Sortir le système électrique des mécanismes concurrentiels
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution proposant au Gouvernement de sortir le système électrique des mécanismes concurrentiels présentés, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par MM. Fabien Gay, Pierre Laurent, Mme Marie-Noëlle Lienemann et plusieurs de leurs collègues, à la demande du groupe CRCE.
M. Fabien Gay, auteur de la proposition de résolution . - L'impact des prix de l'énergie sur nos concitoyens, les entreprises, les collectivités territoriales laisse voir l'ampleur de la crise qui est devant nous. Le mythe de la libéralisation du marché de l'énergie, qui devait faire baisser les prix, n'a pas passé l'épreuve de la réalité. Fondons-nous sur les faits plutôt que sur les dogmes.
Nous proposons de sortir du marché européen de l'énergie, de prendre un autre chemin que l'Europe des traders et de construire une Europe de l'énergie qui protège les plus fragiles.
Je veux réfuter une contrevérité : sortir du marché n'entraînerait pas la fin des interconnexions et un repli sur soi, contrairement à ce qu'ânonnent certains membres du Gouvernement. Le marché européen a été créé en 1997, alors que les premières interconnexions datent de 1967. Laissons les experts de BFM Business entretenir cette contrevérité.
De même que nous pouvons commercer sans tomber dans un libre-échange climaticide, de même nous pouvons maintenir des interconnexions sans abonder les profits des traders.
Ce marché repose sur trois illusions. Tout d'abord, l'électricité n'est pas une marchandise comme une autre. Certes, un marché s'organise avec une offre et une demande, mais surtout avec un stock. Les dés sont pipés sur le marché européen de l'électricité, car il faut produire exactement au niveau de la demande : quel que soit le prix demandé par le producteur, le demandeur devra l'acheter. Les autorités de régulation peuvent procéder à des ajustements, mais le marché de gros et le marché spot favorisent le trading. L'électricité doit être sortie du secteur marchand et reconnue comme un bien commun de l'humanité. (M. Stéphane Piednoir acquiesce.)
Deuxième illusion : les productions nationales d'électricité sont diverses. Malgré des mix énergétiques différents, un même prix est fixé au niveau européen.
Mme Céline Brulin. - Très bien !
M. Fabien Gay. - Marcel Boiteux, PDG d'EDF de 1967 à 1987, a créé le prix marginal ; si cela s'entend au niveau national, au niveau européen c'est une aberration. Contrairement à la promesse de départ, les États membres ne sont pas incités à décarboner ou à investir dans les énergies renouvelables.
Troisième illusion : la mise en relation des producteurs et consommateurs. C'est compter sans les traders. Voyez l'envolée des prix cet été, à plus de 1 000 euros le MWh ! GEMS, la filiale trading d'Engie a fait 365 millions d'euros de bénéfices en 2021, 2 milliards en 2022. Mint Energie a acheté 46,50 euros le MWh au titre de l'Arenh (accès régulé à l'électricité nucléaire historique) pour le revendre 257 euros... Résultat : 6 millions d'euros de bénéfices. Et ce sont les mêmes qui ont reçu 12 millions d'euros de l'État au titre du bouclier tarifaire. Stop au racket organisé.
Partout, même à droite, on veut délier les prix du gaz et de l'électricité. Madame la ministre, vous voulez en rester au coût marginal sauf pour le gaz dont vous voudriez plafonner le prix ? Mais cela revient à subventionner les énergies fossiles ! Les Allemands bloquent, car ils bénéficient d'un avantage comparatif. Enfin, l'horizon 2023-2024 est inquiétant, car la Chine, actuellement à l'arrêt, va repartir et le prix du gaz flambera de nouveau.
Dès maintenant, nous devons obtenir une dérogation. Les Portugais et les Espagnols l'ont fait. C'est possible, même si nous n'avons pas la même position dans le réseau. L'Allemagne n'a pas demandé de dérogation, mais a mis 200 millions d'euros pour protéger son économie.
Il faut protéger les plus fragiles, avec des tarifs réglementés pour tous. L'Assemblée des départements de France (ADF) le réclame d'urgence. Cela coûtera 3,5 milliards d'euros, contre 43 milliards d'euros pour le bouclier tarifaire l'an dernier. Le prix de 280 euros négocié avec les fournisseurs est une aberration, car ceux-ci continuent à faire du profit grâce à l'Arenh. Il faut d'ailleurs également en finir avec l'Arenh qui dépouille EDF et les usagers.
