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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Allocution de M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada d'Ukraine

M. Gérard Larcher, président du Sénat

M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada d'Ukraine

Questions d'actualité

Grèves et service minimum

Mme Pascale Gruny

M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports

Menaces de l'Iran contre la France

Mme Nathalie Goulet

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe

Réformes des retraites (I)

M. Pascal Savoldelli

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion

Ehpad

M. Michel Dagbert

M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées

Réforme des retraites (II)

M. Patrick Kanner

Mme Élisabeth Borne, Première ministre

Situation financière des Sdis

M. Jean-Yves Roux

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer

Fin de l'enseignement de la technologie au collège

Mme Monique de Marco

M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Fonds vert

Mme Vanina Paoli-Gagin

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Chiffres de l'immigration

Mme Béatrice Gosselin

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer

Pollution aux billes de plastique

Mme Angèle Préville

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Chiffres de la délinquance

Mme Christine Bonfanti-Dossat

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Rachat d'Orpea

M. Jean-Michel Arnaud

M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées

Aides aux collectivités locales face aux coûts de l'énergie

M. André Reichardt

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Rapport de la Fondation Abbé Pierre

M. Denis Bouad

M. Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement

Interdiction des courses landaises et camarguaises

M. Laurent Burgoa

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture

Volet transport des contrats de plan État-Région

M. Laurent Lafon

M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports

Mise au point au sujet d'un vote

Missions d'information et commissions spéciales (Nominations)

Nombre minimum de soignants par patient hospitalisé

Discussion générale

M. Bernard Jomier, auteur de la proposition de loi

Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la commission des affaires sociales

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

M. Olivier Henno

Mme Véronique Guillotin

Mme Catherine Belrhiti

M. Daniel Chasseing

Mme Raymonde Poncet Monge

M. Abdallah Hassani

Mme Émilienne Poumirol

Mme Laurence Cohen

M. Laurent Burgoa

Interventions sur l'ensemble

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales

M. Bernard Jomier

Mme Muriel Jourda

Mme Michelle Gréaume

Mme Marie Mercier

Mme Sonia de La Provôté

M. Daniel Breuiller

Mme Corinne Imbert

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse

Discussion générale

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois

Question préalable

M. Stéphane Ravier

Discussion générale (Suite)

Mme Esther Benbassa

M. Jean-Yves Roux

M. Philippe Bas

Mme Colette Mélot

Mme Mélanie Vogel

M. Xavier Iacovelli

Mme Marie-Pierre de La Gontrie

Mme Laurence Cohen

M. Loïc Hervé

Mme Corinne Imbert

Discussion de l'article unique

Mme Hélène Conway-Mouret

Mme Annick Billon

Mme Elsa Schalck

Mme Muriel Jourda

Mme Laurence Rossignol

Rappel au Règlement

M. Loïc Hervé

Discussion de l'article unique (Suite)

M. Dominique de Legge

Mme Jacqueline Eustache-Brinio

Mme Marie Mercier

Mme Toine Bourrat

Mme Catherine Di Folco

M. Loïc Hervé

M. Bruno Retailleau

M. Stéphane Ravier

M. Philippe Bonnecarrère

Mme Françoise Gatel

Avis sur des nominations

Mise au point au sujet d'un vote

Retraite de base des non-salariés agricoles

Discussion générale

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion

Mme Pascale Gruny, rapporteur de la commission des affaires sociales

Mme Cécile Cukierman

Mme Nadia Sollogoub

M. Henri Cabanel

Mme Kristina Pluchet

M. Pierre-Jean Verzelen

Mme Raymonde Poncet Monge

M. Didier Rambaud

Mme Monique Lubin

M. Alain Duffourg

M. Christian Klinger

Discussion des articles

ARTICLE 1er

Mme Gisèle Jourda

M. Marc Laménie

M. Jean-Claude Tissot

Mme Frédérique Espagnac

APRÈS L'ARTICLE 1er

Ordre du jour du jeudi 2 février 2023




SÉANCE

du mercredi 1er février 2023

51e séance de la session ordinaire 2022-2023

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Marie Mercier, M. Jean-Claude Tissot.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Allocution de M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada d'Ukraine

M. Gérard Larcher, président du Sénat .  - (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent ; applaudissements nourris et prolongés pour l'entrée des présidents ; remerciements prolongés de M. le président de la Rada.) La guerre ! Il y a un an, presque jour pour jour, mes chers collègues, ce mot terrible, que l'on croyait banni du continent européen, a résonné à nouveau en Europe. Il ne s'agit pas d'une guerre allégorique, de celles que l'on déclare de façon parfois galvaudée dans une situation d'adversité.

Il s'agit bien d'une guerre réelle, d'une guerre d'agression, dans toute sa brutalité.

À vrai dire, la guerre n'était pas nouvelle en ce 24 février 2022.

Votre peuple, monsieur le président de la Rada, connaît la guerre depuis 2014, depuis l'agression de la Russie et l'occupation d'une partie de l'Ukraine. Neuf années déjà, même si ces derniers mois furent d'une intensité rarement égalée.

Ce qui a changé, à partir du 24 février 2022, ce fut la mobilisation inédite des soutiens de l'Ukraine : dans le monde, au sein de l'Union européenne et en France, depuis le sommet de l'État jusqu'aux simples citoyens, sans oublier nos collectivités territoriales.

Car il faut le reconnaître avec lucidité : en 2014 et dans les années qui suivirent, à l'exception des Ukrainiens agressés et de quelques pays européens, nous n'avions pas pris, collectivement, vraiment, la mesure de ce qui se produisait sur le sol de l'Ukraine et du danger représenté par l'impérialisme russe.

Ce passé fait d'irrésolutions est désormais derrière nous. Votre cause est devenue la nôtre, parce que nous savons que l'Union européenne ne sera pas en paix si la Russie est victorieuse en Ukraine.

Nous n'avons qu'un objectif et un seul : que demain l'Ukraine soit libérée !

La fermeté de l'engagement des pays qui vous soutiennent, dont la France, fait ses preuves. La décision de livraison de chars AMX-10 RC par notre pays, comme celle des canons Caesar, puis la décision de livraison de chars lourds par d'autres États, ont constitué un tournant supplémentaire dans la détermination collective à vous soutenir.

Cet engagement est appelé à perdurer et à ne pas faiblir. Nous formons le voeu que la France, dans le cadre d'une aide militaire cohérente, concertée avec ses partenaires, continue à apporter une contribution substantielle à votre système de défense, pour mieux protéger les populations civiles et vos installations stratégiques, et vous aider à résister et à reconquérir le territoire de l'Ukraine internationalement reconnu.

Risque d'escalade, entend-on. Cette interrogation est légitime. Mais quelle est l'alternative laissée par la Russie ? Ce n'est pas l'Ukraine qui nous contraint à livrer toujours plus de matériels, c'est la poursuite de l'agression et les exactions russes qui nous l'imposent !

La France et l'Union européenne, à la différence de l'Ukraine, ne sont pas en guerre contre la Russie. Mais les autorités russes ont bel et bien désigné comme leur adversaire « l'Occident » - c'est leur propre terme.

Dans ces circonstances, l'Ukraine doit non seulement être en capacité de résister mais aussi de prendre l'avantage stratégique. Nous devons l'y aider !

Monsieur le président, il y a six mois, en juillet 2022, vous m'avez accueilli, ainsi qu'une délégation de sénateurs, dans l'enceinte de la Rada et vous m'avez donné l'occasion de prononcer un discours en séance plénière, devant tous les parlementaires. Peut-on se figurer un parlement réuni régulièrement sous la menace permanente des alertes à l'approche de missiles destructeurs ? Tel est le quotidien de nos collègues parlementaires de la Rada.

En résistant, les Ukrainiens démontrent que l'héroïsme n'est pas la vertu des causes désespérées.

Je souhaite, mes chers collègues, que nous nous levions pour rendre hommage au courage de nos collègues parlementaires de la Rada, à l'instar de tous les Ukrainiens, et que nous les applaudissions. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement.)

Le 7 février, le Sénat débattra d'un projet de résolution en soutien à votre pays qui dépasse les clivages politiques et, je l'espère, recueillera les plus larges suffrages.

Le projet de résolution ne se contente pas de répéter les résolutions précédentes : il fait sien le plan de paix présenté par le président Zelensky lors du Sommet du G20 le 15 novembre 2022 : la souveraineté de l'Ukraine sur l'ensemble de son territoire n'est pas négociable. La Crimée ou le Donbass n'ont qu'une vocation : être ukrainiens.

Surtout, le projet de résolution du Sénat insiste sur l'impératif de justice, afin que les criminels qui, au nom de la Russie, commettent des exactions et des crimes de guerre, persécutent, exécutent des civils, sachent qu'ils ne bénéficieront d'aucune impunité. Parce que l'impunité ouvre la voie aux plus grands crimes et à la manipulation de l'histoire : en témoigne la négation persistante par les autorités russes de ce qu'il conviendrait de reconnaître comme le génocide de l'Holodomor, en 1932 et 1933.

Le moment que nous partageons aujourd'hui est exceptionnel, sinon inédit. Si le président Zelensky s'est exprimé le 23 mars 2022 en visioconférence devant le Parlement français, jamais l'hémicycle du Sénat n'a accueilli le président du Parlement d'un pays en guerre.

Et cela fait même plus de vingt ans - c'était en 2003 - qu'aucun président d'une assemblée d'un pays étranger ne s'est exprimé à la tribune qui sera vôtre dans quelques instants, monsieur le président de la Rada.

Seuls le président du Bundesrat allemand et la présidente du Parlement européen ont eu, par le passé, cette opportunité.

C'est dire la dimension européenne qui est conférée à cette tribune. C'est dire le degré d'amitié et de confiance que le Sénat témoigne à la Rada et à son président.

Vive l'Ukraine, vive la République, vive la France ! (Mmes et MMles sénateurs se lèvent ; applaudissements nourris et prolongés.)

M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada d'Ukraine .  - Chers amis, c'est un honneur insigne que de me trouver au Sénat de la République française pour vous adresser les paroles de l'Ukraine en proie aux flammes. De cette tribune du Sénat parleront aujourd'hui des millions d'Ukrainiens qui vivent l'agression la plus insensée et la plus terrible depuis la Seconde Guerre mondiale.

Je veux que vous entendiez leurs voix épuisées, malheureuses mais invaincues.

Parmi elles, vous entendrez les voix de Boutcha et Borodianka, premières localités à recevoir l'ennemi à vingt kilomètres de Kyiv, et à l'arrêter.

Je veux aussi que vous entendiez les voix de Marioupol et d'Azovstal invaincue, d'Odessa, si proche des Français, de Bakhmout et de Soledar, où nos militaires tiennent jusqu'au bout de leur vie parce qu'ils protègent leur terre.

Parmi ces voix, vous entendrez aussi ceux qui appelaient à l'aide dans l'immeuble détruit par un missile russe à Dnipro, où le 14 janvier ont péri 46 Ukrainiens pour une centaine de blessés.

Je vous remercie encore une fois, cher Gérard : vous vous êtes rendu en Ukraine en juillet 2022 à la tête d'une délégation et vous en êtes revenu transformé, comme vous l'avez dit à l'époque. C'est un acte de courage, la marque des vrais amis. Votre discours inspiré au Parlement a été entendu par toute l'Ukraine, discuté longtemps et passionnément par les parlementaires, les militaires au front et ceux qui les soutiennent.

Nous avons entendu dans ce discours l'esprit invaincu de la France, des Parisiens libres qui, il y a 230 ans, sont partis à l'assaut de la Bastille. Aujourd'hui, c'est à notre tour, Ukrainiens, de prendre notre Bastille. Nous sommes en train de créer la grande nation ukrainienne qui a entamé un combat épuisant pour sa liberté, pour son développement, pour son avenir.

Je suis très heureux de constater que dans cette confrontation civilisationnelle, le peuple français est à nos côtés. À vous, ses représentants, je voudrais exprimer toute ma reconnaissance. (M. le président de la Rada applaudit l'Assemblée ; Mmes et MM. les Sénateurs l'applaudissent en retour.)

Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous êtes-vous demandé pourquoi on nous tue ? On nous tue uniquement parce que, tout comme vous, nous aimons notre terre. Que, tout comme vous, nous respectons notre histoire millénaire. Que, tout comme vous, nous chérissons notre langue.

Vous êtes-vous demandé comment on nous tue ? On nous tue, cyniquement, avec toutes les armes disponibles : les missiles balistiques, les drones kamikazes ; on nous tue par le froid et l'obscurité, en détruisant les infrastructures énergétiques critiques.

Vous êtes-vous demandé qui nous tue ? Celui qui, sous couvert d'une « opération militaire spéciale » a lancé cette invasion à grande échelle, celui qui rêve de restaurer l'empire russe ou l'Union soviétique, celui qui fait fi du droit international et des normes de coexistence pacifique. Nous sommes tués sur son ordre par ceux qui, hier encore, nous juraient être nos frères.

« L'opération militaire spéciale » en Ukraine, telle que la qualifie l'agresseur, n'est qu'une couverture cynique pour une invasion de l'Occident qui ne pourra être arrêtée que par une victoire.

Chers amis, notre voie n'est pas de déposer les armes, mais de riposter et de défendre notre terre. L'Ukraine est devenue le bouclier qui protège l'Europe et l'ensemble du monde civilisé.

L'ennemi cruel sème la mort et la destruction, produit des fakes qui font reposer la responsabilité de ses crimes, collectivement, sur l'Occident. Ne cédons pas à la désinformation de Moscou qui a des racines historiques profondes : nous avons tous en mémoire les faux villages de Potemkine qui induisirent en erreur l'impératrice Catherine II. Deux cents ans plus tard, le même procédé a été utilisé pour persuader le monde entier que les tragédies d'Irpin et Boutcha n'avaient pas eu lieu ; que c'était du théâtre, que des acteurs figuraient sur les images.

J'ai aussi en mémoire un exemple éloquent datant des années 1930, lorsque Staline tuait les Ukrainiens par la famine. Un document d'archive de l'époque évoque l'arrivée en Ukraine d'Édouard Herriot. Celui-ci n'a pas vu de famine, puisque sur l'itinéraire de sa visite, on n'avait fait figurer que des villages et des kolkhozes prospères...

Nous ne pouvons vaincre qu'ensemble, car l'envahisseur ne s'arrêtera pas à l'Ukraine dans son entreprise d'expansion du monde russe. Peu importe comment, par les armes ou par l'idéologie. La bête se présente aujourd'hui comme un agneau, mais aspire toujours à tuer et à s'emparer de nouveaux territoires.

Chers amis, un grand penseur français, René Descartes, a dit en son temps qu'en appelant les choses par leur nom, la moitié des erreurs de l'humanité serait évitée. Je vous demande d'appeler les choses par leur nom en désignant la fédération de Russie comme un État terroriste. Je demande au Sénat de soutenir cette décision déjà adoptée par le Parlement européen, par les assemblées parlementaires du Conseil de l'Europe et de l'Otan, et par les parlements et gouvernements de plusieurs pays.

Je salue également la solidarité dont vous faites preuve en demandant la création d'un tribunal spécial pour traduire devant la justice les auteurs de crimes de guerre. Seule l'absence d'impunité, principe suprême de la Justice, rendra impossible la reproduction de ces crimes à l'avenir. Tant que la Russie ne quitte pas le territoire ukrainien, elle n'a pas sa place parmi les pays du G7 et du G20, ni aux jeux Olympiques 2024 à Paris.

Prenant conscience de l'ampleur de l'agression, la France a soutenu la résolution de l'ONU sur le mécanisme de compensation des dommages causés à l'Ukraine. Je vous remercie aussi, une nouvelle fois, pour votre leadership dans l'octroi d'armes à l'Ukraine, qui nous aidera à nous défendre et par conséquent à vaincre.

Suivant votre exemple, beaucoup d'autres pays nous aident. Nous obtiendrons bientôt des chars, si nécessaires à l'Ukraine. Nous espérons que la France sera le premier pays à nous livrer ses avions modernes. Vos Caesar, vos Crotale, vos systèmes LRU, vos chars légers AMX-10 RC ont déjà fait leurs preuves sur le champ de bataille, nous aidant à contenir efficacement l'ennemi. Mais notre priorité reste d'obtenir des avions, des blindés lourds et des moyens de défense anti-aérienne et anti-missiles, pour obtenir la supériorité au sol et fermer le ciel au-dessus de l'Ukraine.

En tant que peuple pacifique, même face à une agression militaire, nous pensons toujours à la paix - une paix stable, car nous n'avons pas besoin de ce qui ne nous appartient pas : nous ne faisons que défendre ce qui est à nous. C'est pourquoi le Président Zelensky a proposé un plan de paix en dix points pour mettre fin à la guerre.

Chers collègues, aidez-nous à créer une nouvelle architecture puissante de sécurité européenne et mondiale, mais pas au prix de reculades et de compromis dont nos enfants et nos petits-enfants auraient honte. Nous avons besoin de garanties de sécurité solides, comme l'entrée de l'Ukraine dans l'Union européenne et dans l'Otan. Depuis cette tribune, j'appelle ces dernières à nous accueillir sans hésitation parmi leurs membres - à nous recevoir comme une famille reçoit un guerrier de retour après une guerre terrible ; un guerrier qui a protégé sa famille, sa terre et notre avenir européen commun.

Nous sommes profondément reconnaissants à la France de nous avoir octroyé le statut de candidat à l'entrée dans l'Union européenne. Car en mars 2022, au sommet de Versailles, c'est bien la France qui a fait évoluer les choses, deux semaines après le dépôt de la candidature ukrainienne. Les dirigeants de l'Union européenne ont décidé que l'Ukraine en deviendrait membre, quelle que soit l'évolution des événements.

Comme l'a dit en son temps Honoré de Balzac qui, comme vous le savez, a trouvé son amour en Ukraine, pour atteindre un objectif, il faut d'abord s'y diriger. En tant que président du Parlement ukrainien, je puis vous assurer que nous y travaillons, en mettant en oeuvre les réformes et les lois nécessaires. Nous sommes parfaitement conscients que l'entrée dans l'Union européenne n'est pas un processus simple.

Ainsi, le Président, le Parlement et le gouvernement ukrainiens appliquent une tolérance zéro à l'égard de la corruption. Nous avons assisté, ces dernières années, à des démissions et des arrestations de fonctionnaires peu scrupuleux. Le front anti-corruption poursuit son travail et les perquisitions continuent. Ceux, fonctionnaires et ex-fonctionnaires, qui n'ont toujours pas compris que l'Ukraine est un pays européen et démocratique doivent en répondre devant la Justice. C'est la première campagne anti-corruption massive depuis trente ans.

Nous souhaitons satisfaire le plus rapidement possible aux sept exigences formulées par la Commission européenne pour entamer les négociations d'adhésion pleine et entière à l'Union européenne. L'Ukraine peut et doit avoir le statut de membre.

Nous comptons également sur le soutien amical de la France pour accélérer l'entrée de l'Ukraine dans l'Otan, dans le contexte du sommet de l'Alliance des 11 et 12 juillet 2023. L'Ukraine ne peut rester en dehors de la communauté euro-atlantique.

Chers amis, il n'y a pas de mots assez forts pour vous exprimer notre reconnaissance d'avoir accueilli plus de cent mille Ukrainiens, futurs citoyens de l'Union européenne.

Je vous remercie de votre sollicitude pour nos enfants qui ont intégré vos écoles, pour leurs mères : vous les avez traités comme s'ils appartenaient à votre peuple. L'Histoire a donné à nos deux peuples, et à nos deux cultures, plus d'une occasion de rapprochement. En voici une nouvelle.

Suite aux agissements criminels du gouvernement de Staline, des milliers d'Ukrainiens ont péri lors de l'Holodomor. La reconnaissance de cet épisode en tant que génocide du peuple ukrainien serait un signal extrêmement important de la France. Les événements de 1932-1933 confirment que Staline à l'époque et le pouvoir poutinien aujourd'hui avaient la même intention de détruire l'identité ukrainienne.

Je vous appelle à voter le projet de résolution en ce sens déposé par les sénatrices Joëlle Garriaud-Maylam, présidente de l'Assemblée parlementaire de l'Otan, et Nadia Sollogoub, présidente du groupe d'amitié France-Ukraine au Sénat.

Monsieur le président, l'été dernier, depuis la tribune au Parlement ukrainien, vous avez déclaré que l'âme et l'idéal humain de l'Europe étaient incarnés, aujourd'hui, par le peuple ukrainien. « Nous donnerons nos âmes et nos corps pour notre liberté et nous prouverons, frères, que nous sommes de la lignée des Cosaques », dit notre hymne national. La liberté est notre idéal ; vivre dans la grande famille européenne l'est aussi.

Sans aucun doute, nous atteindrons notre objectif ; sans aucun doute, nous gagnerons ; sans aucun doute, nous reconstruirons une Ukraine libre et indépendante. Ne manquons pas cette occasion historique.

Je vous remercie pour votre attention. Gloire à l'Ukraine et vive la France ! (Mmes et MMles sénateurs se lèvent ; applaudissements nourris et prolongés)

M. le président.  - Merci, Monsieur le président.

La séance est suspendue à 15 heures.

présidence de M. Roger Karoutchi, vice-président

La séance reprend à 15 h 15.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet. Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et au temps de parole.

Grèves et service minimum

Mme Pascale Gruny .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis une semaine, la mobilisation sociale contre la réforme des retraites paralyse notre pays, exaspérant nos compatriotes. Comme d'habitude, ce sont les plus fragiles qui sont les plus pénalisés, ceux qui ne peuvent télétravailler et n'ont pas d'alternative aux transports en commun.

Il n'est pas acceptable qu'une minorité de Français prenne ainsi en otage les salariés qui veulent travailler. (Vives protestations à gauche ; applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP) Le droit de grève n'est pas un droit de blocage de tout un pays !

La loi de 2017 a prévu l'information des usagers, mais n'a pas abouti à un service minimum garanti. C'est pourquoi le Sénat a adopté, le 4 février 2020, une proposition de loi de Bruno Retailleau permettant enfin de limiter le droit de grève afin de garantir un service minimal. (Exclamations à gauche ; Mme Monique Lubin se gausse.)

M. David Assouline.  - Toujours plus loin ! Abolissez donc le droit de grève !

Mme Pascale Gruny.  - N'est-il pas temps, madame la Première ministre, de la reprendre à votre compte ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; mouvements divers à gauche)

M. le président.  - Merci d'éviter le charivari et d'écouter les orateurs.

M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports .  - Je pense aux nombreux Français qui vivent douloureusement les perturbations dans les transports publics et sont empêchés de retrouver leur famille ou d'aller travailler. (Protestations sur les travées du groupe SER)

Nous devons respecter à la fois le droit de grève, garanti par notre Constitution, et les usagers. Aux slogans, je préfère des réponses efficaces, précises et concrètes.

Définir un service minimum en pourcentage ne répondrait pas à la problématique : trop haut, il serait inconstitutionnel ; trop bas, inefficace. Lors des grèves des contrôleurs à Noël, le service était de 50 %...

Dans l'esprit de la loi de 2007, nous devons apporter des réponses efficaces complémentaires. Les entreprises publiques peuvent améliorer la mobilisation interne, ce qui suppose de l'organisation, de l'anticipation, voire des habilitations de sécurité particulières. Nous pouvons également réfléchir à étendre les délais de prévenance, actuellement de 48 heures. (M. François Patriat applaudit.)

Mme Pascale Gruny.  - Depuis 2020, nous aurions pu y travailler ensemble. J'étais rapporteur de la proposition de loi du Sénat, nous avions proposé des solutions. Nous en avons besoin pour l'économie de la France. Il faut penser à ceux qui ont besoin d'aller travailler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Gatel applaudit également.)

M. David Assouline.  - Cela fait un siècle que vous dites cela.

M. Jean-Marc Todeschini.  - Il faut retirer cette réforme !

Menaces de l'Iran contre la France

Mme Nathalie Goulet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Nous sommes nombreux à soutenir la révolution iranienne et à avoir parrainé des prisonniers. Depuis plusieurs semaines, l'Iran menace la France et les soutiens de la révolution. Massi Kamari, réfugiée politique en France, a vu ses parents menacés. Masih Alinejad a échappé de justesse à un attentat aux États-Unis. On pense à Salman Rushdie.

