Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
Hommage aux victimes du séisme en Turquie et en Syrie
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Concessions autoroutières (II)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Projet d'un « Inflation Reduction Act » européen
M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement
Dysfonctionnements de MaPrimeRénov'
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse
Élus locaux face aux injonctions du Gouvernement
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire
Négociations sur l'hydrogène bas-carbone
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique
M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse
Action de l'État pour les familles sans abri
M. Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement
Attractivité du métier d'enseignant
M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse
« Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines ? »
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe
Reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens de 1915-1918
Mme Valérie Boyer, auteure de la proposition de résolution
Mises au point au sujet de votes
Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes
M. Jean-François Rapin, auteur de la proposition de résolution
M. François-Noël Buffet, auteur de la proposition de résolution
M. Arnaud de Belenet, rapporteur de la commission des lois
M. Claude Kern, rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes
M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer
Discussion de la proposition de résolution
Ordre du jour du jeudi 9 février 2023
SÉANCE
du mercredi 8 février 2023
54e séance de la session ordinaire 2022-2023
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Corinne Imbert, M. Dominique Théophile.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Hommage aux victimes du séisme en Turquie et en Syrie
M. le président. - (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les ministres, se lèvent.) Lundi, aux premières heures du jour, plusieurs tremblements de terre ont frappé le sud-est de la Turquie et la Syrie voisine. Ils ont été suivis de nombreuses et très violentes répliques.
Alors que le bilan humain de cette catastrophe s'alourdit de jour en jour, nos pensées vont aux victimes et à leurs proches, ainsi qu'aux équipes mobilisées pour leur porter secours.
Nous serons attentifs à ce que tous les secours nécessaires parviennent aux populations touchées, où qu'elles se trouvent, sans autre critère que celui de l'urgence, et à ce que la France apporte toute sa contribution à l'aide internationale déployée.
Au nom du Sénat tout entier, je voudrais exprimer notre solidarité aux peuples turc et syrien et les assurer de notre soutien.
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. - Au nom du Gouvernement, je veux redire toute notre solidarité aux peuples turc et syrien. Le Président de la République a annoncé lundi la mobilisation de notre pays et proposé une aide d'urgence. Des sapeurs-pompiers, des sapeurs-sauveteurs et des membres du centre de crise et de soutien sont arrivés sur place et participent aux recherches. Nous avons également proposé l'envoi d'un hôpital de campagne de la sécurité civile. La France est aux côtés des peuples turc et syrien dans cette épreuve.
(Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les ministres, observent un moment de recueillement.)
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement. Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet. Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et au temps de parole.
Concessions autoroutières (I)
M. Vincent Delahaye . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe INDEP) Le groupe UC s'associe à la solidarité envers les peuples turc et syrien.
Notre commission d'enquête sénatoriale sur les concessions autoroutières a mis en évidence une surrentabilité de 30 milliards d'euros d'ici la fin des contrats, qui a été confirmée par un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF).
Notre commission a dénoncé le cycle infernal de prorogation des contrats de concession en échange de travaux et proposé de se mettre d'accord sur l'équilibre économique et financier de ces contrats. M. Beaune m'avait dit qu'un groupe de travail serait créé en ce début d'année. Quand ?
Le 1er février, les tarifs ont augmenté de 4,75 %, soit un profit supplémentaire de 300 millions d'euros par an d'ici la fin des contrats. Quelle est la part des efforts demandés à Vinci ? Sont-ils équivalents à cette somme ? Pourquoi rien n'a-t-il été demandé à Eiffage ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Jean-Raymond Hugonet et Jérôme Bascher applaudissent également.)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - Je salue la qualité du rapport sénatorial de septembre 2020. Vous avez mentionné le rapport de l'IGF. Les conclusions du rapport de l'Autorité de régulation des transports (ART) diffèrent légèrement. Elles appellent à la prudence, l'impact du covid n'ayant pas encore été intégré.
L'augmentation du 1er février était prévue dans les contrats. Mais l'une des préconisations de votre rapport s'applique, puisque le prix des péages diminue de 5 % pour les véhicules électriques.
Le 13 janvier dernier, nous avons remporté une bataille devant le tribunal administratif, dans le cadre de l'augmentation des impôts des sociétés autoroutières. Elles ont jusqu'au 13 mars pour faire appel. Nous poursuivons la réflexion pour leur demander un effort supplémentaire.
Dans votre rapport, vous avez indiqué que la renationalisation n'était pas la solution : je salue cette position.
Nous sommes prêts à travailler avec vous, dès que le contentieux sera clos. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)
M. Vincent Delahaye. - Vous ne m'apprenez pas grand-chose et ne répondez pas à ma question. Quand travaillerons-nous ensemble sur l'équilibre financier des contrats ? Pourquoi un manque de transparence sur les conditions demandées à Eiffage et à Vinci ? Nous sommes garants de l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et SER)
Concessions autoroutières (II)
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - À notre tour, nous assurons les peuples turc et syrien de tout notre soutien.
Les tarifs autoroutiers augmentent de 4,75 % alors que les profits des concessionnaires explosent. Depuis la privatisation des autoroutes, les péages sont toujours plus chers.
Ce constat scandalise au sein même de Bercy. Le rapport de l'IGF, très instructif, explique que la rentabilité des sociétés d'autoroute est très supérieure à celle attendue et va contre le principe de rémunération raisonnable. L'État doit réagir. Il dispose du support juridique nécessaire.
Les sommes engendrées rendraient possible une réduction de 60 % des péages, ou un prélèvement de l'État de 55,4 milliards d'euros ! L'Autorité de régulation des transports (ART) a constaté une hausse de la rentabilité de 47 % en 2021. L'État ne peut plus faire l'autruche. Nous demandons la renationalisation des autoroutes.
Comment justifiez-vous que l'État ne mette pas fin à ces concessions ? Travaillerez-vous avec nous à une renationalisation ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - Le Gouvernement est prêt, au-delà du mois de mars, à se pencher sur l'avenir des concessions.
M. Pascal Savoldelli. - Il ne s'agit pas de se pencher...
M. Christophe Béchu, ministre. - La renationalisation, c'est non ! (Protestations sur quelques travées du groupe CRCE) Elle représente 50 milliards d'euros. Nous devons les utiliser, non pour la route, mais...
M. Jean-François Husson. - Pour l'énergie.
M. Christophe Béchu, ministre. - ... pour la décarbonation des transports, au profit du fluvial et du ferroviaire. La renationalisation irait à l'encontre de la transition écologique. C'est la conclusion même du rapport Delahaye, qui parle de fausse bonne idée. (M. Fabien Gay et Mme Marie-Noëlle Lienemann se récrient.)
Il faut donc augmenter la contribution des autoroutes. Nous l'avons fait avec l'indexation de la taxe d'aménagement du territoire dans le PLF 2020. Par la route, nous financerons une partie du report modal. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Et les recettes ?
Projet d'un « Inflation Reduction Act » européen
M. Alain Richard . - (Applaudissements sur quelques travées du RDPI) Nous sommes face à un grand défi : accélérer la décarbonation de l'industrie. Aux États-Unis, l'Inflation Reduction Act (IRA) commence à s'appliquer, avec le risque que ses subventions massives discriminent les vendeurs européens.
Monsieur le ministre de l'économie, vous revenez d'une visite aux États-Unis avec votre collègue allemand, M. Habeck, pour rétablir une concurrence normale. Le travail se poursuit à Bruxelles entre la Commission et les gouvernements, pour enclencher un plan européen de soutien à nos industries en mutation. Quel bilan tirez-vous de vos discussions aux États-Unis ? Où en est le réarmement industriel européen ? Comment comptez-vous traiter le sujet des règles de concurrence interne et des aides d'État ? Un sérieux effort de convergence est nécessaire. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique . - Je tire trois conclusions simples de ce déplacement. Premièrement, l'efficacité du couple franco-allemand (M. Alain Richard acquiesce) et son alignement quant à la nécessité d'accélérer nos investissements en faveur de la décarbonation de notre industrie.
Deuxièmement, nos alliés américains sont prêts à inclure certains biens européens, comme les véhicules et les batteries électriques ou leurs composants. Ils sont aussi prêts à une transparence totale sur le montant des subventions et des aides, et à ce que nous préservions nos investissements stratégiques.
Troisièmement, l'Europe doit aller au bout de la révolution stratégique défendue par le Président de la République en vue de renforcer notre souveraineté. Les propositions de simplification des aides, de soutien de la production d'hydrogène ou de batteries électriques sur notre territoire vont dans le bon sens. Je souhaite que le projet de la Commission européenne soit mis en place sans délai : il y va de notre souveraineté et de notre indépendance. Il faut surmonter nos divergences pour que l'Europe continue de jouer les premiers rôles. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Réforme des retraites (I)
M. Yan Chantrel . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Elle s'appelle Véronique, elle a 53 ans : je l'ai rencontrée hier lors de la manifestation contre la réforme des retraites.
Plusieurs membres du Gouvernement. - Ah, ça faisait longtemps !
M. Yan Chantrel. - Après deux années d'apprentissage, elle a commencé à travailler à 16 ans. Elle a trimé de nombreuses années sur les marchés, dans le froid, soulevant des charges lourdes, si bien qu'à 33 ans, elle a dû se faire opérer de la colonne vertébrale. Malgré cette vie de labeur, Véronique ne pourra partir à la retraite qu'après 44 années de cotisation. C'est plus que vous et moi.
Où est la justice ? Votre réforme n'en est pas une : c'est un rééquilibrage financier après que vous avez grevé le budget de l'État par des cadeaux aux grandes entreprises. Suppression de l'ISF, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), flat tax...Vous en faites payer la facture à toutes les Véronique de France. (Plusieurs membres du Gouvernement soupirent.) Total a annoncé un profit record de 19,1 milliards d'euros. C'est plus que les 13,5 milliards d'euros de déficit que vous prévoyez pour le système de retraites à horizon 2030. Quand taxerez-vous ces superprofits ? Quand écouterez-vous les Français dans la rue contre la retraite à 64 ans ? Quand retirerez-vous votre projet injuste et brutal ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que du GEST)
M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement . - Merci pour votre question. Véronique a 53 ans. Elle a commencé à l'âge de 16 ans : vous pouvez lui dire qu'elle partira au plus tard à 60 ans, voire à 58 ans si elle a commencé un peu plus tôt. (Applaudissements sur les travées du RDPI) Sa situation s'améliorera.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Tout va bien !
M. Olivier Véran, ministre délégué. - Si Véronique a porté des charges lourdes, elle remplit des critères de pénibilité. Lorsque vous examinerez le projet de loi, vous verrez que celui-ci est porteur d'avancées sociales inédites. (On s'en indigne à gauche.) Il est meilleur que les précédents, y compris celui que j'ai voté lorsque j'étais député socialiste. (Applaudissements sur les travées du RDPI) À l'époque, la gauche de gouvernement était capable de prendre des décisions, même difficiles, pour conforter notre modèle social. Mais aujourd'hui, je n'ai pas de regret de l'avoir quittée. (Huées sur les travées des groupes SER et CRCE)
M. Éric Kerrouche et plusieurs voix à gauche. - Nous non plus !
M. Olivier Véran, ministre délégué. - Nous célébrions l'idée qu'un jour, nous pensions inverser la courbe du chômage. Il a fallu attendre 2017... Cela peut vous peiner à titre personnel, monsieur le sénateur, mais comme je suis sûr que vous servez l'intérêt général, vous devriez vous en réjouir. (La voix du ministre est couverte par les protestations.)
Enfin, ne me dites pas que vous confondez le bénéfice d'un groupe mondial avec le financement d'une caisse de retraite.
M. Patrick Kanner. - Il y a des symboles !
M. Olivier Véran, ministre délégué. - Vous mélangez les carottes et les pommes de terre ! (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Yan Chantrel. - Je n'ai pas de leçon à recevoir de quelqu'un qui a voté pour Nicolas Sarkozy en 2007 ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; protestations sur quelques travées du groupe Les Républicains) L'une des premières décisions d'Emmanuel Macron a été de supprimer des critères de pénibilité. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains) Revenez sur les exonérations de cotisation, améliorez le taux d'emploi des seniors et taxez ces superprofits ! Ainsi, on pourra financer les retraites. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains ; applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que du GEST)
Dysfonctionnements de MaPrimeRénov'
M. Éric Gold . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Je veux vous alerter, une nouvelle fois, sur les dysfonctionnements de certains dispositifs de transition écologique. Il est regrettable que MaPrimeRénov' rencontre autant de difficultés. Maires, élus, artisans : tous se plaignent de la complexité du dispositif, et de son site internet. Imaginez les conséquences pour les 14 millions de Français qui souffrent d'illectronisme. Les délais de réception des subventions sont très longs et elles sont parfois très en deçà de ce qui avait été annoncé.
Lorsque les entreprises attendent le versement de la prime pour faire payer le client, elles se mettent en situation délicate. Selon la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), certaines se trouvent confrontées à des négociations difficiles avec les banques, voire à des licenciements. Comment améliorerez-vous ce dispositif ? (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Frédérique Puissat, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ et Stéphane Demilly applaudissent également.)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - En moyenne, 25 000 dossiers sont traités chaque semaine par l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Plus d'1,5 million de dossiers MaPrimeRénov' ont été traités depuis ses débuts. Beaucoup de trains arrivent à l'heure (M. Jérôme Bascher le conteste) : la Défenseure des droits a indiqué que seuls 2 % des dossiers posaient problème.
Comment fluidifier le dispositif et le rendre plus efficace ? À partir du 1er septembre 2023, nous mettrons en place « Mon accompagnateur Rénov » pour faciliter l'application du dispositif et supprimer le reste à charge des Français plus modestes.
Nous voulons éviter une simplification à l'extrême qui entraînerait des effets de bord, mais nous voulons aussi réduire les délais pour associer pleinement les artisans. Ces délais sont de cinq semaines en moyenne : deux semaines pour le dépôt de la demande et trois semaines pour le paiement. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)
M. Éric Gold. - Le problème est réel, notamment pour les plus fragiles. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
Réforme des retraites (II)
M. Guillaume Gontard . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Lors de ses voeux pour 2021, le Président de la République louait les première, deuxième et troisième lignes qui ont tenu notre pays pendant la pandémie. S'y cachaient Marie, infirmière, Fouad, animateur, Rosalie, vendeuse... (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) Ces héros de notre République étaient hier dans la rue. Ils y retourneront samedi et ne lâcheront pas, car ils ne comprennent pas votre acharnement à leur prendre deux années de vie. Madame la Première ministre, je ne vous comprends pas non plus. Rien de tout cela ne vous ressemble : vous disiez que les Français nous demandaient des pratiques nouvelles, la recherche active de compromis, mais vous répondez 49.3 et 47-1. Vous savez que l'on ne gouverne pas contre le peuple. Cessez de passer en force, d'ignorer les syndicats, les parlementaires et une société qui change.
Marie, Fouad et Rosalie sont fatigués, mais ils ne lâcheront pas. Quand retirerez-vous votre projet inutile et injuste ? (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER, ainsi que sur quelques travées du groupe CRCE)
Mme Élisabeth Borne, Première ministre . - Une fois de plus, vous multipliez les phrases définitives et les caricatures. (Protestations sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER) Une fois de plus, dans le même esprit de responsabilité, je vous rappelle les faits. Le nombre de personnes qui cotisent diminue...
M. Pierre Laurent. - Et les exonérations de cotisations ?
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. - ... par rapport au nombre de retraités. Le déficit se creusera si nous ne faisons rien, menaçant la pérennité de notre système par répartition. Voulons-nous le préserver ?
Pour y parvenir, il est vrai que nous demandons un effort aux Français, mais c'est le seul chemin pour assurer l'équilibre de notre système. (Mme Laurence Cohen s'indigne.)
M. Éric Kerrouche. - Pas du tout !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. - Il y a de réelles convergences entre nos propositions et les travaux de votre assemblée, qui, chaque année, demande le report de l'âge légal à 64 ans.
De nombreuses voix à gauche. - Pas nous !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. - Nous mesurons l'effort. Nous avons mené des consultations avec les représentants patronaux et syndicaux.
Mme Monique Lubin. - Pour quel résultat ?
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. - Quatre Français sur dix n'auront pas à travailler jusqu'à 64 ans. Je n'ai pas de doute que ce sera le cas de Rosalie, Fouad et Marie. Que proposez-vous ? Une augmentation des impôts, ce qui conduirait à une baisse du pouvoir d'achat et à une hausse du chômage ?
M. Pascal Savoldelli. - Et l'égalité salariale ?
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. - Monsieur Gontard, vous vous trompez de cible : les plus riches auront toujours une retraite (M. Pascal Savoldelli et Mme Cathy Apourceau-Poly s'indignent), quand les classes moyennes en auront moins.
Notre projet n'est pas figé. Il a déjà évolué après consultation des organisations patronales et syndicales. (De nombreux membres des groupes SER et CRCE le contestent.)
M. Pascal Savoldelli. - Quel mensonge !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. - Je sais que la dirigeante de votre parti a appelé à faire du Parlement une ZAD, mais je ne doute pas que le Sénat sera attentif à un débat respectueux. (Applaudissements sur les travées du RDPI, sur plusieurs travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Guillaume Gontard. - Ce sont nos retraites qui sont une ZAD, une zone à défendre ! Oui, il existe d'autres solutions. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains) Il suffit d'écouter les syndicats et les parlementaires. Il n'est pas possible de dire qu'il n'y a pas d'argent dans notre pays : on peut taxer le capital. (Mme Olivia Grégoire ironise.) Il y a d'autres possibilités ! (Applaudissements sur les travées du GEST, des groupes CRCE et SER)
Fermetures de classes (I)
M. Joël Guerriau . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) L'éducation nationale vient d'informer de nombreux maires ruraux de projets de fermetures de classes, sans qu'ils aient été préalablement consultés. En Loire-Atlantique, 29 communes sont concernées.
Les écoles rurales sont le théâtre d'un drame. Les fermetures de classes pénalisent les familles et privent les communes d'un élément central d'attractivité. En 2019, le Président de la République avait affirmé qu'aucune classe ne fermerait sans l'accord du maire. Monsieur le ministre, votre ministère s'était engagé à mieux prendre en compte les besoins territoriaux.
La gestion de la carte scolaire n'est pas adaptée aux réalités rurales. Les décisions de fermeture ne sont-elles pas prises trop tôt ? De petites communes investissent beaucoup pour mettre leur école aux normes. Mais le nombre de professeurs disponibles sert de variable d'ajustement.
