Projet de loi de finances pour 2023 (Suite)
M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics . - Je salue à mon tour les participants au DuoDay. Nous sommes très attachés à l'enjeu du handicap. Permettez-moi un mot particulier pour deux commissaires du Gouvernement : Khalil Ibrahim Hamzaoui, qui a fait le tour de France en fauteuil roulant, et Arnaud Boeglin.
Hier soir, défendant devant vous le PLFR, j'ai rappelé la situation économique de notre pays et le climat d'incertitude qui règne. Bruno Le Maire l'a fait à son tour et je n'y reviendrai pas.
Grâce au PLFR, nous continuerons à aider nos concitoyens à se chauffer, à financer la bataille du plein-emploi et à soutenir sans faille le peuple ukrainien.
M. René-Paul Savary. - Nous avons fait tout cela ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Tout cela, sans faire déraper nos comptes.
Je sais que l'adoption du PLFR n'efface pas les clivages. Nous aurons des débats nourris, notamment sur la suppression de la CVAE et les modalités du filet de sécurité pour les collectivités territoriales face à la flambée des prix de l'énergie.
Protéger ménages, entreprises et collectivités face à la hausse des prix de l'énergie, c'est un choix de justice, mais aussi d'efficacité : car il vaut mieux investir pour préserver que payer pour réparer.
L'argent public, c'est celui des Français. Chaque euro investi doit donc être efficace. Nous ne pouvons nous contenter d'une politique du chèque et d'une vision de court terme.
Protéger les Français, c'est répondre aux exigences du quotidien, financer l'action publique, préparer l'avenir et protéger nos comptes. Il n'y a pas à choisir : nous devons mener ces combats de front.
D'abord, il nous faut répondre aux exigences du quotidien, à l'urgence. C'est pourquoi nous maintenons le bouclier énergétique et limitons la hausse de l'énergie à 15 %. Sans ces mesures, un ménage paierait 121 euros de plus par mois s'il se chauffe à l'électricité, 185 euros de plus s'il se chauffe au gaz.
Nous indexons le barème de l'impôt sur le revenu, ce qui, dans le contexte actuel d'inflation, prend une portée particulière : 6,2 milliards d'euros seront ainsi rendus aux Français.
Nous voulons continuer à redonner du pouvoir d'achat aux Français. Parmi les mesures retenues à l'Assemblée nationale figurent notamment l'augmentation à 13 euros du ticket-restaurant et la hausse de 50 % du crédit d'impôt garde d'enfants. Nous redonnons de l'oxygène aux entrepreneurs avec la hausse du plafond du taux réduit de l'impôt sur les sociétés, aux agriculteurs avec la prorogation jusqu'en 2025 et l'indexation sur l'inflation de la déduction pour épargne de précaution.
Nous voulons aussi réarmer nos fonctions régaliennes, conformément aux engagements pris durant la campagne présidentielle : plus de moyens pour la police, les gendarmes, les armées. Dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM), le PLF prévoit une hausse de 3 milliards d'euros pour la mission Défense. Les deux précédentes LPM prévoyaient un budget annuel des armées de 30 et 32 milliards d'euros. La LPM 2019-2025 prévoit 42 milliards d'euros par an, soit 31 % de hausse. C'est dire l'ampleur de l'effort réalisé.
Nos forces de sécurité voient aussi leurs moyens renforcés, pour les équipements, la présence sur la voie publique ou encore la cybersécurité. La trajectoire est conforme à la programmation votée dans la Lopmi. Quant à la justice, fonction régalienne essentielle, elle aura vu ses moyens croître de 40 % depuis 2017.
Préparer l'avenir, c'est faire le pari de l'éducation, gagner la bataille du plein-emploi et accélérer la transition écologique. Aucun professeur ne commencera sa carrière à moins de 2 000 euros nets, et nous allons atteindre le million d'apprentis en 2027.
Nous réduisons la pression fiscale : nous avons rendu 54 milliards d'euros aux ménages et aux entreprises en cinq ans. Nous supprimerons la CVAE, sur deux exercices. Le Sénat n'est pas acquis à cette mesure : certains s'opposent par principe à la suppression d'un impôt de production, d'autres souhaitent la différer. Pour nous, l'amélioration de notre compétitivité doit rester un objectif central.
Préparer l'avenir, c'est aussi protéger la planète : nous finançons la transition écologique, énergétique et territoriale à travers le fonds vert pour l'investissement des collectivités territoriales, le plan Vélo ou l'augmentation de 500 millions d'euros de MaPrimeRénov'.
Le rétablissement du crédit d'impôt pour la rénovation énergétique des entreprises a été retenu à l'Assemblée nationale, sur l'initiative d'un amendement de la députée Les Républicains Émilie Bonnivard. Nous avons aussi retenu la proposition de Véronique Louwagie pour un meilleur accès à MaPrimeRénov', sans condition de ressources.
Nous refusons le laisser-aller budgétaire, car l'argent public n'est pas de l'argent magique. Nous stabiliserons le déficit public à 5 % l'année prochaine. Nous reviendrons sous les 3 % en 2027, grâce à des recettes dynamiques de TVA et de contribution sur les rentes inframarginales. Cette dernière se montera à 11 milliards d'euros en 2023, en raison des prix de l'énergie.
Nous reparlerons de la taxation des superprofits. L'été dernier, Bruno Le Maire et moi-même avions renvoyé à la négociation européenne. L'argument n'était pas dilatoire : entre-temps, un accord européen est intervenu qui nous permettra de percevoir l'année prochaine 11 milliards d'euros, qui financeront une partie du bouclier énergétique.
Je sais le Sénat attaché à un rythme plus soutenu de consolidation des finances publiques.
M. Jérôme Bascher. - En effet !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Mais une baisse trop brutale de la dépense publique serait dangereuse pour nos services publics, notre cohésion, notre activité économique. Nous partageons la même responsabilité pour préserver notre souveraineté.
Nos débats seront vifs, mais je ne doute pas que nous saurons trouver une voie d'équilibre. Chacun avec ses convictions, nous défendons l'intérêt de nos concitoyens. Les défis du moment nous appellent à tracer collectivement des solutions au service des Français. Nous serons toujours à vos côtés pour les défendre. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je maintiens les critiques déjà formulées : le Gouvernement fait preuve d'un excès d'optimisme dans ses prévisions économiques et d'un manque de volontarisme pour le redressement des comptes publics.
L'économie française est soumise à de nombreux chocs exogènes : la hausse des coûts de l'énergie nous coûtera 2,5 points de PIB entre 2021 et 2023, selon l'OCDE ; la remontée des taux d'intérêt nous ferait perdre un autre point de PIB.
L'hypothèse de croissance de 1 % en 2023 ne tient pas compte des avis des experts. La hausse des taux directeurs de la BCE, la stagnation économique en Europe et les prévisions de récession en Allemagne doivent être prises en compte. Ce budget est ainsi bâti sur un cadre trop optimiste, peut-être obsolète.
Nous maîtrisons mieux l'inflation que d'autres pays, mais au prix fort pour nos finances publiques : 50 milliards d'euros en 2022, 56 milliards d'euros en 2023. Pour nécessaires qu'elles soient, ces dépenses nous appellent à la vigilance.
De fait, nos conditions de financement se détériorent. Le taux de nos obligations à dix ans a augmenté de 290 points de base en un peu plus d'un an. Le temps de l'argent facile et gratuit est bien fini. Ce n'est pas faute d'avoir mis le Gouvernement en garde contre les risques d'un endettement massif...
La crise n'explique pas à elle seule la dégradation de nos finances publiques. Il est urgent de revenir à une meilleure maîtrise de nos dépenses, alors que notre dette atteindra 111 % du PIB en 2023.
L'État bénéficiera de recettes conjoncturelles supplémentaires, grâce notamment aux producteurs d'énergie. Mais la suppression de la redevance, de la taxe d'habitation pour tous les ménages et de la part communale de la CVAE réduira le rendement fiscal.
Parallèlement, les dépenses primaires progresseront d'au moins 137 milliards d'euros en deux ans, dont la moitié l'année prochaine. La revalorisation des pensions et traitements des fonctionnaires coûtera 16 milliards d'euros.
J'insiste : les collectivités territoriales sont en excédent budgétaire et les administrations de sécurité sociale à l'équilibre ; la dégradation du solde est du seul fait de l'État. Dans ces conditions, il est inacceptable de soumettre les collectivités territoriales à un carcan - c'est une ligne rouge. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Le Gouvernement fait le choix de ne pas adapter les dépenses aux moyens dont il dispose. En particulier, nous déplorons l'absence de volonté de maîtriser la masse salariale. Le déficit de l'État sera supérieur à 150 milliards d'euros en 2023, pour la quatrième année consécutive.
C'est le budget de tous les records : 270 milliards d'euros de nouveaux emprunts, 155 milliards d'euros de remboursement de prêts arrivant à échéance. La mission Engagements financiers de l'État dépasse désormais les budgets de l'éducation nationale, de la recherche et des armées réunis ! La charge de la dette dépasse les 50 milliards d'euros en autorisations d'engagement, redevenant notre deuxième poste de dépenses. L'État est sous respirateur artificiel.
Mme Nathalie Goulet. - Eh oui !
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - À cet endettement s'ajoute la dette climatique. Les dépenses défavorables au climat sont multipliées par deux. Nous récoltons les fruits de la politique énergétique désastreuse des gouvernements successifs, qui explique notre impréparation aux défis du changement climatique.
La fiscalité énergétique est toujours aussi inégalitaire : elle pèse plus sur les ménages à revenus modestes et sur les habitants des zones rurales et des petits pôles urbains.
Les deux principaux phénomènes affectant les recettes sont la suppression de la CVAE et la poursuite du bouclier tarifaire. Mais le Gouvernement ne compense nullement ces mesures par des économies, préférant dégrader nos comptes. En matière d'économies, l'heure des choix est quasiment renvoyée au prochain quinquennat !
Nous avons besoin d'une trajectoire sérieuse et raisonnable. Bruno Le Maire avait qualifié celle que nous proposions de juste et honnête. Elle est, en tout cas, plus ambitieuse et plus juste que celle du Gouvernement.
Nous proposerons des économies sur certaines missions, dont les missions Écologie, Aide au développement et Santé, s'agissant de l'aide médicale d'État. Je propose aussi de ne plus ouvrir de crédits au titre du plan de relance, dont le temps est passé.
Par ailleurs, nos travaux de commission regorgent de mesures structurelles à mettre en oeuvre qui seraient source d'économies ; je pense à l'audiovisuel, pour lequel le Gouvernement ne respecte pas ses engagements de l'été dernier.
Vous maintenez et étendez aux entreprises le bouclier fiscal et budgétaire. Nous soutiendrons les mesures d'urgence qui vont dans le bon sens, mais l'ensemble constitue désormais un maquis illisible. Chacun se demande s'il fait partie de ceux qui seront protégés. C'est un signe de l'impréparation et du caractère erratique de vos politiques.
Nous proposerons un filet de sécurité repensé, qui complète l'amortisseur prévu pour les collectivités territoriales.
Il s'agit aussi de maintenir nos services publics sur tout le territoire national : toute collectivité doit bénéficier d'une prise en charge de 50 % de ses dépenses supplémentaires d'énergie, hors amortisseur, lorsque cette hausse dépasse 40 % des recettes de fonctionnement.
Les impôts de production en France restent trop élevés par rapport à la moyenne européenne. La suppression de la CVAE est une bonne chose, mais les modalités de compensation pour les collectivités territoriales sont mal conçues. Faites-nous confiance et acceptez nos amendements !
M. Laurent Burgoa. - Très bien !
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je souhaite que nous ayons des débats sereins pour une France forte, souveraine et au service de tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Max Brisson. - Très bien !
M. Claude Raynal, président de la commission des finances . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.) Je remercie l'ensemble des rapporteurs spéciaux pour leurs travaux et leurs propositions.
Avec le 49.3, très peu de dispositions du PLF ont été examinées par l'Assemblée nationale. Le Sénat a donc une responsabilité toute particulière.
Je voudrais m'abstraire quelque peu des chiffres pour tenter de comprendre le sens de ce PLF. S'agit-il de soutenir les Français face à l'inflation ? De maintenir notre outil industriel ? De préserver nos finances publiques ? Un peu tout cela, nous explique M. Attal. Seulement voilà : la copie peine à convaincre.
En 2017, la situation était claire. Bénéficiant d'une situation rétablie, vous avez appliqué une politique néolibérale. Personne, pas même France Stratégie, ne se risque à envisager un lien entre les mesures prises et la réorientation de l'épargne vers les entreprises... Pour ma part, j'étais opposé à votre politique, mais du moins j'en comprenais les attendus.
Puis vint la pandémie. Là aussi, j'ai compris la politique menée, et je l'ai même approuvée. Les résultats ont été au rendez-vous.
La crise russo-ukrainienne, puis la crise énergétique sont venues mettre fin à ce scénario favorable. Dans ce contexte, tâtonnements et choix malheureux se multiplient. Vous avez mis en place de nombreuses mesures non ciblées, plaçant sur un pied d'égalité les Français qui ont de bons revenus et ceux qui ne s'en sortent pas. Concernant la rente inframarginale des producteurs d'énergie, vous avez tardé à accepter une taxation. Comme quoi, il n'est pas si difficile de calculer et de taxer les superprofits... (Marques d'acquiescement à gauche ; M. Daniel Breuiller renchérit.)
Poursuite de la suppression de la taxe d'habitation, suppression de la redevance et de la CVAE : les recettes de l'État diminueront l'année prochaine de 2,7 % en volume.
Alors que vous devez faire face à la crise énergétique et aider les entreprises électro-intensives, vous poursuivez la même ligne politique qu'en 2017, comme si de rien n'était. Et si encore vous aviez la reconnaissance du Medef... (Sourires) Le Medef, qui s'interroge sur la suppression de la CVAE et le manque d'ambition en matière de baisse des dépenses publiques. Le Medef - cela va vite - a déjà oublié les prêts garantis par l'État (PGE), le chômage partiel, les plans de soutien à l'industrie... (M. Roger Karoutchi s'en amuse.)
Les petites entreprises souffrent. Mais pas les grandes : 57,5 milliards d'euros de dividendes pour le CAC 40 en 2021 ! En France, nous avons la passion de la distribution de dividendes. (Sourires sur les travées du groupe CRCE) Sans compter les 23 milliards d'euros de rachats d'actions, totalement insupportables. Sur tout cela, l'État a prélevé 1 milliard d'euros, hors prélèvements sociaux. Le temps n'est plus aux cadeaux fiscaux, mais à l'équilibre entre revenus du travail et dividendes.
Comme moi, monsieur le ministre, vous ne goûtez pas les propos du Medef. Vous avez fait part de votre colère, et leur avez proposé de faire le ménage dans les crédits d'impôts des entreprises. Voilà une offre généreuse ! (Sourires) Je veux vous aider, monsieur le ministre. (Sourires)
M. Bruno Le Maire, ministre. - Tout arrive !
M. Patrick Kanner. - Quel bon fond !
M. Claude Raynal, président de la commission. - L'Institut de recherches économiques et sociales (Ires) a relevé 2 000 mécanismes d'aides aux entreprises, pour 180 milliards d'euros annuels, soit plus de 8 % du PIB : niches, allègements et autres dépenses budgétaires. Vous qui aimez tant les comparaisons internationales, monsieur le ministre : combien de pays soutiennent-ils leurs entreprises à hauteur de 8 % du PIB ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.) Arrêtons de tout regarder en silo. Je proposerai au rapporteur général que notre commission s'y intéresse, pour que vous disposiez d'éléments.
Il faut savoir répondre aux priorités du moment. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Georges Patient et Mme Guylène Pantel applaudissent également.)
Exception d'irrecevabilité
M. le président. - Motion n°I-1419, présentée par MM. Breuiller, Parigi, Gontard, Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Labbé, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat reconnaît que le projet de loi de finances pour 2023 (n° 114, 2022-2023) est contraire au texte de la Constitution française.
M. Daniel Breuiller . - Les écologistes agissent pour une République plus parlementaire. Quelle est la sincérité du Gouvernement dans ce débat ? Respectera-t-il le travail du Parlement ?
La Première ministre a fixé une méthode dans son discours de politique générale. Mais, dans les faits, le travail de l'Assemblée nationale est sabordé par le recours au 49.3 et le vote du Sénat n'est pas respecté : vous réintroduisez dans ce PLF l'article 23 de la loi de programmation des finances publiques (LPFP), que nous avions supprimé. Certes, vous avez organisé les dialogues de Bercy, mais voulez-vous sincèrement travailler avec nous ? Comme lors du grand débat et de la Convention citoyenne pour le climat (réactions sur quelques travées du groupe Les Républicains), vous n'écoutez pas. À l'image des entreprises qui font du greenwashing, vous inventez le democratic washing. Vous faites croire que vous écoutez, mais vous n'entendez pas.