« Pourquoi l'Iran cible la France », titre un grand hebdomadaire. Le général Hussein Salami prévient que « les musulmans se vengeront », le ministre des Affaires étrangères iranien dit que la France dépasse les limites. Eux ont dépassé les leurs !

Les gardiens de la révolution ont une milice capable d'agir partout dans le monde, les pasdarans.

Enfin les frappes israéliennes contre les usines de drones à Ispahan font craindre une escalade. Vu les accords de défense entre l'Iran et le Qatar, le rôle de la Russie et de la Chine, notre sécurité est menacée.

Madame la ministre, quelles mesures prévoyez-vous pour protéger les Français ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP ; Mmes Laurence Cohen et Esther Benbassa applaudissent également.)

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe .  - Nous partageons vos constats sur la montée des tensions dans la région, sur la répression qui perdure contre les manifestants et sur les menaces. Nous répondons en Européens avec des sanctions et en accompagnant les revendications légitimes des Iraniens. Il n'y aura aucune impunité pour les auteurs de menaces.

Il y a eu quatre trains de sanctions européennes : 78 individus, dont plusieurs ministres et hauts responsables des gardiens de la révolution, ont été sanctionnés, et 27 entités. Les conclusions du Conseil européen nous permettent d'agir, y compris sur les prises d'otage.

Les sanctions contre les personnalités européennes participent du même aveuglement du régime iranien, qui s'enferme dans le déni et le complotisme. Elles ne sont nullement comparables avec les sanctions de l'Union européenne.

Vous pouvez compter sur nous pour continuer d'injecter du dialogue dans cette région troublée et protéger nos ressortissants.

Mme Nathalie Goulet.  - Votre réponse est un peu décevante. L'Iran est un État terroriste. Nous voulons que les gardiens de la révolution soient inscrits sur cette liste des organisations terroristes. Comme si financer le Hezbollah, attaquer les ambassades et fournir des drones à la Russie n'était pas suffisant ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC)

M. Borrell ne veut rien faire. Nous aurons la guerre - nous avons déjà le déshonneur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP, RDSE et SER, ainsi que sur quelques travées du groupe CRCE)

Réformes des retraites (I)

M. Pascal Savoldelli .  - Le ministre de la transformation et de la fonction publiques, Stanislas Guerini, a envoyé récemment une vidéo par mail pour vanter les mérites de votre réforme des retraites. De nombreux fonctionnaires ont été choqués de recevoir cette propagande sur leur mail personnel. Trouvez-vous éthique de diffuser une telle vidéo de commercialisation d'une réforme « non négociable » ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion .  - Vous m'interrogez sur l'application de la réforme des retraites dans la fonction publique. (On le conteste vivement à gauche.)

M. Hussein Bourgi.  - Non, sur la vidéo !

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Le ministre de la transformation et de la fonction publiques a trouvé utile cet exercice de transparence. (Mme Éliane Assassi s'amuse.) Cette réforme concerne tous les fonctionnaires, comme l'ensemble des actifs, avec un relèvement progressif de l'âge de départ à la retraite de deux ans. Les spécificités du régime de retraite de la fonction publique sont maintenues, avec un calcul de la pension sur les six derniers mois et le bénéfice de la catégorie active.

M. Jean-Luc Fichet.  - Ce n'est pas la question !

M. Hussein Bourgi.  - Hors sujet !

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Le Gouvernement souhaite que les années en tant que contractuel soient prises en compte pour la durée du service actif. (« Ce n'est pas la question ! » à gauche) Nous défendons la portabilité de la fonction de catégorie active, par exemple pour les officiers de police et les surveillants de prison. (Mêmes exclamations à gauche, qui couvrent la voix de l'orateur.)

Je me tiens à la disposition du groupe socialiste - que je sens nerveux - pour expliquer la réforme. Faites déjà le tri entre la position de votre premier secrétaire et celle de votre premier secrétaire délégué ! (Protestations sur les travées du groupe SER ; M. Xavier Iacovelli applaudit.)

M. Hussein Bourgi.  - Un peu d'éthique, de vérité !

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Citons aussi la suppression de la clause d'achèvement qu'est l'ouverture de la retraite progressive aux agents publics. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Pascal Savoldelli.  - Nous aurons une réponse à ma question, car la Cnil a été saisie de cette vidéo.

Sur le fond, vous continuez à défendre votre réforme irresponsable et impopulaire. Vous vous croyez tout permis, comme si la réforme était déjà votée. En témoignent la vidéo et la déclaration de la Première ministre selon laquelle les 64 ans ne sont « pas négociables ».

Écoutez l'opinion publique ! La rue vous a encore parlé hier. Vous aurez beau jouer du yoyo antidémocratique, entre le 49.3, le 47-1 et pourquoi pas les ordonnances, mais les jeunes, les femmes, travailleurs, les retraités ne sont pas dupes ! M. Guerini a parlé d'un effort collectif. Acceptez votre erreur et retirez cette réforme qui ne fait que des perdants, et dont personne ne veut ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que du GEST)

Ehpad

M. Michel Dagbert .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Il y a un an, éclatait l'affaire Orpea. À la suite des révélations de Victor Castanet, la Gouvernement a lancé des enquêtes, administrative et financière.

La Caisse des dépôts et consignations (CDC) prend aujourd'hui le contrôle d'Orpea, dont elle devient l'actionnaire majoritaire. L'État sera donc aux manettes.

M. Jérôme Bascher.  - Ce n'est pas le cas !

M. Michel Dagbert.  - Plus largement, les métiers du social et du médico-social sont sous pression, pris en tenailles entre les exigences légitimes des usagers et de leurs familles et les impératifs budgétaires. D'où une perte d'attractivité et des difficultés de recrutement, alors que 30 % des étudiants arrêtent avant la fin de leur cursus.

Je vous sais attentif aux préconisations du Haut Conseil du travail social, monsieur le ministre. Comment faire en sorte que les professionnels du médico-social restent les acteurs de la bienveillance ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées .  - L'investissement de la CDC, mais aussi d'acteurs de l'assurance, est un signal positif pour Orpea qui pourra accélérer sa transformation. C'est une bonne nouvelle pour l'emploi, pour le bien-être des résidents et des salariés.

M. Hussein Bourgi.  - Et pour les actionnaires !

M. Jean-Christophe Combe, ministre.  - C'est un marqueur de l'engagement de l'État dans le secteur du grand âge.

En 2020, le Gouvernement a créé la cinquième branche de la sécurité sociale. Elle sera dotée de 9 milliards d'euros au fil du quinquennat, pour accélérer le recrutement, augmenter les salaires et améliorer la qualité de vie au travail, pour renforcer l'offre à domicile, pour des Ehpad plus modernes, plus ouverts, plus verts, pour financer un plan de lutte contre la maltraitance.

Pour cela, nous aurons besoin d'un secteur associatif innovant, d'un secteur public efficace, d'un secteur privé exemplaire.

L'attractivité des métiers est une question complexe. Nous avons prévu des mesures complémentaires pour répondre à l'urgence, en qualifiant les « faisant fonction », en augmentant les salaires de 183 euros avec le Ségur de la santé, en renforçant la validation des acquis de l'expérience, en instaurant les deux heures supplémentaires à domicile. L'objectif, ambitieux, est de recruter 50 000 professionnels supplémentaires. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Réforme des retraites (II)

M. Patrick Kanner .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Il y a dix jours, M. Dussopt affirmait que la réforme des retraites visait à rétablir un maximum d'égalité ; hier, que sans elle, le niveau moyen des pensions baisserait de 20 %... Vous-même, madame la Première ministre, assurez défendre le modèle social français ; Mme Brigitte Macron juge la réforme nécessaire ; le Président de la République, indispensable.

Bref une réforme idéale, la mère de toutes les réformes. Que demande le peuple ? Il vous l'a dit hier, dans la rue : cette réforme, ce nouvel impôt sur la vie, le peuple n'en veut pas !

Votre réforme sert à faire des économies sur le dos des ouvriers et des employés. Ne pouvez-vous les faire ailleurs ? Vous voulez offrir au Président de la République sa grande réforme. Mais il y a bien d'autres priorités, quand la fracture sociale s'aggrave, quand l'inflation rogne les petits salaires, quand il y a la queue devant la soupe populaire ! Quand retirerez-vous votre réforme des retraites ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que du GEST)

Mme Élisabeth Borne, Première ministre .  - Il y a des principes essentiels en politique : dire la réalité aux Français, sans tordre les chiffres, vendre des illusions, relayer des contrevérités. (Protestations à gauche)

M. François Patriat.  - Très bien !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - Le nombre d'actifs qui cotisent diminue par rapport au nombre de retraités : quatre pour un dans les années 1950 ; 1,7 aujourd'hui, et ce ratio s'amenuise.

M. Jean-Marc Todeschini.  - Faites payer les entreprises !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - Ce n'est pas une opinion politique mais une réalité démographique qui menace notre système de retraite par répartition. (On le conteste sur les travées du groupe SER.) Les déficits vont se creuser. C'est un fait, partagé par le Conseil d'orientation des retraites (COR). (Vives protestations sur les travées du groupe SER)

M. David Assouline.  - Il dit qu'il n'y a pas d'urgence à réformer !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - Aucun scénario du COR ne prévoit l'équilibre en 2030. D'ici dix ans, ce sont 150 milliards d'euros de déficit que nous laisserons à notre jeunesse si nous ne faisons rien.

M. Rachid Temal.  - Et vous supprimez la CVAE !

M. Jean-Marc Todeschini.  - Vous prenez tout sur les pauvres !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - Le premier président de la Cour des comptes a déclaré que notre système n'était pas soutenable en l'état et qu'une réforme était indispensable. (Protestations sur les travées du groupe SER)

Voilà pour les faits, passons aux conséquences.

Nous avons débattu avec les organisations patronales, les syndicats et les groupes parlementaires, des moyens de sauver notre système par répartition en travaillant progressivement plus longtemps.

M. Jean-Marc Todeschini.  - Et les syndicats sont d'accord ?

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - C'est ce qu'ont fait tous nos voisins européens. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER) C'est ce qu'ont fait des majorités, de droite comme de gauche, avant nous. Vous-même, monsieur Kanner, avec le PS, avez soutenu la réforme de Mme Touraine ! (Applaudissements sur quelques travées du RDPI et des groupes INDEP, Les Républicains et UC ; protestations sur les travées du groupe SER) Vous avez changé d'avis, c'est votre droit...

M. Hussein Bourgi.  - C'est vous qui avez changé d'avis !

M. le président.  - Si vous n'écoutez pas la réponse, le président Kanner ne pourra pas répondre...

M. Philippe Pemezec.  - La gauche parle à la gauche !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - Que proposez-vous pour financer notre modèle social ? Il n'y a que deux options : baisser les pensions (Protestations à gauche) ou augmenter drastiquement les cotisations et les impôts sur les salaires, brisant la dynamique de l'emploi. Quelle alternative proposez-vous ? Baisse du pouvoir d'achat ou hausse du chômage ? (Protestations à gauche)

M. Rachid Temal.  - Démagogie !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - Notre seul but est d'assurer l'avenir de notre système en travaillant progressivement plus longtemps. Je mesure ce que cela représente pour beaucoup de Français. Nous ne sommes pas égaux devant le travail, c'est pourquoi nous répartissons équitablement l'effort en tenant compte de ceux qui ont commencé à travailler tôt ou qui exercent des métiers difficiles.

Les femmes partiront en moyenne plus tôt à la retraite que les hommes, contrairement à aujourd'hui. (Protestations sur les travées du groupe SER, où l'on rappelle les propos de M. Riester.)

Cette réforme permettra d'augmenter les plus petites pensions des futurs retraités comme des retraités actuels - comme le souhaitait votre candidate à la présidentielle.

Nous entendons les inquiétudes et les doutes et sommes prêts à enrichir le texte.

M. Vincent Éblé.  - Il ne faut pas l'enrichir mais le retirer !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre.  - Nul doute que le Parlement y contribuera. Nous travaillerons avec tous ceux qui veulent préserver notre modèle social. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

M. Patrick Kanner.  - Votre réponse est inéquitable. Vous ne demandez aucun effort aux plus aisés. Vous êtes la Première ministre des plus riches, manifestement. (Quelques exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. François Patriat.  - Honteux !

M. Patrick Kanner.  - Dans une manifestation hier, j'ai entendu : « Nous ne sommes pas des fainéants, nous voulons juste profiter un peu du fruit de notre travail avant de mourir. » Ayez un peu de bienveillance envers les Français, retirez votre réforme ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

Situation financière des Sdis

M. Jean-Yves Roux .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Les 51 900 pompiers professionnels et volontaires se sont engagés avec force contre les incendies dévastateurs de l'été 2022. Revers de la médaille, les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) ploient sous le poids des charges supplémentaires et des responsabilités qui ne leur incombent pas toujours. Nos pompiers font plus que jamais face aux conséquences du réchauffement climatique - incendies, inondations, éboulements - mais assurent aussi de plus en plus souvent les soins de premier secours dans les déserts médicaux.

Ils interviennent avec courage et dévouement. Mais jusqu'à quand ? La capacité d'action de notre sécurité civile est limitée par l'inflation. Les communes et départements contributeurs du Sdis n'arrivent plus à assumer les charges de personnel et à investir dans du matériel. Nombre d'élus dressent le constat d'un modèle de financement devenu inadapté. Or tout défaut d'investissement ne pardonne pas. « Sauver ou périr », telle est la devise des sapeurs-pompiers. Il faut plus de péréquation entre Sdis. Quelle sera la position du Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe SER)

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer .  - Je partage votre constat. D'ailleurs, la loi Matras a prévu un audit du système de sécurité civile, que j'ai rendu public auprès des élus, des Sdis et des organisations de sapeurs-pompiers.

Je remercie les sapeurs-pompiers pour leur travail, cet été et tout au long de l'année.

Alors que les Sdis sont décentralisés depuis 2011, l'État en finance toujours un quart. La taxe spéciale sur les conventions d'assurances (TSCA) est très dynamique, mais mal répartie. Certains départements ne reversent pas toujours l'intégralité du produit aux Sdis.

Il y a des départements pauvres qui sont victimes de feux de forêt et qui manquent cruellement de médecins ; d'autres sont plus riches, moins touchés par les feux et ont une meilleure présence médicale... Le rapport Falco dresse des pistes en matière de financement, et notamment de péréquation entre les Sdis. Le Gouvernement est à votre disposition pour avancer sur ce point, en loi de finances et en soutenant les nombreuses propositions de loi déposées par les sénateurs. (MM. François Patriat et Alain Richard applaudissent.)

Fin de l'enseignement de la technologie au collège

Mme Monique de Marco .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Avez-vous entendu parler de ChatGPT ? Ce robot d'intelligence artificielle fait polémique. Je l'ai testé pour cette question.

Nous devrions former nos enfants à ces nouvelles technologies, dès la sixième. Or le ministre de l'éducation nationale vient d'annoncer la suppression des cours de technologie en sixième, sans aucune concertation.

Cette décision verticale traduit une méconnaissance totale des enjeux du siècle. Pour réussir la transition écologique, la France a plus que jamais besoin d'une jeunesse ouverte aux sciences et aux technologies. Ces enseignements développent l'esprit critique, stimulent la créativité, luttent contre le décrochage.

Votre choix est purement budgétaire : vous voulez renforcer l'accompagnement en mathématiques et en français, mais sans investir.

Voici la question de ChatGPT : le Gouvernement peut-il détailler les motivations et les conséquences prévues de la suppression de la technologie en sixième ? Et comment cela impactera les compétences futures des jeunes dans un monde de plus en plus numérique ?

M. Bernard Jomier.  - Excellent !

Mme Monique de Marco.  - Je rajouterais : quel calendrier ? Qui assurera le soutien en français et en maths ? Quel avenir pour l'enseignement de la technologie ? (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse .  - Je n'ai pas besoin d'intelligence artificielle pour vous répondre. (Exclamations amusées à gauche) L'école de la République ne peut laisser un quart à un tiers des élèves de sixième avec de telles difficultés en mathématiques et en français. Des sessions de soutien seront donc mises en place.

Pour pouvoir le faire sans alourdir l'emploi du temps, nous concentrerons l'enseignement de la technologie sur les classes de cinquième, quatrième et troisième. Ni suppression ni relégation : au contraire, cette discipline sera revalorisée afin de susciter des vocations pour le numérique, pour les sciences de l'ingénieur, pour la voie professionnelle, tant chez les filles que les garçons.

Les professeurs de technologie verront leur situation personnelle préservée. Ils bénéficieront d'une formation diplômante pour 2023-2024, en vue de l'adaptation des programmes. C'est en cours de discussion avec les associations de technologie.

C'est à ces conditions que nous améliorerons le niveau de nos élèves et que la technologie confortera sa place au collège, car telle est bien mon intention. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Fonds vert

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) « Une partie de la solution est dans les territoires ». Je vous rejoins, monsieur le ministre. Octroyer 2 milliards d'euros, via le Fonds vert, pour répondre à leurs besoins en matière de transition écologique est de bon sens.

L'écologie de proximité est déterminante. Notre force et notre dynamisme se trouvent dans les territoires. Les élus locaux connaissent parfaitement les attentes et les projets de leurs territoires. Ils doivent être accompagnés par une ingénierie solide. C'est décisif.

Or certains projets ne semblent pas rentrer dans le cadre actuel du Fonds. C'est le cas, dans l'Aube, du projet de boucle énergétique rurale visant à créer un circuit court de consommation d'électricité alimentant bâtiments privés et publics, porté par le pôle métropolitain d'équilibres territoriaux et ruraux (PETR) Othe-Armance. Or ce projet, qui soulève l'enthousiasme, n'entre dans aucune case.

Monsieur le ministre, comment le Fonds vert peut-il intégrer ces innovations locales ? Allez-vous l'ouvrir plus largement ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires .  - Vendredi dernier, les formulaires pour demander le Fonds vert ont été mis en ligne ; six jours après, 1 800 collectivités avaient déposé un dossier. Nous pouvons nous en réjouir : c'est la preuve de la volonté des collectivités territoriales de se saisir de la transition écologique, de manière concrète et tangible.

Les deux domaines les plus cités sont la rénovation thermique des bâtiments et l'éclairage public, mais toutes les lignes font l'objet d'ouvertures et de demandes.

Les boucles locales énergétiques bénéficient déjà de deux types de financements hors Fonds vert : les certificats d'économie d'énergie (CEE) et le fonds chaleur de l'Ademe, que le Sénat a porté à plus d'un demi-milliard d'euros.

Le déploiement de boucles énergétiques dans le cadre des zones industrielles bas-carbone est en outre soutenu par le ministre de l'industrie pour en faire bénéficier le tissu de proximité.

Je vous invite à vous rapprocher de l'Ademe, et reste à votre disposition pour vous accompagner. De tels projets sont l'exemple d'une écologie de progrès, concrète, bonne pour le climat, pour le pouvoir d'achat et pour l'emploi. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP)

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - Je vous remercie. Nous examinerons ces dispositifs.

Chiffres de l'immigration

Mme Béatrice Gosselin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En 2022, le nombre de titres de séjour a augmenté de plus de 17 % sur un an : plus de 320 000 titres ont été délivrés, contre 277 000 en 2019, dernière référence avant la pandémie.

Jamais la France n'a attribué autant de titres de séjour ni accueilli autant de demandeurs d'asile, alors qu'elle peine toujours à expulser ses illégaux. Difficilement tenable, cette situation témoigne de l'incroyable pression migratoire qui pèse sur notre pays. On compte près de 700 000 clandestins sur le sol national...

Ces chiffres sont en décalage avec votre discours offensif sur les expulsions. Certes, vous privilégiez la qualité en reconduisant prioritairement les délinquants terroristes étrangers sortant de prison. Reste que seules 19 425 procédures d'éloignement ont abouti en 2022, moins qu'avant la crise sanitaire ; par rapport à 2019, la baisse est de 25 %.

La maîtrise des flux migratoires impose de reconduire effectivement les illégaux pour accueillir dans les meilleures conditions ceux qui ont le droit de venir. Cela suppose des intentions fermes et des actes clairs. Qu'attendez-vous pour mettre fin à cette situation insoutenable ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer .  - Nous pouvons tomber d'accord sur une partie des constats. En revanche, la comparaison avec 2019 me paraît biaisée. Si la demande d'asile explose partout en Europe -  60 % en plus l'année dernière, contre seulement, si je puis dire, 30 % en France -, c'est lié à l'Afghanistan et au Mali.

Pour la première fois, les titres de séjour augmentent pour le travail et stagnent pour la famille. Nous pensons que c'est la bonne politique : notre regroupement familial est trop important, notre immigration de travail trop peu.

Par ailleurs, nous avons doublé l'année dernière les expulsions de personnes radicalisées, criminelles ou délinquantes. Mais cette augmentation, de 15 % sur le total, n'est pas suffisante.

Nous attendons de discuter avec les assemblées du projet de loi que j'ai présenté ce matin en conseil des ministres pour libérer le droit : les décisions d'expulsion définitive doivent être moins longues, les détournements de procédure combattus, et il faut en finir avec la fin de la double peine.

Nous devons tenir un discours clair sur l'intégration par les valeurs de la République et la langue, mais aussi vis-à-vis des États d'origine. Le projet de loi que je vous présenterai est un texte fort qui me permettra d'expulser plus rapidement ceux qui doivent l'être. (Applaudissements sur des travées du RDPI)

Mme Béatrice Gosselin.  - Les Français s'inquiètent de la montée en puissance des immigrés. (Murmures à gauche) Il faut une politique claire et ferme pour accueillir mieux ceux qui viennent sur notre sol ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Pollution aux billes de plastique

Mme Angèle Préville .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du GEST) C'est la marée blanche de trop. Je parle de la pollution aux granulés plastique industriels, irréversible et fatale à la biodiversité, qui se répète sur le littoral Atlantique depuis deux mois. Les Sables-d'Olonne, Pornic, le Finistère, la Bretagne et les Pays de Loire ont porté plainte contre X.

Monsieur le ministre, vous avez présenté la France comme le pays le plus ambitieux dans la lutte contre ces granulés. Merci de reconnaître notre travail parlementaire... C'est grâce à un amendement que j'ai déposé (exclamations sur plusieurs travées à droite) sur la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec) que les entreprises doivent prévenir leur dispersion. Mais ma proposition, votée au Sénat, allait beaucoup plus loin en imposant la déclaration des pertes et fuites. La majorité à l'Assemblée nationale a malheureusement raboté le dispositif.

N'étant pas du genre à m'avouer vaincue, j'ai déposé une proposition de loi, adoptée à l'unanimité par notre assemblée. Merci, mes chers collègues, pour votre confiance. Monsieur le ministre, vous disposez d'un véhicule législatif tout trouvé pour agir concrètement.

Le naufrage du porte-conteneurs X-Press Pearl au large du Sri Lanka en 2021 a provoqué la plus grande marée blanche de l'histoire. Au niveau international, il faut oeuvrer à la création d'un fonds d'indemnisation, à l'instar de celui prévu pour les marées noires.

Porter plainte, monsieur le ministre, c'est un peu court. N'est-il pas temps d'encadrer davantage la production ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires .  - Je remercie le sénateur Guerriau de nous avoir alertés sur ce sujet voilà quinze jours, ouvrant la voie à un dépôt de plainte quelques jours après la séance de questions d'actualité.

Le phénomène s'est étendu à la Manche et à une partie des côtes flamandes, renforçant la présomption qu'il s'agit d'un conteneur.

Nous ne nous avouons pas vaincus. La loi Agec est en vigueur depuis un an. Nous attendons des rapports d'audit site par site.

Fin mai, à Paris, nous travaillerons dans le cadre du traité d'élimination des plastiques à un encadrement beaucoup plus strict des granulés plastique à l'échelle mondiale. De fait, le phénomène se retrouve, avec beaucoup plus d'ampleur, sur d'autres continents.

Nous partageons votre indignation et votre volonté d'agir. Nous sommes déterminés à instaurer un cadre international contraignant. Si les mesures nationales ne sont pas suffisantes, elles seront renforcées. (Applaudissements sur plusieurs travées du RDPI)

Mme Angèle Préville.  - Je vous ai demandé si ma proposition de loi, transmise à l'Assemblée nationale, pourrait être votée, afin qu'un cadre beaucoup plus contraignant soit établi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

Chiffres de la délinquance

Mme Christine Bonfanti-Dossat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En décembre dernier, monsieur le ministre de l'intérieur, vous avez fièrement annoncé une baisse de la délinquance, timide, mais une baisse quand même - c'est votre expression.