Le système actuel pâtit d'effets de seuil : il suffit d'un seul élève pour fermer une classe, mais il en faut beaucoup plus pour en ouvrir une.
Comment comptez-vous aider les communes rurales ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; MM. Bruno Belin, Stéphane Sautarel et Laurent Burgoa applaudissent également.)
M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - La baisse des effectifs scolaires s'accélère, avec 500 000 élèves de moins dans les cinq années à venir, et entre 90 000 et 100 000 de moins à la rentrée prochaine. Nous menons un travail complexe, qui aboutira à une carte scolaire stabilisée en août.
Notre ligne est simple : nous nous adaptons aux réalités locales tout en tenant compte des territoires ruraux.
Dans votre département de Loire-Atlantique, entre 2017 et 2022, on compte 2 500 élèves en moins. À la rentrée 2023, on attend 723 élèves en moins. En parallèle, 326 postes d'enseignement sont créés. Sur les 33 écoles situées dans les communes les plus rurales, le nombre moyen d'élèves par classe est de 19, ratio inférieur au niveau moyen de 22,5 élèves par classe. S'il y a neuf fermetures de classes, il y a aussi quatre ouvertures.
Le projet de carte scolaire fait l'objet d'ajustements, en février, en juin et en août : je suis à votre disposition pour en parler avec vous. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)
M. Joël Guerriau. - D'un côté, les communes investissent dans les écoles malgré des moyens limités, et, de l'autre, votre ministère suit sa propre logique annuelle. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir écouter l'inquiétude des élus locaux. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
Élus locaux face aux injonctions du Gouvernement
Mme Sophie Primas . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Au nom du président Retailleau et de notre groupe, nous exprimons notre solidarité aux peuples turc et syrien et notre reconnaissance aux secouristes français.
Les ministres ont tous une feuille de route : pour Bruno Le Maire, la réindustrialisation ; pour Marc Fesneau, la souveraineté alimentaire ; pour Clément Beaune, les lignes à grande vitesse (LGV) ; pour Bérangère Couillard, la sauvegarde de la biodiversité ; pour Olivier Klein, 400 000 logements supplémentaires ; pour Agnès Pannier-Runacher, l'accélération des énergies renouvelables et le nucléaire ; pour Éric Dupond-Moretti, de nouvelles prisons ; et pour Christophe Béchu, le défi du zéro artificialisation nette (ZAN).
Mais au bout de vos priorités en silo, ceux qui doivent appliquer ces injonctions contradictoires, ce sont les élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, sur plusieurs travées du groupe UC et sur quelques travées du RDSE ; M. Franck Menonville applaudit également.)
Sur les maires, il pleut comme à Gravelotte des priorités toutes prioritaires. Aucune planification territoriale n'est plus possible ; donnez un cap ! Quelles sont vos priorités, madame la Première ministre ? (Acclamations et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - (Huées à droite) Je comprends votre déception...
M. Jean-François Husson. - Sors du silo !
Plusieurs voix sur les travées du groupe Les Républicains. - Et la Première ministre ?
M. Christophe Béchu, ministre. - ... mais je vais tenter de répondre à votre question. Dans ces injonctions contradictoires, il y a ce qui relève du Gouvernement, et ce qui relève du Parlement, à l'image de ce qui a été voté au Sénat sur le ZAN. Les décrets seront réécrits, mais la loi...
M. Marc-Philippe Daubresse. - Le problème, c'est le décret et non la loi !
M. Christophe Béchu, ministre. - Des points sont mis en lumière par la proposition de loi de Valérie Létard et Jean-Baptiste Blanc. Si certains points de ce que vous avez voté n'étaient pas à corriger, nous n'aurions pas cette discussion. La garantie rurale n'était pas prévue, par exemple...
Des enjeux sectoriels ne peuvent pas passer par la poursuite de l'artificialisation au rythme actuel. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Sophie Primas. - Ce n'est pas ma question !
M. Christophe Béchu, ministre. - Comment faire, donc, pour développer des projets et tenir compte de l'artificialisation ?
M. Marc-Philippe Daubresse. - Vous verrez la crise du logement !
M. Christophe Béchu, ministre. - J'ai déjà indiqué les points sur lesquels nous sommes prêts à bouger. Nous en rediscuterons au mois de mars. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Fermetures de classes (II)
M. Jean-Marc Boyer . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La suppression de centaines de classes a été justifiée par la baisse du nombre d'élèves. Le ministre parle chiffres, taux, ratios. Pourtant le candidat Macron avait déclaré qu'il n'y aurait pas de fermeture de classes sans l'aval du maire. (Marques d'ironie sur les travées du groupe Les Républicains)
La réalité est tout autre : 2 000 postes sont supprimés ! Les maires réclament de la concertation et demandent la prise en compte de l'éloignement et de la spécificité des classes multi-âge.
Alors que vous multipliez le dédoublement des classes dans les zones prioritaires, le monde rural paie votre vision comptable déséquilibrée. Or l'école rurale est une chance. Nos villages sont aussi des zones prioritaires.
M. Max Brisson. - Bravo !
M. Jean-Marc Boyer. - Monsieur le ministre, à quand un moratoire sur les fermetures de classes dans le monde rural ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Anne-Catherine Loisier et MM. Claude Kern et Joël Guerriau applaudissent également.)
M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - Aucune fermeture d'école - et non de classe - ne peut intervenir sans l'accord du maire - eh oui, ce n'est pas la même chose. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Hussein Bourgi ironise.)
Le Puy-de-Dôme perdra 616 élèves à la rentrée 2023. Il faudrait 25 professeurs en moins, selon une vision comptable, mais nous n'en retirerons que 9 : le taux d'encadrement va donc s'améliorer.
Nous sommes attentifs aux 491 écoles de votre département dans lequel nous envisageons la fermeture d'une trentaine de classes, mais l'ouverture d'une vingtaine d'autres.
Vous avez raison de mentionner l'éloignement. Nous avons créé les territoires éducatifs ruraux, qui associent école et collège. (M. Max Brisson s'inquiète.) L'un d'entre eux fonctionne très bien dans le Puy-de-Dôme. Nous examinons l'opportunité de les étendre. Ils sont le pendant de ce qui est expérimenté en ville. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Jean-Marc Boyer. - Vous amplifiez la colère des maires et des citoyens de ces territoires, qui subissent déjà les déserts médicaux, le ZAN, les éoliennes (protestations sur les travées du GEST), la diminution des tournées de facteur, les problèmes d'accessibilité, etc. Cessez ce sacrifice de la ruralité sur l'autel des chiffres et des normes. Sinon, les Gaulois réfractaires risquent de se réveiller. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Concurrence d'Airbnb
M. Mickaël Vallet . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Quand les plateformes d'économie numérique menacent notre cohésion républicaine, la puissance publique doit reprendre la main. Certaines villes font les frais d'une concurrence insupportable entre logement classique et meublés de tourisme.
À Oléron, en Charente-Maritime, les abus sur la taxe de séjour sont nombreux. À La Rochelle, en 2022, plus de 1 700 meublés de tourisme ont été nouvellement déclarés, évinçant étudiants et travailleurs en mal de logement. La ville s'est attaquée au problème dès 2019, en instaurant des régimes d'autorisation, étendus aux sociétés civiles immobilières (SCI) en 2022. Elle a aussi imposé des mesures de compensation et favorisé la réservation des petits logements au profit des étudiants et des jeunes actifs. Malheureusement, les plateformes jouent des ambiguïtés du droit.
Avoir un toit pour étudier et travailler auprès des siens est le premier élément d'insertion dans la communauté nationale. Quelles mesures envisagez-vous pour soutenir ces démarches ? La plateformisation du logement mine notre pacte républicain. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE ; Mme Sophie Primas et M. Max Brisson applaudissent également.)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - Mardi prochain, M. Klein, Mme Faure et moi-même recevrons les associations d'élus pour évoquer la décentralisation du logement, au sens large (marques d'ironie sur les travées du groupe Les Républicains) : les zones tendues doivent-elles être déterminées par le ministère ? Le Pinel breton est un bon exemple. (Mme Françoise Gatel acquiesce.)
Nous voulons échanger sur les difficultés de la rénovation, de la construction, de l'accompagnement des personnes. Bien sûr, la question des plateformes sera aussi posée. Les outils à la main des collectivités dépendent de leur classement. Certaines communes touristiques, comme La Baule ou Bayonne, ont pris des dispositions, sur la base du droit existant, avec un réel succès. Certes, il existe quelques trous dans la raquette, mais nous pouvons déjà agir efficacement.
Avec les associations d'élus, nous tiendrons compte de l'hétérogénéité des territoires. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Étiquetage des volailles
M. Vincent Segouin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les labels de qualité de la volaille française vont-ils disparaître ? Depuis des années, la filière travaille sur le respect des normes de qualité, avec un étiquetage clair et simple pour le consommateur.
Mais voilà que fin 2022, la Commission européenne a autorisé tous les labels, sans contrôle. Poulet des champs, poulet de plein vent... Les labels les plus fantaisistes vont émerger. Quelle est votre stratégie pour sauver nos labels et la filière ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - La France a déjà exprimé son désaccord devant le Conseil européen. Cette initiative de la Commission nous inquiète, d'autant que les États ne sont consultés que pour avis.
Le premier risque est un risque de tromperie des consommateurs. Autre risque : que les filières de plein air et le label rouge ne soient plus aussi bien valorisés.
Nous travaillons avec la Commission afin que la proposition qui sera examinée le 22 février prochain par le comité d'experts respecte les règles édictées dans les années 1990.
Dans l'Orne comme ailleurs, la filière volaille connaît déjà d'importantes difficultés, notamment à cause de la crise aviaire. Nous sommes à son chevet pour trouver des solutions de court et long termes, avec la vaccination. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Vincent Segouin. - Comme hier sur le déficit commercial ou la ferme France, le Sénat ne cesse de vous alerter sur le déclin de notre pays sous le poids des normes. La ferme France a perdu de nombreuses batailles : il ne nous reste que le poulet du dimanche, défendez nos labels !
Notre administration contrôle toujours plus les agriculteurs français, au lieu de contrôler les produits importés. On attend toujours les clauses miroirs. La ferme France brûle, et nous regardons ailleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Négociations sur l'hydrogène bas-carbone
Mme Denise Saint-Pé . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Les négociations européennes patinent sur l'hydrogène bas-carbone : le trilogue a été reporté au 6 mars. L'hydrogène devra être produit à partir d'énergie renouvelable, sans mention du nucléaire. En l'état, la France aura du mal à atteindre les objectifs européens.
L'Union européenne avait déjà tenté d'exclure le nucléaire de la taxonomie ; voilà une nouvelle attaque. Madame la ministre, vous aviez qualifié cette exclusion de climaticide : bravo ! Car l'énergie nucléaire est la moins carbonée.
La France n'est pas le seul État membre à défendre cette position. Comment se présentent les négociations ? Si la France n'obtient pas gain de cause, bloquerez-vous la directive ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; le GEST se scandalise.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique . - C'est vrai, les négociations ne prennent pas bonne tournure. L'engagement de la France pour les énergies renouvelables est sans ambiguïté : le Président de la République a lancé le Green Deal ; j'ai présidé le Conseil qui a adopté le paquet « climat » européen ; hier, vous avez adopté le projet de loi visant à accélérer le développement des énergies renouvelables.
Ne nous trompons pas de combat : le nôtre, c'est la décarbonation et la fossilisation. Tous les leviers sont bons. Le nucléaire émet moins de carbone que l'éolien et le photovoltaïque ; c'est pour cela que j'affirme que s'y opposer est climaticide. (Protestations sur les travées du GEST)
Neuf pays, dont la France, ont déjà décarboné leur énergie grâce au nucléaire. Nous avons signé deux accords avec l'Allemagne et l'Espagne qui reconnaissent le rôle de l'hydrogène bas-carbone dans la lutte contre le changement climatique. Je ne laisserai pas un texte contraire à cet objectif être adopté. Avec huit pays derrière nous, nous avons une minorité de blocage. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Réforme du collège
M. Stéphane Piednoir . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Chaque nouvelle évaluation souligne les carences de notre système éducatif : 27 % des élèves de 6e n'ont pas le niveau en français et un tiers ne maîtrise pas les fondamentaux en mathématiques.
Monsieur le ministre, vous avez annoncé une mesurette : la création d'une heure de renforcement dans ces deux disciplines, mais sans dire qui assurera cet enseignement ni évoquer l'école primaire. Dommage collatéral : la suppression du cours de technologie. Quelle stratégie, avec quelle concertation, vous a conduit à prendre une telle décision ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - Les évaluations de 6e ne sont satisfaisantes ni en français ni en mathématiques. Or cette classe est décisive pour l'avenir des élèves. Nous réfléchissons à l'ensemble du cycle 3 : pour les classes de cours moyen, nous mettons l'accent sur l'écriture - seulement 7 % du temps scolaire hebdomadaire. Il faut multiplier les dictées, mais aussi les rédactions, même si cela fait un peu vieux jeu.
M. François Bonhomme. - Cela me va !
M. Pap Ndiaye, ministre. - De même, le calcul mental est primordial. Des circulaires ont été adressées en ce sens.
Une heure de renforcement en français et en mathématiques est prévue, sur le modèle des classes de 6e tremplin de l'académie d'Amiens, qui ont donné de bons résultats. Le dispositif « devoirs faits » sera aussi rendu obligatoire. Il s'agit donc d'un dispositif global qui vise à renforcer les savoirs fondamentaux.
Quant aux cours de technologie, ils sont renforcés de la 5e à la 3e. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Stéphane Piednoir. - Votre prestation serait sévèrement évaluée à l'oral du baccalauréat : ni thèse, ni antithèse, ni synthèse. (Protestations sur les travées du RDPI) En réalité, l'éducation nationale prend l'eau de toutes parts et vous écopez à la petite cuillère. Vous passez votre temps à improviser sur des élèves cobayes. Les enseignants sont lassés de vos annonces permanentes.
Il est grand temps de prendre conscience de l'incurie des programmes : les enjeux sociétaux sont rabâchés à des élèves qui ne savent pas calculer un pourcentage et croient que l'alexandrin est un habitant d'Alexandrie. Proposez-nous autre chose que de l'enfumage d'hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Action de l'État pour les familles sans abri
Mme Laurence Harribey . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le projet d'union sacrée pour le logement entre le Gouvernement et les associations peine à prendre forme. Dans une tribune récente, vous accusez Utopia 56 et la Fondation Abbé Pierre de jouer avec la misère des gens ! Seules les associations proposent des chiffres ! Le 4 février, vingt maires de gauche ont interpellé le Président de la République et proposé sept mesures pour lutter contre le mal-logement. Que leur répondez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Daniel Breuiller et Mme Esther Benbassa applaudissent également.)
M. Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement . - La question du sans-abrisme nous préoccupe et le Gouvernement agit de façon inédite : 200 000 places d'hébergement d'urgence, 5,7 millions d'euros chaque soir pour héberger les plus fragiles... Et ce n'est que justice.
Grâce au plan Logement d'abord I, 440 000 personnes qui étaient à la rue ont retrouvé un toit. La moitié des communes que vous citez sont des territoires d'accélération de ce plan. Dans le cadre de la préparation du plan Logement d'abord II, je réunis régulièrement les maires afin d'accélérer les mises à l'abri, de construire des résidences sociales et des pensions de famille et de renforcer l'accompagnement social.
Jamais nous n'accepterons que des familles soient à la rue et que des enfants ne soient pas scolarisés. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Laurence Harribey. - Je ne mets pas en cause votre volonté personnelle ni votre expérience d'élu local. Mais nous manquons d'une vision globale et le logement reste une variable d'ajustement budgétaire. Ces maires attendent un plan d'urgence national. Mais voulons-nous travailler tous ensemble ? Un simple atelier du Conseil national de la refondation ne saurait suffire. Vous dites qu'une association est mal inspirée quand elle tombe dans l'outrance. Je le dis en toute humilité : un gouvernement est mal inspiré quand il est suffisant. Nous sommes prêts à coconstruire et préparons une proposition de loi : nous verrons quelle sera votre volonté. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Attractivité du métier d'enseignant
Mme Toine Bourrat . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En France, de moins en moins d'adultes veulent se retrouver devant une classe d'enfants pour les instruire, ou plutôt tenter de le faire. Professeur : le plus beau métier du monde après celui de parent, disait Charles Péguy. Quel recul !
Oui, notre pays vit une crise des vocations sans précédent : en mathématiques, on compte moins de candidats que de postes à pourvoir ; à peine plus de 6 % des professeurs de français se sentent considérés ; le climat scolaire se dégrade. Dans ce contexte, plus de 1 600 enseignants ont démissionné en 2021, un taux en hausse constante depuis dix ans. La France est le pays d'Europe où il y a le plus de problèmes de discipline en classe - au sein de l'OCDE, seuls le Brésil et l'Argentine font pire. Voilà les enseignements d'un rapport de la Cour des comptes de la semaine dernière.
Que comptez-vous faire pour réhabiliter la profession d'enseignant et un savoir sans lequel il n'y a plus de promesse républicaine ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - En 2023, le budget du ministère augmente de 6,5 % - c'est inédit. Cela nous permettra de mieux rémunérer les enseignants.
Ces questions d'attractivité se posent dans la majorité des pays du monde et dans tous les pays européens, sauf deux.
La rémunération des enseignants connaîtra une augmentation socle de 10 % en moyenne, conformément à l'engagement du Président de la République. Une augmentation supplémentaire sera accordée à ceux qui accepteront de nouvelles missions, telles que des remplacements de courte durée dans le secondaire ou les heures de soutien et d'approfondissement en 6e. Nous négocions actuellement avec les organisations syndicales.
Le salaire n'est pas le seul critère d'attractivité. Il faut aussi repenser la carrière, avec des portes d'entrée et de sortie.
Mme Toine Bourrat. - Le mal-être du monde éducatif est connu. Le plus beau métier du monde est devenu impossible. Votre mission, c'est de refaire de l'école le temple de la connaissance et du respect. (Acclamations et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Déserts médicaux
M. Bruno Rojouan . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je déplore l'absence du ministre de la santé. Madame la ministre déléguée, en sept mois, quelles décisions concrètes avez-vous prises pour lutter contre les déserts médicaux ? Débats, questions, véhicules législatifs de toutes sortes, le Sénat propose !
Votre ministère répond que tout le pays est touché par le manque de médecins. Cela vous permet de ne pas agir. Or certains territoires souffrent plus que d'autres.
Patients abandonnés, maires de France attendent vos décisions et pas celles d'un comité « machin-chose » qui ne débouche sur rien. Que fait le Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé . - La santé est notre bien commun.
