Loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences, présentée par M. Éric Kerrouche et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de loi constitutionnelle . - Nous souscrivons entièrement à l'opinion du rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », Loïc Hervé, qui préconisait de décliner des objectifs pluriannuels de fiscalité locale au sein d'une loi de finances ou de financement.
Notre idée de proposition de loi de financement des collectivités est partagée par plusieurs acteurs : l'Association des maires de France (AMF) en 2018, puis en 2022 à l'occasion de l'élection présidentielle et le 14 mars 2023 dans un communiqué de presse ; les maires, favorables à 80 % à une loi de financement spécifique d'après une consultation de 2019 ; la Cour des comptes, dans une position affirmée en 2013, 2016 et 2018 ; les rapporteurs de la mission flash de l'Assemblée nationale sur l'autonomie des collectivités territoriales en 2018 ; enfin, M. Karoutchi, qui a présenté une proposition de loi constitutionnelle dont le texte est comparable au nôtre. (M. Roger Karoutchi le conteste.)
La révision constitutionnelle de 2003 n'a pas permis de préserver l'autonomie financière des collectivités : elle a été « un rendez-vous manqué, une illusion », selon le professeur de droit public Michel Bouvier.
Aucune des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) soulevées à ce sujet n'a trouvé grâce aux yeux du Conseil constitutionnel : le principe d'autonomie financière des collectivités a été vidé de son sens.
La part de fiscalité se réduit au profit de dotations de l'État. Les dernières dispositions de la loi de finances pour 2023 l'ont montré, avec la disparition programmée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Le système est de plus en plus illisible.
La Cour des comptes évoque une « sédimentation historique des recettes » qui entrave l'action des collectivités locales, privées de visibilité sur les décisions de dotation d'investissement.
L'éparpillement des mesures budgétaires et fiscales ayant un impact sur les finances locales ajoute à la confusion qui s'est installée dans les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales. Le premier souhaite faire payer aux secondes les dépenses qu'il ne veut plus assumer.
La demande d'une loi de financement des collectivités locales est historiquement ancrée : je pense à Olivier Guichard en 1976, repris dans le rapport Lambert-Malvy.
Il s'agit d'un outil de transparence et de prévision pour les collectivités territoriales et d'une clarification utile des responsabilités de chacun.
La loi de financement des collectivités locales, à l'instar du projet de loi de financement de la sécurité sociale, s'agrégerait au budget de l'État ; elle constituerait le troisième pilier du budget.
Il y va de la sincérité de nos débats parlementaires en matière budgétaire. Les dépenses des collectivités représentent 20 % du budget national, 57 % de l'investissement public. Un tel texte mettrait fin à l'infantilisation des collectivités locales par l'État et créerait un espace de dialogue bienvenu.
Certains dénoncent des problèmes d'harmonisation avec le projet de loi de finances, mais les versements de l'État à la sécurité sociale retracés dans le projet de loi de finances n'empêchent pas l'examen d'une loi de financement de la sécurité sociale. Quant à l'argument d'une atteinte à la libre administration, celle-ci est déjà malmenée par les multiples gels de dotations et les contrats de Cahors.
Il ne s'agit pas de fixer un plafond de dépenses : le parallèle avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale n'est pas pertinent.
Quant à l'argument de la possibilité pour l'exécutif d'utiliser le 49.3, elle est déjà bien réelle, comme nous avons pu le constater...
Enfin, madame la rapporteure, nous sommes prêts à travailler avec vous à une loi organique, en déclinant la proposition de loi constitutionnelle de M. Karoutchi que vous avez cosignée.
La garantie d'une compensation dynamique dans le temps des transferts de compétences, second volet de notre texte, est une demande réitérée des collectivités territoriales. Le Sénat l'avait intégrée dans le projet de loi 3DS sur notre initiative, mais elle en avait été retirée en CMP.
