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Table des matières
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement
Blocages dans les raffineries et les centrales nucléaires
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Aides à l'industrie automobile
M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie
Défense de la souveraineté industrielle
M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion
Mobilisation interprofessionnelle et hausse des salaires
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein-emploi et de l'insertion
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Coût de l'énergie pour les collectivités territoriales
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Aides à la voiture électrique européenne
M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports
Remboursement des prêts garantis par l'État
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
Enseignement des mathématiques
M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse
Mises au point au sujet de votes
Modification de l'ordre du jour
Droit fondamental à l'IVG et à la contraception
Mme Mélanie Vogel, autrice de la proposition de loi constitutionnelle
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Discussion de l'article unique
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois
Faire évoluer la formation de sage-femme
Mme Raymonde Poncet Monge, rapporteure de la commission des affaires sociales
Ordre du jour du jeudi 20 octobre 2022
SÉANCE
du mercredi 19 octobre 2022
8e séance de la session ordinaire 2022-2023
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : M. Loïc Hervé, Mme Jacqueline Eustache-Brinio.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
La séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et au temps de parole.
Climat social
M. Jean-Claude Requier . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du RDPI) Après la crise des gilets jaunes et la pandémie, voilà l'explosion des prix de l'énergie, des matières premières et de l'alimentation. C'est un nouveau choc pour notre économie, à l'origine de fortes tensions sociales.
Nous devons entendre ceux qui appellent de leurs voeux une répartition plus juste de la valeur ajoutée et la solidarité doit continuer à s'exercer envers les plus démunis.
Dans ce climat, la négociation doit rester la voie de sortie de crise, notamment dans les raffineries où le blocage pénalise des millions de personnes et fait planer le risque d'une récession. Nous comptons sur la responsabilité des entreprises.
Madame la Première ministre, comment allez-vous agir pour répondre aux attentes de nos compatriotes ? (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP ; M. Michel Canévet applaudit également.)
Mme Élisabeth Borne, Première ministre . - Monsieur le sénateur Requier, vous êtes élu dans un département où la voiture n'est pas un luxe, plutôt une nécessité du quotidien. Nos compatriotes sont inquiets de la montée des prix ; ils subissent les tensions d'approvisionnement aux stations-service et craignent le blocage du pays.
Certains cultivent ces inquiétudes. Nous choisissons d'apaiser et de rassembler les Français, avec le bouclier tarifaire - créé en octobre 2021 et prolongé jusqu'en 2023 -, les textes d'urgence de juillet sur le pouvoir d'achat et la remise de 30 centimes d'euros sur le carburant - maintenue jusqu'à la mi-novembre. C'est ainsi que nous avons l'inflation la plus basse de toute la zone euro.
Mais le pouvoir d'achat durable viendra du travail. Nous avons un système unique au monde de revalorisation automatique du Smic - qui a ainsi augmenté de 8 % en un an, plus vite que l'inflation -, entraînant la signature de plus de 500 accords de branche sur les salaires depuis le début de l'année. (M. David Assouline le conteste.)
Les entreprises qui le peuvent doivent augmenter les salaires...
M. David Assouline. - Pas de 49.3 pour elles ?
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. - ... et elles ont une responsabilité particulière si elles ont réalisé plus de profits malgré le contexte.
Des voix à gauche. - Des superprofits ?
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. - Il faut des négociations rapides, car la solution vient toujours du dialogue social. Le blocage, la grève préventive ne sont jamais des réponses. La situation s'améliore dans les stations-service, mais nous restons mobilisés. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Jean-Claude Requier. - Dans les zones rurales et périphériques, on a besoin d'une voiture pour se déplacer et la voiture a besoin d'essence : il faut approvisionner nos stations-service. Chez nous, la « bagnole » reste appréciée. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Louault applaudit également.)
Pouvoir d'achat
M. Daniel Breuiller . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Travaillons-nous pour rien ? Conseil national de la refondation (CNR), travail transpartisan, dialogues de Bercy : vous multipliez les instances de concertation mais laissez planer la menace du 49.3 sur des sujets aussi essentiels que les retraites, l'assurance chômage ou le projet de loi de finances !
Voilà une conception bien déroutante de la démocratie. Les mobilisations montrent bien les attentes des Français : contre la vie chère, pour le climat, pour les salaires. Les amendements des parlementaires au projet de loi de finances les reflètent ; des consensus ont été trouvés sur MaPrimeRenov', sur la taxation des super dividendes ou encore sur le crédit d'impôt pour le reste à charge en Ehpad.
Madame la Première ministre, pouvez-vous vous engager à nous présenter un projet de loi de finances enrichi des amendements de l'Assemblée nationale ? Et qu'adviendra-t-il des amendements adoptés par le Sénat ? Seront-ils jetés dans les poubelles du tri présidentiel ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées des groupes SER et CRCE)
M. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement . - Merci d'avoir souligné la volonté farouche de concertation du Gouvernement, au-delà des clivages politiques traditionnels. (Marques d'ironie et rires sur les travées du GEST et des groupes SER et CRCE)
Les débats à l'Assemblée nationale sont riches, passionnants et passionnés et le Gouvernement s'est engagé à reprendre certains des amendements adoptés. (Brouhaha)
Plusieurs voix à gauche. - Tous !
M. Olivier Véran, ministre délégué. - Mais la somme des amendements des oppositions, c'est 8 milliards d'euros de surdépenses, non financées. (Le brouhaha s'intensifie.)
M. Didier Marie. - C'est la CVAE !
M. Olivier Véran, ministre délégué. - Malgré notre attachement au dialogue, nous n'accepterons ni hausse d'impôts ni explosion de la dette. Nous ne renierons pas les engagements pris par le Président de la République lors de la dernière campagne présidentielle. (Brouhaha général ; applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Daniel Breuiller. - Conservez la taxation des superprofits. La démocratie sans dialogue social et sans Parlement, ce n'est plus tout à fait la démocratie. (Applaudissements à gauche)
Blocages dans les raffineries et les centrales nucléaires
M. Claude Malhuret . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Les idées des cégétistes sont simples : Total ne nous accorde que 8 %, vengeons-nous sur les Français ! Alors ils bloquent ouvriers, infirmières, artisans...
C'est le syndicalisme trash : des salariés payés le double de la moyenne, qui empêchent les autres de travailler, tout en prétendant les défendre ! (Huées sur les travées du groupe CRCE ; applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe Les Républicains) Or on finit toujours par payer le joueur de pipeau.
Ces grèves n'ont rien à voir avec le pouvoir d'achat : c'est « règlements de comptes à CGT-Corral ». Les durs de la CGT-Chimie veulent déstabiliser Martinez et sa successeure qu'ils jugent trop molle ; du coup, lui en rajoute dans la radicalité, sur le dos des Français.
Personne n'est dupe : les grèves sont condamnées par une majorité de Français (on le conteste à gauche), la journée d'hier fut un échec, comme, dimanche, la marche des Groucho-marxistes de la Nupes. (Rires et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains ; brouhaha général).
La prochaine étape est encore plus obscène : alors que des Français vont avoir froid cet hiver, la CGT empêche la maintenance des centrales nucléaires - pour la plus grande joie de Poutine... (Protestations sur les travées du groupe CRCE)
Madame la Première ministre, prendrez-vous toutes les mesures nécessaires pour que quelques personnes ne puissent empêcher les Français de se déplacer et de se chauffer ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, du RDPI et des groupes UC et Les Républicains)
Mme Élisabeth Borne, Première ministre . - Le conflit social chez Total et Esso touche le quotidien de millions de Français dont je partage les préoccupations. (Marques d'ironie à droite)
Pour eux, nous devons agir vite et fort. Le Gouvernement est totalement mobilisé. Je réunis quotidiennement une cellule interministérielle de crise. Dès les premiers jours de grève, nous avons libéré des stocks stratégiques de l'État, augmenté les importations, autorisé l'ouverture des dépôts et les livraisons le week-end. Ces derniers jours, les livraisons ont ainsi été deux fois plus importantes qu'en temps normal, mais la demande a été plus forte en raison de la crainte de pénurie. (Protestations à droite)
Mme Sophie Primas. - C'est la faute des Français !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. - Il est essentiel de sortir du conflit social. Grâce à des syndicats majoritaires, des accords ont été signés chez Total et chez Esso. Le travail doit reprendre ; une minorité ne saurait bloquer le pays. (Applaudissements sur les travées du RDPI et des groupes UC et INDEP)
M. Loïc Hervé. - Très bien !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. - C'est pourquoi j'ai demandé aux préfets de réquisitionner le personnel nécessaire dans certains dépôts.
La situation s'améliore sur l'ensemble du territoire : 20 % des stations sont en rupture sur au moins un carburant, contre 30 % ce week-end. Dans les Hauts-de-France, 55 % des stations étaient en rupture la semaine dernière, 15 % cette semaine. En Île-de-France, c'est huit points de moins. Dans votre région Auvergne-Rhône-Alpes, avec le déblocage de Feyzin, c'est 26 %, contre 36 % il y a une semaine. La situation est encore difficile, mais la dynamique est là.
J'appelle les grévistes à reprendre le travail. Mon gouvernement continuera à agir jusqu'au retour à la normale. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et sur plusieurs travées du groupe UC)
Meurtre de Lola
M. Bruno Retailleau . - (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis dimanche, la France est sous le choc : Lola, 12 ans, est morte, sauvagement agressée par une ressortissante algérienne qui n'aurait pas dû être sur le sol français. (Brouhaha désapprobateur à gauche) On voudrait bâillonner le débat, mais c'est l'essence même de notre démocratie.
Ce meurtre m'en rappelle un autre, commis par un homme qui avait passé plus de dix ans en situation irrégulière, qui s'était vu remettre trois obligations de quitter le territoire français (OQTF) sans être expulsé, qui avait incendié la cathédrale de Nantes, qui n'était ni en prison ni en hôpital psychiatrique...
Le désordre migratoire tue, reconnaissons-le.
M. Xavier Iacovelli. - Récupération !
M. Bruno Retailleau. - Reconnaissez-vous une défaillance de l'État ?
M. Xavier Iacovelli. - Quand a lieu le congrès de LR ?
M. Bruno Retailleau. - Que ferez-vous pour que ces tragédies ne se reproduisent plus ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Férat applaudit également.)
Mme Élisabeth Borne, Première ministre . - En politique, quelles que soient les circonstances, nous devons toujours faire le choix de la dignité. (Applaudissements depuis les travées du groupe CRCE jusqu'à celles du RDPI ; huées sur les travées du groupe Les Républicains)
Une famille, des voisins, un collège sont en deuil. Respectons-les.
M. Philippe Pemezec. - La faute à qui ?
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. - Le Président de la République a reçu la famille (huées à droite) pour lui dire l'émotion de la Nation et l'assurer de notre plein soutien.
Savez-vous ce qu'ont demandé les parents de Lola ? Du respect, de la dignité, la paix pour la mémoire de Lola.
M. Max Brisson. - Et alors ?
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. - Je vous demande de ne pas exploiter la mort d'une enfant à des fins politiciennes. (Applaudissements depuis les travées du groupe CRCE jusqu'à celles du RDPI ; huées à droite)
Il faut maintenant que la justice passe. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains) Deux suspects ont été interpellés en quelques heures, l'une d'entre eux est en détention provisoire. L'enquête est en cours. L'autorité judiciaire est indépendante : je n'ai donc pas d'autre commentaire à faire. Laissons les enquêteurs travailler, laissons la famille de Lola faire son deuil, la République lui rendra justice. (Applaudissements depuis les travées du groupe CRCE jusqu'à celles du RDPI)
M. Bruno Retailleau. - La mort de Lola n'est pas un simple fait divers. (Mme Patricia Schillinger s'exclame.) Au lieu de pleurer les conséquences, dénonçons les causes. Ayez le courage d'affronter la réalité : le laxisme et le laisser-faire migratoire. Prenez des décisions pour aujourd'hui et pour demain. (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Férat applaudit également ; protestations à gauche.)
Aides à l'industrie automobile
M. Loïc Hervé . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le Mondial de l'Automobile a été l'occasion d'annonces importantes, avec l'entretien du Président de la République dans Les Échos et les déclarations de Bruno Le Maire. Nous devons soutenir l'ensemble de la filière automobile française confrontée à de lourdes contraintes : c'est un fleuron ! Le virage de l'électrique est un défi, qui impose des évolutions majeures de l'outil de production.
Dans la vallée de l'Arve, en Haute-Savoie, l'industrie du décolletage avec sa myriade de PME doit être accompagnée. Les aides vont-elles bien aller aux entreprises qui le méritent, de manière équitable et sans qu'elles soient obligées de faire appel à des cabinets de chasseurs de primes touchant des rémunérations indécentes, qui font baisser d'autant le montant des aides ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie . - Toute la filière est effectivement réunie Porte de Versailles - je vous invite à y aller à vos moments perdus. (Murmures à droite)
J'étais avec Bruno Le Maire dans la vallée de l'Arve il y a peu. Les entreprises de votre département ont reçu 54 millions d'euros sur les 750 millions de France Relance pour le secteur. L'objectif n'est pas de préserver, mais de changer et développer toute la filière, y compris les petits sous-traitants qui ne sont pas oubliés.
Nous souhaitons que les appels d'offres soient simples et que les entreprises soient accompagnées localement, via les chambres de commerce et les pôles de compétitivité. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Loïc Hervé. - Ça tombe mal, le pôle de compétitivité de la vallée de l'Arve a été assassiné politiquement il y a quelques mois ! Tirons les leçons des trois premières vagues du plan de relance et moralisons les aides pour que toutes les entreprises y aient accès. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
Défense de la souveraineté industrielle
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Deux fleurons de notre industrie aéronautique et spatiale risquent de passer sous pavillon américain en devenant la propriété de la société Heico : Exxelia, qui devait bénéficier de France 2030, et Trad, fondamentale pour la recherche spatiale et l'armement. Comment pouvez-vous laisser faire cela ? Il s'agit de haute technologie, essentielle pour notre autonomie stratégique et notre souveraineté industrielle !
Cela me rappelle la vente des turbines Arabelle par Emmanuel Macron, que nous avons dû racheter le double... Ce sont des emplois perdus, de l'argent perdu, des savoir-faire perdus !
Pourquoi, monsieur le ministre, n'avez-vous pas déclenché la procédure Montebourg ? Que comptez-vous faire pour qu'Exxelia et Trad restent françaises ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SER, du GEST et du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville et Mme Catherine Morin-Dessailly applaudissent également.)
M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie . - Avec la loi Pacte, le champ du décret Montebourg sur les investissements étrangers en France a été élargi à plusieurs secteurs et l'information du Parlement a été améliorée via un rapport annuel. Ainsi, en 2021, 328 dossiers ont été examinés et 124 autorisés, dont 67 sous conditions.
Il est difficile d'aller plus loin dans l'information afin de préserver le secret des affaires et celui de la défense nationale. Mais depuis la loi Pacte, les cas particuliers peuvent être examinés par les présidents des commissions des affaires économiques et les rapporteurs généraux du budget, sous le sceau du secret.
S'agissant des deux sociétés que vous évoquez, je ne peux guère vous en dire plus, mais sachez que nous avons à coeur de préserver nos intérêts stratégiques et notre souveraineté industrielle. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Hussein Bourgi. - Avec quels résultats ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Nos concitoyens ne comprennent rien. On parle de souveraineté industrielle et on laisse partir des fleurons ! Dès le premier tour de table sur le dossier Exxelia, vous n'aviez pas trouvé les actionnaires français : ce n'est pas secret, c'est dans tous les journaux de France et de Navarre. Pouvez-vous nous garantir que les capitaux resteront majoritairement français ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST, ainsi que sur quelques travées des groupes INDEP et Les Républicains)
Réforme du RSA
M. Michel Dagbert . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Depuis 2004, les départements versent le revenu de solidarité active (RSA) et assurent l'accompagnement social et professionnel des bénéficiaires. Pourtant, sans remettre en cause le volontarisme des élus et le professionnalisme des équipes, une longue liste d'emplois restent non pourvus dans la restauration, l'entretien, l'animation socioculturelle, etc. La question de l'adéquation des parcours proposés avec le marché de l'emploi se pose.
