Bilan de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (Suite)
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le bilan dressé par le Gouvernement a des airs de panégyrique, ce qui n'étonnera personne. À en lire la plaquette qu'il a fait imprimer, nous pourrions en rester là...
Mais tout ce qui brille n'est pas or : je gratterai donc le vernis. En effet, notre responsabilité est de ne pas passer sous silence les zones d'ombre de la PFUE et ses angles morts.
La PFUE s'est déroulée au premier semestre 2022 malgré la concomitance d'échéances électorales cruciales. C'est le Président de la République qui l'a voulu ainsi, car il aurait pu demander un report. De fait, ce fut une présidence tronquée au plan politique. (M. Didier Marie acquiesce.)
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien !
M. Jean-François Rapin, président de la commission. - Je ne nie pas qu'il y ait eu des avancées, mais nous les devons au moins autant à la Commission européenne, qui a donné le tempo. (Murmures sur les travées du RDPI)
C'était, de toute manière, une présidence rétrécie par rapport à celle de 2008, dans la mesure où le Conseil européen et le Conseil des ministres des affaires étrangères ne sont plus inclus dans la rotation des présidences.
Dans ce costume étroit, la France a fourni de réels efforts, mais il convient de distinguer les avancées obtenues de simples initiatives qui n'aboutiront peut-être pas. D'autant que le Gouvernement néglige le poids du Parlement européen, qui pourrait ternir des résultats hâtivement annoncés.
Comme en 2008, la PFUE fut bouleversée par une crise d'ampleur : cette fois, l'agression russe de l'Ukraine - le président Larcher s'est rendu dans le pays voilà quelques jours.
Sous l'impulsion de la France, l'Union européenne a réagi vite et bien, adoptant plusieurs paquets de sanctions contre la Russie et accueillant cinq millions de réfugiés ukrainiens.
Cette crise a plutôt servi l'ambition française d'amener l'Europe à se penser comme une puissance. Mais ne nous réjouissons pas trop vite. Certes, la mise en oeuvre de la Facilité européenne pour la paix, l'adoption de la Boussole stratégique et le renforcement des investissements européens en matière de défense sont importants, mais le retour en force de l'OTAN et le réarmement accéléré de chaque État membre profitent surtout aux États-Unis. (M. Didier Marie acquiesce.)
M. Christian Cambon. - Absolument !
M. Jean-François Rapin, président de la commission. - Rien ne garantit que les efforts supplémentaires bénéficieront à l'industrie européenne de défense.
Les décisions prises en matière énergétique ne suffiront pas à rendre l'Europe souveraine. Elles risquent même de la rendre plus dépendante de certains acteurs, à commencer par la Chine, dont nous sommes tributaires pour nos batteries et nos panneaux photovoltaïques.
En matière spatiale, le volontarisme français a ouvert la voie à une constellation de connectivité sécurisée, mais un long chemin technologique et financier reste à parcourir. Espérons qu'Ariane 6 sera prête à temps.
Mme Sophie Primas. - Absolument !
M. Jean-François Rapin, président de la commission. - Au plan industriel, ne rêvons pas : rien ne dit que l'European Chips Act ne bénéficiera pas à des entreprises étrangères. Le développement d'écosystèmes industriels européens reste entravé par le statu quo en matière de règles de concurrence.
Mais plus graves que les zones d'ombre de la PFUE sont ses angles morts, à commencer par la souveraineté alimentaire. En dépit de nos demandes répétées, la nouvelle PAC délaisse les objectifs de production malgré le spectre de pénuries.
S'agissant de la sécurité aux frontières européennes, la France vient de perdre la direction de Frontex, la plus grosse agence européenne. Son directeur a démissionné, abandonné en rase campagne par le Gouvernement.
M. Christian Cambon. - Tout à fait !
M. Jean-François Rapin, président de la commission. - Frontex doit assurer la garde de nos frontières extérieures dans le respect des droits fondamentaux, et non le respect des droits fondamentaux, pour lequel une autre agence existe.
M. Christian Cambon. - Bien dit !
M. Jean-François Rapin, président de la commission. - Je m'inquiète de notre crédibilité sur les marchés : l'Union européenne n'a pas développé les ressources propres pour rembourser le plan de relance.
Quatrième angle mort : l'appartenance. Les urgences du moment ne doivent pas nous détourner de l'impératif d'adhésion populaire au projet européen. Cela passe par une démocratisation de l'Union européenne, à laquelle les parlements nationaux peuvent contribuer.