Ce texte vise surtout à réaffirmer le rôle des collectivités locales dans le cadre de la République décentralisée. Nous devons travailler ensemble, de manière transpartisane. Sortons de la verticalité et du rapport de défiance entre l'État et les collectivités. Ce serait une avancée pour la démocratie et les libertés locales. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe SER)
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois . - Il y a quarante ans, les lois Deferre fondaient la décentralisation ; vingt ans plus tard, celle-ci entrait dans la Constitution avec le nouveau principe d'organisation décentralisée de la République. Les deux principes ainsi consacrés, l'autonomie financière et la libre administration, ne vont pas l'un sans l'autre.
Or, et c'est un constat que nous partageons, l'autonomie fiscale et financière des collectivités est insuffisante. Dans un contexte de crise et d'inflation, nous ne pouvons pas faire l'économie de ces sujets, ne serait-ce que pour éviter un fléchissement de l'investissement local.
La marge de manoeuvre diminue de tous les côtés : amoindrissement des recettes, avec la suppression de la taxe d'habitation et de la CVAE, et limitation des dépenses avec les contrats de Cahors accompagnés d'une opacification dans les modalités d'attribution des dotations.
De plus, l'émiettement des mesures budgétaires et fiscales touchant les collectivités dans le projet de loi de finances nuit à une appréhension globale des relations financières entre l'État et ces dernières.
Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de remédier aux nombreux défauts du cadre constitutionnel en cette matière.
Cette proposition de loi crée une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et une meilleure application du principe « qui décide paie », cher à la présidente Gatel.
Je partage ces objectifs, mais les mesures proposées présentent des difficultés opérationnelles et juridiques.
Plusieurs personnes auditionnées, dont les associations d'élus, se sont interrogées sur la pertinence d'une loi de financement, qui ne figure pas parmi leurs demandes. D'autant qu'un tel texte n'empêcherait pas une modification annuelle des concours financiers de l'État, conformément au principe d'annualité.
De plus, comme l'ont signalé élus locaux et professeurs de droit, ce serait donner au Gouvernement un nouvel outil procédural pour limiter encore davantage l'autonomie des collectivités territoriales. Il aurait à sa disposition le 49.3 utilisable à volonté pour les textes financiers, et les ordonnances si le Parlement ne respectait pas le délai maximal d'examen fixé par la Constitution pour ces textes.
En outre, il y a des écueils juridiques et pratiques - difficulté d'isoler les ressources des collectivités de celles de l'État, nécessité de tirer les conséquences de toute loi de financement sur les recettes et les charges de l'État en loi de finances - qui en relativisent la portée.
Enfin, sujet le plus irritant : la proposition de loi constitutionnelle vise les collectivités territoriales et leurs groupements. Or ces derniers ne sont pas des collectivités, et ne bénéficient pas des mêmes garanties financières. Le texte modifierait donc des équilibres institutionnels.
En revanche, je ne peux qu'être favorable au réexamen régulier des compensations et de l'amélioration de leurs modalités, qui traduit le principe selon lequel qui décide, paie. Cependant, de telles dispositions figuraient déjà dans un texte voté par le Sénat et transmis à l'Assemblée nationale, qui peut à tout moment l'inscrire à son ordre du jour.
Je ne peux donc que vous inviter à rejeter cette proposition de loi, qui répond de manière insuffisante aux enjeux, largement explorés par la proposition de loi de Philippe Bas.
Traitons ces questions dans le cadre du groupe de travail transpartisan initié par le président du Sénat et dont le rapporteur est le président Buffet.
Je forme le voeu que nous continuions à cheminer ensemble, convaincue que l'autonomie financière des collectivités territoriales est une condition indispensable de l'effectivité de la décentralisation.
M. Charles Guené, rapporteur pour avis de la commission des finances . - Bien qu'elle se soit prononcée contre cette proposition de loi, la commission des finances partage le diagnostic qui a présidé à son écriture. Le manque de prévisibilité et la sous-évaluation des compensations des compétences transférées sont avérés.
Un projet de loi de financement des collectivités territoriales, solution séduisante à première vue, est en réalité une fausse bonne idée qui pourrait donner au Gouvernement un nouvel outil de contrainte financière. De plus, il impliquerait de sortir les concours aux collectivités territoriales - 107 milliards d'euros - de la loi de finances, et notre commission ne saurait accepter une telle atteinte à son périmètre. Dans le cas contraire, l'effectivité serait limitée.