La France doit prendre la tête du mouvement en Europe pour sortir du mécanisme des traders, tout en conservant les interconnexions. Nous voulons des prix qui se fondent sur les mix énergétiques nationaux. Pas de compétition, mais de la coopération, pour répondre aux besoins vitaux des peuples. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que du GEST ; M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. François Bonneau . - Les perturbations du marché de l'électricité sont historiques, notamment à cause de la guerre en Ukraine. Mais la crise était sous-jacente. L'explosion du prix du MWh entre début 2021 et fin 2022 est insupportable pour les entreprises comme les particuliers.
Le système européen nous place de facto en économie de guerre. Le prix de l'électricité, indexé sur celui du gaz, dépend du contexte international, incontrôlable.
Malgré le bouclier tarifaire, le chèque énergie et l'amortisseur, le problème n'est pas réglé. Les aides sont coûteuses pour l'État et ne sont pas durables. La crise de notre système électrique est structurelle.
L'Arenh est une aberration en pleine crise et ne profite qu'au revendeur ; les consommateurs paient le prix fort. Les tarifs réglementés sont progressivement étendus et leur coût se répercute sur les particuliers et les entreprises.
Les énergies renouvelables sont prioritaires lors de l'injection sur le réseau, ce qui conduit à arrêter les productions pilotables : finalement, on paie deux fois la production. Et quand elles sont à l'arrêt, nous n'avons plus suffisamment de pilotable - notamment à cause de l'Arenh - et nous payons jusqu'à dix fois le prix !
S'y ajoute la mauvaise gestion d'EDF. Son déficit structurel est très préoccupant et contraint l'État à reprendre la main. L'entretien du parc nucléaire pose question : fin octobre, plus de la moitié du parc était hors d'usage et 12 des 56 réacteurs nucléaires sont actuellement à l'arrêt.
L'électricité n'est pas un produit de consommation comme un autre. Nous devons définir un cadre souverain qui dépasse les lois du marché. Le statu quo n'est satisfaisant pour personne : de nombreux particuliers sont en situation de précarité énergétique ; les collectivités sont asphyxiées et les maires contraints de choisir entre chauffer les écoles, les piscines ou financer certains projets ; un mur de faillites menace - boulangers, restaurateurs, artisans - ; certaines entreprises menacent de licencier ou de se délocaliser.
Nous devons faire preuve de courage. Deux voies s'offrent à nous : une réforme du système ou une sortie du marché.
Pour répondre à la question, il faut s'interroger sur la place du nucléaire en France et la composition du mix énergétique. L'électricité française est quatre fois plus décarbonée que l'électricité allemande.
Une réforme du marché européen de l'électricité a été annoncée le 18 octobre dernier : parmi les pistes évoquées, le découplage des prix du gaz et de l'électricité et le plafonnement du prix du gaz. Mais le contexte international n'aide pas.
Il serait aussi possible de sortir du marché de manière temporaire. La dérogation obtenue par l'Espagne et le Portugal s'explique par leur faible interconnexion au réseau européen. La majorité du groupe UC estime qu'une sortie temporaire et dérogatoire serait opportune pour la France.
M. Fabien Gay. - Très bien !
M. François Bonneau. - La résolution est un outil adéquat pour alerter au niveau européen. Nous saluons la volonté des auteurs, mais il ne faut pas taxer le libéralisme de tous les maux : un monopole et une économie administrée n'ont jamais permis de préserver durablement le pouvoir d'achat. (M. Stéphane Piednoir renchérit.)
Nous ne prônons pas la fin de l'intégration européenne, mais sommes favorables à un assouplissement des règles.
M. Henri Cabanel . - Si les études du Giec n'avaient pas convaincu, la crise de l'énergie l'a fait. Notre impréparation généralisée a conduit les États à trouver des solutions dans l'urgence. La prospective est indispensable et nos stratégies doivent rester souples.
L'électricité a été reconnue comme bien de première nécessité par le Conseil d'État, mais pas le gaz, justifiant ainsi la suppression progressive des tarifs réglementés.
