Soutien aux édiles victimes d'agression
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à permettre aux différentes associations d'élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, un édile victime d'agression, présentée par Mme Nathalie Delattre et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
Mme Nathalie Delattre, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Guillaume Chevrollier applaudit également.) Le 5 août 2019, un homme est mortellement renversé par un fourgon déversant illégalement des gravats. Nous nous souvenons tous de Jean-Mathieu Michel, maire de Signes dans le Var.
La commission des lois du Sénat a lancé une concertation nationale : 92 % des élus ayant répondu ont été victimes d'incivilités, injures menaces ou agressions. Trois ans plus tard, pas d'amélioration, tant pour les maires, élus préférés des Français, que pour les autres élus.
J'ai une pensée pour les élus de Gironde agressés : Philippe Becheau, maire de Saint-Philippe-d'Aiguille, Cédric Gerbeau, maire de Saint-Macaire, Kilian Alliot, conseiller municipal de Sainte-Eulalie, ou encore Patrick Gomez, maire de Sadirac. Plus de mille agressions ont été comptabilisées en 2021, en hausse de 50 % par rapport aux années précédentes, alors que peu d'élus portent plainte.
Nous formons les élus pour prévenir les débordements. Maires et adjoints sont les premières cibles de la violence, après des tapages nocturnes, des violences intrafamiliales, etc.
Ces agressions sont révélatrices de la distance qui se creuse entre les citoyens et le pouvoir politique, comme le montre le rapport de Henri Cabanel. Pour certains, la soumission à une norme commune ne va plus de soi...
Certes, il y a un désenchantement pour le politique, auquel nous devons remédier. Mais nous devons être intransigeants envers ceux qui agressent les élus. C'est l'essence même du contrat social, comme Hobbes et Rousseau l'ont imaginé, qui est en cause : la brutalité primitive ne saurait être admise dans une société républicaine.
Malheureusement, nous avons à nouveau observé cette violence avec les insultes récentes contre le député Louis Boyard. Je suis loin de partager toutes ses idées, mais je le soutiens dans sa démarche judiciaire. Rien ne justifie un tel acharnement, qui renforce le sentiment d'impunité des citoyens qui s'en prennent aux élus locaux.
Le droit pénal permet déjà de tenir compte de la qualité des victimes, si elles sont élues, dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public : il s'agit alors d'un outrage et non d'une injure. Il y a aussi circonstance aggravante quand la qualité de la personne agressée est apparente ou connue, c'est pourquoi les élus doivent bien décliner leur fonction élective lorsqu'ils interviennent.
Mais la réponse pénale devant les tribunaux est insuffisante. D'où ma proposition de loi, cosignée par 95 sénateurs, dont Éric Gold qui avait déposé un texte similaire.
En 2020, une circulaire du garde des sceaux a enjoint les procureurs à toujours retenir la qualification pénale tenant compte de la qualité des élus, et vous avez insisté sur la nécessité d'une réponse pénale systématique et rapide. (M. le garde des sceaux le confirme.) Mais seule une poignée de plaintes donne lieu à suite pénale et le nombre de condamnations est extrêmement faible. (M. le garde des sceaux le conteste.) Bien souvent, pas même un rappel à la loi ou une mesure d'éloignement...
Les élus doivent être mieux soutenus pour que justice leur soit rendue. Les associations d'élus sont les plus à même de les épauler, fortes de leur expertise et de leurs ressources. C'est pourquoi ma proposition de loi prévoit qu'elles puissent se constituer partie civile pour accompagner tout élu, avec son accord.
Aux termes de l'article 2-19 du code de procédure pénale, seules les associations départementales affiliées à l'AMF peuvent intervenir pour les élus municipaux. Il faut élargir cette possibilité à toutes les associations nationales d'élus et couvrir tous les élus, locaux, nationaux ou européens.
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
Mme Nathalie Delattre. - L'association pourra également intervenir en cas de dégradation d'un bien de l'élu ou lorsque la victime est l'un de ses proches. L'exposition délibérée d'informations sur sa vie privée, familiale ou professionnelle sera aussi incriminée. Autant d'avancées majeures attendues par les élus.