Le Gouvernement montre non seulement son déni du débat parlementaire, mais aussi son absence d'écoute du pays. La Première ministre estimait que, sans majorité absolue à l'Assemblée nationale, le Gouvernement devrait rechercher le compromis. La loi doit être concertée, enrichie par la diversité de nos assemblées. Mais la pratique ne suit pas. Pourtant, on a rarement raison seul et jamais en restant droit dans ses bottes, sans le peuple, surtout à l'heure où fascisme et populisme gagnent du terrain en Europe.
Nous rejetons le dévoiement démocratique. Si le 49.3 est constitutionnel, le tri des amendements est bien plus discutable. Les députés ont débattu avec conviction, mais vous avez éliminé l'essentiel des amendements qu'ils ont voté. En particulier, vous n'avez retenu qu'un amendement écologiste, sans doute par democratic washing : celui de Julien Bayou prévoyant l'utilisation de l'huile de friture comme combustible automobile. Un amendement utile, mais qui n'influe pas sur notre trajectoire carbone... Vous avez écarté, en revanche, celui d'Eva Sas sur l'isolation thermique des logements, alors que le logement représente 25 % de nos émissions de CO2, que l'on dénombre onze millions de foyers en précarité énergétique et cinq millions de passoires thermiques.
Vous avez aussi rejeté l'amendement Modem de Jean-Paul Mattei, malgré son adoption très large, qui taxait temporairement à 35 % les bénéfices exponentiels réalisés dans ce contexte exceptionnel. Ce n'était pourtant pas la nuit du 4 août...
Le Gouvernement respectera-t-il le travail du Sénat ?
J'en viens à l'article 23 de la LPFP, qui met au pas les collectivités et que nous avons rejeté. Les collectivités territoriales votent, contrairement à l'État, des budgets à l'équilibre. Vous remettez en cause leur autonomie, pourtant prévue à l'article 72 de la Constitution. C'est inacceptable pour notre chambre des territoires, pour l'Assemblée nationale, qui l'a aussi rejeté, et pour les associations d'élus. Face à ce refus, le retirez-vous ? Que nenni ! Vous faites revenir ce dispositif par la fenêtre en article additionnel au PLF. Étrange conception de la démocratie ! En attaquant les collectivités territoriales, vous attaquez le dernier échelon démocratique de notre République, qu'il faudrait tout faire pour préserver. Lors de chaque crise que nous avons traversée, les élus locaux ont été la digue de notre cohésion sociale. Ils sont aussi les mieux placés pour évaluer l'efficacité de nos réponses aux défis de notre temps.
Nous souhaitons travailler, proposer, contribuer, car l'urgence climatique est là. Elle est redoutable pour les plus fragiles. Il faut une autre gouvernance, dans la concertation, qui inclut les collectivités territoriales, le Parlement, les partenaires sociaux, les associations et les citoyens. La trajectoire écologique doit être immédiate, l'anecdotique n'y suffit plus. Combien de mauvais hivers et d'étés suffocants faudra-t-il subir encore ?
Si, à l'arrivée, vous refaites le choix du 49.3, messieurs les ministres, ce débat est dénué de sens. Assumez-le. La démocratie sans le Parlement n'est plus la démocratie. Prenez-vous l'engagement d'un débat sincère avec nous ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER ; Mmes Esther Benbassa et Laurence Cohen applaudissent également.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Demande de retrait, sans surprise. L'exception d'irrecevabilité, formellement, porte sur la constitutionnalité du texte. Daniel Breuiller exprime un désaccord politique, mais ne soulève pas de problème constitutionnel.
Ne privons pas la France d'un débat au Parlement, alors que ce débat a été écourté à l'Assemblée nationale, par une procédure certes constitutionnelle et déjà employée, notamment, par Michel Rocard dans les années 1980. La majorité à l'Assemblée nationale n'est que relative. Plusieurs politiques publiques importantes n'ont fait l'objet d'aucun débat. Notre responsabilité est d'autant plus grande, pour nos concitoyens. Cela témoigne de la force du bicamérisme.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Même avis.
Monsieur le rapporteur général, l'heure des choix n'est pas repoussée : c'est maintenant. Le ciblage des aides contre l'inflation est un choix pour maintenant, qui nous engage pour l'avenir et qui tend à ramener les prix de l'énergie vers les prix de marché. Une fois le choc amorti, il faut protéger les plus fragiles, mais laisser le marché reprendre ses droits.
Il est indispensable de soutenir les forces de l'ordre, l'école et l'hôpital public.
Nous sommes prêts, avec Gabriel Attal, à fixer une trajectoire des finances publiques plus d'ambitieuse, avec une baisse des dépenses publiques en volume de 0,5 % sur la durée du quinquennat, pour les collectivités territoriales comme pour l'État.
Monsieur le président Raynal, merci d'avoir salué nos politiques contre le covid. En octobre 2021, nous avons choisi de protéger tous les Français avec un bouclier tarifaire unique en Europe, coûteux et indifférencié. Il est désormais temps de protéger davantage les plus modestes, les plus aisés assumant une partie du coût avec une hausse de 15 %. Cette politique nous a offert un avantage stratégique : le niveau d'inflation le plus faible de toute la zone euro. Cela l'emporte sur les inconvénients.
Sur les superprofits, nous voulons taxer la rente des énergéticiens. Nos voisins européens qui taxent toutes les entreprises s'aperçoivent que cela rapporte moins qu'une taxation ciblée et pénalise des secteurs sans lien avec l'énergie. Notre mesure est juste et efficace. Que personne ne croie que nous avons laissé les grands énergéticiens profiter de l'explosion des prix de l'énergie ! (Mme Éliane Assassi proteste.)
M. Fabien Gay. - Sans blague !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Cela rapportera 26 milliards d'euros à notre pays en 2023. Aucun pays européen ne peut en dire autant. Le système de taxation inframarginal de la Commission européenne est calqué sur le nôtre. On peut ainsi conjuguer justice et efficacité fiscale.
Je ne m'arrêterai pas là...
M. Fabien Gay. - Ah ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Nous sommes les premiers à avoir taxé les géants du numérique, pour 620 millions d'euros. Nous mettrons en place, au plus tard début 2023 une taxation minimale à l'impôt sur les sociétés (IS), pour lutter contre l'évasion fiscale.
Le président Raynal a évoqué le Medef. Nous ne recherchons que la reconnaissance des Français. (Marques d'ironie sur les travées des groupes CRCE et SER) Notre politique passe par la reconquête industrielle. C'est elle qui nous permettra de jouer notre rôle économique au XXIe siècle. Ce qui rendra du pouvoir d'achat aux Français, ce n'est pas la redistribution mais la création d'emplois industriels qualifiés et bien rémunérés. Il y va de notre indépendance économique. Notre compétitivité passe par la baisse des impôts de production, qui ne doit pas tarder. Vous proposez un report d'un an, c'est une éternité pour l'industrie. (Protestations sur les travées du groupe CRCE) Il faut 4 milliards d'euros d'impôts de production en moins dès 2023 et une baisse concentrée sur les PME industrielles.
La première richesse de l'industrie, ce sont les salariés qui y travaillent. C'est notre meilleur investissement.
L'énergie sera la grande question économique du XXIe siècle. L'Europe doit devenir indépendante. Nous devons diversifier notre mix énergétique, en réinvestissant dans six nouveaux réacteurs nucléaires. La première mission du futur président d'EDF sera de produire le plus d'énergie possible. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et Les Républicains)
M. Jean-Michel Arnaud. - Et Fessenheim ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Nous continuerons à nous battre pour réformer le marché européen de l'énergie et découpler définitivement prix du gaz et de l'électricité.
Enfin, vous avez mentionné le sujet le plus important...
Mme Nathalie Goulet. - La fraude !
M. Bruno Le Maire, ministre. - C'est un sujet important, mais je voulais parler de la rémunération du travail. Nous voulons tous que les Français puissent vivre dignement de leur travail.
M. Fabien Gay. - Là, nous sommes d'accord !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Le seul pays développé dans lequel la rémunération du travail et du capital est restée stable au cours des vingt dernières années, c'est la France.
Mme Éliane Assassi. - C'est faux !
M. Fabien Gay. - Elle a perdu dix points !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je ne dis pas que la situation est satisfaisante, mais elle est stable. Tous les autres pays développés ont vu la rémunération du capital exploser par rapport à celle du travail.
Nous sommes aussi le seul pays à avoir développé aussi massivement l'intéressement et l'actionnariat salarié. Certains d'entre vous ont déjà eu ces débats durant la loi Pacte, qui en a ouvert le bénéfice à 60 % de salariés de PME supplémentaires.
M. Fabien Gay. - Et les salaires ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Nous continuerons à avancer vers une meilleure rémunération du travail.
Mme Laurence Cohen. - Ah, enfin ! Merci !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je le dis depuis trois ans : toutes les entreprises qui le peuvent doivent augmenter les salaires. En 2022, je constate que la hausse atteint 4 %, et je remercie les entreprises qui ont fait cet effort.
Ensuite, il faut un meilleur partage de la valeur. Ce doit être le grand débat de début 2023 : comment créer un dividende salarié ? Travaillons-y tous ensemble.
M. Daniel Breuiller. - Je remercie le rapporteur général de ses explications. Notre groupe ne souhaite en aucun cas empêcher le débat. Je retire cette motion d'irrecevabilité. Nous verrons si le Gouvernement méprise le débat.
La motion n°I-1419 est retirée.
Question préalable
M. le président. - Motion n°I-1287, présentée par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2023.
Mme Éliane Assassi . - L'invocation à quatre reprises du 49.3 a mis un coup d'arrêt prématuré à l'examen du PLF et du PLFSS. Cet état de fait justifie à lui seul une motion et le rejet du texte. Il a manqué un débat approfondi sur trop de sujets.
Ce matin, un sénateur disait que le travail en CMP incarnait un bicamérisme équilibré. Cet après-midi, il est plutôt déséquilibré. L'utilisation du 49.3 souligne la fragilité du second mandat d'Emmanuel Macron, et, paradoxalement, un exercice vertical du pouvoir et un entêtement autoritaire ne tenant pas compte du résultat des élections.
Le Sénat peut-il accepter cet oukase sans réagir ? Nous devons débattre au préalable de cette situation inédite. Cette fois-ci, l'utilisation du 49.3 se déroule dans un contexte politique différent. Vous le savez, nous n'avons pas peur du débat. Mais à quoi bon débattre puisque le Gouvernement dégainera une nouvelle fois le 49.3 et piochera ses amendements préférés ? Quelque 83 % des amendements retenus en première lecture émanent de la majorité. Nos camarades du groupe de la gauche républicaine et démocrate (GDR) n'ont l'honneur que d'un amendement retenu sur 130. Les autres groupes de la Nupes sont logés à la même enseigne. C'est ubuesque. La Première ministre rejette des amendements adoptés, conserve des amendements rejetés, retient des amendements non discutés. Ce texte sur mesure s'est construit au détriment du Parlement. Les dialogues de Bercy s'apparentaient davantage à des monologues. Le 49.3 entérine un monologue budgétaire.
Selon Pascal Jan, le 49.3 est « une arme lourde du parlementarisme rationalisé ». Selon la Première ministre, il n'était pas possible de tenir les délais d'examen du PLF, or il fallait donner un budget à notre pays. Bien sûr, nous le souhaitons aussi. Mais agiter la menace d'un shutdown à l'américaine est une manipulation coupable : le rejet d'un PLF n'entraîne pas la suspension de la rémunération des fonctionnaires ou du versement des dotations aux collectivités. Ce chiffon rouge n'est brandi que pour passer outre des désaccords.
On nous dit que le débat serait long, mais la démocratie prend du temps ! Arguer que les oppositions auraient déposé trop d'amendements est une manoeuvre grossière : le droit d'amendement est le seul moyen d'expression des parlementaires.
Notre assemblée devrait promouvoir une reprise de contrôle du Parlement sur le budget.
Le Gouvernement et sa majorité relative se sont fait mettre en minorité. Le constitutionnaliste Guy Carcassonne parlait du 49.3 comme d'un remède à l'absence de majorité. Au contraire, c'est un poison. Une majorité nette a affirmé qu'elle ne voterait pas ce budget. C'était un rejet politiquement sincère.
Ce texte consacre la poursuite d'une politique libérale et la prolongation d'un grand nombre de niches fiscales, pour un montant de 100 milliards d'euros en 2023. Certaines sont utiles, mais d'autres sont inefficientes ou défavorables au climat. La COP 27 l'a affirmé : nous ne contiendrons pas le réchauffement climatique en dessous de 1,5 degré. Or il ne convient pas d'opposer la cote d'alerte des finances publiques à la cote d'alerte climatique. Pour paraphraser Gabriel Attal, il y a des économies qui coûtent et des dépenses qui rapportent. Un euro investi dans la transition écologique nous fera économiser 100 euros sur ses conséquences.
Le PLF 2023 poursuit une logique de courte vue, à la petite semaine : un bouclier par-ci, un filet de sécurité par-là. Mais la population et les collectivités territoriales voient s'envoler leur facture énergétique - qui ont déjà augmenté de 50% depuis dix ans. Le Gouvernement se borne à faire payer le contribuable à la place du client. Nos finances publiques méritent mieux que cela.
Ce PLF renforce l'injustice fiscale. Il diminue l'impôt sur le revenu de tous, en prétextant soulager la classe moyenne. Mais celle-ci ne gagne pas 160 336 euros annuels !
Oui, nous voulons taxer les plus riches ! Rétablir l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ferait encaisser à l'État 3 milliards d'euros, exactement le coût de l'amendement pour les transports voté à l'Assemblée nationale, que vous avez enterré avec le 49.3. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
Vous persistez avec la suppression de la CVAE, c'est-à-dire la suppression du lien entre la richesse et l'endroit où elle se crée, ce qui engendre une fracture fiscale territoriale. La CVAE constituait aussi un rempart contre l'évasion fiscale. (M. Éric Bocquet approuve.) Cette décision consacre la politique de l'offre mais fait peser sur les ménages la baisse des impôts des entreprises. Ce sera un énième cadeau fiscal injustifié au patronat, qui s'ajoute aux subventions d'État qui culminent à 371 milliards d'euros !
Il n'y a qu'un pas entre la continuité et l'obstination. L'Assemblée nationale n'a pas pu mener ce débat, et pour cause.
Certes, nous devons débattre, mais pour qui ? Le Gouvernement piochera dans les propositions qui lui sont faites. Nos amendements sont à votre disposition ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST ; M. Patrice Joly applaudit également.)
présidence de Mme Nathalie Delattre, vice-présidente
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Notre démocratie a besoin d'écoute, de dialogue et de respect, sur toutes les travées. Le Gouvernement doit renoncer à l'unilatéralisme. Pour dialoguer, il faut être deux. Au Sénat, nous voulons engager le débat. Le Gouvernement a une responsabilité : faire vivre la démocratie.
Luttons contre l'immobilisme et contre les raccourcis. Je crois à l'intelligence partagée. Ne laissons pas prospérer les fractures territoriales, sociales et écologiques.
Je ne suis pas favorable à l'émiettement, qui fait le lit des populismes. (Mme Éliane Assassi proteste.) Le Sénat doit impérativement débattre et le Gouvernement doit nous écouter, sans balayer nos propositions d'un revers de main.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Même avis. Nous avançons ici dans un esprit de dialogue et de compromis. J'espère que nous pourrons trouver des accords.
Mme Éliane Assassi. - Dont acte !
M. Albéric de Montgolfier. - Je note !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Notre politique est claire : nous sommes opposés à toute augmentation de taxe et d'impôt, car notre niveau d'imposition est le plus élevé de tous les pays développés. (Protestations sur des travées du groupe CRCE et du GEST)
M. Sébastien Meurant. - C'est vrai !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je rappelle que 70 % de l'IR est payé par 10 % des contribuables. Notre imposition du capital est supérieure à la moyenne de la zone euro.
Il ne faudrait pas supprimer la CVAE ? Notre niveau de fiscalité sur la production est cinq à six fois plus élevé que celui de l'Allemagne. On ne peut pas pleurer sur la désindustrialisation de la France - la pire des décisions sur le plan social et économique, dont on déplore les conséquences sur les territoires - et en même temps vouloir garder un niveau d'imposition très élevé !
Faisons montre de cohérence et de fermeté : nous voulons alléger la fiscalité pesant sur l'outil industriel. Avant de répartir les richesses, créons-en de nouvelles.
