffisant. La contractualisation à grande échelle nous pose problème, d'autant que deux tiers des secrétaires de mairie exercent à temps partiel et qu'un quart travaille sur plusieurs communes. Nous aurions préféré une réflexion plus large, notamment sur la mutualisation.
Les postes sont occupés par des contractuels ou des fonctionnaires de différentes catégories. Nous partageons le souci de sécuriser le fonctionnement des mairies en améliorant les conditions d'exercice des secrétaires de mairie, dont je salue le dévouement.
Le GEST votera ce texte et appelle le Gouvernement à se saisir de cette question, pour des conditions de travail dignes et un service public de qualité accessible à tous. Il faudra inscrire la rémunération et le parcours professionnel des secrétaires de mairie dans le cadre de la réflexion sur la fonction publique lancée en février dernier.
M. Alain Richard . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Indispensable. C'est un terme que nous employons souvent, parfois trop. Dans le cas des secrétaires de mairie, il est adéquat. Impossible de se passer d'eux.
La proposition de loi du groupe CRCE nous offre l'occasion d'un débat sur cette fonction. Il faut progresser sur sa caractérisation.
Toutefois, les spécificités professionnelles échappent à l'édifice statutaire, qui est une garantie de droits professionnels assortis de schémas fondés sur une nomenclature des emplois et des grades, associés à une échelle indiciaire uniforme. La solution, c'est la contractualisation.
Afin de rendre à ces fonctions leur attractivité, il faut que tous les secrétaires de mairie sortent de la catégorie C. En effet, le niveau de qualification requis est bien supérieur. Il est urgent d'organiser un schéma de reclassement fondé sur la reconnaissance des acquis de l'expérience. Sur les rémunérations, il faudra faire du hors norme. Nous serons sans doute amenés à recruter par contrat, ce qui offre plus de marges de rémunération.
Dans la périphérie des grandes villes, la question du logement se pose avec acuité. Or le droit actuel ne permet pas aux communes de loger les secrétaires de mairie, ni de leur octroyer un logement en deçà du prix du marché. Il faut actualiser la loi sur ce point.
La revalorisation des secrétaires de mairie aura des conséquences sur les finances communales. Monsieur le ministre, rendez-vous lors de la prochaine loi de finances ! Le paquet de mesures doit être bouclé avant l'été. Pour les communes, cela représente un surcoût annuel de 2 000 ou 3 000 euros. Il me semble légitime que cette question fasse l'objet d'un chapitre dans le calcul de la DGF. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; M. Guy Benarroche applaudit également.)
M. Hussein Bourgi . - Je salue le groupe CRCE, dont l'initiative répond aux attentes des secrétaires de mairie, et la rapporteure Catherine Di Folco pour l'exhaustivité et la richesse des auditions qu'elle a menées.
Cette proposition de loi est bienvenue : les secrétaires de mairie exercent un métier méconnu du grand public, mais ô combien précieux. À la fois juristes, fiscalistes, trésoriers, urbanistes, rédacteurs, mais aussi psychologues et conseillers d'orientation, ils incarnent le service public municipal à visage humain, accessible à tous. Souvent, dans les villages, on les appelle par leur prénom ; c'est dire si la population leur est attachée.
Les secrétaires de mairie sont les partenaires de l'équipe municipale, qu'ils aident à concevoir et à mettre en oeuvre les politiques publiques locales. Sans eux, les communes n'existeraient plus.
Pourtant, malgré sa polyvalence, le métier connaît une perte d'attractivité. Les communes de moins de 2 000 habitants peinent à recruter ; et que dire de celles de moins de 1 000 habitants ? (Mme Cathy Apourceau-Poly renchérit.) D'ici 2030, un tiers des secrétaires de mairie partira à la retraite. Si l'on ajoute leur crise de vocation à celle des élus, on court à la catastrophe.
Trois articles demeurent après l'examen du texte en commission. L'article 4 prévoit une formation obligatoire dans un délai d'un an à compter de la prise de poste. Il est bienvenu, au vu de la complexité des tâches. Cela dit, le régime d'absence n'a pas été abordé, et pourrait poser problème.
L'article 5 porte sur l'évolution de carrière des secrétaires de mairie. Il est aussi bienvenu.
En revanche, nous sommes plus réservés sur la philosophie de l'article 5 bis. Outre notre réticence à généraliser la contractualisation, nous considérons que le relèvement du plafond de 1 000 habitants à moins de 2 000 habitants revient à mutualiser la pénurie et à accroître la concurrence entre communes.
D'autres leviers existent, notamment la rémunération. Certes, un premier effort a été réalisé avec le décret du 28 février 2022 sur la NBI, mais il reste insuffisant. En outre, la NBI est à la charge des collectivités territoriales, qui, souvent, ne peuvent l'assumer. Je connais des secrétaires de mairie dans l'Hérault qui n'en bénéficient pas, car elles partagent leur temps entre plusieurs communes qui se renvoient la balle.
La création d'un fonds de soutien local, à l'article 6, apportait une première réponse. Nous aurons l'occasion d'y revenir lors du projet de loi de finances. Monsieur le ministre, cessez le ping-pong gouvernemental et répondez à cette préoccupation majeure des élus.
Nous voterons ce texte, en prenant date pour l'avenir.
M. Jean-François Longeot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Il est grand temps de prendre en compte le rôle stratégique des secrétaires de mairie. Je salue l'initiative du groupe CRCE.
Ces 14 000 agents publics, souvent des femmes, sont les gardiens administratifs de nos villages, les premiers à être en contact avec les citoyens. Collaboratrices directes des maires et des municipalités, les secrétaires de mairie oeuvrent chaque jour au bon fonctionnement municipal, sans compter leur temps. Elles sont un trait d'union entre les administrés, les élus et les autres administrations.
Mais leur métier n'est pas suffisamment reconnu, en dépit de leurs responsabilités. Les secrétaires de mairie élaborent le budget, gèrent les ressources humaines ou l'urbanisme, entre autres. Elles doivent sans cesse s'adapter aux changements législatifs et réglementaires.
Les causes du désamour sont connues : temps partiel, rémunération trop faible. Or la situation s'aggravera d'ici à quelques années.
Il est temps de revaloriser le statut des secrétaires de mairie en leur offrant une formation adéquate et en leur octroyant des primes et des augmentations de salaire. Favorisons également leur progression de carrière. Il faut aussi garantir leur sécurité au travail, face aux incivilités ou aux agressions physiques.
Ce métier très diversifié exige de nombreuses qualités. Les secrétaires de mairie sont un maillon incontournable de nos communes : il est urgent de leur octroyer la reconnaissance qu'elles méritent.
Mme Françoise Gatel. - C'est vrai.
M. Jean-François Longeot. - Sans hésitation, le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDPI et du groupe CRCE)
Mme Béatrice Gosselin . - Le métier de secrétaire de mairie est le plus en tension de la fonction publique territoriale. Pourtant indispensable au bon fonctionnement de nos collectivités, il est méconnu et souffre d'un manque de reconnaissance.
Le secrétaire de mairie assure des tâches essentielles : gestion funéraire, élections, urbanisme, marchés publics, ressources humaines, accueil du public... Ce sont les premières personnes que les habitants rencontrent lorsqu'ils ont une difficulté.
Sur les 368 communes de moins de 2 000 habitants de la Manche, 260 ont un seul agent ; plus des deux tiers sont des adjoints administratifs de catégorie C.
L'absence de concours de secrétaire de mairie entraîne un manque de visibilité.
La plupart des secrétaires de mairie travaillent à temps partiel et relèvent de la catégorie C. Dans la Manche, seuls 38 % sont à temps plein.
Certains EPCI, conscients du problème, proposent un temps complet en le mutualisant sur plusieurs petites communes.
Le titre de secrétaire de mairie ne correspond plus aux missions remplies, mais reste plébiscité par les habitants : faut-il le faire évoluer ?
Plutôt que la création d'un fonds de soutien, prévue par le texte initial, la commission a préféré autoriser le recours aux contractuels pour les communes de moins de 2 000 habitants. Il faut aussi favoriser l'autonomie financière des collectivités territoriales.
En outre, une formation académique est en cours de développement. Certaines universités proposent des diplômes en alternance. C'est le cas à Alençon.
Un partenariat entre Pôle emploi et le CNFPT favoriserait les formations au profit des demandeurs d'emploi.
Toutefois, ces mesures ne sauraient nous dispenser d'une réflexion de fond sur l'attractivité de cette profession. Les récentes mesures de revalorisation restent limitées ; il faut une démarche plus globale.
Monsieur le ministre, vous avez récemment déclaré que la promotion interne serait facilitée - je m'en réjouis. Les centres de gestion pourraient fixer des quotas.
Je salue le travail de nos collègues du groupe CRCE et de la rapporteure Di Folco. Le groupe Les Républicains votera le texte issu de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et INDEP)
M. Rémi Cardon . - Je rends hommage à Céline Brulin et à ses camarades du CRCE. (M. Jean-François Husson et plusieurs membres du groupe Les Républicains s'amusent.) La réalité du poste de secrétaire de mairie est très vaste. Sans elles...
M. Jean-François Husson. - Sans eux !
M. Rémi Cardon. - Ce sont des femmes à 94 %. Sans elles, nous perdrons le lien entre les citoyens et la République. De couteaux suisses, elles sont devenues perles rares.
Elles sont conseillères numériques, assistantes sociales, spécialistes de l'urbanisme... Au quotidien, elles mènent un travail essentiel, mais ne sont pas valorisées à leur juste valeur. Faible rémunération, temps partiel, autant de raisons qui expliquent les difficultés de recrutement. Quelque 1 900 postes sont à pourvoir et d'ici 2030, un tiers des secrétaires de mairie partiront à la retraite.
Cette proposition de loi pose le premier jalon d'une revalorisation du statut : nous l'accueillons positivement. Nous prenons acte des amendements adoptés en commission. Le texte est certes plus opérationnel, mais il a perdu une partie de son sens.
Le groupe SER estime que d'autres pistes existent pour valoriser cette profession, à commencer par la rémunération. Certes, le décret du 28 février 2022 - juste avant la présidentielle - a permis un apport de 70 euros bruts par mois, mais la rémunération n'est pas à la hauteur du travail accompli. De plus, ce coût est supporté par les collectivités territoriales. Il faudra en reparler lors du projet de loi de finances.
Mme Véronique Del Fabro . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le constat est alarmant : d'ici 2026, plus de 150 secrétaires de mairie de Meurthe-et-Moselle partiront à la retraite. Mon département n'est pas une exception : 42 % des secrétaires de mairie partiront dans les dix prochaines années.
Ce métier complexe souffre d'un manque d'attractivité.
Les secrétaires de mairie sont des collaborateurs essentiels des maires. Les élus passent, elles restent.
Le développement de l'intercommunalité a entraîné une évolution du métier. Les secrétaires de mairie sont polyvalentes. Certaines montent même des dossiers de subventions européennes - qui ne sont pas simples !
La faible rémunération, le temps partagé entre plusieurs communes qui les obligent à avoir des outils et des partenaires différents sont autant de facteurs démobilisateurs. Sur les réseaux sociaux, elles expriment leur mal-être.
Changer l'intitulé du poste ne fera pas tout, mais aidera à mieux refléter la réalité du métier.
Le centre de gestion de Meurthe-et-Moselle a créé avec l'université de Moselle un diplôme spécifique. Le taux d'insertion professionnelle est de 90 %. Il faut dupliquer cette initiative.
Certaines communes rurales n'hésitent pas à mutualiser le recrutement afin d'offrir des temps complets et des avantages sociaux.
La formation est essentielle. Offrons à ces personnels des conditions de travail décentes, une rémunération juste et des formations régulières, en vue d'assurer un service public de qualité.
Le groupe Les Républicains votera le texte issu de la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
Discussion des articles
ARTICLE 4
Mme Françoise Gatel . - Je salue cette initiative, qui place la fonction de secrétaire de mairie sous les projecteurs.
Cette proposition de loi nourrira la réflexion du groupe de travail de la délégation aux collectivités territoriales conduit par Catherine Di Folco, Jérôme Durain et Cédric Vial sur l'attractivité de la fonction publique territoriale.
Sens du travail et rémunération : voilà les défis à relever pour les secrétaires de mairie. Gare à la concurrence entre collectivités. Je salue les initiatives locales telles qu'Only Lyon...
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - En bon français !
Mme Françoise Gatel. - ... ou, en Bretagne, Den.bzh. Ces marques de territoire permettent aux centres de gestion de se regrouper. Voilà des initiatives utiles.
M. Philippe Folliot . - Je remercie Céline Brulin pour son excellente initiative, qui répond aux besoins des secrétaires de mairie, mais aussi des maires. Car dans une commune rurale, c'est ce duo qui fait que les choses fonctionnent. Je prends acte de la suppression des trois premiers articles par la commission, mais il faudra traiter du sujet dans le cadre de la délégation aux collectivités territoriales.
La formation est un élément essentiel. Dans les communes qui n'ont qu'un agent, le droit à la formation n'est effectif que si l'agent peut être remplacé - faute de quoi, il faut fermer la mairie ! Mon amendement s'est heurté à l'article 40, mais nous devons réfléchir collectivement à ce sujet.
M. Jean-Baptiste Lemoyne . - La commission a retravaillé l'article 4 en inscrivant la formation initiale dans le marbre de la loi. C'était indispensable, vu la complexité croissante des missions des secrétaires de mairie et la polyvalence exigée.
Le président du centre de gestion de l'Yonne me disait n'avoir pu honorer que quinze demandes de formation sur cent, faute de financement. Dans l'Yonne, la région déploie des crédits, mais il faut réfléchir à des règles, une gouvernance. Nous en reparlerons en loi de finances.
M. le président. - Amendement n°1, présenté par Mme N. Goulet.
Alinéas 3 et 5
Remplacer les mots :
secrétaire de mairie
par les mots :
collaborateur communal ou collaboratrice communale
Mme Nathalie Goulet. - C'est un amendement d'appel sur le changement de nom, suggéré par le président du centre de gestion de l'Orne. Les secrétaires de mairie pourraient devenir collaborateurs communaux.
M. le président. - Amendement n°3 rectifié, présenté par M. Bourgi et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéas 3 et 5
Après le mot :
secrétaire
insérer le mot :
général
M. Hussein Bourgi. - Le changement de nom est une demande des intéressées : le nom de leur fonction, c'est leur carte d'identité professionnelle, leur carte de visite.
Je suis délégué du CNFPT en Occitanie. Depuis trois ans, j'ai accompagné 500 personnes dans le cadre du partenariat avec le centre de gestion et l'Association des maires de France (AMF) ; à l'issue de la formation, on pose la question du nom. « Collaborateur du maire » a une coloration politique.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - C'est vrai.
M. Hussein Bourgi. - « Secrétaire de mairie » ne convient pas aux intéressés ; « directeur général des services » (DGS) déplaît aux DGS des grandes collectivités ; « responsable du personnel communal » déplaît aux maires. Dans les réponses au questionnaire, un consensus semble se dégager autour de « secrétaire général de mairie ».
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Bonne idée.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Certes, l'appellation de secrétaire de mairie est un peu désuète, et ne correspond plus aux missions exercées. Sans doute faut-il un terme plus moderne et plus attractif.
Quel est le bon terme ? Aucune des propositions formulées ne recueille l'assentiment général. Les plus anciennes sont attachées au titre de secrétaire de mairie. Restons-en là et continuons le travail avec les intéressés. Retrait ou avis défavorable.
M. Stanislas Guerini, ministre. - Je souscris à l'avis de la rapporteure.
C'est avec les secrétaires de mairie, les associations d'élus, les employeurs territoriaux qu'il faut définir le bon titre. « Collaborateur communal » est un peu générique et omet le volet relations publiques de la fonction.
Il y a d'autres propositions : « responsable administratif », « secrétaire général de mairie ».
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - C'est pas mal, ça !
L'amendement n°1 est retiré.
Mme Céline Brulin. - Merci pour ces amendements qui nourrissent la réflexion autour de l'appellation. Nous avions cherché, sans aboutir. J'entends l'engagement du ministre à ce qu'une réflexion soit menée avec les secrétaires de mairie et leurs employeurs sur ce sujet. Attention toutefois à ce que le changement de nom ne soit pas l'arbre qui cache la forêt : il y a surtout de fortes attentes en matière de rémunération. (Mmes Françoise Gatel et Nathalie Goulet le confirment.)
M. Alain Richard. - En effet, le nom doit changer. Je rappelle toutefois que trente ans après avoir renommé les instituteurs, ce terme reste d'usage courant ! Tout nouveau nom s'appliquera de manière progressive.
M. Christian Bilhac. - C'est certain.
Mme Françoise Gatel. - Il faut changer de nom, mais je rejoins Céline Brulin : monsieur le ministre, tout dépend de vous ! Jérôme Durain l'a dit, les secrétaires de mairie sont en quête de sens - et de sous.
La réflexion sur le nom est bienvenue, mais devra s'accompagner d'un volet rémunération !
M. Stanislas Guerini, ministre. - Engagement est pris de travailler dans les prochaines semaines avec les employeurs territoriaux pour prendre date et légiférer si nécessaire avant l'été ; les aspects financiers seront abordés en loi de finances.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - La prochaine loi de finances !
M. Stanislas Guerini, ministre. - Sur les rémunérations, il faut travailler sur le cadre indiciaire, mais aussi sur les outils indemnitaires qui existent déjà.
Il y a quatre cadres d'emplois liés au métier de secrétaire de mairie. Pour les attachés territoriaux, le Rifseep brut est de 42 000 euros, mais le régime indemnitaire moyen versé en 2019, de 13 000 euros. Pour les secrétaires de mairie, corps en extinction, le plafond Rifseep est de 42 000 euros, le régime indemnitaire moyen de 3 500 euros. Pour les rédacteurs territoriaux, le plafond est de 19 860 euros, le régime indemnitaire moyen de 7 700 euros. Pour les adjoints administratifs territoriaux, respectivement 12 600 euros et 5 400 euros.
Le Gouvernement fixera un cadre, mais je rappelle aussi la responsabilité des employeurs, sans minimiser les conséquences budgétaires pour les collectivités.
Mme Marie-Claude Varaillas. - J'ai fait ce métier toute ma vie, d'abord comme secrétaire générale, puis comme DGS.
Pour avoir pendant quinze ans formé des secrétaires de mairie notamment sur les questions budgétaires et comptables, je sais que l'instruction M14 n'est pas facile d'accès. La plupart, pour venir en formation, devaient fermer la mairie.
Je vous parlerai d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître...
M. le président. - Allons bon !
Mme Marie-Claude Varaillas. - Jadis, on pouvait préparer le diplôme de l'École nationale d'administration municipale en trois ans, en cours du soir, puis le diplôme supérieur. Ce cursus m'a permis de gravir les échelons, du concours de commis à celui de rédacteur, puis à la catégorie A+, comme DGS dans des villes importantes. Je regrette que cette formation ait disparu. (Applaudissements sur de nombreuses travées)
Quant au Rifseep, monsieur le ministre, il ne peut être mobilisé que par les communes qui en ont les moyens. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et UC)
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Exactement !
