Projet de loi de finances pour 2023
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances (PLF), considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2023.
Discussion générale
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique . - Je vous présente ce projet de loi de finances quelques heures après mon retour du G20 de Bali. J'y accompagnais le Président de la République, à un moment où les nuages s'accumulent sur l'économie mondiale.
Le risque principal est identifié : c'est le conflit ukrainien, source d'incertitude pour tous les acteurs économiques. La traduction de ce risque, qui pénalise nos concitoyens et nos entreprises depuis des mois, c'est une inflation élevée, qui a touché le gaz et l'électricité avant de se transmettre à l'alimentation quotidienne.
Un chiffre éclaire à lui seul la situation : plus de 3 % de la richesse européenne est allée de notre continent vers les pays producteurs de gaz et de pétrole, soit 1 000 euros par citoyen européen.
Il y a donc urgence à maintenir une politique destinée à ramener l'inflation à des niveaux plus raisonnables.
Dans ce contexte difficile, l'économie française résiste : la croissance est restée positive au troisième trimestre, l'investissement demeure dynamique, le chômage continue de baisser et notre attractivité se maintient. Qui aurait imaginé que la capitalisation boursière de la place de Paris serait un jour supérieure à celle de Londres ? C'est le fruit de la constance de notre politique économique et fiscale depuis cinq ans.
Dans ce contexte de forte inflation, notre priorité est de protéger les ménages et les entreprises. Nous maintiendrons en 2023 un bouclier énergétique qui évite aux ménages de payer environ 200 euros de plus par mois. Nous avons mis en place un chèque énergie, une aide complète pour le chauffage au fioul. Nous indexons les retraites, les minima sociaux et le barème de l'impôt sur le revenu sur l'augmentation des prix.
Mais je veux être clair : en 2023, les aides seront plus ciblées. C'est une question de justice sociale, pour aider ceux qui en ont le plus besoin : familles modestes, entreprises qui ne peuvent répercuter la hausse du prix de l'énergie sur leurs prix de vente. Désormais, le ciblage sera la règle.
Nous devons prendre conscience que le choc énergétique n'est pas transitoire, mais structurel. Nous devons nous adapter au nouvel environnement lié à la guerre en Ukraine et au changement climatique. Il faudra que les prix du gaz et de l'électricité retrouvent les prix de marché, mais nous préférons une convergence progressive plutôt que brutale.
Les prix du gaz et de l'électricité augmenteront de 15 % début 2023. Nous mettrons fin à la remise de 30 centimes sur le prix des carburants, en continuant de soutenir ceux qui en ont le plus besoin, notamment nos compatriotes qui ont impérativement besoin de leur véhicule pour travailler ; je pense en particulier aux apprentis, aux aides-soignants ou aux artisans du BTP qui sillonnent la France. C'est l'exemple du passage d'une aide massive à une aide plus ciblée.
Nous aiderons également les entreprises. Nous entendons les inquiétudes de toutes celles qui voient exploser le coût de leur facture d'électricité ou de gaz. Nous les avons toujours soutenues, dans les bons comme dans les mauvais jours. Nous continuerons à défendre notre tissu économique et industriel.
Nous supprimons la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), en deux fois : 4 milliards d'euros en 2023, puis 4 milliards d'euros en 2024.
Certains nous disent : les Allemands font plus pour leurs entreprises, les Américains protègent mieux leur industrie. Qu'ils votent la baisse des impôts de production pour soutenir nos entreprises.
Face à l'explosion des prix du gaz et de l'électricité, nous protégeons les TPE, qui bénéficient du même bouclier que les ménages. Les PME auront accès à un guichet pour alléger leur facture. L'année prochaine, elles auront droit à une remise directe sur leur facture pour amortir le choc. Au total, nous mobilisons 3 milliards d'euros d'aides publiques pour faire baisser leur facture de 20 %.
Nous protégerons les ETI et les entreprises électro-intensives, avec des aides jusqu'à 150 millions d'euros pour éviter les délocalisations et les fermetures d'usines. Je me suis battu pour une simplification des aides et le rehaussement du plafond ; nous les avons obtenus. Nous ne laisserons tomber aucun site industriel français.
Est-ce suffisant par rapport à l'Allemagne ? Je m'entretiendrai la semaine prochaine avec le ministre de l'économie allemand, Robert Habeck. Nous sommes dans un marché unique : toutes les entreprises doivent être soumises aux mêmes règles. Les entreprises françaises seront aussi bien protégées que les allemandes. J'ajoute qu'elles bénéficient d'une électricité à bas coût grâce à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), ce qui représente un avantage compétitif important.
Le ciblage contribue aussi au rétablissement des finances publiques, auxquelles les sénateurs sont particulièrement attachés.
M. Philippe Folliot. - C'est vrai !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Nous tiendrons nos objectifs : la dette baissera à partir de 2026 et le déficit reviendra sous les 3 % en 2027.
Certains d'entre vous souhaitent aligner les objectifs de réduction des dépenses en volume de l'État sur ceux des collectivités territoriales, soit 0,5 % sur la durée du quinquennat. J'accueille favorablement cette proposition : c'est un signe d'équité et de la volonté du Sénat de rétablir le plus rapidement possible nos finances publiques.
Il reste à nous accorder sur les montants précis que cela représente. Vous avez trouvé un accord sur le projet de loi de finances rectificative (PLFR). Je m'en félicite et je souhaite que nous poursuivions dans cette voie du compromis.
Pour conclure de manière plus globale, je tire du G20 quatre conclusions simples.
Premièrement, nul ne sortira indemne de la guerre en Ukraine. Certainement pas l'Europe, qui prend crûment conscience de sa dépendance énergétique. Nous devons nous libérer de dépenses inacceptables qui bénéficient aux producteurs d'énergie extra-européens.
Le continent africain est très touché par l'inflation des denrées alimentaires et les risques de pénurie. Sous l'impulsion du Président de la République, le G20 a condamné l'agression russe, contraire au droit international et qui a fait dérailler la reprise économique. Ce conflit aura des conséquences structurelles sur la répartition des forces économiques dans le monde.
Deuxièmement, aucun État ne fera de cadeaux à l'Europe : ni la Chine ni même nos alliés américains. Les Européens doivent donc faire bloc. Dans le contexte actuel, nous serions inconscients de nous diviser. Chacun défend ses intérêts économiques, brutalement. L'Union européenne doit apprendre à défendre les siens, sinon brutalement, du moins avec la plus grande fermeté.
Troisièmement, personne ne pourra ralentir sur la nécessité de la transition énergétique. La transition n'est pas le problème, mais la solution ! Les pays en voie de développement doivent bénéficier du soutien économique des pays développés. Avec le Président de la République, nous avons proposé au G20 un fonds pour les aider. La transition énergétique est la solution aussi pour nous-mêmes : elle est synonyme d'indépendance, de technologies de pointe, de rayonnement économique et d'efficacité. Nous devons nous y engager avec une détermination totale.
L'énergie sera la grande question économique du XXe siècle : elle doit être disponible, décarbonée et à un coût raisonnable. Les États qui ne l'auront pas compris seront marginalisés.
Quatrièmement, aucun État ne peut se détourner du sort des pays les plus pauvres, notamment africains. Pendant la crise covid, les pays industrialisés ont mobilisé jusqu'à 25 % de leur richesse nationale, les pays en voie de développement moins de 3 %. À présent, ces derniers sont menacés par un risque de crise alimentaire, qui pourrait entraîner crise migratoire et désordre politique. Je suis fier que la France, par la voix du Président de la République, ait porté haut l'exigence de soutien à l'Afrique. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe INDEP)