Nous devrions plutôt nous attacher à une nouvelle gouvernance des finances locales, via une plus forte association des collectivités territoriales aux décisions qui portent sur leur fiscalité.
Cela pourrait passer, comme le mentionne la Cour des comptes, par une réflexion sur la composition et le champ d'action du Comité des finances locales. Qu'en pense le Gouvernement ?
En revanche, je suis favorable à la proposition de compensation dynamique des transferts de compétences. La commission des finances y avait déjà donné un avis favorable dans le cadre de la proposition de loi constitutionnelle adoptée par le Sénat - une nouvelle adoption serait donc superflue. Cela suppose toutefois d'objectiver les charges des collectivités territoriales au titre des différentes compétences.
La commission des finances a donc émis un avis défavorable à cette proposition de loi constitutionnelle.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Quarante-et-un ans nous séparent de l'adoption de la loi de décentralisation de 1982, dans un pays dont l'histoire est tant marquée par le jacobinisme ; et depuis vingt ans, notre Constitution proclame que l'administration de la République est décentralisée.
Je sais ce que cela représente pour votre Haute Assemblée, attachée à la démocratie locale. Le Sénat a ainsi formé un nouveau groupe de travail sur la décentralisation, sur une initiative du président Larcher que je salue. Il se penchera sur les relations financières entre État et collectivités territoriales et sur la différenciation territoriale.
Le Gouvernement est à l'écoute. Plusieurs réunions ont été organisées à l'initiative du Président de la République avec les associations d'élus pour évoquer la réforme des institutions, l'approfondissement de la décentralisation et l'autonomie financière des collectivités.
Les attentes sont claires : plus de clarté, plus de continuité, de responsabilité pour les collectivités, à condition qu'elles disposent de moyens juridiques et financiers à la hauteur des compétences transférées.
Les propos de la rapporteure Agnès Canayer reflètent la situation des collectivités territoriales. Si le ratio d'autonomie financière des collectivités est historiquement élevé, à 70 %, certains élus locaux demandent plus de visibilité, d'autres une réforme des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales.
Alors que l'article 72-2 de la Constitution dispose que tout transfert de compétences doit s'accompagner d'une compensation équivalente à la charge créée, certaines collectivités voient leurs charges augmenter fortement.
D'où ce texte qui crée une loi de financement des collectivités territoriales et garantit une compensation financière des transferts de compétences, avec un réexamen régulier des ressources transférées.
La création d'une loi de financement des collectivités territoriales a été proposée par le rapport Lambert-Malvy de 2014 et par trois rapports de la Cour des comptes (M. Didier Marie le confirme), qui y voit un « instrument efficace au service de la gouvernance des finances locales ».
Un tel instrument aurait l'avantage d'offrir un espace de discussion parlementaire dédié aux finances locales. Toutefois, il est déjà possible de faire suivre d'un débat au Parlement la remise du rapport prévu à l'article 7 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) sur les évolutions des finances publiques locales et sur les conséquences du projet de loi de finances sur celles-ci. Le premier débat de ce genre a été organisé à l'occasion du projet de loi de finances pour 2023.
Le champ matériel de ces lois de financements serait exclusif de celui des lois de finances. Or de nombreuses dispositions ont une incidence à la fois sur le plan national et local. Serait-il judicieux, dans ces circonstances, de scinder les deux volets ; serait-ce même possible ? Une telle dissociation nuirait à l'information du Parlement, dans un calendrier budgétaire encore plus restreint par l'ajout d'un troisième texte financier.
Enfin, il n'est pas certain que ce nouvel instrument soit adapté à l'objectif que nous partageons tous : donner aux collectivités territoriales une visibilité suffisante.
Cette proposition de loi prévoit par ailleurs un mécanisme de réexamen périodique des compensations financières - or les collectivités sont déjà prémunies par le principe d'autonomie contre une dégradation excessive de leur situation financière du fait de l'évolution des charges. Le Conseil constitutionnel a réaffirmé dans deux décisions du 30 juin 2011 que les mécanismes de compensation doivent être suffisants pour que ne soit pas entravée la libre administration des collectivités.