Mme Françoise Gatel. - Bravo !
M. Mathieu Darnaud. - Mme Varaillas et Mme Brulin ont raison : la sémantique est importante, mais la rémunération plus encore. (Marques d'approbation)
En Ardèche, il n'y a plus de ressources humaines ; on doit mutualiser au maximum.
Oui, il y a le Rifseep, mais les communes dont je parle n'ont pas les moyens de verser des indemnités. Et cela reste de simples primes, qui ne comptent pas pour la retraite. (Mme Cathy Apourceau-Poly acquiesce.) Il est urgent d'agir pour ces femmes et ces hommes qui sont les piliers de la vie communale. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et CRCE ; M. Hussein Bourgi applaudit également.)
M. le président. - Monsieur le ministre, vous avez voulu lancer le débat. Le retour ? Il faut plus de moyens pour nos communes ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
L'amendement n°3 rectifié n'est pas adopté.
L'article 4 est adopté.
ARTICLE 5
M. Philippe Folliot . - Cet article porte sur la promotion interne, qui est essentielle. Un de mes amendements visait à développer les stages, pour faire mieux connaître cette profession passionnante.
Un autre traitait des secrétaires de mairie qui exercent leurs fonctions dans plusieurs communes rurales, parfois éloignées, souvent par demi-journée. En zone de montagne, les déplacements sont compliqués. Il faudra aussi prendre en compte cet aspect.
M. le président. - Amendement n°4 rectifié, présenté par M. Bourgi et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après le mot :
secrétaire
insérer le mot :
général
M. Hussein Bourgi. - Je prends acte des réponses du ministre, et je prends date.
L'amendement n°4 rectifié est retiré.
L'article 5 est adopté.
L'article 5 bis est adopté.
APRÈS L'ARTICLE 7
M. le président. - Amendement n°8, présenté par M. Folliot.
Après l'article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 452-22 du code général de la fonction publique, il est inséré un article L. 452-22-... ainsi rédigé :
« Art. L. 452-22-...- Il est institué dans chaque centre de gestion de la fonction publique un conseil représentatif des agents administratifs exerçants les fonctions de secrétaire de mairie. Le conseil est constitué pour moitié d'élus et pour moitié de représentants des agents administratifs représentants. Il émet des avis simples sur toutes les questions d'ordre général qui concernent le cadre d'emploi. »
M. Philippe Folliot. - Cet amendement fait suite à mes échanges avec le président du centre de gestion du Tarn et avec des associations de secrétaires de mairie.
Le Syndicat national des secrétaires généraux représente plutôt les grandes communes où le secrétaire général assume une fonction d'animation des équipes - loin des petites communes rurales où les secrétaires de mairie font tout.
Une telle instance de dialogue à l'échelle départementale permettrait de faire vivre le duo maire-secrétaire de mairie.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - La fonction de secrétaire de mairie ne correspond plus à un cadre d'emploi unique, ce qui nuit à sa visibilité. Mais cet amendement pose des problèmes. Il y a déjà des représentants des agents dans les centres de gestion. Quelle serait la place d'une telle instance par rapport aux autres instances paritaires, comme les commissions administratives paritaires (CAP) ?
En outre, les centres de gestion n'ont pas vocation à émettre des avis pour l'ensemble d'une profession.
La mesure est trop imprécise pour être opérationnelle. Enfin, l'instance émettrait des avis pour plusieurs cadres d'emploi, mais pour une seule fonction, ce qui constituerait une rupture d'égalité. Retrait ou avis défavorable.
M. Stanislas Guerini, ministre. - Même avis.
L'amendement n°8 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°10 rectifié, présenté par M. Folliot.
Après l'article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi est mis en place un conseil organisant la répartition des secrétaires de mairie par zones territoriales avec l'appui des acteurs issus des collectivités territoriales et des représentants de secrétaires de mairie.
M. Philippe Folliot. - Nombre de secrétaires de mairie vont partir à la retraite dans les années à venir : il faut anticiper en favorisant les échanges entre élus et secrétaires de mairie. L'association nationale des secrétaires de mairie est en train de s'implanter dans les différents départements, c'est une bonne chose.
Les CAP traitent des schémas individuels. Je propose un cadre plus collectif pour les enjeux spécifiques aux secrétaires de mairie, qui ne sont pas solubles dans les instances par corps.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - À la différence des CAP, les comités sociaux territoriaux traitent de sujets collectifs : des groupes de travail spécifiques pourraient être créés en leur sein. Je pense aussi au Conseil supérieur de la fonction publique.
Le centre de gestion est le tiers de confiance privilégié des communes. Les centres de gestion devraient pouvoir mettre à leur disposition des secrétaires remplaçantes ou itinérantes.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Ils le font déjà.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Certes, mais il faut l'encourager.
Les petites communes - je le dis sans intention péjorative - sont au coeur de l'attention des centres de gestion. Faisons donc confiance à ceux-ci. Un conseil ad hoc ne me semble pas adapté : retrait ou avis défavorable.
M. Stanislas Guerini, ministre. - Mon avis est en tout point identique.
M. Christian Bilhac. - J'ai moi aussi suivi la formation du diplôme d'études supérieures d'administration municipale, il y a bien longtemps ! (Sourires) En tant que président d'un centre de gestion, j'ai aussi organisé des formations.
Celles-ci sont trop souvent théoriques. Or la secrétaire de mairie a de nombreux sujets à connaître et de compétences à maîtriser.
En 1998, ma secrétaire de mairie m'a informé de son souhait de partir à la retraite en 2001. À l'époque, le dispositif des emplois jeunes existait : j'ai recruté une personne dans ce cadre. En complément de sa formation théorique, elle a appris la dimension pratique du métier au côté de la secrétaire en place. Lorsque celle-ci est partie, j'étais triste, car nous avions collaboré longtemps, mais pas pris au dépourvu.
Pourquoi ne pas envisager de recourir à de tels contrats aidés ? (Mmes Cécile Cukierman et Marie-Claude Varaillas applaudissent.)
M. Hussein Bourgi. - Je ne suis pas convaincu par l'idée d'une instance de répartition. Comme pour les médecins, je vois mal comment nous pourrions opérer une répartition coercitive.
En Occitanie, nous expérimentons avec l'AMF un recensement des projets de départ à la retraite et des souhaits de mutation. Une liste de postes vacants ou qui le seront bientôt est remise aux nouvelles secrétaires à la fin de leur formation initiale : on favorise ainsi une répartition équilibrée des secrétaires de mairie sur le territoire régional. Nous limitons les cloisonnements administratifs en incluant des postes situés dans des départements voisins.
L'amendement n°10 rectifié n'est pas adopté.
INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI
L'amendement n°2 est retiré, de même que l'amendement n°5 rectifié.
Interventions sur l'ensemble
M. Jean-Baptiste Lemoyne . - Je remercie le groupe CRCE pour son initiative et la commission pour son travail. Ce texte est l'occasion de rendre hommage aux petites mains de la République, qui sont des piliers de l'action communale.
Des initiatives locales sont prises, qu'il faudrait démultiplier. Dans l'Yonne, par exemple, l'association des secrétaires et employés administratifs des mairies de l'arrondissement de Sens favorise le partage d'expériences.
Nous devons conforter les vocations et l'attractivité de ce métier, d'autant que les secrétaires de mairie d'aujourd'hui sont souvent les élus de demain : nous avons là un vivier de femmes et d'hommes prêts à s'engager. J'ai fait mes gammes de conseiller municipal à Vallery sous l'égide d'Annie Serdin, qui fut pendant seize ans secrétaire de mairie. Je pense aussi à Isabelle Poulin, maire des Clérimois après avoir été secrétaire de mairie à Fontaine-la-Gaillarde pendant 41 ans.
Ce texte est un point de départ. Je me réjouis du travail mené par la future mission d'information et je salue l'engagement du ministre.
Mme Laure Darcos . - Je remercie Mme Brulin pour son initiative, ainsi que notre rapporteur.
Avec ce texte, nous rendons hommage aux secrétaires de maire, ferments de nos petites communes, dont la tâche est souvent difficile. Les dossiers de demande de subvention au titre de la DETR, de la DSIL ou, demain, du fonds vert sont très complexes, et les secrétaires de mairie subissent une pression considérable.
Heureusement, lorsqu'une secrétaire de mairie manque, les communes voisines font preuve de solidarité.
Ces personnels remplissent une fonction cruciale, il est essentiel de les aider.
M. Olivier Jacquin . - Je félicite le groupe CRCE pour son initiative.
Dans la communauté de communes Mad et Moselle, un secrétariat mutualisé a été mis en place, dont bénéficient trente communes. De même, un diplôme universitaire a été créé avec le centre de gestion ; son taux d'insertion dépasse les 90 %. Autre idée originale : une mairie virtuelle à l'échelle de cinquante communes, en plus du présentiel, pour répondre aux appels de nos concitoyens du lundi au samedi de 8 à 20 h.
De telles initiatives méritent d'être encouragées.
Mme Céline Brulin . - Je remercie nos collègues pour le vote qui semble se dessiner ainsi que la rapporteure, avec qui j'ai travaillé de manière confiante et loyale.
Cette proposition de loi marque un début. Nous devons poursuivre le travail, notamment sur la rémunération et la formation.
Soulignons la fécondité du statut de la fonction publique dans ce qu'il a de meilleur, nous qui sommes les modestes continuateurs d'Anicet Le Pors : le statut permet d'attirer et de fidéliser.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué le prochain projet de loi de finances ; nous prenons date. La piste des quinze points de bonification indiciaire doit être explorée dès à présent - 70 euros, ce n'est même pas un plein d'essence, alors que les secrétaires de mairie multiplient les kilomètres. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et UC ; Mme Colette Mélot et M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.)
M. Cédric Vial . - Grâce à cette proposition de loi, nous mettons en lumière un métier essentiel à nos communes. À l'État, responsable de la bonne administration sur tout le territoire, d'améliorer la situation.
Le métier de secrétaire de mairie est un beau métier, polyvalent et de contact, administratif mais aussi stratégique.
Favorisons la reconnaissance des secrétaires de mairie, améliorons leur formation, notamment pour la rendre plus pratique, accompagnons-les face aux difficultés qu'elles rencontrent et travaillons sur leurs conditions de travail. C'est un enjeu crucial pour nos territoires ruraux. (Mme Françoise Gatel et M. Alain Duffourg applaudissent.)
Mme Cécile Cukierman . - Notre discussion nourrie le prouve : les secrétaires de mairie sont indispensables à nos communes - elles leur sont même consubstantielles.
Monsieur le ministre, nous devons continuer à travailler : des financements à la hauteur sont nécessaires, mais il ne faut pas en faire porter le poids sur les communes. D'ici au prochain projet de loi de finances, la délégation aux collectivités territoriales aura avancé sur le sujet.
Ce texte est un point de départ pour améliorer la situation d'agents qui ne sont pas souvent mis en avant. Je remercie Mme la rapporteure d'avoir permis que ce texte aboutisse en séance. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et UC)
La proposition de loi est adoptée à l'unanimité.
(Vifs applaudissements)
Organisation algorithmique du travail
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la maîtrise de l'organisation algorithmique du travail, présentée par M. Pascal Savoldelli, Mmes Cathy Apourceau-Poly, Laurence Cohen et plusieurs de leurs collègues.
Discussion générale
M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Je salue les mobilisations sociales qui se tiennent aujourd'hui en France. Les enjeux de la réforme des retraites et de l'ubérisation sont liés : si les travailleuses et travailleurs des plateformes numériques étaient requalifiés en salariés, ils rapporteraient 1,45 milliard d'euros à la sécurité sociale !
Ce texte est le fruit d'un engagement de plusieurs années à leur côté. Avec Fabien Gay, j'ai rencontré, au sein du collectif « pédale et tais-toi », des travailleurs prétendument indépendants, mais dépendants économiquement, dans le cadre d'un capitalisme de plateforme qui contourne les règles du droit du travail par le management algorithmique.
Ce modèle nous ramène au temps d'avant le contrat de travail, lorsque les risques reposaient uniquement sur les travailleurs et que les normes sociales n'existaient pas. On recrée la rémunération à la tâche, à travers un management brutal et injustifiable.
Ce modèle a un coût. Il s'appelle Franck Page, 18 ans, livreur mort après avoir été renversé par un camion. UberEats estime que ce n'est pas un accident du travail. Pourtant, son itinéraire lui avait été imposé par l'algorithme.
Ce management déshumanisé et désincarné touche de nombreux domaines économiques. Le flou de l'algorithme est une épée de Damoclès au-dessus des travailleuses et des travailleurs. Le management algorithmique constitue un outil de contrôle, de direction et de sanction.
Dans notre rapport d'information, Martine Berthet et moi-même avons formulé plusieurs recommandations en vue de mieux réguler le fonctionnement de ces plateformes et d'exiger plus de transparence.
Notre recommandation 9, adoptée à l'unanimité, consiste à engager une réflexion sur l'adaptation du droit du travail au management algorithmique. Il faut rattacher l'algorithme à la responsabilité de l'employeur : une décision, même automatisée, est toujours subjective, et les risques de discrimination sont nombreux. Il s'agit d'un nouvel angle d'attaque pour obtenir la requalification des travailleurs en salariés.
Aucun texte ne définit le salariat, fondé uniquement sur le lien de subordination entre l'employeur et l'employé. Nous mettons en évidence la relation de subordination entre l'algorithme donneur d'ordres et le travailleur faussement indépendant. Il est essentiel d'ouvrir la boîte noire de l'algorithme : en 2020, un rapport du Défenseur des droits et de la Cnil alertait déjà sur cet angle mort.
Les exemples de dérives des algorithmes sont nombreux : déconnexions abusives chez Deliveroo après une mobilisation sociale équivalant à une répression syndicale, discrimination des femmes à l'embauche chez Amazon.
À Brahim Benali, leader de la lutte des chauffeurs Uber, la société a répondu que donner le secret des algorithmes serait comme donner la recette du Coca-Cola... Nous ne parlons pas d'une boisson, mais de travailleurs soumis à une subordination accrue. Que deviennent l'utilité sociale du travail, sa valeur humaine ? N'attendons pas le crash pour ouvrir la boîte noire ! L'algorithme n'est ni plus ni moins qu'un contrat de travail auquel les travailleurs n'ont pas accès.
Ce fonctionnement s'introduit dans tous les pans de notre société : Parcoursup, sélection de CV de cadres lors des procédures de recrutement... Il est donc crucial de regarder de près ce qu'il y a dans la boîte noire.
L'article 1er de notre texte définit l'algorithme sur le plan juridique. L'article 2 engage la responsabilité de l'employeur, qui doit démontrer que les algorithmes employés ne sont pas source de discrimination. L'article 3 distingue les plateformes de mise en relation et celles qui jouent le rôle d'employeur.
Nous entendons, humblement, maintenir ce débat ouvert. D'autant que la directive européenne va dans le même sens : la présomption de salariat qu'elle instaure est une belle avancée. Dommage que la France continue de défendre le lobby des plateformes, comme l'a révélé l'affaire Uber Files. Nous devons maintenir la pression face au principal cheval de Troie du néo-libéralisme.
Je vous invite à voter ce texte, jalon supplémentaire pour protéger les travailleurs, mais aussi les entreprises et commerces victimes de concurrence déloyale. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure de la commission des affaires sociales . - (M. Fabien Gay applaudit.) Surveillance constante, évaluation permanente, décisions automatisées, faible transparence : telles sont les caractéristiques du management algorithmique selon le Bureau international du travail (BIT).
Voilà plusieurs années que MM. Gay et Savoldelli travaillent sur ces questions.
Le recours aux algorithmes dans le monde du travail est ignoré de notre droit. Pourtant, les plateformes numériques ont entraîné un bouleversement de l'organisation du travail.
Dans le secteur des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) et de la livraison, des travailleurs formellement indépendants sont en réalité privés d'autonomie dans la réalisation de leurs prestations et cumulent les fragilités : faibles revenus, absence de protection sociale et de droit au repos, forte exposition aux risques professionnels, isolement et mise en concurrence permanente.
La plateformisation de l'économie se généralise : les algorithmes sont de plus en plus utilisés pour le recrutement et la gestion des carrières. À la clé, perte d'autonomie, risques de discriminations et un sentiment croissant d'aliénation qui nourrit les risques psychosociaux. Les risques sont d'autant plus grands que le fonctionnement des algorithmes peut échapper aux employeurs eux-mêmes.
Le rapport de Pascal Savoldelli a montré que l'algorithme était une chaîne de responsabilités humaines. D'où la nécessité d'adapter le droit du travail au management algorithmique.
Certes, les algorithmes sont une aide considérable pour améliorer l'organisation et décharger les travailleurs des tâches répétitives, mais ils doivent être encadrés et contrôlés : nous devons en reprendre la maîtrise. L'employeur doit demeurer responsable des décisions prises.
L'article 1er rattache ainsi les décisions prises par le moyen d'algorithmes au pouvoir de direction des employeurs.
L'article 2 pose le principe de non-discrimination dans les décisions des algorithmes. En 2017, Amazon a dû renoncer à l'utilisation d'un algorithme qui discriminait les femmes à l'embauche. Face à de tels risques, l'employeur doit être responsable des outils technologiques qu'il utilise. En cas de litige, il devrait prouver que les algorithmes ne sont pas sources de discrimination.
La qualification juridique des travailleurs de plateformes est une question d'ordre public social. Le contentieux est abondant, mais les décisions ne sont pas univoques. Plusieurs arrêts de la Cour de cassation ont requalifié des chauffeurs de VTC ou des livreurs à vélo en salariés, mais ces décisions n'ont pas de portée absolue.
Depuis 2016, le législateur a octroyé à ces travailleurs des droits spécifiques. La loi d'orientation des mobilités (LOM) de 2019 et deux ordonnances de 2021 et 2022 ont posé le cadre d'un dialogue social entre travailleurs et plateformes. De premières avancées ont été obtenues, mais elles enferment ces travailleurs dans un statut d'indépendant amélioré et confortent le modèle des plateformes.
Le statut d'indépendant ne correspond pas à la réalité de la relation entre les employeurs et ces travailleurs. Certains pays sont plus ambitieux. Ainsi, en Espagne, la loi Riders instaure une présomption de salariat et prévoit l'accès des travailleurs aux algorithmes.
Il faut distinguer les plateformes d'emploi des simples opérateurs de mise en relation : c'est l'objet de l'article 3.
Les travailleurs de plateforme sans papiers ont été massivement déconnectés à la suite de la signature d'un accord. Faute de bulletins de salaire, ils ne peuvent pas bénéficier de la régularisation par le travail prévue par la circulaire Valls. Madame la ministre, allez-vous les sortir de l'impasse ?
La commission des affaires sociales a rejeté ce texte. À titre personnel, je le regrette. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER ; Mme Colette Mélot et M. Alain Duffourg applaudissent également.)