M. François Bonhomme. - Nous voilà rassurés !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Nous sommes pleinement dans l'action. (Marques d'ironie sur les travées du groupe Les Républicains) Nous avons fixé le cap de la refondation de notre système de santé. À l'hôpital, nous voulons octroyer plus de souplesse, via la reconnaissance de la pénibilité, la refonte de l'organisation et la sortie du tout-T2A. Pour la médecine de ville, nous voulons que les soignants aient plus de temps pour soigner : nous créerons 10 000 postes d'assistants médicaux d'ici à 2024. Les tâches administratives seront simplifiées. Cela passe aussi par la responsabilisation de nos concitoyens : 28 millions de rendez-vous ne sont pas honorés. (M. Vincent Segouin ironise.)
Nous favorisons aussi le travail en équipe, avec une répartition des tâches autour du médecin traitant, notamment grâce à des délégations d'actes à d'autres professionnels.
Enfin, nous allons construire un pacte territorial avec les élus, dans une stratégie gagnant-gagnant, en nous appuyant sur le Conseil national de la refondation (CNR) en santé. Vous le voyez : nous sommes pleinement engagés dans la refondation de notre système de santé ! (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. François Bonhomme. - C'est flagrant !
M. Bruno Rojouan. - Madame la ministre, le constat est connu, les solutions vous ont été proposées. Il est temps de décider ! Cette tâche vous incombe, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe CRCE ; M. Jean-Michel Houllegatte applaudit également.)
La séance, suspendue à 16 h 20, reprend à 16 h 35.
« Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines ? »
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat d'actualité sur le thème : « Quelle réponse européenne aux récentes mesures protectionnistes américaines ? »
M. Pierre Louault . - Le grand plan d'investissement américain de l'été dernier nous amène à débattre des réponses que la France et l'Union européenne doivent apporter. L'Inflation Reduction Act (IRA) est un programme puissant de subventions et d'allègements fiscaux de 370 milliards de dollars, visant à financer la transition écologique. Un crédit d'impôt de 7 500 dollars pour l'achat d'un véhicule électrique made in USA y côtoie la subvention pour les fabricants d'éoliennes ou de panneaux solaires en acier américain.
En réalité, il s'agit de favoriser les entreprises américaines et de contourner nos accords de libre concurrence. Nous ne sommes pas dans un monde de Bisounours, même si l'Union européenne semble l'ignorer !
En réaction à ce plan jugé protectionniste, la présidente von der Leyen a annoncé un pacte vert industriel pour une ère sans carbone, avec une réallocation des fonds existants afin de soutenir la compétitivité et le verdissement de l'industrie européenne. Nous soutenons ces orientations, mais appelons la Commission à faire preuve de lucidité.
Mettons en place un plan de développement basé sur des incitations fiscales, mais assurons aussi une concurrence loyale en imposant les mêmes normes aux produits importés qu'aux produits européens.
Il faut inciter le développement industriel sur le sol européen en accordant des avantages fiscaux aux entreprises qui investiront dans des énergies propres, afin d'assurer notre souveraineté énergétique.
Le déficit de la balance commerciale a doublé en 2022, subissant l'onde de choc de la crise énergétique : nos importations ont augmenté de 29 %, nos exportations, de 18 % seulement. Nos voisins aussi sont touchés, même le bon élève allemand. La pénurie de matières premières a pénalisé les secteurs de l'automobile et de l'aéronautique.
Cette crise doit nous inciter à investir massivement pour produire localement une énergie décarbonée. L'Europe a perdu trop de temps à déterminer quelles énergies sont suffisamment vertes pour être subventionnées - je pense bien sûr au nucléaire.
Les avantages offerts par l'IRA, couplés à un prix de l'énergie très faible aux États-Unis, font courir des risques à notre industrie. Nos entreprises innovantes ne seront-elles pas tentées de se délocaliser aux États-Unis ?
La Commission a proposé que les États membres soient autorisés à égaler le montant de l'aide offerte par un pays tiers à leurs entreprises ; c'est encourageant, mais tous les pays n'en auront pas les moyens...
Ce premier pas devra s'accompagner d'une débureaucratisation de Bruxelles. Aux États-Unis, les crédits d'impôt sont immédiats ; en Europe, les aides ne sont versées qu'au bout de plusieurs mois, voire années. Gare à ne pas décourager les entreprises !
La réponse européenne doit s'inscrire dans le temps long afin de donner de la visibilité à nos entreprises.
Les réglementations imposées à nos agriculteurs les ont poussés à se tourner vers le bio, avec un succès mitigé. Dernièrement, la Cour de justice de l'Union européenne a banni l'utilisation des néonicotinoïdes en France et en Belgique. Mais les produits importés, eux, ne sont pas soumis aux mêmes règles ! Nos agriculteurs sont face à une concurrence déloyale. Comment peuvent-ils avoir confiance ? Les produits européens sont dix fois plus contrôlés que les produits importés ! Il nous faut un bouclier vert pour les produits agricoles et pour tous les produits manufacturés qui entrent sur notre territoire.
Quelles réponses apporter au plan américain ? La technostructure saura-t-elle débloquer rapidement les fonds, comme aux États-Unis ? Comment réduire la pénétration de notre marché par les Américains ou les Chinois, alors que l'Europe ressent l'impact du conflit ukrainien ? (M. Jean-Michel Arnaud applaudit.)
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe. - D'abord, félicitons-nous de l'intérêt des Américains pour le climat. Bruno Le Maire s'est rendu aux États-Unis avec son homologue Robert Habeck pour obtenir toutes les concessions possibles. Enfin, le Conseil européen de demain répondra aux enjeux.
En matière de financement, il faut simplifier les aides d'État. Nous allons modifier des seuils, autoriser des crédits d'impôt, réallouer des fonds existants, car beaucoup de pays n'ont pas encore utilisé leur fonds de résilience ou de cohésion. Pour répondre à l'IRA, il faut préserver le marché intérieur des distorsions de concurrence.
Mme von der Leyen a annoncé un fonds souverain dans les secteurs stratégiques de l'énergie, du numérique et de la santé.
Enfin, il faut faire respecter les règles de gouvernance globales. De nouveaux instruments de défense commerciale ont été développés pendant la présidence française de l'Union européenne, comme la taxation de produits sursubventionnés par des pays tiers. Nous ne reproduirons pas pour les véhicules électriques les erreurs commises pour les panneaux solaires.
M. Jean-Pierre Corbisez . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Les États-Unis s'affranchissent de plus en plus des règles du commerce mondial. L'Amérique serait-elle tentée par l'isolationnisme ? Avec l'IRA, elle renoue avec son ancienne doctrine protectionniste. L'Oncle Sam va octroyer 369 milliards de dollars aux entreprises qui investiront dans la transition verte sur son sol. La bonne nouvelle, c'est que les États-Unis ont pris conscience de l'urgence climatique. La mauvaise, c'est qu'ils jouent leur propre partition.
Après la pandémie puis la guerre, le tissu industriel européen est fragilisé. Il se dit que Saint-Gobain, Volkswagen ou encore le fabricant suédois de batteries Northvolt seraient tentés par le nouveau rêve américain... Avez-vous des éléments précis, madame la ministre ?
Le Conseil européen de décembre dernier appelle à « une réponse coordonnée pour renforcer la résilience économique de l'Europe et sa compétitivité, tout en préservant l'intégrité du marché unique ». Or certains États membres ont des positions divergentes...
Le RDSE est favorable à l'assouplissement des aides d'État, que soutiennent Paris et Berlin. L'Europe ne doit pas être dogmatique ! Face à un acte déloyal, le cadre européen doit évoluer sans tarder. Il ne s'agit pas d'entrer en guerre économique avec les États-Unis, certes, mais notre réponse pourrait consister en la création d'un fonds de souveraineté européen. La BPI a su jouer son rôle sur le plan Juncker.
L'Union européenne ne sera jamais autosuffisante, mais doit reconstituer une industrie compétitive, irriguant tous les territoires. La politique de reconquête industrielle ne peut se limiter à une baisse des impôts de production. Nous serons attentifs aux initiatives du chef de l'État dans le cadre du Conseil européen de février.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Un tiers des fonds européens sont dédiés à la transition énergétique. Si les chiffres de la balance commerciale sont décevants, on note une hausse de nos exportations agricoles de 37 %, ainsi qu'un excédent de 23,5 milliards d'euros dans l'aéronautique. Nous ne sommes pas démunis !
Nous apportons une réponse en quatre temps : une flexibilité immédiate des financements existants ; des instruments de défense commerciale ; la création, dans un second temps, d'un fonds souverain pour tous les États membres ; enfin, un plan Compétences, en particulier pour le numérique et l'énergie.
M. Alain Cadec . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Par sa nature, son ampleur et ses modalités, l'IRA soulève des questions difficiles. Cette loi marque un engagement des États-Unis en faveur de la transition écologique, ce qui doit être salué. Mais le volume des subventions interroge : 70 milliards de dollars, réservés aux productions localisées sur le territoire américain. Combiné au moindre coût de l'énergie, ce plan massif risque d'inciter les investissements européens dans les secteurs d'avenir à préférer les États-Unis à l'Europe...
L'Union européenne ne peut rester sans réaction face à cette concurrence déloyale, mais elle est devant le fait accompli : l'IRA est déjà entré en vigueur. Il faut donc rapidement mettre en place tous les éléments d'une réponse européenne.
Les aides américaines enfreignent clairement les principes de l'OMC, mais les contester à Genève serait contre-productif, tant l'organe de règlement des différends (ORD) est paralysé. Les États-Unis n'ont d'ailleurs aucune intention de se plier à ses recommandations.
Amener l'administration américaine à aménager des exceptions en faveur de l'Union européenne est mission impossible.
Aux Européens de trouver par eux-mêmes la parade. Une piste consiste à assouplir ou suspendre les règles européennes concernant les aides d'État. L'inconvénient est double : favoriser les seuls États qui peuvent se le permettre financièrement, et remettre en cause le principe de level playing field sur lequel repose le marché unique.
Une autre piste, privilégiée par la France, serait de déployer un plan européen similaire, d'un montant suffisant pour conserver les investissements en Europe. Mais où trouver les fonds, après le plan de relance de 750 milliards d'euros ? Des fonds pourraient certes être réorientés vers un fonds européen de souveraineté, comme la Commission l'envisage, mais cela ne suffira sans doute pas.
Les États-Unis manifestent un égoïsme sacré avec leur politique America First. Ils restent les princes du protectionnisme. Ceux qui espéraient une amélioration après Trump en sont pour leurs frais : seul le style a changé. Les considérations géopolitiques pèsent peu face aux enjeux de politique intérieure.
Ce constat doit inciter l'Europe et la France à privilégier l'autonomie stratégique dans tous les domaines. Le Général de Gaulle avait eu l'intuition, dès 1945, de cette impérieuse exigence : après des décennies de mondialisation débridée, il est grand temps qu'elle revienne au premier plan. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - L'Union européenne doit assumer sa puissance géopolitique : elle est forte de 450 millions de citoyens dotés d'un pouvoir d'achat parmi les plus élevés de la planète. C'est pourquoi le Président de la République promeut la notion de souveraineté et d'autonomie stratégique.
À l'inverse des États-Unis, nous nous appuyons sur des règles claires. Depuis la présidence française de l'Union, nous avons les mesures miroir, l'instrument anti-subvention.
À Washington, Bruno Le Maire a obtenu une alliance sur les matériaux critiques.
Le différentiel de compétitivité tient avant tout au différentiel du prix de l'énergie. Nous souffrons des conséquences de la guerre en Ukraine. (M. Fabien Gay proteste.) Une réforme du marché de l'électricité est en cours, qui sera discutée lors du Conseil Énergie de mars.
M. Joël Guerriau . - La guerre commerciale que se livrent l'Union européenne et les États-Unis n'est pas récente : 35 différends soumis par l'Union contre les États-Unis, 20 dans l'autre sens, et le record du plus long conflit commercial qu'ait connu l'OMC : 17 ans sur les subventions illégales Airbus-Boeing !
Régulièrement, la presse titre sur une nouvelle guerre commerciale. Après quatre années de trumpisme, les Européens promettaient de développer enfin leur souveraineté, avec le plan NextGenerationEU, de 670 milliards d'euros. Bien naïf celui qui pensait que les États-Unis changeraient d'attitude sous Biden.
La crise du covid nous a confrontés à nos lacunes, particulièrement à notre dépendance à l'égard de la Chine. La guerre en Ukraine révèle la dépendance énergétique à l'égard du gaz russe. Les dernières mesures protectionnistes adoptées l'été dernier par les États-Unis ne feront qu'aggraver les choses.
Avec l'IRA, les États-Unis se donnent dix ans pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Si la compétition mondiale se concentre sur les technologies propres, tant mieux ! Créons de l'émulation. Mais nous devons réagir, car la principale menace est celle d'une délocalisation de nos entreprises vers les États-Unis. Nous devons prendre en main notre destin.
Souvenez-vous, monsieur le président, des contrats signés avec l'Iran, pour des milliards de dollars, détruits en 2018 par la rupture des accords par Donald Trump.
M. le président. - C'était une autre époque !
M. Joël Guerriau. - L'Union européenne a transformé un espoir de paix en réalité concrète. Être européen, c'est agir ensemble ; faisons de notre diversité une force.
Après les derniers conseils européens, allons-nous réussir à trouver une solution commune ? Madame la ministre, je ne vois qu'une seule réponse : l'unité - même si ce n'est pas une mince affaire.
Nous espérons une réponse puissante à l'IRA, mais nous devons aussi mener la bataille des idées et du modèle. Affirmons haut et fort que nous sommes avant tout des Européens. (M. Alain Richard applaudit.)
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Premier volet de la stratégie de souveraineté européenne : la défense, avec des capacités d'achat, des forces qui peuvent agir ensemble, en articulation avec l'Otan, une préférence européenne en matière d'achat d'armement.
Deuxième élément : l'autonomie énergétique et industrielle, à savoir les finances, les talents et les secteurs stratégiques. Nous sortons du gaz russe, nous avons diversifié les sources, construit une plateforme d'achat commun et engagé la réforme du marché de l'électricité.
Dernier volet : l'influence et le développement de la Communauté politique européenne, lancée par le Président, dont la première réunion a eu lieu à Prague, et la prochaine, en juin, en Moldavie.
M. Jacques Fernique . - Face à Washington, qui subventionne massivement son industrie, Paris et Berlin ont proposé des contre-mesures à la Commission. Mme von der Leyen a dévoilé à Davos ses propositions, qui font écho au « protectionnisme vert européen » prôné par les écologistes.
Il s'agit de réindustrialiser l'Europe en sortant du libre-échange pour aller vers le juste échange. « Protectionnisme », le mot fait peur. Il ne s'agit pas de nous calfeutrer, mais de voir le monde tel qu'il est. Les multinationales exploitent la moindre faille dans les réglementations. Assumons notre rang de premier marché au monde, imposons le respect de nos valeurs ; on ne peut plus polluer impunément sans tenir compte des externalités négatives dans le prix.
En réponse à l'IRA, la Commission veut autoriser plus d'aides d'État. Mais il manque un levier : le Buy European Act pour favoriser les produits made in Europe dans les marchés publics, qui représentent 14 % du PIB européen. C'est une protection, mais aussi un levier pour créer des emplois durables et décarboner nos économies. Pour le moment, il n'apparaît ni dans les conclusions du Conseil ni dans la proposition de la Commission. Le candidat Macron l'avait porté en 2017, mais il l'a abandonné au profit de la concurrence de tous contre tous. Seule l'Europe laisse ses marchés publics ouverts à tout vent.
Nous avons enfin décidé d'une taxe carbone aux frontières, fermé nos marchés aux produits issus de la déforestation. L'impact est palpable, mais trop lent. Les États-Unis, eux, agissent d'abord et discutaillent après. Sur le photovoltaïque, nous avons raté le train.
Défendons la possibilité de consommer des produits de chez nous et de pays qui respectent nos normes. La France devrait pousser pour obtenir enfin les clauses miroirs pour l'agriculture. Elles sont absentes de l'accord Mercosur, qui n'est que mondialisation de la malbouffe et arrêt de mort pour nos paysans...
La France a l'habitude de proposer des choses intéressantes, mais d'y renoncer au premier froncement de sourcil. Prenons notre bâton de pèlerin et recherchons des alliances ! En quelques années, nous avons obtenu des avancées qu'on pensait impossibles : taxe sur les superprofits énergétiques, interdiction des importations issues du travail forcé, impôts sur les sociétés, devoir de vigilance, taxe carbone aux frontières. L'Europe se fortifiera en les approfondissant.
Présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Je vous trouve bien négatif, alors que vous reconnaissez ces succès européens.
Plutôt que le protectionnisme, la stratégie made in Europe vise à inclure des critères qualitatifs dans la commande publique, afin de favoriser les entreprises qui respectent les normes européennes, sans revenir sur le principe de libre accès à la commande publique.
Le Gouvernement soutient les mesures miroirs sectorielles, lorsque c'est nécessaire pour protéger la santé et l'environnement. C'était l'une des priorités de la présidence française. La Commission a confirmé leur faisabilité. Le Gouvernement veillera à ce que le Conseil et le Parlement européens les mettent en place dès que nécessaire.
Mme Nadège Havet . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Il y a deux semaines, nous adoptions le projet de loi relatif à l'accélération des procédures dans le nucléaire, et trouvions un compromis sur celui relatif aux énergies renouvelables. Hier, lors du salon Hyvolution, la ministre de la transition énergétique a présenté les lauréats des appels à projets « Écosystèmes territoriaux hydrogène ». Depuis vendredi, les élus locaux peuvent solliciter des financements au titre du fonds vert pour leurs projets durables.
Tout cela montre que le Gouvernement veut aller plus loin, plus vite pour tenir ses objectifs de décarbonation.
Le cap européen est aussi fixé : zéro émission nette de gaz à effet de serre en 2050. Parmi les leviers pour y parvenir, la feuille de route « Ajustement à l'objectif 55 » et les plans NextGenerationEU, doté de 725 milliards d'euros, et REpowerEU pour retrouver l'autonomie.
Le Conseil européen discute en ce moment du pacte vert pour renforcer la compétitivité de l'Europe et soutenir une transition rapide vers la neutralité climatique. Une proposition juridique devrait aboutir d'ici à la mi-mars. Nous sommes à un tournant historique, avec l'ambition, rappelée par Bruno Le Maire, de faire de l'Europe l'une des trois puissances de l'industrie verte.
Mais la compétition internationale est rude : l'IRA ouvre la porte à une relocalisation des activités sur le sol américain, au risque de perturber le développement de notre tissu industriel vert.