De fait, la présidence française n'a pas été seulement l'affaire du Gouvernement. Le Sénat a assuré la continuité parlementaire et oeuvré au renforcement des parlements nationaux dans l'Union européenne. Nous avons organisé un colloque sur ce thème en décembre dernier et revitalisé la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires, la Cosac, en lançant en son sein deux groupes de travail.
Le premier, que je présidais, a rendu ses conclusions le 14 juin. Il propose en particulier un droit d'initiative commun des parlements nationaux - le « carton vert » - et un droit de questionnement écrit pour les présidents des commissions parlementaires en charge des affaires étrangères et de l'Europe, pour que les parlements nationaux participent davantage au contrôle des politiques européennes.
Nous espérons voir ces initiatives prospérer sous la prochaine présidence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC)
M. Pierre Laurent . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Le choix d'assumer la présidence de l'Union européenne en pleine campagne était discutable. Il aurait eu du sens si un grand débat démocratique avait été ouvert sur l'avenir de l'Union. Mais de débat il n'y a pas eu, avec la non-campagne du Président de la République et une Conférence sur l'avenir de l'Europe restée clandestine pour la grande majorité des citoyens.
L'agression russe a, il est vrai, changé la donne, mais elle aurait dû renforcer l'exigence de refondation. Le Président de la République appelait de ses voeux une Europe apte à répondre aux défis climatiques, géographiques et politiques, une Europe indépendante qui se donne les moyens de décider pour elle-même.
Or, loin d'avoir retrouvé une autonomie stratégique, l'Union européenne sort de cette présidence plus dépendante que jamais des puissances extérieures. Les États-Unis ont ainsi signé leur grand retour au coeur des choix européens. (M. André Gattolin soupire.)
L'OTAN - que, madame la ministre, vous n'avez pas cité une seule fois - a adopté sous la dictée américaine un nouveau document stratégique qui devient, de fait, la doctrine européenne. L'Europe s'aligne quand elle devrait s'affirmer.
De même, le gaz fait l'objet d'un périlleux transfert de dépendance du gaz russe vers le gaz naturel américain. De quoi raviver les projets d'investissements américains massifs dans les terminaux méthaniers. Or une part importante de ce gaz est issue des gisements de schiste...
J'en viens à la souveraineté alimentaire. Que dire du énième accord de libre-échange, signé avec la Nouvelle-Zélande dans les derniers jours de la présidence française ? Madame la ministre, le Parlement n'a-t-il vocation qu'à entériner les dégâts écologiques et économiques qu'il causera, sans jamais pouvoir en débattre ?
Comme la couche d'ozone, le paquet Climat commence à avoir de nombreux trous.
La dimension socialement juste de la transition énergétique ne se manifeste pas. Le marché carbone pour le transport routier et le chauffage est une bombe à retardement sociale. Ce sera une taxe carbone européenne frappant sans distinction ménages et entreprises, qui aggravera les fractures face au droit à la mobilité. Quant au fonds social pour le climat, qu'il aurait fallu renforcer, il a été plafonné à 50 milliards d'euros.
Dans ces conditions, comment la France compte-t-elle agir pour obtenir la révision complète du marché européen de l'électricité, qui constitue, selon les termes mêmes du Président de la République, une forme d'impôt extérieur ?
Une fois de plus, l'Europe sociale est la grande oubliée. Une directive sur le salaire minimum a été adoptée - soixante ans après la création de l'Europe... -, mais sans la moindre disposition contraignante. Pendant ce temps, les hauts revenus battent des records d'indécence.
Il y a bien une avancée sociale majeure : au moins 40 % des postes d'administrateurs seront confiés à des femmes dans les groupes cotés en Bourse - après dix ans de négociations...
L'Europe ne conçoit sa souveraineté que comme un repli. La PFUE a ainsi enterré l'esprit du pacte global sur les migrations, qui consacrait le principe de solidarité. L'immigration n'est perçue que comme une menace et un fardeau. En témoigne le courrier indigne cosigné en octobre dernier par douze ministres de l'intérieur appelant à la construction de murs financés sur les fonds européens.
La présidence française a subi les événements, et les débats d'avenir n'ont pas été lancés. Il y a, certes, les règlements Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA). Mais les récentes révélations sur Uber montrent qu'on est loin d'en avoir fini avec la collusion entre le politique et les puissances d'argent. Madame la ministre, pourquoi la France traîne-t-elle les pieds sur la directive établissant une présomption de salariat ?