M. Éric Bocquet. - Le bicamérisme se conçoit dans son unité. Monsieur le rapporteur général, soutenez-vous l'utilisation du 49.3 ? Quelle garantie le Gouvernement donne-t-il sur la place des propositions du Sénat dans la loi finale ? Charles Dickens dénonçait ainsi le mépris de l'exécutif au regard du travail législatif : « Désolé de faire quelque chose qui risque d'interrompre des activités aussi sympathiques, comme disait le Roi au moment de dissoudre le Parlement. »
Le Sénat s'honorerait à ne pas cautionner le mépris avec lequel il a été décidé des sujets sur lesquels l'Assemblée nationale pouvait débattre. Ainsi, le débat sur les collectivités territoriales a été repoussé, et s'est tenu principalement dans la presse. Le Gouvernement promeut son budget sans contradicteur. Le Sénat se fourvoie, car cela se reproduira l'année prochaine et les suivantes. Que décidera la majorité sénatoriale ?
Le Parlement doit faire corps uni ! Comment tolérer un nouveau 49.3 ? Nous ne nous dérobons pas - ce n'est pas le genre de notre groupe. Nous avons de nombreuses propositions ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST ; M. Patrice Joly applaudit également.)
La motion n°I-1287 est mise aux voix par scrutin public ordinaire de droit.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°57 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 279 |
Pour l'adoption | 27 |
Contre | 252 |
La motion n° I-1287 n'est pas adoptée.
Discussion générale (Suite)
M. Daniel Breuiller . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Nous ouvrons ce débat du PLF 2023 quelques jours avant la clôture de la COP 27 et après un été marqué par la sécheresse et les épisodes météorologiques gravissimes. Un Français sur deux vit dans une zone touchée par la surchaleur urbaine et bientôt les deux tiers du pays seront exposés à des sécheresses durables.
Les écosystèmes sont malmenés : 32 % des oiseaux nicheurs sont menacés de disparition, comme 19 % des poissons d'eau douce.
La guerre menée par la Russie en Ukraine est une tragédie, dont certains, hélas, profitent. Les conséquences sont brutales pour notre pays. Le pouvoir d'achat des Français est mis à mal, en premier lieu celui des étudiants et des personnes âgées. Les 5 % d'inflation n'ont pas le même impact selon que l'on gagne 1 500 euros ou 5 000 euros.
De même que nous n'avions pas anticipé l'épidémie de covid-19, votre incapacité à anticiper les effets des dérèglements climatiques est affligeante.
Malgré quelques mesures positives, ce PLF relève de la sacro-sainte orthodoxie libérale : baisse des impôts, réduction du déficit et désarmement financier de l'État. Cette trajectoire montre une absence de volonté de faire face à la crise climatique.
Ces crises confortent les analyses des économistes : j'aurais préféré qu'il en fût autrement, mais la crise est là et les incertitudes s'amplifient. Edgar Morin rappelle que « vivre, c'est naviguer dans une mer d'incertitudes, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille... »
Les îlots et les archipels vers la transition écologique, nous les connaissons : c'est par exemple l'isolation thermique des bâtiments. Dépenser 47 milliards d'euros dans des boucliers énergétiques et 2,5 milliards d'euros pour la rénovation du bâti est une faute. Le bouclier énergétique doit être plus ciblé, la rénovation plus large. Un investissement massif dans la rénovation thermique diminuerait nos émissions de CO2 et aiderait les familles modestes.
On pourrait aussi créer un ISF climatique, au potentiel de plus de 10 milliards d'euros : les plus aisés, qui polluent le plus, seraient mis à contribution. Les 500 familles les plus riches ont un patrimoine de plus de 1 000 milliards d'euros : l'effort serait modeste.
En instaurant un bonus-malus, en soutenant la recherche, la création culturelle, les associations, vous renforceriez notre démocratie humaniste et éclairée.
L'école, la justice, les hôpitaux, l'accueil du grand âge : il y a des besoins criants. Nous demandons un impôt plus progressif, ainsi que la taxation des dividendes et des superprofits. Les intérêts de la dette passent à 50 milliards d'euros - 14 milliards d'euros de plus que l'an dernier. Or vous supprimez 8 milliards d'euros au titre de la CVAE !
Les opérateurs qui oeuvrent pour la transition énergétique - Météo-France, l'Office français de la biodiversité (OFB), l'Office national des forêts (ONF), le Cerema - ont besoin d'une aide financière. Et vous diminuez de 4 295 ETP les postes au ministère de la transition écologique !
Nous voulons une société plus inclusive et plus juste. Mais notre pays pulvérise les records de dividendes - 57 milliards d'euros versés l'an dernier. En athlétisme, on aurait demandé un contrôle antidopage...
Il faut mieux rémunérer le travail et prévoir un coût modique pour le premier mètre cube d'eau ou le premier mégawattheure d'électricité. Que chacun paie pour le superflu !
Nous plaidons pour une agriculture paysanne, une alimentation bio, la lutte contre les îlots de chaleur... La liste est longue. Nous déposerons de nombreux amendements. Le fonds vert de 2 milliards d'euros ne suffira pas.
Nous plaidons en faveur d'une République des territoires : alors que les résidences secondaires et les Airbnb se multiplient, les étudiants ne peuvent plus se loger. Laissez les collectivités territoriales libres de fixer leur taxe d'habitation sur les résidences secondaires, hôtels de luxe ou logements vacants.
Protégez les collectivités territoriales en indexant la dotation globale de fonctionnement (DGF) sur l'inflation et supprimez l'article 23 de la LPFP, maquillé en article 40 quater dans ce PLF.
Les marges d'amélioration sont nombreuses : notre groupe fera des propositions.
Deux postulats doivent être acceptés : la fraternité et l'égalité nécessitent de réduire les injustices ; la dette climatique est au moins aussi dangereuse que la dette financière. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et CRCE ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - C'est vrai !
M. Teva Rohfritsch . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ia ora na ! Ce PLF poursuit la politique de l'offre menée depuis 2017 pour soutenir la compétitivité des entreprises et le pouvoir d'achat des ménages. Après 50 milliards d'euros d'allègements fiscaux sous le précédent quinquennat, ce PLF prévoit la suppression en deux temps de la CVAE. Certains de ceux qui s'y opposent aujourd'hui proposaient pourtant cette baisse durant la campagne présidentielle...
Cette suppression sera totalement compensée. Hors de question d'assécher les comptes des collectivités territoriales. Amendons, discutons, plutôt que de renoncer à une réforme attendue.
Les récentes réformes fiscales ont porté leurs fruits, avec la compensation de la taxe d'habitation par une part de TVA, plus dynamique. Le pouvoir d'achat des Français a crû de 1 % par an depuis 2017, soit un gain annuel moyen de 300 euros. Et ce, malgré deux années de crise. Notre politique économique porte ses fruits.
Ce PLF vise le plein-emploi en prolongeant des dispositifs efficaces. Sous le quinquennat Hollande, le chômage dépassait 10,5 %, avec pour seul horizon l'inversion de la courbe. Désormais, le chômage passe sous les 7 %. Le plein-emploi est à notre portée.
Nous renforçons le financement de l'apprentissage, qui a touché 900 000 jeunes en 2021. Nous visons le cap du million d'ici 2027, en y consacrant 3,5 milliards d'euros. Le taux d'emploi des 15-24 ans a progressé de 5,3 points entre 2015 et 2021. Cette génération sera le moteur de notre économie.
Citons aussi les 300 millions d'euros pour le FNE-Formation, les 50 millions d'euros pour le dispositif Transitions collectives. Nous nous félicitons de la baisse de cinq points, depuis 2017, du taux de chômage des personnes en situation de handicap.
Ce budget apporte un soutien sans précédent aux fonctions régaliennes, avec 8 % de hausse pour le budget de la justice, 3 000 postes en plus au ministère de l'intérieur, 1 500 à la défense... Ces efforts sont financés, tout en maintenant l'objectif d'un déficit sous les 3 % en 2027.
Le RDPI portera des amendements pour soutenir les collectivités territoriales face à l'inflation. Je vous proposerai de soutenir les investissements dans les collectivités d'outre-mer, notamment du Pacifique.
Certains voudraient une trajectoire budgétaire encore plus exigeante. À quoi devrions-nous renoncer pour y parvenir ? À l'éducation, à la transition écologique, au régalien ?
Ce PLF trace une trajectoire cohérente et pertinente et répond aux attentes des Français de métropole et d'outre-mer. C'est la voie de l'action, qui exprime les solidarités. Le RDPI le soutiendra. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Thierry Cozic . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nous abordons ce PLF sous l'emprise de l'article 49.3, certes constitutionnel, mais qui muselle les organes de la démocratie.
Votre volonté de maintenir l'économie à flot par diverses aides se heurte à votre volonté d'austérité - on frôle la schizophrénie. Car ce PLF est le deuxième budget le plus austéritaire de ces vingt dernières années. Une fois neutralisées les dépenses exceptionnelles liées au covid, les 65 milliards d'euros de dépenses supplémentaires prévues couvrent tout juste l'inflation. Seul un budget aura été plus restrictif : celui de 2018, juste avant la crise des gilets jaunes...
Ce budget aura un impact sur les tensions sociales, sur les services publics et la réponse aux besoins de la population. Notre capacité à préparer l'avenir est menacée. Donner aux élus des marges de manoeuvre est vital pour qu'ils puissent penser le futur sereinement. D'où mon amendement qui indexe la DGF sur l'inflation.
Les crises sanitaires, économiques et sociales malmènent les collectivités. La hausse des dépenses d'énergie coûte 11 milliards d'euros. Ce n'est pas un hasard si vous avez déclenché le 49.3 avant d'aborder les articles relatifs aux collectivités territoriales. Au Sénat, vous ne pourrez pas vous dérober ; vos chinoiseries parlementaires n'y pourront rien. (Sourires)
Vous souhaitez à toute force atteindre les 5 % de déficit en 2023, tout en baissant les impôts : comment, dans ces conditions, financer les services publics ou la transition écologique ? Votre politique environnementale, c'est un peu plus de vert, beaucoup plus de gris : baisses d'impôts sans contreparties environnementales, subventions à la consommation d'énergies fossiles.
Nous serons attentifs à l'emploi du fonds vert. Ces crédits devront être intégralement engagés en 2023 et non se substituer à des dépenses préexistantes. Notons que la dotation de 150 millions d'euros pour la stratégie nationale biodiversité (SNB) sera portée par le fonds vert...
En tout état de cause, celui-ci sera très insuffisant pour atteindre la neutralité carbone. Nous devrions investir 10 milliards d'euros par an, soit le triple de l'effort réalisé. Les collectivités ne sont pas réticentes à investir, mais il faut les aider en accélérant les décaissements.
Elles ont surtout besoin de retrouver des marges de manoeuvre fiscales. Nous vous proposons de leur permettre d'augmenter la taxe d'habitation sur les résidences secondaires.
Ne regardons pas l'avenir avec les lunettes du passé. Nous défendons une vision du monde altruiste mais toute aussi exigeante. Churchill disait: « Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu'il ne nous prenne par la gorge. » (M. Julien Bargeton apprécie.) Avec ce budget, nous serons tous pris à la gorge. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du groupe CRCE)
M. Éric Bocquet . - Voici le temps d'examiner le PLF 2023, que vous disiez destiné à « protéger les Français ».
Ni les gilets jaunes, ni le covid, ni la guerre en Ukraine n'auront eu raison de votre dogme de réduction coûte que coûte de la dépense publique. Le programme de stabilité transmis à la Commission européenne veut contenir la hausse des dépenses publiques à 0,6 %. Bercy promet de réduire les dépenses de l'État et des collectivités. C'est le retour de l'orthodoxie budgétaire des traités de Maastricht et Lisbonne. Votre politique, c'est une austérité qui ne dit pas son nom.
Entre 2022 et 2027, la maîtrise de la dépense publique sera portée par l'ensemble des administrations publiques, lit-on dans les documents budgétaires. La politique fiscale menée sous le précédent quinquennat a surtout favorisé les entreprises et les ménages les plus aisés, pour 54 milliards d'euros de moindres recettes.
Vos choix amenuisent les recettes publiques. Vous faites peser l'intégralité de l'effort sur des services publics exsangues, en refusant d'activer le levier fiscal, gage de redistribution.
Selon l'ONG Observatoire des multinationales, les dividendes versés par les entreprises du CAC 40 ont atteint un record de 57,5 milliards d'euros en 2021. S'y ajoutent les rachats d'actions, soit une gratification de 23 milliards d'euros pour les actionnaires. Précisons que 14 % des filiales du CAC 40 sont situées dans des paradis fiscaux, et que la rémunération moyenne des dirigeants des grands groupes a progressé de 26 % entre 2019 et 2021.
Or ces groupes bénéficient de subventions publiques. En 2019, 160 milliards d'euros leur ont été versés. En 1980, c'était 10 milliards d'euros... Il faudrait au moins imposer des contreparties pour soutenir les salaires et les investissements écologiques, d'autant que 30 % des bénéfices des multinationales sont transférés dans les paradis fiscaux.
En refusant la taxation, vous privilégiez le recours à la dette. En 2023, nous emprunterons 270 milliards d'euros.
Les conséquences de cette austérité sont déjà visibles. Le PLF affiche une baisse de 1 % pour l'hébergement et le logement des personnes vulnérables, avec 20 000 fermetures de places ; les crédits alloués à la lutte contre la pauvreté des jeunes diminuent de 23,8 %.
À quelques jours du Congrès des maires de France, les associations d'élus ont toutes critiqué la suppression de la CVAE : 8 milliards d'euros disparaîtront des caisses des collectivités territoriales, après la suppression de la taxe professionnelle et de la taxe d'habitation - toujours sans concertation. Nous rêvons tous d'une République où on demanderait l'avis des élus locaux avant de décider de supprimer une taxe ou un impôt qui leur revient. (Mme Nathalie Goulet approuve.)
Les collectivités territoriales n'ont aucune responsabilité dans le déséquilibre financier de la Nation : elles n'empruntent que pour investir, contrairement à l'État, qui emprunte pour son fonctionnement. Leur part dans la dette globale du pays n'est que de 8 %, chiffre inchangé depuis trente ans. Elles ont déjà participé pour 46 milliards d'euros au redressement des comptes publics. Vous laissez entendre que les collectivités territoriales seraient assises sur un tas d'or, or il n'y a pas de gras puisque dépenses et recettes s'équilibrent.
Les dépenses d'équipement des communes sont en retrait de 12,5 % ; les fonds de roulement sont en excédent, car en 2021, les investissements prévus avant la crise n'ont pu être engagés.
Une stabilité des dotations générera automatiquement un effet récessionniste. Rappelons que les collectivités réalisent 70 % de l'investissement public, pour 8 % seulement de l'endettement. Qui dit mieux ?
Après la crise sanitaire, les collectivités font désormais face à l'explosion des prix des matières premières, des denrées alimentaires et de l'énergie. Les dépenses d'énergie bondissent jusqu'à 600 % dans certains cas. Les maires ne savent pas s'ils pourront payer les factures et ce qui leur restera pour investir.
Il faut les aider à absorber le choc énergétique. Les dernières annonces ne suffiront pas à les rassurer. L'indexation de la DGF sur l'inflation et le retour aux tarifs réglementés pour toutes les collectivités seraient des signaux encourageants.
Le service public, c'est le patrimoine de ceux qui n'en ont pas. Affaiblir les services publics, c'est aggraver les fractures géographiques et sociales, et amplifier la crise civique.
Nous contestons les choix régressifs de ce PLF, comme nous en contestons la forme. Dans une interview à La Gazette des communes, M. Attal évoquait les contrats de confiance, appelant à une maîtrise des dépenses de fonctionnement des collectivités, sous peine de non-accès aux dotations de l'État. Celles qui refusent manifestement de s'inscrire dans la trajectoire s'exposeraient à des « reprises »... C'est une atteinte à l'article 72 de la Constitution, au principe de libre administration des collectivités territoriales. Vous prenez un risque économique et politique à corseter ainsi les administrations publiques et les collectivités, qui sont une réponse concrète à la fracture sociale.
Votre budget ne prend pas en compte l'état réel de la société. Nous ne pourrons que le rejeter. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST)
Mme Sylvie Vermeillet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le groupe UC aborde ce PLF dans le même esprit que les précédents : rigueur budgétaire et recherche du plus faible déficit. Avec Bruno Le Maire, nous sommes « à l'euro près ». Avec Gabriel Attal, nous voulons « éviter le dérapage ». Pour cela, nous proposons une trajectoire différente de la vôtre.
Je me concentrerai sur le volet recettes. Il manque des recettes dans ce PLF, notamment une contribution exceptionnelle générale sur les bénéfices et la CVAE.
