Nombre minimum de soignants par patient hospitalisé
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé, présentée par M. Bernard Jomier et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
M. Bernard Jomier, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) À la mi-janvier, les infirmières de l'État de New York ont obtenu, à l'issue d'un mouvement massif, des ratios de soignants par patient.
Il n'y a pas que la France qui a voulu résoudre ses contraintes budgétaires en réduisant le nombre de soignants ou le nombre de lits... Couplée à la stagnation des rémunérations, cette ligne a eu le même effet partout : les soignants ont quitté l'hôpital.
Pour y remédier, il faut améliorer les rémunérations et diminuer la charge de travail. Le Ségur a apporté des réponses au premier point, mais cela ne suffit pas. Nous avons longuement écouté la colère des soignants pendant les travaux de commission d'enquête rapportée par Catherine Deroche ; ils aiment leur métier, mais ils ne veulent plus rentrer chez eux en ayant l'impression d'avoir été maltraitants, faute de temps. L'unanimité a été frappante : il n'y a pas assez de soignants ; et en effet, leur nombre a été réduit au fil des années.
Il faut revenir à un ratio de soignants par patient plus élevé. D'autres pays l'ont fait, autour de six à dix patients par infirmier, avec de nombreux effets positifs : amélioration de la qualité des soins, moins de complications, hospitalisations plus courtes, diminution des infections nosocomiales et des erreurs médicamenteuses. Le coût y a été compensé par les économies générées.
En France, des ratios existent déjà : les budgets de tous les hôpitaux intègrent un nombre de douze à quinze patients par infirmière, alors que dans les pays comparables, c'est entre six et dix patients.
Lors des travaux préparatoires à l'examen de notre texte, les organisations professionnelles et les syndicats ont tous considéré que de tels ratios étaient indispensables pour stopper l'hémorragie des soignants.
Le texte de la commission des affaires sociales prend en compte les remarques sur la progressivité et sur l'adaptation aux différentes spécialités.
Karl Popper l'a dit : « Il faut une règle du jeu, et il faut du jeu dans la règle. » La souplesse, oui ; le renoncement, non. Ceux qui les refusent appliquent pourtant des ratios financiers avec la plus grande rigueur...
Selon une enquête de 2022, le principal critère qui fait partir les soignants - et pourrait les faire revenir - n'est pas la rémunération, mais l'adaptation des plannings et le ratio de soignants par patient. Dans son rapport du 17 novembre 2022, le collège de la Haute Autorité de santé (HAS) confirme cette analyse.
Je sais l'engagement de chacun d'entre vous, mes chers collègues, pour que les établissements de vos territoires retrouvent leur attractivité. La mesure que je vous propose, avec la commission des affaires sociales, est une réponse à ce défi, attendue par les soignants.
En votant ce texte, nous leur enverrons un premier signal : la qualité et la sécurité des soins seront la règle. Nous enverrons aussi un signal au Gouvernement : il devra fonder sa politique sur ces deux critères. L'heure n'est plus aux paroles, mais aux actes ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; MM. Bernard Fialaire, Marc Laménie et Mme Catherine Belrhiti applaudissent également.)
Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la commission des affaires sociales . - Le Sénat n'a pas eu la révélation de la situation de l'hôpital lors de la crise du covid, comme en témoignent les discussions heurtées sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020, sur fond de grève des urgences et d'annonces présidentielles inopinées...
Malgré le travail du Sénat, l'action du Gouvernement au service de l'hôpital peine à trouver l'élan nécessaire - chacun appréciera l'euphémisme.
Les soignants sont épuisés de ne plus pouvoir assurer correctement leur travail, épuisés par les gardes de nuit et de week-ends, épuisés de voir les équipes se déliter. Bien que nécessaire, le Ségur n'a pas répondu à tous les enjeux : l'activité n'a pas retrouvé son niveau d'avant covid.
Le rapport de la commission d'enquête sur l'hôpital avait pour titre « Sortir des urgences » ; autrement dit : redonner du temps aux soignants, donc au soin. La présidente Deroche demandait l'adoption de standards capacitaires : la proposition de loi déposée par Bernard Jomier traduit cette recommandation.
La commission des affaires sociales a souscrit au dispositif proposé, amendé sur mon initiative. Est-il un bon moyen pour améliorer le niveau de vie des soignants ? Oui. Est-ce le seul ? Non. La Californie et le Queensland, en Australie, ont démontré son intérêt. La qualité de vie des soignants et la santé publique s'améliorent ; c'est ce que reconnaît la littérature scientifique, selon la HAS. C'est la condition nécessaire pour faire revenir les soignants vers l'hôpital.