Alors que nous cherchons un cadre réglementaire européen approprié, nous ne pouvons tolérer des distorsions de concurrence - c'est le sens du déplacement des ministres de l'économie allemand et français à Washington.
Simplification de la procédure des projets importants d'intérêt européen commun (Piec), assouplissement des règles sur les aides d'État, réflexion sur la commande publique, réorientation des financements de REPowerEU, InvestEU ou du Fonds d'innovation vers les technologies propres, formation aux métiers de demain : voilà les réponses à apporter.
En parallèle, nous devons poursuivre les négociations, obtenir des exemptions, rétablir des conditions de concurrence équitables avec les États-Unis. L'Europe est sans aucun doute l'échelon pertinent. Je suis sûre que nous saurons trouver les réponses ensemble.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - REPowerEU est un plan ambitieux : 200 milliards d'euros de prêts, 20 milliards de dons.
Nous demandons à la Banque européenne d'investissement (BEI) de se mobiliser et de réfléchir à des plans de financement pour la transition énergétique. Les projets d'accélération en cours iront aussi chercher des investissements privés, grâce à l'union des marchés de capitaux.
L'ampleur du fonds souverain fait l'objet d'une réflexion qui sera l'occasion de relancer le débat sur les ressources propres.
Les Piec accélèrent. L'objectif est de réduire les délais d'autorisation à quatre mois. De même, les crédits d'impôt seront immédiats.
Les Américains en sont à la rédaction des décrets, qui prévoient des exemptions sur les véhicules électriques en leasing. Comptez sur nous pour obtenir ces exemptions.
M. Didier Marie . - Après la crise sanitaire, après l'invasion de l'Ukraine, la vague protectionniste est un nouveau défi. L'IRA dopera l'industrie et la consommation américaines. Il faut saluer cette réponse apportée au dérèglement climatique, mais se méfier du risque de délocalisation massive d'entreprises européennes confrontées à une énergie chère et un encadrement strict des subventions.
Alors que la Chine a elle aussi pris le virage de l'industrie verte à grand renfort d'aides d'État et de travail à bas coût, ce changement de paradigme doit pousser l'Union à être plus ambitieuse. Celle-ci ne part pas de zéro, même si elle a trop souvent agi en réaction aux crises, et non par anticipation : réglementation antidumping, filtrage des investissements étrangers, mesures de sauvegarde, mais aussi règlement sur les subventions étrangères, Chips Act et instrument du marché unique pour les situations d'urgence.
La présidente von der Leyen a présenté les contours du pacte vert ; c'est une bonne nouvelle. N'ayons aucun tabou. Ce plan prévoit une simplification du cadre réglementaire européen, avec la très attendue réforme du marché de l'électricité, l'assouplissement des aides d'État, la réutilisation d'enveloppes financières existantes, la mise en oeuvre d'un fonds souverain, l'amélioration des compétences.
Après ces annonces bienvenues, la Commission semble toutefois tergiverser. La France doit s'engager avec force dans les négociations.
Quelle est à ce stade la définition des technologies propres ? L'hydrogène, l'hydraulique ou le nucléaire seront-ils concernés ? Quelle articulation avec la directive sur les énergies renouvelables ? Les concepts de sobriété, d'efficacité énergétique et de décarbonation de l'industrie lourde sont ignorés : cela vous inquiète-t-il ? Quid d'un Buy European Act ?
La simplification administrative ne doit pas se transformer en dérégulation à outrance, et je regrette l'absence d'un pilier social.
Nous avons suivi les déclarations volontaristes du président Macron et de Bruno Le Maire. Mais seul compte le résultat. Quelles concessions Robert Habeck et Bruno Le Maire ont-ils obtenues hier à Washington ? Toutefois, il me paraît illusoire d'espérer un assouplissement des positions américaines.
Il nous faut réagir par un plan ambitieux, non par rétorsion, mais pour ne pas être marginalisés. Le plan européen présenté à Davos doit maintenant être précisé, sans être édulcoré.
En matière de financement, jusqu'où la Commission et le Conseil sont-ils prêts à aller ?
L'encadrement des aides doit être pensé pour éviter de creuser les écarts entre pays. Nous devons aussi nous doter d'un fonds de souveraineté ambitieux ; nous regrettons les réserves de l'Allemagne à cet égard.
La prochaine revue de mi-parcours du cadre financier pluriannuel est une opportunité. L'Union européenne doit d'abord se doter de nouvelles ressources propres : le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et une nouvelle taxe sur les transactions financières sont des pistes. Ensuite, le recours à l'emprunt mutualisé pour abonder le futur fonds ne peut être tabou. Quant à la BEI, elle doit devenir le prêteur le plus vert au monde.
Il ne nous faut pas entrer dans une guerre commerciale et une spirale protectionniste. L'Union européenne doit se dégager de l'étau du conflit sino-américain en continuant de s'ouvrir au reste du monde, avec une exigence en matière environnementale.
Nous devons aussi développer les compétences des salariés pour réussir les transitions numérique et écologique. La reconnaissance mutuelle des qualifications facilitera la mobilité interne ; elle doit s'accompagner d'un souci de qualité des emplois et de dignité au travail.
La réponse aux mesures protectionnistes des États-Unis, qui ont délibérément contourné les règles de l'OMC, doit être globale et ambitieuse. Nous devons négocier tout ce qui peut l'être et, en parallèle, nous doter d'un plan industriel innovant et réduire nos dépendances stratégiques. Nous comptons sur le Gouvernement pour faire de ce moment une opportunité. (Mme Gisèle Jourda applaudit ; M. Jacques Fernique manifeste son approbation.)
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Des consultations publiques sont en cours pour réformer le marché de l'électricité. Nous voulons une production soutenable et préserver le pouvoir d'achat des consommateurs. (M. Fabien Gay s'exclame.)
Hydrogène, solaire, batteries, semi-conducteurs : dans tous ces secteurs, nous devons développer les formations, car 800 000 postes y seront à pourvoir d'ici 2025. Facilitons la reconnaissance des formations et attirons les talents de l'Union européenne et d'ailleurs. Une cartographie des métiers concernés est en cours d'élaboration.
Aux États-Unis, les ministres Bruno Le Maire et Robert Habeck ont obtenu l'élargissement des exemptions au plus grand nombre possible de composants européens pour les véhicules électriques et les matériaux critiques. Un nouveau canal de communication sera mis en place au niveau ministériel, à la demande des Européens.
M. Fabien Gay . - L'enjeu de ce débat est capital pour nos industries, notre agriculture, nos emplois et nos territoires. Les États-Unis, qui n'ont jamais été avares de mesures protectionnistes, mettent aujourd'hui sur la table 370 milliards de dollars pour l'IRA et 52 milliards supplémentaires dans le cadre du Shipping Act, sans concertation avec leurs partenaires. Cette stratégie offensive vient d'être confirmée par le président Biden dans son discours sur l'état de l'Union.
La situation est grave pour les secteurs stratégiques européens. Les Américains sont incités à acheter américain en contrepartie de réductions d'impôt ou de subventions directes. Les dirigeants américains amplifient la guerre économique sous prétexte d'engagement environnemental. Les Nord-Américains seraient plus crédibles s'ils ne renforçaient pas l'exploitation du gaz de schiste...
Déjà prééminents dans les industries pharmaceutique et numérique, les États-Unis se renforcent contre l'Union européenne dans l'industrie de l'armement, l'énergie ou le transport maritime. Ils cherchent à attirer les entreprises d'avenir en captant les savoir-faire et les brevets, sans s'embarrasser des théories du libre-échange qu'ils prônent à l'OMC. Ils utilisent le dollar, monnaie de référence des échanges internationaux, comme une véritable machine de guerre.
Alors que la souveraineté de l'Union européenne est menacée, nous ne pouvons pas rester les bras ballants ni nous asseoir une fois de plus dans les fourgons des Américains.
Nous pouvons nous défendre en renforçant nos marchés publics, qui représentent de 14 à 19 % de l'économie européenne. Préparons nos industries et notre agriculture pour relever les défis d'avenir en investissant dans la recherche et le développement. Quand des secteurs entiers sont menacés, il est possible de déclencher la clause de sauvegarde.
Nous n'avons aucun intérêt à être suivistes des États-Unis. L'alignement sur leur stratégie militaire nous empêche de défendre nos intérêts stratégiques. Nous devrions avoir l'audace de bâtir des consortiums européens, de réviser le marché européen de l'électricité, de modifier les règles budgétaires européennes, pour enfin investir. Les aides d'État comme les crédits européens doivent être conditionnés aux investissements verts et à la défense de nos emplois. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Gisèle Jourda et M. Christian Bilhac applaudissent également.)
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Tout ce que vous le demandez, nous le faisons déjà ! Simplement, nous n'en faisons pas la promotion. (Marques d'ironie sur plusieurs travées à gauche)
La réforme budgétaire, nous la faisons. La flexibilité figure dans les propositions de la Commission. La préférence européenne fait l'objet de décisions. Nous disposons d'instruments commerciaux assertifs et allons les utiliser. Nous avons la 5G, pas les Américains. Nous sommes les plus avancés au monde en matière environnementale.
Nous sommes leaders, pas suiveurs, et comptons sur vous pour le faire savoir !
M. Fabien Gay. - Nous avançons des propositions, et vous nous répondez : tout va bien !
Dans le domaine spatial, par exemple, les Américains sont en train d'achever leur constellation de satellites. Ils subventionnent Space X à gogo et, d'ici quelques années, contrôleront toutes les données. (Mme la secrétaire d'État le conteste.) Même nos données de santé sont détenues par des entreprises américaines.
Sur le marché européen de l'électricité, voilà un an que Bruno Le Maire nous promet de faire bouger les choses, mais rien n'avance et nous restons pieds et poings liés !
M. Jean-François Rapin . - Voilà trente ans, le Sommet de Rio lançait la guerre contre la pollution. Mais la coopération internationale reste laborieuse. Lorsque le deuxième émetteur mondial de gaz à effet de serre engage la décarbonation de son économie, comment ne pas y voir un bon signe ?
Mais si l'IRA est une bonne nouvelle pour la planète, il représente un défi économique et conceptuel pour l'Europe. Car l'ambition du texte est environnementale, mais surtout industrielle : il s'agit de prendre la tête de la course aux technologies propres, clé de voûte de l'économie de demain. Le message est clair : les fonds publics ne profiteront qu'aux produits made in America.
Alors que nos industries font face à une explosion des prix de l'énergie, l'IRA pourrait leur porter un coup fatal. Les récentes décisions d'investissement des grands groupes en témoignent. Le risque de délocalisations devient systémique. Le plan américain pourrait faire perdre 10 milliards d'euros d'investissement et 10 000 emplois potentiels à la France.
Sur le plan conceptuel, il souligne les différences d'approche entre les États-Unis et l'Union européenne. Quand l'Europe cherche à imposer ses normes, les États-Unis s'en remettent à une politique offensive, avec pour seule boussole la défense de leurs intérêts économiques. Les Américains usent de longue date d'un protectionnisme assumé - le Buy American Act est en vigueur depuis 1933.
L'Europe doit regarder ces réalités en face. Bien sûr, les discussions entamées doivent être poursuivies. Mais nous ne pouvons espérer que des ajustements à la marge. Quant à la saisine de l'OMC, elle n'offrirait aucune solution rapide, les Américains bloquant l'organe de règlement des contentieux.
C'est donc avant tout par ses propres moyens que l'Europe doit répliquer, afin de rester une terre de production. Les aides d'État doivent être simplifiées et accélérées. Attention toutefois à ne pas déstabiliser le marché unique par des subventions disparates. Grâce à un fonds de souveraineté, quelque 350 milliards d'euros soutiendront les projets industriels innovants ; mais la question du financement reste entière, alors que l'Europe ne sait toujours pas comment elle remboursera son plan de relance.
Pour une réindustrialisation efficace, nous avons besoin aussi de simplifier l'environnement réglementaire, de développer les compétences, de réformer le marché européen de l'électricité.
Avant tout, l'Union européenne doit adapter son logiciel de pensée et se résoudre à jouer à armes égales avec nos concurrents. Elle doit faire de la réciprocité le maître mot de sa stratégie commerciale et ne pas s'interdire de renouer avec le principe de préférence communautaire, à l'instar du Buy American Act, à rebours des politiques menées ces dernières décennies.
En améliorant le contrôle des actifs stratégiques et en modifiant son regard sur le concurrent chinois, l'Europe a montré qu'elle sait évoluer. Elle doit franchir un cap, pour ne pas être la variable d'ajustement de la mondialisation. Selon la formule de Sigmar Gabriel, elle ne peut rester un herbivore dans un monde de carnivores ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Les 670 milliards d'euros d'aides d'État annoncés par la Commission correspondent à des autorisations ; ils n'ont pas forcément été déboursés. Rapportés à la population, les montants dépensés sont plus importants en Finlande et au Danemark qu'en France et en Allemagne.
Tous les pays doivent soutenir leur industrie, car les chaînes de production parcourent tout le continent. Il nous faut trouver un équilibre entre aides d'État et fonds de cohésion. Il est également envisagé d'ouvrir les Piec aux PME. (M. Jean-François Rapin s'en félicite.)
Mme la présidente. - Il vous revient à présent de conclure le débat.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe . - Merci pour ce débat riche et qui tombe à point nommé : ces questions seront au coeur des discussions des chefs d'État demain et après-demain.
Il s'agit de la capacité de l'Union européenne à s'affirmer comme puissance industrielle et commerciale à part entière. Telle est l'ambition du Président de la République : une Europe plus forte, plus résiliente et plus souveraine.
Nous faisons face à un triple défi d'une ampleur exceptionnelle : s'adapter aux transitions écologique et numérique, réduire nos dépendances stratégiques et établir les conditions d'une concurrence équitable - ce qui n'est pas le cas, compte tenu des pratiques distorsives de nos partenaires.
Nous allons poursuivre les discussions avec les Américains, mais le ressort principal est interne. Nous devons donner de la visibilité à nos industriels : c'est le sens du plan vert, que nous soutenons.
Il nous faut aussi sécuriser notre approvisionnement en matériaux critiques et simplifier drastiquement notre environnement réglementaire, non pour baisser nos standards, mais pour les rendre plus clairs. En la matière, il faut un choc de modernisation et de simplification. Nous plaidons aussi pour une réforme du marché de l'électricité et l'adaptation des règles de commande publique aux enjeux industriels.
Nous aurons besoin de mobiliser des capitaux privés, mais aussi publics, à travers d'abord des redéploiements, puis le fonds de souveraineté.
En matière commerciale, nous mobilisons des outils protecteurs et assertifs. C'est la fin de la naïveté.
La préparation du Conseil européen a mis au jour des clivages entre États membres, mais nous allons continuer d'oeuvrer à des positions communes.
Nul ne veut d'une guerre commerciale. Mais l'Union européenne ne doit pas être une variable d'ajustement. Ce paquet ambitieux combine flexibilités raisonnables sur les aides d'État et accélération des négociations avec les États-Unis : vous pouvez compter sur nous pour faire avancer une politique industrielle européenne digne de ce nom ! (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; M. Pierre Louault applaudit également.)
La séance est suspendue quelques instants.
Avis sur une nomination
Mme la présidente. - En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n°2010-837 et de la loi ordinaire n°2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des finances a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable (17 voix pour, 1 voix contre) à la reconduction de M. Nicolas Dufourcq aux fonctions de directeur général de la société anonyme Bpifrance.
Reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens de 1915-1918
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution relative à la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens de 1915-1918, présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par Mme Valérie Boyer, M. Bruno Retailleau et plusieurs de leurs collègues.
Mme Valérie Boyer, auteure de la proposition de résolution . - Je salue, parmi les personnes présentes en tribune, Marius Yaramis, président de l'Association des Assyro-Chaldéens de France, François Pupponi, le professeur Efrem Yildiz et le président du Seyfo Center, Sabri Atman. J'adresse un salut particulier au professeur Joseph Yacoub et à son épouse.
Ils sont les rescapés d'une entreprise de destruction massive, d'un génocide.
Voilà onze ans, le Sénat marquait l'Histoire en votant un texte que j'avais défendu à l'Assemblée nationale réprimant le négationnisme du génocide de 1915. Il y a près de vingt-deux ans, le Parlement votait la reconnaissance du génocide arménien.
Je remercie le président Larcher d'avoir inscrit à l'ordre du jour cette résolution appelant à la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens entre 1915 et 1918 et Bruno Retailleau de s'être toujours mobilisé sur ce sujet, ainsi qu'Hervé Marseille pour son soutien.
J'espère que nous saurons nous rassembler pour une cause qui nous transcende : la justice et les droits humains. Si l'histoire est un perpétuel recommencement, elle ne doit pas être un renoncement éternel.
Oui, l'avenir de l'Occident et celui de l'Orient sont intimement liés. Le sort des chrétiens d'Orient et des autres minorités est un prélude à notre propre destin.
Or les chrétiens d'Orient sont en danger de mort, et nous sommes les témoins de ce massacre revendiqué. En juin 2014, Daech en Irak et au Levant prenait le contrôle de Mossoul, l'ancienne Ninive, qui compta jusqu'à 30 000 chrétiens assyro-chaldéens. Ces barbares ont provoqué la fuite de près de 10 000 chrétiens, sommés de se convertir à l'islam ou de quitter la ville sans rien emporter.
« S'ils se taisent, les pierres crieront », écrit saint Luc. (Murmures sur certaines travées à gauche) Mais, demain, qui parlera l'araméen, la langue du Christ ? Plus d'un siècle après 1915, l'histoire bégaie.
Ce fut le premier génocide du XXe siècle, perpétré par l'Empire ottoman turc ; plus de 2,5 millions de chrétiens périrent, d'origine arménienne, assyro-chaldéenne, syriaque ou grecque pontique. Les motifs étaient à l'époque laïcistes, mais il s'agissait d'épuration ethnique ; ils sont islamistes aujourd'hui, mais la méthode reste la même.
Ce génocide fut physique, culturel et cultuel. Un demi-million de personnes furent martyrisées.
Dès 2015, j'ai déposé à l'Assemblée nationale une proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens. Je l'ai déposée de nouveau, au Sénat, en février 2022, avec Bruno Retailleau. À l'Assemblée nationale, Raphaël Schellenberger vient de déposer une résolution similaire.
Nous avons un rôle de protection des chrétiens d'Orient, héritage d'une longue histoire remontant à François ler et Soliman le Magnifique. Ne laissons pas la France faillir à son devoir historique et moral !