Au demeurant, la mesure présente des difficultés méthodologiques. Un tel mécanisme nécessiterait un examen des relations financières au niveau global, mais aussi individuel, car les charges dépendent aussi des choix locaux de gestion, qui relèvent de la libre administration des collectivités.
Le Gouvernement n'est donc pas favorable à l'adoption de cette proposition de loi, même si les pistes qu'elle présente ne sont pas à balayer d'un revers de main, loin de là. Mais il y en a d'autres, à commencer par la différenciation territoriale. La réflexion doit se poursuivre, comme en témoignent les travaux du groupe de travail récemment constitué par le président Larcher, aux résultats desquels le Gouvernement sera particulièrement attentif.
Vingt ans après la constitutionnalisation de la décentralisation, nous devons poursuivre notre réflexion commune sur les collectivités territoriales, pour qu'elles continuent à exercer pleinement leurs missions au service des Français. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Guylène Pantel . - Ce texte n'est pas le premier du genre, puisque le Sénat a adopté une proposition de loi constitutionnelle sur le même thème en 2020. Citons aussi les travaux de la mission d'information sur l'impact des décisions réglementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités locales, dont je suis rapporteure.
Contrairement à la sécurité sociale, les collectivités territoriales ne font pas l'objet d'une loi de financement spécifique : les relations financières avec l'État sont abordées dans les deux parties du projet de loi de finances. Le volet « dépenses » d'une loi de financement des collectivités territoriales n'aurait qu'un caractère indicatif, conformément au principe de libre administration.
Un projet de loi de financement des collectivités territoriales permettrait un meilleur suivi des compensations, qui est une revendication des associations d'élus. Mais le transfert du projet de loi de finances vers un tel texte ne devrait-il pas s'accompagner d'une réduction équivalente de la durée d'examen du projet de loi de finances ?
Le RDSE votera cette proposition de loi constitutionnelle, dont le rejet en commission s'explique par des considérations plus politiques que techniques. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER)
M. Antoine Lefèvre . - MM. Malvy et Lambert préconisaient déjà en 2014 un projet de loi de financement des collectivités territoriales pour remédier à la défiance entre les collectivités et l'État. Près d'une décennie plus tard, le constat demeure.
Le 24 juillet 1991, le Conseil constitutionnel soulignait que « les ressources des collectivités ne doivent pas être réduites au point d'entraver leur libre administration ». Or elles ne cessent de diminuer, au profit de compensations sur lesquelles elles n'ont pas de prise.
Baisse de la DGF, perte de la taxe d'habitation, de la CVAE : bien souvent, les communes doivent compenser par la fiscalité sur les particuliers ou par des coupes budgétaires.
Avec ce texte, M. Kerrouche propose un cadre juridique nouveau pour y remédier, en mettant fin à l'émiettement des dotations de l'État qui contrevient à la clarté et la sincérité des débats parlementaires.
Une loi de finances consacrerait la place des collectivités dans notre édifice institutionnel. Toutefois, cette intuition se heurte à notre cadre constitutionnel.
Ainsi, enchâsser les finances locales dans la Lolf offre au Gouvernement le droit de recourir au 49.3, d'atrophier les débats avec le temps limité prévu à l'article 47, de prendre des ordonnances en cas de dépassement de ce délai, de recourir aux lois rectificatives et de règlement.
Loin d'un nouveau souffle, nous risquons un nouveau carcan. Le lieu d'un débat annuel sur les dépenses des collectivités pourrait être une loi d'orientation et de programmation, plus compatible avec le cadre européen. En outre, fédérer toutes ces contributions dans le projet de loi de finances serait une immense valeur ajoutée.
Il faut un séisme institutionnel pour les territoires. Le président Larcher a défendu des ressources stables, prévisibles et bâties sur le consensus. Continuons à donner à la démocratie locale les moyens de son épanouissement. Le groupe Les Républicains salue l'intention à l'origine de la proposition de loi mais ne la votera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Emmanuel Capus . - Les élus locaux sont inquiets : ils craignent de ne plus pouvoir agir sur le terrain, alors que c'est la raison de leur engagement. Avec l'inflation, la fiscalité locale et la crise démocratique, ils se sentent empêchés. C'est le rôle du Sénat que de les défendre.