Monsieur le ministre de la santé a déclaré qu'il ne fallait, sur ce sujet, de mesures « ni brutales ni uniformes ». Ce texte n'est ni brutal, ni uniforme. Les ratios de qualité devront différer selon les différentes activités hospitalières à partir d'une évaluation de la charge en soin, dans certains cas service par service.
Lors des auditions, j'ai beaucoup entendu parler de la mesure de la charge en soins - mais pourquoi cela n'a-t-il jamais été fait ? Voilà trente ans que le sujet est soulevé, et on peine encore à se doter d'outils ! Grâce à la proposition de loi, ils deviendront une priorité.
La commission a prévu que les commissions médicales d'établissement (CME) et les comités de soins infirmiers, de rééducation et médicotechniques (CSIRMT) puissent avoir leur mot à dire.
Notre approche n'est pas brutale : les ratios ne sont pas des couperets, mais des fourchettes. Nous prévoyons une entrée en vigueur progressive du dispositif. Personne n'aurait cru à une mise en oeuvre au 1er juillet 2023. La commission a veillé à la crédibilité du dispositif, en prévoyant une mission de la HAS qui rendra ses conclusions au plus tard le 31 décembre 2024 ; après quoi, le Gouvernement aura deux ans pour établir des ratios de référence par voie réglementaire.
La commission a distingué les ratios de sécurité qui existent déjà dans certains services comme la néonatologie, en soins intensifs ou pour l'insuffisance rénale chronique, et les nouveaux ratios de qualité. L'insuffisance à l'égard de ceux-ci n'entrainerait pas ipso facto de fermetures de lits ou de services, mais une alerte à l'ARS, qui devra agir. Les fermetures de lit, c'est ce que vivent les hôpitaux aujourd'hui !
Madame la ministre, point de rigidité dans notre approche. La commission des affaires sociales n'oublie pas d'autres aspects pour stimuler le recrutement. Faut-il évoquer la suppression de l'entretien de motivation dans Parcoursup, l'inadéquation de la maquette de formation en soins infirmiers, ou l'accès au logement ?
Tous les soignants sont unanimes : ce texte n'est qu'une première brique, mais elle est indispensable. En fait, nous votons une loi de programmation. J'espère que le Sénat adoptera ce texte et que l'Assemblée nationale fera de même. Je compte sur le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Évelyne Perrot applaudit également.)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé . - Nous souscrivons à l'objectif de ce texte. Face aux tensions que connaissent nos services hospitaliers, nous devons agir afin d'offrir « un cadre de travail décent et bien-traitant pour les soignants » - je cite l'exposé des motifs de M. Bernard Jomier - en vue de bien soigner les patients.
Le texte tend à établir au plan national un nombre minimal d'infirmiers et d'aides-soignants présents au chevet des patients. Le but est légitime, mais adopter le texte serait contreproductif. (Mme Émilienne Poumirol le conteste.)
Lors de ses voeux au monde de la santé, le Président de la République a rappelé que notre méthode consistait à « élaborer de meilleures méthodes collectives ». Cela suppose plus d'agilité, afin que chaque service puisse s'adapter en temps réel. Les solutions se construisent localement. C'est pour cela que nous insistons sur la place du service, qui doit être conforté en vue de retrouver de la souplesse et de la pertinence.
L'établissement de ratios fixés par la HAS va à l'encontre de cette méthode, car les besoins et les capacités d'action ne sont jamais les mêmes. Il ne saurait être question de standardiser ; il vaut mieux allouer les ressources humaines en fonction des besoins. Trop longtemps, les hôpitaux ont pratiqué une gestion normée à l'excès : ce n'est pas avec des tableaux Excel que nous répondrons aux enjeux de l'hôpital.
Le binôme chef de service-cadre de santé est fondamental. Avec François Braun, nous lui réaffirmons notre confiance. Les managers doivent être en mesure de bâtir de nouveaux modèles de management : chacun doit être mieux reconnu pour fidéliser les professionnels, car nous savons qu'un soignant qui se sent bien est un soignant qui soigne mieux. C'est ainsi que nous agirons réellement pour améliorer la vie des patients et des soignants.