Malheureusement, nous parlons cet après-midi autant d'histoire que d'actualité. Les chrétiens d'Orient font toujours face à une volonté d'éradication. Dans le monde, un chrétien sur sept est persécuté, soit 360 millions de personnes. Erdogan fait régulièrement allusion aux « résidus de l'épée », expression abjecte.
Nous parlons d'une communauté petite en nombre, mais majestueuse par sa culture ; d'un peuple bouc émissaire de ceux qui veulent imposer par la force un régime qui n'a rien à voir avec la religion, mais tout avec l'assouvissement des pires instincts humains.
Contrairement au génocide arménien, reconnu par de nombreux pays et organisations internationales, le massacre des Assyriens souffre d'un manque de reconnaissance en tant que génocide. Si, comme le dit Emmanuel Macron, la France veut regarder l'Histoire en face, elle ne doit oublier personne.
Plus largement, l'Europe n'a jamais fait du sort des chrétiens d'Orient une de ses priorités, soucieuse de protéger ses sources d'approvisionnement en énergie et portant la mauvaise conscience de sa responsabilité dans les conflits qui ravagent le Moyen-Orient depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Mais nous avons appris de nos erreurs et payé le prix de nos fautes. Parce que nous sommes à la fois des protecteurs historiques des chrétiens d'Orient et le pays des droits de l'homme, nous ne pouvons rester passifs devant les génocides du XXe comme du XXIe siècle. Les actes commis par les forces ottomanes il y a plus d'un siècle comme ceux commis aujourd'hui par Daech doivent être considérés comme des génocides et des crimes contre l'humanité.
Ban Ki-Moon, secrétaire général de l'ONU, avait affirmé en 2015 que les actions intentées contre les chrétiens pouvaient être considérées comme un crime contre l'humanité. Mais il s'agit d'un véritable génocide.
Ces génocides nous obligent à agir au nom de l'histoire et des engagements de la France. D'autant que, comme l'explique Joseph Yacoub, le génocide s'est accompagné d'atteintes graves à l'héritage culturel. Les Assyro-Chaldéens se sont vus déposséder d'une grande partie de leurs lieux de culture et de mémoire ; plus de 400 églises et monastères ont été détruits.
Nous demandons au Gouvernement de reconnaître l'extermination de masse, la déportation et la suppression de l'héritage culturel de plus de 250 000 Assyro-Chaldéens par les autorités ottomanes entre 1915 et 1918 comme un génocide. Nous l'invitons aussi à faire du 24 avril la date de commémoration du génocide arménien et du génocide assyro-chaldéen.
À ceux qui parlent de concurrence des victimes, je réponds : universalité. Comme le disait Elie Wiesel, « en niant l'existence d'un génocide, en l'oubliant, on assassine les victimes une seconde fois ». Faisons des Assyro-Chaldéens un peuple non plus en marge, mais inséré dans l'histoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Joël Guerriau applaudit également.)
M. André Guiol . - (M. Christian Bilhac applaudit.) Cette proposition s'inscrit dans le prolongement de la reconnaissance du génocide des Arméniens de 1915. Le génocide est la pire abomination de l'humanité.
Nous portons tous la même appréciation sur ces moments tragiques de l'histoire. Bien entendu, il faut condamner les massacres perpétrés entre 1915 et 1918 contre les Assyro-Chaldéens, un peuple réduit par sa taille, mais riche de sa culture et immense par les gloires qu'il rappelle ; un peuple qui a presque entièrement péri sans que nul ou presque ne s'en émeuve ; un peuple sans État, oublié, il y a un siècle, par le climat favorable aux nationalités.
Après s'être engagée à apporter des garanties pour la protection des Assyro-Chaldéens et des autres minorités à l'intérieur de l'Empire ottoman, la France a finalement rendu caduc tout accord intervenu.
Elle doit aujourd'hui jouer de nouveau son rôle de porte-étendard et protectrice des minorités.
La qualification de génocide fait l'objet de débats. Nous ne pouvons adopter des positions à géométrie variable. Ces massacres répondent assurément à la notion de crime contre l'Humanité. Il ne faut pas de concurrence des victimes et des mémoires : nos indignations ne peuvent être sélectives.
La liste des génocides serait longue - je pense aux Tutsis, par exemple - , mais la reconnaissance du génocide assyro-chaldéen est une étape. Cet acte mémoriel ne doit pas diviser les descendants des peuples, mais servir de fondement à la réconciliation. L'Association internationale des spécialistes des génocides, l'Allemagne et le Saint-Siège ont déjà fait ce pas.
Je rappelle toutefois que, en 2012, la reconnaissance du génocide arménien avait suscité des tensions avec la Turquie. Je ne suis pas certain que le moment soit opportun pour adopter ce texte, alors que la Turquie souffre à la suite des tremblements de terre.
Chaque membre du RDSE se prononcera en son âme et conscience, une majorité d'entre nous votant le texte. (M. Christian Bilhac, Mme Nicole Duranton et MM. Guillaume Gontard, Rachid Temal et Rémi Féraud applaudissent.)
M. Bruno Retailleau . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le groupe Les Républicains exprime toute sa compassion envers le peuple turc et le peuple syrien endeuillés.
En parlant de M. Erdogan et du rôle de la Turquie, je parlerai d'un régime, en le distinguant bien du peuple turc.
Avec cette proposition de résolution, nous entendons poser deux actes : un acte de reconnaissance et un acte de résistance.
L'acte de reconnaissance est nécessaire. Qui sait encore que, entre 1915 et 1918, plus de la moitié du peuple assyro-chaldéen a été rayée de la carte ? Que 250 000 personnes ont été massacrées ? Nous devons reconnaître cette réalité. Ce crime génocidaire est contemporain du génocide arménien, reconnu il y a vingt-trois ans sur l'initiative du président Chirac ; les deux sont liés.
Un parallèle peut être tracé entre les histoires des peuples arménien et assyro-chaldéen. Leur massacre fut planifié, au nom de ce qu'ils étaient. On a visé à effacer leur culture, qui est le plus court chemin de l'homme à l'homme.
Il s'agit aussi d'un acte de résistance face au négationnisme et au fatalisme. L'histoire est aujourd'hui instrumentalisée, notamment par M. Erdogan qui veut réécrire l'histoire pour reconstruire l'Empire ottoman. Tous les régimes autoritaires procèdent ainsi.
Nous parlons d'un peuple numériquement peu important, mais à l'histoire multiséculaire. En 2014, premier parlementaire à me rendre en Irak après la proclamation du califat, j'ai vu son courage et sa résistance ; j'ai vu les efforts de ce peuple pour jeter des passerelles culturelles et religieuses entre toutes les communautés. Je salue en particulier l'action du cardinal Louis Raphaël Sako.
Ne laissons pas ce peuple sans État seul face à son malheur. Son avenir nous concerne. Il est trop tard pour sauver les victimes et punir les bourreaux, mais il n'est jamais trop tard pour rendre justice aux victimes d'hier et aux vivants d'aujourd'hui. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. François Bonneau, ainsi que plusieurs sénateurs du groupe SER, applaudissent également.)
M. Joël Guerriau . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Après le séisme à la frontière turco-syrienne, nous assurons de notre soutien les peuples kurde, syrien et turc.
La Première Guerre mondiale a fait 20 millions de morts ; ce fut, selon l'expression de Romain Rolland, un suicide de l'Europe. Une tragédie en entraîna une autre ; la Turquie ottomane a profité de la guerre pour régler ses comptes et perpétrer le génocide arménien, qu'Ankara refuse toujours de reconnaître. (Mme Valérie Boyer acquiesce.)
Les Arméniens ne furent pas seuls à subir un génocide : les Assyro-Chaldéens eurent à subir un sort similaire. La moitié du demi-million d'Assyro-Chaldéens disparut dans les massacres. Nous ne pouvons pas laisser dans l'ombre de tels crimes.
Reconnaître ce génocide est donc un acte de justice, mais aussi de protection.
Reconnaître ces massacres comme un génocide met en lumière des populations aujourd'hui persécutées. La communauté internationale serait ainsi plus attentive au sort de la population assyro-chaldéenne.
Alliés de la Turquie, nous attendons de ce pays qu'il agisse de manière conforme aux principes de l'Union européenne. Or, après avoir reçu des S-400 de la Russie, ce pays a menacé une frégate française, fait usage de la force contre ses minorités et celles de ses voisins, notamment en Syrie et en Irak. Loin de reconnaître le passé, Ankara efface ce qui la dérange.
Dans ces conditions, la France doit empêcher de nouvelles atrocités. Cette résolution sert la mémoire et la survie des populations concernées : le groupe INDEP la votera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe SER)
M. Guillaume Gontard . - Qu'il me soit permis d'avoir une pensée pour les dizaines de milliers de victimes du séisme, pour celles et ceux qui sont encore coincés dans les décombres.
Voici une proposition de résolution pour la reconnaissance du génocide assyro-chaldéen. Mais, comme l'a justement signalé M. Temal, lorsque nous proposons de réparer une faute commise par la République envers ses fusillés, la majorité sénatoriale nous accuse de réécrire l'Histoire. En revanche, les lois et les résolutions mémorielles qui portent sur d'autres pays ne vous posent aucun problème...
M. Bruno Retailleau. - C'est un autre sujet !
M. Guillaume Gontard. - L'histoire est mouvante ; c'est une construction scientifique et sociale, qui évolue avec les découvertes et le point de vue des sociétés. Il paraît donc normal que le Parlement se penche sur la question.
La fin du XIXe siècle est l'une des périodes plus douloureuses de l'Histoire : les atrocités de l'Empire ottoman continuent de hanter nos mémoires. Les différentes populations non musulmanes, citoyens de second ordre - Arméniens, Syriaques, Yézidis, Chaldéens, Grecs pontiques - ont subi des massacres. Arrivés au pouvoir en 1909, les Jeunes Turcs entament un processus de turquisation. Pour éviter une révolte des populations chrétiennes soutenues par l'ennemi russe, ils prennent la décision de les exterminer : entre 1 et 1,5 million de personnes sont massacrées, des centaines de milliers sont déplacées. Les raisons en sont à la fois politiques et religieuses, ce que l'exposé des motifs oublie de préciser.
Le génocide arménien fait l'objet d'un consensus auquel la Turquie fait exception. Or toutes ces populations ont été massacrées sans distinction. Peut-on distinguer entre elles et parler de génocide des Assyro-Chaldéens ? La définition des Nations unies indique que le génocide vise un groupe national, ethnique, racial ou religieux.
Si les Assyriens, les Syriaques et les Chaldéens ont une langue commune, il n'y a pas de consensus des historiens sur le fait qu'ils forment une même population. La Suède ou les Pays-Bas, qui reconnaissent la nature génocidaire des massacres, distinguent Assyriens, Syriaques, Chaldéens et Grecs pontiques, ces derniers étant étrangement absents de la proposition de résolution. (Mme Valérie Boyer se récrie.)
La résolution sur le génocide arménien du 29 janvier 2001 satisfait déjà cette proposition de résolution, car elle inclut toutes les populations massacrées.
Considérant que la réflexion qui soutient cette proposition de résolution n'est pas aboutie, et au vu du contexte géopolitique complexe et de la situation humanitaire dramatique, le GEST s'abstiendra.
Mme Nicole Duranton . - Au nom du RDPI, j'ai une pensée émue pour les victimes des terribles séismes de Turquie et de Syrie dont le nombre de victimes dépasse les 10 000.
Comme l'ont rappelé mes collègues, la population assyrienne dans le nord de l'actuelle Turquie a été déplacée de force entre 1915 et 1918, avec un nombre de victimes compris entre 180 000 et 275 000. Le sujet arménien a longtemps occupé le devant de la scène. Ce texte symbolique n'a pas de portée législative, et ne porte aucune amélioration pour les chrétiens d'Orient encore persécutés et les descendants des victimes exilés.
De plus, le dispositif prévu par la proposition de résolution semble simple, mais l'exposé des motifs laisse entrevoir une autre volonté : « comme en 1915, les victimes sont chrétiennes et les bourreaux musulmans », y lit-on.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - C'est vrai !
Mme Nicole Duranton. - Un tel amalgame renforce les sentiments négatifs à l'égard de cette religion. (M. Patrick Chaize manifeste son agacement.) Ce filtre déformant simplificateur recouvre une question plus complexe où l'on trouve aussi des agendas politiques, une concurrence mémorielle et des relations diplomatiques multilatérales. Ce n'est pas un noeud gordien à trancher.
La politique mémorielle a un caractère symbolique très fort. Le Président de la République a déclaré : « La France, c'est d'abord et avant tout ce pays qui sait regarder l'Histoire en face, qui dénonça parmi les premiers la traque assassine du peuple arménien ».
Le président de l'Association des Assyro-Chaldéens de France (AACF) estime que son peuple se sent oublié : c'est bien une question d'égalité dans la reconnaissance, au-delà de celle de la vérité.
Les groupes de la diaspora ont commencé à communiquer auprès des gouvernements sur ce sujet dans les années 1990. Avec les premières recherches, l'association internationale des chercheurs sur les génocides a adopté une résolution reconnaissant le génocide. Le Parlement suédois s'est prononcé en ce sens en 2010, puis ses homologues néerlandais et suédois en 2015, et l'Allemagne en 2016. En revanche, Israël et le Royaume-Uni n'ont pas suivi cette voie.
La France est l'amie des chrétiens d'Orient. En tant que vice-présidente du groupe de liaison avec les chrétiens, les minorités au Moyen-Orient et les Kurdes, et vice-présidente du groupe d'amitié France-Turquie,...
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - On comprend mieux !
Mme Nicole Duranton. - ... j'ai fait de nombreux déplacements dans la région et connais bien le sujet. La communauté turque de mon territoire n'est pas ignorante du sujet. (Marques d'agacement sur les travées du groupe Les Républicains) La France s'est toujours montrée solidaire des voix opprimées, par la voix de membres du clergé ou d'élus comme Denys Cochin, député de Paris.
Plus récemment, le 31 janvier, devant les défenseurs des chrétiens d'Orient, le Président de la République a annoncé un doublement des fonds de soutien aux écoles chrétiennes du Moyen-Orient. C'est une mission historique, un engagement séculaire de la France.
Nous ne pensons pas que ce texte qui comporte des raccourcis plus que discutables contribue à la relation entre la France et les chrétiens d'Orient. Le groupe RDPI s'abstiendra, en laissant la liberté de leur vote à ses membres.
M. Rachid Temal . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Avant d'évoquer ce texte, je voudrais dire quelques mots des séismes qui ont frappé la Turquie et la Syrie, avec Gaziantep comme épicentre. Plus de 11 000 morts sont déjà recensés. Une course contre la montre est lancée pour retrouver des survivants dans des températures glaciales. À jamais, ces hommes et femmes seront touchés dans leur chair. La France est au côté de ceux qui souffrent.
Je souligne la formidable solidarité internationale, à laquelle la France prend toute sa part. Saluons l'action du Président de la République sur ce point.
Ce jour est attendu par la communauté assyro-chaldéenne - j'entends par là nos compatriotes pleinement français, qui descendent de ce peuple. J'y associe ceux qui résident en Irak et qui nous regardent. Il nous revient de reconnaître ce génocide.
À ceux qui s'interrogent sur le sens de cette résolution, je pourrais leur répondre que la France a toujours protégé les chrétiens d'Orient. Je salue les actions des présidents Hollande et Macron, qui ont pris leurs responsabilités en accueillant des réfugiés chrétiens d'Orient menacés par Daech. La France a toujours protégé les minorités, sans distinction religieuse entre chrétiens, musulmans et juifs. Il y a plus de deux siècles, elle est devenue la patrie des droits de l'Homme, faisant de l'universalisme son horizon d'action permanent.
Le groupe SER n'entend pas peser sur les relations diplomatiques avec la Turquie ou la Syrie ; il ne s'inscrit pas dans une logique de guerre des civilisations, infondée et mortifère.
Le Sénat n'a pas à écrire l'Histoire - laissons les historiens s'en charger -, mais doit en prendre acte. Le génocide est avéré : près de la moitié des 500 000 Assyro-Chaldéens ont été pourchassés, tués par les Ottomans, voyant leurs maisons détruites et leurs biens confisqués, dans le premier génocide du XXe siècle. Cela répond en effet à la définition donnée en 1948 par la convention de l'ONU : un acte « commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ».
Les documents existent, tant sous la plume d'observateurs que de bourreaux. La presse française de l'époque dénonçait déjà les massacres. La mémoire du génocide se transmet de génération en génération, et voyage au gré de l'exil, des villages et des montagnes, jusqu'à Sarcelles, dans mon département, qui est la nouvelle capitale de cette communauté.
Plus de quarante ans après leur arrivée dans le pays qui est devenu le leur, saluons leur volonté de grandir dans la République sans oublier leur histoire.
Mme Valérie Boyer. - Bravo !
M. Rachid Temal. - À la partie droite de l'hémicycle, je dis que si le Sénat doit prendre acte de l'histoire, celle de notre pays ne saurait en être exclue.
Je tiens à saluer l'AACF et Joseph Yacoub, en tribune, qui portent depuis des années la mémoire de la souffrance d'un peuple. Le groupe SER votera cette proposition de résolution.
Celle-ci n'ayant pas de valeur contraignante, nous déposerons une proposition de loi de reconnaissance du génocide assyro-chaldéen, qui serait commémoré, comme le génocide arménien, le 24 avril.
Mme Valérie Boyer. - Nous en avons déjà déposé une.
M. Bruno Retailleau. - Nous dépasserons nos clivages !
M. Rachid Temal. - Comme toujours, monsieur Retailleau, lorsqu'il s'agit de servir les intérêts de la Nation et de l'humanité.
Je ne doute pas que le Sénat adoptera cette proposition de loi - et qu'avec l'appui des groupes socialiste et Les Républicains, l'Assemblée nationale l'adoptera dans les mêmes termes. La reconnaissance sera alors effective, couronnant le long combat pour la mémoire et la vérité.
Victor Hugo disait : « Servir la patrie est la moitié du devoir ; servir l'humanité est l'autre partie ». C'est cela qui reste devant nous. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. Pierre Ouzoulias . - Pour Walter Benjamin, le progrès humain ne peut se réaliser tant que justice n'a pas été rendue aux victimes des persécutions. Nous devons aux Arméniens qu'une instance juridique internationale établisse les faits et les culpabilités.
Comme les Juifs de la Shoah, les Bosniaques de Srebrenica, les Tutsis du Rwanda, les victimes de l'Empire ottoman - Grecs pontiques, Arméniens, Assyro-Chaldéens - doivent être reconnues par un tribunal pénal international sous mandat des Nations unies.