Je tiens enfin à saluer la rapporteure, Catherine Di Folco, et le travail intelligent mené en coconstruction avec vos services, monsieur le ministre, pour aboutir à une rédaction conjointe qui concourt à la qualité et à l'efficacité de la loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE et des groupes UC et Les Républicains)
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité des travaux du Sénat, notamment ceux de la commission des lois qui avait présenté en octobre 2019 un plan d'action pour la sécurisation des maires. Elle rejoint aussi les engagements pris par le Gouvernement lors de l'examen de la Lopmi.
L'article 2-19 du code de procédure pénale, que modifie l'article premier de ce texte, était une initiative du Sénat, plus précisément de nos anciens collègues Dinah Derycke et Michel Charasse.
Mme Nathalie Goulet. - Ah ! Charasse ! (Sourires)
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Cet article autorise les associations départementales de maires à se porter parties civiles en cas d'agression d'un élu ; en effet, la plupart d'entre elles interviennent pour les frais d'avocat et de procédure.
Notre rédaction ne vise que les affaires qui arrivent devant une juridiction : on ne saurait forcer une instruction.
Depuis vingt ans, l'AMF a développé le soutien aux élus victimes d'agressions, se substituant parfois aux associations départementales. L'inclusion de l'AMF dans le dispositif de l'article 2-19 est donc logique. Nathalie Delattre a souhaité y ajouter l'ADF et Régions de France, et élargir le bénéfice de ces dispositions à l'ensemble des élus. La commission a estimé qu'il ne convenait pas d'aller au-delà de ces trois associations, pour éviter la concurrence entre associations.
Par ailleurs, la commission a accepté un amendement de Stéphane Le Rudulier, reprenant une proposition de Françoise Gatel autorisant les collectivités territoriales et les assemblées parlementaires à se constituer parties civiles. La jurisprudence ouvrait cette possibilité aux assemblées mais pas aux collectivités, ce qui était incohérent.
Depuis la réunion de la commission la semaine dernière, nous avons trouvé des compromis avec le Gouvernement. La rédaction est équilibrée. La commission des lois a adopté un amendement qui permet à toutes les associations d'élus ayant une ancienneté suffisante et affiliées à une association nationale de se porter parties civiles, mais nous n'avons conservé la mention explicite que de l'AMF, de l'ADF et de Régions de France.
Un amendement réunit également les deux articles initiaux en un article unique, pour harmoniser les infractions et personnes concernées, garantissant la qualité juridique du texte. Il devrait satisfaire une large majorité des acteurs.
Cette proposition de loi apporte des réponses concrètes aux dysfonctionnements de l'accompagnement des élus, au service d'un exercice serein des mandats territoriaux. Nous espérons un vote rapide et conforme à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDSE)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Je suis heureux de vous retrouver pour l'examen de cette proposition de loi. Les parlementaires et élus locaux sont les représentants de la démocratie nationale et locale ; leur place est fondamentale dans le fonctionnement des institutions. Toute atteinte à leur encontre constitue une atteinte au pacte républicain. S'en prendre à un élu, c'est s'en prendre à la République.
Comme je l'avais évoqué devant votre délégation aux collectivités territoriales en février 2022, le Gouvernement souhaitait, après une réflexion menée avec Richard Ferrand à la suite à la vague d'indignation suscitée par l'agression du député Romain Grau, à Perpignan, permettre aux communes comme aux deux chambres du Parlement de se porter parties civiles après l'agression d'un élu.
Ce texte, dans la rédaction adoptée par la commission des lois, rejoint nos réflexions. Les violences contre nos élus ne sont pas encore suffisamment endiguées. Depuis l'élection du Président de la République, 509 atteintes aux élus ont été transmises à la justice.
En réponse à une question d'actualité de la présidente Gatel, je m'étais engagé à des remontées fiables par les parquets. Il apparaît que 61 % des faits sont des atteintes aux personnes, 80 % lorsque la victime est un maire.