Les chiffres de la délinquance dans mon département viennent de tomber : violences sexuelles en hausse de 11 %, coups et blessures de 14 %, cambriolages de 11 %, vols de véhicule de 9 %. L'an dernier, 879 personnes ont été victimes de crime. Ces chiffres, ceux de votre propre ministère, font apparaître une délinquance à son niveau le plus élevé depuis trente ans !

Des Françaises et Français vivent dans la peur. L'insécurité n'a cessé de croître sous Emmanuel Macron. Le Lot-et-Garonne, à l'image de tous les départements, souffre cruellement du manque de moyens humains et matériels, du découragement - le mot est faible - des forces de l'ordre, de l'absence de réponse pénale. Des voyous font la loi partout et n'ont peur de rien.

Policiers et gendarmes font ce qu'ils peuvent, mais il faudrait des condamnations fortes. L'insécurité n'est pas une fatalité : elle est le résultat d'un manque de courage. Face à cette délinquance explosive, le Gouvernement est-il en mesure de protéger les Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - (Exclamations à droite) Puisque la justice, dites-vous, n'est pas au rendez-vous de ses obligations, c'est le garde des sceaux qui se fera un plaisir de vous répondre.

Évoquer ces questions en deux minutes est une gageure.

M. Jérôme Bascher.  - C'est l'exercice !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Quelle est la part, dans l'augmentation ou éventuellement la diminution de certaines infractions, du confinement ou de la libération de la parole en matière de violences intrafamiliales ? Plus de forces de l'ordre, ce sont aussi plus de faits constatés. (M. Vincent Segouin s'exclame.) S'agissant des escroqueries, par exemple, nous avons mis en place une plateforme pour mieux les recenser.

Depuis 2017, le taux de poursuites a progressé de 13 %. En matière correctionnelle, la peine ferme moyenne est passée de 6,7 à 8,3 mois. Non, la justice n'est pas laxiste ! (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

Mme Christine Bonfanti-Dossat.  - Les Français ne voient pas les choses comme vous. Selon Pierre Dac, certains jouent aux échecs, d'autres les collectionnent... Malheureusement, le Président de la République est plus collectionneur que joueur ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Stéphane Ravier applaudit également.)

Rachat d'Orpea

M. Jean-Michel Arnaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Nous avons appris ce matin la conclusion d'un accord pour la prise de contrôle d'Orpea par la Caisse des dépôts et consignations. Avec cette manoeuvre, la puissance publique sauve un groupe privé à la dérive après le scandale révélé par Les Fossoyeurs de Victor Castanet.

Pendant que l'État se porte au secours d'un grand groupe à but lucratif, une majorité d'Ehpad publics et privés non lucratifs souffrent d'un manque de moyens. Quelle vision le Gouvernement a-t-il de la dépendance ? Comment comptez-vous éviter que la pression de quelques actionnaires avides ne prime l'intérêt général ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Michelle Meunier et M. Hussein Bourgi applaudissent également.)

M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées .  - La semaine dernière, en réponse à Mme Meunier, j'ai souligné tout ce que l'État a réalisé depuis que le scandale Orpea a éclaté. Chaque semaine, la situation évolue. Je ne puis commenter une opération financière en cours, mais l'État accueille très favorablement la perspective d'une transformation accélérée de ce groupe

Reste qu'il n'y a pas qu'Orpea. Ma responsabilité est de renforcer la confiance des Français dans leurs Ehpad, de préparer le pays au vieillissement de la population. Cela passe par une meilleure reconnaissance des soignants, un investissement plus fort dans la qualité de vie au travail, une accélération des contrôles - tous les Ehpad seront contrôlés d'ici à la fin 2024 et nous mettons en place un grand plan contre la maltraitance.

Enfin, le rendement économique doit être au service du progrès humain. J'attends des investisseurs qu'ils montrent leur exemplarité. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)

M. Jean-Michel Arnaud.  - Votre réponse ne me satisfait que partiellement. Le contribuable met sur la table un milliard d'euros pour sauver un groupe à la dérive, qui facturait des sommes démentielles pour satisfaire son actionnariat. Ce n'est plus l'État providence, mais l'État brancardier, qui intervient sous la pression d'une enquête de presse.

Je vous mets au défi de relancer une vraie politique de la dépendance et d'amplifier les contrôles sur le secteur privé lucratif. (M. Hussein Bourgi renchérit.) L'argent ne doit pas être le moteur de l'accompagnement de nos aînés : il faut une réaction forte de l'État pour protéger les plus vulnérables ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et SER, ainsi que sur des travées du GEST ; M. André Guiol applaudit également.)

Aides aux collectivités locales face aux coûts de l'énergie

M. André Reichardt .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous avons plusieurs fois interpellé M. Béchu sur les graves conséquences de la hausse des coûts de l'énergie pour les particuliers, les entreprises et les collectivités territoriales. J'insisterai cet après-midi sur la situation des communes.

Si la plupart d'entre elles ont engagé des plans de sobriété énergétique, leurs effets restent minimes au regard du poids exorbitant des charges d'énergie. Le bouclier tarifaire, l'amortisseur et le filet de sécurité ne suffisent pas. D'autant que le renchérissement de l'énergie induit des effets sur d'autres dépenses, comme les contrats de maintenance. L'augmentation annuelle des dépenses de fonctionnement atteint parfois 20 % !

Tout doit être fait pour accompagner encore mieux nos communes. Par exemple, pourquoi ne pas suspendre en 2023 le prélèvement annuel pour insuffisance de logements sociaux ? (On se récrie à gauche.)

M. Jacques Fernique.  - Bravo !

M. André Reichardt.  - De même, pourquoi ne pas faire bénéficier les communes du surplus de TVA sur les factures d'énergie ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires .  - Face à l'explosion des factures énergétiques, différentes mesures ont été prises : bouclier tarifaire, amortisseur, filet de sécurité. La majorité sénatoriale y a activement concouru. La loi de finances pour 2023 prévoit 1,5 milliard d'euros pour cet accompagnement, avec des critères assouplis.

À ce stade de l'année, il n'est pas possible d'analyser la situation par strates de communes. Nous ne pouvons pas non plus mesurer entièrement les effets du filet de sécurité, mais 100 millions d'euros ont été décaissés au titre de l'année dernière. Ma priorité, c'est d'évaluer rapidement la consommation prévisionnelle de ce filet de sécurité, pour vérifier qu'il a été correctement dimensionné.

Vos propositions ont le mérite de s'inscrire dans un esprit de co-construction. Mais j'ai quelques difficultés à comprendre la première : devrait-on récompenser la carence ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER et du GEST ; Mme Marie-Noëlle Lienemann renchérit.)

Évaluons l'effectivité du filet de sécurité avant, éventuellement, de le modifier ou de mettre en place d'autres mesures. (Applaudissements sur des travées du RDPI)

M. Alain Richard.  - Très bien !

Rapport de la Fondation Abbé Pierre

M. Denis Bouad .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre, présenté ce matin, montre que les femmes sont les premières victimes du mal-logement. Les mères célibataires, dont un tiers sont pauvres, vivent souvent dans des logements précaires et trop petits.

Pour les Français modestes, et même de condition moyenne, le parc locatif privé est inaccessible. Aucun territoire du pays n'est épargné. Les réponses publiques sont insuffisantes. Résultat : plus de 12 millions de Françaises et de Français sont fragilisés.

Ces dernières années, l'État a voulu faire des économies sur le logement : prélèvement sur la réduction de loyer de solidarité (RLS), hausse de la TVA. En conséquence, la production d'HLM est au plus bas, avec moins de 85 000 logements construits l'année dernière, soit 30 % de moins qu'en 2017.

Vous avez accru les moyens de l'hébergement d'urgence, mais cela ne suffit pas à faire une politique globale. L'accompagnement social est insuffisant, les parcours résidentiels sont à l'arrêt, la précarité énergétique s'accroît.

Face aux constats de la Fondation Abbé Pierre, comptez-vous changer de cap en matière de logement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Daniel Breuiller applaudit également.)

M. Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement .  - J'ai assisté ce matin, comme tous les ans, à la présentation du rapport de la Fondation Abbé Pierre. Oui, il y a des mal-logés en France ; oui, nous nous battons tous, chaque jour, pour que cela ne dure pas.

Le Gouvernement s'est engagé sur l'hébergement d'urgence. Le gouvernement précédent avait lancé le plan quinquennal Logement d'abord, une réussite majeure : 440 000 personnes sont sorties de la rue ou de l'hébergement d'urgence, bien plus que sous la présidence de François Hollande.

Ce matin, j'ai présenté en conseil des ministres le nouveau plan Logement d'abord. Nous voulons continuer à accompagner les plus fragiles. Nous devons, en effet, construire plus, mais aussi rénover les passoires énergétiques, lutter contre l'habitat insalubre et réhabiliter des copropriétés dégradées.

Tous ces sujets sont débattus dans le cadre du Conseil national de la refondation Logement, qui fera des propositions à la hauteur des besoins. (Applaudissements sur de nombreuses travées du RDPI)

M. Denis Bouad.  - Je connais vos efforts, mais le manque de logements sociaux est considérable. À cause des économies que vous avez faites sur le secteur, les bailleurs sociaux n'ont plus les moyens de construire. Vous avez vous-même parlé du logement comme de la bombe sociale de demain. Faites donc un plan Marshall pour le logement ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du GEST)

Interdiction des courses landaises et camarguaises

M. Laurent Burgoa .  - (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains) La Fédération française de la course camarguaise est sous la tutelle du ministère des sports. (On s'égaye sur les travées du groupe Les Républicains)

Après la corrida, c'est au tour de nos traditions camarguaises d'être menacées. Dans une tribune publiée dans Le Monde, une cinquantaine d'élus animalistes ou écologistes, dont onze conseillers municipaux de Montpellier, ont mis le feu à la Camargue et à la Petite Camargue. Ils militent pour l'abolition des lâchers de taureaux et de l'utilisation d'un crochet lors des courses et des ferrades.

Les festivités camarguaises sont un important enjeu économique, mais aussi culturel dans le Gard, l'Hérault, les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse. (M. Hussein Bourgi renchérit.)

Un grand rassemblement est prévu le 11 février prochain à Montpellier. Madame la ministre, quelle est votre position face à ces menaces et apportez-vous votre franc soutien à nos traditions ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; MMHussein Bourgi et Éric Kerrouche applaudissent également, de même que M. Stéphane Ravier.)

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture .  - (Murmures à droite) En deux minutes, je ne pourrai pas embrasser toutes les dimensions de votre question. D'autant que, comme ministre de la culture, je comptais vous parler de la candidature des courses camarguaises au titre du patrimoine immatériel de l'Unesco. Vous n'en avez pas parlé, mais je vais vous en parler... (Sourires)

Je salue le travail des sénatrices Catherine Dumas et Marie-Pierre Monier sur le patrimoine immatériel, qui englobe les pratiques et les représentations, les connaissances et les savoir-faire, mais aussi tous les instruments, artefacts et espaces qui leur sont associés.

Nous avons obtenu l'inscription à ce titre de la baguette de pain, ce dont nous sommes fiers... (Rires à droite et sur quelques travées à gauche) Cela illustre la richesse des traditions locales du patrimoine français : carnaval de Guyane, fête annuelle vitivinicole du Jura, couvreurs-zingueurs de Paris, jeux floraux de Toulouse... (Rires et exclamations amusées sur de nombreuses travées ; applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Bruno Retailleau.  - Pour ou contre les fêtes camarguaises ?

M. Laurent Burgoa.  - Je regrette que la ministre de tutelle de la Fédération française de la course camarguaise, la ministre des sports, n'ait pas daigné me répondre. Les gens apprécieront...

En 1926, à la demande du marquis Folco de Baroncelli, la nation camarguaise a été représentée par la croix illustrant les vertus de foi, de charité et d'espérance. Le peuple de Camargue espère que ses traditions perdureront malgré les attaques de certains ! (Applaudissements nourris, « bravo ! » et « olé ! » sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Vincent Capo-Canellas et Hussein Bourgi applaudissent également, de même que M. Stéphane Ravier.)

M. le président.  - Merci de ne pas transformer cette enceinte en arène, mes chers collègues... (Rires ; M. Jacques Fernique applaudit.)

Volet transport des contrats de plan État-Région

M. Laurent Lafon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Les contrats de plan État-Région (CPER) ont, en quarante ans, fait la preuve de leur utilité.

À ce jour, l'ensemble des CPER 2021-2027 ont été signés, mais sans le volet mobilité, encapsulé, selon l'expression de Jacqueline Gourault, pour tenir compte des grandes difficultés de financement des projets en cours sans empêcher l'avancement des autres thématiques. Les avenants signés en 2021 et 2022 pour débloquer des crédits ne portent que sur des projets figurant dans les contrats précédents.

Les quinze présidents de région ont récemment appelé, dans Le Monde, à un New Deal ferroviaire, en soulignant l'importance des CPER. Les régions sont prêtes à signer les volets mobilité, mais n'ont aucune indication de l'État sur le calendrier.

Quelle méthode souhaitez-vous suivre, et selon quel calendrier ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports .  - Outil de programmation issu de la décentralisation, le CPER revêt en effet une grande importance. Il y a deux ans, le choix a été fait d'une discussion spécifique sur le volet mobilité.

Je connais l'urgence et les impatiences. L'État est au rendez-vous du financement des projets : il n'y aura aucune année blanche dans le financement des infrastructures.

Par souci de cohérence, nous avons décidé d'attendre le rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI). Dans les prochaines semaines, sans doute en février, nous adresserons des mandats de négociation aux préfets de région. Notre objectif est de conclure les volets mobilités d'ici l'été.

Sur le fond, les CPER devront évidemment s'adapter à l'urgence climatique. La part du ferroviaire devra être augmentée, même si des crédits pourront bénéficier à la route et à sa décarbonation. Il importe aussi de contractualiser des politiques d'intermodalité et de report modal, en associant les intercommunalités et les départements. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

La séance, suspendue à 16 h 35, reprend à 16 h 45.

Mise au point au sujet d'un vote

M. Olivier Henno.  - Lors du scrutin n°113 du 31 janvier 2023, mon collègue Bernard Delcros souhaitait voter pour.

M. le président.  - Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.

Missions d'information et commissions spéciales (Nominations)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la désignation des vingt-et-un membres de la mission d'information sur le thème : « Gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement », et des vingt-trois membres de la mission d'information sur le thème : « Le bâti scolaire à l'épreuve de la transition écologique », ainsi que la désignation des trente-sept membres de la commission spéciale sur la proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie et des trente-sept membres de la commission spéciale sur la proposition de loi visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au coeur des territoires.

En application des articles 8 et 8 bis, alinéa 3 du Règlement, les listes des candidats remises par les groupes politiques ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la Présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.

J'informe le Sénat qu'une candidature pour siéger au sein de la mission d'information sur le développement d'une filière de biocarburants, carburants synthétiques durables et hydrogène vert a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la Présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.

Nombre minimum de soignants par patient hospitalisé

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé, présentée par M. Bernard Jomier et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

M. Bernard Jomier, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) À la mi-janvier, les infirmières de l'État de New York ont obtenu, à l'issue d'un mouvement massif, des ratios de soignants par patient.

Il n'y a pas que la France qui a voulu résoudre ses contraintes budgétaires en réduisant le nombre de soignants ou le nombre de lits... Couplée à la stagnation des rémunérations, cette ligne a eu le même effet partout : les soignants ont quitté l'hôpital.

Pour y remédier, il faut améliorer les rémunérations et diminuer la charge de travail. Le Ségur a apporté des réponses au premier point, mais cela ne suffit pas. Nous avons longuement écouté la colère des soignants pendant les travaux de commission d'enquête rapportée par Catherine Deroche ; ils aiment leur métier, mais ils ne veulent plus rentrer chez eux en ayant l'impression d'avoir été maltraitants, faute de temps. L'unanimité a été frappante : il n'y a pas assez de soignants ; et en effet, leur nombre a été réduit au fil des années.

Il faut revenir à un ratio de soignants par patient plus élevé. D'autres pays l'ont fait, autour de six à dix patients par infirmier, avec de nombreux effets positifs : amélioration de la qualité des soins, moins de complications, hospitalisations plus courtes, diminution des infections nosocomiales et des erreurs médicamenteuses. Le coût y a été compensé par les économies générées.

En France, des ratios existent déjà : les budgets de tous les hôpitaux intègrent un nombre de douze à quinze patients par infirmière, alors que dans les pays comparables, c'est entre six et dix patients.

Lors des travaux préparatoires à l'examen de notre texte, les organisations professionnelles et les syndicats ont tous considéré que de tels ratios étaient indispensables pour stopper l'hémorragie des soignants.

Le texte de la commission des affaires sociales prend en compte les remarques sur la progressivité et sur l'adaptation aux différentes spécialités.

Karl Popper l'a dit : « Il faut une règle du jeu, et il faut du jeu dans la règle. » La souplesse, oui ; le renoncement, non. Ceux qui les refusent appliquent pourtant des ratios financiers avec la plus grande rigueur...

Selon une enquête de 2022, le principal critère qui fait partir les soignants - et pourrait les faire revenir - n'est pas la rémunération, mais l'adaptation des plannings et le ratio de soignants par patient. Dans son rapport du 17 novembre 2022, le collège de la Haute Autorité de santé (HAS) confirme cette analyse.

Je sais l'engagement de chacun d'entre vous, mes chers collègues, pour que les établissements de vos territoires retrouvent leur attractivité. La mesure que je vous propose, avec la commission des affaires sociales, est une réponse à ce défi, attendue par les soignants.

En votant ce texte, nous leur enverrons un premier signal : la qualité et la sécurité des soins seront la règle. Nous enverrons aussi un signal au Gouvernement : il devra fonder sa politique sur ces deux critères. L'heure n'est plus aux paroles, mais aux actes ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; MM. Bernard Fialaire, Marc Laménie et Mme Catherine Belrhiti applaudissent également.)

Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la commission des affaires sociales .  - Le Sénat n'a pas eu la révélation de la situation de l'hôpital lors de la crise du covid, comme en témoignent les discussions heurtées sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020, sur fond de grève des urgences et d'annonces présidentielles inopinées...

Malgré le travail du Sénat, l'action du Gouvernement au service de l'hôpital peine à trouver l'élan nécessaire - chacun appréciera l'euphémisme.

Les soignants sont épuisés de ne plus pouvoir assurer correctement leur travail, épuisés par les gardes de nuit et de week-ends, épuisés de voir les équipes se déliter. Bien que nécessaire, le Ségur n'a pas répondu à tous les enjeux : l'activité n'a pas retrouvé son niveau d'avant covid.

Le rapport de la commission d'enquête sur l'hôpital avait pour titre « Sortir des urgences » ; autrement dit : redonner du temps aux soignants, donc au soin. La présidente Deroche demandait l'adoption de standards capacitaires : la proposition de loi déposée par Bernard Jomier traduit cette recommandation.

La commission des affaires sociales a souscrit au dispositif proposé, amendé sur mon initiative. Est-il un bon moyen pour améliorer le niveau de vie des soignants ? Oui. Est-ce le seul ? Non. La Californie et le Queensland, en Australie, ont démontré son intérêt. La qualité de vie des soignants et la santé publique s'améliorent ; c'est ce que reconnaît la littérature scientifique, selon la HAS. C'est la condition nécessaire pour faire revenir les soignants vers l'hôpital.

Monsieur le ministre de la santé a déclaré qu'il ne fallait, sur ce sujet, de mesures « ni brutales ni uniformes ». Ce texte n'est ni brutal, ni uniforme. Les ratios de qualité devront différer selon les différentes activités hospitalières à partir d'une évaluation de la charge en soin, dans certains cas service par service.

Lors des auditions, j'ai beaucoup entendu parler de la mesure de la charge en soins - mais pourquoi cela n'a-t-il jamais été fait ? Voilà trente ans que le sujet est soulevé, et on peine encore à se doter d'outils ! Grâce à la proposition de loi, ils deviendront une priorité.

La commission a prévu que les commissions médicales d'établissement (CME) et les comités de soins infirmiers, de rééducation et médicotechniques (CSIRMT) puissent avoir leur mot à dire.

Notre approche n'est pas brutale : les ratios ne sont pas des couperets, mais des fourchettes. Nous prévoyons une entrée en vigueur progressive du dispositif. Personne n'aurait cru à une mise en oeuvre au 1er juillet 2023. La commission a veillé à la crédibilité du dispositif, en prévoyant une mission de la HAS qui rendra ses conclusions au plus tard le 31 décembre 2024 ; après quoi, le Gouvernement aura deux ans pour établir des ratios de référence par voie réglementaire.

La commission a distingué les ratios de sécurité qui existent déjà dans certains services comme la néonatologie, en soins intensifs ou pour l'insuffisance rénale chronique, et les nouveaux ratios de qualité. L'insuffisance à l'égard de ceux-ci n'entrainerait pas ipso facto de fermetures de lits ou de services, mais une alerte à l'ARS, qui devra agir. Les fermetures de lit, c'est ce que vivent les hôpitaux aujourd'hui !

Madame la ministre, point de rigidité dans notre approche. La commission des affaires sociales n'oublie pas d'autres aspects pour stimuler le recrutement. Faut-il évoquer la suppression de l'entretien de motivation dans Parcoursup, l'inadéquation de la maquette de formation en soins infirmiers, ou l'accès au logement ?

Tous les soignants sont unanimes : ce texte n'est qu'une première brique, mais elle est indispensable. En fait, nous votons une loi de programmation. J'espère que le Sénat adoptera ce texte et que l'Assemblée nationale fera de même. Je compte sur le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Évelyne Perrot applaudit également.)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Nous souscrivons à l'objectif de ce texte. Face aux tensions que connaissent nos services hospitaliers, nous devons agir afin d'offrir « un cadre de travail décent et bien-traitant pour les soignants » - je cite l'exposé des motifs de M. Bernard Jomier - en vue de bien soigner les patients.

Le texte tend à établir au plan national un nombre minimal d'infirmiers et d'aides-soignants présents au chevet des patients. Le but est légitime, mais adopter le texte serait contreproductif. (Mme Émilienne Poumirol le conteste.)

Lors de ses voeux au monde de la santé, le Président de la République a rappelé que notre méthode consistait à « élaborer de meilleures méthodes collectives ». Cela suppose plus d'agilité, afin que chaque service puisse s'adapter en temps réel. Les solutions se construisent localement. C'est pour cela que nous insistons sur la place du service, qui doit être conforté en vue de retrouver de la souplesse et de la pertinence.

L'établissement de ratios fixés par la HAS va à l'encontre de cette méthode, car les besoins et les capacités d'action ne sont jamais les mêmes. Il ne saurait être question de standardiser ; il vaut mieux allouer les ressources humaines en fonction des besoins. Trop longtemps, les hôpitaux ont pratiqué une gestion normée à l'excès : ce n'est pas avec des tableaux Excel que nous répondrons aux enjeux de l'hôpital.

Le binôme chef de service-cadre de santé est fondamental. Avec François Braun, nous lui réaffirmons notre confiance. Les managers doivent être en mesure de bâtir de nouveaux modèles de management : chacun doit être mieux reconnu pour fidéliser les professionnels, car nous savons qu'un soignant qui se sent bien est un soignant qui soigne mieux. C'est ainsi que nous agirons réellement pour améliorer la vie des patients et des soignants.

Bien sûr, certains services souffrent d'un manque de personnel. Nous devons aborder le sujet avec pragmatisme. Toutefois, même avec les meilleures intentions du monde, la question ne serait pas réglée avec ces ratios. La coercition n'est pas la réponse à tous les maux. Nous appelons à la responsabilisation des directions et des équipes de terrain.

Nous nous attaquons également aux causes structurelles en vue d'augmenter le nombre de soignants : je pense à la suppression du numerus clausus, au travail mené avec les conseils régionaux pour rénover la formation des infirmiers, au développement de l'apprentissage, à la valorisation des acquis de l'expérience, aux contrats d'engagement de service public, à l'extension de la prime de soins critiques, aux mesures relatives au travail de nuit, à la mobilisation dans les territoires pour faciliter la vie des soignants.