La recherche a montré que le génocide de 1915 n'est pas un accident, mais la phase paroxystique d'une administration de plus en plus criminelle des minorités ethniques et religieuses de l'Empire ottoman. Celles-ci représentaient près de 19 % de la population ottomane en 1914, contre 0,2 % aujourd'hui.
L'État turc moderne s'est construit autour du sunnisme et de la turcité en éliminant les minorités : les chrétiens, puis les Juifs expulsés de Thrace en 1934 et les minorités de l'islam - chiites, alaouites, alévis, ces derniers victimes des massacres de Sivas en 1993 et Istanbul en 1995.
Le traité de Sèvres promettait un territoire autonome aux Kurdes, offrant en son article 62 des garanties complètes aux Assyro-Chaldéens et autres minorités dans ce territoire. Mais la France et le Royaume-Uni s'empressèrent de remplacer ce traité par celui de Lausanne, abandonnant Arméniens et Kurdes à leur triste sort au profit du projet kémaliste de « stabilisation et d'homogénéisation éthnoreligieuse », qui se traduisit par l'expulsion de tous les Grecs d'Asie mineure, dont le tiers périt avant leur arrivée en Grèce. Le génocide des Grecs de Turquie ne doit pas être oublié. (M. Rachid Temal, Mmes Valérie Boyer et Jacqueline Eustache-Brinio acquiescent.)
Le ministre de la justice d'Atatürk déclarait en 1930 : « Que tous les amis, les ennemis et aussi les montagnes sachent bien que le maître de ce pays, c'est le Turc. Ceux qui ne sont pas de purs n'ont qu'un seul droit dans la patrie turque, c'est le droit d'être le serviteur, c'est le droit à l'esclavage. »
La France alla jusqu'à accepter l'opprobre de céder à la Turquie le Sandjak d'Alexandrette, part de la Syrie mandataire. Les 50 000 Arméniens et Grecs qui y vivaient prirent alors le chemin de l'exil.
Dans votre résolution, vous écrivez que la France a un devoir historique et moral de protection des minorités chrétiennes d'Orient. L'histoire nous enseigne malheureusement qu'elle ne l'a assumé que lorsqu'il pouvait satisfaire ses ambitions géopolitiques. Ce pragmatisme sans scrupules a aggravé l'affaiblissement des minorités, à commencer par les Assyro-Chaldéens.
Mme Valérie Boyer. - C'est vrai !
M. Pierre Ouzoulias. - Minorité parmi les minorités, oubliés parmi les oubliés, les Assyro-Chaldéens ont subi les conséquences de cette histoire tumultueuse.
La France, en reconnaissant le génocide arménien, ne les a pas ignorés ; mais cette résolution a le mérite de les associer plus distinctement à l'hommage rendu à tous les morts du génocide. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du GEST et du RDPI)
M. François Bonneau . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Notre groupe a lui aussi une pensée pour les victimes des séismes de Turquie et de Syrie, avec leur cortège de drames humains au coeur de l'hiver.
En 1920, Joseph Naayem, aumônier et prisonnier de guerre, a rapporté dans un ouvrage les témoignages de victimes et de témoins oculaires. Alors que la Conférence pour la paix allait se prononcer, il voulait faire connaître le sort terrible de ce peuple, graver dans le marbre sa mémoire - ce « petit peuple le plus intéressant, mais en même temps le plus abandonné, issu d'un grand empire de la plus ancienne civilisation du monde ».
L'article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide est pourtant clair. Exode, famine, déportation, enlèvement, acculturation ou conversion forcée : voilà ce qu'ont subi les populations assyro-chaldéennes entre 1915 et 1918. Les massacres se commettaient dans les mêmes lieux que le génocide des Arméniens : Anatolie orientale, Perse, province de Mossoul. Les nationalistes turcs voulaient éliminer les non-Turcs et les non-musulmans pour homogénéiser l'empire.
Le doute n'est pas permis : il s'agissait d'un génocide. Il est de notre honneur de le reconnaître officiellement.
Alors que les yeux du monde étaient tournés vers le conflit mondial, l'Empire ottoman a profité de la guerre pour massacrer ces hommes, femmes et enfants qui n'aspiraient qu'à rester sur la terre de leurs ancêtres.
Les autorités turques actuelles, nostalgiques de l'Empire ottoman, refusent de reconnaître les génocides arménien et assyro-chaldéen. Ce dernier est reconnu par la Suède, le parlement hollandais, l'Arménie, l'Australie et le Vatican.
Cette reconnaissance est nécessaire, pour que la Turquie l'admette un jour. L'hostilité à l'égard de ces minorités reste prégnante, comme en témoigne l'engagement de la Turquie auprès de l'Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh.
Comment ne pas penser au massacre des chrétiens et des yazidis par Daech ? Dans ces deux cas, des minorités religieuses ont été condamnées sans autre issue : fuir ou mourir. La reconnaissance du génocide assyro-chaldéen et la condamnation des actes de Daech sont des premiers pas pour prévenir leur répétition.
Oui, cela fait plus d'un siècle, mais il n'est jamais trop tard pour rendre hommage aux victimes. Nous honorons leurs sacrifices pour maintenir leur identité culturelle et religieuse. Il n'est jamais trop tard pour apporter la justice aux victimes, car c'est une forme de réparation. Enfin, il n'est jamais trop tard pour réveiller les consciences : la reconnaissance ne pourra que sensibiliser l'opinion publique.
La démarche de Mme Boyer et M. Retailleau ne procède pas à une réécriture de l'Histoire, mais met des mots sur une réalité. Le groupe UC, dans sa grande majorité, votera cette résolution. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du RDPI et du GEST)
Mme Valérie Boyer. - Bravo !
M. Olivier Becht, ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger . - À l'heure où les populations de Turquie et de Syrie cherchent encore des survivants dans les décombres, j'adresse les pensées et les condoléances du Gouvernement aux peuples de ces deux pays. La France déploie en ce moment même sur le terrain son hôpital de campagne de la sécurité civile.
Concernant cette proposition de résolution, j'attire votre attention sur l'amalgame opéré entre le travail mémoriel sur les massacres de l'Empire ottoman et la situation contemporaine des chrétiens d'Orient.
Le travail mémoriel relève des historiens. Pour reconnaître un génocide, une lecture juridique est également nécessaire (Mme Valérie Boyer s'exclame.), sur la base d'un corpus international constitué par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et par les statuts des tribunaux internationaux.
Il est essentiel de tenir compte du contexte. En 1915, les victimes étaient toutes chrétiennes. C'est en revanche parmi les musulmans que les victimes de Daech ont été les plus nombreuses. (M. Rachid Temal se désole ; protestations sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)
Cette affirmation relève d'une vision partiale et partielle de l'Histoire.
M. Rachid Temal. - C'est une proposition de résolution !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - C'est incroyable !
M. Olivier Becht, ministre délégué. - C'est pourquoi le Gouvernement ne soutiendra pas cette proposition de résolution.
Mme Valérie Boyer. - Qui vous a préparé ce texte ?
M. Olivier Becht, ministre délégué. - L'histoire de la France et des chrétiens d'Orient est ancienne : c'est l'accord des Capitulations, signé par François Ier et Soliman le Magnifique en 1536, qui confia à la France la responsabilité de protéger les catholiques de l'Empire ottoman.
Comme l'a dit le Président à plusieurs reprises, ce passé nous oblige. (Signes d'exaspération à droite)
M. Rachid Temal. - Faites voter ce texte alors !
M. Olivier Becht, ministre délégué. - Le maintien de la diversité religieuse au Moyen-Orient est une condition indispensable à son évolution vers la paix. C'est pourquoi notre pays s'engage pour toutes les minorités. Il a réuni en mars 2015 le Conseil de sécurité des Nations unies sur ce sujet, avant d'organiser une conférence internationale sur les victimes de violences...
M. Rachid Temal et Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Ce n'est pas le sujet !
M. Olivier Becht, ministre délégué. - Au niveau national, nous apportons un appui financier important à la prévention des violences religieuses, à travers un fonds de soutien doté de 34,9 millions d'euros.
M. Rachid Temal. - En 1915 !
M. Olivier Becht, ministre délégué. - Nous avons créé un fonds pour les écoles d'Orient, cofinancé par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et l'?uvre d'Orient. En 2022, 4 millions d'euros ont été versés à ces écoles confessionnelles qui diffusent la francophonie.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Le ministre s'est trompé de texte !
M. Pierre Ouzoulias. - On parle de morts, cela devient indécent !
M. Olivier Becht, ministre délégué. - Nous apportons notre soutien à l'Alliance pour la préservation du patrimoine dans les zones de conflit (Aliph) qui restaure, par exemple, l'église chaldéenne de Mossoul, dont le dôme était effondré.
En 2022, un nouveau département du musée du Louvre a été créé... (L'exaspération redouble sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - C'est indécent !
M. Bernard Bonne. - Vous n'avez pas honte ?
M. Olivier Becht, ministre délégué. - Nous mettons tout en oeuvre pour que les responsables des crimes de Daech soient jugés. Nous entretenons également un dialogue de haut niveau avec les autorités religieuses. Lors de son audience papale, le Président de la République a évoqué les chrétiens d'Orient. Le Président de la République, la ministre de l'Europe et des affaires étrangères et les ambassadeurs rencontrent les dirigeants chrétiens et musulmans et les incitent à promouvoir une culture de paix, dans l'esprit du document d'Abu Dhabi signé par le pape François et le grand imam d'Al-Azhar en 2019. (Nouvelles protestations)
M. Lucien Stanzione. - La résolution !
M. Olivier Becht, ministre délégué. - L'avenir des chrétiens d'Orient est aux côtés de leurs compatriotes musulmans. Nous soutenons les initiatives promouvant un islam ouvert, tolérant et respectueux de la diversité.
M. Rachid Temal. - Personne ne conteste cela !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Ce n'est pas glorieux !
À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°126 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 302 |
Pour l'adoption | 300 |
Contre | 2 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER et CRCE)
La séance est suspendue à 19 h 15.
Présidence de M. Alain Richard, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
Les conclusions de la Conférence des présidents sont adoptées.
Mises au point au sujet de votes
Mme Esther Benbassa. - Lors du scrutin n°124, je souhaitais voter pour.
Mme Patricia Schillinger. - Lors du scrutin n°126, M. Gattolin souhaitait s'abstenir, M. Rambaud voter pour et M. Richard ne pas prendre part au vote.
M. le président. - Acte vous est donné de ces mises au point. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l'analyse politique des scrutins.
Rappel au règlement
M. Philippe Folliot. - N'ayant pu expliquer mon vote sur le génocide des Assyro-Chaldéens, je tenais à préciser que je soutiens le travail de mémoire, mais que je ne vote pas les lois mémorielles, qui nous entraînent dans un engrenage dangereux.
Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution européenne, en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur l'avenir de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), présentée par MM. Jean François Rapin et François-Noël Buffet, à la demande du groupe SER et du GEST.
M. Jean-François Rapin, auteur de la proposition de résolution . - Ce débat est bienvenu, alors que le Gouvernement s'apprête à présenter un projet de loi pour réformer le régime de l'asile et régulariser la situation des travailleurs sans papiers. Or notre politique migratoire, notre politique de l'asile et le contrôle de nos frontières relèvent désormais de compétences partagées avec l'Union européenne. L'espace Schengen dépend d'une surveillance des frontières extérieures, qui relève des États membres, avec le soutien de Frontex. La France bénéficie de son appui, par exemple sur la Côte d'Opale.
Frontex est dotée de moyens importants : 845 millions d'euros en 2022, 2 000 personnels, et même 10 000 officiers à l'horizon 2027.
Mais l'agence a été confrontée à une double crise, de croissance et de confiance. Une crise de croissance, car ses moyens ont fortement augmenté à partir de 2019 sans qu'elle ait eu le temps de recruter ni de mettre en place des procédures de contrôle suffisantes. Une crise de confiance, car elle a été accusée de manquements managériaux et de complicité de refoulements illégaux en mer Égée. Son directeur, Fabrice Leggeri, a démissionné en avril 2022, avant la nomination, le 20 octobre dernier, du néerlandais Hans Leijtens.
Il est urgent de réagir : près de 300 000 franchissements irréguliers des frontières extérieures de l'Union européenne ont été enregistrés en 2022, une hausse de 64 % par rapport à 2021. Frontex doit se remettre au travail ; il y va de la crédibilité de l'Union européenne et de l'avenir de l'espace Schengen. D'où cette proposition de résolution européenne, déposée par François-Noël Buffet et moi-même.
Nos recommandations pour que Frontex représente une valeur ajoutée et non une source supplémentaire de complexité sont simples.
D'abord, l'agence doit exercer sa mission première, le soutien aux États membres dans la surveillance des frontières, dans le respect des droits fondamentaux, mais sans se transformer en agence des droits fondamentaux ou de l'asile.
Ensuite, Frontex ne doit pas se substituer aux États membres et doit faire l'objet d'un pilotage politique plus musclé.
Enfin, Frontex doit être contrôlée par le Parlement européen et les parlements nationaux. Nous autres, parlementaires nationaux, connaissons les attentes de nos concitoyens. Nous devons donc prendre toute notre part de ce contrôle, sinon les États membres se détourneront de Frontex. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Franck Menonville applaudit également.)
M. François-Noël Buffet, auteur de la proposition de résolution . - Frontex est à un moment critique de son histoire. Son action est remise en cause de toutes parts, alors que son rôle est crucial.
Il nous incombe de faire entendre notre voix, nous parlementaires nationaux, afin que Frontex puisse se consacrer pleinement et exclusivement à sa mission de gestion des frontières.
Nous affirmons notre soutien à l'agence. La maîtrise collective de nos frontières extérieures est la condition du bon fonctionnement de l'espace Schengen. L'élargissement du mandat de l'agence doit être soutenu.
Le législateur a fait en 2019 de l'agence une entité opérationnelle, avec une force de projection autonome.
Mais notre soutien n'est pas inconditionnel, notamment au regard du respect des droits fondamentaux. Nulle concession sur ce point. Contrôle des frontières et respect des droits fondamentaux vont de pair.
Notre texte fait des recommandations concrètes pour sortir de la crise.
Il faut d'abord un vrai pilotage politique. Le directeur doit suivre des directives claires et il faut des réunions dédiées du Conseil européen. Nous regrettons que le Parlement ait unilatéralement instauré un groupe de contrôle, en oubliant les parlements nationaux. Suivons plutôt le modèle du groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol.
Les procédures de contrôle du respect des droits fondamentaux étaient insuffisantes. Les réformes mises en place par la direction intérimaire et le recrutement de 46 contrôleurs aux droits fondamentaux vont dans le bon sens. Mais évitons toute guerre des chefs : il faut des canaux de dialogue renforcé, un examen des décisions de l'officier aux droits fondamentaux par le Médiateur européen et l'établissement de critères exigeants pour recruter tant l'officier que les contrôleurs aux droits fondamentaux.
Nous avons voulu exclure l'hypothèse d'une révision du mandat de Frontex : la priorité est de sortir l'agence de la crise et il lui faut du temps pour exercer pleinement son mandat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Louault applaudit également.)
M. Arnaud de Belenet, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Cette proposition de résolution européenne intervient à un moment décisif : à la sortie d'une double crise, l'agence doit être confortée.
La première crise, structurelle, trouve sa source dans l'échec de l'Union européenne face à la crise migratoire de 2015. Les règlements européens de 2016 et 2019 ont élargi son mandat et son périmètre d'intervention. Elle a aussi connu une progression inédite de ses moyens : budget multiplié par dix en dix ans, et 10 000 agents en 2027. Jamais une agence européenne ne s'était vue attribuer de tels moyens ni de telles prérogatives de puissance publique : en moins de vingt ans, Frontex est devenue la plus puissante des agences européennes.
Frontex a été sursollicitée et confrontée à une conjonction de crises internationales, comme la tentative d'instrumentalisation des migrations par la Biélorussie en octobre 2021, et la crise en Ukraine. L'agence n'était pas assez outillée pour piloter cette évolution dans de bonnes conditions. Devant notre commission cet automne, la directrice exécutive par intérim reconnaissait que la pression politique était forte et les délais extrêmement serrés.
L'agence a été accusée par des ONG d'avoir participé à des opérations de refoulement en mer Égée. Les enquêtes révèlent que l'agence a fait preuve d'une passivité anormale ; que ses dispositifs de traitement des incidents n'étaient pas assez robustes ; et que la direction de l'agence a manqué à son devoir de loyauté vis-à-vis de l'Union. D'où la démission de son directeur exécutif.
Cette crise a aussi révélé l'existence d'un débat sur les priorités de l'agence, entre protection des droits fondamentaux et obtention de résultats probants dans la lutte contre l'immigration irrégulière. Notre positionnement est clair : la première mission de Frontex est le contrôle des frontières, dans le respect absolu des droits fondamentaux. Le débat entre droits fondamentaux et contrôle des frontières est stérile, car ce sont les deux faces d'une même médaille.
Nous nous opposons à toute révision du mandat de Frontex : il faut lui laisser le temps d'exercer pleinement son mandat actuel.
Enfin, le soutien des parlements nationaux est indispensable : avec cette proposition de résolution, celui du Sénat est clair.
Frontex doit être pleinement au travail pour lutter contre l'immigration irrégulière, alors que les passages clandestins vers l'Europe ont augmenté de 64 % en un an, et même de 150 % par la route des Balkans. En France, Frontex travaille dans nos aéroports et sur la côte d'Opale.
Il faut enfin renforcer le pilotage politique de l'agence : le Conseil européen doit se réunir spécifiquement, et le rang hiérarchique des membres du conseil d'administration doit être rehaussé. De plus, l'officier aux droits fondamentaux doit être indépendant et fort, c'est une garantie de crédibilité pour l'agence.
Je vous invite à soutenir cette proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)
M. Claude Kern, rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Je remercie nos deux présidents pour cette proposition de résolution européenne, fruit de leurs longues réflexions sur un sujet crucial : la sécurité des frontières extérieures de l'Union européenne. Cette question n'est pas que technique : elle concerne notre quotidien.
Les États membres doivent assurer la surveillance de leurs frontières, mais aussi pouvoir s'appuyer sur une agence opérationnelle, réactive, respectueuse des droits fondamentaux et pilotée politiquement.
Voilà pourquoi, le 14 décembre dernier, la commission des affaires européennes a approuvé cette proposition de résolution européenne sans la modifier. Le contrôle conjoint du Parlement européen et des parlements nationaux a même fait l'objet d'un consensus.