Pas plus que vous, nous n'aimons prélever des impôts et limiter la croissance de nos fleurons du CAC 40. Mais il faut protéger nos concitoyens et anticiper les crises à venir. Nous devons nous prémunir de déficits irréversibles.
Bruno Le Maire explique très bien pourquoi il faut éviter la spirale inflationniste. Mais dès 2023, la France devra emprunter 270 milliards d'euros, soit 10 milliards de plus que l'année dernière, à un taux qui bondit à 3 % pour les OAT à dix ans.
La maturité de notre dette de huit ans et les taux d'emprunt décroissants avaient rendu le coût de nos emprunts dérisoires. C'est terminé. Les taux sont alarmants. Il est impératif de réduire notre endettement. Philip Lane, chef économiste de la BCE, craint l'effet inflationniste des déficits et est favorable à notre taxation.
C'est pourquoi nous proposons une contribution exceptionnelle sur les bénéfices des entreprises quand ils dépassent 10 millions d'euros. Nous avons calqué notre amendement sur la taxation européenne, en appliquant le même taux de 33 % aux bénéfices 2022 supérieurs de 20 % à la moyenne des années 2018-2021.
Nous souhaitons une participation de toutes les entreprises ayant réalisé des bénéfices exceptionnels, et pas seulement les énergéticiens que vous ponctionnez à hauteur de 25 milliards d'euros. Pourquoi les autres secteurs y échappent ? (Mme Nathalie Goulet approuve.) Pourquoi pas le transport, le luxe, les laboratoires, les banques ? (M. Éric Bocquet approuve.)
En août, Bruno Le Maire s'opposait à cette contribution exceptionnelle, appelant les entreprises à faire des efforts pour le pouvoir d'achat des Français. Elles ne l'ont pas écouté...
Faisons ce qui est juste, à savoir prélever une contribution exceptionnelle sur des profits exceptionnels pour financer des dépenses exceptionnelles. L'État ne peut pas toujours dépenser tout seul pour tout le monde. Il est normal qu'il récupère un peu quand certains s'enrichissent beaucoup. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du GEST) Nous allons chercher l'argent là où il est, en nous engageant à ce que cette mesure reste exceptionnelle.
Le Sénat et les collectivités territoriales tiennent à la CVAE, lien tangible entre les entreprises et les collectivités territoriales, entre l'oiseau et le nid. J'avais proposé de supprimer plutôt la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S).
Nous ne pouvons creuser notre déficit de 4 milliards d'euros pour compenser la suppression des deux tranches. L'État a besoin d'entreprises fortes et agiles, mais aussi de collectivités territoriales fortes et agiles. Remettons à plus tard - voire jamais - cette suppression.
Peut-être sommes-nous assez riches pour nous passer de ces deux mesures, mais en tout cas, le Sénat le sera dans ses débats. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et CRCE, ainsi que sur quelques travées des groupes SER et Les Républicains ; M. Bernard Fialaire applaudit également.)
Mme Esther Benbassa . - (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.) Dans ce contexte économique et social tendu, nous abordons un PLF qui ne remplit pas sa part du contrat, fondé sur des projections financières irréalistes.
Nous nous perdons dans un flot d'estimations et de pourcentages que vous seul comprenez, alors que la Commission européenne annonce une récession et un hiver particulièrement difficile.
Même si le déficit se stabilise à 5 % pour 2023, cela n'empêchera pas une augmentation de la dette publique. Vous dites vouloir préserver les ménages de l'inflation tout en contenant au maximum le déficit public. Équation impossible ! Si l'intention est louable, vous manquez de crédibilité. Après une loi pour favoriser le pouvoir d'achat, un PLF de crise, un bouclier tarifaire, les Français restent fortement lésés par la hausse des prix.
Tous ceux qui n'ont pas mis les pieds dans un hypermarché ne connaissent pas la réalité sociale de la France aujourd'hui, disait Annie Ernaux. Avez-vous fait les courses récemment, monsieur le ministre ? L'inflation alimentaire atteint 12 %. Selon un sondage Elabe, 85 % des Français estiment se brider dans leurs achats, car il faut payer les factures d'électricité et de gaz. Tout extra est proscrit. Ce calcul de chaque instant hante nos concitoyens. Comment se déplacer à moindre coût ? Est-il envisageable de partir en vacances, de mettre le chauffage ?
Les Français jouent cependant le jeu de la sobriété énergétique en modifiant leurs comportements, non grâce à vos saillies sur le col roulé ou le wifi, mais grâce à une prise de conscience collective. Ne leur demandez pas plus d'efforts qu'ils ne peuvent en fournir.
L'épuisement des énergies fossiles continuera à mettre les prix de l'énergie sous pression. Il faudra prendre ses responsabilités. La dette écologique se creuse chaque année, et nous la léguons aux générations futures. La dette publique ne peut être un prétexte pour ne pas agir. Sans quoi, les dégâts écologiques et humains seront inévitables.
En cherchant à passer en force sur ce PLF, vous ne mesurez pas la gravité de la situation économique des Français et vous actez une rupture de confiance entre l'exécutif et les parlementaires. Je voterai évidemment contre. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
M. Jean-Claude Requier . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Emmanuel Capus applaudit également.) L'Assemblée nationale vote, le Sénat délibère... Est-ce encore vrai ? Après le 49.3, le véritable débat budgétaire commence aujourd'hui, avec un nombre record d'amendements déposés.
La configuration actuelle est inédite. Le Gouvernement dispose encore de marges de manoeuvre importantes : au-delà du 49.3, il est le seul à pouvoir engager une dépense. La disproportion des moyens en faveur de l'exécutif reste patente. Nous ne jouons pas à armes égales.
Cet exercice est le premier dans la configuration établie par la loi organique du 28 décembre 2021. Nous avions même imaginé à l'origine un texte budgétaire spécifique aux collectivités territoriales, à l'instar du PLFSS...
Après le covid 19 et le rattrapage économique, l'inflation est repartie à la hausse, liée en partie au conflit ukrainien. Dans ce contexte, les perspectives de croissance sont incertaines.
L'article liminaire présente les prévisions de solde structurel et de solde effectif des administrations publiques ainsi que, depuis la modernisation de la LOLF, le niveau d'endettement, le taux de prélèvement obligatoire et la ventilation par type d'administration publique.
Le déficit est prévu à 5 % du PIB. Pourtant, la croissance réelle serait de 1 % en 2023, contre 2,7 % en 2022. Ces hypothèses restent incertaines et le Haut conseil des finances publiques, dans son dernier avis, est revenu sur la position tenue cet été.
La réforme phare du PLF est la suppression sur deux ans de la CVAE. La majorité sénatoriale avait soutenu en son temps la suppression de la taxe professionnelle, remplacée par la CVAE et par la cotisation foncière des entreprises (CFE). On observe un usage de plus en plus diversifié des recettes de TVA. Si la question de l'équité se pose, l'efficacité économique est au rendez-vous, avec des rentrées fiscales dynamiques. Les comptes publics devront toutefois rester diversifiés et indépendants des aléas de la conjoncture.
Les finances locales, en France, représentent 20 % de la dépense publique, contre 40 % pour la moyenne européenne. D'où la question lancinante des priorités...
Nous avons voté des rallonges au budget de la défense à la suite du conflit ukrainien, et les budgets régaliens ont connu un retour en grâce. Cela dit, tous les budgets augmentent en 2023 - effet de l'inflation, et de la volonté d'assurer des missions essentielles, même si les taux d'emprunt remontent. Le Gouvernement a pratiqué le quoi qu'il en coûte... pas facile d'en sortir !
La DGF reste stable. Je salue la revalorisation de la dotation de solidarité rurale (DSR).
En réponse à l'épineuse question de la taxation des surprofits, le Gouvernement propose un amendement sur le plafonnement des rentes dites inframarginales, fruit d'un accord au niveau européen.
Mon groupe vous proposera l'amendement classique visant à élargir l'assiette de l'impôt sur le revenu, dit amendement Caillaux.
L'aménagement des territoires, notamment ruraux, doit se centrer sur la transition écologique, mais sans dogmatisme.
Le pouvoir d'achat reste le fil rouge de ce PLF. Difficile de prévoir une trajectoire à court ou moyen terme, alors que les prix de l'énergie s'envolent. Nous formulerons des propositions dans l'intérêt des populations et des territoires.
Nous serons attentifs au sort réservé à nos amendements, en respectant toujours la liberté de vote qui caractérise notre groupe.
M. Roger Karoutchi. - Très bien.
Mme Christine Lavarde . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les années se suivent et se ressemblent. La permanence de l'État est bien là, le ministre de l'économie reste, celui des comptes publics change (M. Gabriel Attal sourit) et les critiques demeurent. Un nouveau quinquennat pour rien, pour la maîtrise des comptes publics ?
Ce budget est censé « protéger les Français » face à l'inflation. Un pouvoir d'achat préservé grâce au Gouvernement ? Toutes les missions voient leur enveloppe augmenter... Tout serait donc pouvoir d'achat ? Difficile de discerner des priorités, alors que Bruno Le Maire annonçait, en septembre, un budget responsable à l'euro près.
La dépense a augmenté de 32,7 milliards d'euros sous le quinquennat Sarkozy, de 27 milliards d'euros sous Hollande (M. Claude Raynal, président de la commission, le relève), de 118 milliards d'euros sous Macron 1 et déjà de 62 milliards d'euros pour cette première année du nouveau quinquennat. Aucune économie structurelle n'est réalisée. Le déficit va augmenter, alors que la prévision de croissance est trop optimiste.
L'État protège, l'État paie, et déverse des milliards - financés par le déficit. La dette publique, c'est 42 000 euros par Français. Ce que le consommateur gagne aujourd'hui, le contribuable devra le payer demain.
De PLF en PLF, le groupe Les Républicains a alerté sur le risque de remontée des taux. Nous sommes désormais face au mur. Le taux des OAT, négatif en décembre 2021, dépasse 3 % alors que le PLF est construit sur une hypothèse de 2,6 %. Au bout de dix ans, un point de plus représente un coût supplémentaire de 40 milliards d'euros ! En 2027, la charge de la dette sera supérieure au budget de l'enseignement scolaire. Cette charge obère les dépenses d'avenir, dans la recherche, l'éducation, la décarbonation.
Le seul bouclier, c'est la maîtrise de la dépense publique, comme nous vous le proposions lors de l'examen de la LPFP, alors que vous faisiez reposer le redressement des comptes sur les seules collectivités territoriales. L'État prendra sa part, a dit Bruno Le Maire, en réduisant sa dépense publique de 0,5 % - mais reste à définir l'assiette.
La trajectoire que vous propose le Sénat est atteignable.
L'amendement du Gouvernement sur l'article liminaire remet déjà en cause vos engagements : les prélèvements obligatoires augmentent, la dépense publique aussi, de 8 milliards d'euros.
L'année dernière, j'observais que les discussions à l'Assemblée nationale ont méprisé le Parlement : 125 amendements gouvernementaux, pour 11,8 milliards d'euros de dépenses supplémentaires, au dernier moment, sans étude d'impact ! Et vous continuez : taxation de la rente inframarginale, bouclier tarifaire, amortisseur, filet de sécurité... Pas de temps, pas de données, le Gouvernement légifère à l'aveugle.
Vous méprisez aussi les collectivités auxquelles vous faites des annonces mensongères. Le fonds vert, 2 milliards d'euros d'argent frais pour les investissements écologiques ? C'est faux ! Ce n'est qu'un recyclage de crédits du programme 362.
M. Antoine Lefèvre. - Manipulation !
Mme Christine Lavarde. - Le retour des contrats de confiance est une provocation ! Vous devez respecter le vote des deux chambres, qui les ont rejetés par deux fois. M. Béchu disait vouloir provoquer le dialogue : vous provoquez tout court ! (Marques d'amusement sur plusieurs travées) Pour le groupe Les Républicains, la suppression des contrats de confiance est une ligne rouge. (M. Antoine Lefèvre approuve.)
Les collectivités territoriales sont responsables, car, à la différence de l'État, elles doivent présenter des budgets en équilibre : 9 % seulement de la dette publique et 11 milliards d'euros d'économies réalisés. Les élus, eux, sont à portée de baffes, ils agissent en conséquence.
Conscients que les collectivités doivent participer à l'effort collectif, nous ne reviendrons pas sur la baisse des concours de l'État et ne voterons pas une mesure d'indexation de la DGF sur l'inflation, qui serait irresponsable.
Ce budget apporte des réponses imparfaites à des défis importants.
Le Medef a lancé un signal d'alarme sur la hausse des prix de l'énergie. Les craintes des entreprises sont légitimes, car seuls 500 millions d'euros ont été consommés sur les 3 milliards d'euros inscrits dans le précédent PLF. Le mécanisme du bouclier électricité est flou : « moins de dix personnes employées », est-ce dix ETP ? Les modalités d'application de l'amortisseur sont renvoyées au décret. Comment se préparer ? D'ailleurs, le Gouvernement s'y perd lui-même. Vous parlez de l'extension du bouclier dans votre amendement, mais il s'agit plutôt de l'amortisseur.
M. Fabien Genet. - C'est un amendement d'appel !
Mme Christine Lavarde. - Tout cela est si flou. Les entreprises, elles, dans la vie réelle, sont déstabilisées face à la concurrence internationale. L'Allemagne prévoit un bouclier à hauteur de 200 milliards d'euros, et paye la facture énergétique de ses petites entreprises en décembre. Nous ne pouvons en faire autant, car nous sommes entrés dans la crise covid avec des finances bien moins saines. Aux États-Unis, le prix de l'électricité est dix fois plus bas et le plan de soutien est de 370 milliards d'euros pour soutenir la décarbonation.
En face, les dix milliards d'euros annoncés par le Président de la République ne seront en réalité affectés que pour moitié, et figurent déjà dans la mission « France 2030 »...
Je rejoins le Gouvernement sur le besoin de renforcer la compétitivité de nos entreprises, et nous porterons un amendement sur la CVAE, mais bien différent de vos propositions. La compensation que vous proposez est floue. Nous demandons un dégrèvement de la CVAE en 2023 à hauteur de 50 %, pour dégager une aide de 4 milliards d'euros, plus sûre pour les entreprises. Cet amendement ne changera rien pour les collectivités. Ce n'est qu'à partir de 2025 que les changements se feront sentir, une fois que nous aurons préparé la réforme.
M. Roger Karoutchi. - Et voilà !
Mme Christine Lavarde. - À Digoin, ancienne commune de Fabien Genet, la facture énergétique passera de 443 000 euros en 2021 à 850 000 euros en 2022 et 1,2 million en 2023. À Gueugnon, de 833 000 euros en 2021 à 1,3 million en 2022 et 2,6 millions d'euros en 2023. Dans la commune des Échelles, chère à Cédric Vial, les dépenses augmentent de 42 %, quand la capacité d'autofinancement s'effondre.
À Boulogne-Billancourt (« Ah ! » sur plusieurs travées), les dépenses passeront de 4,3 millions d'euros en 2021 à 8,3 en 2023, alors que nous avons réduit nos consommations de gaz et d'électricité de 18 %, et ce sans aucune aide. Ce ne sont que trois exemples sur 35 000.
Votre dispositif ne fonctionne pas. L'épargne brute s'optimise. Indispensable pour couvrir les dotations aux amortissements, elle est décorrélée de la richesse. Idem pour le potentiel fiscal et financier - je pense à Aubergenville, commune de Sophie Primas. Et pourquoi prendre 2022 comme date de référence, quand le choc énergétique existe depuis 2021 ?
Le dispositif de la commission des finances est beaucoup plus simple. Surtout, nous voulons une clause de revoyure, même si nous vous remercions d'être informés, pour la première fois, des effets du bouclier.
M. Antoine Lefèvre. - Eh oui, c'est un dispositif clair et simple !
Mme Christine Lavarde. - Enfin, nous devons reconquérir notre souveraineté, objet d'un excellent rapport de la commission des affaires économiques.
L'agriculture est un bon exemple - M. Segouin vous aurait sans doute parlé des surtranspositions, des normes nouvelles qui créent des contraintes et charges non productives pour nos agriculteurs.
M. Gérard Longuet. - C'est vrai.
Mme Christine Lavarde. - En nous alignant sur le cours mondial, nous appauvrissons les agriculteurs qui peinent à trouver des remplaçants, nous imposons des contraintes disproportionnées aux produits français par rapport aux produits importés : 2 300 fonctionnaires contrôlent nos exploitations agricoles, 300 seulement les importations à Rungis - je vous renvoie au rapport de Laurent Duplomb. On interdit des molécules comme le diméthoate pour les cerises...
M. Daniel Breuiller. - C'est bien !
Mme Christine Lavarde. - ... mais on importe des cerises de l'étranger traitées avec la même molécule. Idem pour la tomate, le blé et autres.