Notre politique est globale : nous travaillons sur le court et le long terme. Décréter des ratios ne réglerait rien. Leur rigidité aggraverait même les problèmes. Des questions concrètes se posent : que se passe-t-il si les hôpitaux ne parviennent pas à recruter suffisamment ? Nous devrons faire face à de nombreux effets collatéraux, comme des rappels de personnes, des fermetures de lits ou de services par exemple.

Mme Laurence Cohen.  - Il faut plus de moyens ! (Mme Émilienne Poumirol et M. Bernard Jomier acquiescent.)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - L'hôpital a tenu grâce à la mobilisation des soignants. Ces derniers ont su trouver des solutions innovantes pour travailler avec la médecine de ville, par exemple. Si des ratios rigides étaient institués, il y aurait des fermetures de lits.

Mme Catherine Deroche.  - Il y en a déjà !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Les chantiers que nous avons ouverts visent à régler ces tensions. Mais c'est dans un cadre managérial flexible que les choses progresseront.

Les ratios ouvrent des questions juridiques majeures : que se passe-t-il si l'hôpital ne respecte pas les ratios, ou si un patient est refusé pour éviter de mettre le ratio en péril ?

La responsabilité de l'hôpital et de sa direction serait alors directement mise en cause.

Enfin, le dispositif envisagé ne s'applique qu'aux établissements de santé publique. Le texte aggraverait les disparités que nous combattons entre public et privé.

Le Gouvernement est défavorable à la proposition de loi. N'y voyez pas un renoncement : jamais nous ne reculerons devant la nécessité de conforter les effectifs au service des patients. Mais nous ne croyons pas à la coercition. (Protestations sur les travées du groupe SER) Il faut tout faire pour redonner envie aux professionnels de s'engager à l'hôpital, en leur permettant de travailler en fonction de leurs besoins et de leurs contraintes. (M. Laurent Burgoa ironise.) Il faut faire confiance aux professionnels de santé, accompagnés par un effort inédit.

Les objectifs de cette proposition de loi sont légitimes : il faut redonner du temps aux professionnels de santé, au service de la population. Faisons confiance au terrain, à sa capacité à co-construire des solutions. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Michel Canévet et Mme Jocelyne Guidez applaudissent également.)

M. Olivier Henno .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) J'avoue être partagé, à l'image des membres de mon groupe. Je ne doute pas des bonnes intentions de M. Jomier, et je comprends pourquoi cette proposition de loi est discutée : elle traduit une préconisation de la commission d'enquête sur l'hôpital, qui a constaté la dégradation de notre système hospitalier et la lassitude des soignants. Pour ma part, ce sera un « oui, mais ».

La crise du covid a été éreintante pour les soignants. Le climat est toujours tendu. En cas d'accident médical, le juge peut retenir la responsabilité de l'établissement s'il considère que le nombre de soignants était insuffisant.

Cette proposition de loi se fonde sur des expériences étrangères ayant porté des améliorations significatives. Mais il y a quelque chose de terrible à comparer notre système de santé avec ceux de la Californie ou de l'Australie ! Cela n'aurait pas été le cas il y a quelques années.

Cette proposition de loi se veut une loi de programmation : il n'est pas réaliste d'attendre des mesures rapides.

Si cette proposition de loi laisse jusqu'au 31 décembre 2024 à la HAS pour définir les ratios, l'attractivité, la rémunération et le bien-être doivent être travaillés en profondeur. Près de 10 % des emplois infirmiers ne sont pas pourvus aujourd'hui. Comment résoudre cette pénurie de personnel ? Il n'est pas sûr que la proposition de loi suffise...

Les soignants ont besoin de conditions de travail dans lesquelles ils se sentiront utiles. Or les ratios s'apprécient plus sur le plan quantitatif que qualitatif. Les Français ressentent une défiance envers notre système de santé. Les multiples initiatives parlementaires ne me semblent pas apporter de remède ; j'ai même l'impression qu'elles contribuent à stresser les soignants.

La notion de ratio, pour ne pas dire de rationnement, fait toujours écho à celle de pénurie, mais elle est rarement la solution. Notre système est extrêmement fragile. Je crois plus à une grande loi Santé qui remettrait en question le sens du travail. (Mme Émilienne Poumirol proteste.)

Des ratios pour les soignants, et demain pour les enseignants ? Ou pour les services municipaux, et là, bon courage !

Mme Laurence Rossignol.  - Cela existe !

M. Olivier Henno.  - La proposition de loi pose une bonne question, car le Ségur n'a pas résolu le malaise de l'hôpital. Mais nous avons un doute. (« Bravo » et applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI) Cette proposition de loi établit des ratios de soignants par patient dans les hôpitaux publics et privés à but non lucratif. Elle a ainsi pour but de répondre à une pénurie de soignants, ces ratios qualitatifs étant décrits comme des fourchettes.

L'hôpital va mal : on ne compte plus les témoignages de patients ayant passé 24 à 48 heures aux urgences. Le système est maltraitant tant pour les soignés que pour les soignants. Il faut davantage d'effectifs, c'est certain. Le Président de la République lui-même le dit.

Les patients font face à des risques accrus, tout comme les soignants, qui font face à une perte de sens, et à des arrêts maladie en pagaille.

L'intention d'améliorer l'accueil des patients et les conditions de travail des soignants est louable, mais des questions quant à l'efficacité des mesures se posent. Le délai de trois jours pour alerter l'ARS pose problème : et ensuite ? Comment l'ARS pourrait-elle trouver des soignants ? Les hôpitaux ne seraient-ils pas tentés de recourir davantage à l'intérim, contre lequel nous luttons ?

Les soignants n'apparaîtront pas d'un coup de baguette magique. Il n'y a pas de candidats ! Il faut augmenter les places de formation, réfléchir à la validation des acquis de l'expérience (VAE), revoir le financement des formations dans les parcours professionnels. Il faut aussi revoir le financement des hôpitaux : il y a urgence à sortir de la tarification à l'activité (T2A) et des indicateurs comme la durée moyenne de séjour.

Sans une vision à 360 degrés, cette proposition de loi risque de rester incantatoire. J'entends l'importance d'envoyer un signal positif aux soignants, mais soyons efficaces : on ne peut plus leur vendre du rêve. Une grande partie de mon groupe est sceptique, et s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Catherine Belrhiti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le dévouement des soignants est exemplaire. Outre la reconnaissance de la Nation, il exige un soutien renforcé. Le rapport d'information réalisé à la demande du groupe Les Républicains par Catherine Deroche nous y invitait il y a moins d'un an, en formulant des recommandations concrètes. La proportionnalité des moyens hospitaliers était déjà mise en avant.

L'amélioration des capacités d'accueil des services d'urgence devrait retenir toute notre attention. La conversion de cette recommandation en proposition de loi nous oblige. Des indicateurs stables doivent être renforcés pour mieux piloter nos politiques de santé, préciser les besoins des hôpitaux et leur affecter les besoins utiles.

Les derniers textes budgétaires ont préservé les hôpitaux de toute économie malvenue. Afin de permettre une bonne exécution budgétaire, nécessité se fait sentir de disposer d'indicateurs fiables, que cette proposition de loi met en place.

Ces seuils doivent se traduire en des objectifs réalistes. La fixation de ratios minimaux entre soignants et lits ouverts exprime le souci d'un accueil rationalisé des soignants. Un tel ratio doit effectivement inclure le personnel de santé réellement disponible pour les patients.

D'autre part, ces ratios doivent être encore plus réalistes. Les rigidifier reviendrait, en période de pénurie, à rompre les promesses de soutien.

Le groupe Les Républicains s'est donc attaché à garantir le caractère praticable de ces ratios, afin de lier ces objectifs à une croissance des moyens des hôpitaux.

Ces ratios pourront être modulés compte tenu de circonstances locales. Ils seront lissés dans le temps grâce à une politique de santé réaliste soucieuse d'accompagner ensemble patients, soignants et établissements.

Ces ratios portent une forte charge symbolique pour nos soignants. Ils apportent une première pierre au soutien de nos hôpitaux. Les métiers de santé relèvent d'une vocation, mais le service public ne doit pas être synonyme de sacrifices quotidiens. Les conditions de travail doivent être améliorées. La proposition de loi ne prévoit aucune fermeture de lit.

Préciser l'équilibre permet d'assurer de meilleurs soins, et d'augmenter les moyens des hôpitaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe SER)

M. Daniel Chasseing .  - La pandémie a mis en lumière les difficultés rencontrées par les soignants à l'hôpital. Beaucoup d'entre eux ont choisi de changer de métier, les conditions de travail s'étant dégradées. Le Ségur de la santé a été l'occasion d'augmenter leur rémunération, mais cela n'a pas suffi.

Cette proposition de loi garantit un ratio minimum de soignants par lit ouvert, afin d'assurer une prise en charge de qualité. De tels ratios existent aujourd'hui seulement pour certains services, mais ils seraient nécessaires pour tous, notamment pour garantir un dialogue avec le patient. Prendre soin, ce n'est pas seulement effectuer un soin, c'est aussi considérer le patient, l'informer et l'écouter.

Les soignants aiment leur métier fait de soins, d'écoute et de bienveillance, mais sont souvent découragés par l'impossibilité de bien le réaliser en raison d'un manque de temps. La fidélisation du personnel tient aussi aux conditions de travail : il faut davantage de soignants.

Le terme de ratio peut faire peur ; cette proposition de loi ne doit pas conduire à des fermetures de lits ou de services. Ces ratios devront donc être appliqués avec souplesse. Le texte prévoit d'associer les CME et les centres médicaux interentreprises de santé au travail (Cmist).

Un tel texte aurait pu être étendu aux Ehpad, où la situation s'aggravera d'ici 2030. Nous attendons le plan Grand âge, et les 50 000 soignants promis par le Président de la République, qui permettront de recruter en moyenne cinq emplois par établissement.

En attendant, nous sommes favorables à cette proposition de loi dont l'objectif est d'éviter l'épuisement des professionnels, d'améliorer la prise en charge et de rendre ce métier à nouveau attractif. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Nous les avons applaudis à nos fenêtres ; les soignants exigent de sortir de la crise traversée par l'hôpital public : heures supplémentaires subies, travail morcelé, pressé, compressé, vétusté des équipements, ballottement de service en service. À rebours de cette situation qui empire, cette proposition de loi ouvre des perspectives souhaitées, pour améliorer tant le soin que la qualité de vie au travail.

Les ratios limitent les changements de soins incessants des professionnels, qui produisent souffrance et perte de sens. Dans sa lettre ouverte de 2022, le collège de la HAS a souligné l'importance d'équipes stables partageant une culture commune de qualité et de sécurité de soins.

Les résultats positifs imputés aux ratios sont toujours corrélés au nombre de soignants. Que se passera-t-il trois jours après l'alerte ? Qui aura la responsabilité de sortir de l'injonction paradoxale ?

Des ratios officieux existent déjà. La distinction entre ratios de sécurité et de qualité montre la difficulté de l'équation. Les garanties relèvent d'une grande loi Santé. Les fédérations hospitalières craignent que des fermetures de lits ou de services ne leur soient imposées, d'autant que le niveau d'absentéisme est supérieur à l'avant-crise sanitaire.

Cette mesure doit être liée à une traduction budgétaire forte dans l'Objectif national des dépenses de l'assurance maladie (Ondam), et doit suivre un calendrier réaliste.

L'édition de quotas devra prendre sa place dans une grande loi Santé, seule à même de donner toute leur force à ces décisions positives et d'éviter les effets collatéraux.

Nous avons applaudi les soignants ; nous répondrons donc à leur appel, afin de soutenir l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient. Le GEST votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. Abdallah Hassani .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Comment ne pas partager l'objectif de réduire la charge de soignants épuisés et de les inciter à rester dans les hôpitaux ? Ce texte vise à assurer une prise en charge de qualité pour les malades. Nous partageons ce but, mais cette proposition de loi offre-t-elle le meilleur chemin ?

Ne s'agit-il pas d'une rigidité, là où il faut être agile pour aller au plus proche des besoins locaux ? Le principe serait acté par la loi, alors qu'il relève du domaine réglementaire. Le président du Sénat appelait à la sobriété législative : pourquoi voter une mesure relevant du décret ?

Une révision de ces ratios aurait lieu tous les cinq ans ; leur non-respect serait signalé à l'ARS au bout de trois jours. Mais que se passerait-il alors ? Les risques existent pour la sécurité juridique des établissements. N'est-ce pas faire peser une inquiétude sur les acteurs ?

Nous partageons la volonté de prendre soin des soignants, mais ils attendent d'abord les revalorisations du Ségur et la prise en compte de la pénibilité du travail de nuit. Il faut des engagements concrets plutôt que des rigidités à long terme.

À Mayotte, l'hôpital manque considérablement de soignants, la pression est très forte. Je crains que ces ratios ne soient pas une réponse adéquate face à l'ampleur de la tâche. L'intention est louable, mais cela pourrait complexifier encore davantage notre système de santé et aboutir à un résultat inverse de l'objectif. Le RDPI s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Émilienne Poumirol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi établit un ratio minimal de soignants par patient à l'hôpital public. Le constat est connu : fermetures de services, annulation d'opérations, démissions de soignants. L'hôpital public et son personnel sont en détresse depuis des années.

Les revalorisations salariales du Ségur sont insuffisantes. Davantage que les trop faibles rémunérations, ce sont les conditions de travail dégradées et le manque de temps médical qui entraînent le départ des soignants et expliquent que 10 % des postes d'infirmiers ne soient pas pourvus.

Le personnel infirmier et les aides-soignants jouent un rôle essentiel dans la qualité des soins : la mortalité augmente dès qu'une infirmière doit s'occuper de plus de 6 patients, or dans la plupart des services le ratio atteint 15 patients le jour et 24 la nuit. Il faut donc changer de paradigme.

Cette proposition de loi redonnera du sens au travail des soignants et leur assurera de bonnes conditions de vie au travail. Sans prétendre résoudre l'ensemble des difficultés de l'hôpital, elle représente une réelle avancée. Il reviendra à la HAS de définir un ratio minimal par spécialité et type d'activité.

Nous avons mesuré l'espoir de l'ensemble des soignants et entendu les autorités hospitalières. C'est pourquoi nous avons pensé le texte comme une loi de programmation, avec une entrée en vigueur progressive. Nous pourrons ainsi évaluer la charge de soins pour les différents postes, en fonction des territoires, et même de l'architecture des hôpitaux.

Les expériences australiennes et américaines mettent en évidence un lien entre l'augmentation de la dotation en infirmières et la baisse de la durée de séjour, de la morbidité, des erreurs médicales.

Ce sera coûteux, mais à moyen et long termes, augmenter le nombre de soignants est un investissement financièrement positif : en Australie, 35 millions de dollars d'investissements sur deux ans ont évité 69 millions de dollars de coûts liés à la réadmission et à la durée de séjour. C'est bénéfique pour la santé et la sécurité des patients, mais aussi pour le sens du métier et la qualité de vie des soignants.

Nous sommes placés devant un choix politique : investir dans le service public de la santé ou laisser la loi du marché décider de la santé des Français.

Il ne s'agit nullement d'une mesure coercitive, mais du résultat d'un travail de concertation, tenant compte des contraintes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et au banc des commissions)

Mme Laurence Cohen .  - L'auteur de cette proposition de loi, Bernard Jomier, reprend une revendication défendue par des collectifs de soignants depuis plusieurs années. Il existe déjà des ratios dans certaines spécialités, comme au bloc opératoire, en réanimation ou en dialyse. Les étendre à toutes les spécialités améliorerait les conditions de travail et l'attractivité de ces métiers, en même temps que la prise en charge des patients. Une des causes majeures de la fuite des soignants est l'augmentation de la charge de travail liée au manque d'effectifs.

Selon une étude de la revue The Lancet, en améliorant le ratio patients-soignants, on diminue la mortalité, le nombre de réadmissions et la durée de séjour.

Mais sans hausse budgétaire associée, cette proposition de loi risque de produire des effets pervers indésirables dans un contexte de pénurie de soignants. On risque ainsi de déshabiller Pierre pour habiller Paul et d'alimenter une guerre entre chefs de service, pour obtenir le plus grand nombre de soignants. Cela pourrait entraîner des fermetures de lits, voire la remise en cause des 35 heures.

Madame la ministre, vous avez fait l'éloge du personnel, mais le Gouvernement n'entend pas les revendications des soignants. (Mme la ministre se récrie.)

La sociologue Dominique Méda estimait récemment que la mise en place de ratios nécessiterait le recrutement de 100 000 infirmiers, ce qui coûterait 5 milliards d'euros. Madame la ministre, la balle est dans votre camp.

Même si nous connaissons les contraintes constitutionnelles, nous regrettons que la proposition de loi n'identifie pas de moyens de financement, comme la suppression des 75 milliards d'euros d'exonération de cotisations sociales.

Nous partageons l'objectif de cette proposition de loi, mais elle s'arrête au milieu du gué. C'est pourquoi le groupe CRCE s'abstiendra ; le débat est néanmoins bienvenu.

M. Laurent Burgoa .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Personne ne peut ignorer le profond malaise qui affecte le monde médical. On ne choisit pas cette voie professionnelle par hasard, et c'est heureux, mais la vocation ne doit pas devenir un sacerdoce.

Les hôpitaux doivent pouvoir garantir une qualité de soins optimale et des conditions de travail satisfaisantes pour les soignants. Or avec l'augmentation des prises en charge en ambulatoire, les patients hospitalisés demandent plus de soins car leurs pathologies sont plus complexes et durables.

Si des ratios sont déjà fixés par décret, notamment en réanimation ou en soins intensifs, dans la plupart des autres services, il n'y a pas de règle en bonne et due forme.

La définition de ces nouveaux ratios serait confiée à la HAS, par spécialité et par activité de soin, afin de répondre aux différents besoins.

Il fallait privilégier l'adaptation au terrain. La rapporteure a ainsi souhaité ne pas entraver davantage le fonctionnement des hôpitaux, notamment des petites structures. Avec la présidente de la commission, elles ont veillé à prendre en compte les spécificités locales et même les contraintes architecturales.

La mise à jour de ces ratios est prévue tous les cinq ans.

L'équilibre trouvé en commission répond aux préconisations formulées par la commission d'enquête sur les hôpitaux. En 2023, en France, il est regrettable que des lits ferment faute de personnel. Nous ne pouvons l'accepter.

Il faut que les métiers du soin restent plus attractifs, faute de quoi les ratios seront intenables. Des effectifs suffisants permettent de remplacer les absents et d'améliorer la formation.

Le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi.

L'État dit son amour aux soignants, mais ses belles déclarations sont suivies de peu d'effets. À l'approche de la Saint-Valentin, je rappellerai qu'en politique comme en amour, il n'y a que les actes qui comptent ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe SER)

Interventions sur l'ensemble

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales .  - Il n'y a pas d'amendements sur ce texte, je profite donc des explications de vote pour remercier Bernard Jomier de son initiative, qui reprend l'une des préconisations de la commission d'enquête. Ce n'est pas la solution miracle, mais en la matière les leviers sont multiples.

Je remercie la rapporteure d'avoir ainsi amendé ce texte en commission. Les ratios seront modulés selon les établissements et les services, entre nécessités qualitatives et sécuritaires. On laisse aussi un temps suffisant à chacun pour s'adapter.

Je vous invite donc à voter ce texte. Les présidents de CME l'attendent, comme tous les soignants. Ils ne veulent plus courir en tous sens, stressés, confrontés à des patients de plus en plus polypathologiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe SER)

M. Bernard Jomier .  - Je remercie les différents orateurs.

Nous devons écouter la demande unanime des soignants.

Je salue en particulier la présidente Deroche, avec laquelle il y a eu un vrai dialogue pour que cette proposition de loi ne soit « ni brutale ni uniforme », pour reprendre les propos du ministre François Braun. Nous y avons répondu, puisqu'un délai de deux ans est ménagé pour définir le référentiel ; deux ans supplémentaires sont prévus pour le mettre en oeuvre. De plus, cette application ne sera pas uniforme : des fourchettes seront définies au niveau des établissements.

Madame la ministre, je regrette que vous restiez fermée : le parlementarisme, c'est accepter la discussion et non camper sur des déclarations de principe.

Il n'existe pas une solution unique pour régler tous les problèmes de l'hôpital, mais la réponse que nous offrons est réclamée par les soignants, qui continuent à quitter nos hôpitaux. Elle a fait ses preuves dans nombre d'autres pays. Il faut inverser la tendance ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur quelques travées du GEST et du groupe Les Républicains)

Mme Muriel Jourda .  - Madame la ministre, je veux vous interroger sur la loi Rist, pour le moment non appliquée, qui plafonne les rémunérations des intérimaires dans l'hôpital public. Si elle l'est, elle déstabilisera des services entiers qui ont massivement recours à l'intérim : il faudra donc l'appliquer de manière uniforme, en prévenant les élus, en s'organisant avec les ARS.

Une date d'entrée en vigueur est-elle fixée ? Si oui, aura-t-on le temps de s'organiser sur les territoires ?

Mme Michelle Gréaume .  - Madame la ministre, s'il manque des soignants dans le service public, c'est aussi parce qu'ils partent dans le privé ou à l'étranger -  dans le cas de mon département du Nord, en Belgique.

Les soignants ont des agendas surchargés, fluctuants. Ils sont parfois rappelés durant leurs congés. Ils ont appris à écouter les patients, mais ils n'ont plus le temps de rien. Ils disent eux-mêmes qu'ils mettent en danger la vie des patients.

Selon une étude de 2016 de la HAS, plus la charge de travail est élevée, plus le risque d'erreurs de raisonnement est grand et plus la qualité de service est affectée.

Il faut des embauches ! Vous avez évoqué, madame la ministre, le relais des médecins traitants, mais eux aussi descendent dans la rue parce qu'ils n'en peuvent plus...

Mme Marie Mercier .  - La commission d'enquête sur l'hôpital a choisi le titre « Sortir l'hôpital des urgences », mais après avoir envisagé « L'hôpital en affection longue durée ». Nous avons bien posé les diagnostics, mais buté sur les solutions à proposer. C'est pourquoi je souhaite féliciter Bernard Jomier pour la solution innovante qu'il a trouvée.

Nous souffrons d'une médecine extrêmement administrative. Dans les couloirs de l'hôpital, autrefois, on voyait des chariots de médicaments. Maintenant, on voit des gens courir, des dossiers sous le bras, d'une réunion à une autre.

Notre métier, c'est le diagnostic et le soin. Et chacun est un patient en puissance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme Sonia de La Provôté .  - Je m'associe à ces félicitations. Les quotas sont utilisés depuis longtemps par l'administration pour la bonne gestion des services -  c'est-à-dire, en réalité, supprimer des lits et supprimer ensuite des postes d'infirmières et d'aides-soignants.

Cette proposition de loi a le mérite de remettre le soin au milieu de l'hôpital : le plus bel établissement du monde n'est rien sans la qualité de ses soignants. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

M. Daniel Breuiller .  - Ce texte mérite un hommage. Rencontrant récemment deux chefs de service de l'hôpital Paul-Brousse, je leur ai demandé quelles étaient leurs attentes ; ils m'ont demandé de voter la proposition de loi Jomier... Je respecterai leur injonction. (Applaudissements sur des travées du GEST et du groupe SER)

Mme Corinne Imbert .  - Jamais l'hôpital n'a été aussi fragile. Le personnel de santé est épuisé.

Le professeur Salomon, président de la CME de l'AP-HP, a estimé que ce texte était un signal nécessaire à destination des soignants. L'enjeu est de stopper les départs ; même dans des services de soins palliatifs, nous disent les associations, des lits sont fermés. C'est insupportable. Je remercie la commission d'avoir étalé la mise en oeuvre du texte dans le temps. Je souhaite que le Gouvernement nous écoute, pour que les fermetures de lit s'arrêtent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - La loi Rist entrera en vigueur le 3 avril 2023. Nous avons travaillé en amont avec les directeurs d'hôpitaux et les ARS, auxquelles des consignes ont été transmises.