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels . - Je vous prie d'excuser l'absence du ministre Dussopt.
Les algorithmes sont un enjeu important dont le Gouvernement prend toute la mesure. Nous sommes très attentifs aux mutations entraînées par la révolution numérique. Le management par algorithme a été abordé dans le cadre des assises du travail, qui ont réuni des partenaires sociaux et des universitaires. Des propositions seront formulées dans un rapport très prochainement publié.
Par ailleurs, nous agissons pour mieux réguler les relations entre les plateformes et leurs travailleurs. Ces dernières années, un cadre juridique a permis l'émergence d'un dialogue social dans les secteurs des VTC et de la livraison. Je salue l'accord instaurant un tarif minimal de course pour les VTC.
Cette proposition de loi pose la question de notre attitude face aux mutations technologiques, qui n'ont pas de destination naturelle ; c'est à nous de leur donner une intention. Notre optimisme à leur égard n'est pas contradictoire avec la vigilance pour prévenir l'administration par les nombres.
Il ne s'agit pas de combattre les algorithmes, mais de les mettre à notre service en vue d'une meilleure organisation du travail.
Cette proposition créerait plus de difficultés qu'elle n'en résoudrait. Le Gouvernement n'est pas seul à le penser, puisque la commission des affaires sociales l'a rejetée.
L'article 1er n'ajoute rien à l'existant : la responsabilité de l'employeur n'est pas écartée, et un ordre, même issu d'un algorithme, constitue un élément de subordination susceptible d'entraîner la requalification.
Vous proposez aussi de garantir une voie de recours humaine, mais le droit du travail interdit les sanctions automatiques. Quel que soit le mode de décision, il est toujours possible de saisir le conseil de prud'hommes. Votre proposition serait donc source de confusion.
L'article 2 aménage les modalités de preuve en matière de discriminations. L'intention est louable, car les algorithmes peuvent comporter des biais discriminants. Reste que le droit est clair : les discriminations sont interdites, quelle que soit leur source. La charge de la preuve est déjà aménagée au bénéfice du salarié, y compris si la discrimination résulte de l'utilisation d'un algorithme.
Enfin, l'article 3 inscrit dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation sur la requalification, en écartant les plateformes de mise en relation. Pourtant, la Cour n'a jamais considéré que l'exercice d'un contrôle juridique et économique, y compris par des moyens automatisés, permettait de caractériser une relation de travail.
Si nous partageons l'esprit de cette proposition de loi, nous n'en voyons pas l'utilité. Plutôt que de se précipiter pour encadrer les algorithmes, redoublons de vigilance pour la bonne application du droit. (M. Ludovic Haye et Mme Colette Mélot applaudissent.)
La séance est suspendue à 13 h 20.
Présidence de Mme Laurence Rossignol, vice-présidente
La séance reprend à 14 h 50.
Mme Jocelyne Guidez . - Je salue l'engagement de Pascal Savoldelli et le travail de la rapporteure. Cette proposition de loi a pour objet de renforcer la responsabilité des employeurs et de protéger les salariés, dans la suite du rapport de M. Savoldelli de septembre 2021.
La numérisation remettrait en cause la sécurité des travailleurs. Face à cela, le rapport formule des recommandations autour de quatre axes : l'amélioration des conditions de travail, le développement du dialogue social, l'encadrement du management et la transparence et la régulation des algorithmes des plateformes. Nous avions rejeté une proposition de loi sur le statut des travailleurs numériques en juin 2020, qui faisait fi de la diversité des plateformes de services.
Bruno Retailleau a déposé, en août 2022, une proposition de loi sur les travailleurs qui dépendent des plateformes numériques. Ces dernières ont rapproché des personnes éloignées de l'emploi, aux profils variés : étudiants, chômeurs, actifs souhaitant un complément de rémunération. Cette proposition de loi s'inspirait du rapport de mai 2020 de Mme Puissat, M. Forissier et Mme Fournier pour la commission des affaires sociales, « Travailleurs de plateformes : au-delà de la question du statut, quelles protections ? » qui préconisait de dépasser le statut et de développer des droits qui n'en dépendent pas ; elle créait un nouveau type de contrat et garantissait une meilleure couverture sociale des travailleurs et une meilleure transparence des plateformes.
La plateformisation s'étend à toute l'économie, avec 28 millions de travailleurs dans l'Union européenne et 43 millions prévus en 2025. Cela impose de réorganiser le dialogue social, alors que les discriminations se développent.
Souvent précaires, ces personnes cumulent faibles rémunérations et forts risques professionnels, avec un sentiment de dépendance par rapport à la plateforme. Nous défendons le travail décent. La chaîne de responsabilité est humaine, même si la gestion des ressources humaines utilise désormais des algorithmes.
Difficile de voter contre une proposition de loi qui améliore les conditions de travail. Toutefois, une proposition de directive européenne relative à la présomption irréfragable de salariat est en cours de négociation. À légiférer prématurément, nous risquerions de voir nos décisions détricotées. Le groupe UC s'abstiendra donc.
M. Jean-Pierre Corbisez . - Technologie et progrès ont longtemps été associés. Toutefois, les algorithmes inquiètent lorsqu'ils interfèrent avec les conditions de travail ou les politiques de ressources humaines. L'algorithme d'Amazon qui favorise le recrutement des hommes en est le dernier exemple.
L'outil a beau être innocent par nature, c'est aux concepteurs d'en garantir la sécurité, et au législateur d'en fixer le cadre. La commission n'a pas adopté le texte en arguant des négociations européennes. Pourquoi attendre l'Europe ? Les garanties de protection méritent toujours d'être renforcées.
L'économie des plateformes concernera 43 millions de salariés en 2025, et nombre d'entreprises prennent le virage numérique. Or, derrière les algorithmes, les programmateurs appliquent les consignes, de façon opaque, qui reproduisent parfois des comportements discriminants et des décisions standardisées.
L'article 1er, qui recommande de clarifier la nature juridique du recours à l'algorithme, traduit les recommandations de la mission d'information sur l'ubérisation. Toute décision appuyée sur des algorithmes a des conséquences sur les travailleurs. Le salarié doit pouvoir se défendre et contester une décision discriminatoire.
Les collaborateurs, présentés à tort comme indépendants, n'ont souvent pas la maîtrise de leurs missions. Sans attendre les négociations européennes, il faut intégrer les jurisprudences Uber, Deliveroo et Elite Taxi à notre droit du travail. Les plateformes n'ont que trop exploité le vide juridique.
Le groupe RDSE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du GEST et du groupe CRCE)
M. Serge Babary . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Un certain humanisme à la française, religieux ou laïque, nous a toujours rendus prudents face à l'automatisation dans le monde du travail. Dès 1947, dans La France contre les robots, Bernanos estimait « que le machinisme limitait la liberté des hommes, et perturbait jusqu'à leur mode de pensée ».
Il s'agit de sécuriser les nouvelles formes d'emploi associées aux plateformes pour refonder notre pacte social. En Europe, 28 millions de personnes travaillent pour les plateformes numériques ; en 2025, elles seront 43 millions. Ce secteur a vu ses revenus quintupler entre 2016 et 2020, de 3 à 14 milliards d'euros.
Le statut juridique de ces travailleurs pose problème. L'enjeu est celui de leur protection sociale, qui ne dépend que d'eux s'ils sont considérés comme indépendants. Les États répondent par la loi ou par la jurisprudence.
En outre, le management algorithmique soumet les travailleurs à un contrôle intrusif.
Cette proposition de loi est prématurée, alors qu'une directive européenne est en discussion depuis décembre 2021. Deux critères suffisent pour déterminer la nature d'employeur de la plateforme, auquel cas la personne doit jouir des droits découlant du salariat. Le Parlement européen l'a approuvée en plénière le 2 février dernier : il a supprimé les critères de présomption de salariat, au risque d'entraîner une incertitude juridique, de conduire à des requalifications massives et de causer à terme des pertes d'emplois. L'Europe doit avancer au même rythme pour préserver notre compétitivité.
Ensuite, la proposition de loi est réductrice : bien d'autres branches sont concernées. Notre rapport de juillet 2021 appelait à une définition globale du travail indépendant. Sans compter que le secteur public utilise aussi des algorithmes, avec Parcoursup et France emploi.
Enfin, invoquer le rapport d'information de septembre 2021 est inadapté, même si les intentions sont vertueuses.
La surveillance constante et déshumanisante qui découle de ce taylorisme numérique entraîne une perte de confiance et un désengagement. Cependant, nous en appelons trop souvent à la norme - je renvoie aux travaux en cours de MM. Rietmann, Moga et Devinaz.
Les employés acceptent mieux l'intelligence artificielle si l'employeur prend le temps d'en expliquer les raisons. Il doit adapter sa gestion pour que l'intelligence artificielle ne soit pas perçue comme une déshumanisation mais comme un avantage. Une réponse proportionnée s'impose, ce qui n'est pas le cas de cette proposition de loi, qui a néanmoins le mérite d'attirer notre attention.
Le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Ludovic Haye applaudit également.)
Mme Colette Mélot . - Depuis sa sortie, fin 2022, ChatGPT ne cesse de faire parler de lui, suscitant inquiétudes et nouveaux adeptes. On évoque souvent le risque de suppression d'emplois. Dans un rapport du 26 mars, des économistes estiment que 300 millions d'emplois seraient exposés à l'automatisation.
Ce n'est guère nouveau. En 1589 déjà, la reine Élisabeth Ire interdisait les machines à tricoter les bas, de peur de détruire des emplois. (Mme Cathy Apourceau-Poly s'en amuse.) Dès 2011, on alertait contre l'ubérisation.
Nous devons en permanence nous interroger sur les rapports entre les évolutions techniques et le travail. Cette proposition de loi le fait, en dépassant le cadre des plateformes, car l'algorithme est présent partout : recrutement, carrières, évaluation.
Elle a le mérite d'ouvrir le débat sur le management algorithmique et sur ses enjeux. La nouveauté, c'est le nombre et le type d'emplois concernés. Pour les travailleurs comme pour les employeurs, les algorithmes sont trop souvent abstraits et opaques ; il faut encadrer.
Si les questions soulevées sont pertinentes, les réponses ne sont pas dans ce texte. En effet, les dispositions législatives déjà en vigueur n'excluent pas les décisions prises avec un algorithme du pouvoir de direction et de contrôle de l'employeur, ni du principe de non-discrimination. Dès lors, pourquoi légiférer ?
Sur le statut des travailleurs des plateformes, attendons la directive européenne.
Il y a une semaine, un millier de personnalités de la Tech appelaient à suspendre pendant six mois le développement des IA. Risquons-nous de perdre le contrôle de notre civilisation ? Ces questions méritent d'être posées. Je remercie les auteurs du texte ; cependant, le groupe INDEP votera contre.
Mme Raymonde Poncet Monge . - Mark McGann, dirigeant d'Uber devenu lanceur d'alerte, soulignait devant l'Assemblée nationale que les gouvernements avaient bien des fois trouvé des solutions permettant la croissance considérable des plateformes, tout en les accusant publiquement - et à raison ! - d'être hors la loi.
Il se demandait comment la France était devenue le fer de lance de ceux qui cherchent à vider la directive européenne de sa substance, alors qu'elle a créé la sécurité sociale, les congés payés, le Smic ou la retraite à 60 ans...
Nous saluons la proposition de loi, qui adapte une partie de notre droit à l'avancée du management algorithmique. Une définition juridique de l'algorithme comme automatisation du pouvoir de direction et de contrôle de l'employeur, est urgente. Le traitement automatisé ne saurait invisibiliser le concepteur derrière le management algorithmique.
L'algorithme est bien le « contremaître des temps modernes », comme le dit le rapport. L'employeur doit avoir l'obligation de s'expliquer des effets discriminatoires des algorithmes. Le comité social et économique (CSE) doit pouvoir exercer ses prérogatives.
L'article 3 nous invite à intégrer en droit la jurisprudence de la Cour de cassation sur la nature d'employeur des plateformes, même si les algorithmes définissent la nature même de la prestation.
On nous invite à attendre le projet de directive européenne, mais d'autres pays européens ont déjà légiféré sur la présomption de salariat. Cette prétendue indépendance est une fiction. « Faites-vous livrer là où la vie vous mène », propose Uber. Mais ces livraisons se font au détriment des conditions du travail, dans la dépendance à l'algorithme, le contrôle du temps réel, l'opacité de la fixation des tarifs. Les plateformes participent de la paupérisation et de la précarisation des travailleurs : la moitié des travailleurs des plateformes en Europe gagnent moins que le salaire horaire net du pays dans lequel ils travaillent. Mardi dernier, Le Progrès publiait un dossier intitulé « Les forçats de la livraison ». La directive européenne apporterait à la France de 328 à 780 millions d'euros de recettes : voici de vraies alternatives pour le financement de la protection sociale !
Le GEST votera cette proposition de loi qui reprend les recommandations de la mission d'information du Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE ; M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)
M. Ludovic Haye . - En 2021, j'étais vice-président de la mission d'information présidée par Pascal Savoldelli. Nous recommandions l'amélioration des conditions de travail, le développement du dialogue social, l'encadrement du management algorithmique et la transparence des algorithmes.
Si nous soutenons l'objectif du texte, nous n'en approuvons pas pleinement les moyens. Ainsi, l'employeur est déjà responsable de ses décisions, même avec des moyens technologiques.
Nous préconiserions plutôt l'accès de travailleurs aux données et leur suppression automatisée. L'algorithme doit devenir objet de négociation.
L'article 2 nous semble satisfait par le droit en vigueur. Le contentieux peut déjà s'appuyer sur l'utilisation par l'employeur d'outils technologiques. L'algorithme est bien un maillon de la chaîne de responsabilité humaine. Les salariés peuvent invoquer le statut de lanceur d'alerte.
Quant à l'article 3, des négociations sont en cours au sein du Conseil de l'Union européenne.
La requalification en salariat renforcera réellement les droits des travailleurs. Le travail est un des secteurs de notre société qui a le plus évolué. Ainsi du télétravail et des débats sur les retraites, qui démontrent l'inquiétude des Français.
Le groupe RDPI ne pourra voter ce texte, mais il est favorable à une réflexion d'ensemble sur le travail. (Mme Cathy Apourceau-Poly acquiesce ; Mme Colette Mélot et M. Pierre Louault applaudissent.)
Mme Corinne Féret . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le groupe SER accueille positivement ce texte, qui est en phase avec l'actualité. La plateformisation est un cheval de Troie contre notre modèle social, l'algorithme est une boîte noire.
Nous ne sommes pas opposés aux plateformes collaboratives et aux services qu'elles rendent, mais il faut les distinguer de la plateformisation de l'économie. En 2019, Mme Lubin avait ainsi déposé une proposition de loi pour les droits sociaux des travailleurs numériques.
Les plateformes offrent une illusion de liberté : la brutale réalité, c'est la suspension de comptes du jour au lendemain, sans droits sociaux. La dématérialisation des entreprises bouleverse les relations de travail. Les algorithmes gèrent les tâches, évaluent et sanctionnent les travailleurs.
Nous devons garder la mainmise et encadrer les évolutions technologiques. Les plateformes se veulent simple intermédiaire, mais le management algorithmique contribue à déterminer les conditions de travail et de rémunération, bien au-delà de la mise en relation.
Les travailleurs en perdent la visibilité sur leur revenu et sur leurs missions. L'algorithme fait partie de la chaîne humaine de responsabilité. Nous sommes donc favorables à la proposition de loi, qui reprend le rapport sénatorial sur l'ubérisation, auquel notre groupe avait contribué.
Oui, les décisions algorithmiques ressortent bien du pouvoir de direction. Elles ne sauraient autoriser la discrimination.
Enfin, il faut confirmer le mouvement jurisprudentiel de requalification des travailleurs en salariés.
L'intelligence artificielle éclaire la prise de décision et surveille les salariés, ce qui crée une asymétrie d'information. Il faut y remédier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du groupe CRCE)
M. Fabien Gay . - Je remercie Pascal Savoldelli pour sa proposition de loi, qui s'inscrit dans la continuité de son tour de France et oeuvre à un véritable statut de travailleur des plateformes.
La réflexion sur le travail dans notre société est essentielle. Plutôt que de voter le vol des deux plus belles années à la retraite, le Sénat aurait été mieux inspiré de débattre sur le partage des richesses et le sens du travail, après la robotisation des années 1980 et l'émergence, aujourd'hui, de l'IA. Les algorithmes nous privent de l'inconnu, en nous offrant ce que nous voulons.
Même Elon Musk, pourtant opposé aux droits sociaux et syndicaux, a réclamé une pause de six mois dans la recherche sur les IA, car elle pose un problème de protection des données, de dérégulation du marché de l'emploi et de désinformation. L'employeur reste le seul donneur d'ordre, c'est une source de management discriminatoire ! Ce n'est plus le patron qui vous licencie, c'est l'algorithme qui vous suspend.
Il faut que le pouvoir de direction de l'employeur soit reconnu quand il programme un algorithme.
Les contraintes nouvelles sont nombreuses. L'opacité est organisée : le lien de subordination, lui, est réel. Les travailleurs sont poussés à toujours plus de productivité. Il est urgent de consacrer un droit à la déconnexion, car le contremaître numérique, lui, ne dort pas. La logique de l'algorithme, c'est « travaille et tais-toi ! »
Ne pas légiférer, c'est laisser ces salariés en dehors du code du travail. Ne refusons pas de les protéger.
Il serait prématuré de légiférer, estime la commission. La France, au contraire, devrait faire avancer la législation, sans attendre la directive !
La Confédération européenne des syndicats appelle à une expertise externe pour évaluer l'impact des algorithmes sur les conditions et la relation de travail. Levons les zones d'ombre : dès qu'une plateforme encadre juridiquement l'activité d'un travailleur, il n'est pas un travailleur indépendant, mais un salarié subordonné à une plateforme numérique. Nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST)
M. Olivier Jacquin . - Je remercie à mon tour le groupe communiste de porter ce débat. Voilà le quatrième texte sur le sujet, après deux missions d'information. Heureusement qu'il y a les initiatives parlementaires pour parler du travail !
Le contremaître 2.0 est une réalité, et je m'étonne que la majorité sénatoriale se cache sur ce sujet.
En 2019, la commission des affaires sociales se disait opposée au tiers-statut, mais en 2021, elle donnait un blanc-seing au Gouvernement dont l'intention était limpide : « réduire le faisceau d'indices susceptible de révéler l'existence d'un lien de subordination ». Ces mots sont les vôtres, madame la ministre, quand vous rapportiez ce texte à l'Assemblée nationale !
Ces travailleurs sont pourtant, selon la Cour de cassation, des « indépendants fictifs. » J'apprends, grâce au rapport, que Frédérique Puissat a porté en commission une position plus nuancée, sans pour autant déposer d'amendement. J'ai peine à comprendre. Certes, il faut se conformer à la directive de Nicolas Schmit - que la ministre n'a même pas cité... Je vous invite à voter la proposition de résolution européenne que j'ai déposée avec Mmes Lubin et Harribey, appelant à soutenir la directive européenne qui reprend un grand nombre de nos propositions, comme le renversement de la charge de la preuve.