Le fatalisme ne doit pas nous arrêter. Nous devons garantir une réponse pénale ferme et systématique. Depuis mon entrée en fonction, j'ai tout mis en oeuvre pour mieux réprimer ces atteintes à nos élus.
La justice, hélas, intervient quand le mal est déjà fait. Une partie de la solution réside dans l'éducation et dans le réapprentissage du respect que nous devons à nos institutions ; ne banalisons jamais ces actes, qui atteignent notre pacte républicain. Mais sans négliger l'amont, la réponse en aval doit être ferme.
Deux mois après mon entrée en fonction, le 7 septembre 2020, j'ai souhaité réaffirmer avec force l'importance d'une politique pénale rapide et ferme et d'un suivi juridique renforcé au service des élus. J'ai demandé aux parquets une réponse pénale rapide, privilégiant les déferrements pour les faits les plus graves. Un magistrat de chaque parquet a été désigné comme interlocuteur privilégié des élus du ressort.
J'ai aussi demandé, dans ma circulaire du 15 décembre 2020 sur la justice de proximité, un approfondissement des relations partenariales entre les élus, les associations et le ministère de la justice.
Le 17 novembre 2021, à l'occasion du Congrès des maires, j'ai également annoncé la création d'un groupe de travail pour améliorer les relations entre les maires et l'institution judiciaire. De ses trente recommandations, j'en mentionnerai cinq : améliorer la connaissance par les magistrats du siège des collectivités du ressort, construire un partenariat avec les maires, améliorer le dialogue entre ceux-ci et les magistrats, accompagner les maires dans l'exercice de leurs prérogatives en lien avec la justice et développer la formation croisée des acteurs. (Mme Nathalie Goulet marque son approbation à l'énumération de chacun des éléments.)
Le 20 septembre dernier, dans ma circulaire de politique pénale générale, j'ai demandé avec force aux parquets de poursuivre le renforcement des échanges avec les élus.
Notre défi est d'apporter une réponse pénale, ferme, efficace et rapide. Les choses évoluent : 100 % des 203 suspects poursuivis ont fait l'objet d'une réponse pénale et une poursuite a été engagée dans 92 % des cas, avec 114 condamnations prononcées, dont 78 % assorties d'une peine de prison.
Mais au-delà, nous devons accompagner au mieux les élus en nous tenant à leurs côtés tout au long de la procédure. Je partage totalement cet objectif, qui est celui de votre proposition de loi.
La rédaction actuelle de l'article 2-19 du code de procédure pénale n'autorise la constitution de partie civile qu'aux associations départementales de maires affiliées à l'AMF, pour les seuls élus municipaux et pour une liste d'infractions limitativement énumérée. La proposition de loi élargit cette possibilité à l'AMF elle-même, à l'ADF et à Régions de France, y compris si la victime est un proche de l'élu.
Au 15 septembre, 509 atteintes avaient été dénombrées, pour 860 victimes : il était donc urgent de protéger les élus et leur famille.
Je salue les synergies trouvées entre le Gouvernement et la commission des lois du Sénat. À l'unisson de la rapporteure dont je salue le travail...
M. André Reichardt. - Très bien.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Nous avons proposé un amendement pour affiner la rédaction du texte, illustration de notre volonté de coconstruction législative. Il regroupe les dispositions permettant la constitution de partie civile des assemblées et des associations d'élus, qui sont mieux définies, pour garantir la constitutionnalité du texte - ce qui est bien le moins.
En effet, la nouvelle rédaction permet à toutes les associations d'élus, reconnues d'utilité publique, au rayonnement national et avec une ancienneté suffisante, de se constituer parties civiles. Réserver cette possibilité à une seule association nationale aurait été contraire au principe constitutionnel d'égalité.
Mme Nathalie Goulet et M. André Reichardt. - Très bien !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Nous étendons aussi le champ des infractions concernées à l'ensemble des crimes et délits contre des personnes et les biens, à certaines atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique et à tous les délits de presse.