Des départements sont volontaires pour expérimenter ce que certains comparent à un retour au servage. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous éclairer ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion . - Héritier du RMI, le RSA apporte un revenu minimum à ceux qui sont sans revenus. C'est là une fierté de notre modèle social.
Mais les résultats en matière d'insertion ne sont pas satisfaisants : la Cour des comptes a montré que sept ans après l'entrée dans le RSA, 42 % des bénéficiaires y sont toujours, seulement trois bénéficiaires sur dix ont retrouvé un emploi ; un sur dix un emploi stable.
La société est-elle quitte de son devoir de solidarité une fois allouée cette indemnité de moins de 600 euros ? Non, elle ne le sera qu'une fois un emploi retrouvé.
Nous allons intensifier l'accompagnement des bénéficiaires, mais il n'a jamais été question de bénévolat obligatoire ni de travail gratuit.
Le RSA est un droit inconditionnel, proposer une offre de formation adaptée est l'un des devoirs de la puissance publique. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du RDSE ; M. Pierre Louault applaudit également.)
Hausse des salaires
Mme Monique Lubin . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le prix du litre de gasoil dépasse les 2 euros ; le prix des produits de première nécessité comme les pâtes ou le beurre augmente de 22 % à 47 %. Hélas, nous savons qui seront les premiers à sacrifier le nécessaire.
Vous répondez : primes aléatoires, défiscalisation et désocialisation des heures supplémentaires, rachat de RTT... mais refusez obstinément d'ouvrir d'un grand débat sur les salaires. Les salariés ne demandent pas l'aumône, ils veulent vivre de leur travail !
Vous évoquez la valeur travail - surtout pour stigmatiser ceux qui en sont privés. Nous disons : pas de travail sans valeur, et celle-ci se mesure à la rémunération. Or depuis 2008, le salaire des 10 % les mieux payés a augmenté trois fois plus vite que celui des 10 % les moins rémunérés. Est-il juste que le patron d'une grande enseigne gagne trois cents fois ce que gagne la caissière ? À quand une grande conférence nationale sur les salaires ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion . - Vous évoquez l'inflation : vous auriez pu dire qu'elle est de 6,5 % en France, c'est beaucoup, mais moitié moins que chez nos voisins européens, grâce à notre politique qui protège les Français.
La hausse des salaires ne dépend pas de la loi mais du dialogue social. Nous encourageons les entreprises à négocier, notamment dans les branches où le salaire minimum est inférieur au Smic.
Vous avez aussi oublié de rappeler que désormais les accords d'intéressement sont plus faciles à conclure et les primes plus faciles à verser - et leurs bénéficiaires sont contents de les recevoir !
Vous dites que l'écart se creuse ? C'est faux, l'écart entre le premier et le dernier décile ne s'est pas creusé depuis 2008, grâce à un système redistributif dont nous pouvons être fiers.
Dans quelques semaines, j'ouvrirai une conférence sur le partage de la valeur. J'espère que votre énergie se mettra au service de cette discussion. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Pierre Louault et Pierre-Antoine Levi applaudissent également.)
Mme Monique Lubin. - Je continuerai à la mettre au service des salariés. Vous êtes plus prompts à dégainer le 49.3 pour mettre fin au débat qu'à satisfaire les salariés. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Michelle Gréaume applaudit également.)
Mobilisation interprofessionnelle et hausse des salaires
Mme Anne Chain-Larché . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À vous entendre, madame la Première ministre, tout va bien... Pourtant, la France devient le pays de toutes les pénuries. Médicaments, carburants, transports confrontés à la grève, électricité : le terrible constat s'impose que le Gouvernement n'a rien anticipé. Il vous aura fallu plusieurs semaines pour réquisitionner une partie du personnel de quelques raffineries ; pendant ce temps, les Français font la queue devant les stations-services...
La grève s'étend aux centrales nucléaires. RTE (Réseau de transport d'électricité) prévoit des conséquences lourdes cet hiver, si elle se poursuit.
Combien de semaines attendrez-vous cette fois avant d'agir ? Allez-vous enfin réquisitionner toutes les raffineries ? Mettre en place un service minimum dans les transports, comme le prévoit la proposition de loi de Bruno Retailleau, adoptée par notre assemblée ? Il faut des mesures fortes pour protéger les Français des pénuries : en aurez-vous le courage ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein-emploi et de l'insertion . - Pour assister aux rencontres de Mme la Première ministre avec les présidents de groupe parlementaire dans le cadre de la réforme des retraites,...
M. Bruno Retailleau. - C'est dans Le Canard enchaîné !
M. Olivier Dussopt, ministre. - ... je puis vous assurer que les partenaires sociaux qui participent aux négociations salariales ne se demandent pas si elle a du courage : ils le constatent. (Murmures à droite)
Dans le nucléaire comme dans tous les secteurs, nous encourageons la négociation. Un cycle va s'ouvrir : nous espérons qu'il évitera la grève.
Par ailleurs, nous sommes respectueux du droit de grève et appliquons la jurisprudence en matière de réquisitions : celles-ci doivent être proportionnées et justifiées par un impératif d'urgence. C'est parce que nous avons veillé au respect de ces principes que les tribunaux administratifs de Lille et Rouen ont confirmé nos décisions. S'affranchir du droit, ce serait nous condamner à l'inefficacité. (Applaudissements sur des travées du RDPI)
Mme Anne Chain-Larché. - L'impératif est là : la grève nous fait perdre des milliards d'euros chaque jour. En vérité, votre Gouvernement est débordé par ses contradictions, son arrogance et son déni de la réalité. (M. Julien Bargeton s'exclame.) Les Français galèrent, et vous n'avez pas pour eux la moindre empathie. La chienlit règne dans le pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Finances locales
M. Rachid Temal . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je me fais le porte-parole des régions, départements, intercommunalités, villes et villages de notre pays, durement touchés par l'inflation. Sans nos collectivités territoriales, qui représentent 70 % de l'investissement public total, des pans entiers de notre économie s'effondreraient.
Nous travaillons au quotidien avec les élus et leurs associations. Ils nous disent que, pour la première fois, ils n'arrivent pas à boucler leur budget et sont contraints d'envisager la fermeture de services ou la suppression de postes. Que penseront les Français lorsqu'ils trouveront la porte de la piscine close ?
Allez-vous modifier le projet de loi de finances pour 2023 pour donner aux collectivités territoriales les moyens de fonctionner dignement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Cathy Apourceau-Poly et M. Éric Bocquet applaudissent également.)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - Les élus, nous les rencontrons tous. Il est indéniable que le retour de l'inflation, même si elle est mieux contenue en France qu'ailleurs, ne facilite par les équations des collectivités territoriales.
S'agissant de l'énergie, nous protégeons les villages avec le bouclier tarifaire - le même qui bénéficie aux ménages. (Mme Sophie Primas proteste ; M. Jean-Raymond Hugonet joue d'un pipeau imaginaire.)
M. Laurent Duplomb. - C'est faux !
M. Christophe Béchu, ministre, rapporteur. - L'inflation fait aussi progresser certaines recettes : les régions percevront cette année 9 % de TVA en plus. La revalorisation des bases d'imposition représente un surcroît de recettes de 1,2 milliard d'euros.
Des difficultés de bouclage, les collectivités territoriales en ont connu quand les gouvernements que vous souteniez ont baissé la DGF de 11 milliards d'euros... Pour la première fois depuis treize ans, un gouvernement revalorise cette dotation !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Très bien !
M. Christophe Béchu, ministre. - Enfin, nous mettons en place un filet de sécurité autrement plus robuste que celui que vous avez contribué à construire.
Nous bataillons pour obtenir une baisse des prix de l'énergie au niveau européen et établissons une protection tarifaire pour les collectivités territoriales et les entreprises qui ne sont pas au tarif réglementé. (Applaudissements sur des travées du RDPI)
M. Emmanuel Capus. - Très bien !
M. Rachid Temal. - Le maire Béchu tiendrait-il les mêmes propos que le ministre ? (On renchérit à droite.) Les maires de nos villages disent tous la même chose : 45 millions de Français ne sont pas inclus dans vos mesures. Les associations d'élus proposent un bouclier fiscal pour toutes les communes, qui n'obère pas leur capacité à investir. Je rappelle aussi que la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) se traduit par 8 milliards d'euros en moins pour les collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Valérie Létard et M. Hervé Maurey applaudissent également.)
M. Laurent Duplomb. - Exactement !
Coût de l'énergie pour les collectivités territoriales
M. Thierry Meignen . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le ministre, votre réponse à M. Temal ne nous satisfait pas.
Les contrats d'électricité et de gaz de nombreuses collectivités territoriales arriveront à échéance le 31 octobre. Faute de nouveau contrat, des coupures totales sont à craindre. Ces régions, départements et communes devront donc acheter leur énergie au prix du marché, qui flambe.
En Seine-Saint-Denis, les prix du gaz sont multipliés par quinze, ceux de l'électricité par trente-deux. Dans mon département comme partout en France, une commune moyenne verrait sa facture d'énergie passer de 2 à 15 millions d'euros.
Comme d'habitude s'agissant des collectivités territoriales et des élus locaux, la réponse du Gouvernement n'est pas à la hauteur des besoins. L'aide annoncée par M. Attal, de 438 millions d'euros, est largement insuffisante : s'il avait voulu afficher son mépris pour les maires, il ne s'y serait pas pris autrement.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Très bien !
M. Thierry Meignen. - De plus, cette aide ne bénéficiera qu'aux communes dont l'épargne brute s'est fortement dégradée. Comme d'habitude, donc, vous sanctionnez les bons élèves. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)
Vous demandez beaucoup d'efforts aux collectivités, aux entreprises et aux Français. Vous demandez même aux salariés de porter des cols roulés dans les bureaux... Les Français sont prêts aux efforts, mais ils ne doivent pas être les seuls à en consentir.
Que répondez-vous aux maires démunis face à la flambée des prix de l'énergie ? Devront-ils sacrifier des services à la population ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Françoise Férat et Catherine Morin-Desailly applaudissent également.)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - Il y a plusieurs manières de mépriser les gens : l'une est de manier l'outrance et la caricature. (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains ; applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP.)
Débattons dans le respect, sur le fondement des réalités. Je le répète : pour la première fois depuis treize ans, la DGF augmente ! Faut-il rappeler qu'elle a été désindexée par les uns d'abord, baissée ensuite par les autres ? (Protestations sur les travées des groupes SER et Les Républicains ; applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Hussein Bourgi. - Et l'inflation ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Une multiplication par quinze ou trente est en dehors des tarifs cibles : il ne faut pas signer à ces conditions délirantes. (On s'exclame sur de nombreuses travées.)
M. Thierry Meignen. - Qu'est-ce qu'on fait, alors ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Je ne puis pas croire que, dans vos départements, vous relayiez de fausses informations ou alimentiez l'inquiétude. (Vives protestations à droite et sur certaines travées à gauche ; quelques huées montent des travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. - C'est honteux !
M. Hussein Bourgi. - Allez sur le terrain !
M. Christophe Béchu, ministre. - Dire qu'on ne donne pas assez aux collectivités territoriales, c'est le succès assuré au Sénat. (Brouhaha continu à droite et sur certaines travées à gauche ; M. le ministre doit élever la voix pour se faire entendre.) Nous faisons le choix de la responsabilité en matière de finances publiques et d'un filet de sécurité à la fois robuste et conforme au droit européen. Débattons sur le fond, pas sur des postures ! (Huées sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains ; applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Pierre Louault, Jean-Paul Prince et Emmanuel Capus applaudissent également.)
Aides à la voiture électrique européenne
M. Patrick Chauvet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La voiture électrique est la star du Mondial de l'Auto. Et pour cause : la vente de véhicules thermiques sera interdite à partir de 2035.
Justifié sur le plan environnemental, cet objectif fait toutefois peser un risque majeur sur l'industrie automobile française. En l'état actuel des choses, généraliser le véhicule électrique, c'est dérouler le tapis rouge à la Chine. Les grands constructeurs européens ont consenti des investissements colossaux pour améliorer les moteurs thermiques - des efforts passés par pertes et profits avec le tout électrique. Nous sommes en train d'offrir une industrie d'excellence à l'Asie !
Mme Sophie Primas. - Bravo !
M. Patrick Chauvet. - La moitié de la chaîne de valeur d'un véhicule électrique est située en Asie, et la Chine contrôle 56 % de la production mondiale de batteries. Même quand nous fabriquons des batteries, nous en importons les principaux composants. Résultat, les voitures électriques chinoises coûtent 20 à 30 % de moins que les Européennes. Nos constructeurs estiment entre cinq et sept ans le temps nécessaire pour résorber cet écart.
Alors que la location avec option d'achat ne sera pas possible avant 2024, le Gouvernement augmente la prime à l'achat de 1 000 euros pour les ménages modestes. Mais ce dispositif subventionne massivement les constructeurs chinois... Les États-Unis réservent leurs incitations aux véhicules dont les batteries sont produites sur leur sol. Ne pourrions-nous pas, nous aussi, cibler les constructeurs européens ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains)
M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports . - Ce Mondial de l'Auto, le premier depuis quatre ans, est entièrement consacré aux véhicules décarbonés.
Vous soulignez à raison les risques d'atteinte à notre souveraineté et la nécessité de protéger notre filière automobile.
Renoncer à la décarbonation et à la transition écologique, nul ne le propose. Il nous faut donc assumer cette transition.
Sans naïveté ni optimisme excessif, nous avons démontré qu'une réindustrialisation est possible. Nous avons commencé à produire des batteries, rendant crédible pour 2027 le cap d'indépendance fixé par le Président de la République.
Nous mènerons la transition électrique en réindustrialisant, en investissant et en soutenant l'achat de ces véhicules. Dans votre département de la Seine-Maritime, vous connaissez bien les transformations en cours des sites de Renault à Cléon et Dieppe.
Relever ce défi de l'industrialisation électrique en Europe nécessitera, en effet, de réformer nos outils de concurrence et de protection commerciale. Les aides que nous devons aux consommateurs et aux constructeurs ne doivent pas profiter aux acteurs chinois qui convoitent notre marché. (Applaudissements sur des travées du RDPI)
Mme Sophie Primas. - C'est pourtant bien ce qui se passe !
M. Patrick Chauvet. - Attention aux conséquences terribles sur l'emploi dans ce secteur !
Remboursement des prêts garantis par l'État
M. Vincent Segouin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Crise énergétique, difficultés d'approvisionnement et de recrutement : l'industrie souffre, et les trésoreries se dégradent.
À ces difficultés s'ajoute le remboursement des prêts garantis par l'État (PGE) et des charges sociales non réclamées depuis 2021. Ces contraintes exceptionnelles rendent nos entreprises encore plus vulnérables.
La commission des finances avait lancé l'alerte sur la durée de remboursement des PGE, incompatible avec les marges des entreprises. Certes, les entreprises peuvent passer par la Médiation du crédit, mais avec une conséquence sur leur cotation ; elles seront empêchées de souscrire des emprunts bancaires pour se développer. Nombre de chefs d'entreprise injectent leur patrimoine personnel, au risque de tout perdre.
L'entreprise française a une moyenne de six salariés. Alors que vous avez entrepris une démarche de réindustrialisation, ne laissons pas tomber les TPE et PME ! Allez-vous accepter des étalements de PGE sans médiation et des reports de remboursement des cotisations ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications . - Les PGE ont sauvé notre tissu entrepreneurial. Au total, 140 milliards d'euros de prêts ont été consentis - dans l'Orne, plus de 260 millions d'euros, au bénéfice de 1 700 entreprises.
Il n'y a pas, à ce stade, de risque systémique identifié sur le remboursement de ces prêts : le taux de défaut est estimé à 5 %.