Il faut adapter le devoir de vigilance des multinationales face à l'ubérisation. Les travailleurs pourront exiger des explications sur les algorithmes. Voilà qui est en parfaite concordance avec ce texte.
Le Gouvernement fait fausse route. Espérons que la directive sera votée sous la présidence espagnole de l'Union, et votons ce texte ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST)
Discussion des articles
ARTICLE 1er
M. Pascal Savoldelli . - Je veux essayer de peser sur ce vote. Madame la ministre, vous avez dit que les dispositifs existants fonctionnaient. Allez voir les livreurs et les femmes de ménage ! Ils disent : mon patron, c'est un algorithme ! (Mme Cathy Apourceau-Poly le confirme.)
Le problème n'est pas le patron, mais le fait qu'il soit désincarné, déshumanisé.
Quels sont les leviers de négociation en pareil cas ? Les prud'hommes font face à de plus en plus de contentieux. Chers collègues Les Républicains, faites un geste, votez l'article 1er ! (Mme Laure Darcos s'amuse.)
L'article 1er est adopté.
(Applaudissements à gauche)
ARTICLE 2
M. Pierre Ouzoulias . - La relation historique entre technologie et travail est intéressante. Pline l'Ancien relate que Tibère avait fait mettre à mort l'ouvrier verrier qui proposait le verre incassable, car cela menaçait l'avenir de toute une corporation. Je pense aussi à la révolte des canuts en 1819.
Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. La plateforme est un monstre noir, technique, et donne l'illusion d'une simple mise en relation. La technique algorithmique est la négation de la relation sociale du travail et de l'entreprise même. À terme, plus d'entrepreneurs !
Cela renvoie à la difficulté que nous avons à réguler les Gafam, notamment pour les propos haineux. Il faut remettre de l'humain derrière ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)
L'article 2 est adopté.
L'article 3 est adopté.
Mme la présidente. - Je suis saisie d'une demande de scrutin public sur l'ensemble de la proposition de loi par le groupe Les Républicains.
M. Pascal Savoldelli. - Je vais tenter d'interpréter cette demande de scrutin public. Derrière l'algorithme, il y a la question du temps de travail, de la définition de la valeur ajoutée. Ces questions ne sont pas que de gauche ! Beaucoup de gens se mobilisent actuellement sur le sens même du travail et des niveaux de rémunération, pas seulement sur les retraites. La droite n'est pas uniforme et monolithique, et certains se posent des questions.
Mme Éliane Assassi. - Ça c'est clair !
M. Pascal Savoldelli. - Mais la gauche est unie.
M. Gérard Longuet. - Comme dans l'Ariège !
À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°260 :
Nombre de votants | 319 |
Nombre de suffrages exprimés | 262 |
Pour l'adoption | 104 |
Contre | 158 |
La proposition de loi n'est pas adoptée.
M. Philippe Mouiller, vice-président de la commission des affaires sociales. - Dans chaque groupe politique, on s'interroge, par exemple sur la responsabilité des employeurs. Merci à M. Savoldelli d'avoir porté ce débat à la commission des affaires sociales, merci à la rapporteure. Le sujet va revenir dans l'hémicycle. Nous attendons beaucoup de la directive européenne, mais elle ne réglera pas tout.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. - Je salue la qualité des débats. Certains d'entre vous sont impliqués depuis longtemps sur l'adaptation des conditions de travail aux évolutions sociétales. Cette question a toute sa place dans le débat public et les Assises du travail l'ont largement abordée. Je vous propose de travailler à partir de leurs conclusions. Assurons-nous que notre socle de droits et notre dialogue paritaire accompagnent les évolutions du droit européen.
La séance, suspendue à 15 h 50, reprend à 16 heures.
Nationalisation du groupe Électricité de France
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement.
Discussion générale
M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie . - Notre vision pour EDF est claire : l'énergéticien national est au coeur de la transition énergétique, comme en 1946, lorsque Marcel Paul, un ministre communiste, présidait à sa création. Ce monopole a conduit à l'électrification du pays et au deuxième parc nucléaire au monde. Notre mix énergétique est parmi les moins émetteurs de CO2 et les plus compétitifs au monde.
Depuis vingt ans, l'énergéticien national a été affecté par l'ouverture européenne, le sommet de Barcelone de 2002 libéralisant le marché de l'électricité et du gaz. Ce marché intégré a certes des défauts, mais c'est le plus gros système intégré en électricité au monde, grâce auquel on peut importer et exporter chaque jour. Ayant vécu une dizaine d'années au Québec, où depuis deux jours, un million d'habitants sont privés d'électricité, j'en mesure l'avantage.
EDF est et restera un instrument essentiel de la politique énergétique de l'État, et un champion à l'exportation.
Les défis d'EDF sont la production, la capacité opérationnelle et la conduite des grands projets industriels. Le groupe a besoin d'investir des dizaines de milliards d'euros par an, de retrouver sa maîtrise industrielle sur le nucléaire, et d'atteindre des objectifs ambitieux en matière de renouvelable, pour les trente prochaines années.
Pour cela, le Gouvernement a pris ses responsabilités. Il a toujours accompagné EDF dans ses recapitalisations, en 2017 et 2022. On n'a jamais autant investi dans le nucléaire que depuis 2017. Nous avons sécurisé le calendrier de l'EPR2, avec le projet de loi relatif au nucléaire, que vous avez voté en première lecture.
EDF est cependant une société endettée, avec de gros besoins d'investissement. C'est pourquoi nous avons lancé cet été une offre publique d'achat (OPA) pour prendre le contrôle à 100 % du capital. Avec cette nationalisation, nous renforçons les moyens d'EDF. L'OPA sera finalisée d'ici début juin.
Nous avons été surpris par cette proposition de loi, qui semble flirter avec les théories du complot à l'Assemblée nationale. (MM. Fabien Gay et Victorin Lurel protestent.) Ces angoisses n'ont pas lieu d'être. Bruno Le Maire l'a dit et je vous le répète : le projet Hercule est mort et enterré. Il n'y a aucun projet caché.
Je salue la commission et la réécriture du texte par le rapporteur.
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Timeo Danaos et dona ferentes.
M. Roland Lescure, ministre délégué. - La commission a supprimé les articles 1er et 3 prévoyant la nationalisation d'EDF, qui pouvaient fragiliser l'OPA en cours. Elle a réécrit l'article 2, qui rendait impossibles les opérations courantes de gestion d'actifs.
Elle a aussi modifié l'article 3 bis pour restreindre le périmètre d'extension des tarifs réglementés de vente aux TPE qui ne sont pas encore éligibles.
Nous avons matière à une discussion apaisée et constructive. Restent deux points de désaccord. L'article 2 inscrit dans la loi que l'État détient 100 % d'EDF, ce qui donne le droit au Parlement de se prononcer sur toute ouverture du capital. Cela ne pose pas de problème. En revanche, vous prévoyez d'ouvrir 1,5 % du capital aux salariés et ex-salariés. Mais l'OPA n'est pas encore terminée : il serait étrange d'acheter des actions aux salariés pour les leur revendre ensuite. Au demeurant, la situation financière d'EDF ne le permet pas. Nous vous proposerons toutefois de laisser cette possibilité ouverte, sans la rendre automatique, et ce dès le 1er janvier 2024.
Par ailleurs, vous étendez les tarifs réglementés de vente de l'électricité (TRVE) à toutes les TPE.
M. Fabien Gay. - C'est bien !
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Mais cela coûte cher ! (M. Fabien Gay proteste.) Ce tarif avait vocation à protéger les particuliers et les TPE, qui ont une consommation faible. La consommation industrielle devait être aux tarifs de marché. Vous imposeriez une longue et complexe négociation avec la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et la Commission européenne, alors que notre objectif premier est de protéger les entreprises contre la crise énergétique.
Nous sommes évidemment en phase avec l'objectif de cette proposition de loi, telle qu'issue des travaux de la commission : un opérateur national de qualité pour les 77 prochaines années. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Emmanuel Capus et Pierre Louault applaudissent également.)
M. Gérard Longuet, rapporteur de la commission des finances . - Nous examinons, dans l'enthousiasme, une proposition de loi du député Philippe Brun - élu dans l'ancienne circonscription de Pierre Mendès France - adoptée à l'unanimité ou presque à l'Assemblée nationale. Toutefois, cette unanimité cache un profond malentendu, et la commission des finances a tenu à apporter des modifications substantielles.
Mayotte apparaît mystérieusement, dans une demande de rapport sur son électricité, détenue conjointement par l'État et le département. Soit - nous ne pouvions faire mieux dans les délais.
Le groupe Les Républicains soutient les entreprises. La commission des finances a considéré que nous pouvions faire sauter le verrou des 36 kilovoltampères (kVa), qui interdit à certaines TPE de bénéficier du bouclier tarifaire. Aller plus loin aurait été dangereux juridiquement, tant au regard des énergéticiens que de l'Union européenne.
L'auteur de la proposition de loi craint un démembrement d'EDF. Il faut le remercier, car il nous oblige à réfléchir sur le marché de l'électricité tel qu'il vient d'être secoué et tel qu'il peut évoluer. C'est ce marché européen qui doit donner aux dirigeants d'EDF des indications sur les libertés dont ils doivent jouir.
J'ai le plus grand respect pour Marcel Paul mais nous ne sommes plus en 1946. Le marché de l'électricité est libre pour la production et pour la vente aux consommateurs, petits et grands. Personne en Europe ne songe à supprimer cette liberté.
Entre 2015 et 2020, le prix spot moyen a évolué entre 35 et 40 euros du mégawatt - à tel point que l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) à 43 euros a été très peu sollicité.
Quelles sont les priorités ? Décarboner ou verdir ? Dans le premier cas, il faut s'appuyer sur le nucléaire ; dans le deuxième, le nucléaire se heurte aux mêmes problèmes de financement qu'aujourd'hui.
À la lumière de la tragique invasion de l'Ukraine, acceptons-nous de placer l'indépendance énergétique au rang prioritaire qui doit être le sien, sur la lancée du programme nucléaire lancé par MM. Pompidou et Messmer en mars 1974 ?
Peut-on imaginer une organisation du marché qui dépende moins du spot, donc moins du coût marginal de la dernière source mobilisée, en général la lignite allemande ? L'électricité ne se stockant pas, la régulation est impossible et les écarts de prix, spectaculaires, sont insupportables pour le consommateur.
Fiers de notre réalisation nucléaire, nous aimerions en profiter sans être entraînés par le coût marginal des centrales à gaz allemandes. Cette révision du marché n'est qu'un préalable.
Ensuite, le démembrement d'EDF existe en partie ! (M. Fabien Gay le confirme.) Le transport et la diffusion sont aux mains de RTE et d'Enedis, qui doivent rester indépendants de tout utilisateur du réseau.
J'en viens à l'Arenh.
M. Fabien Gay. - Ah !
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Il se termine en 2025. Faut-il le maintenir ? Faut-il imaginer un système « take or pay » comme pour une assurance, à la différence qu'avec l'Arenh, on paie après l'accident ! C'est beaucoup plus facile dans ce sens...
Des fournisseurs français sérieux souhaitent participer au financement du nucléaire français non pour exploiter, mais pour obtenir des droits de tirage.
Nous, législateurs, pourrions garantir l'approvisionnement par des contrats à long terme, que la Commission européenne refuse pour l'instant. Monsieur le ministre, voici un formidable combat à mener.
Cette proposition de loi est prématurée. Elle sera parfaite lorsque nous connaîtrons les règles du jeu définitives. Je propose donc une mesure conservatoire - capital à 100 % à l'État -, qui garantisse qu'EDF reste une fierté nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP et du RDPI)
M. Christian Bilhac . - Alors que le doute plane sur l'avenir d'EDF, les députés ont voté la nationalisation d'EDF. Le spectre d'Hercule n'est pas totalement dissipé. Ce projet consistait à diviser le groupe en trois entités, avec le risque de vendre par appartements les branches les plus rentables, selon la formule bien connue : socialiser les pertes et privatiser les profits.
À la clé, une croissance exponentielle du prix et de la consommation d'électricité, au rythme du développement d'activités énergivores comme le numérique et le tout-électrique automobile. Dans ce contexte, aggravé par la crise géopolitique, l'État doit garder la maîtrise des infrastructures stratégiques d'électricité.
D'autres facteurs doivent être pris en compte, tels que l'interaction entre les métiers de la filière, qui doit être garantie, et les conflits éventuels entre l'hydroélectricité et le refroidissement des centrales nucléaires.
La majorité sénatoriale a vidé la proposition de loi de sa substance. Rien ne justifie la suppression de l'article 1er. L'article 2, qui obligeait à passer par la loi pour privatiser les activités d'EDF...
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Elles sont privées.
M. Christian Bilhac. - ... a, lui aussi, été vidé de sa substance.
À titre personnel, sans rétablissement de l'article 1er, je ne voterai pas ce texte. Je n'oublie pas l'inquiétude des Français et du Gouvernement face au spectre des coupures d'électricité cet hiver.
Mme Christine Lavarde . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Sur la nationalisation, le groupe Les Républicains soutient le rapporteur. Nous ne disons pas que la question d'une garantie contre la privatisation ne se pose pas - je vous renvoie à notre position sur Aéroports de Paris (ADP). Toutefois, une montée au capital à 100 % est déjà prévue, moyennant 9,7 milliards d'euros, dans le cadre d'une OPA simplifiée (OPAS) au prix de 12 euros par action.
L'inconvénient est que cette OPAS échappe presque totalement au contrôle du Parlement. C'est ce que les députés Les Républicains ont fait valoir, même si la nationalisation n'est pas la solution à tout. L'OPAS étant en cours, il ne faut pas nationaliser.
Je n'oublie pas, cependant, que c'est votre majorité qui a voté l'abandon d'Astrid - je parle sous le contrôle du premier vice-président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). (M. le rapporteur le confirme.)
Monsieur le ministre, relancer le nucléaire est un défi technique, mais surtout financier. EDF est endettée à hauteur de 64,5 milliards d'euros, et les investissements pour le nouveau nucléaire sont très coûteux, alors qu'il faut aussi financer le grand carénage.
Selon Bercy, en mars 2021, construire six EPR coûterait jusqu'à 64 milliards d'euros en cas de scénario dégradé. J'ai cru comprendre, via une visioconférence de Jean-Bernard Lévy en janvier 2021, qu'EDF pourrait faire appel à des investisseurs étrangers ou aux fonds du livret A.
Nous ne nous opposons pas à l'OPAS, mais nous interrogeons sur le financement de notre indépendance énergétique et sur le devenir des actionnaires salariés.
L'État détient déjà 96 % du capital, tandis que 1,17 % reste aux mains des salariés. Rien n'empêche l'État de se retirer de la cote. Il fait face à un procès des petits actionnaires, qui jugent le prix de rachat des actions trop faible.
Dans les faits, le prix de 12 euros est une prime par rapport aux 7 euros atteints en janvier. Cependant, les salariés le comparent aux 25,60 euros auxquels ils ont acheté leurs actions - et auxquels il faut ajouter l'inflation. Ces 82 000 petits actionnaires souhaitent être maintenus au capital : la justice se prononcera le 2 mai.
C'est pourquoi la commission des finances a inscrit l'objectif de 100 % au 1er janvier 2024, dont 2 % pouvant être accordés aux salariés. J'avoue m'interroger sur la mise en oeuvre : l'OPA prévoyant 100 %, comment en rétrocéder une partie ? En outre, quelle serait la liquidité de l'action une fois l'entreprise hors cote ?
Par ailleurs, l'entreprise n'est pas profitable : elle accuse 18 milliards d'euros de pertes en 2022, et on ne sait pas ce qui suivra l'Arenh. Les salariés pourront-ils recevoir des dividendes au vu du besoin d'investissement ? EDF emprunte chaque année entre 1,5 et 3 milliards d'euros pour les verser. Par ailleurs, l'État, au lieu de toucher des dividendes, doit se contenter de rachats d'actions, pour préserver la trésorerie.
Si Hercule est abandonné, le groupe Les Républicains n'est pas opposé, par principe, à la poursuite du plan de cessions d'actifs jusqu'en 2024, dès lors que cela ne fait obstacle ni à l'indépendance énergétique ni à la décarbonation.
La réécriture de l'article 2 sécurise juridiquement le texte.
Les députés socialistes prévoyaient une extension des tarifs réglementés coûtant au moins 18 milliards d'euros selon le Gouvernement. Certes, nous accordons un crédit limité aux estimations de ce dernier, mais rappelons que le droit européen prévoit d'indemniser les fournisseurs vendant à perte. L'extension des TRVE aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) est aussi contraire au droit européen.
Nous rejoignons les auteurs de la proposition de loi sur l'objectif d'aider les petites entreprises, comme les boulangeries, et les collectivités territoriales. La suppression du seuil de 36 kVa est pertinente. Cela relève, me semble-t-il, du niveau réglementaire, bien plus facile à modifier.
Pour conclure, il manque une vision. On parle de briques - nucléaire, renouvelable, EDF -, mais quel est le plan du mur ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-François Husson. - Le Gouvernement a du travail ! (M. le ministre opine.)
M. Emmanuel Capus . - Le problème d'une entreprise nationale, c'est que sa stratégie dépend du calendrier électoral - contrairement aux cycles d'investissement industriel.
L'accord autour de la nationalisation d'EDF est rare. Depuis la Seconde Guerre mondiale, il n'y a eu que deux grands accords historiques : le Conseil national de la résistance - je suis sensible à la ferveur gaulliste des auteurs socialistes de la proposition de loi... - et le plan nucléaire de 1974, grande année ! (Sourires) La remarquable constance des gouvernements qui ont suivi a permis à EDF de bâtir un patrimoine hors du commun, qui a largement contribué à la prospérité de la France.
Les auteurs de la proposition de loi dressent un parallèle entre 1946 et 2023. Toutefois, nous sommes bien plus proches du premier choc pétrolier, avec une guerre dont nous subissons les conséquences. (M. Gérard Longuet acquiesce.) Comme il y a 50 ans, notre objectif est la souveraineté énergétique, fondée sur de nouveaux réacteurs.
Nos collègues socialistes reprochent au Gouvernement de nationaliser EDF pour mieux la saucissonner. C'est fort de café, alors que c'est sous Hollande que la filière nucléaire a été mise à mal...
MM. Éric Kerrouche et Franck Montaugé. - C'est faux !
M. Claude Raynal, président de la commission. - Trop facile...
M. Emmanuel Capus. - Une proposition de loi ne saurait garantir quoi que ce soit. Le Gouvernement veut nationaliser EDF et le Parlement le soutient. Le reste n'est que spéculation.
Notre groupe préfère la mouture de la commission, qui limite la portée du texte et le rend conforme au droit européen.