Cette proposition de loi constitutionnelle a donc le mérite de poser le sujet de l'autonomie financière. Avec une loi de financement spécifique, il s'agit de formaliser les relations financières entre l'État et les collectivités. L'idée n'est pas nouvelle, elle a été évoquée à droite et à gauche, et la Cour des comptes s'y associe. Le serpent de mer continuera tant que nous n'aurons pas purgé le débat.
Mais c'est une fausse bonne idée, qui renforcerait la dépendance des collectivités à l'État. La suppression de la taxe d'habitation et de la CVAE continue d'interroger les collectivités, mais rappelons qu'il s'agissait de supprimer des impôts injustes : dans le premier cas, il n'y avait pas de lien entre la taxation et le revenu ; dans le second, nos entreprises industrielles étaient pénalisées. Le choix de la compensation dynamique par une fraction de TVA a sécurisé les ressources des collectivités.
Certes, une loi de finances ferait apparaître les compensations de façon plus lisible. Cependant, examiner les flux sans discuter des impôts qui affectent l'économie revient à réduire les collectivités à des postes de dépenses. Et penser en grands agrégats n'offre aucune garantie sur les cas particuliers.
Un examen à la hussarde dans un texte coincé entre PLF et PLFSS appauvrirait les débats et centraliserait la gestion des problématiques locales. Nous préférons faire confiance aux élus pour changer les choses sur le terrain.
M. Guy Benarroche . - Les auteurs de la proposition de loi souhaitent répondre aux demandes des élus, à l'heure de l'urgence climatique, alors que le manque de lisibilité freine l'action des collectivités et l'articulation locale des stratégies nationales.
Le candidat Jadot prônait une loi de financement des collectivités territoriales pour approfondir la décentralisation dans le sens de la démocratie, de la justice territoriale et de l'écologie. L'enjeu est important alors que les collectivités doivent investir dans la transition écologique.
Le GEST votera cette proposition, en demeurant vigilant sur les modalités de sa mise en oeuvre. (Mme Catherine Di Folco applaudit.)
M. Julien Bargeton . - Ce texte reprend un amendement de M. Kerrouche à la proposition de loi constitutionnelle de Philippe Bas sur les collectivités territoriales. Le rapporteur Mathieu Darnaud s'y était opposé, et le groupe de travail constitué par le Président Larcher ne l'a pas repris.
En revanche, l'idée d'un débat d'orientation des finances locales a été reprise dans la loi organique de modernisation de la gestion des finances publiques, sous l'égide d'Éric Woerth et de Laurent Saint-Martin.
Il est paradoxal, venant de parlementaires opposés à la contractualisation entre État et collectivités, de vouloir aller plus loin avec une loi de financement.
M. Éric Kerrouche. - Cela n'a rien à voir !
M. Julien Bargeton. - Qui peut le plus peut le moins... De plus, une loi de financement donnerait systématiquement le dernier mot à l'Assemblée nationale : est-ce vraiment le souhait du Sénat ?
La comparaison avec les lois de financement de la sécurité sociale est périlleuse : elles ont été instaurées, en 1996, avec l'objectif de rétablir l'équilibre financier de la sécurité sociale. Antoine Lefèvre a parlé à juste titre de carcan... Le législateur en ferait ce qu'il veut.
M. Didier Marie. - C'est aussi vrai pour les lois de finances !
M. Julien Bargeton. - Le RDPI n'y est pas favorable.
Second objectif du texte : garantir la compensation des transferts de compétences. La Cour des comptes rappelle, en 2021, que les recettes des collectivités sont plus dynamiques que les dépenses, avec 4,7 milliards d'euros d'excédent. Les collectivités ne participent qu'à hauteur de 0,15 point à l'aggravation du déficit public. Pourquoi ? Parce que les transferts aux collectivités ont été adossés à la TVA, qui s'est, du moins jusqu'à présent, montrée dynamique.