Face à la nouvelle crise financière et à la récession qui menacent, il faut ouvrir le débat sur la mobilisation d'investissements publics massifs. Au lieu de cela, nous voyons revenir le refrain sur la dette et la compression des dépenses publiques. Qu'est devenu le débat promis sur la révision du pacte de stabilité ? Nous ne pourrons plus longtemps éviter d'affronter les choix politiques nécessaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER et du GEST)
M. Claude Kern . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Lors de sa conférence de presse du 9 décembre dernier, le Président de la République a présenté un programme ambitieux autour de trois ambitions : une Europe plus souveraine, plus humaine et fondée sur un nouveau modèle de croissance.
Alors que la guerre a tout bouleversé, nos objectifs ont été atteints à 97 %, raison pour laquelle nombre d'observateurs avisés qualifient la PFUE de réussite.
Je pense à l'accord final sur les textes DMA et DSA, qui donnent à l'Europe de nouvelles armes contre les distorsions de concurrence des GAFA.
Des avancées sociales ont aussi été réalisées, comme l'accord sur la proportion de femmes dans les entreprises cotées en Bourse à l'horizon de 2026.
En matière de consommation, l'accord sur le chargeur unique constitue également une avancée.
Sur le climat, la réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050 a été consacrée.
Autre succès, le maintien de l'union des Vingt-Sept autour des sanctions contre la Russie. Pour l'Ukraine, nous avons mobilisé la Facilité européenne pour la paix et activé pour la première fois le mécanisme d'accueil d'urgence.
La Boussole stratégique de défense a été adoptée le 25 mars dernier, musclée par la guerre. Nous sommes parvenus à un consensus sur la perception des menaces sur la sécurité et les moyens d'y faire face. Les pays européens ont des cultures stratégiques différentes, mais la Boussole stratégique, qui identifie des priorités communes, sera le fil conducteur de la politique européenne de sécurité et de défense jusqu'en 2030.
L'Ukraine et la Moldavie ont obtenu le statut de candidat à l'adhésion, c'est un signal fort envoyé à la Russie. Je m'en félicite, même si, à titre personnel, je ne suis pas adepte des élargissements trop rapides. Je regrette seulement que la Géorgie n'ait pas bénéficié de la même décision.
La sobriété énergétique revient au sommet de nos priorités, et particulièrement de la nouvelle présidence tchèque. Dès mars dernier, les États se sont engagés à réduire notre dépendance énergétique. Les inquiétudes demeurent : l'invasion de l'Ukraine fait augmenter les prix énergétiques, tout comme l'action perturbatrice de la Russie sur le marché du gaz. Le dernier Conseil européen n'a pu entériner aucune solution, alors que les réductions de livraison de gaz russe s'enchaînent et que l'Allemagne reste dans l'incertitude sur la réactivation de Nord Stream.
Seule avancée dans ce domaine, le gaz et le nucléaire ont été inscrits sur la liste des énergies vertes, ce qui leur permettra d'attirer les investissements privés et publics.
Quelles pistes la France privilégiera-t-elle au sommet du 26 juillet ? Nous devons nous préparer à une rupture complète de l'approvisionnement russe cet hiver. Un rationnement pourrait être décidé, ce qui entraînerait une restriction de la demande désastreuse pour nos économies.
Quels partenaires l'Union européenne privilégiera-t-elle pour sécuriser ses apports ? L'objectif de neutralité carbone est-il toujours tenable ?
La PFUE a vu aboutir, avec un an de retard, Covid oblige, la Conférence pour l'avenir de l'Europe. Cet exercice inédit, encouragé par la France, a abouti à 49 propositions pour rapprocher les institutions des citoyens. S'il y a eu un élan autour de la remise du rapport le 9 mai dernier, le sujet n'a pas été abordé au dernier Conseil européen. Le Parlement européen avait pourtant salué ce travail, comme la présidente de la Commission européenne.
Il est pourtant nécessaire de réviser nos institutions. Allez-vous soutenir la fin de l'unanimité en matière budgétaire, fiscale ou sur la plateforme européenne de cohésion sociale (PECS) ? Cette règle est parfois un frein à l'action de l'Union européenne. La remplacer par la majorité qualifiée paraît inéluctable, surtout si l'Union européenne poursuit son élargissement.
Nous serons très attentifs aux suites données à ces sujets. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDPI)
Mme Véronique Guillotin . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Michel Canévet applaudit également.) La PFUE de 2008 avait été chahutée par la crise financière. Celle de 2022 aura été focalisée sur la tragédie ukrainienne.