Madame Imbert, nous jugeons tous insupportable que des lits ferment. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a plus de soignants. (Protestations au banc des commissions)

Mme Laurence Rossignol, rapporteure.  - Et pourquoi n'y a-t-il plus de soignants ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée.  - Les ratios ne régleront rien. Il faut le bon nombre de professionnels au lit du patient. Il faut de la qualité de vie au travail, de la flexibilité, de l'autonomie.

Nous partageons la philosophie du texte, mais la réponse proposée n'est pas la bonne.

À la demande du groupe SER, l'article unique est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°117 :

Nombre de votants 336
Nombre de suffrages exprimés 272
Pour l'adoption 256
Contre   16

L'article unique est adopté. En conséquence, la proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que du GEST et des groupes INDEP, UC et Les Républicains)

La séance est suspendue quelques instants.

Droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à protéger et garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), à la demande du groupe SER.

Discussion générale

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Le Sénat examine la proposition de loi constitutionnelle dans sa version adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 24 novembre dernier.

Ce texte n'est pas encore abouti, comme le rapport de votre commission des lois ne manque pas de le relever. Mais il est le fruit d'un travail constructif et transpartisan entre les nombreux groupes politiques de la chambre basse. Je salue à cet égard les présidentes Aurore Bergé et Mathilde Panot.

Depuis l'arrêt de la Cour suprême des États-Unis du 24 juin 2022, six propositions de loi constitutionnelle ont été déposées sur le bureau des assemblées. Six visions différentes et autant de beaux débats passés, présents et à venir.

L'importance des initiatives parlementaires montre combien le revirement de jurisprudence de la Cour suprême a été un électrochoc. Nos institutions doivent résister à l'épreuve du temps, et le droit chèrement conquis de chaque femme à disposer de son corps doit être préservé.

Nous ne partons pas de rien en la matière : depuis sa décision du 27 juin 2001, le Conseil constitutionnel reconnaît que le droit à l'IVG résulte de la liberté de la femme, qui découle de l'article II de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Il faut à présent aller plus loin en conférant un fondement constitutionnel autonome à l'IVG, en l'érigeant explicitement en liberté fondamentale au-delà de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Je persiste et signe : le Gouvernement soutient toutes les initiatives parlementaires qui visent à constitutionnaliser le droit à l'IVG. À ceux qui nous opposent que le droit à l'avortement n'est pas menacé en France, je réponds : n'attendons pas qu'il soit trop tard pour le défendre. Le droit des femmes à disposer de leur corps doit être inaliénable.

En 1975, Simone Veil déclarait que l'objectif du Gouvernement était de « faire une loi réellement applicable ; faire une loi dissuasive ; faire une loi protectrice ». Le législateur a atteint son objectif. À présent, il faut protéger ce droit en l'élevant au plus haut niveau de notre hiérarchie des normes.

Toutes les femmes doivent avoir le choix, ce choix leur appartient, et elles sont soutenues par la société tout entière pour l'exercer.

Partout dans le monde, nous voyons qu'une démocratie digne de ce nom ne peut exister sans l'émancipation totale d'une moitié de sa population.

Ne nous trompons pas de débat. J'entends les arguments de la commission des lois : ce texte ne résoudrait pas les difficultés d'accès à l'IVG sur le terrain. Mes collègues François Braun et Isabelle Rome sont pleinement engagés pour rendre ce droit le plus effectif possible. Mais l'effectivité d'un droit et sa protection juridique sont deux sujets différents.

Si les modalités de l'IVG doivent être encadrées par le législateur, niveau le plus approprié, le droit à l'IVG en lui-même ne doit pas être entravé, restreint, voire aboli. Une garantie constitutionnelle peut nous l'assurer pour l'avenir.

Car constitutionnaliser le droit à l'IVG, c'est assurer que ceux qui auraient ce néfaste projet ne puissent le faire sans l'accord du Sénat. Inscrire le droit à l'IVG dans la Constitution, c'est garantir que le Sénat aura le dernier mot pour protéger ce droit, comme il en a protégé tant d'autres, dans la noble mission qui est la sienne.

Le Gouvernement n'a pas changé d'avis : il est favorable à l'inscription de l'IVG dans la Constitution.

Le sujet le plus complexe, comme en témoignent les nombreuses versions des propositions de loi déposées dans les deux chambres, est le suivant : quelle rédaction choisir ?

L'humilité s'impose, car nul ne détient la vérité révélée. Il faut examiner toutes les propositions.

L'emplacement dans le texte est une question juridique plus que symbolique. Ne touchons à notre Constitution que d'une main tremblante. La commission des lois ne s'y est pas trompée : une telle disposition doit y trouver sa place pour s'y fondre - sinon, elle sera fragilisée.

L'emplacement choisi donnera la portée que le Parlement assigne à ce droit.

M. Bas propose une rédaction alternative et place le texte à l'article 34 de la Constitution. Vous avez pesé, comme toujours, tous les mots au trébuchet, mais votre rédaction soulève plusieurs interrogations.

D'abord, elle renvoie entièrement au législateur le soin de déterminer les conditions dans lesquelles les femmes peuvent recourir à l'IVG. C'est très exactement l'état de notre droit : il résulte déjà de l'article 34 qu'il revient au seul législateur de prévoir les garanties et les limites du droit de l'avortement. C'est ce qu'il a fait par la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l'avortement, ce dont je me félicite.

J'entends vos arguments : en faisant référence à cette liberté, cet alinéa la consacrerait implicitement au niveau constitutionnel, mais le doute subsiste sur la réalité de cet effet.

Je comprends et partage votre souci de laisser une certaine marge de manoeuvre au législateur. Le droit à l'IVG doit évoluer avec le temps.

L'Assemblée nationale souhaite créer un nouvel article 66-2, emplacement choisi pour donner une chance supplémentaire au texte d'être voté par le Sénat. Quelques semaines plus tôt, vous aviez rejeté la proposition de loi Vogel qui prévoyait une inscription au même endroit. Le sujet reste ouvert.

Vient ensuite la question de la rédaction. À plus forte raison, nous devons être humbles : chaque mot doit être réfléchi, pesé, justifié. Ce n'est pas aisé.

Prenant acte du refus net du Sénat de constitutionnaliser le droit à la contraception, l'Assemblée nationale a recentré la proposition de loi sur l'IVG.

Pour motiver son refus, la commission des lois a dénoncé à bon droit les risques d'une rédaction inaboutie, autour des notions d'effectivité et d'égal accès. Le risque serait de consacrer un accès sans aucune condition à l'IVG, par exemple à des avortements réalisés bien au-delà des délais légaux.

Une rédaction trop rigide pourrait empêcher des adaptations du dispositif analogues à la loi du 2 mars 2022 qui a allongé le délai légal de 12 à 14 semaines.

La tâche est ardue, mais notre volonté est claire. Le Gouvernement a soutenu les initiatives de constitutionnalisation, d'où qu'elles émanent : il est dans son rôle. La navette parlementaire fait son oeuvre : l'Assemblée nationale, prenant acte du premier refus du Sénat, a pris en compte plusieurs de vos craintes.

Toutes ne sont pas levées, mais l'espoir est permis que le Parlement parvienne à un accord. Il y va du droit des femmes à disposer de leur corps, et cela seul devrait nous suffire. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes SER, RDSE et UC ; Mme Elsa Schalck applaudit également.)

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ne faire ni plaisir ni tort, mais faire la loi : tel est notre mandat. Nous devons élaborer la norme avec hauteur et maîtrise, à plus forte raison lorsqu'il s'agit de réviser la Constitution.

Le 24 novembre 2022, l'Assemblée nationale a adopté un texte pour constitutionnaliser l'IVG, introduisant un article 66-2 dans le titre VIII consacré à l'autorité judiciaire.

Sommes-nous pour ou contre l'IVG ? Telle n'est pas la question. Ne nous laissons pas enfermer dans un simplisme manichéen.

La vraie question est la suivante : faut-il modifier la Constitution pour y inscrire le droit à l'IVG, pour reconnaître la liberté des femmes de mettre fin à leur grossesse ? Même si l'opinion publique y est favorable, c'est une fausse bonne idée.

Retirer le droit à la contraception de la proposition de loi n'a pas levé tous les doutes.

Le 19 octobre dernier, le Sénat a rejeté une proposition de loi similaire du GEST. La majorité sénatoriale avait déjà jugé très solide la protection du droit à l'IVG, inscrit à l'article 2212-1 du code de la santé publique.

La liberté d'avorter est pleinement protégée par la loi Veil de 1975 qui fait partie intégrante de notre patrimoine juridique, et à laquelle le Sénat est fortement attaché. Nous l'avons démontré en votant notamment les allongements successifs du délai légal, l'élargissement de la liste des praticiens, l'amélioration de la prise en charge, la suppression du délai de réflexion préalable.

Certes, ce droit n'est pas constitutionnel, mais le Conseil constitutionnel s'est prononcé à quatre reprises en sa faveur, en 1975, en 2001, en 2014 et en 2016.

Depuis sa décision du 27 juin 2001, il rattache ce droit à la liberté de la femme, découlant de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, concilié avec le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.

Aucun groupe politique n'a jamais voulu remettre en cause ce principe. Ce droit n'est donc pas menacé en France, dont la situation institutionnelle n'est pas comparable à celle des États-Unis. Dire le contraire serait méconnaître la décision de la Cour suprême, qui a renvoyé aux États fédérés le soin de statuer sur ce droit. Notre République est une et indivisible, et les lois sont les mêmes pour tous.

Je préfère donc rester fidèle aux conclusions du comité présidé par Simone Veil en décembre 2008, qui ne recommandait ni de modifier le préambule, ni d'intégrer des dispositions de portée purement symbolique à la Constitution.

Je m'indigne comme vous des difficultés rencontrées par certaines femmes pour recourir à l'IVG, notamment dans certains territoires, mais la constitutionnalisation ne résoudra pas le problème.

Il faut des moyens supplémentaires pour le Planning familial, des moyens pour les médecins, des mesures concrètes d'ordre réglementaire voire législatif, mais pas constitutionnel.

La Constitution de 1958 n'a pas été conçue pour décliner tous les droits et libertés énoncés de manière générale dans son préambule. À ce compte, pourquoi ne pas inscrire dans le dur tous les droits et libertés reconnus par le Conseil constitutionnel comme, demain, ceux qui seront liés à la fin de vie ? La Constitution ne doit pas s'apparenter à un catalogue.

La difficulté à trouver une place à ce texte dans la Constitution prouve son manque de cohérence. Ainsi l'inscrire au titre VIII, juste après l'abolition de la peine de mort, a de quoi surprendre.

Les propositions d'inscription à l'article 34 ou à l'article 1er, qualifié d'âme de la Constitution par le doyen Carbonnier, ne sont pas plus satisfaisantes. Il n'y a pas de place naturelle pour ce droit dans la Constitution.

Comme pour toutes les libertés publiques, le législateur doit en fixer les conditions. En outre, il convient d'avoir un débat serein : l'introduction de ce droit supposerait un projet de loi constitutionnel, pour éviter un référendum sur une question qui n'a pas fait l'objet d'un débat public.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à ne pas adopter la proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; M. Philippe Bonnecarrère, M. Pascal Martin et Mme Évelyne Perrot applaudissent également.)

Question préalable

M. le président.  - Motion n°2, présentée par M. Ravier.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat s'oppose à l'ensemble de la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception (n° 143, 2022-2023).

M. Stéphane Ravier .  - Cette motion vise à repousser de nouveau un texte inutile et dangereux. La semaine dernière, Françoise Gatel et Rémy Pointereau ont remis un rapport sur l'inflation normative, qui pointe « une croyance quasi-mystique dans la norme miraculeuse qui protègerait voire guérirait ».

Ces propos s'appliquent parfaitement à la révision constitutionnelle que nous proposent les députés, vain exercice de communication et d'agitation.

Si ce texte est adopté, qu'aurez-vous changé au quotidien des femmes de France ? Rien. Pourquoi s'y opposer, alors ? Parce qu'il modifie l'esprit de la Constitution : l'État de droit se transformerait en tas de droits. (On s'amuse à gauche.)

Dès lors que le pouvoir constituant s'introduit dans la chambre à coucher, la res publica cède le pas à la res privata : la République devient la Réprivée, c'est l'anarchie et la fin de la société ! (Rires à gauche)

Vous multipliez les normes contradictoires et renforcez le pouvoir d'arbitrage des juges, au détriment du Parlement.

Je n'ai pas d'intérêt électoral en la matière, je défends l'intérêt général. On ne joue pas avec les textes juridiques sans conséquence politique. Vous travestissez l'esprit de la loi Veil en faisant de l'avortement un objectif de société.

Ne vous en déplaise, l'IVG n'est pas menacée en France, elle est même renforcée.

Mme Laurence Rossignol.  - Elle est menacée par vous !

M. Stéphane Ravier.  - En revanche, la natalité, elle, est menacée ; elle est au plus bas depuis l'après-guerre. (Protestations à gauche) La main-d'oeuvre qui nous manque, les cotisants au système de retraite par répartition se cachent dans les dix millions d'avortements depuis 48 ans. (Exclamations à gauche) L'ère des conséquences est venue : sachons en tirer les enseignements, avec le sens des responsabilités.

M. Antoine Lefèvre.  - Et de la mesure !

M. Stéphane Ravier.  - Rejetons ce texte inconséquent et idéologique présenté par La France Insoumise.

M. Xavier Iacovelli.  - Comme le disait Victor Hugo, la forme, c'est le fond qui remonte à la surface.

Monsieur Ravier, votre propos plaide, à votre corps défendant, pour un renforcement du droit à l'IVG. Vous formuliez les mêmes remarques en octobre, sur la proposition de loi de Mélanie Vogel.

Pourquoi une question préalable ? Pour ma part, je défends la constitutionnalisation du droit à l'IVG, car il est toujours plus difficile de modifier la Constitution que la loi. Les avis peuvent diverger, mais pourquoi refuser le débat ?

Vous parlez d'attaque à la vie, d'hiver démographique... Non, aucun pays n'est à l'abri d'une majorité politique qui abrogerait les dispositions autorisant l'avortement ou en restreindrait l'accès.

Je salue tous ceux, sur tous les bancs, qui se sont battus pour le droit des femmes à disposer de leur corps. Sur ce point, nous serons toujours ensemble face à l'extrême droite. (Applaudissements à gauche et sur plusieurs travées du groupe UC ; Mme Elsa Schalck applaudit également.)

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Avis défavorable. Ce débat important doit être mené à son terme et toutes les convictions doivent pouvoir s'exprimer.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Chacun apprécie la nuance avec laquelle s'exprime M. Ravier.

Il s'agit d'un débat sociétal important. Madame la rapporteure, personne ne s'imaginait aux États-Unis, qu'un jour, les amis de M. Trump remettraient en cause ce droit fondamental : le constitutionnaliser, c'est protéger l'avenir. La menace n'est pas immédiate, sans doute... mais M. Ravier s'exprime par prétéritions : son jeu de mots, digne de l'Almanach Vermot, montre bien ce qu'il pense de l'État de droit !

M. Stéphane Ravier.  - C'est de Guy Carcassone... Rendons à César ce qui est à César !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Votre dernier compagnon de route veut d'ailleurs « mettre au pas » le Conseil constitutionnel !

En Hongrie, vos amis obligent désormais les femmes souhaitant avorter à écouter les battements de coeur du foetus. C'est une torture psychologique. (M. Stéphane Ravier proteste.)

Il n'y a peut-être pas péril en la demeure aujourd'hui, mais protégeons l'avenir : inscrivons ce droit dans la Constitution.

M. Stéphane Ravier.  - Ça changerait quoi ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Ce serait un beau message adressé aux femmes. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDPI ; Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)

M. le président.  - J'imagine que votre avis sur la motion est défavorable ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - En effet.

La motion n°2 est mise aux voix par scrutin public ordinaire de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°118 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 345
Pour l'adoption     1
Contre 344

Le Sénat n'a pas adopté.

(Applaudissements sur quelques travées à gauche)

Discussion générale (Suite)

Mme Esther Benbassa .  - (M. Daniel Breuiller applaudit.) Cette proposition de loi a été rejetée en commission, trois jours après une manifestation « pour la vie ». Rien de nouveau sous le soleil sénatorial !

Le recours à l'avortement est protégé par la loi Veil du 17 janvier 1975, mais pas par la Constitution : le sanctuariser le mettrait à l'abri des tempêtes politiques. Après la Pologne, la Hongrie, les États-Unis, l'Italie risque à son tour de s'engager dans la voie de la régression, sous la pression des conservateurs.

Philippe Bas propose une nouvelle rédaction, en substituant à la notion de droit à l'IVG celle de liberté de mettre fin à sa grossesse, déjà reconnue par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 juin 2001. Une liberté n'est pas un droit, or le recours à l'IVG doit être traité comme un droit effectif, comme le préconise la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale dans un rapport de 2020.

Jusqu'à quand faudra-t-il nous battre pour une reconnaissance pleine et entière du droit des femmes à disposer de leur corps ? Les hommes choisissent bien leur paternité ! Pourquoi vouloir toujours contrôler la sexualité des femmes ?

Mieux vaudrait que le Gouvernement se saisisse du sujet et propose un projet de loi, ce qui éviterait de devoir passer par un référendum, périlleux dans le contexte politique actuel. À moins que son but inavoué ne soit de faire traîner les choses ? J'espère que non ! (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mmes Patricia Schillinger et Hélène Conway-Mouret et M. André Guiol applaudissent également.)

M. Jean-Yves Roux .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Chacun a en tête la volte-face historique de la Cour suprême des États-Unis, qui est venue rappeler combien le droit à l'avortement est fragile. Notre assemblée avait hélas rejeté un texte proche en octobre dernier : nous sommes heureux qu'il revienne devant le Sénat, même s'il n'est plus question de contraception mais seulement d'IVG.

Je regrette toutefois que ce texte n'ait pas été amélioré du point de vue formel. Nous sommes attachés à l'IVG, mais aussi à notre Constitution, à laquelle on ne doit toucher que d'une main tremblante. Viser l'article 34 aurait été plus opportun...

La France n'est pas les États-Unis, ai-je entendu. On ne peut nier la tendance mondiale au recul des droits des femmes. Si certains reculent, soyons fiers de montrer le chemin inverse !

La constitutionnalisation ne résoudrait pas les problèmes d'accès à l'IVG ? Certes, mais cela vaut pour tous les droits consacrés par le bloc de constitutionnalité. Les problèmes d'accès ne sont pas du ressort du constituant, mais du législateur et du pouvoir réglementaire.

Notre Constitution doit afficher des principes, des valeurs et des objectifs, montrer la finalité de notre droit. Nous ne sommes pas à l'abri d'un éventuel revirement de jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui s'appuie sur l'article II de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, laquelle, bien sûr, ne fait pas référence à l'IVG...

Notre groupe votera dans sa majorité en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI et du GEST, ainsi que sur plusieurs travées du groupe SER)

M. Philippe Bas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue la pertinence et la vigueur de la présentation du rapport par Mme Canayer, qui justifie notre refus de voter cette proposition de loi.

Je ne m'attarderai pas sur le fait que celle-ci n'est pas rédigée en français - un détail ! On peut faire des fautes de grammaire dans la Constitution sans que nul ne s'en émeuve... (Rires sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Bruno Sido.  - Très bien !

M. Philippe Bas.  - Cette rédaction ne définit pas ce qu'est le droit à l'IVG mais le présente comme un absolu, une créance sur la société. Elle ne prévoit de garantie par le législateur que pour son effectivité - qui relève de l'organisation du système de santé.

Comme le garde des sceaux l'a suggéré, la rédaction n'exclut pas l'idée que ce droit indéfini à l'IVG serait illimité. Or on ne peut reconnaître un droit ou une liberté sans en prévoir les conditions, c'est-à-dire les limites. La liberté de la femme prévaut jusqu'à un certain délai ; après, prévaut la protection de l'enfant à naître. C'est cet équilibre qui a justifié le consensus autour de la loi Veil.

Est-il pertinent d'inscrire une liberté ou un droit dans la Constitution ? C'est déjà le cas : la Constitution est bien un lieu permettant d'accueillir des libertés que le pouvoir constituant, souverain, veut voir consacrées.

Je formule une contre-proposition : elle reprend l'énoncé d'une liberté reconnue par le Conseil constitutionnel le 27 juin 2001 et la consolide, mais prévoit que le législateur en détermine les conditions, donc les limites, comme l'a prévu la loi Veil. Il n'y a pas de droit absolu : il y a une liberté, sous réserve de conciliation entre les droits de la femme enceinte et, après un certain délai, la protection de l'enfant à naître.

Monsieur le garde des sceaux, vous dites qu'il ne faut toucher à la Constitution que la main tremblante, mais les vôtres sont restées dans vos poches ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. le garde des sceaux proteste.) Nous aurions aimé que le Gouvernement nous soumette une rédaction, après avis du Conseil d'État, qui aurait de meilleures chances d'aboutir. Vous restez sur le banc de touche, mais ce confort ne sera pas durable, car le verrou du Sénat peut être levé : vous serez alors face à vos responsabilités. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes Les Républicains, SER et UC ; Mme Laurence Cohen applaudit également.)

Mme Colette Mélot .  - Notre groupe considère qu'une femme doit avoir la possibilité d'interrompre sa grossesse quand elle le décide, dans le cadre d'un régime établi par la loi, fruit d'un équilibre entre liberté de la mère et sauvegarde de la dignité de la personne humaine.

Aux États-Unis, on observe depuis le revirement de la Cour suprême un retour en arrière manifeste. La législation a été durcie en Pologne et en Hongrie, réduisant fortement l'accès à l'IVG. Il reste interdit à Malte. Ces évolutions nous inquiètent.

Dans notre pays, l'IVG n'est pas menacée politiquement. Les délais légaux ont même été allongés de douze à quatorze semaines. Aucun parti politique de l'arc républicain ne remet en cause ce droit. Ce qui menace l'IVG, c'est le manque de médecins et de moyens !

Même voté conforme, ce texte devrait encore être soumis à référendum. Perspective qui suscite des réticences, y compris chez ses auteurs. Difficile en effet d'expliquer que le Parlement a longuement débattu, sans que l'accès à l'IVG n'ait été nullement amélioré...

Notre groupe est très attaché aux libertés individuelles, notamment celle d'interrompre une grossesse. Il est urgent de densifier l'offre de soins sur le territoire et d'améliorer l'accompagnement des femmes qui souhaitent avorter, car c'est toujours une épreuve.

Les membres du groupe INDEP sont unanimement favorables à la liberté d'avorter. Certains s'interrogent sur l'intérêt de son inscription dans la Constitution. Chacun votera selon ses convictions. Pour ma part, je ne prendrai pas part au vote, car l'équilibre de la loi Veil me satisfait. (M. Cédric Vial applaudit.)

Mme Mélanie Vogel .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER ; Mme Laurence Cohen applaudit également.) Je salue le travail de l'Assemblée nationale et le sens de l'intérêt général de Mathilde Panot, d'Aurore Bergé et de tous ceux qui ont su se rassembler autour d'un impératif plus grand que nos divergences politiques.

La loi Veil a nécessité trois éléments : d'abord, la mobilisation des féministes, qui ont battu le pavé, mis leur vie en danger pour sauver tant d'autres de l'horreur et imposer le droit à disposer de nos corps et à maîtriser nos vies ; ensuite, la détermination et la responsabilité de la gauche, qui a su, à un moment de l'histoire, rendre l'imparfaite victoire possible ; enfin, la dignité d'une certaine partie de la droite, qui en dépit du conservatisme et de la misogynie de ses rangs, s'est alliée à ce combat. (Murmures amusés sur les travées du groupe Les Républicains)

La situation est aujourd'hui similaire. La population française soutient à 86 % la constitutionnalisation du droit à l'IVG. Parmi ces 86 %, vos filles, vos petites-filles, toutes celles et ceux qui savent que, en la matière, il n'est pas de protection superflue (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER), qui ont conscience des menaces qui planent toujours sur les droits des femmes.

La France peut envoyer un message d'espérance au monde entier. Les Américaines, les Maltaises, les Hongroises, les Italiennes, les Chiliennes, les Iraniennes nous regardent ; dans cette période si sombre pour les droits des femmes, nous pouvons tracer un chemin de progrès.

Ceux d'entre vous qui voteront en faveur de l'inscription de l'IVG dans la Constitution n'auront jamais honte de leur vote.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio.  - Les autres non plus !