Bien sûr, certains services souffrent d'un manque de personnel. Nous devons aborder le sujet avec pragmatisme. Toutefois, même avec les meilleures intentions du monde, la question ne serait pas réglée avec ces ratios. La coercition n'est pas la réponse à tous les maux. Nous appelons à la responsabilisation des directions et des équipes de terrain.
Nous nous attaquons également aux causes structurelles en vue d'augmenter le nombre de soignants : je pense à la suppression du numerus clausus, au travail mené avec les conseils régionaux pour rénover la formation des infirmiers, au développement de l'apprentissage, à la valorisation des acquis de l'expérience, aux contrats d'engagement de service public, à l'extension de la prime de soins critiques, aux mesures relatives au travail de nuit, à la mobilisation dans les territoires pour faciliter la vie des soignants.
Notre politique est globale : nous travaillons sur le court et le long terme. Décréter des ratios ne réglerait rien. Leur rigidité aggraverait même les problèmes. Des questions concrètes se posent : que se passe-t-il si les hôpitaux ne parviennent pas à recruter suffisamment ? Nous devrons faire face à de nombreux effets collatéraux, comme des rappels de personnes, des fermetures de lits ou de services par exemple.
Mme Laurence Cohen. - Il faut plus de moyens ! (Mme Émilienne Poumirol et M. Bernard Jomier acquiescent.)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - L'hôpital a tenu grâce à la mobilisation des soignants. Ces derniers ont su trouver des solutions innovantes pour travailler avec la médecine de ville, par exemple. Si des ratios rigides étaient institués, il y aurait des fermetures de lits.
Mme Catherine Deroche. - Il y en a déjà !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Les chantiers que nous avons ouverts visent à régler ces tensions. Mais c'est dans un cadre managérial flexible que les choses progresseront.
Les ratios ouvrent des questions juridiques majeures : que se passe-t-il si l'hôpital ne respecte pas les ratios, ou si un patient est refusé pour éviter de mettre le ratio en péril ?
La responsabilité de l'hôpital et de sa direction serait alors directement mise en cause.
Enfin, le dispositif envisagé ne s'applique qu'aux établissements de santé publique. Le texte aggraverait les disparités que nous combattons entre public et privé.
Le Gouvernement est défavorable à la proposition de loi. N'y voyez pas un renoncement : jamais nous ne reculerons devant la nécessité de conforter les effectifs au service des patients. Mais nous ne croyons pas à la coercition. (Protestations sur les travées du groupe SER) Il faut tout faire pour redonner envie aux professionnels de s'engager à l'hôpital, en leur permettant de travailler en fonction de leurs besoins et de leurs contraintes. (M. Laurent Burgoa ironise.) Il faut faire confiance aux professionnels de santé, accompagnés par un effort inédit.
Les objectifs de cette proposition de loi sont légitimes : il faut redonner du temps aux professionnels de santé, au service de la population. Faisons confiance au terrain, à sa capacité à co-construire des solutions. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Michel Canévet et Mme Jocelyne Guidez applaudissent également.)
M. Olivier Henno . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) J'avoue être partagé, à l'image des membres de mon groupe. Je ne doute pas des bonnes intentions de M. Jomier, et je comprends pourquoi cette proposition de loi est discutée : elle traduit une préconisation de la commission d'enquête sur l'hôpital, qui a constaté la dégradation de notre système hospitalier et la lassitude des soignants. Pour ma part, ce sera un « oui, mais ».
La crise du covid a été éreintante pour les soignants. Le climat est toujours tendu. En cas d'accident médical, le juge peut retenir la responsabilité de l'établissement s'il considère que le nombre de soignants était insuffisant.
Cette proposition de loi se fonde sur des expériences étrangères ayant porté des améliorations significatives. Mais il y a quelque chose de terrible à comparer notre système de santé avec ceux de la Californie ou de l'Australie ! Cela n'aurait pas été le cas il y a quelques années.
Cette proposition de loi se veut une loi de programmation : il n'est pas réaliste d'attendre des mesures rapides.
Si cette proposition de loi laisse jusqu'au 31 décembre 2024 à la HAS pour définir les ratios, l'attractivité, la rémunération et le bien-être doivent être travaillés en profondeur. Près de 10 % des emplois infirmiers ne sont pas pourvus aujourd'hui. Comment résoudre cette pénurie de personnel ? Il n'est pas sûr que la proposition de loi suffise...