Nous sommes conscients qu'un certain nombre d'entreprises rencontrent des difficultés. Des facultés d'amortissement ont donc été ouvertes, en juillet 2021 puis février 2022. Les entreprises dont le PGE est inférieur à 50 000 euros peuvent se tourner vers le Médiateur du crédit ; les autres, vers le conseiller départemental de sortie de crise.
Les entreprises dont le chiffre d'affaires annuel est inférieur à 750 000 euros n'ont pas de notation Fiben ; seule la banque en question est au courant de la restructuration. Pour les autres, la dégradation de la note n'est pas systématique.
Par ailleurs, des aides ont été décidées pour les TPE et PME dans le contexte de hausse des prix de l'énergie.
M. Vincent Segouin. - Je suis surpris, compte tenu de vos compétences, que vous ayez été chargé de me répondre.
Les radiations d'entreprise ont bondi de 37 % par rapport à 2019. Les entreprises abandonnent, et vous répondez : « circulez, il n'y a rien à voir »... Vous envoyez les entreprises dans le décor ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Qualité de l'air
Mme Angèle Préville . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du GEST) Encore une condamnation pour inaction : le Conseil d'État vient de condamner l'État à une astreinte de 20 millions d'euros pour non-respect des seuils de pollution au dioxyde d'azote dans les agglomérations de Paris, Lyon et Marseille. L'État avait déjà été condamné, il y a un an, pour le même motif...
Les mesures prises pour abaisser les émissions de ce gaz sous le seuil de 40 microgrammes par mètre cube sont insuffisantes. Le trafic routier est le principal émetteur.
Or le dioxyde d'azote se dissout dans l'eau pour donner de l'acide nitrique, substance corrosive, qui entraîne picotements et irritations, voire inflammations en cas d'exposition prolongée. Quantité de pathologies en résultent : asthme, maladies pulmonaires, cancer du poumon. Bilan : 40 000 décès prématurés par an. Les enfants et les pauvres sont particulièrement vulnérables.
Dans la nature, l'acide nitrique provoque pluies acides et acidification des océans ; c'est un facteur majeur de perte de biodiversité.
Pourtant, le trafic de camions s'intensifie, le fret ferroviaire n'est toujours pas revenu au niveau des années 1980 et les mobilités douces ne sont pas suffisamment encouragées. Pensez-vous que nous soyons sur la bonne voie ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires . - Nous prenons acte du maintien de ces astreintes par le Conseil d'État, qui note toutefois une amélioration de la situation. Le nombre d'agglomérations en dépassement de seuil est passé de treize en 2017 à trois cette année.
Mais l'important, c'est de réduire le nombre de décès liés à la pollution de l'air : plus de 40 000.
Le Conseil d'État nous appelle à renforcer les zones à faibles émissions (ZFE). Dans quelques jours, Clément Beaune et moi-même recevrons les présidents et maires de toutes les intercommunalités et communes de plus de 150 000 habitants pour un bilan de la situation. Un sujet d'accessibilité sociale se pose : les ZFE ne doivent pas empêcher les plus fragiles d'entrer dans les villes. Certains territoires testent des dispositifs innovants, comme Strasbourg avec le PassMobilité.
Tous ces sujets seront sur la table, avec un objectif : améliorer la qualité de l'air. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Situation en Arménie
Mme Valérie Boyer . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) J'associe à ma question les Amis de la justice et de la liberté.
Le 13 septembre dernier, l'Azerbaïdjan a lancé une nouvelle offensive contre l'Arménie, dans l'indifférence quasi générale. C'est pourtant une nouvelle guerre de conquête et d'extermination qui se joue aux portes de l'Europe, avec son lot de crimes de guerre.
La logique génocidaire et le racisme d'État de l'Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, n'ont pas vocation à s'arrêter. Ilham Aliyev a déclaré vouloir chasser « ces chiens d'Arméniens »...
Que comptez-vous faire concrètement pour que la République d'Arménie ne disparaisse pas ?
Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - La France est pleinement solidaire de l'Arménie face aux violations de sa souveraineté. Ce pays doit recouvrer son intégrité territoriale.
Cette mobilisation porte ses fruits. La dynamique a été relancée au Conseil de sécurité de l'ONU, et les ministres des affaires étrangères de l'Union européenne ont décidé l'envoi d'une mission d'observation le long de la frontière arménienne, rendu possible par l'accord trouvé sous l'égide du Président de la République il y a quelques jours.
Par ailleurs, une mission d'évaluation de l'OSCE se rendra sur place dans quelques jours pour constater les besoins, notamment humanitaires, et relancer les négociations.
Aucune de ces avancées n'aurait été possible sans l'engagement de la France, jusqu'au plus haut niveau de l'État. L'Arménie peut compter sur la France, qui oeuvre pour la paix et la stabilité dans le Caucase.
Mme Valérie Boyer. - Comment y croire ? D'un côté, l'Europe envoie une mission, mais, de l'autre, renforce la coopération avec l'Azerbaïdjan, notamment en matière d'énergie. Et Ursula von der Leyen parle d'Aliyev comme d'un partenaire fiable... La tartufferie va même plus loin, puisque le gaz azerbaïdjanais viendrait d'une exploitation partiellement détenue par une compagnie russe. La vie des Arméniens vaut-elle moins que celle des Ukrainiens ?
L'Arménie est une part de nous-mêmes. Les Arméniens veulent simplement vivre et disposer d'eux-mêmes. Ce qui vaut pour la Russie devrait valoir aussi pour l'autocratie azérie. Poutine conquiert la géographie, Aliyev efface l'histoire, dit justement Sylvain Tesson. Sanctionnons l'Azerbaïdjan sans avoir la main qui tremble, opposons-nous à la Caviar connection et dénonçons l'accord inique sur le gaz ! Il faut des armes pour l'Arménie !
Refuser ces sanctions, ce serait cautionner l'épuration ethnique des Arméniens - peut-être la solution finale pour eux. Agissons concrètement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Laurence Rossignol et Marie-Noëlle Lienemann, MM. Hussein Bourgi et Patrick Kanner, applaudissent également.)
Enseignement des mathématiques
Mme Laure Darcos . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La République a toujours besoin de savants. Elle doit commencer par favoriser les pépinières scientifiques.
Or la réforme du lycée a été bâclée, avec l'économie de moyens pour seul objectif. Deux ans plus tard, le bilan est inquiétant, notamment pour la filière scientifique. L'heure est grave. Le nombre d'élèves scientifiques en terminale a baissé de 24 % entre 2019 et 2021. La part des jeunes filles dans les parcours scientifiques chute également : vingt ans d'efforts anéantis...
Les mathématiques, la physique, la chimie, le numérique, les sciences de l'ingénieur sont relégués au rang d'enseignements de spécialité ou d'options. Les mesures annoncées à la hâte à la fin de la dernière année scolaire ne sont qu'un écran de fumée : on ne forme pas un ingénieur en lui enseignant une heure et demie de mathématiques dans le tronc commun en première !
Toute la structure du cycle terminal doit être revue sans tarder. Allez-vous suspendre la réforme du lycée et réunir toutes les parties prenantes pour inverser ce déclin ? À défaut, Hugo Duminil-Copin, qui travaille à Bures-sur-Yvette, dans l'Essonne, pourrait bien être le dernier Français à recevoir la médaille Fields. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Émilienne Poumirol, Angèle Préville et Marie-Noëlle Lienemann, ainsi que M. Mickaël Vallet, applaudissent également.)
M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - L'école française de mathématiques compte parmi les meilleures du monde, mais notre niveau moyen en mathématiques est médiocre, dans la population générale comme dans la population scolaire. De fait, la place de la France dans les classements internationaux n'est pas reluisante.
Nous avons donc réintroduit une heure et demie de mathématiques dans le tronc commun en première.
M. Max Brisson. - En option !
M. Pap Ndiaye, ministre. - Le problème n'est toutefois pas le volume d'heures.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Un peu quand même... (Mme Cécile Cukierman renchérit.)
M. Pap Ndiaye, ministre. - La France se situe plutôt dans le haut du panier en la matière. En revanche, il y a un sujet de pédagogie des mathématiques. (M. Pierre Ouzoulias s'exclame.)
M. Max Brisson. - Pas seulement !
M. Pap Ndiaye, ministre. - S'agissant de la baisse de 28 % de la proportion de filles, nous allons tenir des assises nationales sur la place des femmes dans le monde scientifique. (Marques d'ironie à droite)
M. Stéphane Piednoir. - On est sauvé !
M. Pap Ndiaye, ministre. - Il s'agira d'une priorité dans la retouche de la réforme du lycée. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président
La séance reprend à 16 h 30.
Mises au point au sujet de votes
M. Alain Richard. - Michel Dagbert et moi souhaitions nous abstenir au scrutin n°5.
Mme Guylène Pantel. - Au scrutin n°3, je souhaitais voter pour.
Mme le président. - Acte vous est donné de ces mises au point. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l'analyse politique des scrutins.
Modification de l'ordre du jour
Mme le président. - Par courrier en date du mardi 18 octobre, M. Guillaume Gontard, président du GEST, demande que le projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée, inscrit à l'ordre du jour du jeudi 27 octobre à 10 h 30, soit examiné selon la procédure normale et non selon la procédure simplifiée.
Il en est ainsi décidé.
Avis sur une nomination
Mme le président. - En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique et de la loi ordinaire du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des finances a émis, lors de sa réunion d'hier, un avis favorable (20 voix pour, 1 contre) à la nomination de Mme Marie-Anne Barbat-Layani à la présidence de l'Autorité des marchés financiers.
Rappels au Règlement
M. Patrick Kanner. - Nous allons entamer l'examen d'une proposition de loi extrêmement importante et symbolique. Cette proposition a fait l'objet d'un avis favorable de la part du Gouvernement.
Nous devons y passer du temps et de l'énergie. Je regrette donc que, au même moment, trois commissions se réunissent, dont la commission des affaires sociales. Je m'en suis ouvert au président du Sénat, car ce n'est pas la première fois qu'un tel chevauchement se produit ; ce fut le cas, par exemple, lors du débat d'actualité sur les droits des femmes iraniennes.
Je conçois que nous ayons beaucoup de sujets en cours. Le ministre Braun est également en cours d'audition par la commission des affaires sociales, pourtant concernée. Nous devons donc nous partager entre la séance publique et ces travaux de commission et nous le regrettons. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST)
M. Guillaume Gontard. - Je rejoins mon collègue : c'est un vrai problème. Alors que nous abordons deux textes importants, sur l'interruption volontaire de grossesse et les sages-femmes, plusieurs auditions de ministres ont lieu. Nous devons préserver le travail parlementaire, et j'en appelle au président du Sénat et aux présidents de commission pour éviter ces choix complexes. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et CRCE)
Mme le président. - Acte est donné de vos rappels au Règlement.
Droit fondamental à l'IVG et à la contraception
Mme le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, présentée par Mme Mélanie Vogel et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
Mme Mélanie Vogel, autrice de la proposition de loi constitutionnelle . - (Applaudissements sur les travées du GEST, du RDPI et des groupes SER et CRCE) Nous répondons aujourd'hui à une question simple et d'importance majeure. À l'heure où, partout dans le monde, les forces réactionnaires progressent, où les droits des femmes sont attaqués et où la France peut retrouver un rôle de pionnière et d'espérance, préférons-nous qu'un droit fondamental soit garanti par la norme suprême, la Constitution, ou une loi ordinaire, qui peut être défaite par une autre loi ?
Souhaitons-nous répondre à la volonté de 81 % des Français ? Souhaitons-nous dire à toutes les femmes de ce pays que l'honneur de la France est son attachement à l'égalité et l'idée que la maîtrise de sa fécondité est une affaire de liberté et de citoyenneté ?
Songeons à toutes celles qui se battent sur ces questions contre le fascisme, le totalitarisme religieux des mollahs iraniens, des évangélistes texans et des intégristes bien français, ou encore en Pologne, en Hongrie, à Malte ?
Dans cette période sombre, il existe un chemin de progrès, et nous devons inviter les autres nations à nous y rejoindre.
Le droit à l'avortement est un acquis féministe ; comme tous les acquis féministes, il n'est jamais hors de danger. C'est un acquis profondément républicain, répondant à la promesse d'égalité des droits.
Ce droit, nous le chérissons toutes et tous. Pourquoi refuser de le consacrer dans la Constitution ? C'est un profond mystère.
Je remercie Mme la rapporteure, mais je voudrais revenir sur les arguments avancés pour refuser cette loi.
D'abord, l'argument d'inutilité. C'est comme si, dans une voiture, on refusait de mettre sa ceinture, sous prétexte qu'on n'est pas en train d'avoir un accident. (Mme Laurence Rossignol approuve.)
M. Loïc Hervé. - Caricature !
M. Roger Karoutchi. - Si c'est tout ce que vous trouvez...
Mme Mélanie Vogel. - On sait très bien que le jour où, en France, il y aura une majorité d'élus prêts à remettre en cause ce droit, cette protection constitutionnelle sera utile.
Deuxième argument : il y a des risques plus grands. On ne mettrait pas sa ceinture de sécurité sous prétexte qu'il pourrait y avoir un tsunami ? Pourquoi se lever le matin, car, tous les jours, des personnes violent la loi et des parlementaires modifient la loi ?
Troisième argument : ce droit est déjà protégé. Il ne faudrait pas mettre la ceinture de sécurité, car je l'ai déjà... C'est faux : la jurisprudence constitutionnelle n'a jamais pu dégager une protection positive de ce droit, mais seulement constater que les lois encadrant le droit à l'IVG ne violaient pas la Constitution.
Si, demain, une loi régressive réduit les délais légaux, dérembourse, ajoute des conditions pour accéder à l'avortement ou impose une ordonnance pour la pilule du lendemain, le Conseil constitutionnel n'aura aucun fondement pour la déclarer inconstitutionnelle. C'est ce que nous voulons corriger.
Autre argument : il y a des dangers plus grands, notamment l'accès au droit. Mais on n'a pas accès à un droit qui n'existerait plus...
La Constitution ne devrait pas, selon certains, être un catalogue. À quoi cela sert-il, dans ce cas, d'avoir écrit le préambule de 1946 ou inscrit dans la Constitution l'interdiction de la peine de mort ?
Dernier argument, mon préféré : il ne faut pas importer des débats des États-Unis. En Italie, une proposition de loi vient d'être proposée pour interdire le droit à l'avortement - par la droite, pas l'extrême droite. En France, nous serions nationalement immunisés ?
On invoque les États-Unis pour agiter la menace d'un concept indéfinissable dont personne ne se réclame en France et qui serait prétendument dangereux, mais quand il s'agit de défendre un droit fondamental avec un risque bien réel, c'est mal.
La France a en son coeur des femmes qui, depuis des siècles, se battent pour conquérir leurs droits. Voyez Laurence Rossignol, Éliane Assassi, Laurence Cohen, qui portent ce combat depuis longtemps, ou bien Daphné Ract-Madoux, Xavier lacovelli, Maryse Carrère, Joël Guerriau... Ils ne sont pas importés et posent un débat bien français !
S'il devait y avoir une spécificité française, ce ne serait pas d'être prétendument le seul pays protégé des reculs, mais de devenir le premier pays au monde à agir en amont et à constitutionnaliser ce droit.
Co-présidente du parti vert européen, je vis avec une femme qui lutte depuis toujours en Allemagne pour que l'avortement soit retiré du code pénal.
La France pourrait être le premier pays au monde à agir en amont, avant qu'il ne soit trop tard. Vous mesurez très mal l'importance pour l'Europe du vote d'aujourd'hui. Les femmes du monde entier ne peuvent être méprisées par le pays des droits universels.
Ces dernières semaines, j'ai passé mes jours et mes nuits à rechercher des arguments pour vous convaincre, mais je me suis dit qu'il vous revenait de convaincre nos concitoyens de défendre ce droit fondamental. Vous avez la majorité. Une victoire serait la vôtre, un échec aussi.