Le marché européen a été créé pour gérer l'abondance d'énergie ; mais le contexte a changé, avec les crises sanitaire, géopolitique et climatique. Son fonctionnement n'est pas adapté aux défis de la transition énergétique, notamment car il n'incite pas à l'investissement à long terme. Il n'a pas répondu aux promesses de sa création.
En juillet 2022, la Cour des comptes a montré que les tarifs régulés de vente d'électricité sont de plus en plus éloignés des coûts de production et exposés au risque de variation des prix.
Il faut mettre fin à l'Arenh, qui pénalise EDF au profit des fournisseurs alternatifs.
Nous sommes aussi en retard sur les énergies renouvelables, le nucléaire, l'efficacité énergétique, les économies d'énergie, la résilience des réseaux...
Les prix de l'énergie ne pourront artificiellement baisser ; ils doivent couvrir les coûts de production, qui vont augmenter. Sortir du marché européen serait dangereux, et nous avons besoin des échanges transfrontaliers.
Le prix ne doit pas excéder le coût de production, assorti d'une marge raisonnable. C'est le sens de la taxe sur la rente inframarginale adoptée en loi de finances et qui devrait rapporter entre 7 et 11 milliards d'euros en 2023.
Des contrats de long terme donneraient de la visibilité aux acteurs et permettraient d'investir dans de nouvelles capacités de production, tout en limitant la spéculation et la volatilité.
Certes, la Commission n'a pour l'instant proposé que des solutions de long terme et il est regrettable que chaque État membre se contente de négocier des dérogations.
Je déplore que l'on paie les décisions de l'Allemagne, qui bénéficie du système actuel de merit order. Il faut un mécanisme juste au niveau européen. Le Parlement devrait être tenu informé en permanence de l'état des négociations.
Le Gouvernement plaide pour une décorrélation entre les prix de l'électricité et du gaz, mais cela ne pourra pas régler le problème du décalage entre l'offre et la demande.
La sortie du marché européen n'est donc pas une bonne solution, ni juridiquement, ni économiquement. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Stéphane Piednoir . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Entre délestages, black-out et même cols-roulés, les Français sont inondés d'un discours anxiogène qui leur fait craindre le passage de l'hiver et s'interroger sur les raisons profondes d'une telle crise.
Avant elle, personne ne prêtait attention au décalage des coûts de l'électricité entre la France et l'Allemagne, historiquement très favorable à notre pays, d'un rapport parfois de un à trois.
Il aura fallu la violence de la crise énergétique pour que l'on comprenne le mécanisme infernal dans lequel la France s'est fourvoyée.
Chaque pays choisit sa production d'énergie en fonction des coûts de production et de l'impact environnemental : l'Allemagne a choisi de s'appuyer sur le gaz russe, peu cher mais polluant, tandis que la France s'est orientée vers le nucléaire, à la fois peu coûteux et sans émissions. Chacun a fait son choix sans consulter l'Union européenne, tout en construisant un réseau européen assurant une forme de solidarité. Voilà le décor de cette proposition de résolution dont je partage certains éléments, mais qui, à cause de confusions dans l'analyse et d'un biais idéologique très fort, rate sa cible. (On se gausse sur les travées du groupe CRCE.)
M. Gérard Longuet. - Ce n'est pas une surprise !
M. Stéphane Piednoir. - Le réseau interconnecté aurait pu aboutir à une forme d'équilibre entre des sources d'énergie diversifiées. Mais marché unique ne signifie pas forcément tarification unique. À quel moment avons-nous accepté de lier les destins électriques de pays ayant fait des choix divergents en se basant sur les moins vertueux ?
Nous n'attendons pas de la construction européenne qu'elle mette à bas ni des stratégies nationales ni un avantage concurrentiel. Or c'est ce qu'a fait la tarification européenne de l'énergie, en alignant le prix de l'électricité sur celui du gaz, bafouant notre souveraineté construite par le président Pompidou. Ce serait comme si le prix des agrumes était fondé sur leur coût de production dans les pays baltes...
Le marché de gros était soumis à de nombreuses fluctuations dès octobre 2021, et il l'est encore plus depuis la guerre ukrainienne, atteignant des sommets délirants, comme 2 000 euros le mégawattheure. Ce n'est pas sans rappeler les prêts toxiques qu'avaient souscrits nombre de collectivités, basés sur une parité euro-dollar que rien ne devait perturber... jusqu'à la crise des subprimes... (M. Gérard Longuet le confirme.)