Alors que l'Europe a besoin d'union face à la Russie, la Chine et même les États-Unis, notre groupe se partagera entre le vote pour et l'abstention.
M. Daniel Breuiller . - Je salue la proposition de loi déposée par Philippe Brun à l'Assemblée nationale, qui s'inscrit pleinement dans notre dynamique écologiste de transition : renationaliser EDF pour en faire un outil stratégique puissant de la transition énergétique.
Bien sûr, la commission des finances a supprimé le premier article, qui actait une nationalisation, lui préférant une étatisation, et supprimé l'énumération des filiales, visant à s'opposer à un démantèlement : elle a décousu la proposition de loi. Le projet Hercule n'existe plus, mais il cache peut-être un Hercule bis. Quand on défend le nucléaire, on doit défendre un outil 100 % public.
Arenh, grand carénage, six nouveaux EPR : tout cela pèse sur les comptes déjà dégradés d'EDF, alors que l'opinion publique ne comprend rien aux tarifs de l'énergie.
L'énergie est un bien commun essentiel, comme l'eau. Les 15 % de reste à charge du bouclier tarifaire n'ont pas le même poids dans une passoire thermique et ailleurs. Une fois de plus, les plus modestes souffrent. Les bailleurs sociaux redoutent une hausse des impayés ; artisans et TPE-PME sont en difficulté. Nous soutenons la suppression du seuil de 36 kVa. Mais on pourrait attendre de la chambre des territoires le soutien à un tarif réglementé pour les collectivités.
Les écologistes alertent sur la fin de l'abondance depuis des années. Le tout-nucléaire n'est pas cohérent avec les rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) et la maîtrise des coûts souvent rappelés sur ces travées.
Il serait inadmissible de privatiser les pans rentables du groupe, selon la bonne vieille méthode libérale : privatiser les bénéfices, socialiser les pertes.
Enfin, à quel moment les Français ont-ils été associés aux décisions du Gouvernement ? Sont-ils d'accord pour financer de nouveaux EPR, après les 19 milliards d'euros de Flamanville ? Il faut un grand débat national.
M. Julien Bargeton . - Notre groupe votera contre ce texte. La démonstration du rapporteur est impressionnante, mais pourquoi voter un texte vidé de toute substance ?
Avec l'OPAS, le Gouvernement a déjà répondu à la demande de nationalisation, qui ne se justifie plus ; la commission à l'Assemblée nationale avait déjà changé l'intitulé, et proposé un prix de rachat plus élevé, à 14 euros, ce qui aurait coûté 1,5 milliard d'euros de plus aux finances publiques. Dans sa sagesse, le Sénat a donc supprimé l'article 1er.
Sur le caractère unifié du groupe, malgré l'abandon d'Hercule, on fait des procès d'intention au Gouvernement. L'article 2, largement amendé, n'apporte rien de nouveau.
Le TRVE faisait initialement l'objet d'une rédaction contraire au droit européen. Le rapporteur propose donc un dispositif très restreint. Mais ce qui reste du texte est squelettique - qui plus est, le squelette est incomplet ! Plus de nationalisation, plus de statut, plus aucune réponse à l'objet de la loi initiale. (MM. Fabien Gay et Victorin Lurel renchérissent.) Notre groupe s'opposera à ce texte privé de substance.
M. Victorin Lurel . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) À deux jours près, nous fêtions l'anniversaire de la loi du 8 avril 1946. J'ai rêvé d'une connivence de pensée entre les bancs de gauche et de droite de l'Assemblée nationale et nos travées. Nous aurions pu nous considérer comme les héritiers du Conseil national de la résistance, prolongé, par exemple, par le plan Messmer de 1974 et ses 56 réacteurs. Ainsi, le prix moyen de l'électricité était inférieur de 28 % à la moyenne européenne : 17 centimes le KWh, contre 28 en Allemagne, d'où un avantage compétitif appréciable.
Las ! Mon rêve sombre dans les marécages de l'idéologie. Deux visions orthogonales s'affrontent. L'étatisation n'est pas la nationalisation. Le texte de Philippe Brun avait du souffle et une âme : nationaliser, c'est transférer les moyens de production, mais aussi décider de leur utilisation en faveur des citoyens et de la Nation.
Or, depuis 2000, on n'a cessé d'ouvrir des fenêtres : aux salariés, aux filiales, à l'hybridation - bref, une privatisation rampante. Les députés socialistes ont entendu insuffler une âme nouvelle au groupe EDF. Ne confions pas notre souveraineté énergétique à une technostructure qui se soumet.
Monsieur le rapporteur, je suis triste que nous n'ayons pu trouver ce consensus. La nationalisation, ce n'est pas l'affaire de l'Europe, qui ne s'intéresse qu'à l'ouverture du marché et pour qui, curieuse sémantique, si monopole il y a, le marché doit être contestable.
Le problème est national, et Philippe Brun a proposé une arme nationale. Nationaliser EDF, c'est réarmer la France. Une entreprise verticalement intégrée, c'est un nouveau ministère de la défense ! Mais nous passons à côté, par idéologie, avec la tarification au coût marginal du lignite allemand. On change le mode de calcul en refusant le TRVE, qui bénéficierait à tous.
Il faut nationaliser EDF, définir le périmètre, éviter les scissions et revitaliser le TRVE. Notre vote dépendra du sort réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Fabien Gay . - La crise énergétique n'est pas due qu'à la guerre en Ukraine, et il ne suffira pas de délier les prix du gaz et de l'électricité ou d'ajuster le marché européen au profit de l'Allemagne. C'est le résultat de l'Europe libérale, de la fracturation d'EDF, de la spéculation, de l'Arenh, ce racket organisé sur le dos d'EDF et des usagers, qui affaiblit la capacité d'investissement de l'entreprise, enrichit les acteurs alternatifs et casse les tarifs réglementés.
Ce bilan est le vôtre et celui des libéraux, qui ont voulu faire de l'énergie une marchandise comme une autre, alors qu'elle doit être sortie du marché et considérée comme un bien commun. La droite sénatoriale est à l'offensive, dans les mots : souveraineté, indépendance, protection des collectivités. Mais, pour les actes, il n'y a plus personne.
M. Jean-François Husson. - Si !
M. Fabien Gay. - Revenir aux tarifs réglementés pour les collectivités? Refusé. Sortir du marché européen, faire valoir l'exception nucléaire ? Refusé. Quant à cette loi sur la renationalisation d'EDF, vous l'amputez de son ambition initiale : celle d'un groupe unifié, avec des actifs non cessibles, pour éviter toute réactivation d'Hercule.
La solution ne viendra pas de vos mesurettes : 77 ans après l'oeuvre de Marcel Paul, résistant, déporté, ministre communiste, il faut une nouvelle loi de nationalisation de tout le secteur énergétique.
Il faut préparer l'avenir, car vos échecs et vos renoncements nous conduisent dans le mur. Vos 50 milliards d'euros de boucliers tarifaires et autres filets de sécurité n'auront profité qu'aux acteurs alternatifs rapaces.
Travaillons dès maintenant à un grand projet, digne de Marcel Paul, pour un groupe public sous forme d'Epic, regroupant EDF mais aussi Engie et TotalEnergies, nationalisés à 100 %, qui s'appellerait GEDF, Groupe Énergie de France. Cela coûterait environ 100 milliards d'euros, soit le double de ce que vous avez gaspillé l'an dernier.
Ce groupe intégré assurerait la production, le transport et la distribution, mettrait fin à l'Arenh et rétablirait les tarifs réglementés, qui sont la condition de la protection des particuliers, des entreprises et de notre compétitivité face aux États-Unis et à l'Asie.
Le statut des IEG, étendu à tous les travailleurs de la filière, est la condition pour retenir les talents dans notre pays.
Marcel Paul avait demandé à ses enfants de protéger cette entreprise. Vous qui avez tout détruit, vous nous trouverez sur votre route, avec ses petits et arrière-petits enfants, prêts à tout reconstruire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER ; M. Daniel Breuiller applaudit également.)
M. Michel Canévet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Roger Karoutchi et Jean-François Husson applaudissent également.) Je remercie le rapporteur pour la pertinence de ses analyses. Ce texte aborde la politique énergétique de notre pays. Malgré les récents projets de loi sur les énergies renouvelables et sur le nucléaire, le débat n'est pas clos. Le groupe UC est attaché à un mix énergétique permettant d'assurer notre souveraineté. Nous devons aussi nous intéresser aux gaz renouvelables et à toutes les formes de production énergétique. M. le ministre sait combien l'énergie est cruciale pour la compétitivité de nos entreprises ! (M. le ministre opine.)
Je ne partage pas du tout les propos de M. Gay.
M. Fabien Gay. - Ça me rassure ! (Sourires)
M. Michel Canévet. - Un système monolithique ne permettra pas de répondre aux défis : il faudra des solutions multiples, ce qui suppose un grand nombre d'opérateurs.
La nationalisation d'EDF coûtera 8 milliards d'euros. N'aurait-il pas mieux valu utiliser cet argent pour moderniser notre parc de production ? La décision est prise, nous en prenons acte.
Dans l'esprit de la loi Pacte, le groupe UC est favorable à l'actionnariat salarié. Notre rapporteur avait su trouver un juste compromis, que nous préférons à l'amendement du Gouvernement.
L'extension du TRVE ne doit pas contrevenir aux règles européennes. La proposition du rapporteur, qui fait sauter le verrou des 36 kVA, tient compte des réalités du terrain - boulangers, TPE et PME le demandent. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Françoise Gatel. - Très bien !
Discussion des articles
ARTICLE 1er (Supprimé)
M. Franck Montaugé . - Deux approches s'affrontent : la vision très libérale de M. Longuet, qui laisse la porte ouverte à des cessions ultérieures, et la nôtre, centrée sur la souveraineté. Nous voulons garder EDF et toutes ses filiales dans le giron de l'État : production, transports, distribution, services tels que les imports-exports d'électricité. Vous avez laissé entendre que ces derniers avaient été permis par le marché européen ; en réalité, ils existaient bien avant !
Rendre l'État propriétaire de 100 % du capital n'empêchera pas les cessions ultérieures de filiales : vous ne fermez pas la porte à un éventuel Hercule bis. Nous porterons des amendements pour un groupe public unifié réellement nationalisé.
M. Victorin Lurel . - Nous voulons la nationalisation d'EDF, qui n'est pas une simple entreprise, mais une arme et un bouclier. Penser qu'une OPAS suffira à garantir la cohérence du groupe et à prévenir les dérives est illusoire. Il faut une nationalisation telle que prévue par le Préambule de 1946, pour faire d'EDF un bien commun, qui oeuvre au bénéfice de la Nation. Nous voulons préserver le coeur de métier d'EDF.
Mme la présidente. - Amendement n°2, présenté par M. Lurel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
La société Électricité de France est nationalisée.
M. Victorin Lurel. - Nous voulons consolider et unifier le groupe. Je le répète : nous tenons à la nationalisation.
Mme la présidente. - Amendement identique n°8, présenté par M. Gay et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Fabien Gay. - En rachetant les actions des actionnaires minoritaires, vous ne faites qu'une réétatisation, pour sortir EDF des cours boursiers. EDF sera donc une entreprise...
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Nationalisée.
M. Fabien Gay. - ... détenue à 100 % par l'État, mais ce sera toujours une SA, une holding, ce qui ne vous empêchera pas de filialiser et de céder des actifs, comme Enedis ou Dalkia. Ce n'est pas une nationalisation.
Je le dis à mes collègues socialistes : nous devrions ajouter à la nationalisation la transformation de la SA en Epic, qui seule offre les garanties nécessaires en termes de statut. Revenons à la rédaction de l'Assemblée nationale.
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Avis défavorable.
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Avis défavorable.
M. Franck Montaugé. - Nous devons nationaliser pour éviter tout démembrement d'EDF. Les 2 % de capital détenus par les salariés posent problème : vous allez fragiliser l'hydroélectricité et rouvrir le débat sur la mise en concurrence des concessions hydrauliques - au risque de conduire à un premier démantèlement.
Ce n'est pas une petite affaire, et le risque juridique est avéré. Nous avons besoin d'éclaircissements de la part du rapporteur et du ministre. Les conséquences pourraient être considérables.
M. Daniel Breuiller. - Je comprends le choix d'une étatisation d'EDF. Sa situation actuelle - coûts du grand carénage et des nouveaux EPR, même largement sous-estimés - suppose un financement par le contribuable. Mais cela n'a rien à voir avec le projet de nationalisation. Vous faites un autre choix. Je voterai les amendements de mes deux collègues. Il nous faut un vrai débat sur la politique énergétique de notre pays, qui ne soit pas saucissonné...
M. Fabien Gay. - Monsieur le ministre, vous engagez-vous devant le Parlement à ne céder aucun actif, comme Dalkia et Enedis ? Oui ou non ? Puisque vous n'avez pas de projet caché, dites-le !
À la demande du groupe Les Républicains, les amendements identiques nos2 et 8 sont mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°261 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Pour l'adoption | 99 |
Contre | 239 |
Les amendements identiques nos2 et 8 ne sont pas adoptés.
L'article 1er demeure supprimé.
ARTICLE 2
Mme la présidente. - Amendement n°3, présenté par M. Lurel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Rédiger ainsi cet article :
L'article L. 111-67 du code de l'énergie est ainsi rédigé :
« Art. L. 111-67. - L'entreprise dénommée « Électricité de France » est un groupe public unifié composé de la société « Électricité de France SA » et de l'ensemble de ses filiales directes et indirectes. Ses activités sont les suivantes :
« 1° La production, le transport dans les zones non interconnectées et en Corse, la distribution, la commercialisation, l'importation et l'exportation d'électricité ;
« 2° Le développement, la construction, l'exploitation et la maintenance des sources d'énergie hydraulique, nucléaire, renouvelable et thermique ;
« 3° La prestation de services énergétiques ;
« 4° Le transport, hormis dans les zones non interconnectées et en Corse, assuré en toute indépendance opérationnelle et stratégique vis-à-vis de la société Électricité de France SA, notamment par la société Réseau de Transport d'Électricité.
« Son capital est détenu intégralement par l'État. Il est incessible. »
M. Victorin Lurel. - Nous voulons rétablir le texte de l'Assemblée nationale et délimiter le périmètre du groupe public unifié, à une nuance près : sur le transport, nous voulons voir EDF conserver sa présence capitalistique dans RTE, tout en respectant l'indépendance stratégique de celle-ci, afin de nous conformer au droit européen.
Mme la présidente. - Amendement n°9, présenté par M. Gay et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Rédiger ainsi cet article :
L'article L. 111-67 du code de l'énergie est ainsi rédigé :
« Art. L. 111-67. - L'entreprise dénommée « Électricité de France » est un groupe public unifié, verticalement intégré, composé de la société « Électricité de France SA » et de l'ensemble de ses filiales directes et indirectes.
« Ses activités sont les suivantes :
« 1° La production, le transport, la distribution, la commercialisation, l'importation et l'exportation d'électricité ;
« 2° Le développement, la construction, l'exploitation et la maintenance des sources d'énergie hydraulique, nucléaire, renouvelable et thermique ;
« 3° La prestation de services énergétiques.
« Son capital est détenu intégralement par l'État ou, dans la limite de 2 % du capital, par des personnes salariées de l'entreprise. Il est incessible. »
M. Fabien Gay. - Comme l'a dit le rapporteur, le groupe est déjà désintégré. Faisons le bilan de la libéralisation. Enedis transporte, mais il y a une perte pendant le transport : Enedis doit donc racheter de l'électricité, non pas à EDF mais à ses concurrents directs, au tarif de l'Arenh, pour la réinjecter dans le réseau et servir ces mêmes concurrents... Quel chef-d'oeuvre d'aberration ! Quand on voit ce que cela aura coûté aux usagers...
Je répète ma question : y aura-t-il des cessions d'actifs, comme Dalkia et Enedis ?
Mme la présidente. - Amendement n°10, présenté par M. Gay et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Rédiger ainsi cet article :
L'article L. 111-67 du code de l'énergie est ainsi rédigé :
« Art. L. 111-67. - L'entreprise dénommée « Électricité de France » est un groupe public unifié, verticalement intégré, composé de la société « Électricité de France SA » et de l'ensemble de ses filiales directes et indirectes.
« Toutes orientations stratégiques tendant à modifier la structure du capital, le caractère unifié du groupe ou l'organisation interne d'Électricité de France exige l'approbation du Parlement. »
M. Fabien Gay. - Défendu.
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Avis défavorable aux trois amendements. Je reconnais la volonté du groupe socialiste de tenir compte des réalités d'un marché désormais parfaitement concurrentiel, ce que personne ne songe à remettre en cause.
M. Fabien Gay. - Si, nous !
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Vous êtes très minoritaires, en France et en Europe...
Certes, le système nucléaire est unitaire. Mais le thermique ne l'est pas : Saint-Avold ou Gardanne n'appartiennent pas à EDF. En ce qui concerne les énergies renouvelables, les producteurs se comptent par milliers. Certains sont très importants, d'autres très petits : vous ne les priverez plus de la liberté de produire. M. Breuiller a la passion des économies locales et circulaires, qui passent par des réseaux autonomes, jaloux de leur indépendance. La production électrique est certes dominée par EDF, et je m'en réjouis, mais elle n'est plus monopolistique : Enedis et RTE doivent rester indépendants pour assurer la loyauté de leurs services et l'équité de traitement des producteurs indépendants.
Au Conseil européen de Barcelone, en 2002, la France était représentée par Lionel Jospin, qui n'est pas un dangereux libéral.
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Avis défavorable. Si nous dépensons 10 milliards d'euros pour détenir 100 % du capital, ce n'est pas pour faire des cessions dans la foulée.
Cela dit, la priorité d'EDF est de restaurer sa crédibilité financière, ce qui passe par la cession de certains actifs marginaux, à hauteur de 3 milliards d'euros. Ces amendements fragiliseraient la consolidation d'EDF.
Vous pourrez auditionner le nouveau PDG d'EDF. Sa feuille de route comprend trois objectifs : restauration des capacités opérationnelles, consolidation financière, priorisation des investissements.
Nous ne pouvons pas nous engager à avoir une entreprise complètement gelée : ce n'est pas conforme au droit européen et RTE doit rester indépendant.
Enfin, les pertes d'électricité d'Enedis sont rachetées non sur le marché mais à EDF, au prix de l'Arenh.
M. Fabien Gay. - Non, c'est interdit !
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Je vous enverrai les textes.
L'Arenh, que vous critiquez tant, permet aux industriels français d'être compétitifs grâce à une électricité payée à prix coûtant.
J'espère que nous trouverons un système de remplacement favorable à la réindustrialisation de la France. (M. Fabien Gay s'exclame.)
M. Franck Montaugé. - J'espère que la feuille de route du nouveau PDG d'EDF va dans le sens de notre amendement, qui respecte le droit européen concernant RTE et Enedis.
La question des 2 % de capital des salariés est un problème majeur. Nous voulons une réponse, monsieur le ministre.