M. Antoine Lefèvre. - Le chou de Bruxelles...
Mme Christine Lavarde. - Si notre balance commerciale est encore excédentaire, c'est grâce au vin. D'ici 2024, elle ne le sera plus.
Aujourd'hui, 80 % des véhicules électriques achetés en France sont importés. C'est insensé.
Sur les neuf premiers mois de 2022, le bonus pour les véhicules français ne représentait que 140 millions d'euros. Nos impôts financent l'industrie chinoise ! Comment accepter une telle perte de souveraineté au profit d'un concurrent géopolitique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Emmanuel Capus . - Chaque année, nous vérifions le mot de Pierre Dac : les prévisions sont difficiles, surtout quand elles concernent l'avenir ! Depuis deux ans, nous avons fait face à l'incertitude pandémique : il fallait protéger contre le virus, anticiper la résurgence du virus, relancer malgré le virus.
Aujourd'hui, nous l'ignorons. Avec le quoi qu'il en coûte, la victoire est acquise. Mais, nous faisons face à des incertitudes plus nombreuses et plus menaçantes : énergie, inflation, guerre. Elles viennent de l'Est, avec l'acharnement de Poutine en Ukraine, celui de Xi Jinping sur la politique du zéro covid.
Mais elles sont aussi en Europe, et l'Union européenne doit de nouveau prouver que la crise renforce la solidarité et que les États, à commencer par la France et l'Allemagne, respectent les règles communes.
C'est ce que fait ce budget, qui protège d'abord les citoyens, avec le bouclier tarifaire et le barème révisé de l'impôt sur le revenu. Le coût est élevé, mais le bénéfice est précieux : le travail continuera à payer en 2023.
Les entreprises, ensuite : beaucoup ont craint la faillite, mais le texte prévoit des aides concrètes. Les PME et les ETI seront protégés par des dispositifs complémentaires au bouclier tarifaire, ce qui est à saluer. Certes, les entreprises répercutent les coûts sur leurs prix, mais cela entretient l'inflation. Il faut donc agir à la racine : le coût de l'énergie.
Enfin, les collectivités bénéficient de la revalorisation de la DGF à hauteur de 320 millions d'euros : c'est une hausse nette, pour la première fois depuis treize ans. Le filet de sécurité de 1,5 milliard d'euros est tout aussi bienvenu.
Les élus nourrissent des craintes quant à la suppression de la CVAE, mais le groupe Les Indépendants a toujours défendu la baisse des impôts de production. Nos préoccupations portent davantage sur la dynamique de compensation et de territorialisation que sur le calendrier.
Nous estimons que ce budget répond à l'urgence, et ma collègue Vanina Paoli-Gagin formulera des propositions concrètes pour l'améliorer. Il répond aussi à nos engagements européens, avec une trajectoire de redressement des finances publiques. Le Royaume-Uni nous a rappelé, à ses dépens, que l'union fait la force. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDSE)
M. Georges Patient . - Le bouclier tarifaire coûtera 45 milliards d'euros pour 2023, ce qui porte le total sur trois ans à 100 milliards d'euros. C'est un effort essentiel pour notre économie, pour le pouvoir d'achat et pour les finances des collectivités territoriales.
J'entends pourtant certains critiquer un budget d'austérité, d'autres au contraire réclamer davantage pour l'équilibre des finances publiques.
Ce PLF est la première étape dans la trajectoire du retour aux 3 % de déficit en 2027, mais il ne faut pas oublier les priorités à financer.
Ainsi, le fonds vert aidera les territoires à s'adapter au changement climatique. Le dispositif MaPrimeRénov' sera prolongé à hauteur de 3 milliards d'euros : c'est un levier essentiel d'indépendance énergétique. Plus d'un million de personnes en ont déjà bénéficié depuis 2020, dont deux tiers de foyers modestes.
L'effort pour les collectivités territoriales est priorisé, avec un relèvement de la DGF à hauteur de 320 millions d'euros et des recettes fiscales dynamiques.
M. Michel Dagbert. - Bravo !
M. Georges Patient. - Avec l'amortisseur et le filet de sécurité, les finances des collectivités territoriales seront préservées.
J'en viens aux outre-mer, qui ont les honneurs d'un document de politique transversale - ce sont les seuls territoires dans ce cas. L'État leur consacrera 28 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 27 milliards d'euros en crédits de paiement. Depuis 2018, l'effort a augmenté de 15,4 % pour les premières, de 23 % pour les seconds.
L'exécution est toutefois contrastée, notamment pour l'investissement, selon la Cour des comptes. Celle-ci demande que les engagements de l'État soient mieux suivis, avec un appui à l'ingénierie locale en vue de veiller à la bonne utilisation des crédits alloués. Entre les outre-mer et la métropole, d'évidentes inégalités demeurent en matière de transport, d'assainissement, d'électricité, de télécommunications, d'eau et de logement social.
Malgré des tentatives de rationalisation, les dépenses fiscales augmentent entre 2018 et 2022. Elles demeurent contestées, notamment par la Cour des comptes, mais restent un outil indispensable et difficile à remplacer, en raison des risques de la budgétisation. Les crédits sont en hausse constante, mais il faut lutter contre la sous-consommation.
Monsieur le ministre, le budget limitera la hausse de la facture d'énergie des Français de 120 à 15 %, et l'effort pour les collectivités territoriales permettra de passer le pic inflationniste. Le RDPI le votera. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Nassimah Dindar applaudit également.)
Mme Isabelle Briquet . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) « La pauvreté exclut, la richesse isole » : ces mots de Lawrence Durrell résonnent aujourd'hui avec une acuité particulière.
Il faut lutter contre l'exclusion et contre l'isolement, avec une fiscalité équilibrée et juste. C'est le fondement d'une politique sociale et solidaire. Manifestement, notre approche diffère.
Ce premier budget du quinquennat illustre votre positionnement idéologique libéral : vous poursuivez le désarmement fiscal de notre pays, avec 54 milliards d'euros de prélèvements obligatoires abandonnés ces cinq dernières années. Vous nous proposez de poursuivre dans cette voie, avec la suppression de la CVAE et de la contribution à l'audiovisuel public, soit au minimum 54 milliards d'euros supplémentaires de renoncements.
Alors que le poids de la dette s'alourdit et que la crise économique est profonde, est-il raisonnable de renoncer à certaines politiques publiques ?
Le redressement des comptes publics passera, selon vous, par des réformes structurelles : assurance chômage, retraites, encadrement des dépenses.
Or le récent rapport du Secours catholique sur la pauvreté atteste du creusement des inégalités : les revenus du capital explosent, ceux du travail stagnent. Mais vous n'agissez guère. Ainsi, 174 milliards d'euros de bénéfices en 2021 ont été enregistrés par le CAC 40 - qui ne peuvent pas être dus au dynamisme économique de 2020 : voilà une définition claire des superprofits. Ces entreprises supporteraient aisément une taxation spécifique alors que l'inflation étrangle les ménages. On ne peut avoir d'un côté ceux qui reçoivent des dividendes, de l'autre ceux qui reçoivent des colis alimentaires.
Il faut des services publics forts et présents sur les territoires. Les collectivités territoriales ont un rôle majeur de cohésion sociale, or ce texte ne les épargne pas. Oubliés, les gilets jaunes et la crise sanitaire : les collectivités territoriales sont la variable d'ajustement des comptes publics.
Malgré son rejet par l'Assemblée nationale et le Sénat dans la loi de programmation des finances publiques, le Gouvernement a réintroduit dans ce texte l'encadrement de leurs dépenses de fonctionnement, avec les pactes de confiance, successeurs des pactes de Cahors. Qu'advient-il de leur liberté d'administration ? Cela limitera leurs investissements alors qu'elles réalisent plus des deux tiers des investissements publics. Vous fragilisez ainsi le tissu économique local : les PME pourront-elles supporter une baisse de la commande locale ?
Que deviendra notre société sans le rôle d'amortisseur social des collectivités territoriales ? Les plus modestes seront une fois de plus les premières victimes de votre politique. Le filet de sécurité est insuffisant.
Si le bouclier tarifaire demeure indispensable, le Gouvernement préfère toujours les aides ponctuelles à la lutte de fond contre la pauvreté et l'exclusion, et néglige le dialogue avec les partenaires sociaux, le monde associatif et, bien sûr, les députés et les sénateurs.
En refusant de nouvelles recettes tout en faisant des cadeaux fiscaux aux plus riches, vous vous inscrivez dans la continuité des cinq précédents PLF. Le vote négatif du groupe SER sera lui aussi dans cette continuité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Éric Bocquet applaudit également.)
M. Bernard Delcros . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Faire des prévisions budgétaires dans un contexte si incertain est difficile. Il faut malgré tout s'y atteler, en responsabilité.
Nous devons redresser les finances publiques tout en répondant aux besoins du pays en matière de santé, d'éducation, de justice, de défense et de lutte contre le réchauffement climatique. Ces deux objectifs sont-ils conciliables ? Le groupe UC le croit. Mais s'il faut maîtriser la dépense ; les coupes drastiques ne sont pas la solution, alors que les besoins vont croissant.
Dans le domaine de l'emploi public, les allègements restent possibles : la réorganisation de Bercy, rendue possible par la dématérialisation et le prélèvement à la source, le prouve. Mais ils doivent avant tout permettre de déployer des moyens là où ils sont nécessaires. Nous sommes défavorables aux coupes à l'aveugle inspirées par une approche étroitement comptable.
C'est pourquoi notre groupe considère qu'il faut agir sur le levier des recettes. Nous formulerons des propositions en ce sens, comme la contribution de solidarité exceptionnelle sur les profits, le report de la suppression de la CVAE, la suppression de niches fiscales et la lutte contre la fraude fiscale.
Je tiens à souligner à nouveau le rôle essentiel des collectivités territoriales pour soutenir l'économie, l'emploi, assurer les services publics et pour garantir la cohésion sociale et réussir la transition écologique. Nous approuvons l'augmentation de la DGF, qui cible les collectivités territoriales les plus fragiles. Cependant, la moyenne cache des disparités : c'est pourquoi nous proposerons de porter la hausse de la DGF de 320 à 500 millions d'euros.
Nous saluons également les avancées sur la dotation aux communes pour la protection de la biodiversité.
Le maintien de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la reconduction de la dotation de soutien à l'investissement local (Dsil) et les deux milliards d'euros du fonds vert sont bienvenus. Nous proposerons notamment de réintégrer les dépenses d'aménagement de terrain dans les dépenses éligibles au FCTVA, de laisser aux territoires le choix de la répartition de la taxe d'aménagement et de décorréler le taux de certaines taxes locales.
Nous regrettons, monsieur le rapporteur général, que les collectivités territoriales aient été privées de la récupération du FCTVA pour les aménagements de terrains. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Le plafonnement de la hausse des tarifs réglementés à 15 % pour les ménages et petites collectivités et l'amortisseur électricité en faveur des collectivités et des entreprises nous semblent bien ciblés et nous y sommes favorables. Il en va différemment du filet de sécurité : sa mise en oeuvre est trop complexe et son efficacité incertaine. Nous proposerons de le simplifier.
Notre groupe aborde l'examen du PLF de manière positive et recherchera avec le Gouvernement les meilleures solutions pour les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
La séance est suspendue quelques instants.
M. Stéphane Sautarel . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous voici face à l'Everest : un budget impossible et nécessaire destiné à répondre à l'urgence tout en fixant un cap pour l'avenir.
Dans ce contexte particulier, nous avons choisi de réécrire le budget, avec un effort des administrations d'État calqué sur celui qui est demandé aux collectivités territoriales : 0,5 % en moins pour les dépenses de fonctionnement. Nous voulons une trajectoire plus ambitieuse qui nous permette de retrouver des niveaux de déficit et de dette acceptables en 2025.
Certes, nous partageons votre objectif de renforcer la valeur travail et de renforcer le pouvoir d'achat de nos concitoyens, mais nous ne pouvons souscrire à des hypothèses par trop optimistes, ni à l'absence de réformes structurelles. Nous proposons donc 4 milliards d'euros d'économies pour sortir enfin du « quoi qu'il en coûte ».
Le déséquilibre que vous nous présentez, monsieur le ministre, est inquiétant : inflation à 5,3 %, déficit à 158 milliards d'euros en 2023, contre 67 milliards d'euros en 2018, explosion de la dette et de son coût - 57 milliards d'euros.
Cette dette, dans le flux et le stock, prend racine dans nos dépenses de fonctionnement. À 111,2 % du PIB, elle nous contraint à emprunter 270 milliards d'euros sur les marchés financiers en 2023.
Face à ce mur de la dette, les finances publiques sont confiscatoires et inefficaces : des prélèvements obligatoires à 44,9 % et des dépenses publiques à 56,9 %. Des choix plus tranchés sont nécessaires.
Nous partageons la volonté du Gouvernement de réduire les prélèvements obligatoires, mais nous proposons des aménagements à la CVAE pour dynamiser les ressources des communes sans pour autant la remettre en cause.
La réindustrialisation de notre pays est lourdement affectée par la hausse du coût de l'énergie. La baisse des impôts de production est nécessaire mais ne suffira pas. Il faut un effort sur la dépense fiscale et sociale, qui s'élève à 130 milliards d'euros dans notre pays, d'abord en bornant dans le temps toutes les niches fiscales.
Quant aux dépenses, je m'exprimerai sur la mission Transports, dont je suis le rapporteur spécial. La trajectoire de la loi d'orientation des mobilités (LOM) est respectée ; mais elle ne répond pas aux enjeux, comme je l'avais souligné avec Hervé Maurey dans notre rapport sur la situation de la SNCF et ses perspectives.
Nos infrastructures ont besoin de 100 milliards d'euros d'investissements, il faut moderniser le matériel roulant... La contraction de l'offre risque de s'aggraver alors qu'il faudrait susciter la demande.
Nous savons tous que les réponses ne sont pas simples, mais elles revêtent une dimension démocratique. Des dispositifs comme les zones à faibles émissions (ZFE) risquent d'aggraver les fractures et de nourrir la cohorte des dépossédés, exclus de ce monde qui advient et des modèles imposés par les bien-pensants.
Osons investir dans nos infrastructures ! Pour moderniser les voies ferrées et les routes, la solution pourrait résider dans les sociétés de projet, pour lesquelles la SNCF promet un retour sur investissement après trois ans et demi. (M. Roger Karoutchi affiche son scepticisme.) Autres pistes : la débudgétisation, la sortie de l'annualité, les perspectives offertes à dix ou vingt ans avec le fonds vert.
Le seul facteur de déséquilibre est constitué par le budget de l'État, alors que les collectivités territoriales sont, par construction, à l'équilibre, et que le budget de la sécurité sociale s'en approche.
Nous avons supprimé l'article 23 de la loi de programmation des finances publiques, parce que l'attachement aux libertés locales n'est pas compatible avec l'encadrement des dépenses des collectivités territoriales. Comment pouvez-vous le réintroduire dans le PLF avec l'article 40 quater ? Si, comme vous l'assurez, le Gouvernement est ouvert aux suggestions du Sénat, la première urgence est de revenir sur cette disposition.
Les collectivités territoriales ne sont pas un problème pour les dépenses de la Nation. Les dotations ne sont pas un don, mais un dû : c'est la contrepartie de la nationalisation de la fiscalité locale et des transferts de charges de l'État aux collectivités.
Au demeurant, plus l'État a prélevé sur les finances locales, plus son déficit a augmenté : 46 milliards d'euros ont ainsi été piochés dans le budget des collectivités territoriales depuis 2014, alors que le déficit de l'État est reparti à la hausse dès 2018. Et les excédents de fonctionnement des collectivités territoriales améliorent la présentation des comptes publics à Bruxelles...
La désindexation des dotations engendrera un effet récessionniste. La prévision de croissance de 1 % sera revue à la baisse. Les collectivités représentent 18 % de la dépense publique, mais 70 % de l'investissement public ; or elles sont confrontées à l'effet ciseau de la dynamique des charges. Ne pas garantir à l'euro près leurs recettes remettrait en cause leur rôle contracyclique de soutien à l'activité.
Lors des dialogues de Bercy, nous avions défendu le maintien de la dynamique des bases fiscales sur la fiscalité locale : c'est une mesure importante de stabilité des règles et de respect de l'autonomie. Nous avons été entendus.
Les collectivités territoriales devraient bénéficier d'un dispositif de soutien renforcé, dans l'attente de la révision du prix de référence de l'électricité au niveau européen : le Gouvernement pense-t-il pouvoir obtenir le régime ibérique ? Bruno Le Maire nous a affirmé que l'Europe devait faire bloc ; cela ne semble pas être le cas...