Soyez tranquille, le président Macron a identifié le problème et promis de convaincre ses homologues - au lieu, comme l'Espagne et le Portugal, de trouver une solution plus modeste, mais plus efficace... Qu'est-il prévu, finalement ? « Le mécanisme de correction du marché sera automatiquement activé si l'événement de correction du marché suivant se produit : le prix TTF (Title Transfer Facility) à un mois dépasse 180 euros le mégawattheure pendant trois jours ouvrables ; et le prix TTF à un mois est supérieur de 35 euros au prix de référence du GNL sur les marchés mondiaux pendant les trois mêmes jours ouvrables. » (On s'amuse sur les travées du groupe CRCE.) Une vraie prouesse technocratique !
Imaginez : si nous avions perduré dans la voie originelle, nous serions, sinon les rois du pétrole, du moins les empereurs de l'électricité !
J'en viens au biais idéologique. Nostalgiques d'une économie administrée qui n'a historiquement pas rencontré le succès escompté, nos collègues accablent le caractère libéral de ce système...
M. Pierre Laurent. - C'est ce qu'avait fait de Gaulle !
M. Stéphane Piednoir. - Or seul l'Arenh est en cause. Dans une véritable concurrence, on aurait permis à de véritables producteurs de proposer leur énergie sur le marché, à un prix fondé sur leurs coûts de production. On est loin de ce schéma - qui ne vous conviendrait sans doute pas plus...
Le groupe Les Républicains ne votera pas cette proposition de résolution mais est conscient du travail qu'il reste à faire. « Là où il y a une volonté, il y a un chemin », comme disait le camarade Lénine. (Mme Éliane Assassi s'amuse.)
M. le président. - La formule est attribuée à une dizaine d'auteurs au moins ! (Sourires)
M. Jean-Louis Lagourgue . - La crise énergétique touche les ménages et menace le tissu entrepreneurial. L'Union européenne doit sortir de sa dépendance aux énergies fossiles. À ce titre, le plan RepowerEU est un outil intéressant.
Nous devons être rapides et efficaces sur la loi Accélération des énergies renouvelables que nous avons votée comme sur celle sur l'énergie nucléaire à venir.
L'Union européenne est incontournable ; n'oublions pas que l'énergie est une compétence partagée.
Le règlement d'urgence décidé en Conseil le 22 décembre dernier s'appliquera dans les dix-huit prochains mois.
Le marché intérieur européen de l'énergie est une force, mais il n'est pas abouti et doit être réformé. Nous ne sommes pas d'accord avec le point 12 de la proposition de résolution, qui parle d'un échec. Si nous n'avons pas manqué d'électricité jusqu'à présent, c'est grâce à lui, sans compter que nous revendons beaucoup d'énergie.
Je salue l'implication du Gouvernement sur le découplage des prix de l'électricité et du gaz. Mais nous ne voulons absolument pas d'une sortie de fait du marché.
Le groupe Les Indépendants l'a redit aux questions d'actualité en décembre : l'hydroélectricité doit évoluer, notamment concernant les stations de transfert d'énergie par pompage (Step). C'est le gage de notre souveraineté énergétique.
Nous ne pouvons voter en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Guillaume Gontard . - Le vidéaste Heu?reka a tenté d'expliquer le marché commun de l'électricité : il lui a fallu 3 h 30 pour expliquer ce sujet... Personne n'y comprend rien, pas même le ministre de l'économie.
Je remercie le CRCE d'avoir mis ce sujet à l'ordre du jour.
Il y a vingt ans, il était encore possible de croire que ce marché européen permettrait de développer les énergies renouvelables, délaissées par une EDF enfermée dans le tout nucléaire. Mais au lieu d'offrir le meilleur prix au consommateur, c'est le prix unique le plus cher du continent qui prévaut. Le marché a créé des fournisseurs ne créant rien, sur le dos du contribuable, grâce au tarif réglementé et à l'Arenh, plutôt que de multiplier les fournisseurs utiles.
On a vu toutes les limites, avec le rail, de multiplier les fournisseurs privés soucieux de leurs marges sur un réseau public. Hélas, il faudra encore plusieurs années à certains pour s'en rendre compte...