En six mois, le visage de l'Europe a changé. Ce sont souvent les crises qui accélèrent les projets européens. On ne saurait s'en réjouir, tant le bilan humain est lourd, mais l'une des formules du Président de la République dans son discours de la Sorbonne prend aujourd'hui tout son sens : il nous faut refonder une Europe souveraine, unie et démocratique.
Le renforcement de notre souveraineté stratégique peut s'accorder avec les engagements des États membres au sein de l'OTAN. Mais, si ceux-ci augmentent leurs dépenses militaires, les projets communs semblent patiner.
Sur la souveraineté énergétique, l'Europe fait le voeu d'une moindre dépendance, mais la présidence tchèque devra présenter un plan, sans éviter la question de la formation du prix de l'électricité.
Le défi énergétique posé par la guerre en Ukraine et l'objectif de neutralité carbone ne font pas toujours bon ménage. Je salue néanmoins le principe de la taxe carbone aux frontières.
Autre défi, la souveraineté alimentaire. Faut-il le rappeler ici, elle passe par le maintien de nos exploitations. Or l'enjeu agricole a été quelque peu délaissé. De plus, Bruxelles semble négliger l'incidence de certaines de ses décisions sur le monde agricole : ainsi, le projet de révision de la directive relative aux émissions industrielles touchera 185 000 exploitations de bovins, contre 20 000 aujourd'hui, pour un coût moyen de 2 400 euros annuels par exploitation. Les exploitations doivent bénéficier de soutiens plus efficaces et mieux contrôlés.
Le RDSE applaudit la DSA et les deux lois sur le numérique, qui limitent notamment la diffusion de contenus illicites, haineux ou violents.
Le chargeur unique est une mesure de bon sens et écologique ; elle mérite également d'être saluée.
Je regrette le veto hongrois sur la taxation minimale des entreprises, qui pose la question d'une révision institutionnelle et du passage à la majorité qualifiée sur certains sujets.
M. Didier Marie. - Très juste !
Mme Véronique Guillotin. - La France restera comme le pays qui a ouvert la porte de l'Union européenne à l'Ukraine et à la Moldavie. Mais un potentiel élargissement devra s'accompagner d'une réflexion sur le fonctionnement des institutions et le concept de communauté politique européenne lancé par le Président de la République, qui mérite d'être précisé.
L'Europe du quotidien se construit aussi - j'oserais même dire : surtout - sur les territoires transfrontaliers, autour des enjeux de fiscalité, de mobilité et de santé. Les travailleurs frontaliers attendent autant de l'Union européenne que du Gouvernement français.
Souhaitons que la Tchéquie affirme la place de l'Europe avec autant de volontarisme que nous ; et espérons qu'elle convainque ses partenaires du groupe de Visegrad que la vocation de l'Europe est de former un espace de paix. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Michel Canévet applaudit également.)
M. Didier Marie . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Après ces six mois de PFUE, nous restons sur notre faim. Le Président de la République voulait une présidence française exceptionnelle, mais elle le fut pour de mauvaises raisons. La nouvelle donne géopolitique issue de l'agression sauvage de l'Ukraine par la Russie le 24 février a démontré la capacité des Européens à réagir rapidement et à rester unis, à la surprise des observateurs extérieurs, à commencer par les Russes eux-mêmes - paradoxalement, M. Poutine aura plus fait pour l'Europe en quelques semaines que nos dirigeants pendant de nombreuses années...
Nous saluons la mise en oeuvre de la protection temporaire pour les réfugiés ukrainiens, la facilité européenne pour la paix et les six trains de sanction, même si leurs résultats sont décevants.
Les orientations de la Boussole stratégique ont été adoptées, actant un réarmement militaire, mais sous l'égide de l'OTAN, pourtant déclaré en mort cérébrale il y a peu par le Président de la République : qui en sera bénéficiaire, la défense européenne, ou l'industrie d'armement américaine ?
En prenant un rôle de médiateur, la France aura su faire avancer certains textes, comme sur le numérique avec les DMA et le DSA, la réciprocité dans l'accès aux marchés publics, le salaire minimum européen, l'équilibre hommes-femmes dans les conseils d'administration...
D'autres succès ont été mis en avant, mais nous restons circonspects ; c'est le cas du paquet Climat, sur l'espace Schengen et des droits sociaux.