À tous ceux qui nous écoutent, ne lâchez rien ! C'est vous qui, depuis toujours et par votre mobilisation, écrivez l'histoire, en particulier celle du combat pour le droit des femmes ! (Applaudissements sur les travées du GEST, des groupes SER, CRCE, du RDPI et du RDSE)
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois . - Le droit à l'IVG et à la contraception fait partie intégrante de notre patrimoine juridique fondamental. Ces acquis ont été obtenus grâce à Simone Veil et Lucien Neuwirth.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Grâce à la gauche !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Le Sénat s'est toujours attaché à renforcer les libertés de la femme, à sept reprises depuis la loi du 17 janvier 1975. Récemment, il a allongé le délai de contraception à quatorze semaines.
Mme Laurence Rossignol. - Cent jours !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'accès à la contraception a été étendu depuis la loi du 28 décembre 1967. La contraception est gratuite pour les mineurs et, depuis cette année, pour les moins de 26 ans. À partir de 2023, la contraception d'urgence sera gratuite pour toutes les femmes. Actuellement, personne dans cette assemblée ne veut revenir sur ces avancées.
Cette proposition de loi, cosignée par 118 sénateurs, a été déposée en réaction à la décision Dobbs vs Jackson de la Cour suprême américaine.
Cette proposition de loi constitutionnelle tend à inscrire au titre VIII de la Constitution un article 66-2 ainsi rédigé : « Nul ne peut porter atteinte au droit à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l'accès libre et effectif à ces droits. »
Selon ses auteurs, cela garantirait « un accès libre et inconditionnel à l'IVG ainsi qu'à la contraception et à prévenir contre toute régression ». Malgré une émotion compréhensible, il n'y a pas lieu d'importer en France un débat venu des États-Unis.
M. Hussein Bourgi. - Cela fait dix ans qu'on a ce débat en France !
M. Patrick Kanner. - Et la Hongrie, c'est en Amérique du Nord ?
M. David Assouline. - Et le Brésil ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Dites que vous êtes contre l'IVG, cela ira plus vite !
M. Loïc Hervé. - Trêve de caricatures !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - La question centrale, en France, reste l'effectivité de ces droits. Seules des mesures concrètes permettront le plein accès à ces droits, mais elles relèvent du domaine réglementaire. L'inscription dans la Constitution n'est pas adaptée.
Au reste, une protection constitutionnelle solide et durable existe déjà. Le Conseil constitutionnel s'est prononcé à quatre reprises en faveur de ce droit. L'IVG est une composante de la liberté de la femme découlant de l'article II de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Le Conseil constitutionnel a toujours considéré, grâce au doyen Favoreu théorisant « l'effet artichaut », qu'on ne peut toucher au coeur des droits et libertés reconnus. En 2018, les ministres Agnès Buzyn et Nicole Belloubet avaient renoncé à cette inscription dans la Constitution en raison de la protection constitutionnelle existante.
Quatre ans plus tard, les risques sont toujours supérieurs à la portée symbolique recherchée. L'inscription de l'IVG dénaturerait l'esprit de la Constitution et ouvrirait la boîte de Pandore. En faire un catalogue de droits porte atteinte au rôle protecteur de la norme suprême et minorerait la portée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. (M. Loïc Hervé approuve.)
En 2008, Simone Veil recommandait elle-même de ne pas modifier le préambule et ne pas y intégrer des droits et libertés liés à la bioéthique qui intégraient l'IVG.
Seules quatre raisons justifient une modification de la Constitution : introduire un droit nouveau ; déroger à un principe que la Constitution impose ; ratifier un engagement international ; revenir sur une interprétation jurisprudentielle du Conseil constitutionnel. Aucune de ces raisons n'est ici valable.
Il n'existe aucun consensus sur la manière de constitutionnaliser le droit à l'IVG et la contraception.
Six propositions de loi constitutionnelle ont été déposées à l'Assemblée nationale et au Sénat en réaction à l'actualité américaine. Elles sont toutes différentes. L'emplacement ici envisagé, au sein du titre consacré à l'Autorité judiciaire, juste après l'abolition de la peine de mort, pourrait entraîner une interférence du juge dans l'exercice de ce droit.
Les propositions de rattachement aux articles premier ou 34 ne font pas plus consensus.
De plus, cette protection serait inconditionnelle, alors que le législateur doit pouvoir en fixer les conditions comme pour toutes les libertés publiques.
Enfin, l'initiative d'un référendum risquerait de réveiller les opposants. L'enfer est pavé de mauvaises intentions ! C'est pourquoi la commission des lois a donné un avis défavorable à cette proposition. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - La droite de cette commission !
M. Loïc Hervé. - Il y a eu un vote !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - L'histoire fourmille d'exemples de libertés et droits fondamentaux conquis au prix du sang, des larmes, que tous croyaient définitivement acquis et qui, dans la stupeur ou l'indifférence, ont été balayés comme des fétus de paille.
C'est d'ailleurs l'histoire de la femme qui nous offre les plus cruels exemples, car, oui, les droits qui disparaissent en premier sont souvent ceux des femmes. L'exemple des États-Unis, grande démocratie, est édifiant : on croyait ce droit garanti depuis plus de cinquante ans, les États peuvent désormais l'abolir.
Cet exemple rend criants de vérité les mots de Simone de Beauvoir : « N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »
Nous avons la preuve que plus aucune démocratie n'est à l'abri. Les auteurs de la proposition de loi, Mélanie Vogel en tête, proposent donc de constitutionnaliser le droit à l'IVG et à la contraception. Je les en remercie.
Le 13 juillet dernier, en accord avec la Première ministre, j'avais déclaré mon soutien à toute initiative parlementaire visant cette constitutionnalisation. Nous voici donc au rendez-vous, avec ma collègue Isabelle Rome. (Applaudissements à gauche)
J'entends que ce droit ne serait pas menacé dans notre pays comme aux États-Unis. Mais qui aurait pu deviner que le wokisme serait transposé dans notre pays ?
Oui, le Conseil constitutionnel n'est pas la Cour suprême des États-Unis ; oui, ses juges respectent l'usage républicain et l'esprit de nos institutions en refusant d'aller sur le terrain du législateur ; oui, le droit à l'IVG a été conforté et protégé, y compris récemment par le passage du délai légal à quatorze semaines.
Pourtant, en ces temps troublés, je crois qu'il est légitime de défendre les droits des femmes contre des projets politiques qui le menacent.
D'abord, cela aurait la force du symbole. Quel beau symbole pour la France, pays des droits de l'homme (M. Stéphane Ravier ironise), que d'élever au plus haut niveau de la hiérarchie des normes le droit de la femme à disposer de son propre corps ! Quel plus beau message pour la moitié de la population française ?
Au-delà du symbole, il y aurait des conséquences concrètes. Le Conseil constitutionnel a rattaché le droit à l'IVG à « la liberté de la femme qui découle de l'article II de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ». Inscrit dans la Constitution, il deviendrait une liberté fondamentale et non plus seulement une liberté-autonomie, comme disent les juristes.
Surtout, changer la Constitution est beaucoup plus difficile que changer la loi. Ce droit ne pourrait plus être remis en cause que par le constituant. Il faudrait que les deux chambres y consentent, et que le Congrès ou la majorité de nos concitoyens le veuillent.
Du fond de mes tripes, je veux vous montrer combien « la course des choses », comme disait Alain, exige que nous inscrivions le droit à l'IVG dans la Constitution.
Le 26 novembre 1974, en défendant son projet de loi devant l'Assemblée nationale, Simone Veil se plaçait sous le signe de l'espérance, disant ne pas être de ceux ou celles qui redoutent l'avenir. C'est simple : elle croyait que sa loi permettrait à la société française de progresser. L'avenir lui a heureusement donné raison.
J'aimerais tant vous dire que, moi non plus, je ne redoute pas l'avenir. J'aimerais tant être de ceux qui, tranquilles, avancent insouciants sur le chemin de la vie, croyant que ce qui est acquis l'est pour toujours. J'aimerais tant être de ceux qui balaient d'un revers de main les exemples étrangers.
Mais qui peut dire que ce qui s'est passé aux États-Unis ne pourrait pas se produire en France ?
Qu'est-ce qui a produit cette situation ? L'élection d'un président populiste et une majorité au Sénat permettant à ce président de nommer quatre juges de la Cour suprême.
M. Loïc Hervé. - Cela peut être ainsi, demain, au Conseil constitutionnel !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je ne crois pas que notre modèle institutionnel laisse cette possibilité à un président, fût-il populiste.
M. Philippe Bas. - Justement...
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Mais, en France, l'élection d'un président ou d'une présidente, avec une majorité, pourrait revenir sur ce droit. C'est pour des raisons opposées à celles de Simone Veil que je redoute l'avenir.
Je veux mettre le droit à l'IVG au sommet de la hiérarchie des normes, là où il ne sera pas possible de l'en retirer sans l'accord du Sénat, dont je sais qu'il sera comme toujours le garant de nos droits fondamentaux. Sans flagornerie, je veux qu'il soit assuré d'avoir le dernier mot si d'aventure, une présidente ou un président souhaitait l'abroger.
On souligne souvent le courage que le président Mitterrand a eu d'abolir la peine de mort alors que les Français y étaient majoritairement favorables. Mais on oublie souvent que le Sénat aussi a été courageux, en adoptant conforme la loi Badinter douze jours après l'Assemblée nationale.
Cette proposition de loi n'est pas un effet de communication, ni un mouvement de panique. C'est une sécurité pour toutes les femmes de ce pays. Faites en sorte que personne ne puisse abolir ce droit sans que vous soyez consultés. Les remous ne sont jamais loin dans le frêle esquif de la démocratie.
Comme avocat, comme citoyen, j'ai toujours voulu faire en sorte que la démocratie, l'État de droit et les libertés fondamentales soient des joyaux communs pour lesquels nous devions nous battre sans relâche.
Comme garde des sceaux, il est de mon devoir de les préserver. Ne prenons pas de risques. Protégeons autant que notre droit le permet le droit à l'IVG.
Ce n'est pas une entreprise aisée : on ne doit toucher à la Constitution que d'une main tremblante. C'est pourquoi l'emplacement et la rédaction de ce droit doivent être déterminés avec attention. Nous pourrions sinon créer un droit à l'IVG sans conditions, même hors de tout délai. (M. Loïc Hervé le confirme.) Ce n'est pas souhaitable. Une écriture mal pesée, trop rigide, empêcherait des adaptations qui pourraient s'avérer nécessaires : voyez la loi adoptée en mars.
Il nous faudra, ici et à l'Assemblée nationale, être vigilants aux effets de bord. Il nous faudra aussi prêter attention à la cohérence avec les autres dispositions constitutionnelles.
Mais ma crainte, c'est que ce débat n'ait pas lieu. J'ai pris acte de la décision de la commission des lois du Sénat ; permettez-moi, avec la liberté qui est la mienne, de la regretter.
Non pas tant au regard de la rédaction de la proposition de loi, car je partage certaines critiques de Mme la rapporteure. Mais parce que vous refusez par principe, purement et simplement, toute initiative. Or, sans l'aval du Sénat, le verrou sacré de notre Constitution ne peut être levé.
J'espère donc que l'hémicycle dira : il faut entendre les pour et les contre, apaisons les craintes, travaillons ensemble pour trouver la meilleure rédaction possible. Ne manquons pas cette occasion, alors que les planètes s'alignent.
Si le Sénat est prêt à avancer avec prudence et sans idéologie, le Gouvernement répondra présent. Oui, le Gouvernement est favorable à la constitutionnalisation du droit à l'IVG et soutiendra chacune des initiatives parlementaires, en particulier celle d'Aurore Bergé et Marie-Pierre Rixain, pour atteindre la meilleure rédaction possible.
Il ne s'agit pas de livrer tel parlementaire à la vindicte des réseaux sociaux, comme cela a pu être le cas lors de la proposition de loi de la présidente Annick Billon. J'ai confiance dans son engagement et je connais le vôtre, madame la rapporteure Canayer.
Avançons ensemble sur le chemin du compromis, comme nous l'avons fait tant de fois, sans démagogie, pour renforcer à nouveau les droits de l'homme qui sont cet après-midi ceux de la femme. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE, du GEST, des groupes SER et CRCE ; Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)
Mme Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances . - Merci, monsieur le garde des sceaux, pour vos propos puissants.
C'est le premier texte sur lequel il me revient de m'exprimer. Je suis fière qu'il concerne le droit à l'IVG, droit conquis de haute lutte, grâce à l'opiniâtreté et à la force de Simone Veil. Il faut le préserver, le protéger contre les vents mauvais ou les courants réactionnaires. Il est indispensable à une République égalitaire et solidaire.
Comme le garde des sceaux l'a rappelé, il est beaucoup plus difficile de changer la Constitution que de changer la loi, qu'une autre majorité peut défaire en quelques mois.
Madame la rapporteure, nous ne sommes à l'abri de rien. Quelle Américaine aurait pu deviner il y a seulement deux ou trois ans que la protection du droit s'effondrerait, et que celui-ci serait désormais soumis aux aléas politiques des États ?
Comment imaginer que des membres de l'Union européenne n'autorisent des femmes à avorter qu'en cas de viol ou de grave danger ou qu'en les contraignant à écouter le coeur du foetus avant de décider ?
Depuis 2017, le Gouvernement n'a cessé de renforcer la contraception et l'IVG, en donnant un accès gratuit à la contraception jusqu'à 25 ans, en allongeant le délai de l'IVG, en assurant le tiers payant, en soutenant le planning familial dont le tchat sera financé. François Braun et moi poursuivons ce combat. Nous le poursuivrons l'année prochaine en rendant la pilule du lendemain gratuite sans ordonnance pour toutes les femmes.
Je remercie la sénatrice Vogel pour sa proposition soutenue aussi par la majorité de l'Assemblée nationale. Je remercie aussi l'ensemble des parlementaires engagés, et particulièrement les membres de la délégation aux droits des femmes, présidée par Annick Billon.
La France mène aussi ce combat hors de ses frontières : le 19 janvier, le Président de la République a affirmé sa volonté d'inscrire le droit à l'IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
C'est également dans ce sillon que s'inscrit notre diplomatie féministe, dont le Forum génération égalité organisé à Paris en juillet 2021. La contribution de la France aux droits sexuels et reproductifs dans le monde s'élève à 400 millions d'euros sur cinq ans.
Détricoter, écorner ou nier ces droits est une violence fondée sur le genre. Ce sont des droits humains, fondamentaux, inaliénables, et non des droits à moitié.
Aucune femme, aucune de nos filles ne doit vivre en France dans la crainte d'être jugée, comme Marie-Claire l'a été en 1973 par le tribunal de Bobigny - brillamment défendue par Gisèle Halimi - pour avoir eu recours à l'IVG.
C'est pourquoi, comme l'a dit la Première ministre, le Gouvernement est favorable à cette constitutionnalisation, n'en déplaise à l'extrême droite, qui ne sera jamais l'alliée des droits des femmes.
L'exemple américain est un avertissement. S'attaquer à l'avortement, au pays d'Elizabeth Cady Stanton, c'est s'attaquer à la liberté. Le Gouvernement sera toujours du côté de la liberté. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE, du GEST, des groupes SER et CRCE ; Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)
Question préalable
Mme le président. - Motion n°1, présentée par M. Ravier.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat s'oppose à l'ensemble de la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception (n° 872, 2021-2022).
M. Stéphane Ravier . - L'immigration jusqu'au remplacement (Indignation à gauche), l'islamisme jusque dans nos écoles, l'insécurité jusqu'à la barbarie, la fiscalité jusqu'au racket, la précarité jusqu'à la pauvreté de masse : les sujets graves ne manquent pas dans notre pays.
Mais nous perdons un temps précieux pour débattre d'une problématique importée des États-Unis, sans aucun rapport avec notre contexte. (Marques d'agacement et d'hostilité sur plusieurs bancs à gauche) Vous êtes hors sujet, et, même, il n'y a pas de sujet !
C'est pourquoi je vous propose de l'enterrer tout de suite. C'est un texte dangereux et inutile, comme l'a expliqué dans Le Figaro l'ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, Jean-Éric Schoettl.