Soumis à une spéculation débridée, les prix n'ont plus rien à voir avec les coûts de production. L'échec est patent, tout le monde le concède. Mais ni la proposition de la Commission européenne de plafonner à 200 euros le mégawattheure ni la proposition française de contractualisation à long terme ne semblent être à la hauteur des attentes des artisans voyant leur facture multipliée par trois, des 12 millions de Français en précarité énergétique et des collectivités qui doivent augmenter les impôts locaux.
Il faut de la lisibilité à moyen et long terme. Seule la puissance publique peut harmoniser les prix et planifier la transition. L'énergie n'est pas une marchandise comme les autres, c'est un bien commun dont la fourniture à prix régulé doit être garantie.
C'est le sens de la proposition écologiste dans le cadre de la campagne présidentielle. Contrairement à ce que dit le ministre, suspendre le marché, ce n'est pas mettre fin au commerce et à la solidarité, qui existaient avant lui et pourraient exister après. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)
C'est le sens de notre proposition de nationalisation d'EDF et d'un grand service public des énergies renouvelables.
Nous demandons au Gouvernement de plaider fortement à Bruxelles pour une remise à plat des mécanismes concurrentiels, et apportons donc un soutien plein et entier à cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; M. Franck Montaugé applaudit également.)
M. André Gattolin . - Cette discussion est très importante sur le fond. Je remercie Fabien Gay, fin connaisseur et vigie sur ces sujets.
Je partage le constat sur les imperfections du marché, les abus et la nécessité de le réformer.
Mais si les prix de l'énergie ont atteint des records en août 2022, c'est surtout du fait de l'agression russe et de l'utilisation de l'approvisionnement en gaz comme une arme de guerre.
La corrélation entre prix du gaz et de l'électricité en vertu de la préséance économique n'est pas étrangère à la flambée du coût de l'électricité. Le Gouvernement français est le premier à militer pour les décorréler.
La sécurité des approvisionnements énergétiques a trop souvent été mise sous le tapis. Nous avons privilégié un coût le plus bas possible au détriment de notre souveraineté énergétique.
Certains sont tentés de faire porter la responsabilité à l'Europe et à la libéralisation du marché de l'électricité. Or nous en avons beaucoup profité jusqu'à 2022, et la préséance économique a profité au développement des énergies renouvelables.
Nous avons géré la libéralisation du secteur au profit des distributeurs plutôt que pour les producteurs. La loi Nome n'a pas rempli ses objectifs et a généré des effets spéculatifs.
Nous étions peu nombreux, il y a sept ans, à nous opposer au gazoduc Nordstream II qui augmentait notre dépendance envers la Russie. Au même moment, la commission des affaires européennes s'opposait à l'unanimité - moins une voix, la mienne - à une décision du Parlement européen et du Conseil qui voulait obliger les États membres à soumettre ex ante à la Commission leurs projets d'accords intergouvernementaux avec des non-membres de l'Union européenne sur leurs achats de gaz.
L'Union européenne ouvrira une consultation publique sur ce sujet - à laquelle je vous invite à participer - en vue d'une nouvelle législation au printemps.
La ministre chargée des affaires européennes nous a indiqué qu'il devrait s'agir de baisser les prix et de les rendre moins volatils par la prise en compte des coûts réels.
Mieux réguler, oui, mais ne sortons pas du mécanisme européen. Les conséquences directes et indirectes d'un Frexit énergétique seraient dramatiques pour notre pays.
Nous n'avons pas connu de délestage, c'est grâce à l'importation d'électricité avec un tarif de groupe correct.
Voyez la situation du Royaume-Uni, interconnecté mais sorti du marché européen, qui doit acheter très cher son énergie. Votre proposition est une fausse bonne solution. Le RDPI votera contre.
M. Franck Montaugé . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Fabien Gay applaudit également.) Je remercie le groupe CRCE d'avoir déposé cette proposition de résolution.
Indéniablement, le marché européen de l'électricité n'a pas répondu aux objectifs qui lui étaient assignés. La concurrence libre et non faussée n'a pas fait baisser les prix. Elle alimente aujourd'hui l'inflation et aggrave la précarité énergétique.