Les soignants ont besoin de conditions de travail dans lesquelles ils se sentiront utiles. Or les ratios s'apprécient plus sur le plan quantitatif que qualitatif. Les Français ressentent une défiance envers notre système de santé. Les multiples initiatives parlementaires ne me semblent pas apporter de remède ; j'ai même l'impression qu'elles contribuent à stresser les soignants.
La notion de ratio, pour ne pas dire de rationnement, fait toujours écho à celle de pénurie, mais elle est rarement la solution. Notre système est extrêmement fragile. Je crois plus à une grande loi Santé qui remettrait en question le sens du travail. (Mme Émilienne Poumirol proteste.)
Des ratios pour les soignants, et demain pour les enseignants ? Ou pour les services municipaux, et là, bon courage !
Mme Laurence Rossignol. - Cela existe !
M. Olivier Henno. - La proposition de loi pose une bonne question, car le Ségur n'a pas résolu le malaise de l'hôpital. Mais nous avons un doute. (« Bravo » et applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme Véronique Guillotin . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI) Cette proposition de loi établit des ratios de soignants par patient dans les hôpitaux publics et privés à but non lucratif. Elle a ainsi pour but de répondre à une pénurie de soignants, ces ratios qualitatifs étant décrits comme des fourchettes.
L'hôpital va mal : on ne compte plus les témoignages de patients ayant passé 24 à 48 heures aux urgences. Le système est maltraitant tant pour les soignés que pour les soignants. Il faut davantage d'effectifs, c'est certain. Le Président de la République lui-même le dit.
Les patients font face à des risques accrus, tout comme les soignants, qui font face à une perte de sens, et à des arrêts maladie en pagaille.
L'intention d'améliorer l'accueil des patients et les conditions de travail des soignants est louable, mais des questions quant à l'efficacité des mesures se posent. Le délai de trois jours pour alerter l'ARS pose problème : et ensuite ? Comment l'ARS pourrait-elle trouver des soignants ? Les hôpitaux ne seraient-ils pas tentés de recourir davantage à l'intérim, contre lequel nous luttons ?
Les soignants n'apparaîtront pas d'un coup de baguette magique. Il n'y a pas de candidats ! Il faut augmenter les places de formation, réfléchir à la validation des acquis de l'expérience (VAE), revoir le financement des formations dans les parcours professionnels. Il faut aussi revoir le financement des hôpitaux : il y a urgence à sortir de la tarification à l'activité (T2A) et des indicateurs comme la durée moyenne de séjour.
Sans une vision à 360 degrés, cette proposition de loi risque de rester incantatoire. J'entends l'importance d'envoyer un signal positif aux soignants, mais soyons efficaces : on ne peut plus leur vendre du rêve. Une grande partie de mon groupe est sceptique, et s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
Mme Catherine Belrhiti . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le dévouement des soignants est exemplaire. Outre la reconnaissance de la Nation, il exige un soutien renforcé. Le rapport d'information réalisé à la demande du groupe Les Républicains par Catherine Deroche nous y invitait il y a moins d'un an, en formulant des recommandations concrètes. La proportionnalité des moyens hospitaliers était déjà mise en avant.
L'amélioration des capacités d'accueil des services d'urgence devrait retenir toute notre attention. La conversion de cette recommandation en proposition de loi nous oblige. Des indicateurs stables doivent être renforcés pour mieux piloter nos politiques de santé, préciser les besoins des hôpitaux et leur affecter les besoins utiles.
Les derniers textes budgétaires ont préservé les hôpitaux de toute économie malvenue. Afin de permettre une bonne exécution budgétaire, nécessité se fait sentir de disposer d'indicateurs fiables, que cette proposition de loi met en place.
Ces seuils doivent se traduire en des objectifs réalistes. La fixation de ratios minimaux entre soignants et lits ouverts exprime le souci d'un accueil rationalisé des soignants. Un tel ratio doit effectivement inclure le personnel de santé réellement disponible pour les patients.
D'autre part, ces ratios doivent être encore plus réalistes. Les rigidifier reviendrait, en période de pénurie, à rompre les promesses de soutien.
Le groupe Les Républicains s'est donc attaché à garantir le caractère praticable de ces ratios, afin de lier ces objectifs à une croissance des moyens des hôpitaux.
Ces ratios pourront être modulés compte tenu de circonstances locales. Ils seront lissés dans le temps grâce à une politique de santé réaliste soucieuse d'accompagner ensemble patients, soignants et établissements.