Vous avez voté le prolongement du droit à l'IVG à quatorze semaines. Ces attaques contre la vie ne vous suffisent donc pas ? Les menaces n'existent pas dans un pays où le délit d'entrave est puni de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende pour quiconque tenterait un avis contraire...
En 2021, il y a eu 223 000 avortements, aggravant l'hiver démographique français... Cela ne vous suffit toujours pas ? L'avortement est banalisé, alors que la loi Veil le prévoyait en cas d'urgence.
Je vous rappelle cet amendement sur l'avortement à neuf mois en invoquant une détresse psychosociale - ignoble infanticide ! (L'indignation redouble à gauche.)
Mme Laurence Rossignol. - Menteur !
M. Stéphane Ravier. - Il est là, notre devoir juridique. Ce texte encombre l'article 8 de la Constitution, consacré au pouvoir judiciaire. La Constitution régit l'organisation des pouvoirs publics, elle n'est pas une charte de droits. Vous voulez empêcher des lois régressives ? Elles ne le sont pas, les infâmes lois de bioéthique que vous avez votées ? Et le pire est devant nous...
Cette proposition de loi nous donne à voir un front commun : elle clarifie les positions.
Mme le président. - Merci, cher collègue.
M. Stéphane Ravier. - Vous êtes bien à cheval sur le temps de parole, aujourd'hui...
Mme le président. - Je le suis toujours.
Mme Mélanie Vogel. - J'aurais presque envie de vous remercier : vous démontrez pourquoi nous avons besoin de faire ce que nous faisons. (Applaudissements à gauche ; M. Xavier Iacovelli et Mme Daphné Ract-Madoux applaudissent également.)
Il n'y a pas de différence entre l'extrême droite américaine et la française : elles détestent les droits des femmes, les droits sexuels et reproductifs, tous les acquis de la République acquis de haute lutte.
On nous dit qu'aucun politique ne reviendrait sur l'avortement. Eh bien, la force politique qui a récolté 42 % des voix à l'élection présidentielle vient de vous prouver le contraire.
Il y a ceux qui sont en faveur des droits et libertés fondamentales - y compris ceux des femmes - et ceux qui s'y opposent. (M. Loïc Hervé proteste ; marques d'agacement sur les travées du groupe Les Républicains)
Voulez-vous tenir l'extrême droite à distance ? Prenez la mesure du moment historique. Les fascistes nous menacent. Personne ne sait quelle sera la prochaine majorité à l'Assemblée nationale. Prouvons notre attachement à l'IVG ! (Applaudissements à gauche ; M. Xavier Iacovelli et Mme Daphné Ract-Madoux applaudissent également.)
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - La commission des lois n'a pu se réunir pour examiner la motion, mais j'émets un avis défavorable. Le débat démocratique doit avoir lieu, dans le calme et la sérénité. C'est ce qui fait la force du Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Stéphane Artano applaudit également.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Nous pensions avoir exposé tous les arguments, et voici que le sénateur Ravier nous chamboule. Voyez-vous, l'imaginaire est bien souvent le dernier refuge de la liberté. Vous nous donnez une formidable raison de soutenir ce texte !
M. Stéphane Ravier. - C'est vous qui êtes dans l'imaginaire et le fantasme !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Imaginons qu'un jour, à Dieu ne plaise, vous soyez au pouvoir : l'avortement serait sérieusement menacé dans notre pays ! (Applaudissements sur les travées du RDPI, des groupes SER et CRCE, ainsi que sur certaines travées du groupe UC ; Mme Elsa Schalck applaudit également.) Les droits de l'homme et de la femme ne sont jamais hors sujet.
Le sénateur Ravier n'est plus mariniste, il est désormais zemmourien...
M. Stéphane Ravier. - Zemmour ou rien ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Il est parti encore plus à droite...
Les mots que vous avez utilisés à la tribune, je n'aurais jamais osé les prononcer. Merci d'être là, vraiment ! (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Elsa Schalck applaudit également.)
M. Xavier Iacovelli. - La France ne vit pas en vase clos. Les débats de société traversent les frontières. Nous ne sommes pas sourds aux atteintes aux droits des femmes Outre-Atlantique, mais aussi en Italie, où Giorgia Meloni souhaite des « alternatives » à l'avortement et propose une allocation pour celles qui y renoncent...
M. Stéphane Ravier. - Une allocation pour aider les femmes ! Quelle horreur ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE)
M. Xavier Iacovelli. - En Hongrie aussi, vos amis durcissent la réglementation : on y demande aux femmes qui souhaitent avorter d'écouter battre le coeur du foetus ! (Mme Éliane Assassi manifeste avec véhémence son indignation, tandis que M. Stéphane Ravier se récrie.)
Soutenons-nous le droit à l'IVG, cette grande loi de progrès ? Sommes-nous attachés à ce que la France reste le phare des droits des femmes ? (M. Stéphane Ravier ironise.) Souhaitons-nous pousser le Gouvernement à faire en sorte que ce droit soit effectif dans l'ensemble de nos territoires, notamment ruraux ?
Mme le président. - Merci, cher collègue.
M. Xavier Iacovelli. - J'ai été interrompu !
Mme le président. - Je fais respecter le temps de parole. (« Bravo ! » sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Philippe Bas. - Le Sénat de la République est-il encore capable de discuter sereinement d'un sujet essentiel pour l'avenir notre société, de laisser un instant de côté les passions et faire oeuvre utile pour notre pays ?
Monsieur le garde des sceaux, vous avez évoqué Simone Veil, dont j'ai été l'un des plus proches collaborateurs. Je ne parlerai pas en son nom, mais le vrai combat, c'est elle qui l'a mené (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Gatel applaudit également.) Le vrai courage, c'est elle qui l'a eu. Ne modifions pas les équilibres qu'elle a trouvés, et qui valent encore aujourd'hui.
M. Loïc Hervé. - Très bien !
M. Philippe Bas. - Monsieur le garde des sceaux, je ne comprends pas votre position.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Mais si !
M. Philippe Bas. - Vous parlez d'un « beau symbole ». Soit, mais en légiférant, nous cherchons d'abord à être utiles à notre pays.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est le cas.
M. Philippe Bas. - Vous admettez d'ailleurs que ce texte doit être amélioré car il n'apporte pas toutes les garanties. Le Gouvernement n'ayant pas déposé de projet de loi, il nous faudrait en tout état de cause passer par un référendum. Est-ce là ce que vous souhaitez ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Loïc Hervé. - Le groupe UC ne votera pas cette motion, car le débat a eu lieu sereinement en commission, où Mme Vogel a été invitée à présenter son texte. (M. David Assouline ironise.) Chacun exposera son opinion au cours de la discussion générale. J'y exposerai la position majoritaire du groupe centriste, dans le respect des votes différents de certains de nos membres.
Nous souhaitons que ce débat ait lieu et que le calme revienne. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
La motion tendant à opposer la question préalable est mise aux voix par scrutin public ordinaire de droit.
Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°7 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 345 |
Pour l'adoption | 1 |
Contre | 344 |
Le Sénat n'a pas adopté.
(Rires et applaudissements sur les travées du RDPI)
Discussion générale (Suite)
M. Stéphane Artano . - « N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que le droit des femmes soit remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. ». Cet avertissement de Simone de Beauvoir reste d'actualité. Les avortements clandestins provoquent la mort d'une femme toutes les neuf minutes dans le monde. Le droit à l'avortement est l'une des premières cibles des conservateurs excessifs.
J'entends les arguments de la rapporteure ; oui, une nouvelle révision pourrait toujours revenir sur celle-ci ; l'inflation des droits constitutionnels n'est pas plus souhaitable que l'inflation législative ; trop large, le bloc de constitutionnalité perdrait en efficacité.
Du point de vue du droit, tout cela se tient - d'autant que les remises en cause du droit à l'IVG sont extrêmement minoritaires en France.
Pour autant j'ai cosigné ce texte, pour dire que la France ne cède pas à l'obscurantisme ni au populisme mais montre l'exemple, que le droit à l'IVG et à la contraception n'est pas sujet à interprétation.
D'aucuns disent que nous ne sommes pas à l'abri d'un revirement de jurisprudence, car l'article II de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne se réfère ni à l'IVG ni à la contraception : ce qui est arrivé aux États-Unis pourrait arriver chez nous.
Sanctuarisons donc ce droit, protégeons-le de toute volonté politique. Poursuivons nos efforts, aussi, pour qu'il soit effectif et s'inscrive dans les moeurs. Empêchons toute restriction de personnel dans les centres pratiquant l'avortement. Dans sa grande majorité, le RDSE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du GEST et du groupe SER)
Mme Muriel Jourda . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À l'instar de la quasi-totalité de mon groupe, je ne voterai pas ce texte. Je ne le voterai pas car c'est de la mauvaise législation. Nous sommes des législateurs, non des militants ; nous ne décernons pas des brevets de morale, nous faisons la loi. (Protestations sur les travées du GEST)
Mme Émilienne Poumirol. - Et alors ?
Mme Muriel Jourda. - C'est un texte de réaction à une décision de la Cour suprême des États-Unis renvoyant aux États fédérés le soin de légiférer sur l'IVG. Pas moins de six propositions de loi ont été déposées depuis, preuve qu'il s'agit bien d'une réaction. Or la réaction précède souvent la réflexion, et nous fait aborder la question par la fenêtre étroite de l'émotion.
Deuxième défaut, ce texte met à mal notre ordonnancement juridique. Oui, le droit est un outil, mais en France notre boîte à outils est assez garnie... Pour être opérationnelle, elle doit être bien rangée !
Le Conseil constitutionnel affirme, dans une jurisprudence constante, que le droit à l'IVG est une déclinaison des droits fondamentaux. Mais si nous inscrivons dans la Constitution toutes les déclinaisons de tous les droits fondamentaux, nous la rendrons illisible ! (Protestations sur les travées du GEST)
Enfin, le garde des sceaux a dit lui-même que ce texte est un symbole.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Ce n'est pas uniquement un symbole.
Mme Muriel Jourda. - Mais la Constitution n'est pas un symbole. Nous sommes tous touchés par les conséquences de la décision américaine, mais n'utilisons pas notre Constitution comme un message aux femmes du monde entier.
L'effet escompté de ce texte est de protéger la liberté des femmes de recourir à l'IVG. Mais la Constitution n'est pas un coffre-fort : depuis 1958, elle a été modifiée vingt-quatre fois !
Surtout, de quoi faut-il protéger la liberté des femmes ? Quels dangers la menacent aujourd'hui ? Quel parti politique, lors des dernières élections, a défendu dans son programme l'abrogation de l'IVG ? Aucun. (On le conteste sur les travées du GEST.)
Mme Émilienne Poumirol. - On l'attaque ici même ! (M. Stéphane Ravier s'exclame.)
Mme Muriel Jourda. - Ceux qui sont opposés à l'IVG le gardent en leur for intérieur. Mais attention : si un tel texte devait être soumis à référendum, non seulement le résultat serait aléatoire, mais la tenue même d'un référendum conduirait à ce que ces oppositions, jusqu'ici tues, soient mises sur la place publique.
Pour se protéger d'une menace inexistante, vous allez remettre en débat une liberté acquise depuis des décennies. (Protestations à gauche) Si vous voulez protéger le droit des femmes, ne votez pas ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Stéphane Ravier applaudit également ; exclamations à gauche.)
M. Pierre-Jean Verzelen . - Avant janvier 1975, l'avortement était un délit pénal passible de cinq ans de prison, les médecins pouvaient être frappés d'interdiction d'exercer, les femmes devaient aller à l'étranger ou avorter clandestinement.
On se souvient du manifeste des 343, de l'acquittement de Marie-Claire, moins de la première tentative de légalisation en 1973 portée par Michel Poniatowski. Dans un contexte de rare violence, Simone Veil, soutenue par le président Giscard d'Estaing, défendit son texte avec acharnement, rappelant qu'aucune femme ne recourt de gaieté de coeur à l'avortement. Même pesé et assumé, il demeure un drame dans la vie d'une femme.
Depuis, la loi a été améliorée : suppression de la notion de détresse, allongement du délai, remboursement intégral...
La France n'est pas, actuellement, menacée d'un retour en arrière. Aucune voix crédible ne le demande.
Certains des membres de mon groupe ne voient pas la justification juridique de ce texte déclaratif, symbolique, qui ne fera pas avancer l'accès à l'IVG. C'est pourquoi ils s'abstiendront ou voteront contre.
Au sein même de l'Union européenne, en Pologne, l'avortement n'est plus autorisé qu'en cas de viol ou d'inceste. Aux États-Unis, les États fédérés peuvent interdire l'avortement, et une dizaine l'a fait. En Italie, Giorgia Meloni promeut des alternatives. Preuve que ce droit n'est pas acquis.
Madame Vogel, votre vision de la société n'est pas la mienne, vos propos sont un peu excessifs et culpabilisants à mon goût. Néanmoins, je voterai votre texte (applaudissements sur quelques travées du GEST) car il sera plus difficile de s'attaquer à une liberté inscrite dans le marbre de la Constitution. (On le confirme à gauche.)
Mais il ne manque pas de saveur de voir ceux qui aspirent à une VIe République s'appuyer aujourd'hui avec ferveur sur la Constitution du Général de Gaulle... (M. Thierry Cozic s'amuse ; applaudissements sur les travées du GEST, du RDPI, du groupe INDEP et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Guillaume Gontard . - En première année de droit, on apprend qu'une constitution est d'abord un traité d'organisation des pouvoirs publics, ensuite un système de subordination des normes, enfin un corpus de droits et de valeurs.
Quand j'entends qu'inscrire le droit fondamental à l'IVG dans ce texte n'aurait pas ou peu d'effet, je suis stupéfait, encore plus après les propos abjects du sénateur Ravier.
M. Stéphane Ravier. - Décidément !
M. Guillaume Gontard. - La jurisprudence du Conseil constitutionnel ne protège pas positivement le droit à l'IVG. Le marbre de la Constitution, plus dur que le calcaire de la loi, offre une vraie protection.
Il est un truisme que nous devons pourtant répéter : il est plus complexe de modifier la Constitution que la loi, dans un régime où l'exécutif tient le Parlement dans sa main. En Italie, la coalition des fascistes et de la droite n'est pas en mesure de changer la Constitution ; c'est un soulagement. Nos voisins nous rappellent d'ailleurs que si l'IVG n'est pas menacée, il faut la protéger avant qu'il ne soit trop tard.
Comment inscrire ce droit dans la Constitution ? Le débat est légitime. Nombre de droits et valeurs sont énumérés dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et dans le préambule de 1946, mais l'égalité, la laïcité, la souveraineté nationale, l'abolition de la peine de mort sont dans le texte de la Constitution. Où y placer le droit à l'IVG ? Faut-il écrire une nouvelle charte des droits des femmes ? Renforcer l'article premier, qui assure déjà la parité ? Créer un article 66-2 pour interdire l'entrave à l'IVG ? C'est un débat légitime, mais pas celui du jour.
Nous souhaitons aujourd'hui envoyer un message politique au Gouvernement, lui dire qu'il trouvera au Sénat une majorité pour faire adopter un projet de loi inscrivant le droit à l'IVG dans notre Constitution. Libre à vous de convoquer une commission spéciale ou une convention citoyenne.
Mme le président. - Merci de respecter le temps de parole.
M. Guillaume Gontard. - J'invite le Sénat à se prononcer pour l'inscription de ce droit fondamental dans notre Constitution. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe CRCE)
M. Dominique Théophile . - Dans un mandat, certaines prises de parole sont plus importantes que d'autres. Cette proposition de loi constitutionnelle, que j'ai cosignée, en fait partie. Dans mon territoire, le taux d'avortement est le plus élevé de France - trois fois supérieur à la moyenne. On n'ose à peine imaginer ce qu'un recul de ce droit engendrerait.
Je reviens sur les arguments avancés. Le premier est politique : selon la commission des lois, le droit à l'IVG n'est pas menacé en France. Certes. Mais le sera-t-il demain, comme aux États-Unis, en Pologne, en Hongrie, en Italie ? Certains responsables politiques, sans s'opposer frontalement à l'IVG ou à la contraception, cherchent insidieusement à en écarter les femmes.