En France, le marché européen a affaibli EDF, qui était un des premiers énergéticiens au monde. À dessein ou faute de vision stratégique, on l'a sacrifié sur l'autel de la concurrence.
Le critère d'évaluation de la réussite du marché n'était pas le prix, mais la proportion d'énergie vendue par des fournisseurs alternatifs. Or ceux-ci n'ont jamais respecté l'obligation de produire par eux-mêmes : ce sont de simples négociants. L'Arenh a entraîné une forte destruction de valeur pour EDF.
Et pour quel résultat ? Envolée progressive des prix, spéculation qui aura enrichi des traders, appauvrissement des consommateurs. Nos entreprises en paient et en paieront longtemps le prix.
Nous sommes pris en tenaille entre les Américains, avec leur très patriotique Inflation Reduction Act, et les Chinois, avec une politique de l'offre financée par l'État, le tout au mépris des règles de l'OMC - ou de ce qu'il en reste.
Le Gouvernement, certes, apporte quelques réponses conjoncturelles. Mais il faut répondre à l'enjeu structurel. L'électricité n'est pas un bien marchand comme un autre. Transport, logement, alimentation : on la retrouve partout. Elle ne se stocke pas à grande échelle et nécessite un ajustement permanent entre la production et la consommation.
Pour être au rendez-vous de la transition énergétique, nous devons considérer l'électricité pour ce qu'elle est : un bien commun.
Ce qui est en dehors du marché doit le rester - je pense aux concessions hydroélectriques. Les TRVE doivent être élargis au-delà du seuil de 36 kilovoltampères. Tous les contrats doivent conjuguer deux objectifs : visibilité à moyen et long termes et stabilité des prix, qui doivent être déconnectés du prix des énergies fossiles.
Sur ces sujets, le Gouvernement n'apporte aucune réponse concrète. Prenez vos responsabilités pour défendre l'intérêt général des Français à Bruxelles, passez des déclarations d'intention à l'action !
Quelles pistes de réforme structurelle entendez-vous suivre ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)
M. Jean-Michel Houllegatte. - Très bien !
M. Pierre Laurent . - Voilà plus de 15 mois que la folle envolée des prix de l'électricité réduit le pouvoir d'achat, asphyxie les communes, menace les entreprises.
Tout le monde, y compris Bruno Le Maire, s'accorde à reconnaître qu'il y a un problème avec l'organisation du marché européen de l'électricité ; mais rien ne se passe. Il faut envoyer un signal fort : la France ne veut plus de ce système de fixation des prix !
La hausse forte et continue des prix est bien antérieure à la guerre en Ukraine. La déstabilisation récente n'a fait que révéler les failles structurelles et le court-termisme de nos décisions.
Le prétendu marché européen n'a rien d'homogène, les mix énergétiques restant une compétence nationale. Pour notre part, nous soutenons un mix nucléaire-énergies renouvelables pour atteindre la décarbonation. Les coûts de production diffèrent d'un État à un autre, et un florilège de réglementations protège le trading.
S'il n'est pas envisageable de mettre fin aux interconnexions, une part mineure de l'énergie produite est échangée sur le marché de gros. Pourtant, c'est ce marché qui est responsable de l'emballement inflationniste. La règle de la dernière centrale appelée est source de déstabilisation.
Il est impératif de décorréler le prix de l'électricité de celui du gaz et de revenir à une politique tarifaire fondée sur les coûts de production, non sur les intérêts d'acteurs parasites. Une stabilité retrouvée des prix est indispensable pour garantir notre souveraineté industrielle et planifier les investissements nécessaires. Sans vision de long terme, nous irons dans le mur !
Ce bien essentiel ne doit pas être confisqué par des logiques de profit aveugles. La volatilité des prix obère les investissements et conduit à une dilapidation d'argent public dans des boucliers tarifaires.
Nous soutenons un monopole public. L'expérience a montré que la concurrence dans ce secteur n'a rien de bon pour les usagers. Les solutions mises en oeuvre ne sont que des rustines : elles consistent à inventer de perpétuelles distorsions à la concurrence, aberrantes, coûteuses et inefficaces.
Nous vous proposons de reprendre la main. Tapons du poing sur la table des négociations européennes, comme nous aurions dû le faire depuis longtemps sur l'hydroélectricité. Ce texte vous en offre l'occasion, saisissez-la ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST)
M. Jean-Claude Tissot . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je remercie les auteurs de cette proposition de résolution.