Ces ratios portent une forte charge symbolique pour nos soignants. Ils apportent une première pierre au soutien de nos hôpitaux. Les métiers de santé relèvent d'une vocation, mais le service public ne doit pas être synonyme de sacrifices quotidiens. Les conditions de travail doivent être améliorées. La proposition de loi ne prévoit aucune fermeture de lit.
Préciser l'équilibre permet d'assurer de meilleurs soins, et d'augmenter les moyens des hôpitaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe SER)
M. Daniel Chasseing . - La pandémie a mis en lumière les difficultés rencontrées par les soignants à l'hôpital. Beaucoup d'entre eux ont choisi de changer de métier, les conditions de travail s'étant dégradées. Le Ségur de la santé a été l'occasion d'augmenter leur rémunération, mais cela n'a pas suffi.
Cette proposition de loi garantit un ratio minimum de soignants par lit ouvert, afin d'assurer une prise en charge de qualité. De tels ratios existent aujourd'hui seulement pour certains services, mais ils seraient nécessaires pour tous, notamment pour garantir un dialogue avec le patient. Prendre soin, ce n'est pas seulement effectuer un soin, c'est aussi considérer le patient, l'informer et l'écouter.
Les soignants aiment leur métier fait de soins, d'écoute et de bienveillance, mais sont souvent découragés par l'impossibilité de bien le réaliser en raison d'un manque de temps. La fidélisation du personnel tient aussi aux conditions de travail : il faut davantage de soignants.
Le terme de ratio peut faire peur ; cette proposition de loi ne doit pas conduire à des fermetures de lits ou de services. Ces ratios devront donc être appliqués avec souplesse. Le texte prévoit d'associer les CME et les centres médicaux interentreprises de santé au travail (Cmist).
Un tel texte aurait pu être étendu aux Ehpad, où la situation s'aggravera d'ici 2030. Nous attendons le plan Grand âge, et les 50 000 soignants promis par le Président de la République, qui permettront de recruter en moyenne cinq emplois par établissement.
En attendant, nous sommes favorables à cette proposition de loi dont l'objectif est d'éviter l'épuisement des professionnels, d'améliorer la prise en charge et de rendre ce métier à nouveau attractif. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Raymonde Poncet Monge . - Nous les avons applaudis à nos fenêtres ; les soignants exigent de sortir de la crise traversée par l'hôpital public : heures supplémentaires subies, travail morcelé, pressé, compressé, vétusté des équipements, ballottement de service en service. À rebours de cette situation qui empire, cette proposition de loi ouvre des perspectives souhaitées, pour améliorer tant le soin que la qualité de vie au travail.
Les ratios limitent les changements de soins incessants des professionnels, qui produisent souffrance et perte de sens. Dans sa lettre ouverte de 2022, le collège de la HAS a souligné l'importance d'équipes stables partageant une culture commune de qualité et de sécurité de soins.
Les résultats positifs imputés aux ratios sont toujours corrélés au nombre de soignants. Que se passera-t-il trois jours après l'alerte ? Qui aura la responsabilité de sortir de l'injonction paradoxale ?
Des ratios officieux existent déjà. La distinction entre ratios de sécurité et de qualité montre la difficulté de l'équation. Les garanties relèvent d'une grande loi Santé. Les fédérations hospitalières craignent que des fermetures de lits ou de services ne leur soient imposées, d'autant que le niveau d'absentéisme est supérieur à l'avant-crise sanitaire.
Cette mesure doit être liée à une traduction budgétaire forte dans l'Objectif national des dépenses de l'assurance maladie (Ondam), et doit suivre un calendrier réaliste.
L'édition de quotas devra prendre sa place dans une grande loi Santé, seule à même de donner toute leur force à ces décisions positives et d'éviter les effets collatéraux.
Nous avons applaudi les soignants ; nous répondrons donc à leur appel, afin de soutenir l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient. Le GEST votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
M. Abdallah Hassani . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Comment ne pas partager l'objectif de réduire la charge de soignants épuisés et de les inciter à rester dans les hôpitaux ? Ce texte vise à assurer une prise en charge de qualité pour les malades. Nous partageons ce but, mais cette proposition de loi offre-t-elle le meilleur chemin ?