Deuxième argument de la commission : une modification de la Constitution serait purement symbolique. Sans doute. L'enjeu est d'empêcher un retour en arrière en cas de changement de majorité. La politique fiction peut devenir réalité... Rendons plus difficile une abrogation de ce droit.
Aucune loi fondamentale ne protège le droit des femmes à avorter. Notre pays ferait oeuvre de pionnier : fidèle à sa vocation universaliste, il enverrait un message fort et clair aux pays où ce droit est bafoué.
La constitutionnalisation du droit à l'IVG ne serait pas exclusive de son inscription dans la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. De nombreux membres du RDPI voteront en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Laurence Rossignol . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Selon Mme la rapporteure, l'IVG ne fait l'objet d'aucune remise en cause en France. Je ne partage pas votre sérénité. Les courants anti-IVG, comme la fondation Lejeune, n'ont jamais désarmé depuis 1975 : ils disposent de moyens considérables, sont hyperactifs sur internet, sont capables d'organiser des manifestations - 600 personnes à Lyon dernièrement ! Ils ont peu de relais dans le monde politique. Mais qui gouvernera la France dans cinq ans ? Partout où l'extrême droite conservatrice, réactionnaire et populiste est au pouvoir, elle prend pour cible les droits des femmes.
Je ne crois pas en une quelconque exception de l'extrême droite française en la matière - et ce n'est pas l'intervention de notre collègue Ravier qui me rassurera !
À Malte, en Pologne, en Italie, l'hostilité à l'IVG est assumée ; en Suède, la nouvelle majorité veut « mettre fin à la diplomatie féministe »...
Madame la rapporteure, vous dites le Sénat attaché aux lois Veil et Neuwirth ; cet attachement est minimaliste. La loi Veil a été modifiée sept fois depuis 1975 ; vous vous y êtes systématiquement opposés, comme à la loi Gaillot d'ailleurs. Si l'on vous avait écoutés, l'IVG ne serait pas remboursée - en 1982 la loi Roudy a été rejetée par le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; M. Xavier Iacovelli applaudit également.) Vous êtes terriblement prévisibles ! Quelle que soit la question, dès qu'il s'agit d'améliorer l'accès à l'IVG, la réponse est non.
Il ne faudrait modifier la Constitution que d'une main tremblante ? Pourtant, depuis 2011, le groupe Les Républicains a déposé une dizaine de propositions de loi constitutionnelles ; sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, cinq réformes constitutionnelles ont été adoptées !
M. Philippe Bas. - Excellentes !
Mme Laurence Rossignol. - Que la proposition de loi soit adoptée ou rejetée, le signal ne sera pas le même. Si nous adoptons ce texte, le Sénat enverra un message positif aux femmes et aux progressistes. Si le Sénat la rejette, nul ne retiendra vos subtilités juridiques : les ennemis des droits des femmes se sentiront plus forts et reviendront à la charge. L'IVG est le totem des conservateurs, des réactionnaires, des néofascistes et de tous ceux qui s'opposent à l'émancipation des femmes. (Applaudissements à gauche)
Lors de notre récent débat en soutien aux femmes iraniennes (M. Stéphane Ravier s'exclame), j'ai appelé à combattre tous les totalitarismes religieux. Il n'existe pas de différence entre obliger les femmes à dissimuler leur corps et leur interdire de choisir quand et avec qui elles seront mères. (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Les activistes anti-IVG comme Civitas ou Les Survivants sont des militants intégristes catholiques ou évangéliques tout aussi hostiles à la liberté des femmes que ceux qui leur imposent le foulard islamique.
Mme Émilienne Poumirol. - Bravo !
Mme Laurence Rossignol. - Nous devons dire clairement aux intégristes de tout poil que grâce à nous, c'est toujours la République qui gagne.
Monsieur le garde des sceaux, reprenez la main, déposez un projet de loi ! Madame la rapporteure, vous auriez pu amender le texte. (M. Xavier Iacovelli applaudit.) Le Gouvernement doit dire clairement qu'il veut constitutionnaliser le droit à l'IVG. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, du GEST, du RDPI, du RDSE et du groupe INDEP ; Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)
Mme Laurence Cohen . - Je remercie le GEST de son initiative. La volonté de constitutionnaliser le droit à l'IVG n'est pas nouvelle. Notre groupe avait déposé une proposition de loi en ce sens dès 2017 et obtenu la tenue d'un débat dans l'hémicycle.
Avions-nous tort de vouloir protéger davantage ce droit ? Nos craintes face à la montée de mouvements conservateurs et réactionnaires étaient-elles infondées ? Malheureusement non.
Personne ne peut affirmer que le monde actuel s'apaise et va vers un renforcement du droit des femmes. Nous n'importons pas un débat propre à l'organisation constitutionnelle des États-Unis. En France, pays des droits de l'homme, des signes concrets et inquiétants existent : de la Manif pour tous aux groupes pro-choix en passant par l'élection récente de 89 députés d'extrême droite, la situation est grave.
À la fermeture récente de 58 centres IVG, s'ajoute la pénurie de gynécologues, la double clause de conscience, la non-parution du décret permettant aux sages-femmes de pratiquer des IVG instrumentales.
Le droit à l'IVG est sans cesse menacé, malgré quelques dispositions récentes obtenues contre l'avis de la majorité sénatoriale : je pense à la loi Gaillot.
Toutes ces attaques sont révélatrices du fait que les femmes sont considérées comme des êtres mineurs. Ce droit conquis de haute lutte par les féministes doit-il être protégé ? Cela ne fait aucun doute.
De quoi avez-vous peur, chers collègues ? Je remarque que ceux qui invoquent des arguments juridiques sont les mêmes qui s'opposent systématiquement à la conquête de nouveaux droits pour les femmes.
Les femmes veulent maîtriser leur fécondité. Notre corps, nos choix, nos droits ! Regardons la situation en France à l'aune de ce qui se passe dans le monde, ne nous croyons pas dans un État de droit plus solide qu'ailleurs ; utilisons tous les outils disponibles pour renforcer notre législation face aux menaces qui partout pèsent sur ce droit.
Faisons en sorte de ne pas avoir à dire un jour : si on avait su. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST ; M. Michel Dagbert applaudit également.)
M. Loïc Hervé . - La volonté d'inscrire l'IVG dans la Constitution n'est pas nouvelle. Le revirement de jurisprudence de la Cour suprême américaine, qui fait de l'avortement une compétence des États fédérés, a conduit au dépôt de six propositions de loi depuis l'été.
M. Xavier Iacovelli. - Mais non, c'est la Pologne et l'Italie !
M. Loïc Hervé. - Chère Mélanie Vogel, affirmer que la Constitution fonderait le contrat social, c'est lui confier une fonction qui ne peut être la sienne. Si votre proposition de loi était adoptée au Sénat, à l'Assemblée nationale, puis ratifiée par référendum, le Conseil constitutionnel en serait le gardien - au risque de déposséder la représentation nationale, via les questions prioritaires de constitutionnalité.
Ce sont donc les membres du Conseil, nommés par les présidents de la République, du Sénat et de l'Assemblée, qui trancheraient, qu'ils soient plutôt conservateurs ou plutôt progressistes, sans contrôle démocratique.
Conformément à l'article premier, notre République est indivisible : les lois sont appliquées de la même manière partout. Aucune comparaison n'est possible avec les États-Unis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Laurence Rossignol. - Et avec l'Italie ?
M. Loïc Hervé. - Depuis la loi Veil de 1975 et la loi Neuwirth de 1967, des évolutions sont intervenues, mais aucun parti politique n'a jamais appelé à remettre en cause ces acquis ; aucun candidat à l'élection présidentielle, même aux extrêmes, ne remet en cause l'IVG, encore moins la contraception.
Mme Laurence Rossignol. - Mais bien sûr, ils ne sont pas dangereux...
M. Stéphane Ravier. - Fantasmes !
M. Loïc Hervé. - Le risque invoqué par Mme Vogel, en France, en 2022, n'existe pas. L'argument selon lequel il faudrait modifier la Constitution « avant qu'il ne soit trop tard » ne me convainc pas.
Avec la désertification médicale, l'accès à l'IVG est parfois rendu très difficile, notamment dans les territoires ruraux. Avant de s'interroger sur l'inscription dans la Constitution, le Gouvernement doit se préoccuper de l'effectivité de l'application de la loi.
Notre commission des affaires sociales et la délégation aux droits des femmes estiment que ces sujets reposent avant tout sur le système de soins.
En respectant les collègues de mon groupe qui ont cosigné cette proposition de loi constitutionnelle ou ceux qui s'apprêtent à la voter, le groupe UC, dans sa majorité, suivra les conclusions de la rapporteure et ne la votera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Xavier Iacovelli. - Eh bien, ce n'est pas beau !
Mme Esther Benbassa . - La lutte pour la légalisation de l'IVG a d'abord été incarnée par Gisèle Halimi et les 343 salopes, assumant courageusement d'avoir avorté. S'ensuivit le procès de Bobigny en 1972, ouvrant la voie à la loi Veil - dont je salue la mémoire.
Nous sommes probablement quelques-unes à avoir avorté dans cette assemblée, sans oser le dire ouvertement, par respect des convenances. J'en fais partie. Nous devons désormais protéger nos filles et nos soeurs. Sans honte ni culpabilité, nous voulons disposer librement de notre corps. Les hommes ont le droit de choisir leur paternité, de reconnaître ou non leur enfant. Pourquoi la sexualité féminine devrait-elle toujours être contrôlée ?
La menace d'un Donald Trump français n'est pas illusoire. Légiférons sans attendre !
Je salue l'initiative de Mélanie Vogel et de ses cosignataires. Certes, nous connaissons tous les difficultés liées à un référendum, particulièrement en ces temps instables. J'appelle donc l'exécutif à se saisir de ce texte et à le transformer en projet de loi.
Enfin, je demande au Président de la République que la dépouille de Gisèle Halimi soit transférée au Panthéon. Sa place est aux côtés de Simone Veil ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe SER et du GEST)
Mme Laurence Rossignol. - Très bien ! Bravo !
Mme Marie Mercier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Est-il nécessaire, utile, d'inscrire le droit à l'IVG dans la Constitution ? À part quelques groupuscules, personne ne remet en cause la loi Veil. Nous enregistrons en France 220 000 IVG pour 700 000 naissances.
Cette proposition de loi est une fausse bonne idée. On inscrirait le principe général dans la Constitution, mais la loi pourrait toujours en restreindre les contours - plus qu'aujourd'hui ! En tant que médecin et élue locale, défenseure convaincue des droits des femmes, j'ajouterais que tant de droits humains sont à protéger, tant de grands principes à sanctuariser, qu'il est impossible de tous les faire entrer dans la Constitution !
L'organisation d'un référendum aurait pour les femmes des répercussions imprévisibles, peut-être malheureuses. (Mme Laurence Rossignol le conteste.)
Une telle proposition traduit votre manque de confiance en l'avenir de notre démocratie. Seuls le populisme et les dérives autoritaires menacent le droit à l'avortement : c'est là que réside notre vrai combat.
Parlons vrai et juste : sanctuariser le droit à l'IVG passe par la préservation de nos institutions et de notre démocratie. Alors, que faire ?
Une loi doit être assortie de moyens nécessaires. Soutenons les plannings familiaux, luttons contre la désertification médicale et les inégalités territoriales, maintenons les centres IVG, les maternités. Dans une scène du film Simone, l'héroïne refuse de faire semblant, d'adopter des postures. Les femmes méritent mieux qu'un faux-semblant. Il faut prévenir en informant via une éducation sexuelle de qualité, protéger en garantissant l'accès à une IVG dans de bonnes conditions, proposer un accompagnement. Voilà qui servirait réellement la cause des femmes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
M. Philippe Bas . - Mme Rossignol veut « envoyer un message ». Le garde des sceaux dit : « quel beau symbole ».
Mme Laurence Rossignol. - Vous allez envoyer un message !
M. Philippe Bas. - Mais nous écrivons le droit ! Ce texte est non seulement inutile mais inefficace. J'attends, en juriste, qu'on me démontre le contraire.
Inutile, car dès 1975, le Conseil Constitutionnel a validé la loi sur l'IVG. En 2001, il est allé plus loin en disant que ce droit résultait de la liberté des femmes, sur le fondement des articles II et IV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Inefficace, car aucune des « avancées » intervenues depuis - réduction des délais, suppression de la condition de détresse, remboursement, accès aux mineurs - ne serait susceptible d'être protégée par la rédaction proposée. Le droit à l'IVG n'étant pas inconditionnel, le législateur garderait toute compétence pour y apporter des restrictions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Interventions sur l'ensemble
M. Éric Kerrouche . - Les civilisations sont mortelles, les édifices juridiques aussi. Si la conquête se fait par le droit, le recul peut se faire de même. Croire que le droit, interprété par le Conseil constitutionnel, suffit à nous sauver est une grave erreur. C'est comme croire aux contes. Mais le loup est toujours là et peut souffler jusqu'à détruire les édifices juridiques.
Affirmer que tuer un être humain qui n'est pas encore né pose des problèmes de morale ne relève pas du droit mais de l'idéologie. Affirmer que la vie des Américaines n'a pas vraiment été transformée par la décision Roe vs Wade également.
Le grand constitutionnaliste anglais Walter Bagehot déclarait, au XIXe siècle, qu'il y avait deux parties dans la Constitution : une partie efficace, une autre qui suscite le respect. J'aurais voulu que cet après-midi, nous construisions un texte qui suscite le respect. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, du GEST et du RDPI ; M. André Guiol applaudit également.)
Mme Michelle Meunier . - Avec cette proposition de loi, nous réaffirmons le droit des femmes à disposer de leur corps dans notre pays. Notre combat, politique et symbolique, vise à soutenir encore et toujours les femmes qui souhaitent une IVG, à l'étranger mais aussi en France, où ce droit est de plus en plus attaqué par des franges minoritaires et réactionnaires. Récemment à Nantes, des banderoles haineuses ont été brandies contre un rassemblement de soutien aux droits des femmes à l'étranger. Assimiler l'IVG à un génocide est intolérable.
J'attendais de la part du Sénat un consensus en faveur de la constitutionnalisation de l'IVG. Je regrette qu'il n'ait pas émergé. Combien de temps la majorité sénatoriale entretiendra-t-elle ce flou vis-à-vis des idées réactionnaires ? Combien de temps encore se déshonorera-t-elle par son silence ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mmes Esther Benbassa et Laurence Cohen applaudissent également.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Notre groupe votera ce texte que nous avions cosigné. Merci à Mélanie Vogel de l'avoir inscrit à l'ordre du jour.
J'ai entendu des propos surprenants venant de la droite de cet hémicycle que j'ai connue plus courageuse et sincère. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) Les arguties avancées par M. Bas ne sont pas pertinentes.
M. Loïc Hervé. - C'est sévère !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Pourquoi ne pas assumer simplement d'être hostile à l'IVG ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; très vives protestations à droite)
M. Xavier Iacovelli. - Assumez !
M. Stéphane Piednoir. - Honte à vous !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - La jurisprudence du Conseil constitutionnel n'est qu'une jurisprudence. S'y référer est une faiblesse. Nous souhaitons une inscription dans la loi.
Voix à droite. - C'est dans la loi !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous sommes des responsables politiques, nous avons aussi à référer aux Français. Je le dis au président Bas : ayez le courage d'assumer vos opinions, vous qui vous apprêtez à refuser ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Philippe Bas . - Je me suis senti insulté par les propos de Mme de La Gontrie (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Loïc Hervé applaudit également.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le fait personnel, c'est en fin de séance !
M. Philippe Bas. - Nous aurions pu empêcher ce débat (marques d'ironie à gauche), mais ne l'avons pas fait. Je regrette qu'à aucun moment nous n'ayons discuté de la réalité du texte qui nous est soumis. Je le redis : ce texte est inefficace et inutile.