La commission des lois a adopté trois amendements qui actualisent les dispositions de la proposition de résolution, ainsi qu'un amendement sur l'expérience requise pour l'officier et les contrôleurs aux droits fondamentaux.
Une proposition de résolution européenne est un voeu politique qui a sa cohérence. Je serai donc défavorable à tous les amendements qui dénatureraient le dispositif et le rendraient inopérant.
Avec cette proposition de résolution européenne, nous affirmons que Frontex est une belle réalisation européenne, mais qui doit encore faire ses preuves. Sans quoi, nous serons de nouveau face à des flux incontrôlés et au retour du chacun pour soi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)
M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer . - Merci à François-Noël Buffet et Jean-François Rapin de nous permettre de débattre de cette agence déterminante pour le contrôle de nos frontières.
En 2022, la pression migratoire a retrouvé son niveau d'avant crise sanitaire : les franchissements irréguliers restent inférieurs à ceux de 2016, mais ils progressent dans toute l'Europe, notamment autour en Méditerranée centrale et dans les Balkans occidentaux, faisant peser un poids particulier sur l'Autriche, la Hongrie et la Croatie.
La demande d'asile a progressé de 61 % en Europe et de 31 % en France, second pays d'accueil après l'Allemagne. Notre pays est la cible de mouvements secondaires : il faut faire évoluer le système européen de l'asile.
La détermination du Gouvernement est totale face à cette situation migratoire.
Au niveau national, un projet de loi a été présenté en conseil des ministres mercredi dernier, avec des dispositions visant à éloigner les étrangers qui représentent une menace, à favoriser l'intégration par la langue, à simplifier le contentieux des étrangers et à réformer notre organisation de l'asile. Le Sénat l'examinera dès le mois de mars.
Le Gouvernement consacre d'importants moyens à la politique migratoire : 3 000 nouvelles places en centres de rétention administrative (CRA) d'ici à 2027 et budget consacré à l'intégration en hausse de 24 % sur cinq ans.
La clé de notre réussite sera la coordination européenne : nous devons prendre des mesures ordonnées, comme cela a été reconnu lors du sommet de La Valette en 2015, puis par le Pacte mondial sur les migrations de Marrakech en 2018.
À la suite du débarquement de l'Ocean Viking, le 11 novembre dernier, la France a demandé la tenue d'un conseil extraordinaire des ministres européens, qui a adopté un plan d'action européen sur la Méditerranée centrale.
Grâce à notre approche graduelle, les négociations sur le pacte sur la migration et l'asile ont progressé vers un équilibre entre solidarité et responsabilité.
La France soutient un mécanisme de solidarité contraignant et prévisible pour soulager les pays de la première entrée et lutter contre les mouvements secondaires. Dans ce cadre, la France soutient la montée en puissance de Frontex, outil essentiel de contrôle des frontières, dont le champ de compétences a été élargi en 2016 et 2019.
L'agence a désormais un rôle proactif. C'est l'agence européenne la plus importante, avec un budget de 5,6 milliards d'euros sur 2021-2027, et une force opérationnelle de 10 000 agents à terme, déployés sur de nombreux terrains d'opération - Méditerranée, Est de l'Europe, Manche, etc. Depuis décembre 2021, un avion renforce la détection des traversées de migrants dans la Manche.
La proposition de résolution européenne conforte le mandat de Frontex et le Gouvernement partage son esprit, car elle soutient le renforcement de la veille opérationnelle de Frontex dans la Manche et en mer du Nord ; du pilotage politique de Frontex, avec notamment une discussion annuelle du Conseil Schengen ; et du rôle de l'agence dans les retours, avec l'organisation de vols conjoints. Enfin, elle propose de laisser à l'agence le temps de remplir son mandat actuel.
Frontex est tenue d'assurer son mandat dans le plein respect des droits fondamentaux, conformément à son règlement intérieur et au mandat de son nouveau directeur. Un adjoint à l'officier aux droits fondamentaux ainsi que 45 contrôleurs des droits fondamentaux ont été recrutés.
Les enquêtes sur les allégations de refoulement de migrants contre Frontex ont conclu que l'agence n'y avait pas participé, sans qu'il soit possible d'affirmer qu'elle n'en avait pas eu connaissance.
Plusieurs mécanismes de garantie des droits fondamentaux ont été mis en place depuis. La France s'assurera de leur suivi.
Cette question est au coeur des préoccupations du Gouvernement et de nos concitoyens. Nous continuerons d'agir avec des moyens à la hauteur des attentes des Français. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Pierre Louault applaudit également.)
M. Stéphane Le Rudulier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Selon Frontex, il y aurait eu 330 000 franchissements irréguliers des frontières européennes en 2022. La pression migratoire que subit l'Europe fait peser le risque d'un bouleversement démographique et culturel.
Alors que le nouveau directeur de l'agence s'installe, il faut revenir au mandat originel de l'agence : surveiller et protéger les frontières extérieures. C'est ce que défend cette proposition de résolution européenne, et nous y souscrivons.
Depuis sa création, les missions de Frontex ont été étendues : lutte contre l'immigration illégale, le trafic de drogue et la criminalité organisée.
Les critiques et controverses se sont également multipliées, de la part d'ONG humanitaires agissant comme des organes de propagande opposés à l'idée même de frontière. Les droits des migrants ne seraient pas assez protégés, Frontex en serait responsable. Mais l'agence n'est pas une agence humanitaire, un SOS Méditerranée 2.0 ! Si c'était le cas, des migrants arriveraient sur les côtes méditerranéennes, à la merci des passeurs, avec des conséquences humaines désastreuses au vu de la démographie africaine.
La France doit soutenir Frontex. Ce n'est pas une agence Bisounours : elle est là pour garantir l'étanchéité des frontières européennes. Il faut éloigner les organisations humanitaires et remettre les pays souverains au centre des choix de l'agence, en veillant au respect des droits de l'homme. À laisser l'angélisme irresponsable fleurir, nous prêterions le flanc à l'extrémisme qui n'attend que cela pour mettre à mort le projet européen. Ne cédons pas aux injonctions de la bien-pensance : liberté pour les migrants, honte aux frontières ? La France est généreuse, mais elle en droit d'exiger des étrangers qu'ils se plient à sa culture.
Les souverainetés nationale et européenne sont complémentaires. Ne cachons pas la poussière migratoire sous le tapis européen, ne détournons pas le regard, mais engageons-nous résolument pour apporter une réponse à 360 degrés. La maîtrise de son destin est le coeur de toute Nation. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)
M. Franck Menonville . - (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC) Les confinements des dernières années ont mis un coup d'arrêt à la circulation des personnes. La pandémie est désormais sous contrôle, et les déplacements, légaux ou non, ont repris. Ils sont même en pleine expansion : environ 330 000 franchissements irréguliers de nos frontières communes l'année dernière. La prise du pouvoir par les Talibans en Afghanistan et la situation en Syrie entretiennent ce phénomène.
En 2015, l'Union européenne avait délégué le contrôle de ses frontières à la Turquie d'Erdogan, qui l'avait utilisé comme moyen de pression. La libre circulation en Europe est une chance, mais également une menace.
Le budget de l'agence a été multiplié par neuf en moins de dix ans. Les États membres lui ont confié les moyens les plus importants dont une agence européenne ait jamais disposé. Elle devrait compter 10 000 agents d'ici quatre ans.
Les temps futurs s'annoncent difficiles. La situation en Biélorussie nous montre que les migrants peuvent être utilisés comme moyens de pression. Dans ce contexte, l'agence doit protéger les frontières sans porter atteinte aux droits fondamentaux des migrants. L'Union européenne, puissance normative, ne peut admettre que le droit soit bafoué.
Cette proposition de résolution européenne appelant au renforcement des moyens de l'agence est équilibrée et nécessaire. Le GEST et le groupe SER ont tenu à exprimer leurs préoccupations légitimes quant au respect du droit des migrants, mais il ne faut pas perdre de vue la raison d'être de l'agence : protéger nos frontières.
Si la Hongrie a construit un mur de barbelés, si le Royaume-Uni a envisagé de renvoyer les migrants au Rwanda, si l'extrême droite est au pouvoir en Italie et le sera peut-être demain dans d'autres pays, c'est bien le signe que quelque chose ne va pas.
La politique migratoire doit pouvoir s'appuyer sur le socle des valeurs républicaines, comme la maîtrise de notre langue et de nos valeurs, la laïcité, l'égalité des hommes et des femmes. C'est une demande de nos concitoyens. La politique plus stricte mise en oeuvre au Danemark doit nous inspirer.
Frontex doit avoir le temps de monter en puissance pour intégrer ses nouvelles missions. Le contrôle politique est essentiel. Le groupe INDEP votera cette proposition de résolution européenne. (M. Jean-François Rapin applaudit.)
M. Jacques Fernique . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Lors de la PFUE, le Gouvernement voulait rendre l'Europe plus humaine. Mais du slogan aux actes, comme souvent, il y a un fossé.
L'accueil des Ukrainiens a été sans faille, mais, en même temps, la France plaidait pour une surveillance accrue des frontières et le renforcement de la base de données biométriques Eurodac. Mes collègues écologistes du Parlement européen ont observé une continuité de la ligne brutale de la loi asile et immigration de 2018.
La guerre en Ukraine a démontré que des exilés pouvaient être accueillis dignement. Mais les Irakiens, les Afghans, sont affublés du terme de migrant. En Italie, Domenico Lucano, qui a choisi d'en accueillir dans sa commune, risque treize ans de prison...
Regardons la situation en face : 87 % des migrations se font dans un pays voisin. Seule donc une infime partie de ces personnes demande à être accueillie dans l'Union européenne. Mais, depuis des années, nous traitons les questions migratoires principalement par une surenchère sécuritaire. C'est une défaite morale. Des enfants meurent chaque jour, et personne ne peut dire qu'il ne sait pas.
Les 900 millions d'euros d'argent public alloués à Frontex chaque année pourraient financer une grande politique d'accueil. L'agence ne peut continuer à faire fi des demandes du Parlement européen. Ce qui se passe aux frontières de l'Union revient à nier la dignité humaine, avec le concours de Frontex.
Cette résolution adopte un vocabulaire militaire, alors que d'importants manquements ont été signalés tant par des ONG et des journalistes que par le Parlement européen. Qui a parlé des 48 647 personnes mortes aux frontières de l'Union européenne depuis trente ans ?
Permettre à Frontex de continuer avec les mêmes règles, c'est conforter des violations du droit. La France devrait plaider plutôt pour une refonte structurelle de l'agence. En refusant de voter la décharge budgétaire, des eurodéputés de tous bords ont exigé une rupture dans la culture interne et la pratique de l'agence.
Nous croyons en la capacité collective à faire des choix de solidarité. Tel est le sens de nos amendements. S'ils ne sont pas adoptés, nous voterons contre la proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Patricia Schillinger . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) L'Union européenne comprend un espace de liberté, de sécurité et de justice : l'espace Schengen. Dans ce cadre, l'agence Frontex veille sur nos frontières extérieures.
Lorsqu'un État membre est confronté à des difficultés à ses frontières, l'agence garantit une action européenne. Depuis 2016, les missions de l'agence ont été étendues. Mais les flux migratoires n'ont cessé d'augmenter. Cette année, ils atteignent le niveau le plus élevé depuis 2016 : 330 000 entrées irrégulières, principalement par la route des Balkans.
L'agence a dû construire des capacités opérationnelles autonomes dans l'urgence, dans un contexte international tendu par l'instrumentalisation des flux migratoires par la Biélorussie et la crise ukrainienne. Ses moyens matériels et son budget ont augmenté fortement : 835 millions d'euros lui sont alloués pour 2023. Au même moment l'agence a subi des accusations en matière de respect des droits de l'homme.
Au regard de ces crises de confiance, la Commission européenne envisage de réviser le règlement européen définissant le mandat de Frontex. Nous ne le souhaitons pas, les derniers élargissements du mandat n'ayant pas été absorbés. Toute révision serait prématurée.
Les objectifs politiques, diplomatiques et juridiques de cette proposition de résolution européenne renforcent le pilotage politique de l'agence ; une évaluation rigoureuse de l'officier aux droits fondamentaux est indispensable. Une clarification est nécessaire pour que l'agence respecte les droits fondamentaux, en associant les parlementaires.
La mise en place d'un groupe de contrôle conjoint entre Parlement européen et parlements nationaux est une piste sérieuse. Mais nous avons une réserve sur le regret exprimé dans la proposition de résolution à l'égard du refus du Gouvernement de proposer un candidat au poste de directeur. L'influence française continue de porter ses fruits.
Cela étant dit, nous soutenons pleinement cette proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Jean-Yves Leconte . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) En 1995, l'espace Schengen était mis en oeuvre, posant le principe de la libre circulation en Europe. Mais chaque État membre restait responsable de la surveillance de sa part de frontières. Depuis 2015, avec Daech aux portes de l'Europe et la guerre au Proche-Orient qui a jeté des milliers de personnes sur les routes de l'exil, des évolutions sont intervenues : contrôles biométriques, système Etias, nouveau mandat de l'agence.
En 2023, Frontex bénéficiera de 845 millions d'euros pour assurer la libre circulation et la sécurité dans l'espace Schengen. Une crise de croissance a suivi la multiplication par huit de son budget et par trois de ses personnels.
Mais l'agence se heurte aussi à une crise plus systémique : elle n'est pas le garde-frontière de l'Europe, mais un prestataire de services pour les États, qui conservent leur souveraineté.
En 2021, la Pologne a géré seule, de manière choquante et non transparente, l'arrivée de migrants depuis la Biélorussie. Seuls les témoignages des habitants de la zone permettent de savoir comment la situation a été réglée. La Pologne n'a pas fait appel à Frontex, qui a des exigences en matière de droits fondamentaux.
En Grèce, des migrants ont été refoulés de manière absolument scandaleuse. Frontex a vu ces situations, mais l'agence agit toujours sous la responsabilité des États membres. Si la Grèce ne veut plus de l'agence, comment pourrons-nous surveiller la situation ?
Il faut être intransigeant en matière de respect des droits fondamentaux au sein de Frontex. Une plus grande indépendance doit être accordée à ceux qui font respecter les droits fondamentaux au sein de l'agence ; tout ne doit pas reposer sur le directeur de l'agence.
Frontex devrait aussi pouvoir accompagner des pays hors de l'Union européenne. Pour cela, elle doit être irréprochable. Il faut une autre organisation pour mieux faire respecter les droits fondamentaux au sein de l'agence, de manière plus indépendante.
Si nous partageons certaines orientations de la proposition de résolution européenne, comme la volonté d'un pilotage politique et d'un contrôle parlementaire renforcés, nous ne pourrons la voter si nos amendements ne sont pas adoptés. Car, en matière de droits fondamentaux, le texte ne va pas assez loin.
Frontex est essentielle, mais nous ne pouvons accepter que l'agence ne soit pas surveillée de manière indépendante et ne soit pas irréprochable, ce qui est le gage de son efficacité à long terme. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Pierre Laurent . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) L'action de Frontex a été sévèrement mise en cause, et cette proposition de résolution européenne vise à soutenir l'agence ; elle minimise grandement les conséquences qu'il conviendrait de tirer de ces mises en cause, notamment de l'Office européen de lutte antifraude (Olaf).
On parle de crise de croissance, mais les dérives constatées viennent de la conception même des missions de l'agence : militarisation des frontières de l'Union européenne, politique d'accueil restrictive. Balafré de dix-neuf clôtures frontalières, l'espace Schengen prend de plus en plus l'apparence d'une forteresse assiégée.
Le rapport de l'Olaf pointe la complicité de l'agence dans l'abandon par la Grèce de migrants sur des îlots inhabitables. Chaque jour, une véritable crise humanitaire a lieu aux frontières de l'Europe : noyades, réseau de traites, mineurs refoulés, droit international bafoué.
Seules des politiques de migrations concertées dans le respect des droits fondamentaux pourraient changer la situation, et non l'augmentation des budgets. Arrêtons de dresser des murs toujours plus hauts et d'externaliser la gestion des frontières. Les politiques répressives n'arrêtent pas l'immigration, mais légalisent l'arbitraire et encouragent les flux irréguliers.
La démission de l'ancien directeur n'est qu'un symptôme d'un mal profond. Frontex manque cruellement de mécanismes de responsabilité. La proposition de résolution européenne minimise ce problème.
Laisser Frontex aller au bout de son mandat nous paraît bien insuffisant. Les manques constatés sont graves, les pays européens restent irresponsables. Tout cela n'est pas raisonnable. Nous voterons contre la proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Jean-Michel Arnaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le sujet des migrations est brûlant. Les défis de l'Europe face aux flux migratoires s'incarnent dans les mutations de Frontex. L'agence assure sa mission de surveillance, appuie les États dans la lutte contre la criminalité et assiste les pays tiers dans la gestion de leurs flux migratoires. Ses moyens humains et financiers ont augmenté de manière exponentielle.
La Cour des comptes européenne et l'Olaf ont pourtant mis à mal la crédibilité de l'agence, jusqu'à entraîner la démission de son directeur, Fabrice Leggeri. Les luttes d'influence internes au sein de l'Union européenne sont réelles : les positions des États membres divergent. Une clarification des missions est donc nécessaire.
Je salue le travail de MM. Rapin et Buffet, ainsi que du rapporteur de Belenet.
Le pilotage politique de Frontex a montré ses faiblesses : il faut des personnels plus expérimentés, contrôlés par le Parlement européen et les parlements nationaux, pour assurer une stabilité institutionnelle de l'agence.
Le mandat doit être clarifié. Des critères de recrutement plus clairs des officiers aux droits fondamentaux et des contrôleurs aux droits fondamentaux sont nécessaires. Le médiateur européen doit également intervenir.
En outre, l'agence doit disposer d'un processus d'alerte en cas de manquements au respect des droits fondamentaux de la part d'États membres, de manière encadrée.
La montée en puissance de Frontex doit aller de pair avec plus de transparence.
Les Hautes-Alpes ont vu entre 2019 et 2020 plus de 11 000 passages illégaux depuis l'Italie, notamment via le col de l'échelle, tristement célèbre malgré sa beauté. La route, très dangereuse, est exploitée par les passeurs. Certains meurent sur cette route, notamment en hiver. La pression migratoire locale est renforcée par l'inadéquation des moyens de la police aux frontières. Les associations chargées d'accompagner les migrants font face au même manque de moyens.
Soyons à la hauteur de nos idéaux. Il faut faire preuve d'humanité, sans être naïf. Frontex doit évoluer dans cette direction et trouver un meilleur équilibre entre efficacité et humanité.