Notre groupe est désireux de participer au dialogue. Nous verrons dans les semaines qui viennent si vous souhaitez donner de la visibilité et de l'efficacité à la dépense publique, pour renouer avec la confiance et l'espérance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Vanina Paoli-Gagin . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) L'ère du « quoi qu'il en coûte » s'est refermée avec la remontée des taux d'intérêt et la hausse des prix de l'énergie. Nous ne pouvons plus dépenser sans compter, mais devons compter nos dépenses. C'est ce que vous appelez, monsieur le ministre, le « combien ça coûte ». « Il faut prendre les choses comme elles sont, car on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités », disait le Général de Gaulle.
Je propose de passer à la vitesse de croisière du « mieux qu'il en coûte » : à budget constant, améliorer l'efficacité de la dépense. Voici nos trois propositions : stimuler l'innovation, réindustrialiser les territoires par le produire en France ; accélérer la transition écologique et la protection de la biodiversité ; renforcer la souveraineté culturelle.
La réindustrialisation du pays passera par les territoires et l'innovation. Si nous voulons éviter le déclassement en un pays de sous-traitance, il faut un investissement massif dans la recherche et l'innovation.
Tel est le sens de la mission d'information demandée par le groupe Les Indépendants, que j'ai eu l'honneur de rapporter, présidée par Christian Redon-Sarrazy. Nous avons formulé des propositions concrètes, comme celle de reventiler une part réduite de l'enveloppe du crédit impôt recherche (CIR) au bénéfice des PME et ETI. Un euro dépensé entraîne un investissement de 1,42 euro dans la recherche au sein d'une PME, contre 40 centimes dans un grand groupe. Telle est notre conception du « mieux qu'il en coûte ». Le Gouvernement ne souhaite pas toucher à ce dispositif ; mais l'argent public ne doit pas financer des entreprises étrangères...
Autre proposition : ouvrir le mécénat des particuliers et entreprises au profit des communes forestières. Le dispositif a été adopté par la commission des finances, avec l'aide de Vincent Segouin.
Enfin, pour renforcer notre souveraineté culturelle, il faut mobiliser davantage les capitaux privés. L'encours des livrets d'épargne a dépassé les 500 milliards d'euros, soit cinq fois le montant du plan de relance. Nous proposons donc de créer un nouveau livret d'épargne réglementée, le livret C - pour « Culture » - pour financer les lieux de culture et la création. La proposition de Colette Mélot en faveur de l'art numérique va dans le même sens.
J'espère que ces propositions enrichiront le texte du Gouvernement, sur la voie du « mieux qu'il en coûte ». (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Patrice Joly . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nous examinons ce budget dans des conditions particulières : crise énergétique, inflation, perte de pouvoir d'achat... Les prix de l'énergie et des produits alimentaires augmentent.
Cela nous oblige à être à l'écoute de nos concitoyens, de nos collectivités territoriales et de nos entreprises. Leur voix est de plus en plus forte : ils veulent un État qui redevienne un opérateur, un régulateur, mieux à même de protéger l'ordre public dans tous les domaines, plus fort pour lutter contre les inégalités sociales et fiscales. En somme, l'État doit redevenir en phase avec les besoins de nos concitoyens.
Mais comment les rassurer après une loi de programmation des finances publiques aussi peu ambitieuse ? Le Gouvernement a renoncé à faire payer ceux qui bénéficient de la crise et à mobiliser les fonds nécessaires pour aider les territoires et les populations les plus fragiles.
Comment ne pas être inquiet ? Vous voulez faire repasser le déficit en dessous de 3 % du PIB d'ici à 2027. Si vous n'aviez pas réduit les prélèvements obligatoires de 54 milliards d'euros, le déficit aurait été maîtrisé sans toucher à la dépense publique... Il ne suffit pas de se proclamer bon gestionnaire pour l'être.
Il y a toujours moins de services publics, de justice fiscale et sociale, et de réponse à l'urgence environnementale. Mais toujours plus de misère, de files d'attente à la pompe...
Une étude récemment publiée par UFC-Que choisir met en évidence l'ampleur de la crise sanitaire dans les territoires ruraux, où il devient difficile, voire impossible de trouver un médecin, généraliste ou spécialiste. L'hôpital s'effondre sous le poids de l'austérité, les soignants démissionnent.
Dans la Nièvre, les habitants assistent à la fermeture de services de médecine, de lits de long séjour, de maternités et de centres périnataux, faute de sages-femmes. Investissez fortement pour améliorer les conditions de travail et les salaires, pour que plus jamais un être humain ne meure faute de soins dans un couloir d'hôpital.
Le Gouvernement privilégie toujours la réduction de la dépense aux dépens des services publics. Vous considérez les services publics comme une dépense, sans vous interroger sur le coût de leur absence, leur apport en matière d'accès au droit, à l'emploi, de lutte contre le changement climatique, de développement économique.
Les collectivités territoriales ne peuvent se satisfaire du montant de la dotation, alors qu'elles font face à une hausse sans précédent des charges de fonctionnement. Comment peuvent-elles entretenir leurs équipements scolaires ou leurs piscines, tout en s'adaptant au dérèglement climatique ? Les associations d'élus sont unanimes : les mesures du Gouvernement en faveur des collectivités territoriales ne sont pas à la hauteur. Je reprendrai les mots de Victor Hugo : « Je ne suis pas de ceux qui croient qu'on peut supprimer la souffrance en ce monde ; (...) mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu'on peut détruire la misère. »
Face à de telles urgences, il faut repenser le budget de la France en partant des besoins de la population et de la planète. Cela suppose le partage des richesses, une plus grande contribution du capital et une meilleure redistribution des revenus. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Éric Bocquet applaudit également.)
M. Vincent Capo-Canellas . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) L'année dernière, nous avions trop rapidement écourté l'examen du budget. Cette année, c'est l'Assemblée nationale qui a dû interrompre ses travaux.
Les sénateurs du groupe UC saluent le maintien de certains dispositifs comme la prolongation du taux de 5,5 % de TVA pour les produits liés à la lutte contre le covid, ou les boucliers contre la hausse des prix de l'énergie. Nous proposerons un bouclier plus simple et performant en faveur des collectivités territoriales dans ce domaine.
Le Gouvernement prévoit pour 2023 une stabilité du déficit public effectif, une amélioration au mieux limitée du solde structurel et une quasi-stabilité du ratio de dette. A-t-il bien saisi l'urgence de la maîtrise des dépenses ? Nous verrons lors de l'examen des amendements. Le compromis doit être clair et partagé entre le Gouvernement et la majorité sénatoriale.
Il faut revenir à des niveaux de dette raisonnables, pour affronter de nouveaux chocs économiques et faire face à des investissements importants.
Les crédits ministériels augmentent de 24 milliards d'euros, la charge de la dette approche des 60 milliards d'euros et les dépenses de l'Ondam hors crise sanitaire restent supérieures à leur niveau d'avant-crise.
La dépense publique augmentera de 0,7 % en volume, hors dépenses exceptionnelles. Les dépenses courantes augmenteront de 62 milliards d'euros. Enfin, en 2023, la France empruntera 270 milliards d'euros - un record dont nous nous serions bien volontiers passés.
Le groupe UC prendra ses responsabilités en déposant plusieurs amendements concourant au redressement de nos finances publiques. En cette période d'incertitude et de risque, nous serons force de proposition.
Nous présenterons également une contribution exceptionnelle de solidarité sur les superprofits. La solidarité est l'affaire de tous et la cohésion passe aussi par des symboles.
Nous proposerons le report de la suppression de la CVAE. La position de la commission des finances, en la matière, constitue un point d'atterrissage.
Nous saluons enfin l'augmentation de 320 milliards d'euros de la DGF et la création du fonds vert.
Le groupe UC souhaite des échanges équilibrés, intelligibles et respectueux, avec un véritable dialogue entre les différents groupes. Nous espérons que les propositions du Sénat, et particulièrement du groupe UC, recueilleront l'assentiment du plus grand nombre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics . - Monsieur Breuiller, j'ai moi aussi à coeur notre politique culturelle - nous pourrions parler du Pass Culture et de nos efforts pour le patrimoine. Vous avez parlé d'éducation : la hausse du budget qui y est consacré est sans précédent.
François Hollande avait annoncé un grand plan de réarmement de l'Éducation nationale, traduit en 2013 par une hausse d'1,7 milliard d'euros de son budget ; l'année prochaine, ce budget augmentera de 3,7 milliards d'euros. Cela permettra de moderniser la pédagogie, de revaloriser de 10 % les salaires, d'éviter qu'aucun enseignant ne démarre sa carrière sous 2 000 euros nets par mois, de recruter 4 000 accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) - lesquels bénéficieront aussi, grâce à un amendement de l'Assemblée nationale, de la revalorisation salariale de 10 %.
Monsieur Rohfritsch, merci d'avoir souligné l'augmentation importante du budget des outre-mer, qui atteint 3 milliards d'euros. Des amendements de l'Assemblée nationale ont été retenus, comme celui qui augmente de 30 millions d'euros les contrats de redressement outre-mer pour les communes (Corom) ou l'aide de 10 millions d'euros pour les entreprises.
Monsieur Cozic, vous nous accusez de subventionner les énergies fossiles. C'est vrai, et j'aimerais moins le faire. Mais pourrions-nous nous passer du bouclier tarifaire qui évite aux Français une facture mensuelle en augmentation de 160 euros ? Cela ne nous a pas fait plaisir de consentir une ristourne sur les carburants qui a coûté 8 milliards d'euros, mais c'était nécessaire : cela aura fait économiser 120 euros en moyenne à chaque automobiliste. Nous passerons l'année prochaine à un dispositif plus ciblé et maintiendrons le bonus écologique et la prime à la conversion.
Nous voulons être le premier grand pays à sortir des énergies fossiles, avec l'investissement dans les énergies décarbonées, que ce soit le nucléaire ou les énergies renouvelables, mais aussi avec la fin des garanties à l'export pour les projets fossiles et l'interdiction de la prospection.
Monsieur Bocquet, vous dénoncez une baisse des dépenses des collectivités territoriales. Ce n'est absolument pas prévu : nous voulons une progression maîtrisée de la dépense publique.
Les collectivités territoriales auront dépensé 295 milliards d'euros cette année, et ce montant progresserait de 31 milliards d'euros en cinq ans selon notre trajectoire. C'est nécessaire, face aux enjeux que sont les transitions écologique, démographique et numérique. Mais il est sain de maîtriser cette progression : nous risquerions, dans le cas contraire, une explosion de nos taux d'intérêt, qui pénaliserait tant l'État que les collectivités territoriales, qui doivent emprunter pour investir.
Les contrats de confiance concernent les cinq cents plus grandes collectivités territoriales, celles dont le budget est supérieur à 40 millions d'euros. Ils ne respecteraient pas la Constitution ? Le Conseil constitutionnel avait pourtant jugé conformes les contrats de Cahors, alors qu'ils allaient beaucoup plus loin.
Intercommunalités de France constate que « le Gouvernement a tourné la page des contrats de Cahors. » Le président de l'Assemblée des départements de France (ADF), François Sauvadet, valide le dispositif, dès lors que les allocations individuelles de solidarité ont été sorties du champ.
Nous ne réduisons pas le budget de l'hébergement d'urgence. Au contraire, nous l'avons augmenté comme jamais : en 2017, c'était 1,7 milliard d'euros ; ce sera 2,8 milliards en 2023.
M. Sébastien Meurant. - Toute la misère du monde !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Nous sommes passés de 110 000 à 200 000 places d'hébergement d'urgence et avons créé 50 000 places supplémentaires de pension de famille d'intermédiation locative.
J'assume la volonté de réduire la voilure dans ce domaine, notamment sur les nuitées hôtelières, trop coûteuses à cause des profits indus de certains intermédiaires. Mais la Première ministre a arbitré que cela n'aurait pas lieu en 2023.
Madame Vermeillet, nous avons eu le débat sur les superprofits dans le PLFR. Si nous avons renvoyé à la discussion européenne, ce n'est pas pour enjamber le sujet. Le PLF prévoit une captation des superprofits des secteurs de l'énergie qui ont bénéficié de rentes indues. Beaucoup d'entreprises ont cependant vu leurs profits augmenter sans que cela ait un lien avec la crise de l'énergie ; il ne faut pas les pénaliser !
Monsieur Requier, la prévision de croissance est un art difficile, d'autant plus avec les aléas actuels - guerre en Ukraine, crise immobilière en Chine, Inflation Reduction Act, choix budgétaires en Italie, risques de rupture d'approvisionnement en gaz de l'Allemagne...
Le Haut Conseil des finances publiques a estimé que nos prévisions étaient crédibles, même si « peut-être un peu élevées ». Avec l'amortisseur énergie, la baisse des impôts de production, je suis persuadé que c'est possible.
Madame Lavarde et monsieur Sautarel, les dépenses publiques ont augmenté en volume d'1,4 % entre 2007 et 2012, d'1 % entre 2012 et 2017 et de 0,9 % seulement pendant le dernier quinquennat. Nous vous proposons une trajectoire de 0,6 %, soit le rythme le plus limité depuis quinze ans. C'est aussi une des raisons pour lesquelles certains parlent à tort d'austérité. (M. Sébastien Meurant ironise.) Nous assumons ce sérieux budgétaire.
Madame Lavarde, nous serions entrés dans le covid avec des finances publiques dégradées ? Oui, en raison du laisser-aller qui a précédé. Pour notre part, nous avons ramené le déficit sous les 3 % avant la crise. (M. Claude Raynal, président de la commission, et Mme Christine Lavarde le contestent ; M. Sébastien Meurant s'amuse.) Il a fallu pour cela des efforts difficiles, tels que la suppression des contrats aidés.
Nous avons d'autant plus l'ambition de ramener le déficit sous les 3 % avant la fin du quinquennat.
Oui, nous voulons faire des économies : la réforme de l'assurance chômage, la réforme des retraites doivent y contribuer - pour les retraites, ce sont 9 milliards d'euros d'économie, et 12 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires à terme d'après la direction générale du Trésor, grâce à l'amélioration du taux d'emploi.
Ces réformes sont difficiles : quand on propose 250 millions d'euros d'économie pour la biologie médicale, cela fait débat. C'est pourtant légitime pour un secteur qui a eu un chiffre d'affaires de 7 milliards d'euros grâce aux tests, et dont la marge brute est passée de 18 à 30 %. Il y a eu une grève pendant trois jours des laboratoires, mais nous faisons cet effort.
Quand nous réformons les centres de formation d'apprentis (CFA), nous assumons. Nous vous proposerons également une économie de 800 millions d'euros sur le compte personnel de formation (CPF) pour assainir les finances de France Compétences.
J'en viens aux voitures électriques. Il est vrai qu'aujourd'hui, 80 % des véhicules électriques sont importés. Le bonus écologique va d'abord à des véhicules chinois. C'est pour cela que nous devons soutenir une filière française. C'est pour cela que nous avons défendu trois gigafactories de batteries électriques, comme celle de Douvrin, d'où sortiront les premières batteries françaises d'ici quelques mois. Nous accordons ainsi cinq milliards d'euros au secteur automobile, dont un milliard d'euros pour les sous-traitants, afin qu'ils s'adaptent à l'électrification.
Monsieur Capus, nous réduisons les impôts de production et nous devons continuer à agir pour développer les filières industrielles, quand les États-Unis se lancent dans une forme de dumping qui fragilise notre industrie. Selon la direction générale du Trésor, la disparition de la CVAE amènera 0,7 point de PIB en plus et la création de 120 000 emplois d'ici 2025. Plus il y a de Français qui travaillent, plus il y a de recettes pour l'État. Si nous avions le taux d'emploi allemand, je n'aurais plus à chercher des économies !
Monsieur Patient, vous avez abordé le sujet du pouvoir d'achat. Ce PLF est bien un texte de pouvoir d'achat, grâce à l'indexation sur l'inflation du barème de l'impôt sur le revenu.
Madame Briquet, aucun pays européen n'a autant accompagné les ménages les plus modestes.
Monsieur Delcros, vous avez raison : il ne faut pas faire de coupes comptables sur les emplois publics. Nous voulons le stabiliser, tout en créant 8 500 postes de plus dans la justice, 8 500 dans la police et gendarmerie, et plusieurs autres milliers dans l'armée. Cela suppose de réduire leur nombre ailleurs, et pas seulement à Bercy - dont je salue les agents.