Le Conseil constitutionnel empêcherait aujourd'hui la suppression de l'IVG.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est faux !
M. Philippe Bas. - Votre texte n'empêcherait en aucun cas des reculs.
Rien ne sert d'agiter des idées générales qui sont aussi parfois des idées creuses. C'est un mauvais texte. (Protestations sur les travées de la gauche) Revenez avec un bon texte, et nous en reparlerons ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Marie-Pierre de La Gontrie rit.)
M. Stéphane Ravier . - Quel est l'argument juridique sur lequel reposent les diverses déclarations ? Le risque que peut-être, un jour, une catastrophe économique, militaire, environnementale ou autre puisse porter au pouvoir une formation qui pourrait vouloir changer la loi. Votre démarche repose sur du fantasme.
Plusieurs voix à gauche. - Non !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Elle repose sur ce que l'on voit !
M. Stéphane Ravier. - Vous voulez juste faire de la provocation, jusqu'à insulter vos collègues sénateurs qui ne vont pas dans votre sens. (Huées à gauche) Même quand on ne remet pas en cause le droit à l'IVG - car qui ici, le remet en cause ? - vous poussez le bouchon toujours plus loin dans la provocation.
M. Éric Kerrouche. - Parole d'expert !
Mme Laurence Cohen. - Et qui dit cela ?
M. Stéphane Ravier. - Vous êtes dans l'agit-prop qui n'est vraiment pas propre. Vous êtes dans le wokisme, et cela ne prend pas. Vos méthodes rappellent celles de M. Fouquier-Tinville.
Mme Laurence Rossignol . - Je ne crois pas un mot des dénégations de M. Ravier. Son courant politique n'a de cesse de dénoncer les avortements de confort et de convenance, pour mieux réduire le droit des femmes à l'avortement, en en soumettant l'accès à un jugement extérieur sur les raisons qui les conduisent à avorter. Monsieur Ravier, vous êtes le représentant d'un courant politique dangereux pour l'IVG. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
J'écoute avec intérêt les arguments juridiques de mes collègues de droite, mais je les connais depuis douze ans ! Je me souviens de tous les textes que je vous ai proposés, entre autres contre les sites de désinformation. Pas une fois, vous n'avez trouvé nos propositions dignes d'être votées. Au bout d'un moment, les pointillés forment une ligne. Quand jamais le droit ne vous convient, c'est que c'est le fond qui vous gêne. Votez, pour une fois, un texte favorable à l'avortement et nous vous croirons ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST ; Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)
Une voix à droite - Et la loi Veil ?
Mme Laurence Rossignol. - C'est la gauche qui l'a votée !
M. Max Brisson . - Je n'avais pas l'intention d'intervenir, mais je voudrais témoigner à Philippe Bas toute ma solidarité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Loïc Hervé applaudit également.)
La France n'est pas l'Amérique. Les contextes sont différents. La France n'est pas un État fédéral comme les États-Unis, elle n'a pas à trancher entre États fédérés.
Je suis favorable à l'ensemble des lois autorisant l'IVG et je me battrais pour les défendre si elles étaient menacées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Laurence Rossignol. - Vous n'avez jamais rien voté !
M. Max Brisson. - Ma conviction est que nous ne devons pas être soumis à l'émotion venant d'Outre-Atlantique.
Je récuse vos prétentions au monopole, madame Rossignol : le Sénat et sa majorité ont connu de grandes avancées en la matière. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Laurence Cohen . - Dramatiser le débat comme vous le faites à droite n'est pas digne du Sénat. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Nous nous devons le respect mutuel. Je ne réponds à la droite extrême, ce serait lui faire trop d'honneur. Chers collègues de droite, prenez vos responsabilités. Mme Veil a été extrêmement courageuse, mais sa loi est arrivée au Parlement grâce à la mobilisation des femmes, et n'aurait jamais été votée sans le soutien total de la gauche. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Max Brisson. - Et Giscard d'Estaing ?
Mme Laurence Cohen. - Depuis 2011, je connais un Sénat responsable, qui modifie les lois qui ne sont pas parfaites. Si vous étiez vraiment d'accord pour protéger l'IVG, vous l'auriez fait. Or vous allez envoyer un message qui dit le contraire. Changez votre vote ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois . - Madame de La Gontrie, vous ne pouvez pas dire de Philippe Bas qu'il est contre l'avortement.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ma parole est libre ! (Protestations à droite)
M. François-Noël Buffet. - Certes, mais le respect est une des règles de notre haute assemblée. Philippe Bas a été l'un des plus proches collaborateurs de Simone Veil et a rédigé lui-même une partie du texte. Le contestez-vous? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je ne sais pas, je vois ses votes !
M. François-Noël Buffet. - Plusieurs initiatives parlementaires voient le jour sur cette thématique. Il serait intéressant que le Gouvernement y mette un peu d'ordre. On sortirait de l'impasse cette discussion qui dérape inutilement alors que nous sommes tous d'accord, naturellement, pour protéger les droits des femmes.
L'image que nous venons de donner pourrait être celle que donnerait un référendum. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC ; Mmes Nathalie Delattre et Colette Mélot applaudissent également.)
M. Xavier Iacovelli . - M. Brisson nous donne des leçons et essaie de défendre une loi que, je rappelle, vous n'avez pas votée. Vous avez même voté la motion préalable en première lecture comme en deuxième. Alors les leçons de morale sur la défense des droits des femmes, c'est un peu fort de café ! (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe SER et du GEST)
Mme Laurence Rossignol. - Bravo !
Mme Michelle Gréaume . - Selon la loi, toute personne a le droit à l'IVG. Le fait d'inscrire ce droit dans la Constitution garantit à chacune le respect de son autonomie personnelle.
La proposition de loi constitutionnelle est mise aux voix par scrutin public ordinaire de droit.
Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°8 :
Nombre de votants | 336 |
Nombre de suffrages exprimés | 311 |
Pour l'adoption | 139 |
Contre | 172 |
Le Sénat n'a pas adopté.
(M. Stéphane Ravier applaudit vivement.)
La séance est suspendue quelques instants.
Faire évoluer la formation de sage-femme
Mme le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à faire évoluer la formation de sage-femme.
Discussion générale
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé . - Le Gouvernement accueille favorablement cette proposition de loi examinée sur l'initiative du GEST, fruit d'une initiative parlementaire de l'Assemblée nationale sous la précédente législature.
Je salue l'implication de l'ordre des sages-femmes, qui a signé, aux côtés de l'ensemble des ordres, un accord le 12 octobre dernier proposant des solutions concrètes pour faciliter l'accès à la santé. Ce travail s'inscrit pleinement dans le cadre du Conseil national de la refondation en santé. Parmi les propositions figure notamment l'amélioration de l'attractivité des professions de santé. Il s'agit aussi de garantir une démographie des professionnels de santé cohérente avec celle de la population.
Un nouveau pas est franchi avec l'intégration des formations de sage-femme dans l'université. Cela favorisera la recherche. L'objectif est que tous les étudiants en santé apprennent à coopérer et bénéficient de tous les services dont profitent les étudiants en licence-master-doctorat (LMD).
La transformation de plusieurs facultés de médecine en facultés de santé a accéléré le mouvement. La création d'une section du Conseil national des universités (CNU) est une étape de plus. Une mission sur l'universitarisation sera bientôt confiée au professeur Christine Ammirati.
La création d'un statut de maître de stage en maïeutique est une réponse au besoin d'encadrement, mais il faut un travail plus large d'harmonisation. Un groupe de travail associant les acteurs de la formation, les étudiants et les formateurs sera créé cet automne.
Les conditions d'agrément des sages-femmes sont renvoyées à un décret en Conseil d'État : il ne s'agit pas d'élargir l'agrément au-delà des centres de formation actuels.
La rédaction de l'article premier bis reprend l'article L. 4131-6 du code de santé publique, relatif aux filières de médecine. Maintenons ce dispositif. Ce sont bien les universités qui donneront les agréments de maître de stage universitaire.
Les missions des sages-femmes ont été élargies depuis 2009. Le suivi de la santé des femmes avant et après l'accouchement s'est aussi ouvert à l'exercice en ville.
Le Gouvernement soutient la proposition de loi dans sa rédaction issue des travaux de la commission. Le report d'un an de l'entrée en vigueur du texte est bienvenu. Le maintien du dispositif initial aurait en effet concerné les étudiants actuels.
Cette proposition de loi est saluée par les représentants de la profession. Elle a reçu un soutien unanime des députés. J'espère qu'il en sera de même au Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE et du groupe Les Républicains ; quelques membres du groupe SER applaudissent également.)
Mme Raymonde Poncet Monge, rapporteure de la commission des affaires sociales . - Cette proposition de loi a été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale en novembre dernier, comme à la commission des affaires sociales du Sénat le 5 octobre. « Merci pour les femmes » : cette phrase prononcée par les représentantes des sages-femmes lors de leur dernière audition, nous la leur adressons à notre tour. Merci aux sages-femmes !
Les sages-femmes, dont 97 % sont des femmes, se demandent : pourquoi si peu de considération ? Est-ce parce que nous sommes des femmes qui prenons soin des femmes ? En France, leur champ d'activité est le plus large d'Europe. En s'occupant des femmes et des familles, elles pratiquent un métier du care, du « prendre soin » ; elles maîtrisent la frontière entre physiologie et pathologie.
Malgré des avancées majeures, elles ressentent un profond malaise et ont la conviction de ne pas être suffisamment reconnues. Leur taux d'encadrement est toujours fixé par le décret sur la périnatalité de 1998, qu'il est temps de modifier. Leurs conditions de rémunération ne correspondent pas, de l'avis de toute la profession, à leurs responsabilités ; elles devraient refléter l'augmentation de leurs compétences.
L'attractivité de la formation en maïeutique se dégrade : à la rentrée 2022, 20 % des places en deuxième année de maïeutique étaient vacantes. Les étudiantes sont 70 % à déclarer souffrir de symptômes dépressifs. Or la profession de sage-femme, à l'hôpital comme en ville, est essentielle à la santé publique.
Le dernier rapport de Santé publique France fait état d'une situation préoccupante de la santé périnatale, or l'état de santé dans la petite enfance conditionne la santé à l'âge adulte.
Cette proposition de loi pose les jalons d'une meilleure reconnaissance. Elle réaffirme la vocation universitaire de la formation en maïeutique. D'après le ministère, seules 14 écoles sur 35 sont intégrées à une université. Cela ne favorise pas la recherche en maïeutique.
Cette proposition de loi prévoit que l'« universitarisation » soit achevée pour le 1er septembre 2027. Elle fixe aussi les modalités : les écoles seront préférentiellement rattachées aux unités de formation et de recherche de santé mixtes. Si et seulement si ce n'est pas possible, elles seront rattachées aux UFR de médecine. Cela permet de conserver l'autonomie pédagogique et la collaboration entre professions médicales.
La maïeutique n'est-elle pas l'art d'accoucher les esprits ?
L'article 3 facilite la conciliation, pour les sages-femmes, de l'activité d'enseignement et de recherche et de l'activité clinique, ce que leur statut actuel empêche, contrairement à celui des autres professions médicales. Malgré l'ouverture d'une section maïeutique par le Conseil national des universités (CNU), le recrutement de sages-femmes enseignants-chercheurs reste marginal : une professeure d'université et quelques dizaines de maîtres de conférences.
La proposition de loi adapte la formation aux mutations de la profession : elle crée un statut de sage-femme agréée maître de stage universitaire, comme pour les généralistes. Le Gouvernement doit cependant réfléchir à la manière de mieux encadrer les stages à l'hôpital, un point souvent décrit comme difficile.
L'article 2 réforme en profondeur le contenu de la formation, créant un troisième cycle d'études de maïeutique. En audition, une sage-femme nous a dit : « Enfin ! Comme pour les professions médicales ». Les sages-femmes obtiendront un diplôme d'État de docteur en maïeutique. En outre, cela réduira le contenu d'études jugées trop denses et favorisera le développement de la recherche.
Enfin, cette proposition de loi accentue la reconnaissance des sages-femmes comme profession médicale. La statistique est, elle aussi, traversée par le genre. Selon les mots d'une sage-femme : « C'est un peu notre histoire, de ne pas être dans la bonne case ». Aussi, la nomenclature de l'Insee sera modifiée.
L'échéancier de la réforme a été revu pour tenir compte des inquiétudes des étudiants comme des enseignants : elle ne sera appliquée qu'aux étudiants entrant en deuxième année en 2024. Cela facilitera aussi la gestion de l'année blanche ainsi engendrée.
J'aurais souhaité vous proposer l'adoption du texte dans des termes identiques à ceux de l'Assemblée nationale, mais les inquiétudes sur le calendrier étaient partagées. Je souhaite qu'il soit présenté le plus vite possible à l'Assemblée nationale.
Donnons aux sages-femmes l'élan qu'elles attendent ! (Applaudissements sur les travées du GEST, des groupes CRCE, SER, du RDSE, sur plusieurs travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Else Joseph . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Savez-vous pourquoi l'on dit « sage-femme » ? Non parce que la femme en question est sage, mais parce qu'elle sait, et connaît les femmes. Sachez donc que l'on peut être homme et sage-femme.
Cette proposition de loi constitue la prise en compte des revendications anciennes d'une des plus belles professions du monde, dont le champ s'est élargi considérablement. Les sages-femmes sont plus que jamais incontournables. Loin de l'image d'Épinal, cette profession exigeante nécessite une formation longue. Elle s'attache à la naissance, mais aussi à l'avant et à l'après. Elle mérite d'être honorée d'un parcours universitaire.
Pour cette raison, je me réjouis de son « universitarisation », dans les UFR de santé ou en médecine. J'approuve également la mise en place d'un doctorat dans un contexte de spécialisation qui touche l'ensemble des parcours d'études.
Cette proposition de loi tient compte aussi des impératifs de ceux qui enseignent : comme en médecine, il est difficile de dissocier théorie et pratique. Il est donc pertinent qu'un statut de maître de stage universitaire en maïeutique soit défini.
Le texte, très attendu, modifie également la place des sages-femmes dans la typologie de l'Insee, en les retirant de la catégorie « autres catégories pour la santé humaine », signe de l'entre-deux où se trouve la profession.
La santé gynécologique est une priorité. Il faut rendre la profession plus attractive - c'est nécessaire au vu de la pénurie dans les hôpitaux.
Cette amélioration, que je salue, doit être accompagnée d'autres évolutions : pourquoi ne pas prévoir un statut de praticien hospitalier ? C'est une profession jeune, dans laquelle il faut investir. Nous avons besoin de la rendre plus attractive, en ville comme à la campagne.
Les sages-femmes éclairent le chemin. Au lieu de les ignorer comme ces dernières années, il faut les écouter : elles sont un exemple.
Elles offrent l'accès à des soins essentiels et sont indispensables à la santé des femmes. On a besoin de leur expertise, notamment pour la détection des violences conjugales. Je me réjouis de voir tout le monde les soutenir. (Applaudissements)
Mme Colette Mélot . - Nos sages-femmes jouent un rôle majeur : elles permettent de donner la vie. Ce sont elles qui réalisent 80 % des accouchements dits normaux en France.
La profession est pourtant mal reconnue, alors que son champ de compétences ne cesse de s'accroître. Le métier évolue continuellement vers toujours plus de sécurité pour les patientes.
Je salue les auteurs de cette proposition de loi, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale. Je remercie le GEST de l'avoir inscrite à son ordre du jour réservé. La proposition de loi a été votée à l'unanimité par notre commission des affaires sociales ; merci aussi à la rapporteure.
Les cinq articles du texte suppriment le flou autour de l'appartenance de la profession au médical ou au paramédical. Avec le doctorat, les sages-femmes seront intégrées aux professions médicales. C'est essentiel pour l'attractivité et pour l'offre et la qualité des soins. Le flou n'a plus lieu d'être, et l'on répond ainsi à la revendication principale des sages-femmes.