Mon collègue Montaugé l'a expliqué : le marché actuel est plein d'aberrations et ne fait qu'enrichir les fournisseurs alternatifs et nourrir la spéculation.
Pour répondre à la crise énergétique, les textes qui se succèdent sont autant de rustines qui ne règlent pas les problèmes structurels.
Le prix est fixé par le marché lui-même. D'où l'explosion des factures de nos concitoyens et des collectivités territoriales, qui font leur possible pour réduire leur consommation. Bruno Le Maire lui-même a reconnu que ce marché était obsolète. Il faut donc refonder le système ou en sortir.
Le Parlement a fait des propositions : tenez-en compte ! L'Espagne et le Portugal ont obtenu une dérogation, en raison notamment de leur situation géographique : les prix de l'électricité ont baissé de 10 à 20 %. Ce sont bien le marché et les interconnexions qui tirent les prix vers le haut. Pourquoi ne pas demander une dérogation similaire ?
Nous devons pouvoir compter sur un opérateur fort. Mais les doutes continuent de planer sur l'avenir d'EDF. Où en sont les négociations ? Quid de l'Arenh ? Les concessions hydroélectriques ne doivent pas être ouvertes à la concurrence. Dommage que la présidence française de l'Union européenne n'ait pas permis d'avancer sur ces sujets.
Si certains points mériteraient d'être nuancés, nous soutenons cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE ainsi que du GEST)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique . - Il est indispensable d'analyser cette proposition de résolution à l'aune du contexte actuel et de ses implications pour notre système électrique.
Le contexte immédiat est marqué par la crise climatique et une crise énergétique sans précédent depuis quarante ans. J'ai pris des mesures exceptionnelles pour passer l'hiver : plan de sobriété, sécurisation des importations et des interconnexions, augmentation des marges de manoeuvre sur les moyens de production existants.
Les prix de marché sont passés de 50 à 500 euros le MWh, avec un pic à plus de 1 000 euros au moment où les acteurs anticipaient des ruptures. Dans ce contexte, le Gouvernement a pris un engagement très clair : nous ne laisserons tomber personne !
D'où les mesures exceptionnelles prises pour protéger le pouvoir d'achat des Français et la compétitivité de notre économie : bouclier tarifaire, amortisseur, plafonnement pour les très petites entreprises, baisse de la fiscalité, guichet d'aides pour les électro-intensifs et contribution exceptionnelle sur les rentes inframarginales des énergéticiens, pour que la rente revienne aux consommateurs. (MM. Fabien Gay et Fabien Genet s'exclament.)
Au niveau européen, je soutiens une refonte du marché ; je vous rejoins sur ce point, monsieur Gay, mais sur ce point seulement. Ne cédons pas aux fausses bonnes idées, comme la sortie du marché européen, dont nous devons conserver les avantages actuels.
Le marché de l'électricité est avant tout un marché physique, qui se doit d'être efficace et d'éviter les coupures ; peu importe l'origine des électrons... On ne se plaint pas du marché européen lorsqu'il fonctionne bien. Sa bonne efficacité permet aussi de définir les meilleures incitations pour produire du renouvelable.
L'Arenh a joué un rôle important pour protéger les consommateurs (M. Fabien Gay fait mine de s'étouffer) et soutenir notre compétitivité. Pourtant, il présente des défauts.
M. Fabien Gay. - Nous le disons depuis douze ans !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Leur correction est un enjeu des réflexions européennes en cours. Une proposition législative sera présentée par la Commission européenne au premier semestre.
Le principal enjeu est d'augmenter notre production d'énergie décarbonée avec la meilleure organisation de marché, qu'elle soit concurrentielle ou plus régulée.
Pour les nouvelles énergies renouvelables, la concurrence permet de baisser les coûts de production, via les appels d'offres. Ainsi nous avons des projets photovoltaïques ou d'éoliennes terrestres ou marines à un coût inférieur à 100 euros le MWh, voire 80 euros. (M. Fabien Genet s'en étonne.)