M. Fabien Gay. - Tout le monde s'assoit sur le droit européen, sauf nous : Portugais, Espagnols ont eu des dérogations, et les Allemands viennent de nous tordre le bras pour favoriser leur industrie à notre détriment ! Cela ne gêne personne. Nous sommes les derniers à rester dans les clous. (M. le ministre le conteste.)
Personne ne peut dire que la réforme du marché européen sera favorable à l'industrie française.
Mme Lavarde vous a interrogé sur les 60 milliards d'euros de dettes d'EDF. Vous en êtes en partie responsables. L'Arenh+ a coûté 8,4 milliards d'euros l'an dernier. On continue à biberonner les alternatifs, à dépecer EDF, à racketter les usagers... Et pour se désendetter, va-t-on accélérer la cession des actifs qui rapportent le plus, Dalkia et Enedis ?
M. Victorin Lurel. - L'Arenh présente certes des avantages, mais EDF accepte des prix de rachat pénalisants, pour une énergie déjà subventionnée, et qui plus est intermittente. Je ne suis pas sûr que cela profite à l'industrie française.
À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°3 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°262 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l'adoption | 100 |
Contre | 239 |
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
L'amendement n°9 n'est pas adopté,
non plus que l'amendement n°10.
Mme la présidente. - Amendement n°14, présenté par M. Gay et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
I. - Alinéa 2
Remplacer le mot :
national
par les mots :
général, verticalement intégrée,
II. - Après l'alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Toutes orientations stratégiques tendant à modifier la structure du capital, le caractère unifié du groupe ou de l'organisation interne d'Électricité de France exige l'approbation du Parlement. »
M. Fabien Gay. - Nous souhaiterions qu'à défaut de redevenir un Epic, EDF puisse au moins devenir une société anonyme d'intérêt général, comme la Compagnie nationale du Rhône.
M. Gérard Longuet, rapporteur. - La commission n'a pas adopté cet amendement. Avis défavorable.
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Même avis.
L'amendement n°14 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°19 rectifié, présenté par le Gouvernement.
I. - Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
et sont ajoutés les mots : « ou dans la limite de 2 % du capital, par des personnes salariées et des anciens salariés de l'entreprise »
II. - Alinéas 4 à 6
Supprimer ces alinéas.
III. - Alinéa 8
Remplacer les mots :
et les deuxième à avant-dernier alinéas du 2° du I entrent
par les mots :
du I entre
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Cet amendement rend possible un actionnariat salarié au sein de l'entreprise, même si ce n'est ni souhaitable ni même envisageable, à court terme. Les salariés feraient une très mauvaise opération, et ce serait totalement anachronique, alors que l'État est précisément en train d'acquérir la totalité du capital, y compris celui détenu par l'actionnariat salarié - nous attendons seulement que les recours soient jugés début mai.
Cet amendement est toutefois rendu indispensable par l'article 1er, si nous voulons qu'à terme, d'ici quelques années, l'entreprise puisse envisager de développer l'actionnariat salarié sans repasser par la loi.
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Cette affaire est très sensible. Nous avons un immense respect pour l'entreprise EDF, ce qui nous a conduits à voter en commission un amendement de M. Lurel qui fait d'EDF une entreprise d'intérêt national. Quelque 82 000 salariés sont ou ont été actionnaires de l'entreprise, ce qui conforte une image de communauté.
La commission avait proposé de permettre l'actionnariat salarié, sur une période courte. Or nous avons trop d'incertitudes quant à l'avenir à court terme d'EDF, même s'il est certain que la décarbonation augmentera la consommation d'électricité, et que l'entreprise qui a cinquante ans d'expérience du nucléaire est bien placée pour conquérir de nouvelles positions.
Y aura-t-il des contrats d'achat de long terme ? Des contrats par différence ? Des droits de tirage obtenus par le financement d'une part de centrale nucléaire, comme le fait Exeltium ? Je l'avais mis en place en tant que ministre de l'industrie, au siècle dernier. Il faut répondre à ces questions avant d'engager les économies des salariés dans ce qui reste une aventure !
Sagesse positive donc.
Mme la présidente. - Je vous rappelle que le temps de l'espace réservé est encadré.
M. Franck Montaugé. - Nous n'avons pas eu de réponse claire sur les conséquences juridiques de cet amendement sur les concessions hydrauliques, au regard du droit européen.
Pour nous, c'est une torpille lancée contre le groupe, qui conduira à détacher l'hydraulique. Peut-être est-ce votre intention ?
S'il reste une part de capital non détenue par l'État, la question se posera. Les territoires apprécieront peu de voir les concessions hydrauliques mises en concurrence.
Mme Christine Lavarde. - L'explication du ministre ne m'a pas rassurée. Selon l'exposé des motifs, l'amendement vise à ce que les anciens salariés ne soient pas obligés de vendre leurs titres au moment où ils quittent l'entreprise ; mais je croyais que vous vouliez que l'État acquière 100 % du capital, pour financer les investissements ?
Je comprends qu'on veuille faire quelque chose pour les salariés d'EDF, qui ont fait l'histoire du groupe, mais il faut être clair.
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Rendre l'actionnariat salarié optionnel ou obligatoire ne change rien aux problématiques que vous soulevez, monsieur Montaugé. Je vous apporterai une réponse écrite.
Si le tribunal nous donne raison, l'État achètera les 5 % du capital restant et détiendra 100 % du capital, point. Si, dans quelques années, la situation de l'entreprise est meilleure, cet amendement l'autorisera à ouvrir son capital à ses salariés sans repasser devant le Parlement.
Nous voulons reproduire pour l'avenir des droits qui existaient dans l'accord d'actionnariat salarié actuel, dont celui de conserver les actions après le départ à la retraite.
M. Fabien Gay. - L'actionnariat salarié, on le voit, est plus compliqué que ce qu'on nous vend, vous qui voulez même le substituer au salaire ! (M. le ministre le conteste.)
L'actionnariat salarié n'est pas historique à EDF : il a été instauré en 2005, pour compenser l'ouverture du capital. Les 130 000 salariés qui avaient alors acquis des actions ont perdu de l'argent, puisque des actions achetées 30 euros devront être revendues 11 ou 12 euros. C'est pourquoi ils vous attaquent. La décision prise sur les 20 térawattheures supplémentaires a fait perdre 8,4 milliards d'euros et fait chuter le prix de l'action, ce qui vous a permis d'acheter les actions à 11 euros.
Vous êtes en train de spolier les actionnaires salariés, et vous allez leur revendre des actions demain ? Personne n'y comprend rien.
M. Michel Canévet. - Le groupe UC est très attaché à l'actionnariat salarié et au partage de la valeur.
Les propositions du rapporteur nous semblaient aller dans le bon sens, mais, au vu de nos débats, nous nous abstiendrons.
À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°19 rectifié est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°263 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 209 |
Pour l'adoption | 183 |
Contre | 26 |
L'amendement n°19 rectifié est adopté.
À la demande du groupe Les Républicains, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°264 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 315 |
Pour l'adoption | 216 |
Contre | 99 |
L'article 2, modifié, est adopté.
APRÈS L'ARTICLE 2
Mme la présidente. - Amendement n°18, présenté par M. Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 111-67 du code de l'énergie, il est inséré un article L. 111-67-... ainsi rédigé :
« Art. L. 111-67-.... - I. - Une autorisation législative est nécessaire pour toute opération de réorganisation du groupe "Électricité de France", dont la société "Électricité de France" est l'entité de tête, visant ses activités dites coeur de métier d'électricien national, qui sont au coeur des enjeux de souveraineté électrique du pays, soit :
« 1° Les activités de production d'électricité sur le territoire national ;
« 2° Les activités de commercialisation d'électricité sur le territoire national ;
« 3° Les activités de sa filiale gestionnaire des réseaux publics de distribution issue de la séparation entre les activités de gestion de réseau public de distribution et les activités de production ou de fourniture exercées par "Électricité de France" en application de l'article L. 111-57 ;
« 4° Sa participation dans le gestionnaire du réseau public de transport d'électricité mentionné à l'article L. 111-40.
« II. - La notion d'opération de réorganisation mentionnée au I du présent article recoupe exclusivement les opérations suivantes :
« 1° Filialisation de l'activité de production d'électricité sur le territoire national aujourd'hui directement exercée par la société "Électricité de France" dans le cadre de filiales indirectes ou de filiales non contrôlées ;
« 2° Filialisation de l'activité de commercialisation d'électricité sur le territoire national aujourd'hui directement exercée par la société "Électricité de France" dans le cadre de filiales indirectes ou de filiales non contrôlées ;
« 3° Cession conduisant la société "Électricité de France" à détenir directement moins de 80 % du capital du gestionnaire des réseaux publics de distribution d'électricité ;
« 4° Opération visant à faire perdre au gestionnaire des réseaux publics de distribution d'électricité le statut de filiale directement contrôlée par la société "Électricité de France" ;
« 5° Cession conduisant la société "Électricité de France" à détenir moins de 50 % du capital du gestionnaire du réseau public de transport d'électricité ;
« 6° Modification substantielle de l'objet social ;
« 7° Dissolution de la société "Électricité de France" et des sociétés mentionnées aux 3° et 4° du I du présent article visant à l'étendre à de nouvelles activités ;
« 8° Fusion-absorption de la société "Électricité de France" et des sociétés mentionnées aux 3° et 4° du I du présent article visant à l'étendre à de nouvelles activités. »
M. Franck Montaugé. - Nous appelons tous à renforcer notre souveraineté : c'est au peuple et à ses représentants de décider des questions qui engagent la vie de la Nation.
Depuis 75 ans, EDF est au coeur de la compétitivité de notre économie ; elle le reste en dépit des difficultés entraînées par le marché européen, dont on peine à voir les effets positifs.
Cette entreprise doit rester un levier fort dans le contexte de la transition énergétique. Le Parlement doit donc être saisi de toute opération de réorganisation la concernant.
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Avis défavorable, car il n'appartient pas au législateur de diriger au quotidien une société nationale ou un Epic. À chacun son métier : le Parlement a vocation à contrôler le Gouvernement.
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Même avis.
À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°18 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°265 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l'adoption | 100 |
Contre | 239 |
L'amendement n°18 n'est pas adopté.
ARTICLE 3 (Supprimé)
Mme la présidente. - Amendement n°4, présenté par M. Lurel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Au 1er juillet 2023, si l'offre publique d'achat simplifiée de la société dénommée « Électricité de France » initiée par l'État français portant le visa n° 22-464 n'a pas été menée à son terme, une commission administrative nationale d'évaluation présidée par le premier président de la Cour des comptes et composée du Gouverneur de la Banque de France, du président de la section des finances du Conseil d'État, du président de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation et d'un membre du Conseil économique, social et environnemental désigné par le président de cette assemblée est chargée de fixer la valeur d'échange à cette date des actions de la société dénommée « Électricité de France ».
M. Victorin Lurel. - Rétablissons la rédaction de l'Assemblée nationale pour cet article relatif à l'indemnisation des actionnaires, en nous inspirant du précédent de 1946. Je ne suis pas certain que l'OPA simplifiée aboutira : il y a des possibilités de recours, et nous ne sommes pas maîtres du calendrier judiciaire. Une mesure législative de nationalisation nous éviterait une impasse.
M. Gérard Longuet, rapporteur. - L'article 1er ayant été supprimé, avis défavorable.
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Même avis.
M. Emmanuel Capus. - Si EDF est dans la situation actuelle, ce n'est pas parce qu'elle n'était pas une entreprise nationale, mais parce que la filière nucléaire a été malmenée par des gouvernements socialistes sous l'influence de groupes écologistes. (Protestations à gauche) Il faut quand même le rappeler !
M. Claude Raynal, président de la commission. - Provocation !
M. Emmanuel Capus. - Heureusement, une grande majorité de nos concitoyens et des groupes parlementaires ont conscience de la nécessité de relancer le nucléaire.
M. Jean-François Husson. - C'est vrai !
M. Fabien Gay. - Bref, c'est la faute de l'extrême gauche...
L'amendement n°4 n'est pas adopté et l'article 3 demeure supprimé.
ARTICLE 3 BIS
Mme la présidente. - Amendement n°16, présenté par M. Gay et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Rédiger ainsi cet article :
I. - Le premier alinéa de l'article L. 337-6 du code de l'énergie est ainsi rédigé :
« Les tarifs réglementés de vente d'électricité sont définis en fonction des caractéristiques intrinsèques du mix de production français et des coûts liés à ces productions, des importations et exportations, des coûts d'acheminement de l'électricité, des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale de l'activité de fourniture. »
II. - L'ensemble des consommateurs finals domestiques et non domestiques peuvent souscrire une offre aux tarifs réglementés définis à l'article L. 337-6 du code de l'énergie.
M. Fabien Gay. - Cet amendement et les deux suivants portent sur les TRVE : il s'agit de modifier leur méthode de calcul et de les appliquer à toutes les collectivités territoriales et PME ou, à titre de repli, aux collectivités territoriales qui en font la demande.
Sur les 60 milliards d'endettement d'EDF, j'aimerais savoir combien sont dus à l'Arenh, créé en 2010 - et pas par un gouvernement socialiste.
Sur 90 opérateurs alternatifs, il n'a que deux producteurs réels : Engie et TotalEnergies. Les 88 autres sont des facturateurs, des suceurs de sang d'EDF : si l'on suspendait l'Arenh, ils tomberaient. Même un député Renaissance demande la suspension urgente de l'Arenh et le retour au tarif réglementé. Preuve que ceux qui travaillent sur la question se rendent compte de l'ineptie du système.
Plus il y a d'Arenh, moins il y a d'écrêtement. Ainsi, les alternatifs se fournissent à 70 % sur l'Arenh, à 40 euros, et achètent le reste sur le marché, parfois à 400 ou 500 euros le MWh, avec un pic à 1 200 euros en août dernier. Depuis cinq ans, on prend en compte pour le calcul des TRVE la part achetée au prix du marché par les acteurs alternatifs. Résultat : ces tarifs ne correspondent plus aux coûts réels, ils paient les dividendes des acteurs alternatifs.
C'est pour cela que les tarifs réglementés augmentent depuis 2017. Revenons à un tarif réglementé calculé sur la base des coûts et finissons-en avec l'Arenh, qui rackette EDF comme les usagers.
Mme la présidente. - Amendement n°13, présenté par M. Gay et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Rédiger ainsi cet article :
L'article L. 337-8 du code de l'énergie est ainsi rédigé :
« Art. L. 337-8. Les tarifs réglementés de vente de l'électricité mentionnés à l'article L. 337-1 bénéficient, à leur demande :
« 1° Aux consommateurs finals domestiques et non domestiques pour leurs sites situés dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental ;
« 2° Aux consommateurs finals non domestiques qui emploient moins de dix personnes et dont le chiffre d'affaires, les recettes ou le total de bilan annuels n'excèdent pas 2 millions d'euros ;
« 3° Aux collectivités territoriales, à leurs groupements et à leurs établissements publics ;
« 4° Aux consommateurs finals non domestiques qui emploient moins de 250 personnes, qui ont un chiffre d'affaires annuel n'excédant pas 50 millions d'euros ou un total de bilan n'excédant pas 43 millions d'euros. »
M. Fabien Gay. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement n°12, présenté par M. Gay et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
.... - Le même article L. 337-7 est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« .... - Par dérogation au présent article, les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics bénéficient à leur demande des tarifs réglementés de vente d'électricité mentionnés à l'article L. 337-1. »
M. Fabien Gay. - Défendu.
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Avis défavorable à ces trois amendements, qui vont contre les accords européens transposés en droit français. On a envie d'aider tout le monde, mais ce serait très coûteux...
En outre, cela impliquerait de casser des contrats de fournisseurs qui seraient fondés à se retourner contre le Gouvernement, lui demandant un remboursement - ce qui coûterait bonbon.
Enfin, le calcul des TRVE dépend d'un complexe lissage dans le temps - Mme Lavarde pourrait l'expliquer mieux que moi. Il faut un recul de douze mois pour établir de nouveaux TRVE : ce n'est pas praticable, d'où la suppression des 36 kVa.
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Nous considérons cet article comme un cavalier. La commission l'a limité aux TPE, ...
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Toutes les TPE !
M. Roland Lescure, ministre délégué. - ... énergo-intensives, comme les boulangeries, ou non, ce qui limite le coût du dispositif. Cependant, vous exposez les finances d'EDF ou celles de l'État à un marché très volatil ; or nous sommes d'accord pour préserver les premières et nous savons que les secondes ne sont pas dans un état brillant.
Le dispositif présenté par Philippe Brun à l'Assemblée nationale coûtait 20 milliards : 200 euros d'écart entre le prix de marché et le tarif réglementé, pour 100 TWh. Le vôtre ne coûte que 1 milliard d'euros, soit 50 euros d'écart sur 20 TWh. Mais si, demain ou après-demain, le prix de marché explose, le coût de la mesure explosera aussi.
Le bouclier tarifaire est critiqué, mais il a fonctionné. Nous continuerons à soutenir les ménages et les entreprises.
M. Victorin Lurel. - Monsieur Capus, en 1996 comme en 2003, il s'agissait d'une directive. En 2009 puis en 2010, nous n'étions pas au pouvoir.
Il faut revoir l'ensemble du système, notamment les marchés de l'électricité en Europe. (M. le ministre acquiesce.) Nous sommes tributaires de l'Allemagne, ce qui n'était pas le cas au moment du plan Messmer, et notre avantage nucléaire profite à d'autres. Nous venons de perdre le combat pour la taxonomie et l'aide aux réacteurs classiques...
Dans ce contexte, une entreprise nationale unifiée est une urgence mobilisatrice !
M. Jean-François Husson. - Monsieur le ministre, il n'y a pas que les boulangeries. Il faut envoyer un message aux TPE. Certains fournisseurs leur ont annoncé ne plus pouvoir tenir les tarifs contractuels, avec une multiplication par six, sept ou huit. Des nouveaux contrats, parfois triennaux, ont été signés, et l'opérateur refuse désormais d'y toucher. Soyons clairs : soit le fournisseur revoit ses conditions, soit l'État compense.
M. Franck Montaugé. - Nous avions déposé deux amendements, déclarés irrecevables au titre de l'article 45 de la Constitution, pour limiter l'Arenh à 100 TWh et porter le TRVE de 42 à 49,50 euros. Les règles européennes le permettent désormais : quand le Gouvernement le fera-t-il ?
M. Emmanuel Capus. - Je n'ai pas le temps de répondre à M. Lurel, mais je partage avec lui le constat que nous avons besoin d'une filière nucléaire d'excellence, qui nous permette de céder de l'électricité à nos voisins.
Il est difficile d'être contre l'extension du tarif réglementé... Mais nous devons rester raisonnables, surtout lorsque nous siégeons à la commission des finances : nous parlons d'argent public.
L'article 3 bis ne figurait pas dans le texte initial et ressemble fort à un cavalier législatif.