Ne s'agit-il pas d'une rigidité, là où il faut être agile pour aller au plus proche des besoins locaux ? Le principe serait acté par la loi, alors qu'il relève du domaine réglementaire. Le président du Sénat appelait à la sobriété législative : pourquoi voter une mesure relevant du décret ?
Une révision de ces ratios aurait lieu tous les cinq ans ; leur non-respect serait signalé à l'ARS au bout de trois jours. Mais que se passerait-il alors ? Les risques existent pour la sécurité juridique des établissements. N'est-ce pas faire peser une inquiétude sur les acteurs ?
Nous partageons la volonté de prendre soin des soignants, mais ils attendent d'abord les revalorisations du Ségur et la prise en compte de la pénibilité du travail de nuit. Il faut des engagements concrets plutôt que des rigidités à long terme.
À Mayotte, l'hôpital manque considérablement de soignants, la pression est très forte. Je crains que ces ratios ne soient pas une réponse adéquate face à l'ampleur de la tâche. L'intention est louable, mais cela pourrait complexifier encore davantage notre système de santé et aboutir à un résultat inverse de l'objectif. Le RDPI s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Émilienne Poumirol . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi établit un ratio minimal de soignants par patient à l'hôpital public. Le constat est connu : fermetures de services, annulation d'opérations, démissions de soignants. L'hôpital public et son personnel sont en détresse depuis des années.
Les revalorisations salariales du Ségur sont insuffisantes. Davantage que les trop faibles rémunérations, ce sont les conditions de travail dégradées et le manque de temps médical qui entraînent le départ des soignants et expliquent que 10 % des postes d'infirmiers ne soient pas pourvus.
Le personnel infirmier et les aides-soignants jouent un rôle essentiel dans la qualité des soins : la mortalité augmente dès qu'une infirmière doit s'occuper de plus de 6 patients, or dans la plupart des services le ratio atteint 15 patients le jour et 24 la nuit. Il faut donc changer de paradigme.
Cette proposition de loi redonnera du sens au travail des soignants et leur assurera de bonnes conditions de vie au travail. Sans prétendre résoudre l'ensemble des difficultés de l'hôpital, elle représente une réelle avancée. Il reviendra à la HAS de définir un ratio minimal par spécialité et type d'activité.
Nous avons mesuré l'espoir de l'ensemble des soignants et entendu les autorités hospitalières. C'est pourquoi nous avons pensé le texte comme une loi de programmation, avec une entrée en vigueur progressive. Nous pourrons ainsi évaluer la charge de soins pour les différents postes, en fonction des territoires, et même de l'architecture des hôpitaux.
Les expériences australiennes et américaines mettent en évidence un lien entre l'augmentation de la dotation en infirmières et la baisse de la durée de séjour, de la morbidité, des erreurs médicales.
Ce sera coûteux, mais à moyen et long termes, augmenter le nombre de soignants est un investissement financièrement positif : en Australie, 35 millions de dollars d'investissements sur deux ans ont évité 69 millions de dollars de coûts liés à la réadmission et à la durée de séjour. C'est bénéfique pour la santé et la sécurité des patients, mais aussi pour le sens du métier et la qualité de vie des soignants.
Nous sommes placés devant un choix politique : investir dans le service public de la santé ou laisser la loi du marché décider de la santé des Français.
Il ne s'agit nullement d'une mesure coercitive, mais du résultat d'un travail de concertation, tenant compte des contraintes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et au banc des commissions)
Mme Laurence Cohen . - L'auteur de cette proposition de loi, Bernard Jomier, reprend une revendication défendue par des collectifs de soignants depuis plusieurs années. Il existe déjà des ratios dans certaines spécialités, comme au bloc opératoire, en réanimation ou en dialyse. Les étendre à toutes les spécialités améliorerait les conditions de travail et l'attractivité de ces métiers, en même temps que la prise en charge des patients. Une des causes majeures de la fuite des soignants est l'augmentation de la charge de travail liée au manque d'effectifs.
Selon une étude de la revue The Lancet, en améliorant le ratio patients-soignants, on diminue la mortalité, le nombre de réadmissions et la durée de séjour.
Mais sans hausse budgétaire associée, cette proposition de loi risque de produire des effets pervers indésirables dans un contexte de pénurie de soignants. On risque ainsi de déshabiller Pierre pour habiller Paul et d'alimenter une guerre entre chefs de service, pour obtenir le plus grand nombre de soignants. Cela pourrait entraîner des fermetures de lits, voire la remise en cause des 35 heures.