La question ne se pose pas pour le nucléaire, compte tenu de la spécificité du parc français et de l'existence d'une seule technologie de réacteur à forte puissance. Je remercie les acteurs de la filière, dont les efforts nous permettent de passer cet hiver. Nous sommes attachés à une exploitation du parc par EDF, dans une logique intégrée. Cet atout unique qu'est le parc nucléaire français n'a pas été construit dans une logique concurrentielle et doit jouer un rôle singulier. (M. Pierre Laurent s'exclame.)
S'agissant de l'hydroélectricité, nous sommes en contentieux avec la Commission européenne. Nous ne voulons pas remettre en concurrence les concessions hydrauliques échues, au regard des enjeux spécifiques autour de l'eau, notamment pour l'agriculture.
En ce qui concerne les marchés de gros de l'électricité, l'urgence est de sécuriser à long terme un prix de l'électricité défini à l'avance, fondé sur les coûts de production réels. Cela réduirait la volatilité des prix et donnerait de la visibilité aux producteurs. Nous promouvons les PPA (Power purchase agreements), un outil utile et un vrai succès en Europe.
Idem pour les contrats pour différence, très répandus pour les énergies renouvelables. À plus court terme, les marchés de gros sont utiles pour l'ajustement physique du marché.
J'en viens aux marchés de fourniture d'énergie. L'ouverture à la concurrence en 2012 a-t-elle augmenté la production décarbonée ? Le constat est très mitigé. (M. Fabien Gay ironise.) A-t-elle réduit les prix ? Oui en l'absence de tension, non en cas de choc, on l'a vu avec l'utilisation du gaz russe comme arme de guerre. Notons que la marge, elle, est demeurée relativement stable. A-t-elle innové dans le type d'offres proposées aux clients ? Sans doute, mais de façon très hétérogène. (M. Fabien Gay se gausse.)
Les Français sont attachés aux tarifs réglementés de vente d'électricité, que le Gouvernement a énergiquement défendus devant les juridictions françaises, avec succès, et au niveau européen dans le cadre du paquet énergie propre.
M. Gérard Longuet. - Sans succès !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - L'électricité est un bien de première nécessité pour les ménages et les petites entreprises. Les tarifs réglementés sont une référence tarifaire utile. (M. Fabien Gay s'exclame.) Nous continuerons à les défendre, car ils nous permettent d'offrir l'électricité au prix le plus bas d'Europe aux ménages et aux TPE.
Protéger le consommateur, c'est s'assurer que le fournisseur se couvre sur le long terme, prend des engagements de production, participe au déploiement du mix décarboné, anticipe l'avenir. (M. Pierre Laurent en doute.) C'est garantir des prix qui couvrent les coûts de notre système énergétique, sans marges excessives ni rentes de situation.
La future régulation devra sans doute inclure des conditions sur la couverture minimale, afin que celle-ci repose sur des signaux prix prévisibles à long terme. On maintiendrait une concurrence entre fournisseurs, mais à armes égales. En 2010, le Gouvernement avait imposé des obligations à EDF, mais pas à ses concurrents ; nous souhaitons désormais mieux équilibrer les droits et les devoirs.
On le voit, la réponse à la question de la concurrence ne peut être simpliste et idéologique. Demandons-nous plutôt comment créer le cadre de marché dans lequel le jeu de la concurrence permet d'atteindre nos objectifs communs de politique publique de long terme, au meilleur coût pour la collectivité. Voilà ma feuille de route, voilà la position que je défendrai à Bruxelles. Je vous invite donc à ne pas voter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°109 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 333 |
Pour l'adoption | 153 |
Contre | 180 |
La proposition de résolution n'est pas adoptée.
Prochaine séance, mardi 17 janvier 2023, à 14 h 30.
La séance est levée à 15 h 55.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mardi 17 janvier 2023
Séance publique
À 14 h 30 et le soir
Présidence : M. Gérard Larcher, président Mme Pascale Gruny, vice-président M. Vincent Delahaye, vice-président
Secrétaires : Mme Victoire Jasmin - M. Pierre Cuypers
1. Désignation des dix-neuf membres de la commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique (droit de tirage du GEST)
2. Désignation des vingt-trois membres de la mission d'information sur le thème : « Le développement d'une filière de biocarburants, carburants synthétiques durables et hydrogène vert » (droit de tirage du groupe UC)
3. Projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes (procédure accélérée) (texte de la commission n°237, 2022-2023)