Rappelons enfin que sous François Hollande, les transferts aux collectivités ont baissé de 11 milliards d'euros... Par contraste, nous avons ajouté, en 2022, 320 millions d'euros à l'enveloppe normée de la DGF, fixée en 1996 ; et je ne reviens pas sur le filet de sécurité, le bouclier fiscal, l'amortisseur, etc.
Enfin, je souscris aux réserves exprimées par Charles Guené au nom de la libre administration des collectivités. Le RDPI votera contre ce texte. (M. Emmanuel Capus applaudit.)
Mme Cécile Cukierman . - Je suis frustrée de voir ainsi tronqué un débat aussi important, qui aurait mérité des explications et des échanges.
Le texte du groupe SER répond aux exigences des élus locaux sur le financement des collectivités. Au manque de moyens s'ajoutent les multiples crises que nous traversons depuis quelques années.
L'idée d'une loi de finances dédiée est séduisante, mais les élus attendent avant tout de la prévisibilité, pour anticiper les besoins des populations. Nous craignons que l'article 1er ne renforce le caractère autoritaire de la mainmise de l'État sur la gestion des collectivités, dont les besoins sont estimés à 100 milliards d'euros à la suite de décennies de désengagement de l'État. Ce n'est pas en encadrant les dépenses que nous y répondrons.
Après les différentes suppressions de taxes et d'impôts...
M. Julien Bargeton. - Tant mieux !
Mme Cécile Cukierman. - ... les collectivités n'ont plus que la taxe foncière pour unique recette.
Le problème, dans notre pays, est que nous payons trop de taxes et pas assez d'impôts.
Une loi de programmation relative aux collectivités territoriales nous aurait semblé plus pertinente, pour répondre aux enjeux de financement mais aussi de transparence.
Il serait en outre judicieux de prévoir un temps de débat sur les finances locales lors de l'examen du projet de loi de finances, qui regrouperait l'ensemble des dépenses affectées aux collectivités, avec un jaune budgétaire correspondant.
Cette proposition de loi traite du transfert de compétences, souvent non compensé. Nous aurions aimé débattre de chaque article et expliquer notre opposition à l'article 1er mais nous renoncerons à nos interventions pour que le texte puisse être examiné jusqu'au bout.
Pour éviter un 49.3 sur les collectivités, nous nous abstiendrons.
Mme Françoise Gatel . - Je salue l'initiative d'Éric Kerrouche, dont le constat est pertinent et largement partagé. Le financement des collectivités territoriales est un sujet existentiel. La conduite de l'action publique nécessite lisibilité et visibilité, or elle est soumise à des convulsions budgétaires, à l'émiettement des financements, au dérapage des coûts des compétences transférées et à des ajouts de normes à l'insu du plein gré des collectivités territoriales. Or quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup. Cela semble aussi être le cas de votre proposition de loi.
Le principe de l'autonomie atteint ses limites, vous avez raison. Votre diagnostic est bon, mais pas votre remède. Votre bonne intention risque de paver l'enfer des collectivités. Une loi de financement des collectivités territoriales ressemblerait fort à une loi de financement de la sécurité sociale, dont l'effet est de plafonner les dépenses. Cher Éric Kerrouche, je ne doute pas de votre succès auprès de Bercy et de la Cour des comptes, car vous réinventez les léonins contrats de Cahors.
Nous adhérons à la révision du coût des transferts, selon le principe « qui décide paie », au point que le Sénat l'a déjà adoptée en 2020.
M. Didier Marie. - Déjà trois ans !
Mme Françoise Gatel. - Nous attendons que l'Assemblée nationale s'en empare.
Les travaux du Sénat, comme la mission d'information demandée par le RDSE sur les finances des collectivités et le groupe de travail transpartisan conduit par le président Larcher, approfondiront notre réflexion.
Partageant votre diagnostic mais non votre prescription, le groupe UC rejettera votre texte. (MM. Patrick Kanner et Emmanuel Capus applaudissent.)