Mme Mélanie Vogel.  - Les autres auront du mal à expliquer à leurs petites-filles qu'ils n'ont pas tout fait pour les protéger. Dans les moments de bascule de l'Histoire, nous sommes face à nos responsabilités. Même s'il ne nous satisfait pas pleinement, ce texte marquera une avancée vers cette victoire qui est de protéger un droit avant qu'il ne soit menacé - avant qu'il ne soit trop tard. (Applaudissements sur les travées du GEST, du groupe SER et du RDPI)

M. Xavier Iacovelli .  - Le 19 octobre dernier, le rejet par le Sénat de la proposition de loi constitutionnelle de Mélanie Vogel envoya un signal malheureux à nos concitoyens, en particulier aux femmes. Le droit à l'IVG est remis en cause dans le monde. Depuis l'annulation de l'arrêt Roe v. Wade, treize États américains ont rendu illégal l'avortement et cinq en ont limité l'accès.

Il est légitime de s'interroger sur son avenir en France : « marche pour la vie » du 22 janvier, récent colloque anti-IVG parrainé par notre malheureux collègue Ravier...

M. Stéphane Ravier.  - Pourquoi malheureux ?

M. Xavier Iacovelli.  - Un droit n'est jamais acquis. Encore moins pour les femmes. Malgré cela, nous n'avons pas atteint une majorité en première lecture. Qu'attendons-nous ? Il s'agit ici d'empêcher tout retour en arrière. Saisissons cette chance de faire de notre pays un pionnier en la matière ! La portée symbolique d'un tel acte enverrait un message fort aux pays où le droit à l'avortement est bafoué.

Je salue l'esprit constructif de M. Bas, mais son amendement ne consacre pas le droit à l'IVG comme un droit autonome. J'ai proposé un sous-amendement plus ambitieux.

La Constitution reconnaît déjà une série de droits et libertés fondamentaux. Inscrire dans cette liste un droit garanti depuis près de cinquante ans n'entraîne pas « un changement de nature dommageable », madame la rapporteure. Une large majorité du RDPI soutiendra ce texte, au nom des droits des femmes, de leur droit à disposer de leur corps, au nom de leur liberté. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du GEST et du groupe SER)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) « N'oubliez jamais : il suffira d'une crise politique, économique, religieuse, pour que les droits des femmes soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez rester vigilantes », disait Simone de Beauvoir.

Rappelons-nous le long chemin, l'âpre lutte, les femmes criminalisées pour avoir avorté, celles qui sont mortes pour avoir avorté dans des conditions indignes. La constitutionnalisation de l'IVG s'inscrit dans cette longue histoire.

Notre Constitution est la règle la plus élevée de notre ordre juridique : elle fonde notre contrat social. L'égalité de genre impose de tenir compte des besoins de santé de femme, qui diffèrent de ceux des hommes, selon le comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies. Si les rédacteurs du Préambule de la Constitution de 1946 en avaient tenu compte, le droit à l'IVG figurerait déjà dans la Constitution !

Ce serait notre fierté et notre honneur d'inscrire, les premiers, le droit des femmes à disposer de leur corps dans notre Constitution. Ce combat, mené par la gauche depuis longtemps, est partagé par 80 % des Français, toutes convictions politiques ou religieuses confondues.

Certains estiment que la législation actuelle suffit. Mais ne sera-t-il pas trop tard pour légiférer si des forces rétrogrades prennent le pouvoir et décident de s'attaquer à ce droit ? N'avez-vous pas vu les manifestations hostiles rassemblant plusieurs milliers de personnes dans les rues de Paris ?

Si le Conseil constitutionnel n'a pas conclu à une inconstitutionnalité depuis sa décision initiale sur la loi Veil en 1975, il n'a jamais reconnu l'IVG comme un droit fondamental. Ces lois ont été validées au motif qu'elles respectent un équilibre entre d'une part la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et d'autre part, la liberté de la femme qui découle de l'article 2 de la déclaration de 1789.

Nous nous battons pour une protection plus forte de ce droit. Certains avancent que l'effectivité de l'accès à l'IVG ne serait pas améliorée par la constitutionnalisation. Mais pourquoi opposer ainsi les choses ? Ne pourrait-on pas agir également pour renforcer l'accès à l'IVG ?

D'autres qualifient notre demande d'inutile, car la France serait une sorte d'îlot protégé dans un monde qui vacille... Ils ne se sont pas opposés à la constitutionnalisation de la peine de mort, qui rend tout retour en arrière impossible.

Philippe Bas s'engage dans cette constitutionnalisation avec une rédaction différente, qui présente selon nous deux faiblesses : d'une part, elle ne permet pas un vote conforme de l'Assemblée nationale ; surtout, elle retient le terme de « liberté » et non celui de « droit ». Or l'IVG n'est pas seulement une liberté, mais bien un droit.

La première loi Veil a été adoptée grâce à un travail parlementaire transpartisan, la gauche ayant accepté de larges concessions. Notre groupe soutiendra la démarche du Sénat, même si elle est imparfaite.

M. le ministre a fait une analyse très intéressante. Qu'il la concrétise dans un texte !

Ce soir, le Sénat a rendez-vous avec son histoire, avec l'histoire des droits des femmes. Ne les décevez pas. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST, ainsi que sur plusieurs travées du RDPI ; Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)

Mme Laurence Cohen .  - Gisèle Halimi disait en 1973 qu'il y a dans le droit d'avortement de la femme une revendication élémentaire physique de liberté.

Plusieurs d'entre nous ont dit que ce droit existe et qu'il est reconnu depuis la loi Veil de 1975. Mais il est intolérable que, en 2023, l'avortement rencontre encore une opposition certaine, jusque dans cet hémicycle. Il est toujours des voix pour limiter ou encadrer les droits des femmes, surtout quand il s'agit de la liberté d'avoir ou non un enfant.

Aux blocages idéologiques s'ajoutent les embûches matérielles : fermeture des centres IVG, manque de professionnels pratiquant l'IVG, T2A, double clause de conscience, tout cela pénalise avant tout les femmes les plus précaires, celles qui n'ont pas les moyens d'aller à l'étranger lorsqu'elles ont dépassé le délai légal. Cette musique, nous la connaissons bien : elle ressemble à celle des années 1970.

J'espère donc que le Sénat va se saisir de cette opportunité de constitutionnaliser le droit à l'IVG si chèrement acquis. Car si le Conseil constitutionnel a toujours jugé les lois relatives à l'IVG conformes à la Constitution, il ne l'a jamais consacré comme un droit fondamental : une loi portant atteinte au droit à l'IVG ne serait pas censurée.

Cela fait onze ans que le Parti communiste plaide pour cette constitutionnalisation, et notre groupe avait déposé une proposition de loi dès 2017, bien avant la décision de la Cour suprême américaine.

Nous l'avons rappelé en octobre dernier, lors de l'examen de la proposition de loi Vogel, dont nous étions cosignataires : il est grand temps de conférer à l'IVG le statut de droit fondamental, et de l'inscrire dans la Constitution afin qu'il ne soit pas affaibli, voire supprimé par d'éventuelles dispositions législatives.

Cela supposerait un vote conforme, qui, vu le rapport de force, semble incertain. Mais des débats dans la société ont peut-être conduit certains à évoluer. C'est ainsi que M. Bas propose une nouvelle rédaction, qui pose question et nous inquiète sur la latitude possible laissée au législateur. Cependant, nous sommes conscients que cet amendement représente une ouverture pour laisser cette proposition de loi constitutionnelle poursuivre son trajet législatif. Nous ne ferons donc rien pour nous y opposer.

Les associations féministes, représentées en tribune, nous y invitent : soyons le premier pays à garantir le droit à l'IVG dans sa Constitution. Je ferai mien l'appel d'Osez le féminisme : donnons un message d'espoir aux femmes de ce monde qui se battent pour leurs droits, pour le respect de leur corps et de leur santé. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST ; Mme Nassimah Dindar applaudit également.)

M. Loïc Hervé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Nous examinons pour la deuxième fois en trois mois une proposition de loi constitutionnelle visant à garantir le droit fondamental à l'IVG. Ce texte, déposé par Mathilde Panot, fut largement adopté à l'Assemblée nationale le 24 novembre 2022. Quelques semaines plus tôt, nous examinions le texte de Mélanie Vogel inscrivant dans le marbre constitutionnel le droit à l'IVG et à la contraception.

Je salue la sagesse de notre rapporteur sur ce sujet délicat, politiquement et socialement, qui renvoie à l'intime.

La genèse, c'est l'arrêt Dobbs v. Jackson Women's Health Organization de la Cour suprême des États-Unis, le 24 juin 2022, modifiant l'arrêt Roe v. Wade. Désormais, il appartient à chaque État fédéré de légiférer sur l'interdiction ou non du recours à l'IVG.

La France est une République indivisible et non une fédération. Je ne vois donc pas de comparaison possible avec les États-Unis.

Notre arsenal juridique sur l'IVG est solide : depuis 1975, les dispositions de la loi Veil n'ont cessé d'être renforcées par le législateur confortées par le juge constitutionnel. Aucun parti, même aux extrêmes, n'a jamais appelé à remettre en cause le principe de l'IVG. Le vote du 24 novembre dernier de l'Assemblée nationale en témoigne : 38 députés RN étaient prêts à inscrire ce droit dans la Constitution.

Avec la désertification médicale, l'accès à l'IVG est cependant devenu très difficile pour certaines femmes sur notre territoire. Notre délégation aux droits des femmes l'avait déjà dénoncé en 2015, dans un rapport intitulé « Femmes et santé, enjeux d'aujourd'hui ». Inscrire dans la Constitution « l'effectivité et l'égal accès au droit à l'interruption volontaire de grossesse » serait un leurre, car treize ans plus tard, la situation n'a guère évolué...

L'amendement Bas, malgré une imputation différente, ne change rien en termes de procédure parlementaire : l'adoption d'une proposition de loi constitutionnelle en termes identiques conduirait le Président de la République à convoquer ou non un référendum. Il n'y a pas d'autre issue possible. (« Très bien » sur les travées du groupe Les Républicains)

Le groupe UC pratique la liberté de vote de manière générale, et fortiori sur les sujets de société. Certains soutiendront le texte, d'autres s'abstiendront ou ne prendront pas part au vote ; la plupart d'entre nous voterons contre l'amendement de Philippe Bas et contre la rédaction de l'Assemblée nationale, suivant ainsi l'avis de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Corinne Imbert .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Après l'examen en octobre dernier de la proposition de loi constitutionnelle déposée par Mélanie Vogel, nous sommes à nouveau réunis pour débattre de l'IVG. Le débat doit se concentrer sur l'inscription ou non de ce droit dans la Constitution. À ceux qui opposent volontiers progressistes vertueux et conservateurs arriérés, je rappelle que l'IVG a été voté grâce à la loi Veil, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Max Brisson et Mme Jacqueline Eustache-Brinio.  - Très bien !

Mme Corinne Imbert.  - J'ai tenté de me poser objectivement les bonnes questions pour dépasser les réflexes partisans. Quel est le rôle de la Constitution ? Le droit à l'IVG est-il menacé en France ? L'inscription de l'IVG dans la Constitution représente-t-elle une protection supplémentaire ?

La Constitution fixe la forme de notre État, règle la production des normes, les relations des pouvoirs. Son rôle n'est pas d'être bavarde et de dresser un inventaire à la Prévert des droits. Cela pourrait d'ailleurs l'affaiblir. Nous devons être les garants de la Constitution. (M. Max Brisson renchérit.)

Je m'étonne de voir des débats venus d'outre-Atlantique prendre autant d'importance en France. Ma philosophie gaulliste m'incite à ne point céder aux sirènes de l'actualité. (M. Pierre Charon acquiesce.)

Le droit à l'IVG est-il menacé aujourd'hui en France ? Aucun des douze candidats à l'élection présidentielle ne s'est prononcé pour une limitation de ce droit.

Pensez-vous que la Constitution empêchera quoi que ce soit ? En cas de prise du pouvoir par la force, elle ne pourra plus rien, ni pour l'IVG, ni pour la liberté de conscience, ni pour la liberté de la presse, ni pour aucune de nos libertés publiques ! Comment croire que son inscription dans la Constitution renforcera le droit à l'IVG si nous devions avoir un régime autoritaire ?

Le XXe siècle est riche d'exemples de combats pour les droits des femmes. Mais, malgré l'amélioration de la place des femmes dans notre société, le chemin est encore long.

Je crois que ce débat traduit un phénomène plus large : le recul de notre capacité à agir sur le réel. Il ne s'agit pas de faire de la communication, de se faire de la publicité.

M. Xavier Iacovelli.  - Pas de mépris !

Mme Corinne Imbert.  - La posture est facile, les bons sentiments aussi ; agir réellement est bien plus difficile.

Nous croyons à la prééminence du fond sur la forme. C'est pourquoi le groupe Les Républicains, dans sa très grande majorité, votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Discussion de l'article unique

Mme Hélène Conway-Mouret .  - Oui, le droit à l'avortement est aujourd'hui remis en question : voyez la Pologne ou les États-Unis. Benoîte Groult le rappelait : rien n'est plus précaire que les droits des femmes.

L'IVG continue d'être un combat. Chaque année, 3 000 à 4 000 Françaises sont forcées de se rendre à l'étranger pour avorter hors délai. Par ailleurs, des Françaises établies à l'étranger ont des difficultés à avorter. Pour la première fois, une ligne budgétaire du ministère de l'Europe et des affaires étrangères est consacrée à l'accès à l'avortement de nos ressortissantes à l'étranger.

Quelque 81 % des Français sont favorables à l'inscription de l'IVG dans la Constitution. Soyons en phase avec nos compatriotes et montrons l'exemplarité de la Constitution française en matière de droits fondamentaux et de protection des droits individuels.

Mme Annick Billon .  - (Applaudissements sur des travées du groupe UC) Je tiens à réaffirmer ma position personnelle : je voterai cette proposition de loi constitutionnelle comme j'ai voté celle de Mélanie Vogel.

J'entends ceux qui objectent que ce droit n'est pas menacé. Mais qui peut le certifier ? Pas moi.

L'IVG doit demeurer un droit fondamental pour les femmes. Le vote d'aujourd'hui n'est pas une fin en soi, mais une étape et un signe envers les femmes. Graver l'IVG dans la Constitution n'aura d'effet que si son accès est facile sur tout le territoire, ce qui n'est pas le cas.

La question qui se pose à nous est : souhaitons-nous consolider le droit à l'IVG ? Pour ma part, je réponds oui. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, SER et du GEST)

Mme Elsa Schalck .  - Voulons-nous apporter une garantie constitutionnelle au droit à l'IVG ? À titre personnel, je le souhaite. Je voterai donc cette proposition de loi, comme celle d'octobre dernier.

La Constitution est notre texte à valeur suprême ; elle est notre socle, ce à quoi nous ne devons pas déroger. Nous sacraliserions ainsi, au sommet de la hiérarchie des normes, un droit menacé dans des pays pas si lointains.

L'absence actuelle de remise en cause du droit à l'IVG ne doit pas nous empêcher de garantir ce droit, auquel nous sommes tous attachés. (Applaudissements sur quelques travées des groupes UC et SER ; Mmes Else Joseph et Anne Ventalon, ainsi que M. Marc Laménie, applaudissent également.)

Mme Muriel Jourda .  - Cette question nous occupe depuis longtemps, avec six propositions de loi. Je ne reconnais pas la sagesse sénatoriale dans notre débat. Nous réagissons comme de vulgaires tabloïds à un événement qui ne nous concerne pas et n'aura aucun effet sur nous - de même que notre décision n'aura aucun effet sur les États-Unis. C'est assez surprenant.

Nous avons l'habitude de faire preuve d'une certaine objectivité. Or nous débattons comme si l'IVG était menacé. Vous savez pourtant bien que ce n'est pas le cas. À l'Assemblée nationale, l'extrême droite a majoritairement voté pour la constitutionnalisation de l'IVG.

Nous sommes attachés à la rigueur juridique. Or j'entends parler de la Constitution comme si c'était un fourre-tout. Certes, elle n'est pas intangible - elle a été modifiée vingt-quatre fois. Mais cette liberté n'a pas grand-chose à y faire. (On s'impatiente sur les travées du groupe SER.)

J'ai, au Sénat, l'habitude d'un certain respect. Or nos positions ne sont pas acceptées. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains ; protestations sur les travées du groupe SER)

M. Yan Chantrel.  - C'est du sabotage !

Mme Laurence Rossignol .  - Le nombre d'orateurs sur l'article unique grossit de plus en plus. Même certains qui se sont exprimés dans la discussion générale reprennent la parole. Or, à 20 h 45, notre débat s'arrêtera. Je ne voudrais pas que le Sénat, déjà remarqué en octobre pour son vote hostile, le soit de nouveau en raison d'une manoeuvre consistant à faire durer les débats pour ne pas voter aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du RDSE)

Rappel au Règlement

M. Loïc Hervé .  - Vous connaissez les règles de notre Assemblée : le groupe SER dispose d'un espace réservé de quatre heures, au cours duquel il a choisi de présenter deux textes.

Nous en sommes à quatre propositions de rédaction. Il est normal que nous prenions le temps de discuter d'un texte qui modifie la loi fondamentale de notre République ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains)

M. le président.  - Acte est donné de rappel au Règlement.

Discussion de l'article unique (Suite)

M. Dominique de Legge .  - Ce débat est suffisamment important pour que chacun puisse s'exprimer.

La Constitution n'est pas un symbole ; c'est une chose sérieuse. Certains souhaitent y inscrire la liberté d'avorter. Et pourquoi pas, demain, la fin de vie ou la PMA ? Ce n'est pas le lieu des sujets sociétaux.

Le garde des sceaux appelle à un vote conforme - encore que ce ne soit pas très clair. Le Gouvernement souhaite-t-il vraiment organiser un référendum ? Est-ce le bon moment pour un débat apaisé ?

Le Président de la République souhaite attacher son nom à une réforme de la Constitution. (M. Xavier Iacovelli s'exclame.) Mais évitons de la réformer au gré des aléas de l'actualité, surtout américaine. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains)

M. Rémy Pointereau.  - Bravo !

Mme Jacqueline Eustache-Brinio .  - Ne nous trompons pas de débat. Est-il pertinent pour nous, parlementaires français, de nous emparer d'un débat de société américain ? Non.

Le recours à l'IVG n'est absolument pas remis en cause en France. C'est un droit fondamental, que le Conseil constitutionnel défend en se fondant sur la liberté de la femme, issue de l'article II de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Inscrire l'IVG dans la Constitution n'aurait qu'une conséquence : fragiliser le recours à l'IVG.

Je m'opposerai à cette proposition de loi et n'aurai pas honte de mon vote ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains ; M. Stéphane Ravier applaudit également.)

Mme Marie Mercier .  - Nous n'avons pas à légiférer « au cas où », ou bien sur des symboles. Un symbole est un fait évoquant quelque chose d'absent ou d'impossible à percevoir. Croyez-vous que la protection du droit à l'IVG, que je défends de toute mon âme, soit absente ou impossible à percevoir ?

À plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel a renforcé la protection de ce droit. Les femmes ne veulent pas de symboles, mais des moyens, des plannings familiaux, un accompagnement psychologique. N'oublions pas non plus qu'une femme avorte parfois parce que son compagnon le lui demande. (Protestations sur les travées du groupe SER)

Mme Toine Bourrat .  - La baisse de confiance envers les politiques nous oblige. Or elle est souvent le fruit des incohérences constatées par nos concitoyens.

Nous avons voté contre la constitutionnalisation de l'IVG en octobre, tant en commission qu'en séance publique, et de même en commission ces derniers jours. Je resterai cohérente en votant contre ce texte.

Mme Catherine Di Folco .  - Nous nous fourvoyons. Le maître mot, c'est l'effectivité. Une norme juridique effective est appliquée dans les faits, comme l'écrivait en 1958 le doyen Carbonnier. Nous sommes favorables à l'effectivité du recours à l'IVG.

Ne nous trompons pas quant à la question juridique qui nous est posée. Faut-il ajouter à notre texte fondamental une disposition déclarative ? Je ne le crois pas et n'en ai pas honte, madame Vogel. Mettons plutôt le Gouvernement face à ses obligations effectives en la matière. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Loïc Hervé .  - Je m'exprime à présent à titre personnel. Nous en sommes à quatre formulations juridiques : celle de Mme Vogel, la rédaction initiale de Mme Panot, la rédaction de l'Assemblée nationale et l'amendement de M. Bas. Nous devons examiner le tout dans des délais contraints. S'agissant d'une proposition de loi, pas d'étude d'impact ni d'examen en Conseil d'État.

En outre, nous savons tous que le processus n'ira pas à son terme, puisque la seule issue est le référendum. Imaginez ce que représenterait un débat sur cette question dans l'état actuel de la société française...

Posons-nous la question de la qualité du droit que nous écrivons ! (Applaudissements sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio.  - Exactement !

M. Loïc Hervé.  - Une Constitution, ça ne se défait pas si facilement.

Plusieurs voix sur les travées du groupe SER et du GEST.  - Justement !

M. Bruno Retailleau .  - Il n'y a pas d'un côté le camp de la dignité, de l'autre celui de l'indignité. Le débat s'abîme quand on le polarise.

Le Sénat ne doit pas légiférer sous la pression de telle ou telle opinion publique, mais de façon rationnelle et raisonnable.

Le droit à l'IVG n'est pas menacé dans son existence même, par aucune formation politique. D'autre part, le Conseil constitutionnel l'a en quelque sorte constitutionnalisé (Mmes Laurence Rossignol et Marie-Pierre de La Gontrie le contestent), en le reconnaissant comme un élément fondamental de la liberté de la femme.

Est-il raisonnable d'importer dans notre pays un débat américain ? De vouloir un référendum sur ce sujet ? Est-il raisonnable de constitutionnaliser à tout-va -  demain peut-être sur la fin de vie ou la PMA ?

La Constitution de la Ve république n'est pas faite pour adresser des messages au monde entier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC)

M. Stéphane Ravier .  - Je l'ai dit et répété, j'ai même organisé un colloque au Sénat sur le sujet : la constitutionnalisation du droit à l'IVG est inutile et dangereuse.

Inutile, car ce droit n'est pas menacé en France. Pourquoi donc cette obsession de la gauche ? Parce qu'elle souffre d'une frustration politique. (Quelques femmes présentes en tribune se lèvent et scandent : « Protégez l'IVG ! » ; la séance est aussitôt suspendue et ces personnes sont évacuées de la tribune ; la séance est reprise après quelques instants.)

M. le président.  - Mes chers collèges, nous saurons qui a invité ces personnes -  telle est la règle. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, ainsi que du RDPI et du RDSE)

Je rappelle que, aux termes de l'article 91 du Règlement du Sénat, le public admis en tribune se tient assis, découvert et en silence ; toute personne donnant des marques d'approbation ou d'improbation est exclue sur-le-champ.

M. Stéphane Ravier.  - La loi de 1975 a été proposée par un ministre de droite, soutenue par une majorité de droite. La gauche ne l'a toujours pas digéré : elle enrage d'avoir été dépossédée de ce qui lui revenait idéologiquement de droit. Elle a donc saisi une actualité tronquée venue d'outre-Atlantique pour tenter un hold-up politique.

Chers collègues de droite, je vous mets en garde : nous sommes face à une gauche minée par son fanatisme. Elle exigera toujours plus : après l'IVG, ce sera la constitutionnalisation de l'euthanasie. Si vous posez un genou à terre, vous devrez poser l'autre, puis ramper à plat ventre. Ces fanatiques n'en ont jamais assez.

J'en appelle à votre courage : restez debout, fiers de votre vote ! Ne lâchez rien !

M. le président.  - Votre temps de parole est épuisé. (L'orateur poursuit quelques instants, mais sa voix se perd dans le brouhaha et les protestations.)

M. Philippe Bonnecarrère .  - Oublions cet incident, dont les protagonistes desservent leur propre cause.

La majorité des membres de notre groupe ne voteront pas ce texte.

Notre Constitution est notre socle, un élément de stabilité contre les événements difficiles. N'en faisons pas un recueil de dispositions sociétales.

Alors que la société française est déjà assez troublée, diffuser l'idée d'un référendum sur ce thème, c'est être bien joueur...