Le groupe UC votera cette proposition de résolution européenne, tout en restant vigilant sur l'exigence d'humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Esther Benbassa . - En février 2022, l'ONU alertait l'Europe sur la normalisation des refoulements aux frontières. Le rapport d'Human Rights Watch est accablant pour l'agence : Frontex devient complice d'actes inhumains. L'Olaf dénonce des faits similaires en Albanie et à la frontière entre la Grèce et la Turquie.
Nous ne pouvons plus fermer les yeux. Je ne partage pas l'avis du rapporteur : non, la première mission de Frontex n'est pas le contrôle efficace des frontières. Le respect des droits de l'homme doit primer toute considération idéologique.
Les drames s'enchaînent en Méditerranée : Lampedusa en 2013, plus de 800 morts en 2015, une trentaine depuis le début de l'année. Nous devons mesurer la gravité de l'échec de Frontex : 330 000 entrées irrégulières ont été enregistrées en 2022, et le système en place est incapable de gérer la situation. Résultat : de nombreuses personnes, dont beaucoup de mineurs, sont contraintes de vivre dans des conditions indignes, comme les 400 personnes livrées à elles-mêmes dans le campement de fortune de la porte d'Ivry.
Il est urgent de réformer Frontex : sa mission de contrôle est indissociable de sa mission de respect des droits fondamentaux. Sans un système d'asile et d'immigration harmonisé et fort, je redoute une nouvelle poussée extrémiste aux prochaines élections européennes. Je ne voterai pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST ; MM. Pierre Laurent et Jean-Yves Leconte applaudissent également.)
Mme Catherine Belrhiti . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Sans Frontex, que resterait-il de nos frontières extérieures de l'Union européenne ? Frontex est indispensable pour réguler les flux migratoires aux portes de l'Union européenne.
Ces dernières années, ces flux n'ont cessé de s'accroître. En 2019 et 2020, les tensions entre la Turquie et l'Union européenne se sont traduites par des risques de migrations. En 2021, une crise frontalière a éclaté avec la Biélorussie. En 2022, le conflit en Ukraine a provoqué d'importants déplacements de populations. Dans certains cas, il s'agit de tentatives de déstabilisation étrangères.
Plus importants sont les flux migratoires, plus forte doit être la réponse européenne. Frontex constitue un moyen de coordination de nos frontières et une force opérationnelle capable de se projeter pour soutenir les États. Sa finalité est de préserver l'ordre et la sécurité aux frontières de l'Union européenne.
Les défis se sont multipliés ces dernières années, en raison notamment du terrorisme international, qui rend nécessaire une plus grande vigilance, mais aussi de la criminalité transfrontalière et des trafics en zone frontalière. Les moyens et les capacités opérationnelles de Frontex ont été salutairement augmentés.
Nos frontières ne sont pas de simples zones d'accueil. L'élargissement du mandat de Frontex est une évidente nécessité. Les États membres ne peuvent faire face aux défis du continent tout entier.
La croissance naturelle de l'agence justifie l'adoption de cette proposition de résolution. Elle n'est pas seulement naturelle, mais logique, dans le prolongement de nos valeurs républicaines. En 1974, dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre Raymond Barre soulignait déjà la nécessité d'élargir notre attention vers la liberté, la responsabilité, la sécurité. Ne laissons pas croire que la liberté implique l'insécurité : c'est au contraire la sécurité qui implique la liberté.
La proposition de résolution européenne stabilise politiquement et juridiquement l'agence, dont le mandat doit être conservé. Frontex n'intervient qu'à la demande des États membres, elle doit non les surveiller, mais les soutenir. La lutte contre la criminalité transfrontalière doit être conduite dans les limites des États membres.
L'autorité de son futur directeur exécutif est liée à cette condition : réaffirmer notre soutien à cette agence, malgré les critiques.
Quelles sont les conclusions des rapports rendus sur Frontex ? Si l'agence n'a pas participé directement à des opérations de refoulement, si les cadres dirigeants se sont plaints de l'ignorance des enjeux opérationnels de l'agence, que manque-t-il sinon des moyens pour garantir le respect des droits fondamentaux ? Le code de conduite, les officiers aux droits fondamentaux ne suffisent pas : il faut continuer à fournir des moyens. Les recommandations convergent : transparence, renforcement du contrôle parlementaire, soutien renforcé à Frontex pour surmonter les crises. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Claude Kern et Franck Menonville applaudissent également.)
Mme Nathalie Delattre . - Dans quelques semaines, nous examinerons le projet de loi pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration. La gestion des flux migratoires est un sujet majeur des dernières années, et les controverses récentes autour de Frontex n'ont pas apaisé le débat.
Pour reprendre les termes du Règlement européen de 2016 qui crée l'agence, la première mission de l'agence est de rendre plus efficace la gestion des frontières extérieures ; la seconde est de contribuer à l'application du droit de l'Union, notamment en matière de droits fondamentaux.
Ces deux missions ne sont pas incompatibles si elles sont menées avec la confiance des États membres.
C'est là que réside le vrai problème : une institution trouve sa légitimité dans les faits. Il y a unanimité pour souligner les manquements et les fautes de ces dernières années, corroborés par la démission de son directeur, accusé d'avoir couvert des refoulements de migrants entre la Grèce et la Turquie en 2020.
L'enjeu est de retrouver la confiance. Les moyens juridiques de Frontex sont importants, notamment pour contrôler les frontières et lutter contre les trafics, mais aussi pour organiser le retour des migrants illégaux.
L'agence sera dotée d'un contingent permanent de 10 000 garde-frontières et garde-côtes d'ici 2027. Un avion de surveillance opère déjà dans la Manche. Un tel dispositif ne peut s'accompagner de tant de controverses.
Je rejoins les auteurs de cette proposition de résolution européenne sur le rôle des parlementaires nationaux, avec un groupe de contrôle sur le modèle d'Europol.
Le RDSE souligne souvent son attachement à l'Union européenne et à ses institutions. Mais le rôle des nations aussi est essentiel, car elles contribuent à réguler et à assurer une forme de confiance. L'agence est actuellement responsable devant le Conseil européen, mais un contrôle national la renforcerait.
Au RDSE, malgré certaines réserves, nous voterons cette proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI et du groupe UC)
Discussion de la proposition de résolution
ARTICLE UNIQUE
M. le président. - Amendement n°4, présenté par M. Fernique, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires
M. Jacques Fernique. - La sécurisation des frontières doit passer par le rétablissement de l'espace Schengen et le renforcement de la solidarité entre les États membres pour un accueil digne.
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. - Avis défavorable. Le contrôle des frontières n'est pas incompatible avec la qualité de l'accueil. De plus, l'amendement précise qu'il ne vaut que dans le cadre d'un fonctionnement normal de l'espace Schengen. Or la situation actuelle n'est pas normale, nous pouvons nous accorder là-dessus.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - Un contrôle harmonisé est le corollaire de la libre circulation dans l'espace Schengen. C'est le sens du pacte sur la migration et l'asile proposé par la Commission européenne fin 2020, qui vise à améliorer la solidarité entre les États membres.
En revanche, y faire référence dans ce texte ne semble pas pertinent. Avis défavorable.
L'amendement n°4 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°5 présenté par MM. Fernique, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires
M. Jacques Fernique. - La France devrait plaider au Conseil européen pour une refonte structurelle de l'agence, en conformité avec la convention de Genève et son principe de non-refoulement des personnes aux frontières.
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. - Cet amendement transformerait Frontex en organisme dédié au sauvetage en mer, ce qui ne va évidemment pas dans le sens de la proposition de résolution européenne.
L'amendement présente des contrefaits : tous les rapports, y compris du Parlement européen, ont conclu à l'absence d'action proactive de refoulement menée par Frontex ; quarante contrôleurs ont déjà été embauchés ; enfin, les mécanismes de contrôle interne ont été renforcés, sur préconisation de la médiatrice de l'Union européenne. Avis défavorable.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - Le Gouvernement est attaché au principe de non-refoulement et aux droits fondamentaux des migrants, mais la refonte de Frontex semble prématurée : une évaluation du règlement de Frontex est en cours. Il présente les garanties nécessaires ; il faut se concentrer sur sa mise en oeuvre. Depuis fin 2022, 44 contrôleurs aux droits fondamentaux ont été recrutés ; le 19 avril 2021, un nouveau mécanisme de signalement des incidents en matière de respect des droits de l'homme a été adopté.
Pour Frontex, l'enjeu est la pleine mise en oeuvre de son mandat de 2019 : il faut le stabiliser pour que l'agence l'exerce pleinement et sereinement.
Les discussions sur les opérations de sauvetage, essentielles, ont lieu au niveau européen. Cette question dépasse le cadre de Frontex, et doit être traitée avec toutes les parties prenantes. Avis défavorable.
M. Guillaume Gontard. - J'ai besoin d'une précision. Le rapporteur et le ministre ont indiqué que les contrôleurs aux droits fondamentaux ont déjà été nommés ; d'où l'intérêt de l'inscrire dans la résolution, pour clarifier les orientations de Frontex. Quel est le point de blocage ?
L'autre proposition est que la France porte les recommandations du groupe de contrôle de Frontex dans son rapport de juillet 2021. Là encore, si c'est déjà fait et que vous êtes d'accord, pourquoi ne pas l'inscrire dans le texte ?
L'amendement n°5 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°1 rectifié, présenté par MM. Leconte, Marie et Kanner, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Blatrix Contat, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Houllegatte et P. Joly, Mme G. Jourda, MM. Kerrouche, Lurel, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
M. Jean-Yves Leconte. - Comme cela a été rappelé au cours de la discussion générale, une indépendance stricte de l'officier aux droits fondamentaux est nécessaire. Or il doit rendre des comptes devant le conseil d'administration qui, par ailleurs, est responsable de son évaluation professionnelle... Il faut corriger cela, pour éviter que la crise traversée par Frontex ne se reproduise.
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. - Avis défavorable. La commission a trouvé un équilibre que nous souhaitons conserver.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - Avis favorable. Le Gouvernement est favorable à l'indépendance de l'officier aux droits fondamentaux et des contrôleurs aux droits fondamentaux. Le règlement de Frontex prévoit déjà qu'ils agissent en toute indépendance. Le conseil d'administration ne saurait procéder à leur évaluation professionnelle. Cela n'exclut pas que l'officier aux droits fondamentaux lui rende des comptes.
Par ailleurs, si l'expérience des garde-frontières peut être utile pour les contrôleurs aux droits fondamentaux, ce ne peut être une compétence préalable. D'autres compétences, comme une maîtrise des enjeux internationaux, sont importantes.
Le nouvel officier aux droits fondamentaux a pris ses fonctions en juin 2021. Une telle recommandation jetterait un doute sur sa légitimité et celle des 45 contrôleurs aux droits fondamentaux recrutés.
M. Jean-François Rapin. - Au contraire, une évaluation sérieuse de l'officier aux droits fondamentaux conforterait son indépendance. C'est de ne pas le former qui n'y contribuerait pas.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - Il est nommé. Il est trop tard !
M. Jean-François Rapin. - Rien n'empêche la formation professionnelle.
À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°1 rectifié est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°127 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l'adoption | 129 |
Contre | 215 |
L'amendement n°1 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°2 rectifié, présenté par MM. Leconte, Marie et Kanner, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Blatrix Contat, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Houllegatte et P. Joly, Mme G. Jourda, MM. Kerrouche, Lurel, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
M. Jean-Yves Leconte. - « La mission de Frontex n'est en aucun cas de surveiller les actions des États membres en matière de droits fondamentaux », dit l'alinéa 46. Mais dans tous les cas, elle doit veiller au respect des droits fondamentaux ! Il n'est pas acceptable de laisser cet alinéa dans le texte.
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. - Ce n'est pas une question de hiérarchie : Frontex n'a simplement pas à surveiller l'action des États membres. Pour autant, l'article 10 du règlement de l'agence lui donne un mandat clair sur ce point : les agents doivent signaler les manquements, et l'article 46 l'autorise même à se désengager d'une opération conjointe avec un État membre.
En revanche, nous sommes d'accord avec la seconde partie. Nous avions donné un avis favorable en commission sous réserve de la suppression de la première partie. L'auteur ayant souhaité conserver le texte initial, avis défavorable.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - Nous partageons totalement l'avis du rapporteur. Sagesse, si l'amendement n'est pas rectifié.
M. Jean-Yves Leconte. - Je rectifie l'amendement selon les recommandations du rapporteur, même si cela ne changera pas notre vote sur l'ensemble de la proposition de résolution européenne. Frontex doit pourtant surveiller les manquements des États membres.
M. le président. - L'amendement n°2 rectifié devient ainsi l'amendement n°2 rectifié bis.
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. - Avis favorable.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - Sagesse.
L'amendement n°2 rectifié bis est adopté.
M. le président. - Amendement n°3 rectifié, présenté par MM. Leconte, Marie et Kanner, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Blatrix Contat, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Houllegatte et P. Joly, Mme G. Jourda, MM. Kerrouche, Lurel, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
M. Jean-Yves Leconte. - Frontex a systématiquement agi sous la responsabilité des États membres, mais il n'est pas raisonnable de préciser que les personnels de Frontex ne sauraient être tenus responsables d'actions commises par les États partenaires. Cela reviendrait à une immunité pour les personnels de Frontex.
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. - Cette fois-ci, avis défavorable, clairement et totalement. La proposition de résolution européenne ne prévoit aucune immunité. Les alinéas 45 et 46 sont clairs : les responsabilités de chacun sont dissociées. En revanche, les manquements commis par d'autres ne peuvent engager la responsabilité des agents de Frontex ; ces derniers ne sont pas immunisés pour des poursuites dont ils seraient les auteurs, mais ils sont traités de la même manière que les agents de l'État hôte. Ils ne sont pas exonérés de rapporter les manquements qu'ils constateraient.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - La responsabilité civile et pénale des équipes est déjà encadrée par le règlement de Frontex et les statuts des agents de l'Union européenne. Il n'est pas question d'immunité. Les personnels sont en revanche tenus à un strict code de conduite, et doivent signaler toute violation des droits fondamentaux des personnes. Une action litigieuse peut être engagée sur ce point. Ainsi le texte de la proposition de résolution européenne est équilibré. Avis défavorable.
M. Jean-Yves Leconte. - Suite aux précisions du ministre, je le retire.
L'amendement n°3 rectifié est retiré.
M. le président. - Amendement n°6 présenté par MM. Fernique, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme Mélanie Vogel et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.
M. Jacques Fernique. - Frontex est l'agence la plus dotée de l'Union européenne, or elle pose problème, comme l'Olaf l'a souligné. L'argent engagé doit financer une vraie politique d'accueil des migrants, compatible avec les valeurs fondatrices de l'Union européenne.
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. - Voilà qui est totalement antagoniste avec l'esprit de la proposition de résolution européenne. Avis défavorable.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - La plupart des dispositions de l'amendement sont déjà prévues dans le droit de l'Union, ou font l'objet de négociations au sein du pacte européen sur la migration et l'asile de 2020. Ces propositions n'ont pas leur place ici.
Les frontières internes ne relèvent pas du mandat de l'agence ; la rédaction de l'amendement est floue sur ce point. Avis défavorable.
M. Jacques Fernique. - Je suis perplexe : notre amendement reçoit deux avis défavorables pour deux raisons opposées.
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. - Je maintiens la mienne !
M. Jacques Fernique. - Pour l'un, notre amendement est antagoniste avec les missions de Frontex, pour l'autre, il liste des missions déjà dévolues à Frontex...
L'amendement n°6 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°7 présenté par MM. Fernique, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme Mélanie Vogel et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.
M. Jacques Fernique. - La politique d'externalisation de la gestion des frontières par les États membres leur permet de se dégager de leurs obligations en matière de droits fondamentaux. La sous-traitance encourage les atteintes à ces droits. Après l'échec patent de Dublin, il faut une politique d'accueil plus solidaire et un régime commun de l'asile européen.
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. - Avis défavorable.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - Cet amendement est purement politique, il n'a pas sa place ici.
L'amendement n°7 n'est pas adopté.
Explications de vote
M. François-Noël Buffet . - Cette proposition de résolution européenne marque la nécessité d'un équilibre. Il y a en réalité deux lois qui s'appliquent à l'immigration en France : la loi nationale et la réglementation européenne. Nous prenons acte de la volonté du Gouvernement au niveau national, mais il faut aussi des échanges européens.
Frontex doit retrouver une organisation apaisée, dans les limites de sa mission première. M'étant rendu à Lesbos et Lampedusa voici quelques années, je n'avais pas observé les difficultés vécues depuis en Grèce. Il faut aussi savoir faire confiance à l'institution.
M. Jean-Yves Leconte . - Nous voterons contre cette proposition de résolution européenne, car elle ne marque pas suffisamment l'indépendance des contrôleurs aux droits fondamentaux, pourtant essentielle pour sortir de la crise. Frontex n'intervient que sous la responsabilité des États membres. Une indépendance totale est absolument nécessaire. Cette proposition de résolution européenne ne trace pas la voie pertinente.
M. Jean-François Rapin . - Cette proposition de résolution européenne a été adoptée en commission des affaires européennes. Si elle est votée par le Sénat, le Gouvernement devra en tenir compte.
Les événements des dernières heures nous invitent à la vigilance : le séisme en Turquie et en Syrie a fait de nombreux morts et plongé de nombreuses personnes dans la rue ; un afflux migratoire important est possible, et nous aurons besoin des agents de Frontex.
Mme Esther Benbassa. - De la décence !
M. Jean-François Rapin. - Je vous ai laissée vous exprimer, je vous invite à en faire de même à mon égard. J'ai vu les contrôleurs travailler : il faut leur faire confiance. L'agence prend les mesures nécessaires pour faire respecter le droit.
En application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur l'avenir de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), l'ensemble de la proposition de résolution européenne est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°128 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l'adoption | 252 |
Contre | 92 |
Le Sénat a adopté.
M. le président. - En application de l'article 73 quinquies, alinéa 4, du Règlement, la résolution que le Sénat vient d'adopter sera transmise au Gouvernement et à l'Assemblée nationale.
Prochaine séance demain, jeudi 9 février 2023, à 10 h 30.
La séance est levée à 23 h 45.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du jeudi 9 février 2023
Séance publique
À 10 h 30 et 14 h 30
Présidence : M. Roger Karoutchi, vice-président, M. Pierre Laurent, vice-président
Secrétaires : Mme Martine Filleul - M. Jacques Grosperrin
1. 22 questions orales
2. Débat sur le thème « L'État territorial, entre mirage et réalité » (demande de la délégation aux collectivités territoriales)