D'autre part, quel que soit le payeur, c'est le contribuable qui assumera en fin de compte. Ce dispositif aurait donc dû être jugé irrecevable au titre de l'article 40.
L'article 3 bis relèverait davantage d'un projet de loi de finances, dans le cadre duquel il ferait l'objet d'une étude d'impact sérieuse.
M. Fabien Gay. - Les tarifs réglementés ont existé pendant 50 ans pour tout le monde : cela ne marchait pas trop mal, et personne ne s'en plaignait...
M. le rapporteur nous rappelle aux règles européennes, mais tout le monde y déroge. Pourquoi ne pas le faire pour protéger les collectivités territoriales et les petites entreprises ? Nous ne sommes qu'au début de la crise, les factures vont continuer à pleuvoir. Au 30 juin prochain, 5 millions de particuliers perdront le bénéfice des tarifs réglementés du gaz : laisserons-nous faire ?
Oui, monsieur le ministre, cela coûte cher. Mais, alors que vous estimiez le retour aux TRVE à 60 milliards d'euros, cela n'a coûté que 3,5 milliards, là où vous jetiez 80 milliards à la poubelle au profit des fournisseurs alternatifs.
M. Daniel Breuiller. - Je voterai ces propositions, dont je conviens qu'elles auraient leur place en projet de loi de finances. M. Capus nous prête un bien grand pouvoir... Il me semble que 50 milliards d'euros de grand carénage et 56 milliards pour six EPR, ce ne sont pas de petites sommes : par comparaison, 3 milliards d'euros pour les TRVE semblent acceptables !
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Le Gouvernement pense aussi que cet article est un cavalier.
Monsieur Gay, il serait trop long de vous répondre aussi sur le gaz ; nous avons beaucoup à dire sur l'électricité. Vous pourrez revenir sur ces sujets dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie.
Le bouclier tarifaire, que vous proposez d'élargir à toutes les TPE, a limité la hausse des prix à 15 %, pour un coût de 30 milliards d'euros l'année dernière et de 45 milliards cette année. Le plafond de 280 euros le mégawatt, qui s'applique aux entreprises hors TRVE ayant dû renégocier leur contrat, s'impute directement sur leurs factures.
L'amortisseur pour les PME et les collectivités territoriales prend en charge 50 % du surcoût au-delà du seuil de 180 euros par mégawatt, pour un coût annuel de 2 à 3 milliards d'euros.
Les mesures que nous avons prises ont eu des résultats - les entreprises ont plutôt bien passé la crise -, mais nous ont coûté beaucoup d'argent.
L'amendement n°16 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos13 et 12.
L'article 3 bis n'est pas adopté.
(M. le rapporteur s'en étonne.)
APRÈS L'ARTICLE 3 BIS
Mme la présidente. - Amendement n°15, présenté par M. Gay et Mme Lienemann.
Après l'article 3 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Avant le 31 août 2023, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant avec précision le coût du bouclier tarifaire.
M. Fabien Gay. - Nous demandons un rapport pour évaluer le coût du bouclier tarifaire. Monsieur le ministre, confirmez-vous les montants de 20 milliards d'euros pour 2022 et 37 milliards pour 2023 ? Reconnaissez-vous que l'État indemnise ainsi les fournisseurs alternatifs ?
Des boulangers se sont vu proposer des contrats à 2 000 ou 3 000 euros le MWh. Or les énergéticiens se fournissent à 40 euros par MWh : ils réalisent déjà des bénéfices avec le plafond de 280 euros par TWh, et en plus vous les indemnisez... (M. Rémi Cardon abonde.) Ainsi, le boulanger est racketté deux fois : par l'augmentation de sa facture et comme contribuable. Ce scandale a coûté 50 milliards d'euros !
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Avis défavorable, car nous entendons réaliser ce rapport nous-mêmes. La commission des finances a chargé Mme Lavarde d'un contrôle budgétaire sur la question. Certains acteurs ont gagné à ce système : combien ont-ils contribué en retour ? (Mme Françoise Gatel renchérit.) Je pense à certains producteurs d'énergies renouvelables, dont les coûts n'ont pas augmenté et qui bénéficient de prix délirants.
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Même avis. Le projet de loi de finances sera le moment d'en débattre. Monsieur Gay, c'est le consommateur ultime, même industriel, qui bénéficie de l'Arenh, pas le distributeur. (M. Fabien Gay proteste.)
L'amendement n°15 n'est pas adopté.
Rappel au Règlement
M. Patrick Kanner. - Mon rappel au Règlement se fonde sur l'article 44 bis et l'exigence de sincérité des débats - cela rappellera des choses à certains d'entre nous !
Le groupe SER souhaitait voter l'article 3 bis, dont le vote a fait l'objet d'une incompréhension. Peut-être pourrions-nous procéder à une seconde délibération ?
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Je ne vois pas d'autre possibilité...
Mme la présidente. - Acte est donné de votre rappel au Règlement. Nous verrons les suites qu'il convient de lui donner à l'issue de la discussion des articles.
ARTICLE 3 TER
Mme la présidente. - Amendement n°5, présenté par M. Lurel et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Rédiger ainsi cet article :
Dans les six mois qui suivent la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur le calendrier et les étapes de mise en oeuvre d'une nationalisation de la société Électricité de Mayotte, dont Électricité de France est actionnaire minoritaire.
M. Victorin Lurel. - Cet amendement précise une demande de rapport qui concerne Mayotte, et sur laquelle un avis de sagesse a été émis en commission.
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Il est exact que la commission a émis un avis de sagesse sur la première version de cette demande de rapport. Mais je suis gêné par le fait que vous visiez un calendrier de mise en oeuvre, considérant ainsi que la question de la nationalisation est résolue. À titre personnel, je ne suis pas favorable à votre amendement.
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Avis défavorable, même si, comme vous le savez, le Gouvernement adore produire des rapports... La nationalisation envisagée est sans rapport avec la nationalisation d'EDF, dont la participation au sein d'Électricité de Mayotte est minoritaire.
Mme Christine Lavarde. - Pourquoi les auteurs de cet amendement s'intéressent-ils à Électricité de Mayotte, dont l'actionnariat est déjà largement public ? Pourquoi ne pas traiter d'autres entreprises locales de distribution, comme Électricité de Strasbourg ou l'Usine d'électricité de Metz ? (M. le ministre acquiesce.) Je ne voterai pas l'amendement, surtout dans cette nouvelle rédaction qui est absconse.
M. Victorin Lurel. - Mayotte est une zone non interconnectée. Par ailleurs, il y a une forme de continuité historique : en 1975, le président Giscard d'Estaing a nationalisé les sociétés locales de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane et de La Réunion, qui avaient la même structure de capital que celle de Mayotte. Enfin, il y avait une ambiguïté, aujourd'hui levée, sur les TRVE en outre-mer. Certes, la nouvelle rédaction considère qu'il faut nationaliser et demande qu'on étudie un calendrier. Je rappelle l'avis de sagesse donné en commission.
À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°5 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°266 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Pour l'adoption | 100 |
Contre | 236 |
L'amendement n°5 n'est pas adopté.
L'article 3 ter est adopté.
Mme la présidente. - Je vais suspendre la séance pour quelques instants, afin d'examiner les suites à donner au rappel au Règlement de M. Kanner.
La séance, suspendue à 18 h 30, reprend à 18 h 35.
Seconde délibération
M. Claude Raynal, président de la commission. - Madame la présidente, je sollicite une nouvelle suspension de séance, très brève, pour réunir la commission des finances, afin qu'elle statue sur la seconde délibération de l'article 3 bis.
La séance est suspendue quelques instants.
M. Claude Raynal, président de la commission. - La commission demande une deuxième délibération sur l'article 3 bis, en application de l'article 43, alinéa 4, de notre Règlement.
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Avis défavorable : le résultat de la première délibération me semblait satisfaisant... (Sourires)
M. Emmanuel Capus. - Je croyais que nos collègues de gauche s'étaient rendu compte qu'il s'agit d'un cavalier législatif. Cette seconde délibération est presque un passage en force ! (On rit de bon coeur.)
Sur le fond, on ne supprime pas l'effet de seuil, on ne fait que le décaler. Cette seconde délibération n'est donc pas opportune, madame le président.
Mme la présidente. - Mon cher collègue, veuillez m'appeler « madame la présidente ».
La seconde délibération est ordonnée.
Mme la présidente. - La commission a déposé un amendement visant à rétablir l'article 3 bis.
Amendement n°A-1, présenté par M. Longuet, au nom de la commission
Rédiger ainsi cet article :
Au I de l'article L. 337-7 du code de l'énergie, après les mots : « à leur demande », les mots : « , pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères » sont supprimés.
M. Gérard Longuet, rapporteur. - Il s'agit de revenir au texte de la commission.
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Avis défavorable.
L'amendement n°A-1 est adopté et l'article 3 bis est ainsi rédigé.
À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°267 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 329 |
Pour l'adoption | 206 |
Contre | 123 |
La proposition de loi est adoptée.
Rappel au Règlement
M. Roger Karoutchi. - Rappel au Règlement sur l'organisation de nos travaux. Imaginons-nous terminer l'examen du texte avant 20 heures, terme de l'espace réservé au groupe SER ?
Mme la présidente. - Compte tenu des suspensions de séance, la fin de l'espace réservé est fixée à 20 h 10. Nous devons avancer vite.
Loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences, présentée par M. Éric Kerrouche et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de loi constitutionnelle . - Nous souscrivons entièrement à l'opinion du rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », Loïc Hervé, qui préconisait de décliner des objectifs pluriannuels de fiscalité locale au sein d'une loi de finances ou de financement.
Notre idée de proposition de loi de financement des collectivités est partagée par plusieurs acteurs : l'Association des maires de France (AMF) en 2018, puis en 2022 à l'occasion de l'élection présidentielle et le 14 mars 2023 dans un communiqué de presse ; les maires, favorables à 80 % à une loi de financement spécifique d'après une consultation de 2019 ; la Cour des comptes, dans une position affirmée en 2013, 2016 et 2018 ; les rapporteurs de la mission flash de l'Assemblée nationale sur l'autonomie des collectivités territoriales en 2018 ; enfin, M. Karoutchi, qui a présenté une proposition de loi constitutionnelle dont le texte est comparable au nôtre. (M. Roger Karoutchi le conteste.)
La révision constitutionnelle de 2003 n'a pas permis de préserver l'autonomie financière des collectivités : elle a été « un rendez-vous manqué, une illusion », selon le professeur de droit public Michel Bouvier.
Aucune des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) soulevées à ce sujet n'a trouvé grâce aux yeux du Conseil constitutionnel : le principe d'autonomie financière des collectivités a été vidé de son sens.
La part de fiscalité se réduit au profit de dotations de l'État. Les dernières dispositions de la loi de finances pour 2023 l'ont montré, avec la disparition programmée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Le système est de plus en plus illisible.
La Cour des comptes évoque une « sédimentation historique des recettes » qui entrave l'action des collectivités locales, privées de visibilité sur les décisions de dotation d'investissement.
L'éparpillement des mesures budgétaires et fiscales ayant un impact sur les finances locales ajoute à la confusion qui s'est installée dans les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales. Le premier souhaite faire payer aux secondes les dépenses qu'il ne veut plus assumer.
La demande d'une loi de financement des collectivités locales est historiquement ancrée : je pense à Olivier Guichard en 1976, repris dans le rapport Lambert-Malvy.
Il s'agit d'un outil de transparence et de prévision pour les collectivités territoriales et d'une clarification utile des responsabilités de chacun.
La loi de financement des collectivités locales, à l'instar du projet de loi de financement de la sécurité sociale, s'agrégerait au budget de l'État ; elle constituerait le troisième pilier du budget.
Il y va de la sincérité de nos débats parlementaires en matière budgétaire. Les dépenses des collectivités représentent 20 % du budget national, 57 % de l'investissement public. Un tel texte mettrait fin à l'infantilisation des collectivités locales par l'État et créerait un espace de dialogue bienvenu.
Certains dénoncent des problèmes d'harmonisation avec le projet de loi de finances, mais les versements de l'État à la sécurité sociale retracés dans le projet de loi de finances n'empêchent pas l'examen d'une loi de financement de la sécurité sociale. Quant à l'argument d'une atteinte à la libre administration, celle-ci est déjà malmenée par les multiples gels de dotations et les contrats de Cahors.
Il ne s'agit pas de fixer un plafond de dépenses : le parallèle avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale n'est pas pertinent.
Quant à l'argument de la possibilité pour l'exécutif d'utiliser le 49.3, elle est déjà bien réelle, comme nous avons pu le constater...
Enfin, madame la rapporteure, nous sommes prêts à travailler avec vous à une loi organique, en déclinant la proposition de loi constitutionnelle de M. Karoutchi que vous avez cosignée.
La garantie d'une compensation dynamique dans le temps des transferts de compétences, second volet de notre texte, est une demande réitérée des collectivités territoriales. Le Sénat l'avait intégrée dans le projet de loi 3DS sur notre initiative, mais elle en avait été retirée en CMP.
Ce texte vise surtout à réaffirmer le rôle des collectivités locales dans le cadre de la République décentralisée. Nous devons travailler ensemble, de manière transpartisane. Sortons de la verticalité et du rapport de défiance entre l'État et les collectivités. Ce serait une avancée pour la démocratie et les libertés locales. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe SER)
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois . - Il y a quarante ans, les lois Deferre fondaient la décentralisation ; vingt ans plus tard, celle-ci entrait dans la Constitution avec le nouveau principe d'organisation décentralisée de la République. Les deux principes ainsi consacrés, l'autonomie financière et la libre administration, ne vont pas l'un sans l'autre.
Or, et c'est un constat que nous partageons, l'autonomie fiscale et financière des collectivités est insuffisante. Dans un contexte de crise et d'inflation, nous ne pouvons pas faire l'économie de ces sujets, ne serait-ce que pour éviter un fléchissement de l'investissement local.
La marge de manoeuvre diminue de tous les côtés : amoindrissement des recettes, avec la suppression de la taxe d'habitation et de la CVAE, et limitation des dépenses avec les contrats de Cahors accompagnés d'une opacification dans les modalités d'attribution des dotations.
De plus, l'émiettement des mesures budgétaires et fiscales touchant les collectivités dans le projet de loi de finances nuit à une appréhension globale des relations financières entre l'État et ces dernières.
Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de remédier aux nombreux défauts du cadre constitutionnel en cette matière.
Cette proposition de loi crée une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et une meilleure application du principe « qui décide paie », cher à la présidente Gatel.
Je partage ces objectifs, mais les mesures proposées présentent des difficultés opérationnelles et juridiques.
Plusieurs personnes auditionnées, dont les associations d'élus, se sont interrogées sur la pertinence d'une loi de financement, qui ne figure pas parmi leurs demandes. D'autant qu'un tel texte n'empêcherait pas une modification annuelle des concours financiers de l'État, conformément au principe d'annualité.
De plus, comme l'ont signalé élus locaux et professeurs de droit, ce serait donner au Gouvernement un nouvel outil procédural pour limiter encore davantage l'autonomie des collectivités territoriales. Il aurait à sa disposition le 49.3 utilisable à volonté pour les textes financiers, et les ordonnances si le Parlement ne respectait pas le délai maximal d'examen fixé par la Constitution pour ces textes.
En outre, il y a des écueils juridiques et pratiques - difficulté d'isoler les ressources des collectivités de celles de l'État, nécessité de tirer les conséquences de toute loi de financement sur les recettes et les charges de l'État en loi de finances - qui en relativisent la portée.
Enfin, sujet le plus irritant : la proposition de loi constitutionnelle vise les collectivités territoriales et leurs groupements. Or ces derniers ne sont pas des collectivités, et ne bénéficient pas des mêmes garanties financières. Le texte modifierait donc des équilibres institutionnels.
En revanche, je ne peux qu'être favorable au réexamen régulier des compensations et de l'amélioration de leurs modalités, qui traduit le principe selon lequel qui décide, paie. Cependant, de telles dispositions figuraient déjà dans un texte voté par le Sénat et transmis à l'Assemblée nationale, qui peut à tout moment l'inscrire à son ordre du jour.
Je ne peux donc que vous inviter à rejeter cette proposition de loi, qui répond de manière insuffisante aux enjeux, largement explorés par la proposition de loi de Philippe Bas.
Traitons ces questions dans le cadre du groupe de travail transpartisan initié par le président du Sénat et dont le rapporteur est le président Buffet.
Je forme le voeu que nous continuions à cheminer ensemble, convaincue que l'autonomie financière des collectivités territoriales est une condition indispensable de l'effectivité de la décentralisation.
M. Charles Guené, rapporteur pour avis de la commission des finances . - Bien qu'elle se soit prononcée contre cette proposition de loi, la commission des finances partage le diagnostic qui a présidé à son écriture. Le manque de prévisibilité et la sous-évaluation des compensations des compétences transférées sont avérés.
Un projet de loi de financement des collectivités territoriales, solution séduisante à première vue, est en réalité une fausse bonne idée qui pourrait donner au Gouvernement un nouvel outil de contrainte financière. De plus, il impliquerait de sortir les concours aux collectivités territoriales - 107 milliards d'euros - de la loi de finances, et notre commission ne saurait accepter une telle atteinte à son périmètre. Dans le cas contraire, l'effectivité serait limitée.
Nous devrions plutôt nous attacher à une nouvelle gouvernance des finances locales, via une plus forte association des collectivités territoriales aux décisions qui portent sur leur fiscalité.
Cela pourrait passer, comme le mentionne la Cour des comptes, par une réflexion sur la composition et le champ d'action du Comité des finances locales. Qu'en pense le Gouvernement ?
En revanche, je suis favorable à la proposition de compensation dynamique des transferts de compétences. La commission des finances y avait déjà donné un avis favorable dans le cadre de la proposition de loi constitutionnelle adoptée par le Sénat - une nouvelle adoption serait donc superflue. Cela suppose toutefois d'objectiver les charges des collectivités territoriales au titre des différentes compétences.
La commission des finances a donc émis un avis défavorable à cette proposition de loi constitutionnelle.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Quarante-et-un ans nous séparent de l'adoption de la loi de décentralisation de 1982, dans un pays dont l'histoire est tant marquée par le jacobinisme ; et depuis vingt ans, notre Constitution proclame que l'administration de la République est décentralisée.
Je sais ce que cela représente pour votre Haute Assemblée, attachée à la démocratie locale. Le Sénat a ainsi formé un nouveau groupe de travail sur la décentralisation, sur une initiative du président Larcher que je salue. Il se penchera sur les relations financières entre État et collectivités territoriales et sur la différenciation territoriale.
Le Gouvernement est à l'écoute. Plusieurs réunions ont été organisées à l'initiative du Président de la République avec les associations d'élus pour évoquer la réforme des institutions, l'approfondissement de la décentralisation et l'autonomie financière des collectivités.
Les attentes sont claires : plus de clarté, plus de continuité, de responsabilité pour les collectivités, à condition qu'elles disposent de moyens juridiques et financiers à la hauteur des compétences transférées.