Nous savons combien il est important que des formations soient implantées partout dans l'Hexagone. Les étudiants restent généralement dans les villes où ils ont étudié. Cela pourrait contribuer à des avancées significatives contre les déserts médicaux. C'est pourquoi je me réjouis également de la création du statut de sage-femme agréée maître de stage universitaire.
Cette proposition de loi n'est pas suffisante, mais apporte une solution adéquate. Elle doit être appréhendée comme la première étape d'une réforme plus globale de notre système de santé. Pour cela, nous devons poursuivre nos réflexions.
Le groupe INDEP votera ce texte. (Applaudissements)
Mme Monique de Marco . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Cette proposition de loi adoptée il y a près d'un an par l'Assemblée nationale a été inscrite à l'ordre du jour à la demande du GEST. Voilà une profession en souffrance : 70 % des sages-femmes en études souffriraient de symptômes dépressifs, et 27 % songeraient à quitter leur formation.
En juillet 2021, un rapport de l'Igas abordait la possibilité d'intégrer la formation des sages-femmes à l'université. La détérioration des conditions de travail des personnes accompagnant les mères nouvelles n'a pas été prise en compte. Nous cherchons à poser une première pierre à la revalorisation de cette profession essentielle, et dire aux sages-femmes toute notre confiance.
La santé des femmes et des sages-femmes vont de pair. La professionnalisation du métier de sage-femme, auparavant exercé par des matrones sans formation, a été lancée au XVIIIe siècle par Angélique du Coudray, qui a fait diminuer la mortalité infantile en enseignant les gestes à l'aide de poupées.
Cette proposition de loi améliore la reconnaissance de la profession par divers moyens, tels que l'intégration universitaire des écoles de sages-femmes et la reconnaissance en tant que profession médicale et non paramédicale.
Le texte ne répond pas à toutes les attentes, notamment en matière de rémunération. Le Gouvernement devra faire un geste.
Le statut de sage-femme référente, porté par le GEST en 2021, attend toujours la publication du décret d'application.
Grâce à Annie Chapelier, dont je salue la présence en tribune, et au travail de Mme Poncet Monge, ce texte apportera des progrès que notre groupe approuve. (Applaudissements)
M. Xavier Iacovelli . - La profession de sage-femme a évolué : ses missions et compétences se sont renforcées, notamment dans les domaines de l'obstétrique et de la périnatalité. Les sages-femmes suivent leurs patientes à partir de la déclaration de grossesse et pratiquent certaines vaccinations. Elles peuvent conduire l'entretien prénatal précoce.
La loi du 21 juillet 2009 a élargi leur champ de compétences : échographies gynécologiques, actes d'ostéopathie, contraceptifs hormonaux, prescription de médicaments et d'arrêts de travail.
Pourtant, la reconnaissance n'a pas été à l'avenant. Résultat : 20 % de places vacantes dans les formations et 40 % de sages-femmes qui quittent la profession dans les deux ans suivant l'obtention du diplôme.
Pour résorber le décalage alarmant entre responsabilités et reconnaissance, le Gouvernement a agi de façon inédite : revalorisation de 380 euros nets par mois et doublement du nombre de sages-femmes promouvables, pour un montant total de 100 millions d'euros en 2022. L'entretien postnatal obligatoire traduit également la reconnaissance de l'État envers leur savoir-faire.
Cette proposition de loi comporte des dispositions intéressantes, qui vont dans le sens d'une meilleure reconnaissance du métier. Elle instaure un diplôme d'État de docteur en maïeutique et un statut de maître de stage universitaire. La place consolidée des sages-femmes dans la nomenclature statistique constitue aussi une meilleure reconnaissance du caractère médical de la profession.
Pour toutes ces raisons, le RDPI votera le texte. (Applaudissements)
Mme Émilienne Poumirol . - Je remercie le GEST et la rapporteure d'avoir inscrit à notre ordre du jour ce texte très attendu des sages-femmes. Nous devons leur offrir la reconnaissance et la valorisation qu'elles méritent.
Avec la médicalisation des accouchements, les sages-femmes ont vu leur rôle s'étoffer, mais leur reconnaissance est restée inchangée. C'est paradoxal, alors qu'elles sont désormais un pilier indispensable du parcours de santé, exerçant de nouvelles activités : suivi gynécologique, prescription de contraceptifs, prévention, éducation à la sexualité.
Leur formation initiale s'est densifiée : son volume est supérieur de 2 146 heures à celui des formations paramédicales, qui durent six ans. Cette situation est préjudiciable au bien-être des étudiantes et entraîne des symptômes dépressifs.
Cette proposition de loi va dans le bon sens en parachevant l'intégration universitaire des sages-femmes. Sur trente-cinq écoles, vingt-quatre conservent un financement régional, et onze seulement ont un financement universitaire : c'est une disparité dommageable, car les financements régionaux stagnent.
La création d'un statut de sage-femme agréée maître de stage des universités par l'article premier bis marque un progrès pour l'encadrement des étudiantes.
L'article 2 institue un troisième cycle universitaire, répondant à une demande forte de la profession. Le groupe SER y est favorable depuis longtemps. Nous regrettons cependant qu'un renforcement de la formation continue ne soit pas prévu.
L'article 3 donne aux doctorantes la possibilité d'exercer simultanément activités professionnelles et activités d'enseignement et de recherche.
Enfin, grâce à l'article 4, la profession est reconnue pleinement dans la nomenclature Insee comme une activité de pratique médicale.
Nous voterons ce texte, sans méconnaître le chemin qui reste à parcourir. Les sages-femmes alertent depuis longtemps les pouvoirs publics sur leurs conditions de travail ; elles ont fait grève, pour protester contre leur rémunération et le manque de personnel. De nouveaux textes seront nécessaires pour répondre au sentiment de déclassement de la profession et améliorer son attractivité.
Les sages-femmes n'ont pas assez de temps pour accompagner correctement les couples. Près de 40 % de celles qui exercent en milieu hospitalier connaissent un burn-out, et 20 % des postes sont vacants...
Dans la continuité du rapport de l'Agence nationale de santé publique sur les mille premiers jours de l'enfant, qui met en évidence de profondes inégalités territoriales, il faudrait un vrai texte sur l'accompagnement des femmes qui vont avoir un enfant. (Applaudissements)
Mme Laurence Cohen . - Je remercie à mon tour le GEST et la rapporteure d'avoir repris ce texte adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale.
Chaque année, 23 400 sages-femmes prennent en charge près de 750 000 femmes, les préparant à la naissance et à la parentalité. Cette proposition de loi modernise leur formation, parachève leur intégration universitaire, crée un troisième cycle et réaffirme leur statut médical.
Voilà longtemps que les sages-femmes militent pour cela. Il s'agit de la seule profession médicale dont la formation n'est pas intégralement assurée par les universités. D'où une forte disparité : seules 16 % des écoles auraient mis en place des référents de terrain pour les stages. La création du maître de stage agréé est donc bienvenue.
La création d'un troisième cycle allègera le volume horaire des enseignements et mettra en cohérence la formation des sages-femmes avec leurs compétences.
On demande toujours plus aux sages-femmes, sans que reconnaissance et rémunération suivent. Comment expliquer cette situation, sinon par le fait qu'elle est exercée quasi exclusivement par des femmes ? Alors qu'elles sont titulaires d'un bac +5, elles commencent entre 1 600 et 1 800 euros nets par mois et sont exclues du bénéfice de plusieurs primes.
Mme Laurence Cohen. - Au moment où le Gouvernement ajoute une dixième année aux études de médecine sans réflexion préalable, ce texte instaure un troisième cycle à très bon escient.
Cette proposition de loi ne répond pas à toutes les revendications de la profession, mais marque une étape importante ; je pense à mon ami et camarade le professeur Paul Cesbron, qui l'aurait certainement saluée. (Applaudissements)
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Qu'il est loin, le temps des accoucheuses ! Voilà deux siècles que le législateur donne toujours plus de responsabilités à celles qui nous offrent le premier souffle de vie.
En vingt-cinq ans, pour des raisons de sécurité et faute d'obstétriciens, 40 % des maternités ont fermé, ce qui a marginalisé les sages-femmes. À peine plus de la moitié des étudiantes penseraient à exercer uniquement à l'hôpital. Les 20 % de places vacantes en formation traduisent ce désamour.
Les mouvements sociaux de l'année passée nous le rappellent : la barque des sages-femmes s'est chargée de toujours plus de responsabilités, mais quid de leur reconnaissance ?
Au fond, on ne peut dissocier la question du statut des sages-femmes, qui ne correspond pas à leur rôle dans notre système de santé, de celle de l'égalité entre les femmes et les hommes. Je salue la réponse du Gouvernement sur les salaires. Ce texte se rapporte à la formation.
Dans son article premier, il valorise la formation initiale en posant les bases de son intégration universitaire. C'est l'occasion de faire de la pluridisciplinarité une richesse pour notre système de santé, pour ne plus enfermer les acteurs dans une spécialité. Cette mesure fait écho à l'accord récent entre les ordres des kinés, des médecins et des infirmiers.
Créer un troisième cycle était indispensable. Le passage à bac +6 est une avancée pour l'attractivité. (Mme Émilienne Poumirol renchérit.)
L'article 3 rompt avec l'inégalité entre sages-femmes et médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes en permettant une activité simultanée avec l'enseignement.
L'activité de sages-femmes est enfin pleinement reconnue comme pratique médicale par la nomenclature des activités françaises, qui la cantonnait au domaine paramédical.
Le groupe UC votera ce texte, dans l'attente d'avancées plus franches sur les conditions de travail. (Applaudissements)
M. Stéphane Ravier . - Les sages-femmes vont mal, nous en convenons tous : 1 700 euros nets par mois après cinq ou six années d'études sélectives, c'est bien peu ! Cette année, 20 % des places sont restées vacantes ; et 44 % des sages-femmes ont déjà fait un burn-out.
Une sage-femme a toujours plusieurs mères à gérer en même temps, alors qu'il n'en faudrait qu'une seule. N'en déplaise au Planning familial et aux idéologues d'extrême gauche, c'est bien une femme qui accouche d'un enfant... (Protestations indignées à gauche)
Le gouvernement macronien ignore la profession, quand il ne la méprise pas. Les sages-femmes ont été oubliées dans la distribution des masques, puis dans les négociations du Ségur de la santé. Elles ne sont pas considérées comme prioritaires pour l'accès aux stations essence... Ces vexations répétées traduisent un manque de considération.
Que fait le Gouvernement contre le manque d'effectifs ? Il a suspendu les sages-femmes non vaccinées, humiliées brutalement parce qu'elles souhaitaient disposer librement de leur corps. Il n'est pas trop tard pour faire amende honorable et revenir sur cette décision odieuse.
Les sages-femmes sont des interlocutrices de choix pour le dépistage du cancer du sein. À Marseille, elles sont pleinement intégrées au cursus universitaire, et cela fonctionne.
Cette proposition de loi contient des avancées, mais plus que des mesurettes, il faut de la reconnaissance. Une société qui ne sait plus accueillir la vie est une société qui meurt !
Mme Guylène Pantel . - Soulignons l'importance de ce texte adopté par l'Assemblée nationale il y a un peu plus d'un an.
Au printemps 2020, la notion de travailleur essentiel a fait irruption dans le débat public, avec un large consensus sur la nécessité de leur revalorisation. (M. Laurent Burgoa approuve.)
Le déficit de reconnaissance se double, pour les sages-femmes, de stéréotypes sur leur profession, qui n'est pas réductible à l'accouchement.
L'intégration universitaire est bienvenue, tout comme la création du troisième cycle. La possibilité de combiner activité professionnelle avec enseignement et recherche est une belle ambition, mais elle ne doit pas se traduire par des pertes de revenus.
La profession subit une pénurie de main-d'oeuvre généralisée. Ne négligeons pas les difficultés de recrutement, liées notamment au syndrome d'épuisement professionnel. Les sages-femmes voient leurs attributions s'étendre, alors que leurs horaires ne sont pas extensibles.
En écho au débat précédent sur l'IVG, n'oublions pas leur rôle essentiel dans la diffusion d'informations fiables et de qualité.
Le RDSE votera ce texte à l'unanimité. (Applaudissements)
M. Bruno Belin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Notre soutien au texte est total.
Il est nécessaire de faire évoluer cette profession. Le volume des compétences exigées des sages-femmes, qui a augmenté depuis la réforme de 2011, rend nécessaire une année supplémentaire de formation.
La réalité est là : nous manquons de sages-femmes. Le numerus apertus n'apportera pas de solutions. La gynécologie libérale fait défaut sur une dizaine de départements, et il n'y a presque aucune sage-femme en libéral dans certains endroits. Au même moment, on voit fleurir des coachs en natalité, des doulas... Je dis : méfiance. Il faut renforcer la professionnalisation du métier et attirer davantage de candidates.
Il est urgent de revaloriser le statut et de résorber les disparités, par exemple entre les sages-femmes qui exercent au sein d'un département ou d'une PMI et celles qui travaillent à l'hôpital.
Madame la ministre, voilà quinze ans qu'on parle des déserts médiaux. Quand apporterons-nous des réponses concrètes ? Je crois au partage de tâches avec les infirmiers en pratique avancée et les pharmaciens ; l'organisation en tuyaux d'orgue n'est plus tenable.
Nous soutiendrons la profession de sages-femmes en adoptant ce texte. (Applaudissements)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Je remercie l'autrice du texte et la rapporteure.
Il y avait urgence à reconnaître le métier des sages-femmes : c'est en bonne voie. Comptez sur moi pour veiller à ce que le texte puisse être examiné rapidement par l'Assemblée nationale.
Le Gouvernement se mobilise sur cette question : voilà une semaine, les sept ordres professionnels ont signé un texte pour permettre à tous les professionnels de travailler ensemble. Comme les pharmaciens, les pédicures-podologues, les dentistes, les masseurs-kinésithérapeutes et les infirmiers, les sages-femmes seront aux côtés des médecins pour offrir la meilleure prise en charge aux patients.
Discussion des articles
L'article premier est adopté.
Les articles premier bis, 2, 3 et 4 sont successivement adoptés.
Intervention sur l'ensemble
M. Laurent Burgoa . - Je tiens à rendre hommage à mon tour à Annie Chapelier, députée du Gard de 2017 à 2022. Ce soir, elle peut être fière de son travail. Être parlementaire, cela sert à quelque chose ! (Sourires et applaudissements)
La proposition de loi est adoptée à l'unanimité.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission de la commission des affaires sociales. - Je remercie Raymonde Poncet-Monge pour son travail. Elle a apporté une modification importante sur le délai, en liaison avec l'Ordre et les associations d'étudiantes.
Je salue la présidente de l'Ordre et la présidente de l'Association nationale des étudiants sages-femmes, présentes en tribune. Elles souhaitaient parfois aller plus loin, mais mieux vaut tenir que courir. Puisse ce texte être adopté conforme par l'Assemblée nationale ! (Applaudissements)
Prochaine séance, demain, jeudi 20 octobre 2022 à 10 h 30.
La séance est levée à 20 h 05.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du jeudi 20 octobre 2022
Séance publique
De 10 h 30 à 13 h, de 14 h 30 à 16 h et de 16 h à 20 h
Présidence : M. Roger Karoutchi, vice-président, M. Vincent Delahaye, vice-président
Secrétaires : M. Jean-Claude Tissot - Mme Marie Mercier
1. Proposition de loi créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales, présentée par Mme Valérie Létard et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°22, 2022-2023)
2. Proposition de loi visant à accompagner la mise en place de comités sociaux et économiques à La Poste, présentée par Mme Denise Saint-Pé (procédure accélérée) (texte de la commission, n°24, 2022-2023)
3. Proposition de loi en faveur du développement de l'agrivoltaïsme, présentée par MM. Jean-Pierre Decool, Pierre-Jean Verzelen, Pierre Médevielle, Daniel Chasseing, Mme Vanina Paoli-Gagin et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission, n°14, 2022-2023)
4. Proposition de loi visant à mieux valoriser certaines des externalités positives de la forêt, présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°37, 2022-2023)