Monsieur Capo-Canellas, oui, nous devons trouver collectivement des solutions pour répondre aux préoccupations des Français. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe INDEP)
Discussion de l'article liminaire
Mme la présidente. - Amendement n°I-1662, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 2, tableau
Rédiger ainsi ce tableau :
En % du PIB sauf mention contraire |
2021 |
2022 |
2023 |
2023 |
Loi de finances initiale pour 2023 |
|
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PLPFP 2023-20227 |
Solde structurel (1) (en points de PIB potentiel) |
-5,1 |
-4,3 |
-4,0 |
-4,0 |
Solde conjoncturel (2) |
-1,4 |
-0,6 |
-0,8 |
-0,8 |
Solde des mesures ponctuelles et temporaires (3) (en points de PIB potentiel) |
-0,1 |
-0,1 |
-0,2 |
-0,2 |
Solde effectif (1+2+3) |
-6,5 |
-5,0 |
-5,0 |
-5,0 |
Dette au sens de Maastricht |
112,8 |
111,6 |
111,2 |
111,2 |
Taux de prélèvements obligatoires (y.c UE, nets des CI) |
44,3 |
45,2 |
44,9 |
44,7 |
Dépense publique (hors CI) |
58,4 |
57,6 |
56,9 |
56,6 |
Dépense publique (hors CI, en Md€) |
1461 |
1523 |
1572 |
1564 |
Évolution de la dépense publique hors CI en volume (%) 1 |
2,6 |
-1,1 |
-1,0 |
-1,5 |
Principales dépenses d'investissement (en Md€) 2 |
|
|
25 |
25 |
Administrations publiques centrales |
|
|
|
|
Solde |
-5,8 |
-5,4 |
-5,8 |
-5,6 |
Dépense publique (hors CI, en Md€) |
597 |
629 |
647 |
636 |
Évolution de la dépense publique en volume (%) 3 |
4,1 |
0,0 |
-1,2 |
-2,6 |
Administrations publiques locales |
|
|
|
|
Solde |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
-0,1 |
Dépense publique (hors CI, en Md€) |
280 |
295 |
305 |
305 |
Évolution de la dépense publique en volume (%) 3 |
2,8 |
0,1 |
-0,6 |
-0,6 |
Administrations de sécurité sociales |
|
|
|
|
Solde |
-0,7 |
0,5 |
0,8 |
0,8 |
Dépense publique (hors CI, en Md€) |
683 |
701 |
721 |
721 |
Évolution de la dépense publique en volume (%) 3 |
1,3 |
-2,5 |
-1,0 |
-1,0 |
1 À champ constant. |
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|
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2 Au sens de la loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027. |
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3 À champ constant, hors transferts entre administrations publiques. |
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M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Cet amendement actualise l'article liminaire. Nous réduisons les recettes attendues de contribution au service public de l'électricité (CSPE) de 4,4 milliards d'euros.
Les contrats avec les énergéticiens prévoient en effet des versements de l'État lorsque le prix de marché est inférieur au prix de contrat, mais aussi des versements des énergéticiens lorsqu'il est supérieur. Comme c'est le cas en ce moment, certains énergéticiens sont sortis unilatéralement des contrats pour ne pas avoir à payer. Mais nous les rattrapons via un autre dispositif.
Nous étendons le bouclier tarifaire aux sociétés HLM, aux copropriétés et aux Ehpad, pour plus d'1,2 milliard d'euros.
Nous révisons à la hausse les recettes sur la captation des rentes inframarginales, à hauteur de 4 milliards d'euros, grâce au mécanisme européen.
Enfin, en coordination avec le deuxième PLFR, nous révisons à la hausse les recettes de 2022, grâce à la résistance admirable de notre économie.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Merci de ces éclaircissements.
Vous avez salué des résultats extraordinaires pour l'économie, mais soyons prudents. Nous restons attentifs à tous les dispositifs sur l'énergie, faute d'en connaître le détail. J'émets donc un avis de sagesse qui ne présage en rien de la suite.
Prudence et exigence seront en effet de mise : le Gouvernement souhaite avoir un point d'atterrissage sur le PLFSS, la LPFP, le PLFR... Mais nous gagnerons en clarté si le Gouvernement prend en compte les travaux du Sénat, au-delà de la simple écoute. C'est dans cet équilibre exigeant que le Parlement pourra estimer que son travail est respecté. Le passé nous a instruits en ce domaine.
L'amendement n°I-1662 est adopté.
M. Éric Bocquet. - Nous avons demandé un scrutin public sur cet article, car il faut clarifier la situation. L'article liminaire a été repoussé par tous les groupes d'opposition à l'Assemblée nationale, y compris Les Républicains. Nous voulons savoir à qui nous avons affaire ici : soit on partage la trajectoire et on vote pour, soit on s'y oppose et on vote contre. La politique, c'est assez simple : il y a la majorité et l'opposition. Or j'en vois certains charmés par les sirènes... (M. Roger Karoutchi s'en amuse.)
À la demande du groupe CRCE, l'article liminaire, ainsi modifié, est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°58 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 274 |
Pour l'adoption | 247 |
Contre | 27 |
L'article liminaire, modifié, est adopté.
Discussion de l'article 25
M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial de la commission des finances . - L'examen du prélèvement sur recettes pour l'Union européenne est un exercice complexe. Le budget de l'Union européenne, déjà modifié quatre fois, a fait l'objet d'une nouvelle modification après le dépôt du PLF et alors que le trilogue était déjà engagé.
Les conséquences de l'agression russe en Ukraine ne pouvaient être prises en compte dans le cadre pluriannuel 2021-2027. Madame la ministre, peut-être pourrez-vous nous donner des explications sur l'avenir de ce cadre ?
L'amendement que vous avez déposé fixe ce prélèvement à 25 milliards d'euros, un montant proche de celui de 2022 et inférieur de 1,5 milliard à celui de 2021. Je rappelle que l'estimation annuelle pour la période 2021-2027 s'élevait à 27,6 milliards d'euros. Cela remet-il en cause les prévisions ? L'accroissement des dépenses liées à la guerre en Ukraine va-t-il augmenter la contribution de la France ?
La commission des finances est préoccupée par le retard dans la définition de nouvelles ressources propres, le dépôt d'un rapport d'étape et la première délibération du Conseil des affaires économiques et financières (Ecofin) sous présidence française n'étant que l'amorce du processus. Le mécanisme carbone aux frontières sera-t-il défini comme prévu avant la fin de l'année ? Le montant des ressources nouvelles est en outre inférieur aux dépenses qu'elles sont censées financer : remboursement des emprunts ayant abondé la facilité pour la reprise et la résilience, Fonds social pour le climat et, désormais, REPowerEU. Sans ressources nouvelles, le budget national devrait contribuer à hauteur de 2,7 milliards d'euros supplémentaires, sans compter les nouvelles garanties définies à l'article 37 quater du PLF concernant les prêts de l'Union européenne à l'Ukraine. Il serait utile de disposer d'un tableau récapitulatif.
La France est un des principaux bénéficiaires de la facilité pour la reprise et la résilience. Je me félicite que, très peu de temps après l'Espagne, la France ait été le deuxième pays à présenter un plan et à recevoir des versements. La Commission a toutefois réduit cet été l'allocation de la France de 39,4 milliards à 37,5 milliards d'euros en raison de notre croissance. Comment cet ajustement sera-t-il pris en compte ?
La commission des finances avait donné un avis favorable à cet article et j'émettrai un avis favorable à l'amendement du Gouvernement. Cet ajustement technique, habituellement présenté en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, est dû à l'adoption du budget de l'Union européenne ; je me félicite que nous l'examinions ici, pour la clarté de nos débats. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP, du GEST et du RDSE)
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - Patrice Joly a fait ce matin à la commission des affaires européennes une communication éclairante sur les enjeux du cadre pluriannuel dans le contexte de la crise en Ukraine.
Le Gouvernement propose une hausse de 410 millions d'euros du prélèvement, pour tenir compte des négociations européennes de ce début de semaine. La guerre en Ukraine et l'inflation bien supérieure au déflateur de 2 % ont joué. L'assistance à l'Ukraine atteint 18 milliards d'euros de prêts pour 2023, ce qui correspond à la moitié des besoins du pays.
Pour financer cette assistance, la Commission européenne emprunte sur les marchés financiers, ce qui demande une révision ponctuelle du cadre pluriannuel d'ici décembre, avant un réexamen en 2023. Les demandes plus larges du Parlement européen inquiètent la France. La question du déflateur pourrait être évoquée et la réouverture du cadre pluriannuel pourrait nécessiter de reventiler les crédits au détriment de la PAC.
Voilà une vraie épée de Damoclès sur la contribution française au budget de l'Union européenne. Il nous faut des éclaircissements. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. André Gattolin . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Derrière l'aride, les rides... C'est la dernière fois que je monte à la tribune pour vous demander d'adopter cet article. Aride, cet article l'est, avec sa formulation sibylline. Depuis le bond de notre contribution après le Brexit, celle-ci reste stable. Le montant global est d'1 milliard d'euros inférieur à celui annoncé pour 2022.
Mais cette lecture comptable ne dit rien des retours directs de notre appartenance à l'Union européenne et de ses externalités positives.
La place de cet article est étrange. Il s'agit d'une dépense, que nous examinons dans la partie sur les recettes. Cela nous rappelle l'importance de l'Europe dans notre paysage national.
C'est le seul article que nous examinons systématiquement, même lorsque la majorité sénatoriale rejette la première partie. La tentation du vote contre serait irréaliste et irresponsable, car c'est le résultat d'âpres négociations entre 27 États. Le jeu de Margaret Thatcher n'est plus de mise : lorsque le Royaume-Uni a voulu renégocier plus récemment, il n'a eu pour seule solution que de quitter l'Union. De même, le choix de l'abstention serait marécageux, alors que la crise en Ukraine a fait opérer un virage politique et géopolitique extraordinaire à l'Union, qui vivait sur les dividendes de la paix et est aujourd'hui prête à se battre pour elle. Nous voterons en faveur de cet article 25. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du GEST)
M. Patrice Joly . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La contribution de la France a légèrement reculé, en dépit du Brexit et du soutien à l'Ukraine. La France reste le deuxième bénéficiaire des dépenses européennes.
Mais restons vigilants : les restes à liquider témoignent de la difficulté à engager les crédits. Certains datent du cadre pluriannuel précédent, alors qu'ils doivent être consommés avant la fin 2023.
Le cadre pluriannuel 2021-2027 a été établi dans un autre temps : pandémie, guerre en Ukraine, crise de l'énergie, accélération nécessaire de la transition énergétique... autant de nouveaux paramètres qui justifient une révision.
Il nous faut des marges de manoeuvre nouvelles pour répondre aux conséquences de la guerre et pour préserver nos politiques communes en euros constants. La PAC pourrait perdre ainsi 33 % en pouvoir d'achat en 2027 à cause de l'inflation - alors qu'une exploitation sur deux en dépend pour son équilibre.
Il faudra maintenir les crédits dont auront besoin le pacte rural et l'Europe de la défense, sans compter que l'Union européenne doit commencer à rembourser les prêts dès 2028 - 15 à 20 milliards d'euros par an sur trente ans.
Il faut défendre des mécanismes de solidarité de long terme. L'Union européenne doit se doter d'un vrai budget, avec des ressources propres solides. La Commission a fait des propositions, mais rien ne pourra être fait dès le début de 2023, si ce n'est la taxe sur les superprofits. Il est inconcevable de voir des entreprises énergétiques vivre de rentes sur le dos des populations ; de nombreux pays ont déjà mis en place un mécanisme pour y remédier : la Grèce, l'Italie, l'Espagne, la Roumanie, le Royaume-Uni et, bientôt, l'Allemagne.
L'hiver sera rude. Les conséquences économiques, sociales et politiques sont encore inconnues. Il faut trouver de l'argent ; il y en a, mal réparti. Le consentement à l'impôt des plus riches est un vrai problème sur notre continent ; il faudra l'affronter de manière pérenne en taxant les superprofits au-delà du secteur de l'énergie. Il faut dépasser l'article 122 et étendre la majorité qualifiée sur la fiscalité, pour ne plus subir de chantage. Nous pourrons alors établir une taxation des transactions financières, des géants du numérique, des cryptoactifs.
Les Européens vont devoir choisir entre se nourrir et se chauffer. C'est une vraie bombe sociale et démocratique.
Selon Jean Monnet, « l'Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». Le groupe SER votera cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Éric Bocquet . - Il y a beaucoup de similitudes entre l'Union européenne et la France : elles vivent à crédit ; elles accordent des baisses de recettes indues ; elles ont du mal à décaisser les fonds de relance ; elles tardent à prendre des mesures pour lutter contre la spéculation énergétique et contre le réchauffement climatique. C'est le résultat de l'idéologie libérale. L'une emprunte 270 milliards d'euros, l'autre 1 061 milliards d'euros.
La France est lésée : elle est la première contributrice, compte tenu des rabais injustes dont d'autres bénéficient. Elle a été privée de fonds de relance pour cause de croissance, mais le niveau d'endettement des États aurait dû être pris en compte. Pas moins de 66 % des montants dus à la France restent en suspens ; à qui la faute ?
La Cour des comptes européenne indique par exemple que « les engagements français ne comprennent aucune mesure de soutien direct pour accroître la production d'énergies renouvelables ». Le projet de loi sur les énergies renouvelables a été présenté entre temps : c'est à croire qu'un an avant, vous n'étiez pas au courant que votre Gouvernement préparait ce texte...
Le paquet climat était annoncé comme décisif. Il prévoit un Fonds social pour le climat, mais notoirement insuffisant et inadapté aux nouveaux modes de vie et aux exigences de la transition énergétique.
Il y a bien une ambition de créer de nouvelles recettes : certaines que nous combattons, comme l'élargissement du système de quotas carbone ; d'autres que nous soutenons, comme l'ajustement carbone aux frontières - mais l'étroitesse de son assiette, le risque renouvelé d'un affrontement entre les modèles sociaux et son lien caduc avec le marché carbone engendreront des inégalités entre les entreprises et ne répondra pas à leurs besoins de planification. L'impôt sur les sociétés reste une arlésienne.
L'Union européenne doit abandonner le projet de réforme présenté il y a une semaine sur les règles d'endettement des États membres. Le Gouvernement fait sien l'étau imposé par la Commission, mais ne le respectera pas... Nous votons contre cette contribution.
M. Claude Kern . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Sébastien Meurant applaudit également.) Le contexte est particulier : avec le retour d'une guerre de haute intensité aux portes de l'Europe et une inflation estimée à 10,9 % dans l'Union européenne, 2023 est un défi pour l'Europe. Les conséquences des sanctions contre la Russie provoquent une grande tension sur l'approvisionnement énergétique.
Pour 2023, la contribution française est de 24,9 milliards d'euros, auxquels il faut ajouter les 2,2 milliards d'euros de droits de douane. Ces chiffres sont stables. Nous saluons l'accord trouvé entre le Parlement européen et la Commission, qui portent le total des contributions à 186,6 milliards d'euros.
Les fonds supplémentaires pour les programmes d'aide à l'Ukraine ou Erasmus + permettront de faire face à l'inflation et d'aider les Ukrainiens. Les priorités européennes pour 2023 de l'énergie, du climat, de la santé, de la culture et des valeurs communes seront soutenues.
L'enveloppe de la PAC - 270 milliards d'euros - est insuffisante. À long terme, il sera impossible d'assurer la sécurité alimentaire pour tous. Le fonds de réserve n'est pas à la hauteur. Nos agriculteurs doivent être dotés d'instruments de gestion de crise.
L'utilisation des crédits et les retards de décaissement, notamment de la politique de cohésion, sont une autre difficulté. La France est dans la moyenne, avec un taux d'absorption des crédits de 66 %. Ainsi, sur 27,5 milliards d'euros de crédits fléchés vers la France, qui doivent être consommés avant la fin 2023, 194 millions d'euros, pour le Fonds européen de développement régional (Feder), 20 millions d'euros, pour le Fonds social européen (FSE), 3,3 milliards d'euros, pour le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et 47 millions d'euros, pour le Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture (Feampa) restent à engager au 30 juin 2022. Ces chiffres masquent une forte disparité territoriale, le taux d'exécution étant particulièrement faible en outre-mer.
Enfin, il est nécessaire d'envisager de nouvelles ressources propres. Le plan de relance européen a été décisif pour la construction européenne, avec la création de capacités communes d'emprunt, mais son remboursement s'élèverait à 15 milliards d'euros par an de 2028 à 2058, dont 2,4 milliards d'euros pour la France, sans nouvelles ressources propres.
Celles-ci doivent aussi financer le paquet Fit for 55 et éviter le ressaut des contributions nationales ou, sinon, la baisse du budget européen. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Teva Rohfritsch applaudit également.)