Madame la ministre, vous avez fait l'éloge du personnel, mais le Gouvernement n'entend pas les revendications des soignants. (Mme la ministre se récrie.)
La sociologue Dominique Méda estimait récemment que la mise en place de ratios nécessiterait le recrutement de 100 000 infirmiers, ce qui coûterait 5 milliards d'euros. Madame la ministre, la balle est dans votre camp.
Même si nous connaissons les contraintes constitutionnelles, nous regrettons que la proposition de loi n'identifie pas de moyens de financement, comme la suppression des 75 milliards d'euros d'exonération de cotisations sociales.
Nous partageons l'objectif de cette proposition de loi, mais elle s'arrête au milieu du gué. C'est pourquoi le groupe CRCE s'abstiendra ; le débat est néanmoins bienvenu.
M. Laurent Burgoa . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Personne ne peut ignorer le profond malaise qui affecte le monde médical. On ne choisit pas cette voie professionnelle par hasard, et c'est heureux, mais la vocation ne doit pas devenir un sacerdoce.
Les hôpitaux doivent pouvoir garantir une qualité de soins optimale et des conditions de travail satisfaisantes pour les soignants. Or avec l'augmentation des prises en charge en ambulatoire, les patients hospitalisés demandent plus de soins car leurs pathologies sont plus complexes et durables.
Si des ratios sont déjà fixés par décret, notamment en réanimation ou en soins intensifs, dans la plupart des autres services, il n'y a pas de règle en bonne et due forme.
La définition de ces nouveaux ratios serait confiée à la HAS, par spécialité et par activité de soin, afin de répondre aux différents besoins.
Il fallait privilégier l'adaptation au terrain. La rapporteure a ainsi souhaité ne pas entraver davantage le fonctionnement des hôpitaux, notamment des petites structures. Avec la présidente de la commission, elles ont veillé à prendre en compte les spécificités locales et même les contraintes architecturales.
La mise à jour de ces ratios est prévue tous les cinq ans.
L'équilibre trouvé en commission répond aux préconisations formulées par la commission d'enquête sur les hôpitaux. En 2023, en France, il est regrettable que des lits ferment faute de personnel. Nous ne pouvons l'accepter.
Il faut que les métiers du soin restent plus attractifs, faute de quoi les ratios seront intenables. Des effectifs suffisants permettent de remplacer les absents et d'améliorer la formation.
Le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi.
L'État dit son amour aux soignants, mais ses belles déclarations sont suivies de peu d'effets. À l'approche de la Saint-Valentin, je rappellerai qu'en politique comme en amour, il n'y a que les actes qui comptent ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe SER)
Interventions sur l'ensemble
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales . - Il n'y a pas d'amendements sur ce texte, je profite donc des explications de vote pour remercier Bernard Jomier de son initiative, qui reprend l'une des préconisations de la commission d'enquête. Ce n'est pas la solution miracle, mais en la matière les leviers sont multiples.
Je remercie la rapporteure d'avoir ainsi amendé ce texte en commission. Les ratios seront modulés selon les établissements et les services, entre nécessités qualitatives et sécuritaires. On laisse aussi un temps suffisant à chacun pour s'adapter.
Je vous invite donc à voter ce texte. Les présidents de CME l'attendent, comme tous les soignants. Ils ne veulent plus courir en tous sens, stressés, confrontés à des patients de plus en plus polypathologiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe SER)
M. Bernard Jomier . - Je remercie les différents orateurs.
Nous devons écouter la demande unanime des soignants.
Je salue en particulier la présidente Deroche, avec laquelle il y a eu un vrai dialogue pour que cette proposition de loi ne soit « ni brutale ni uniforme », pour reprendre les propos du ministre François Braun. Nous y avons répondu, puisqu'un délai de deux ans est ménagé pour définir le référentiel ; deux ans supplémentaires sont prévus pour le mettre en oeuvre. De plus, cette application ne sera pas uniforme : des fourchettes seront définies au niveau des établissements.
Madame la ministre, je regrette que vous restiez fermée : le parlementarisme, c'est accepter la discussion et non camper sur des déclarations de principe.