Il faut enfin reconnaître des échecs, comme la taxation des grandes entreprises, le marché de l'électricité, ou l'absence de tout progrès dans la lutte contre l'inflation ou concernant l'agenda rural.
Nous saluons l'accession au statut de candidat de l'Ukraine et de la Moldavie et les initiatives prises vis-à-vis des pays des Balkans occidentaux. La levée du veto bulgare contre la candidature de la Macédoine du Nord est de bon augure. Rappelons cependant que l'élargissement doit reposer sur le respect de l'État de droit. L'accès de la Pologne au plan de relance nous inquiète à cet égard. L'unité de l'Europe repose sur le dialogue politique, mais avant tout sur nos valeurs.
La proposition du Président de la République d'une communauté politique européenne a reçu un accueil allant du glacial au tiède. C'est le fonctionnement même des institutions qu'il faut interroger ; pourquoi ne pas prendre en compte les conclusions de la conférence sur l'avenir de l'Europe et les appels du Parlement européen pour ouvrir le chantier d'une révision des traités ?
La France a su remplir sa mission, mais la PFUE se termine loin du slogan « puissance, relance, appartenance » mis en avant initialement par le Président de la République. Celui-ci parle beaucoup d'Europe, mais il y a loin des paroles aux actes.
Cette présidence en demi-teinte restera dans l'histoire comme celle qui aura vu le retour de la guerre sur le continent.
Liberté, démocratie, justice sociale et responsabilité environnementale, voilà ce qui doit guider notre projet européen ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Jean-Baptiste Lemoyne . - Six petits mois, et déjà l'Union européenne n'est plus ce qu'elle était. Sans cocorico cocardier, reconnaissons que l'Europe a beaucoup progressé, et pas par beau temps ! Des initiatives nombreuses, lancées dès 2017 par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne, ont abouti, tout comme des chantiers de précédentes présidences : le flambeau a été harmonieusement transmis.
Et dire que certains voulaient que la France renonce à sa présidence au prétexte de l'élection présidentielle ! En 1995, pourtant, la France présidait déjà pendant une élection législative. Ce qui compte, ce sont les progrès historiques que nous enregistrons. Ils sont à mettre au crédit du Président de la République, des ministres, mais aussi du secrétariat général de la présidence française et de la représentation permanente de la France à Bruxelles - sans oublier les collectivités, telles que les villes de Pau, Dijon, Montpellier ou Strasbourg.
Relance, puissance, appartenance, tel était le triptyque. Si la présidence a commencé sous le signe de la relance, le retour de la guerre sur le sol européen a vite promu les deux autres enjeux. Le fil rouge du Président de la République a été : reprendre le contrôle en européens - et non, comme outre-Manche, en solitaires... Il s'agissait d'être, non des objets, mais des sujets.
Le contexte mondial a été marqué par le conflit ukrainien, la rivalité sino-américaine et l'urgence climatique. L'Union européenne et les États membres ont su se positionner en puissance, avec l'adoption de la boussole stratégique, la force de déploiement rapide, les investissements de défense et la création d'un Conseil Schengen qui s'est déjà réuni deux fois.
Dans ce monde marqué par le retour des empires, l'Europe se projette dans l'ensemble de ses dimensions de continent-monde, grâce aux Outre-mer.
Que de chemin parcouru depuis la chute du mur de Berlin !
Denis de Rougemont disait : « L'Europe unie n'est pas un expédient moderne, économique ou politique, mais c'est un idéal qu'approuvent depuis mille ans tous ses meilleurs esprits, ceux qui ont vu loin ». La présidence française a vu loin.
Le statut de candidat a été accordé à la Moldavie et à l'Ukraine ; vous étiez à Kiev avec le Président de la République. Nous n'oublions pas les Balkans occidentaux. Comme seuls quatorze kilomètres nous séparent de l'Afrique, nous pouvons être fiers du nouveau partenariat lancé à Bruxelles récemment avec ce continent.
Les défis sont mondiaux - soit nous réussissons ensemble, soit nous échouons ensemble. Mais l'action de l'Europe peut influencer nos partenaires. Je suis sûr que ce sera le cas avec la taxe carbone aux frontières.
Nous devons reprendre le contrôle sur l'économie, pour ne pas être les idiots utiles du village global. Nous devons développer notre indépendance énergétique et alimentaire. Les clauses miroirs pour l'accès aux marchés publics sont un progrès ; les résultats sont là.
Reprendre le contrôle, c'est aussi se prémunir contre les pratiques déloyales numériques. La directive en la matière est louable.