Enfin, les décisions de la Cour suprême américaine ne nous concernent pas. Si demain, notre système parlementaire est renversé et que le Conseil constitutionnel est amené à revenir sur sa jurisprudence, c'est que nous serons vraiment dans une situation difficile. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Alain Duffourg applaudit également.)

Mme Françoise Gatel .  - Quelle est la capacité de notre pays à faire respecter ce droit qu'une femme centriste a fait reconnaître ? Le sujet est éminemment important.

Nous sommes dans un lieu de raison et de liberté. Je soutiens l'analyse rigoureuse et factuelle de notre rapporteur.

Comment ose-t-on sous-entendre qu'il y aurait le camp des bien-pensants et celui des conservateurs, voire des mécréants ? (Mme Jacqueline Eustache-Brinio applaudit ; murmures désapprobateurs à gauche)

Il faut que chacun puisse s'exprimer. Dans le cadre d'un espace réservé, à chacun de choisir ses sujets et le temps qui leur est consacré. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains ; Mme Colette Mélot applaudit également.)

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié bis, présenté par M. Bas.

Rédiger ainsi cet article :

Après le dix-septième alinéa de l'article 34 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. »

M. Philippe Bas.  - Je propose d'effacer totalement la rédaction de l'Assemblée nationale pour prévoir que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ».

Cette formulation préserve l'équilibre de la loi Veil, à laquelle je me félicite que nous soyons tous attachés. Ce sujet reste donc législatif, mais, en cas de changement de jurisprudence du Conseil constitutionnel, la liberté de la femme enceinte de mettre fin à sa grossesse resterait préservée.

Certes, je sais que cela ne change pas la liberté réelle. Mais pourquoi se priver de l'avantage d'inscrire dans la Constitution la reconnaissance de cette liberté, à laquelle nous tenons tous ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - La commission des lois est défavorable à cet amendement contraire à la position adoptée par le Sénat en octobre dernier. Restons cohérents. La loi Veil garantit l'avortement en France : il n'y a pas lieu de constitutionnaliser ce droit alors qu'il n'y a aucune remise en cause de l'IVG.

Si cela ne change rien à l'existant, à quoi sert cet amendement ?

Le Sénat s'est toujours opposé à un droit strictement expressif. Cet amendement n'ajoute rien au droit positif. L'article 34 prévoit déjà que la loi garantit l'exercice des libertés publiques.

Il est important que la Constitution de 1958 ne soit pas un catalogue de droits et libertés, car ce serait sans fin - liberté du mariage, d'entreprendre... Simone Veil elle-même avait indiqué qu'on ne constitutionnalise pas pour le symbole, mais pour ajouter un droit nouveau.

S'il est vraiment nécessaire de constitutionnaliser la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il manque une partie du raisonnement : l'amendement ne fait pas référence à la conciliation nécessaire avec le principe de dignité de la personne humaine.

Enfin, le recours à un référendum ne serait absolument pas responsable. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC)

Mme Françoise Gatel.  - Très bien !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Monsieur Bas, contrairement à ce que vous avez dit tout à l'heure, je n'ai pas mes mains dans mes poches - ni ma langue, d'ailleurs.

Le Gouvernement a annoncé qu'il soutiendrait les initiatives parlementaires.

M. Loïc Hervé.  - Jusqu'au référendum ? Il y a une Constitution, en France !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Il y a aussi une navette. Cet amendement fait un pas vers le compromis. Dès lors, sagesse. (M. Loïc Hervé s'exclame.)

M. Max Brisson.  - Quelle hypocrisie !

Mme Laurence Rossignol.  - Le groupe SER, comme tous les groupes ayant voté la proposition de loi de Mme Vogel, votera l'amendement de M. Bas.

À tous ceux qui disent que la Constitution n'est pas un catalogue, je rappelle que le droit à l'IVG n'est pas n'importe quelle liberté. C'est la première liberté systématiquement remise en cause par tous les gouvernements illibéraux. Cela ne pourrait arriver en France ? Vous êtes bien optimistes. Écoutez la forme et le fond de l'intervention de M. Ravier. Celui-ci représente un courant politique en mesure, un jour, de gouverner le pays.

Voter cet amendement, c'est envoyer un signal aux 81 % de Français qui veulent cette constitutionnalisation. Ce vote montrera qui sont les adversaires de l'IVG. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

Protégeons la liberté des femmes ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Laurence Cohen applaudit également.)

Mme Laurence Cohen.  - Il est troublant de voir que, dès qu'il s'agit d'aborder l'IVG, le débat devient extrêmement passionné.

Plusieurs voix à droite et au centre.  - La faute à qui ?

Mme Laurence Cohen.  - Écoutez nos arguments, au lieu de vociférer.

Je vois dans l'amendement de M. Bas un signe positif : il estime qu'il y a nécessité de constitutionnaliser ce droit. L'amendement ne contient que le mot liberté, auquel je préfère celui de droit ; néanmoins, nous le voterons.

On ne devrait pas mettre n'importe quoi dans la Constitution ? Pour nous, la possibilité pour les femmes de décider d'avoir une grossesse ou non est un droit fondamental.

Des collègues d'autres camps politiques peuvent partager cela. Je vous invite à voter l'amendement de M. Bas. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)

Mme Muriel Jourda.  - Mme Cohen votera cet amendement tout en étant en désaccord avec ses termes... Pour ma part, je ne le voterai pas tout en considérant que sa rédaction apporte une amélioration.

M. Patrick Kanner.  - Allez, un beau geste !

Mme Muriel Jourda.  - Cet amendement dit exactement ce que sont les choses. L'avortement est effectivement une liberté et non un droit. Nous n'allons pas inscrire toutes les libertés dans la Constitution, sauf à la transformer en un code...

J'insiste : il n'y a pas d'un côté les partisans de l'IVG, de l'autre ceux qui s'y opposent On peut parfaitement ne pas voter ce texte et être favorable à cette liberté des femmes.

Soyons sérieux : depuis 1975, les parlementaires qui sont contre l'IVG, ce qui est leur droit, n'ont jamais déposé de texte pour revenir sur la loi Veil. Les sept modifications ont toujours visé à faciliter l'exercice de cette liberté. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Annick Billon.  - Il n'y a pas non plus les spécialistes du droit, opposés à la constitutionnalisation, et les autres. Je remercie Philippe Bas pour cette rédaction de compromis. Il ne s'agit pas d'un symbole, mais de la protection d'un droit fondamental. Je voterai l'amendement, car personne ne peut garantir que le droit à l'IVG n'est pas menacé. (Applaudissements sur quelques travées des groupes UC, SER et CRCE ainsi que du GEST)

M. Stéphane Ravier.  - Monsieur Bas, je suis étonné de votre amendement. Gaulliste, vous voulez horizontaliser la Constitution et en faire un self-service normatif... Ce que vous disiez en 2018 des inutilités constitutionnelles, à propos de la Charte de l'environnement, s'applique également ici. Sénateur attaché aux pouvoirs du Parlement, vous proposez de déposséder les parlementaires au profit du juge constitutionnel. Homme de droite, je crois, vous érigez ce droit en panacée sociétale et entérinez l'opération politique sur l'avortement menée par l'extrême gauche.

Soyez fermes sur vos convictions, chers collègues ! J'espère que vos votes ne suivront pas les vents mauvais venus de la gauche.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois.  - L'article 34 de la Constitution a pour unique vocation de répartir les compétences entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif. Le Constituant de 1958 a ainsi entendu clarifier les choses.

Cet amendement n'aura pas l'effet juridique souhaité, puisque la jurisprudence du Conseil constitutionnel continuera de s'appliquer. J'y insiste pour que chacun ait conscience des enjeux.

M. Dominique de Legge.  - Nous aurions été contents de savoir ce que compte faire le Gouvernement si l'amendement de M. Bas est adopté - ou si le texte initial est adopté. Au-delà de nous dire que vous soutenez la démarche, comment allez-vous procéder concrètement ?

Malgré tout le respect que j'ai pour Philippe Bas, quel est l'apport de son amendement ? En réalité, il ne change rien, et notre collègue le reconnaît lui-même. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio.  - Je suis triste de la nature de nos échanges. Nous devrions parler de la constitutionnalisation de l'IVG, or nous parlons de l'IVG : ce n'est pas le débat ! Je fais partie d'une génération qui doit beaucoup à Simone Veil, et je n'ai de leçons à recevoir de personne. (Mme Muriel Jourda et M. Rémy Pointereau applaudissent.)

M. Loïc Hervé.  - (Protestations sur les travées du groupe SER) Je doute avant de décider et je n'ai aucune certitude. Ce débat me fait cheminer. Ce dont je suis sûr, en revanche, c'est que la rédaction constitutionnelle que nous devons choisir doit être pesée au trébuchet. Nous en sommes à quatre rédactions. L'amendement de Philippe Bas ne fait même plus mention de l'IVG. Certains souhaitent tellement une constitutionnalisation qu'ils sont prêts à accepter n'importe quelle rédaction...

On nous dit que c'est une rédaction de compromis, mais entre qui et qui ? Cette quatrième rédaction pose une vraie difficulté. Je voterai contre.

M. Bruno Retailleau.  - L'amendement de M. Bas, s'il est adopté, vaudra adoption de la proposition de loi ; il faut que chacun en soit bien conscient.

Cet amendement est superfétatoire.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Pas la peine de se battre, alors !

M. Bruno Retailleau.  - Je ne vois aucune raison de modifier le vote d'octobre dernier. La cohérence est une vertu politique. On nous parle de signal, de symbole. La politique doit être d'abord connectée au réel, sinon les Français se déconnecteront de la politique. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)

L'amendement n°1 rectifié bis est mis aux voix par scrutin public de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°119 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 318
Pour l'adoption 166
Contre 152

L'amendement n°1 rectifié bis est adoptéet l'article unique est ainsi rédigé.

En conséquence, la proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et sur quelques travées du groupe UC ; Mmes Anne Ventalon et Elsa Schalck applaudissent également.)

Avis sur des nominations

Conformément aux dispositions du cinquième alinéa de l'article 13 et à celles de l'article 65 de la Constitution, la commission des lois a fait connaître qu'elle a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis sur la nomination de Mme Élisabeth Guigou (2 voix pour, 29 voix contre) et un avis sur celle de M. Patrick Titiun (6 voix pour, 20 voix contre) aux fonctions de membre du Conseil supérieur de la magistrature par M. le Président de la République.

Conformément aux mêmes dispositions, la commission des lois a également émis un avis sur la nomination de Mme Dominique Lottin (22 voix pour, 7 voix contre) et un avis sur celle de M. Patrick Wachsmann (11 voix pour, 12 voix contre) aux fonctions de membre du Conseil supérieur de la magistrature par M. le Président du Sénat.

La séance est suspendue à 20 h 50.

présidence de Mme Laurence Rossignol, vice-présidente

La séance reprend à 22 h 20.

Mise au point au sujet d'un vote

M. Laurent Burgoa.  - Lors du scrutin n°117, M. Fabien Genet souhaitait s'abstenir.

Mme la présidente.  - Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.

Retraite de base des non-salariés agricoles

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des 25 années d'assurance les plus avantageuses, à la demande du groupe Les Républicains.

Discussion générale

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion .  - Cette proposition de loi du député Julien Dive a été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale le 1er décembre dernier. L'adoption conforme par votre commission le 23 janvier est un bon présage. Je me réjouis de ce consensus républicain.

Les retraites agricoles font l'objet d'attentes légitimes ; au-delà de cette proposition de loi, j'ai pris ce sujet à bras-le-corps en amont de la réforme des retraites, associant la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) à l'ensemble de la discussion.

Je connais l'attention du ministre de l'agriculture sur ce sujet.

L'attention portée aux retraites agricoles ne date pas d'hier. Depuis vingt ans, les réformes se sont succédé, avec toujours les mêmes objectifs : prendre en compte les spécificités agricoles et renforcer la convergence avec les autres régimes. Retraite complémentaire il y a vingt ans, garantie de retraite minimale pour les chefs d'exploitation il y a dix ans, lois Chassaigne 1 et 2 ont démontré que le consensus ne se décrète pas, mais se construit.

Les dernières avancées ont été longuement mûries depuis 2016, débattues avec les syndicats agricoles, la Fédération des retraités agricoles de France, les opérateurs, la Mutualité sociale agricole (MSA).

Les deux lois les plus récentes, votées par l'ensemble des groupes parlementaires, ont revalorisé la retraite de 30 % des retraités de 100 euros par mois en moyenne.

L'intégralité du chemin a-t-elle été parcourue ? Je ne crois pas. La sédimentation de nombreuses strates de pensions nuit à la lisibilité du système et à la confiance des jeunes agriculteurs.

Cette proposition de loi entérine le principe consensuel du calcul sur les 25 meilleures années, mais le diable se niche dans les détails. Comment la concilier avec un système hautement distributif ? Je me félicite que l'application soit reportée à 2026 plutôt que 2024, mais cela reste très ambitieux.

Le Gouvernement veut apporter des réponses à ces questions. Si la proposition de loi est définitivement adoptée, dans les trois mois, nous devrons déterminer des scénarios, sans remettre en cause des droits acquis ni fragiliser des carrières non linéaires.

Je souhaite, avec le Parlement, construire un consensus le plus large possible. Les Français nous attendent sur cet horizon de justice sociale. Marche après marche, nous construisons un consensus républicain, pour plus d'égalité et de reconnaissance des agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE ; Mme Kristina Pluchet, M. Marc Laménie et M. Jean-Claude Tissot applaudissent également.)

Mme Pascale Gruny, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Alain Duffourg applaudit également.) Il y a deux ans, notre Assemblée adoptait la loi Chassaigne 2, un an après la loi Chassaigne 1 : ces textes ont porté les retraites minimums des chefs d'exploitation, puis des conjoints et aides familiaux, à 85 % du Smic. Cette proposition de loi est la troisième pierre à l'édifice de la reconnaissance d'un monde agricole en grande souffrance.

Le mode de calcul de pension de nos agriculteurs est particulièrement illisible.

À une retraite de base, de 312 euros par mois, s'ajoute une pension proportionnelle calculée dans le cadre d'un système par points, mais intégrant des paramètres des régimes par annuité. La pension de base des assurés ayant atteint le taux plein est ensuite portée à travers la pension majorée de référence à un montant minimum de 748 euros par mois, soit le minimum contributif majoré des régimes alignés. Vient ensuite la pension de retraite complémentaire, également exprimée en points. Les seuls chefs d'exploitation justifiant de la durée de cotisation requise pour l'obtention d'une pension à taux plein dont au moins dix-sept années et demie au régime des non-salariés agricoles bénéficient d'un complément différentiel de points de retraite complémentaire (CDRCO) qui porte le montant global de la pension de l'assuré à 85 % du Smic pour une carrière complète accomplie en qualité de chef d'exploitation.

La plupart des agriculteurs perçoivent, malgré tout, des pensions très faibles, en moyenne inférieures de 700 euros par mois aux autres, celles des polypensionnés étant supérieures à celles des monopensionnés. Cela est dû à la faiblesse des revenus des agriculteurs, qui n'atteignent pas, pour une bonne part, le montant du Smic.

Il convient donc de s'interroger sur le maintien du fonctionnement par points, qui fait reposer la pension sur l'ensemble de la carrière et non les 25 meilleures années.

L'inspection générale des affaires sociales (Igas) a publié un rapport il y a une dizaine d'années, devenu en partie obsolète, mais qui nous éclaire tout de même. Un régime par annuité fondé sur les 25 meilleures années favoriserait les retraités les moins modestes au détriment des plus fragiles.

Les assurés, à moins qu'ils ne bénéficient de la pension majorée de référence qui leur assure un taux de remplacement supérieur à 50 %, verraient leurs revenus diminuer. Les pensions augmenteraient pour ceux qui ont un revenu supérieur à 12 500 euros par an et diminueraient pour les autres. De plus, les conjoints collaborateurs et les aides familiaux ne seraient plus en mesure de valider quatre trimestres par an comme le leur permet leur assiette de cotisation actuelle.

Nous préconisons de retenir la solution de l'Igas, mieux à même de limiter le nombre de perdants : passer aux 25 meilleures années tout en conservant un fonctionnement par points. Sous réserve d'une actualisation, les retraités du régime agricole verraient leur retraite augmenter de 50 euros mensuels en moyenne. Le coût de la réforme atteindrait 470 millions d'euros -  sans doute moins, compte tenu des améliorations déjà apportées par les réformes postérieures à l'étude de l'Igas.

Le régime, abondé par la solidarité nationale, a les moyens d'assumer une telle charge, son excédent approchant les 800 millions d'euros en 2026.

De fait, la MSA n'était techniquement pas en mesure de procéder à une telle réforme avant 2026. Le Gouvernement fixerait les paramètres exacts de calcul par décret.

Il serait opportun de retenir une montée en charge progressive, pour ne pas léser les assurés partis juste avant l'entrée en vigueur de la réforme.

Les organisations syndicales se disent prêtes à réfléchir à la question des conjoints collaborateurs et des exploitants les plus modestes.

Cette proposition de loi n'est évidemment pas parfaite. Elle n'encadre pas suffisamment le rôle du Gouvernement. En outre, le délai de trois mois pour la réalisation d'une évaluation complète est largement insuffisant pour une réforme de cette ampleur.

La commission aurait aimé vous proposer des amendements, mais cela aurait renvoyé le texte à l'Assemblée nationale. Pleinement consciente de la symbolique de ce texte, la commission préfère vous inviter à adopter cette proposition de loi conforme.

Tous les écoliers de France connaissent le mot de Sully : « Labourage et pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée ». (On apprécie la référence sur les travées du groupe Les Républicains.)

Pour que l'agriculture demeure à tout jamais la fierté des Français, adressons à ceux qui nous nourrissent gratitude et considération. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE ; Mme Cécile Cukierman applaudit également.)

Mme Cécile Cukierman .  - Au lendemain d'une forte mobilisation contre la réforme des retraites, j'ai une pensée pour les agriculteurs qui travaillent chaque jour difficilement pour des pensions encore très faibles.

M. François Bonhomme.  - C'est vrai !

Mme Cécile Cukierman.  - Face aux lois du marché des distributeurs, ils ne peuvent pas toujours vivre correctement de leur travail.

La situation a évolué, grâce notamment aux lois proposées par mon collègue et ami André Chassaigne : en 2021, la pension minimale est d'abord passée de 75 à 85 % du Smic, croissant de 120 euros pour une carrière complète ; en 2022, une seconde loi a étendu le bénéfice de cette mesure aux conjoints - des femmes à 97 % - dont la pension moyenne est de 600 euros.

Cette proposition de loi ajouterait un étage supplémentaire de protection des agriculteurs.

Le régime s'est construit sur des cotisations basses, dans l'idée que cette activité permettait la constitution d'un capital. Malheureusement, les aléas climatiques et les crises sectorielles ont mis à mal ce système.

Il y a là un enjeu de justice et d'équité vis-à-vis des travailleurs indépendants, dont la pension est calculée sur les 25 meilleures années. Cette proposition de loi reprend une revendication de longue date des organisations professionnelles agricoles.

Les conclusions du rapport de l'Igas il y a treize ans étaient nuancées : cela améliorait le niveau des pensions, mais essentiellement les plus élevées. Garantir à nos agriculteurs de meilleures conditions de vie et de retraite exigerait une remise à plat de leur système.

Monsieur le ministre, nous laissons la main au Gouvernement, avec une vigilance sur la modification des paramètres des retraites agricoles.

Le groupe CRCE votera en faveur de cette proposition de loi, afin d'envoyer un signal positif, de justice et de reconnaissance des agriculteurs.

Monsieur le ministre, ce soir vous avez présenté la bonne recette pour avancer : savoir prendre du temps, travailler collectivement, associer à chaque étage de la rédaction les uns et les autres. C'est ainsi qu'on obtient des votes unanimes !

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Vous allez voter ma réforme ? (Sourires)

Mme Cécile Cukierman.  - Vous devriez intégrer cette recette dans votre livre de cuisine ! (Sourires)

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Merci de votre soutien ! (Mme Cécile Cukierman s'amuse.)

Mme Nadia Sollogoub .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Marc Laménie applaudit également.) La faiblesse des revenus des agriculteurs de France pour des carrières dures, exigeantes et pénibles, est choquante.

Il n'est plus acceptable que les non-salariés agricoles perçoivent une pension inférieure de 700 euros à la moyenne de l'ensemble des retraités.

La complexité du système est inégalée et presque inutile. Les retraités agricoles ne touchent toujours pas une pension digne de leur carrière professionnelle.

Il nous est proposé de faire converger la retraite des agriculteurs avec celle des indépendants, en prenant les 25 meilleures années. C'est d'autant plus pertinent qu'ils sont les premiers soumis aux variations de revenu.

À condition de ne pénaliser aucun cotisant, ce texte emporte l'adhésion des membres du groupe UC.

La loi Chassaigne était une belle avancée, mais avait été récupérée de façon discutable par le Gouvernement, qui avait laissé entendre que toutes les pensions avaient augmenté. Or nombre d'agriculteurs sont polypensionnés ; si l'ensemble de leurs pensions atteint 85 % du Smic, la retraite agricole n'est pas éligible au complément différentiel de points de retraite complémentaire : elle ne bouge donc pas d'un centime !

Cela avait apporté de la confusion et de la frustration.

Il faut maintenant un système juste et adapté. Ne laissons pas les agriculteurs se perdre dans des méandres mathématiques.

Les retraités de l'agriculture ayant obtenu une retraite complémentaire pour pénibilité ou handicap ne sont pas exigibles aux dispositions de la loi Chassaigne, qui exige une carrière complète en trimestres et non en points : il y a un besoin urgent de réforme ! Nous sommes à votre disposition pour y travailler dans le cadre du prochain projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale (PLFRSS).

Je vous confirme notre soutien à un vote conforme. Les agriculteurs doivent être reconnus comme des chefs d'entreprise comme les autres. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Henri Cabanel .  - Voilà onze ans que la profession attend le passage aux 25 meilleures années pour les non-salariés agricoles. Cette proposition de loi répare une injustice.

La pension de tous les travailleurs agricoles est calculée sur l'intégralité de leur carrière, contrairement à tous les autres retraités, malgré la rudesse du métier : je vous le confirme, la terre est basse !

Malgré l'engagement de la profession, le sujet a été laissé en friche et n'a cessé d'être repoussé.

Si le régime des retraites des non-salariés agricoles a été construit en marge des autres, il faut le rapprocher, pour rattraper 350 euros d'injustice !

Avec Françoise Férat, dans le cadre de notre rapport sur le suicide, nous avons mesuré combien le niveau des pensions alimente un désarroi profond.

Il faut remercier André Chassaigne, qui a fait voter la loi du 3 juillet 2020 et celle du 17 décembre 2021 qui ont respectivement augmenté la retraite à 84 % du Smic et inclus les conjoints collaborateurs et aidants familiaux.

L'attractivité du métier pose problème. Les agriculteurs sont passés de 7,1 à 1,5 % de la population active entre 1982 et aujourd'hui. Il s'agit pourtant d'emplois non délocalisables.

Actuellement, plus de la moitié de nos agriculteurs ont plus de 50 ans. La MSA a jusqu'en 2026 pour adapter son système d'information. Je suis persuadé que ce texte fera l'unanimité au Sénat, comme à l'Assemblée nationale.

L'ensemble des sénateurs du RDSE votera cette proposition de loi. Il y va de l'avenir de notre agriculture, bien au-delà de l'aspect social. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI et sur quelques travées du groupe UC ; M. Serge Mérillou applaudit également.)

Mme Kristina Pluchet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Yves Détraigne et Alain Duffourg applaudissent également.) J'associe à mon intervention Laurent Duplomb, qui a eu un contretemps.

Produits laitiers, fruits et légumes, viande, céréales : chaque Français trouve chaque jour ces produits sur sa table grâce aux agriculteurs. Nous devons ces produits à Jacky ou Régis, qui ont travaillé 70 à 105 heures par semaine sept jours sur sept, et qui touchent respectivement 1 027 euros et 926 euros mensuels de retraite.

Les congés sont quasi inexistants. Le service rendu est inestimable. En sommes-nous suffisamment conscients ? Quel sort notre société réserve-t-elle à ces travailleurs ? Il n'est pas glorieux !