Il n'existe pas une solution unique pour régler tous les problèmes de l'hôpital, mais la réponse que nous offrons est réclamée par les soignants, qui continuent à quitter nos hôpitaux. Elle a fait ses preuves dans nombre d'autres pays. Il faut inverser la tendance ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur quelques travées du GEST et du groupe Les Républicains)
Mme Muriel Jourda . - Madame la ministre, je veux vous interroger sur la loi Rist, pour le moment non appliquée, qui plafonne les rémunérations des intérimaires dans l'hôpital public. Si elle l'est, elle déstabilisera des services entiers qui ont massivement recours à l'intérim : il faudra donc l'appliquer de manière uniforme, en prévenant les élus, en s'organisant avec les ARS.
Une date d'entrée en vigueur est-elle fixée ? Si oui, aura-t-on le temps de s'organiser sur les territoires ?
Mme Michelle Gréaume . - Madame la ministre, s'il manque des soignants dans le service public, c'est aussi parce qu'ils partent dans le privé ou à l'étranger - dans le cas de mon département du Nord, en Belgique.
Les soignants ont des agendas surchargés, fluctuants. Ils sont parfois rappelés durant leurs congés. Ils ont appris à écouter les patients, mais ils n'ont plus le temps de rien. Ils disent eux-mêmes qu'ils mettent en danger la vie des patients.
Selon une étude de 2016 de la HAS, plus la charge de travail est élevée, plus le risque d'erreurs de raisonnement est grand et plus la qualité de service est affectée.
Il faut des embauches ! Vous avez évoqué, madame la ministre, le relais des médecins traitants, mais eux aussi descendent dans la rue parce qu'ils n'en peuvent plus...
Mme Marie Mercier . - La commission d'enquête sur l'hôpital a choisi le titre « Sortir l'hôpital des urgences », mais après avoir envisagé « L'hôpital en affection longue durée ». Nous avons bien posé les diagnostics, mais buté sur les solutions à proposer. C'est pourquoi je souhaite féliciter Bernard Jomier pour la solution innovante qu'il a trouvée.
Nous souffrons d'une médecine extrêmement administrative. Dans les couloirs de l'hôpital, autrefois, on voyait des chariots de médicaments. Maintenant, on voit des gens courir, des dossiers sous le bras, d'une réunion à une autre.
Notre métier, c'est le diagnostic et le soin. Et chacun est un patient en puissance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme Sonia de La Provôté . - Je m'associe à ces félicitations. Les quotas sont utilisés depuis longtemps par l'administration pour la bonne gestion des services - c'est-à-dire, en réalité, supprimer des lits et supprimer ensuite des postes d'infirmières et d'aides-soignants.
Cette proposition de loi a le mérite de remettre le soin au milieu de l'hôpital : le plus bel établissement du monde n'est rien sans la qualité de ses soignants. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
M. Daniel Breuiller . - Ce texte mérite un hommage. Rencontrant récemment deux chefs de service de l'hôpital Paul-Brousse, je leur ai demandé quelles étaient leurs attentes ; ils m'ont demandé de voter la proposition de loi Jomier... Je respecterai leur injonction. (Applaudissements sur des travées du GEST et du groupe SER)
Mme Corinne Imbert . - Jamais l'hôpital n'a été aussi fragile. Le personnel de santé est épuisé.
Le professeur Salomon, président de la CME de l'AP-HP, a estimé que ce texte était un signal nécessaire à destination des soignants. L'enjeu est de stopper les départs ; même dans des services de soins palliatifs, nous disent les associations, des lits sont fermés. C'est insupportable. Je remercie la commission d'avoir étalé la mise en oeuvre du texte dans le temps. Je souhaite que le Gouvernement nous écoute, pour que les fermetures de lit s'arrêtent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé . - La loi Rist entrera en vigueur le 3 avril 2023. Nous avons travaillé en amont avec les directeurs d'hôpitaux et les ARS, auxquelles des consignes ont été transmises.
Madame Imbert, nous jugeons tous insupportable que des lits ferment. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a plus de soignants. (Protestations au banc des commissions)
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Et pourquoi n'y a-t-il plus de soignants ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Les ratios ne régleront rien. Il faut le bon nombre de professionnels au lit du patient. Il faut de la qualité de vie au travail, de la flexibilité, de l'autonomie.
Nous partageons la philosophie du texte, mais la réponse proposée n'est pas la bonne.
À la demande du groupe SER, l'article unique est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°117 :
Nombre de votants | 336 |
Nombre de suffrages exprimés | 272 |
Pour l'adoption | 256 |
Contre | 16 |
L'article unique est adopté. En conséquence, la proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que du GEST et des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
La séance est suspendue quelques instants.