Les propos de la rapporteure Agnès Canayer reflètent la situation des collectivités territoriales. Si le ratio d'autonomie financière des collectivités est historiquement élevé, à 70 %, certains élus locaux demandent plus de visibilité, d'autres une réforme des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales.
Alors que l'article 72-2 de la Constitution dispose que tout transfert de compétences doit s'accompagner d'une compensation équivalente à la charge créée, certaines collectivités voient leurs charges augmenter fortement.
D'où ce texte qui crée une loi de financement des collectivités territoriales et garantit une compensation financière des transferts de compétences, avec un réexamen régulier des ressources transférées.
La création d'une loi de financement des collectivités territoriales a été proposée par le rapport Lambert-Malvy de 2014 et par trois rapports de la Cour des comptes (M. Didier Marie le confirme), qui y voit un « instrument efficace au service de la gouvernance des finances locales ».
Un tel instrument aurait l'avantage d'offrir un espace de discussion parlementaire dédié aux finances locales. Toutefois, il est déjà possible de faire suivre d'un débat au Parlement la remise du rapport prévu à l'article 7 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) sur les évolutions des finances publiques locales et sur les conséquences du projet de loi de finances sur celles-ci. Le premier débat de ce genre a été organisé à l'occasion du projet de loi de finances pour 2023.
Le champ matériel de ces lois de financements serait exclusif de celui des lois de finances. Or de nombreuses dispositions ont une incidence à la fois sur le plan national et local. Serait-il judicieux, dans ces circonstances, de scinder les deux volets ; serait-ce même possible ? Une telle dissociation nuirait à l'information du Parlement, dans un calendrier budgétaire encore plus restreint par l'ajout d'un troisième texte financier.
Enfin, il n'est pas certain que ce nouvel instrument soit adapté à l'objectif que nous partageons tous : donner aux collectivités territoriales une visibilité suffisante.
Cette proposition de loi prévoit par ailleurs un mécanisme de réexamen périodique des compensations financières - or les collectivités sont déjà prémunies par le principe d'autonomie contre une dégradation excessive de leur situation financière du fait de l'évolution des charges. Le Conseil constitutionnel a réaffirmé dans deux décisions du 30 juin 2011 que les mécanismes de compensation doivent être suffisants pour que ne soit pas entravée la libre administration des collectivités.
Au demeurant, la mesure présente des difficultés méthodologiques. Un tel mécanisme nécessiterait un examen des relations financières au niveau global, mais aussi individuel, car les charges dépendent aussi des choix locaux de gestion, qui relèvent de la libre administration des collectivités.
Le Gouvernement n'est donc pas favorable à l'adoption de cette proposition de loi, même si les pistes qu'elle présente ne sont pas à balayer d'un revers de main, loin de là. Mais il y en a d'autres, à commencer par la différenciation territoriale. La réflexion doit se poursuivre, comme en témoignent les travaux du groupe de travail récemment constitué par le président Larcher, aux résultats desquels le Gouvernement sera particulièrement attentif.
Vingt ans après la constitutionnalisation de la décentralisation, nous devons poursuivre notre réflexion commune sur les collectivités territoriales, pour qu'elles continuent à exercer pleinement leurs missions au service des Français. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Guylène Pantel . - Ce texte n'est pas le premier du genre, puisque le Sénat a adopté une proposition de loi constitutionnelle sur le même thème en 2020. Citons aussi les travaux de la mission d'information sur l'impact des décisions réglementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités locales, dont je suis rapporteure.
Contrairement à la sécurité sociale, les collectivités territoriales ne font pas l'objet d'une loi de financement spécifique : les relations financières avec l'État sont abordées dans les deux parties du projet de loi de finances. Le volet « dépenses » d'une loi de financement des collectivités territoriales n'aurait qu'un caractère indicatif, conformément au principe de libre administration.
Un projet de loi de financement des collectivités territoriales permettrait un meilleur suivi des compensations, qui est une revendication des associations d'élus. Mais le transfert du projet de loi de finances vers un tel texte ne devrait-il pas s'accompagner d'une réduction équivalente de la durée d'examen du projet de loi de finances ?
Le RDSE votera cette proposition de loi constitutionnelle, dont le rejet en commission s'explique par des considérations plus politiques que techniques. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER)
M. Antoine Lefèvre . - MM. Malvy et Lambert préconisaient déjà en 2014 un projet de loi de financement des collectivités territoriales pour remédier à la défiance entre les collectivités et l'État. Près d'une décennie plus tard, le constat demeure.
Le 24 juillet 1991, le Conseil constitutionnel soulignait que « les ressources des collectivités ne doivent pas être réduites au point d'entraver leur libre administration ». Or elles ne cessent de diminuer, au profit de compensations sur lesquelles elles n'ont pas de prise.
Baisse de la DGF, perte de la taxe d'habitation, de la CVAE : bien souvent, les communes doivent compenser par la fiscalité sur les particuliers ou par des coupes budgétaires.
Avec ce texte, M. Kerrouche propose un cadre juridique nouveau pour y remédier, en mettant fin à l'émiettement des dotations de l'État qui contrevient à la clarté et la sincérité des débats parlementaires.
Une loi de finances consacrerait la place des collectivités dans notre édifice institutionnel. Toutefois, cette intuition se heurte à notre cadre constitutionnel.
Ainsi, enchâsser les finances locales dans la Lolf offre au Gouvernement le droit de recourir au 49.3, d'atrophier les débats avec le temps limité prévu à l'article 47, de prendre des ordonnances en cas de dépassement de ce délai, de recourir aux lois rectificatives et de règlement.
Loin d'un nouveau souffle, nous risquons un nouveau carcan. Le lieu d'un débat annuel sur les dépenses des collectivités pourrait être une loi d'orientation et de programmation, plus compatible avec le cadre européen. En outre, fédérer toutes ces contributions dans le projet de loi de finances serait une immense valeur ajoutée.
Il faut un séisme institutionnel pour les territoires. Le président Larcher a défendu des ressources stables, prévisibles et bâties sur le consensus. Continuons à donner à la démocratie locale les moyens de son épanouissement. Le groupe Les Républicains salue l'intention à l'origine de la proposition de loi mais ne la votera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Emmanuel Capus . - Les élus locaux sont inquiets : ils craignent de ne plus pouvoir agir sur le terrain, alors que c'est la raison de leur engagement. Avec l'inflation, la fiscalité locale et la crise démocratique, ils se sentent empêchés. C'est le rôle du Sénat que de les défendre.
Cette proposition de loi constitutionnelle a donc le mérite de poser le sujet de l'autonomie financière. Avec une loi de financement spécifique, il s'agit de formaliser les relations financières entre l'État et les collectivités. L'idée n'est pas nouvelle, elle a été évoquée à droite et à gauche, et la Cour des comptes s'y associe. Le serpent de mer continuera tant que nous n'aurons pas purgé le débat.
Mais c'est une fausse bonne idée, qui renforcerait la dépendance des collectivités à l'État. La suppression de la taxe d'habitation et de la CVAE continue d'interroger les collectivités, mais rappelons qu'il s'agissait de supprimer des impôts injustes : dans le premier cas, il n'y avait pas de lien entre la taxation et le revenu ; dans le second, nos entreprises industrielles étaient pénalisées. Le choix de la compensation dynamique par une fraction de TVA a sécurisé les ressources des collectivités.
Certes, une loi de finances ferait apparaître les compensations de façon plus lisible. Cependant, examiner les flux sans discuter des impôts qui affectent l'économie revient à réduire les collectivités à des postes de dépenses. Et penser en grands agrégats n'offre aucune garantie sur les cas particuliers.
Un examen à la hussarde dans un texte coincé entre PLF et PLFSS appauvrirait les débats et centraliserait la gestion des problématiques locales. Nous préférons faire confiance aux élus pour changer les choses sur le terrain.
M. Guy Benarroche . - Les auteurs de la proposition de loi souhaitent répondre aux demandes des élus, à l'heure de l'urgence climatique, alors que le manque de lisibilité freine l'action des collectivités et l'articulation locale des stratégies nationales.
Le candidat Jadot prônait une loi de financement des collectivités territoriales pour approfondir la décentralisation dans le sens de la démocratie, de la justice territoriale et de l'écologie. L'enjeu est important alors que les collectivités doivent investir dans la transition écologique.
Le GEST votera cette proposition, en demeurant vigilant sur les modalités de sa mise en oeuvre. (Mme Catherine Di Folco applaudit.)
M. Julien Bargeton . - Ce texte reprend un amendement de M. Kerrouche à la proposition de loi constitutionnelle de Philippe Bas sur les collectivités territoriales. Le rapporteur Mathieu Darnaud s'y était opposé, et le groupe de travail constitué par le Président Larcher ne l'a pas repris.
En revanche, l'idée d'un débat d'orientation des finances locales a été reprise dans la loi organique de modernisation de la gestion des finances publiques, sous l'égide d'Éric Woerth et de Laurent Saint-Martin.
Il est paradoxal, venant de parlementaires opposés à la contractualisation entre État et collectivités, de vouloir aller plus loin avec une loi de financement.
M. Éric Kerrouche. - Cela n'a rien à voir !
M. Julien Bargeton. - Qui peut le plus peut le moins... De plus, une loi de financement donnerait systématiquement le dernier mot à l'Assemblée nationale : est-ce vraiment le souhait du Sénat ?
La comparaison avec les lois de financement de la sécurité sociale est périlleuse : elles ont été instaurées, en 1996, avec l'objectif de rétablir l'équilibre financier de la sécurité sociale. Antoine Lefèvre a parlé à juste titre de carcan... Le législateur en ferait ce qu'il veut.
M. Didier Marie. - C'est aussi vrai pour les lois de finances !
M. Julien Bargeton. - Le RDPI n'y est pas favorable.
Second objectif du texte : garantir la compensation des transferts de compétences. La Cour des comptes rappelle, en 2021, que les recettes des collectivités sont plus dynamiques que les dépenses, avec 4,7 milliards d'euros d'excédent. Les collectivités ne participent qu'à hauteur de 0,15 point à l'aggravation du déficit public. Pourquoi ? Parce que les transferts aux collectivités ont été adossés à la TVA, qui s'est, du moins jusqu'à présent, montrée dynamique.
Rappelons enfin que sous François Hollande, les transferts aux collectivités ont baissé de 11 milliards d'euros... Par contraste, nous avons ajouté, en 2022, 320 millions d'euros à l'enveloppe normée de la DGF, fixée en 1996 ; et je ne reviens pas sur le filet de sécurité, le bouclier fiscal, l'amortisseur, etc.
Enfin, je souscris aux réserves exprimées par Charles Guené au nom de la libre administration des collectivités. Le RDPI votera contre ce texte. (M. Emmanuel Capus applaudit.)
Mme Cécile Cukierman . - Je suis frustrée de voir ainsi tronqué un débat aussi important, qui aurait mérité des explications et des échanges.
Le texte du groupe SER répond aux exigences des élus locaux sur le financement des collectivités. Au manque de moyens s'ajoutent les multiples crises que nous traversons depuis quelques années.
L'idée d'une loi de finances dédiée est séduisante, mais les élus attendent avant tout de la prévisibilité, pour anticiper les besoins des populations. Nous craignons que l'article 1er ne renforce le caractère autoritaire de la mainmise de l'État sur la gestion des collectivités, dont les besoins sont estimés à 100 milliards d'euros à la suite de décennies de désengagement de l'État. Ce n'est pas en encadrant les dépenses que nous y répondrons.
Après les différentes suppressions de taxes et d'impôts...
M. Julien Bargeton. - Tant mieux !
Mme Cécile Cukierman. - ... les collectivités n'ont plus que la taxe foncière pour unique recette.
Le problème, dans notre pays, est que nous payons trop de taxes et pas assez d'impôts.
Une loi de programmation relative aux collectivités territoriales nous aurait semblé plus pertinente, pour répondre aux enjeux de financement mais aussi de transparence.
Il serait en outre judicieux de prévoir un temps de débat sur les finances locales lors de l'examen du projet de loi de finances, qui regrouperait l'ensemble des dépenses affectées aux collectivités, avec un jaune budgétaire correspondant.
Cette proposition de loi traite du transfert de compétences, souvent non compensé. Nous aurions aimé débattre de chaque article et expliquer notre opposition à l'article 1er mais nous renoncerons à nos interventions pour que le texte puisse être examiné jusqu'au bout.
Pour éviter un 49.3 sur les collectivités, nous nous abstiendrons.
Mme Françoise Gatel . - Je salue l'initiative d'Éric Kerrouche, dont le constat est pertinent et largement partagé. Le financement des collectivités territoriales est un sujet existentiel. La conduite de l'action publique nécessite lisibilité et visibilité, or elle est soumise à des convulsions budgétaires, à l'émiettement des financements, au dérapage des coûts des compétences transférées et à des ajouts de normes à l'insu du plein gré des collectivités territoriales. Or quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup. Cela semble aussi être le cas de votre proposition de loi.
Le principe de l'autonomie atteint ses limites, vous avez raison. Votre diagnostic est bon, mais pas votre remède. Votre bonne intention risque de paver l'enfer des collectivités. Une loi de financement des collectivités territoriales ressemblerait fort à une loi de financement de la sécurité sociale, dont l'effet est de plafonner les dépenses. Cher Éric Kerrouche, je ne doute pas de votre succès auprès de Bercy et de la Cour des comptes, car vous réinventez les léonins contrats de Cahors.
Nous adhérons à la révision du coût des transferts, selon le principe « qui décide paie », au point que le Sénat l'a déjà adoptée en 2020.
M. Didier Marie. - Déjà trois ans !
Mme Françoise Gatel. - Nous attendons que l'Assemblée nationale s'en empare.
Les travaux du Sénat, comme la mission d'information demandée par le RDSE sur les finances des collectivités et le groupe de travail transpartisan conduit par le président Larcher, approfondiront notre réflexion.
Partageant votre diagnostic mais non votre prescription, le groupe UC rejettera votre texte. (MM. Patrick Kanner et Emmanuel Capus applaudissent.)
M. Julien Bargeton. - La conclusion est très bonne !
M. Roger Karoutchi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Pour ma part, si je peux voter l'article 1er de la proposition de loi constitutionnelle, ce n'est pas le cas de l'article 2. Si nous insistons trop sur la compensation à l'euro près, les gouvernements impécunieux, de gauche comme de droite, seront tout prêts à transférer des compétences et à promettre de les compenser intégralement, ce qui n'arrive jamais. Mieux vaut se battre pour l'autonomie fiscale et financière des collectivités territoriales, donc pour des recettes issues de réels impôts locaux.
Quand le budget va bien, tout va bien. Quand il est moins bon, les collectivités sont la variable d'ajustement.
Beaucoup d'associations d'élus, comme celle des maires d'Île-de-France, sont favorables à l'idée d'une loi de financement inscrite dans la Constitution. C'est que les gouvernements, de gauche comme de droite, ont supprimé des financements locaux - taxe professionnelle...
M. Julien Bargeton. - Ça, c'est vous !
M. Roger Karoutchi. - ... taxe d'habitation, CVAE -...
M. Julien Bargeton. - Ça, c'est nous !
M. Roger Karoutchi. - ... sans le moindre état d'âme ni considération pour les collectivités. Il n'y a eu aucun débat de fond au Parlement.
Je ne voterai pas votre proposition de loi, en raison de l'article 2, mais le Sénat doit formuler une proposition commune. Je suis favorable à une inscription dans la Constitution. À tout le moins, trouvons une solution pour que les collectivités ne soient pas seules face au pouvoir exécutif. Battons-nous pour l'autonomie fiscale. Rendons aux collectivités des ressources fiscales propres plutôt que des compensations virtuelles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Françoise Gatel. - Très bien.
Discussion des articles
L'article 1er est adopté.
ARTICLE 2
Mme la présidente. - Amendement n°1 rectifié bis, présenté par M. Capus, Mme Paoli-Gagin, MM. Chasseing, Decool, Guerriau, Lagourgue et A. Marc, Mme Mélot et MM. Menonville, Wattebled et Verzelen.
Rédiger ainsi cet article :
Après la première phrase de l'avant-dernier alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, il est inséré une phrase ainsi rédigée : « Toutes les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement portant sur un transfert de compétences entre collectivités territoriales sont recevables au titre de l'article 40. »
M. Emmanuel Capus. - L'interprétation actuelle de l'article 40 de la Constitution nous empêche de déposer des amendements transférant des compétences entre collectivités territoriales. Le Sénat, représentant les collectivités, ne peut donc être force de proposition.
Le rapport Marini de 2014 précise que les transferts de charges sont entendus comme la création d'une charge devant être compensée par la diminution d'une autre. Or cette jurisprudence méconnaît gravement le principe de neutralité budgétaire imposé par l'article 72-2 de la Constitution. Un transfert, s'il est compensé, ne crée en réalité aucune charge. L'article 40 ne doit donc pas s'appliquer.
M. Charles Guené, rapporteur. - En l'état du droit, l'article 40 s'oppose sans ambiguïté à tout transfert de compétences, car celui-ci crée une charge pour le destinataire. Pour autant, les présidents des commissions des finances ont adopté une jurisprudence favorable à l'initiative parlementaire, admettant par exemple des transferts au sein d'une catégorie de collectivités ou une délégation.
Avis défavorable, d'autant que vous introduisez dans la Constitution un cas de dérogation unique à l'article 40, ouvrant ainsi la voie à des débats sans fin.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Même avis.
M. Emmanuel Capus. - Monsieur le rapporteur, certains de mes amendements au projet de loi 3DS avaient été déclarés irrecevables au motif qu'ils créaient une charge, ce qui n'était pas le cas, car de tels transferts de compétences sont intégralement neutres pour l'État. Nous nous tirons une balle dans le pied. Il n'y a aucun risque financier. Il est logique d'inscrire cette disposition dans la Constitution. L'interprétation actuelle de l'article 40 est beaucoup trop rigoriste.
L'amendement n°1 rectifié bis n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté.
La proposition de loi constitutionnelle est mise aux voix par scrutin public de droit.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°268 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Pour l'adoption | 86 |
Contre | 238 |
La proposition de loi constitutionnelle n'est pas adoptée.
Accord en CMP
Mme la présidente. - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
Prochaine séance, mardi 11 avril 2023, à 14 h 30.
La séance est levée à 20 h 05.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mardi 11 avril 2023
Séance publique
À 14 h 30 et le soir
Présidence : Mme Nathalie Delattre, vice-présidente, Mme Pascale Gruny, vice-président
Secrétaires : Mme Martine Filleul - M. Jacques Grosperrin
1. Débat sur le thème : « L'avenir de la ressource en eau : comment en améliorer la gestion ? » (demande de la délégation sénatoriale à la prospective)
2. Débat sur le thème : « Harcèlement scolaire : quel plan d'action pour des résultats concrets ? » (demande du groupe Les Républicains)
3. Proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité, présentée par M. Brisson et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°501, 2022-2023) (demande du groupe Les Républicains)