La retraite agricole est un montage complexe, fruit de compromis successifs. Mais comment peut-on faire perdurer cela aujourd'hui ?

Comment justifier que les agriculteurs ne bénéficient pas de la prise en compte des 25 meilleures années, contrairement à la majorité des Français, alors qu'ils sont les premières victimes des aléas ? Mettre fin à cette inégalité nous honorerait.

Soyons prudents, pour bien peser les conséquences de cette proposition de loi, afin qu'elle ne défavorise aucun agriculteur. Faisons preuve de finesse juridique. Ménageons un délai d'évaluation, car les services de la MSA seront fortement mis à contribution.

J'espère que nous aboutirons à un mode de calcul pertinent.

Nous devons voter le texte conforme, malgré des tentations de l'améliorer.

Il convient d'aller jusqu'au bout de cette proposition de loi, sans préjuger de la réforme des retraites. Je voterai bien évidemment ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du RDSE et du RDPI ; MM. Yves Détraigne et Alain Duffourg applaudissent également.)

M. Pierre-Jean Verzelen .  - Par les temps qui courent, un texte portant dans son titre le mot « retraite », dans le calme et le consensus, cela ne va pas de soi ! C'est possible, car cette proposition de loi est issue d'un travail de fond, collectif, rendu possible par le député Julien Dive, la rapporteure Pascale Gruny et le groupe Les Républicains, qui l'a inscrite sur son temps réservé.

Après les avancées des lois Chassaigne 1 et 2, cette proposition de loi est une mesure d'équité qui colle à la réalité de cette vie. Fils d'agriculteur, je sais qu'il y a autant d'agricultures que d'agriculteurs, selon les productions, les formes d'exploitation...

Je sais aussi combien ce métier est soumis à beaucoup d'aléas : gel, sécheresse, inondations, avec des effets sur les revenus ; variations des marchés, avec par exemple un prix du blé ayant varié de un à trois en quelques années - ce qui a aussi des répercussions sur l'achat des semences ou des aliments pour le bétail. Tous les ans, vous produisez le même travail, avec la même passion, mais les revenus varient.

Permettez-moi un parallèle avec le nucléaire. Il y a une quinzaine d'années, nous étions les meilleurs, avec la production la plus sûre et la plus propre. (On en doute sur les travées du GEST.) Si des choix politiques mauvais n'avaient pas été faits, nous serions autosuffisants, exportateurs et toujours les meilleurs. (Protestations sur les travées du GEST)

J'ai l'impression que nous prenons le même mauvais chemin avec l'agriculture. Si nous voulons laver plus blanc que blanc sans rien demander aux autres, nous importerons de plus en plus, y compris des produits traités avec des intrants interdits chez nous. Ces dernières années nous ont pourtant montré à quel point l'indépendance énergétique, pharmaceutique et bien sûr alimentaire était primordiale.

Cette proposition de loi constitue une mesure de soutien aux agriculteurs : c'est pourquoi nous la voterons.

Mme Raymonde Poncet Monge .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Dans le contexte de mobilisation inédite contre la réforme des retraites, cette proposition de loi nous rappelle les nombreux chantiers d'amélioration des pensions. Améliorées par les lois Chassaigne malgré quelques effets de seuil, les retraites agricoles sont encore insuffisantes.

Selon la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), elles sont les plus faibles -  800 euros en moyenne, contre 1 509 pour la moyenne des pensions françaises. Un agriculteur ayant validé tous ses droits touche 880 euros, contre 1 810 pour un retraité du régime général.

Si l'on compare la situation des unipensionnés de droit direct à carrière complète à celui des indépendants, l'écart s'amenuise mais reste encore important, puisque le montant pour ceux-ci est de 1 320 euros.

Longtemps, cette situation relative était tolérée par la promesse de la valorisation de la transmission. Mais cela comportait des biais : les exploitants s'endettaient sous la pression de la PAC qui pousse à l'agrandissement et à l'équipement pour répondre à un modèle productiviste, tout en subissant les prix du marché et la pression des industriels. Le taux d'endettement des agriculteurs atteignait 41 % en 2019. Les remboursements d'emprunts les étranglent.

Ces agriculteurs sont piégés par le modèle agricole prôné par la filière. Selon le Giec, les pertes dues aux sécheresses et canicules ont triplé ces dernières années.

Les solutions des collectivités territoriales comme les mégabassines reportent le problème. (Marques de désapprobation à droite)

En trente ans, le revenu agricole a baissé de 40 % en euros constants. Le changement de calcul des retraites sur les 25 meilleures années est bienvenu, mais attention aux effets de bord pour les petites retraites. Il est probable que cela favorise les plus hauts revenus au détriment des paysans à la carrière plate.

Une amélioration de l'effort contributif sans amélioration des droits fera peut-être des perdants, et non pas seulement des « non-gagnants ».

Notre vote en faveur de cette proposition de loi s'accompagne de notre vigilance, pour que le système gagne en lisibilité, en justice et en solidarité. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Didier Rambaud .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) En matière de retraite, les acteurs de la filière agricole ont le sentiment de vivre une injustice depuis de trop nombreuses années. Selon la MSA, 48 % des actifs agricoles feront valoir leurs droits à la retraite d'ici dix ans. Face au défi démographique, il était temps de réparer cette injustice.

Créé en 1952, le régime des non-salariés agricoles est le seul à ne pas avoir été aligné sur le mode calcul de la moyenne des 25 meilleures années. Comment s'en satisfaire ?

En 2016, la France comptait 1,3 million d'anciens agriculteurs non-salariés, dont 56 % de femmes, touchant une retraite moyenne de 900 euros bruts par mois, contre 1 430 euros pour les autres retraités. Le faible montant des retraites agricoles renforce les inégalités territoriales et la pauvreté, notamment en zone rurale.

Être chef d'exploitation nécessite une capacité de travail hors normes, une abnégation et une pugnacité remarquables. La demande des agriculteurs est donc parfaitement entendable.

Notre amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale s'étant heurté à l'article 40, je me félicite donc de l'adoption, à l'unanimité de l'Assemblée nationale, de cette proposition de loi qui aligne le calcul de la retraite des agriculteurs sur celui des salariés et indépendants.

Pourquoi retenir les 25 années d'assurance les plus avantageuses et non les 25 meilleures années de revenu ? Le système d'information de la MSA conserve les données sur huit ans maximum. Reconstituer le revenu moyen des années antérieures sur la base des points entraînerait de nouvelles injustices, puisqu'un revenu de 14 000 euros donne autant de points qu'un revenu de 7 000 euros.

L'Igas démontrait déjà en 2012 que le passage d'un régime à points à un régime par annuité défavoriserait les plus modestes.

Dans le cadre d'un système par points, appliquer la règle des 25 meilleures années reviendrait à identifier les 25 années d'assurance les plus avantageuses. Le montant de la pension correspondra donc au produit du total de points.

Un accord a été trouvé sur une réécriture de l'article 1er, tenant compte des 25 années civiles d'assurance les plus avantageuses, avec une application à compter de 2026.

Avec le vote des lois Chassaigne, le Parlement a revalorisé de 100 euros en moyenne la pension de 340 000 retraités. Il est temps que les non-salariés agricoles perçoivent une retraite plus juste.

Le vote du Sénat enverra un signal plus que positif ; le RDPI votera cette proposition de loi, symbole d'une reconnaissance attendue. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Monique Lubin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nous ne pouvons qu'être favorables à cette proposition de loi, étant donné le niveau très faible des pensions des non-salariés agricoles.

Cette proposition de loi est cependant paradoxale, en ajoutant de la complexité à un régime de retraite déjà peu lisible. Les voies de la simplification sont tortueuses...

Selon le rapport de l'Igas de 2012, il faut examiner la globalité du régime, et un alignement limité à une seule règle peut être inéquitable.

Ce projet de changement de la règle de calcul des pensions agricoles est très ambitieux. Le régime des non-salariés agricoles repose sur un système de points ; il se compose d'une retraite de base ainsi que d'une ou plusieurs retraites complémentaires, éventuellement complétées d'une épargne retraite collective ou individuelle.

La loi du 10 juillet 1952 a instauré un véritable régime d'assurance vieillesse pour les agriculteurs, mais avec une protection sociale minimale pour limiter le prélèvement sur les revenus agricoles : à l'époque, une allocation de vieillesse agricole égale à la moitié de l'allocation aux vieux travailleurs salariés.

Le régime social agricole est en proie depuis ses origines à une tension entre assurance privée et assurance sociale.

Les retraités agricoles veulent une évolution vers le régime général.

Beaucoup reste à faire. Si les lois Chassaigne ont permis d'avancer en ce sens, elles ont perdu de leur portée avec l'écrêtement introduit par amendement gouvernemental et les décrets d'application. Dès mai 2018, le Gouvernement refusait l'amendement Chassaigne visant à porter la retraite agricole minimale à 85 % du Smic, au prétexte de vouloir attendre la réforme globale des retraites. Ce fut la première de ses manoeuvres d'obstruction !

Le CRDCO est donc écrêté en fonction du montant de la retraite, tous régimes cumulés. Partout en France, les retraités ont été déçus. Un retraité agricole m'indique que le calcul prend en compte ses bonifications pour enfant. Il ne recevra pas plus de 940 euros nets par mois : la réforme lui aura fait gagner 7,44 euros....

Ces déceptions concernent aussi les polypensionnés. Leur situation est souvent désavantageuse, car est pris en compte le premier régime d'affiliation, des années souvent mal payées qui auraient sinon été exclues du calcul...

L'adoption à l'Assemblée nationale d'un amendement imposant la remise dans les trois mois d'un rapport au Parlement permettra peut-être d'y voir plus clair. Mais les délais sont courts pour un dossier aussi complexe. Ce rapport présentera les scénarios envisagés, les modifications législatives possibles, les conséquences sur les cotisations, les pensions et l'équilibre financier du régime...

L'amendement de Mme Poncet-Monge l'enrichit en ciblant les conséquences possibles du mode de calcul retenu qui, selon l'Igas, pourrait avoir des effets antiredistributifs.

Ce rapport est une bonne réponse à ces potentiels écueils. Le groupe SER votera cette proposition de loi, en espérant une application juste. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. Alain Duffourg .  - (M. Michel Canévet applaudit.) Le portefeuille de l'agriculture est désormais aussi celui de la « souveraineté alimentaire », signe de la reconnaissance de la Nation envers ceux qui la nourrissent. Pourtant, nos agriculteurs ne touchent que de maigres retraites : il a fallu attendre les lois Chassaigne pour qu'elles atteignent de 85 % du Smic.

Cette proposition de loi, qui prévoit le calcul de la retraite de base des non-salariés agricoles sur les 25 années d'assurance les plus avantageuses, est d'autant plus justifiée que la réforme était attendue depuis une dizaine d'années. Il était temps de réparer une situation inéquitable pour les agriculteurs.

Dans le Gers, les agriculteurs ont subi de nombreux aléas : influenza aviaire, gel, sécheresse, grêle ont entamé leur activité et leurs revenus. En dix ans, la main-d'oeuvre agricole a baissé de 22 %, le nombre d'exploitations, de 13 %. À cela s'ajoutent les défis climatiques, énergétiques, de transmission...

Alors que la pension moyenne des Français est de 1 500 euros, celle des agriculteurs est de 800 euros. C'est en dessous du seuil de pauvreté ! Pourtant, les agriculteurs travaillent 54 heures par semaine, 90 % travaillent le week-end...

Bien entendu, le groupe UC soutiendra cette réforme, qui s'appliquera en 2026 comme le souhaite la MSA. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Michel Canévet.  - Bravo !

M. Christian Klinger .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le régime des non-salariés agricoles s'est construit en marge du régime général de la sécurité sociale. Créé en 1952, il comporte un niveau forfaitaire et un niveau proportionnel. Ce dernier repose sur l'acquisition de points cotisés dont le mécanisme diffère selon le statut de l'assuré. Je vous perds ? C'est normal, tant le système est complexe...

Les agriculteurs sont les derniers à voir leur retraite calculée sur l'intégralité de leur carrière. C'est une double peine : celle de celui qui subit les aléas climatiques et sanitaires, celle de celui qui subit les conséquences de ces aléas lors du calcul de sa retraite. Rappelons que la retraite des indépendants se calcule sur les 25 meilleures années, celle des fonctionnaires sur les six derniers mois...

Pourtant, en 2021, au Salon de l'agriculture, le Président de la République estimait impossible de revaloriser les pensions agricoles.

Non, les agriculteurs ne sont pas des actifs de seconde zone. La loi Chassaigne 1 a revalorisé les pensions agricoles à 85 % du Smic, la loi Chassaigne 2 a intégré les conjoints et aidants familiaux.

Faisons cesser cette injustice, donnons des perspectives meilleures aux jeunes agriculteurs qui s'installent.

Les agriculteurs sont les actifs qui travaillent le plus, avec 54 heures hebdomadaires en moyenne ; neuf sur dix travaillent le week-end, la majorité ne part jamais plus de trois jours consécutifs en vacances.

Une pension s'élève à 1 810 euros brut pour un retraité du régime général, et à 880 euros brut pour un retraité agricole - sous le seuil de pauvreté, après une carrière passée à nous nourrir !

Alors que 50 % des actifs agricoles prendront leur retraite d'ici dix ans, sachons rendre ce secteur plus attractif.

Nos collègues Duplomb, Louault et Mérillou, dans leur rapport sur la compétitivité de la ferme France, dressent un constat terrible. Certes, la balance commerciale est encore excédentaire de 8 milliards d'euros pour le secteur agricole, mais pour combien de temps ? En vingt ans, la France est passée du deuxième au cinquième rang, ses parts de marché reculent. En trente ans, 57 % des exploitations ont disparu. Les surfaces agricoles utilisées se réduisent et les investissements sont en berne.

Malgré les difficultés, reconnaissons que c'est aussi un métier merveilleux, porteur de sens et d'avenir, qui nous offre des produits de grande qualité.

La guerre en Ukraine nous rappelle que nous avons besoin d'une souveraineté agricole effective, ce qui passe par une politique de protection de nos agriculteurs. Sachons protéger les sortants et donnons des garanties aux entrants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et SER ; Mme Cécile Cukierman applaudit également.)

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Je me félicite de l'unanimité qui se dégage, elle nous aidera à affronter les difficultés techniques. Nous rendrons le rapport promis au Parlement.

Madame Sollogoub, pour bénéficier de la garantie prévue par les lois Chassaigne 1 et 2, les agriculteurs doivent avoir eu une carrière complète. Or parfois ils doivent partir plus tôt en raison d'une incapacité physique constatée par un médecin.

Le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale portant réforme des retraites, que je défendrai bientôt devant vous, prévoit de réparer cette difficulté, et élargira le bénéfice de cette mesure à 45 000 exploitants supplémentaires. (Mme Nadia Sollogoub s'en félicite.)

Discussion des articles

ARTICLE 1er

Mme Gisèle Jourda .  - Je m'exprime avec émotion car la marche pour réparer l'injustice fut longue. Au motif que le système agricole était différent du système général, on a freiné pendant des décennies toute remise à plat. Après les débats de 2018 puis de 2020, nous nous retrouvons enfin dans un climat propice aux avancées. Ce n'est que le rattrapage d'une iniquité. Nous sommes le 1er février 2023 et on nous parle de 2026, dans trois ans. C'est bien long !

Face à la volonté parlementaire, il faudrait donner un coup de collier pour que ceux qui déposeront demain leur dossier voient des changements.

Je suis heureuse de contribuer positivement à ce vote, mais je m'interroge sur l'application en 2026.

M. Marc Laménie .  - Je salue l'initiative des députés Les Républicains pour cette proposition de loi adoptée à l'unanimité, ainsi que le travail de notre commission des affaires sociales, de sa rapporteure et de sa présidente.

On a rappelé la faiblesse des pensions agricoles, la complexité du régime. Nos agriculteurs subissent de nombreuses contraintes, entre aléas climatiques, sanitaires et économiques. La pension moyenne des non-salariés agricoles est inférieure de 700 euros par mois à celle de l'ensemble des retraités.

Cette proposition de loi apporte un soutien à toute la ruralité. C'est un message d'équité, de justice et de reconnaissance vis-à-vis du monde agricole. Je la voterai, bien entendu.

M. Jean-Claude Tissot .  - Il faut se féliciter des avancées obtenues depuis 2020, et je salue tout particulièrement le travail d'André Chassaigne.

Effectivement, on peut s'interroger sur la lenteur des réformes, sachant que l'écart dans le niveau de pension atteint 930 euros pour une carrière complète. Le rapport de l'Igas date de mars 2012... La date d'entrée en vigueur de cette réforme, en 2026, nous interroge. Le Gouvernement agit plus rapidement quand il s'agit de supprimer l'ISF ou la CVAE !

Nous resterons vigilants sur les effets pervers potentiels de la réforme. Le rapport au Parlement sera le bienvenu.

Mme Frédérique Espagnac .  - La France compte 1,3 million de retraités non-salariés agricoles, qui touchent en moyenne 1 150 euros brut, contre 1 500 euros pour les autres assurés. Cette proposition de loi met fin au mode de calcul fondé sur la totalité de la carrière, injuste et sans équivalent.

Le bon sens paysan doit nous conduire à aligner ce mode de calcul sur les autres retraites. Ce sujet connexe du débat sur les retraites ne saurait être passé sous silence.

Sans augmentation significative des revenus d'activité des agriculteurs, leurs pensions demeureront toujours faibles. Ce texte est imparfait, mais sera vecteur de progrès pour le monde paysan. Nous le voterons donc.

Nous nous interrogeons toutefois sur sa date d'entrée en vigueur : trois ans, c'est beaucoup trop long.

Par ailleurs, quid des compagnes d'agriculteur qui ne peuvent justifier de 25 années de cotisation, voire n'ont pas cotisé ? Il faudra remettre l'ouvrage sur le métier pour elles.

La mise en oeuvre de la réforme devra préserver les retraites les plus faibles, nous y veillerons.

Mme la présidente.  - Amendement n°3, présenté par Mmes Poncet Monge et M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Salmon, Parigi, Labbé, Gontard, Fernique et Dossus, Mme de Marco et M. Dantec.

I.  -  Alinéa 4

1° Remplacer le mot :

trois

par le mot :

six

2° Après le mot :

loi,

insérer les mots :

après consultation de l'ensemble des parties prenantes,

II.  -  Alinéa 5 :

Après les mots :

présent II

insérer les mots :

étudie les paramètres choisis pour l'application du même article L. 732-24-1 en considérant particulièrement les scénarios qui permettent à une large majorité d'assurés de voir leur pension revalorisée et permettent une revalorisation significative des pensions les plus faibles. A ce titre, il

III.  -  Alinéa 6 :

Après le mot :

retenus

insérer les mots :

, précisés par des simulations chiffrées pour les différentes catégories d'assurées,

IV.  -  Alinéa 8 :

Compléter cet alinéa par les mots :

, notamment afin de revaloriser les pensions agricoles les plus faibles : des non-salariés des professions agricoles aux revenus les plus faibles, des non-salariés des professions agricoles ayant exercé sous un statut autre que chef d'exploitation, que ce soit en tant que conjoint collaborateur, ou aide familial, des non-salariés des professions agricoles ne bénéficiant pas d'une carrière complète, des non-salariés des professions agricoles concernés par les dispositifs d'écrêtement à 85 % du SMIC, qui les prive de différents mécanismes de bonification, et des non-salariés des professions agricoles poly-pensionnés. Les mesures proposées prendront spécifiquement en compte l'amélioration des droits des assurés qui ne bénéficient pas des minimas de pensions ;

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Le rapport doit examiner l'ensemble des pensions des polypensionnés. L'Igas a montré que la réforme risquait de favoriser les plus hauts revenus, sans bénéficier aux petites et moyennes retraites, dégradant la solidarité du régime.

Nous devons au monde agricole la certitude que cette réforme ne pénalisera personne et corrigera les dysfonctionnements actuels. Cette proposition de loi doit apporter davantage de garanties, avec des simulations chiffrées. C'est pourquoi le délai de remise du rapport devrait être de six et non de trois mois.

Mme Pascale Gruny, rapporteur.  - Cet amendement allonge le délai accordé au Gouvernement pour la remise du rapport et pose le principe de consultation des parties. Effectivement, trois mois, c'est court.

Demande de retrait ou avis défavorable, car nous voulons un vote conforme, pour une adoption rapide.

Le Gouvernement devra proposer des mesures renforçant la redistribution envers les plus fragiles.

Le Gouvernement entend renforcer le soutien aux plus faibles dans le PLFRSS. Dans le cadre du relèvement de 39 000 à 100 000 euros du seuil de récupération sur succession des sommes versées au titre de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), il est prévu d'exclure le capital agricole.

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Même avis.

M. René-Paul Savary.  - Tenter en trois mois de gommer la complexité d'un régime bâti au fil des ans, c'est un joli travail en perspective !

Mme Poncet Monge met le doigt sur de réelles difficultés. Il ne faudra pas qu'il y ait de perdants. S'il n'y a que des gagnants, cela signifie qu'il faut de nouvelles recettes. Il faudra des estimations pertinentes de la solidarité nationale. Bon courage, monsieur le ministre !

Il y a cinq ans, vous nous vendiez un système de retraite par points. Vous avez changé d'avis. Cela méritait d'être souligné. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Les non-gagnants ne doivent pas devenir des perdants. J'espère que la réforme des retraites sera retirée et qu'on évitera le problème des 100 000 euros récupérés sur succession...

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Madame Poncet Monge, nous partageons vos préoccupations. Monsieur Savary, je ne suis pas très occupé : nous aurons donc le temps d'avancer ! (Sourires)

L'amendement n°3 est retiré.

L'article 1er est adopté.

APRÈS L'ARTICLE 1er

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par M. Lahellec et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le quatrième alinéa de l'article L. 732-63 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les personnes mentionnées au présent I pour lesquelles il est reconnu une incapacité permanente au sens de l'article L. 732-18-3 bénéficient d'un complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire, dès lors qu'elles remplissent les conditions leur permettant de prétendre à une pension à taux plein du régime d'assurance vieillesse de base des personnes non salariées des professions agricoles et qu'elles justifient d'une période minimale d'assurance accomplie en qualité de chef d'exploitation ou d'entreprise agricole, à titre exclusif ou principal. »

M. Gérard Lahellec.  - Cet amendement vise la justice sociale. Depuis les lois Chassaigne, nous avons constaté que des personnes mises à la retraite à 60 ans pour accident, handicap ou invalidité sont exclues des revalorisations. Or elles doivent être traitées comme des retraités de plein droit.

Mme Pascale Gruny, rapporteur.  - Le PLFRSS comporte une disposition de même nature. Attendons donc l'examen de ce texte. Retrait ou avis défavorable.

M. Olivier Dussopt, ministre.  - Cette disposition est effectivement incluse dans le PLFRSS. Si vous la souteniez, je n'en tirerais aucune conclusion sur votre position à l'égard du reste du texte... (Sourires)

M. Gérard Lahellec.  - Compte tenu de notre attachement à un vote conforme, nous retirons l'amendement, mais saurons faire le nécessaire le moment venu.

L'amendement n°1 est retiré.

La proposition de loi est définitivement adoptée.

Mme Pascale Gruny, rapporteur.  - Nous envoyons un message fort à nos agriculteurs. C'était très attendu. Bon courage, monsieur le ministre, pour ce rapport à rendre en trois mois ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI)

Prochaine séance demain, jeudi 2 février 2023, à 10 h 30.

La séance est levée à 23 h 50.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 2 février 2023

Séance publique

De 10 h 30 à 13 h, de 14 h 30 à 16 h à l'issue de l'espace réservé au GEST et, éventuellement, le soir

Présidence : M. Vincent Delahaye, vice-président, Mme Pascale Gruny, vice-président, Mme Valérie Létard, vice-présidente

Secrétaires : M. Dominique Théophile - Mme Corinne Imbert

1. Proposition de loi visant à renforcer l'action des collectivités territoriales en matière de politique du logement, présentée par M. Ronan Dantec et plusieurs de ses collègues (n°217, 2022-2023)

2. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à réhabiliter les militaires « fusillés pour l'exemple » durant la Première Guerre mondiale (n°356, 2021-2022)

3. Suite de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à protéger les logements contre l'occupation illicite (texte de la commission, n°279, 2022-2023) (demande du RDPI)