M. Julien Bargeton. - La conclusion est très bonne !
M. Roger Karoutchi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Pour ma part, si je peux voter l'article 1er de la proposition de loi constitutionnelle, ce n'est pas le cas de l'article 2. Si nous insistons trop sur la compensation à l'euro près, les gouvernements impécunieux, de gauche comme de droite, seront tout prêts à transférer des compétences et à promettre de les compenser intégralement, ce qui n'arrive jamais. Mieux vaut se battre pour l'autonomie fiscale et financière des collectivités territoriales, donc pour des recettes issues de réels impôts locaux.
Quand le budget va bien, tout va bien. Quand il est moins bon, les collectivités sont la variable d'ajustement.
Beaucoup d'associations d'élus, comme celle des maires d'Île-de-France, sont favorables à l'idée d'une loi de financement inscrite dans la Constitution. C'est que les gouvernements, de gauche comme de droite, ont supprimé des financements locaux - taxe professionnelle...
M. Julien Bargeton. - Ça, c'est vous !
M. Roger Karoutchi. - ... taxe d'habitation, CVAE -...
M. Julien Bargeton. - Ça, c'est nous !
M. Roger Karoutchi. - ... sans le moindre état d'âme ni considération pour les collectivités. Il n'y a eu aucun débat de fond au Parlement.
Je ne voterai pas votre proposition de loi, en raison de l'article 2, mais le Sénat doit formuler une proposition commune. Je suis favorable à une inscription dans la Constitution. À tout le moins, trouvons une solution pour que les collectivités ne soient pas seules face au pouvoir exécutif. Battons-nous pour l'autonomie fiscale. Rendons aux collectivités des ressources fiscales propres plutôt que des compensations virtuelles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Françoise Gatel. - Très bien.
Discussion des articles
L'article 1er est adopté.
ARTICLE 2
Mme la présidente. - Amendement n°1 rectifié bis, présenté par M. Capus, Mme Paoli-Gagin, MM. Chasseing, Decool, Guerriau, Lagourgue et A. Marc, Mme Mélot et MM. Menonville, Wattebled et Verzelen.
Rédiger ainsi cet article :
Après la première phrase de l'avant-dernier alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, il est inséré une phrase ainsi rédigée : « Toutes les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement portant sur un transfert de compétences entre collectivités territoriales sont recevables au titre de l'article 40. »
M. Emmanuel Capus. - L'interprétation actuelle de l'article 40 de la Constitution nous empêche de déposer des amendements transférant des compétences entre collectivités territoriales. Le Sénat, représentant les collectivités, ne peut donc être force de proposition.
Le rapport Marini de 2014 précise que les transferts de charges sont entendus comme la création d'une charge devant être compensée par la diminution d'une autre. Or cette jurisprudence méconnaît gravement le principe de neutralité budgétaire imposé par l'article 72-2 de la Constitution. Un transfert, s'il est compensé, ne crée en réalité aucune charge. L'article 40 ne doit donc pas s'appliquer.
M. Charles Guené, rapporteur. - En l'état du droit, l'article 40 s'oppose sans ambiguïté à tout transfert de compétences, car celui-ci crée une charge pour le destinataire. Pour autant, les présidents des commissions des finances ont adopté une jurisprudence favorable à l'initiative parlementaire, admettant par exemple des transferts au sein d'une catégorie de collectivités ou une délégation.
Avis défavorable, d'autant que vous introduisez dans la Constitution un cas de dérogation unique à l'article 40, ouvrant ainsi la voie à des débats sans fin.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Même avis.
M. Emmanuel Capus. - Monsieur le rapporteur, certains de mes amendements au projet de loi 3DS avaient été déclarés irrecevables au motif qu'ils créaient une charge, ce qui n'était pas le cas, car de tels transferts de compétences sont intégralement neutres pour l'État. Nous nous tirons une balle dans le pied. Il n'y a aucun risque financier. Il est logique d'inscrire cette disposition dans la Constitution. L'interprétation actuelle de l'article 40 est beaucoup trop rigoriste.
L'amendement n°1 rectifié bis n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté.
La proposition de loi constitutionnelle est mise aux voix par scrutin public de droit.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°268 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Pour l'adoption | 86 |
Contre | 238 |
La proposition de loi constitutionnelle n'est pas adoptée.