La définition des proches englobe toutes les personnes vivant sous le même toit que l'élu.
Les atteintes contre les élus sont des atteintes contre notre démocratie. En la matière, le Gouvernement a toujours trouvé dans le Sénat un partenaire fiable et souvent moteur, notamment pour augmenter les budgets. (M. André Reichardt approuve.) Ce soir, c'est le Gouvernement qui est favorable à votre initiative indispensable, qui rappelle que l'on ne touche pas (M. le garde des sceaux souligne son propos en frappant le pupitre du poing) aux élus de la République. (Applaudissements sur toutes les travées)
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales . - La protection des élus est une priorité que nous partageons tous. Ces dernières années, nombre d'agressions ont alerté sur l'exposition particulière des titulaires de mandats électoraux.
Pas une semaine sans que je sois en contact avec un élu victime d'agression. Depuis le début de l'année, une centaine de procédures ont été lancées pour tous types de faits : outrages, dégradations, menaces, violences. N'oublions pas les personnes derrière les chiffres.
C'est pourquoi mon ministère soutient sans condition cette proposition de loi. Nous avons travaillé main dans la main avec le Sénat et le ministre de la justice au service d'un texte efficace et robuste. Protéger nos élus est une exigence républicaine.
Merci pour cette initiative, pour ce travail transpartisan, merci au RDSE qui a inscrit ce texte dans sa niche parlementaire. Nous n'avions pu intégrer des dispositions allant dans ce sens dans la Lopmi, mais notre résolution était intacte : nous sommes donc heureux de soutenir votre proposition de loi.
Demain, les associations d'élus pourront assister dans la procédure les élus et leur famille, trop nombreux à renoncer faute de temps et de moyens. Ils ont besoin de structures pour les accompagner en justice. L'AMF voit ainsi l'une de ses demandes se concrétiser.
Les maires sont les vigies de nos territoires, acteurs essentiels de notre vie citoyenne : il faut les protéger, comme tous nos élus et parlementaires.
Le texte ouvre aux associations nationales la possibilité de se porter partie civile, au bénéfice de tous les élus, non les seuls élus municipaux.
Cela reste une possibilité - liberté pour l'élu de demander le soutien d'une association, liberté pour celle-ci de l'accorder.
L'extension du champ des associations concernées fait consensus, le soutien de la rapporteure et les amendements transpartisans en attestent.
Le texte prend également en compte les nouveaux risques auxquels sont exposés les élus, notamment la divulgation en ligne d'informations personnelles.
Les infractions concernées ont été étendues à l'atteinte aux biens : c'est nécessaire, comme l'illustre l'incendie en septembre du cabinet médical du maire de Saint-Pierre-des-Corps.
Enfin, les proches des élus sont eux aussi parfois victimes d'agressions en lien avec l'activité de ces derniers.
Cette proposition de loi offre une nouvelle dimension à la protection des élus. Depuis la loi Engagement et proximité de 2019, portée par Sébastien Lecornu, l'ensemble des élus doivent souscrire, dans leur contrat d'assurance, à une garantie de conseil juridique, d'assistance psychologique et des coûts qui résultent de leur obligation de protection fonctionnelle. Dans les 32 000 communes de moins de 3 500 habitants, l'État compense le coût de ces contrats.
Depuis septembre 2020, les préfets signalent systématiquement aux parquets les faits d'atteinte aux élus pouvant relever d'une qualification pénale.
Nous voici au rendez-vous. Ce débat au Sénat est une étape capitale, et j'espère un soutien aussi large que possible des sénateurs. Je souhaite aussi que le texte soit rapidement examiné par l'Assemblée nationale. (Marques d'approbation sur plusieurs travées) Notre Gouvernement soutiendra ce texte tout au long de la navette. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et sur quelques travées du groupe UC ; M. Marc Laménie applaudit également.)
La séance est suspendue à 20 heures.
présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente
La séance reprend à 21 h 35.