M. Jean-Claude Requier . - L'examen de l'article 25 est l'occasion pour mon groupe de rappeler son attachement à l'Union européenne. La contribution française est de 25 milliards d'euros : sa tendance générale est à la hausse, qualifiée de structurelle par la Cour des comptes, ce que les eurosceptiques voient d'un mauvais oeil. Mais c'est seulement avec une ambition commune que l'on peut dépasser certains défis : qui peut rêver d'un Frexit aujourd'hui, avec la déconfiture de l'économie britannique ? Nous souhaitons à nos adversaires préférés au rugby de surmonter leurs difficultés. (Sourires)
Les dépenses administratives progressent de 19 % par rapport au cadre 2014-2020, notamment à cause de la revalorisation automatique des rémunérations des fonctionnaires européens, de 8 %. Toutefois, il faut aussi relever la montée en charge du projet européen, entre 2014-2020 et 2021-2027 : ainsi, le volet migration et gestion des frontières augmente de 612 % et celui consacré à la sécurité et défense de 266 %.
Crises migratoire, sanitaire, énergétique, environnementale imposent une contribution dynamique des États membres, à laquelle il faudrait ajouter dès que possible les fameuses nouvelles ressources propres. N'ayons pas l'esprit au rabais ou au chèque à la Thatcher.
La France bénéficie de 9 milliards d'euros via la PAC, ainsi que du plan de relance à hauteur de 37,5 milliards d'euros. L'Europe ambitionne 352 milliards d'euros pour le Pacte vert : là, ce n'est pas un retour financier qu'il faut attendre mais un meilleur avenir. De même pour le soutien à l'Ukraine, d'un montant de 1,2 milliard d'euros, qui laisse espérer le retour à la paix.
Nous voterons cet article sans réserve : l'Europe nous protège et protège nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du GEST)
Mme Pascale Gruny . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le projet de loi fixe à 24,5 milliards d'euros le montant de la contribution française en 2023, en baisse par rapport à cette année. Comme chaque année, certains contesteront ce coût soi-disant exorbitant, mais ce serait oublier un peu vite le bénéfice bien supérieur de la mutualisation, à commencer par les apports du marché unique - 124 milliards d'euros de bénéfices annuels.
L'Europe traverse de multiples crises qui exigent des réponses fortes. Face au Brexit, l'Europe a fait preuve d'une unité sans faille. Face au covid, elle s'est dotée d'instruments contre de futures épidémies, d'un plan de relance et d'emprunts inédits. Face à la guerre en Ukraine, en cinq jours, elle a fait avancer l'Europe de la défense plus rapidement qu'en cinquante ans.
Toutefois, l'Europe reste au milieu du gué, peinant toujours à transformer ses ambitions en actes.
En matière énergétique, les réponses se font toujours attendre pour casser la spirale inflationniste et assurer notre indépendance stratégique à long terme. Quand on pense que la Commission européenne a attendu la dernière minute pour inclure le nucléaire dans la liste des énergies durables, alors que le gaz y figurait depuis longtemps... Même constat sur la souveraineté alimentaire. Malgré les alertes du Sénat, la Commission européenne n'a eu de cesse de remettre la PAC en cause, menaçant de faire baisser les rendements, dans le cadre de la stratégie « de la ferme à la table » alors que, pour la première fois, l'agriculture française ne peut plus nourrir notre population.
Je peine également à comprendre les décisions budgétaires du Conseil, diminuant le budget alloué aux migrations, aux frontières, à la sécurité et à la défense, alors que nous traversons de graves troubles géopolitiques.
L'accord interinstitutionnel de cette semaine, qui rend la contribution déjà obsolète, rebat les cartes. Cependant, cette position nous inquiète. Quid de la réindustrialisation, de la dette publique, d'un pacte de stabilité et de croissance que la Commission européenne propose d'assouplir ? Quid de la politique commerciale, qui ne suit pas les bouleversements internationaux, et de la taxe carbone aux frontières, qui mettrait pourtant fin aux distorsions de concurrence ?
L'Europe ne peut plus se contenter de faire des constats et de déclamer des ambitions. Elle doit passer à l'offensive et s'affirmer comme puissance pour ne pas laisser aux autres le choix de son destin. C'est alors qu'elle sortira d'une autre crise : celle de la confiance des citoyens envers le projet européen.
En responsabilité, pour permettre le fonctionnement de l'Union européenne et répondre aux engagements de la France, le groupe Les Républicains votera l'article, malgré quelques réserves. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Teva Rohfritsch applaudit également.)
M. Emmanuel Capus . - Depuis 2020, chaque fois qu'on parle d'Europe, on parle de crise. La pandémie n'est pas totalement derrière nous, nous n'avons pas commencé à rembourser notre emprunt commun, et, pourtant, une nouvelle crise, celle de l'énergie, s'installe déjà. À la solidarité de la crise sanitaire succèdent des actions moins coordonnées, comme le plan à 200 milliards d'euros de l'Allemagne.
L'an dernier, je disais que l'Union européenne n'était pas une option. Je le crois toujours : nous devons rester unis, plus que jamais. L'inquiétude monte quant au couple franco-allemand, encore accentuée par la visite du chancelier Scholz en Chine. Il faut parler d'une seule voix, surtout en période de crise.
La contribution française baisse, à 25 milliards d'euros. Il convient d'utiliser les financements européens le mieux possible et sur tout le territoire. Certes, nous contribuons beaucoup, mais nous recevons aussi beaucoup : le plan REPowerEU doit être un accélérateur de transition, au service de notre indépendance vis-à-vis du combustible russe. C'est là un gage de souveraineté.
L'an dernier, j'avais déjà alerté sur les ressources propres : la présidence française a permis des avancées, comme sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Toutefois, les prévisions de ressources propres font état de recettes insuffisantes. Le travail sur l'autonomisation du budget européen doit se poursuivre.
Malgré un flou récurrent, nous voterons l'article 25 avec enthousiasme.
présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président
M. Jacques Fernique . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Teva Rohfritsch applaudit également.) Il y a bien dans notre hémicycle le drapeau tricolore et celui de l'Union européenne. Le débat qui nous rassemble à cet instant est l'un des rares, suivi d'un vote, au cours duquel nous pouvons échanger sur les sujets européens.
La démocratie parlementaire ne pèse pas comme elle le devrait dans le budget européen. Le mode de financement de notre Union renforce le poids des négociations entre gouvernements, perpétuant des calculs mesquins aux relents thatchériens. Dans le compte-rendu du même débat à l'Assemblée nationale, je lis avec stupéfaction que de larges applaudissements ont répondu à l'antienne nationaliste du juste retour. Je vous cite certains propos, que je ne partage pas du tout : « Il est inenvisageable que la contribution de la France au budget de l'Union européenne soit supérieure à ce que cette dernière lui rapporte. »
Tant mieux si, au Sénat, notre débat touche aux enjeux européens communs. Oui, le cadre pluriannuel est obsolète en raison des crises que nous avons évoquées, alors qu'il faut toujours réussir le Green Deal.
Il n'a fallu que quelques semaines pour réajuster l'article 25, en hausse de 408 millions d'euros. Il faudra sans doute de nouveaux ajustements à cause de l'inflation. La contribution française a connu ces dernières années un « ressaut absolument majeur », pour reprendre les termes du secrétaire général aux affaires européennes.
Si nous voulons un avenir européen, il faudra déployer de nouvelles ressources propres bien moins maigres que la contribution plastique ou le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Avec des caisses dégarnies, quelle capacité d'agir face à la prochaine crise ? Soyons exigeants avec la Commission européenne. Il faut sortir du bricolage à court terme et mettre à contribution ceux qui profitent de l'Europe sans prendre part à l'effort collectif. Visons les grandes entreprises du numérique, les transactions financières, une assiette commune d'impôt sur les sociétés. L'Europe comporte toujours des paradis fiscaux : chacun ne contribue pas selon ses moyens et c'est insupportable.
Le cadre financier pluriannuel ne saurait sacrifier le Green Deal : le Giec estime les investissements nécessaires pour la transition écologique à 6 % du PIB - soit 900 milliards d'euros par an pour l'Union européenne.
Dans ce contexte, mon groupe votera l'article. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du RDPI)
M. Pascal Allizard . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Alain Duffourg applaudit également.) Voilà des années que l'Union européenne est confrontée à des crises majeures qui posent la question de ses ambitions : devenir une puissance ou rester un simple espace ?
Les évènements - crise migratoire, pandémie, guerre en Ukraine - s'enchaînent et se superposent. L'inflation entraîne la hausse des taux et complique la situation.
Face au choc pandémique, le plan de relance a été financé par la dette commune, associé d'un projet de ressources propres. Cet accord, historique selon certains, est un glissement vers un nouveau paradigme financier.
Je déplore le retard sur les nouvelles ressources propres. Les recettes demeureraient inférieures aux besoins, notamment pour le plan de relance et le Fonds social pour le climat. La France, en cas d'échec, devrait rembourser 2,4 milliards d'euros par an à partir de 2028.
Pour 2023, le prélèvement est, certes, relativement stable, même si le Gouvernement sollicite son augmentation de 400 millions d'euros environ. Néanmoins, la France est la première contributrice au financement du rabais des pays dits frugaux : Allemagne, Suède, Autriche, Pays-Bas, Danemark. Ces États ont moins laissé filer les déficits que d'autres, mais ils ont aussi réalisé de faibles investissements, notamment dans le domaine de la défense, de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme. Si certains retrouvent un intérêt pour la sécurité avec la guerre en Ukraine, c'est surtout au profit de l'Otan et de l'industrie militaire américaine. Ainsi, l'Allemagne a soudainement annoncé 100 milliards d'euros d'investissements, malgré ses atermoiements sur certains programmes de coopération.
Soutenons la coopération. L'attitude de ces pays m'inquiète pour l'avenir de la base industrielle et technologique de défense européenne. Seule puissance nucléaire de l'Union européenne, la France sait les efforts nécessaires à cette ultime garantie de la sécurité collective. La défense a souvent été la variable d'ajustement des budgets.
Les choix énergétiques hasardeux de certains pays sont préoccupants : charbon et gaz russe contrastent avec une vision idéalisée des énergies renouvelables, dont a pâti le nucléaire français. J'y ajoute mon inquiétude sur la taxonomie européenne, au coeur du REPowerEU. Que d'anglicismes dans cette Europe post-Brexit... Ne remplacerons-nous pas des dépendances par d'autres ?
Malgré mes inquiétudes, je voterai l'article. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du RDPI et du RDSE)
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe . - Je vous remercie de vos réflexions. Vous avez rappelé le caractère essentiel de ce débat démocratique. Je me réjouis de la tonalité positive de ces propos.
Plusieurs l'ont dit, la guerre en Ukraine façonnera l'Europe et son budget pour de longues années. Il faut une réponse unie et forte.
La France est le deuxième pays contributeur au budget de l'Union européenne, à hauteur de 17,4 %, derrière l'Allemagne, et le deuxième pays bénéficiaire, avec 11 % des dépenses de l'Union européenne, derrière la Pologne. En particulier, la France est la première bénéficiaire de la PAC - 9 milliards d'euros par an. Les politiques de compétitivité et de cohésion apportent aussi respectivement 2,8 milliards d'euros et 2,5 milliards d'euros.
Certes, des États membres obtiennent des rabais, mais la PAC soutient toute notre agriculture, sans compter les retombées du marché intérieur, de 120 milliards d'euros.
Fonds régionaux, Erasmus, solidarité financière, sécurité collective : même dans une logique strictement comptable, l'Europe nous rapporte plus qu'elle nous coûte.
Le prélèvement sur les recettes de l'État au profit de l'Union européenne est essentiel à son bon fonctionnement. Les crises - sanitaire, guerre en Ukraine - renforcent, plus que jamais, le besoin d'une Europe souveraine et unie, dotée de moyens d'action adéquats. C'est le sens du travail sur les nouvelles ressources propres.
Les crises sont l'illustration de la nécessité de l'outil budgétaire commun, qui permet d'apporter des réponses communes. C'est grâce au budget de l'Union européenne que nous avons pu soutenir l'Ukraine et faire face à la crise énergétique, mais aussi préparer l'avenir avec le plan de relance.
L'Union européenne a soutenu l'Ukraine sur les plans militaire, humanitaire, économique et financier. Une aide de 18 milliards d'euros sera versée l'année prochaine : le conseil Ecofin l'a confirmé et permettra un décaissement rapide.
Cette guerre a des conséquences importantes et suppose des réponses ambitieuses. Les 27 se sont accordés pour redéployer des fonds issus du plan de relance au profit du programme REPowerEU.
Le budget de l'Union européenne a aidé les États membres les plus touchés par la crise économique liée à la pandémie. Oui, l'Europe protège : ce n'est pas un slogan, mais une réalité. Sans l'Europe, nous n'aurions pas eu accès aussi rapidement aux vaccins.
Le plan de relance, de plusieurs centaines de milliards d'euros, a été mis en oeuvre rapidement. Il est inédit. C'est un grand succès européen et une preuve irréfutable de notre capacité à faire face aux crises. En 2023, nous bénéficierons de 12,7 milliards d'euros pour notre plan de relance sur un total de 40 milliards d'euros.
Il est effectivement complexe de débloquer les fonds européens sur certains territoires... Le secrétariat général aux affaires européennes a créé une cellule d'aide à l'utilisation de ces fonds.
Le plan de relance repose sur le principe d'un endettement commun - c'est une avancée historique ! Le plan favorise la transition numérique et énergétique, pour que l'Europe reste compétitive. Le prélèvement sur les recettes de l'État au profit de l'Union européenne s'élèvera ainsi à 25 milliards d'euros, afin que l'Union européenne dispose des moyens nécessaires à la mise en oeuvre du cadre financier pluriannuel, qui soutient notamment les transitions écologique et numérique.
Nous sommes attentifs aux économies. Ainsi, nous avons limité la croissance du salaire des fonctionnaires européens de 2 points de pourcentage par rapport à leur demande initiale. Nous veillons aussi à la bonne utilisation des fonds. Depuis le 1er janvier 2021, le budget de l'Union européenne est protégé contre les violations de l'État de droit, y compris à titre préventif. C'est inédit.
Les crises peuvent bouleverser nos plans. Mais l'Europe sait être flexible.
La révision du cadre financier pluriannuel est inscrite au programme de la Commission européenne pour 2023. Toutefois, nous ne connaissons pas son champ exact.
Cette démarche s'appliquera également aux ressources propres. Il en existe trois types, issues du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, du système d'échanges de quotas d'émissions et enfin des bénéfices résiduels des multinationales. Nous veillerons à les renforcer.
Le budget européen associe le Parlement européen : il est donc bien démocratique.
Nous nous félicitons que la France contribue à une Europe puissante et souveraine. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC)
Mme le président. - Amendement n°I-1592, présenté par le Gouvernement.
Remplacer le montant :
24 586 000 000
par le montant :
24 994 163 000
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Les négociations budgétaires européennes se sont conclues le 14 novembre. À la suite de ces négociations, le budget européen a augmenté. Cette hausse de 2,2 milliards d'euros permettra de soutenir les régions aidant les réfugiés ukrainiens. Initialement de 24,6 milliards d'euros, le prélèvement sur recettes s'élève désormais à 25 milliards d'euros.
Le Parlement européen a été pleinement associé à cet exercice démocratique.
M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial. - Avis favorable. Lors de l'examen en commission, j'avais indiqué que le chiffre initial était susceptible d'évoluer. Cette augmentation a été adoptée conjointement avec le Parlement européen.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Cette augmentation nous semble importante, mais nous comprenons les raisons, compte tenu des explications fournies ce soir.
Toutefois, nous naviguons à vue sur l'inflation. Les ajustements de l'année prochaine pourraient s'élever à plusieurs milliards d'euros... Nous aurons besoin d'informations précises selon les évolutions de la conjoncture. Il convient d'impliquer pleinement le Parlement - je sais que vous souscrivez à cette méthode, madame la ministre.
Lors de la dernière Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac), l'apport des parlements nationaux a été minoré, notamment en raison de l'attitude du Parlement européen. Je suis très attentif à ce dossier.
Je suis moi aussi favorable à cet amendement - avec prudence !
M. Patrice Joly. - En 2022, nous sommes parvenus à utiliser les marges de manoeuvre disponibles pour aider l'Ukraine, grâce à des redéploiements de crédits. Ces marges de manoeuvre sont aujourd'hui épuisées. Il faut trouver des moyens nouveaux afin que la perte de pouvoir d'achat liée à l'inflation puisse être compensée. Il faut réviser le cadre financier pluriannuel et renforcer nettement les ressources propres de l'Union européenne. L'urgence est devant nous !
M. Claude Kern. - Nous soutenons cet amendement. Le groupe UC votera l'article 25.
L'amendement n°I-1592 est adopté.
L'article 25, modifié, est adopté.