La PFUE a illustré combien les notions d'unité et de diversité sont au coeur de notre projet. L'unité a été préservée dans toutes les décisions. La diversité a été revendiquée par l'ambassadeur tchèque devant notre commission des affaires européennes. La PFUE a été menée en langue française et il faut poursuivre nos actions dans ce sens.
Madame la ministre, le RDPI salue ce beau bilan et vous adresse ses meilleurs voeux pour la suite, comme à la présidence tchèque. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP)
M. Claude Malhuret . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Concomitante des élections nationales, la PFUE avait tout pour échouer. Certains en voulaient le report. Au terme de l'exercice, Ursula von der Leyen l'a jugée exceptionnelle. C'est aussi ce qu'en pensent les chancelleries et la presse. Il n'y a donc aucune raison de ne pas dire clairement : c'est un succès. Nos diplomates et notre gouvernement ont insufflé un rythme infernal à Bruxelles, capitale des compromis chronophages.
Les priorités étaient claires : climat, numérique, social.
Sur ce dernier point, la France a trouvé un accord sur la directive salaire minimum. Sur le climat, la France a su trouver à l'arraché un terrain d'entente sur la réduction collective de nos émissions de gaz à effet de serre. Le travail sur la sobriété énergétique sera un atout pour demain. L'ajustement carbone aux frontières est un modèle.
La régulation des grandes plateformes numériques est capitale. Comme l'a affirmé le commissaire Breton, tout ce qui est interdit offline doit l'être aussi online. Les réseaux antisociaux sont un Far West de fake news qui abîment nos démocraties. DSA et DMA sont les meilleurs moyens de maîtriser notre espace européen ; je souhaite qu'ils soient applicables dès la fin de l'année.
La performance de ces six derniers mois est d'autant plus remarquable que la guerre en Ukraine s'est déclarée le 24 février. La sale guerre de Poutine aurait pu faire voler l'Union européenne en éclats, elle n'a fait que la renforcer. Paradoxalement, Poutine a cimenté l'Europe et a ressuscité Biden après le revers de Kaboul. Il croyait prendre l'Ukraine en trois jours, il y est maintenant embourbé pour longtemps.
Le principal succès français a été, dans ces circonstances difficiles, de parvenir à maintenir l'unité des Vingt-Sept et de soutenir ensemble l'Ukraine, tout en renforçant la cohésion avec les États-Unis.
Le plus dur est à venir. Poutine espère et attend. Avec la hausse des dépenses d'énergie et du coût de la vie, il faudra tenir face à la mauvaise petite musique de la cinquième colonne des Le Pen, Zemmour et Mélenchon, sur le thème : « la guerre coûte trop cher et après tout, ce n'est pas notre guerre... » Alors que c'est bien évidemment la nôtre !
Lors de la célébration du 350e anniversaire de Pierre le Grand, Poutine a avoué que la guerre en Ukraine n'avait rien à voir avec la prétendue menace occidentale : « L'Ukraine fait partie de la propre histoire, de la culture et de l'espace spirituel de la Russie. » « Après Pierre le Grand, c'est maintenant notre tour de reprendre et renforcer ce qui appartient à la Russie. » La guerre en Ukraine n'est rien d'autre qu'une tentative d'annexion ethnonationaliste. Le masque est tombé.
Cela apporte de l'eau au moulin du Président de la République, qui prêchait pour une Europe puissante. Poutine a ouvert les yeux de centaines de millions d'Européens, qui croyaient que la guerre était une relique du passé. L'Europe s'est engagée pour son réarmement et a adopté sans ciller la Boussole stratégique. Espérons qu'elle dure.
L'Union européenne devra résister à la tentation du gaullisme du pauvre, celle d'une médiation, voire d'une équidistance entre les États-Unis et la Russie, ou demain, la Chine, oubliant qu'il y a d'un côté, la démocratie et de l'autre, des dictatures. L'adversaire chinois, avec le climat, sera la menace majeure pour les générations à venir. Contrairement à ce que prétendent les tyrannolâtres, ce sont les dictatures qui « portent la guerre comme la nuée porte l'orage ».
Une position de neutralité - le rêve de constituer une grande Suisse - serait une erreur. La Boussole stratégique est bienvenue. Elle ne se conçoit qu'avec les démocraties extra-européennes et un renforcement de l'OTAN.
L'avenir de l'Union est certes problématique, toujours fragile - blocages institutionnels, Brexit qui nous hante, guerre à nos portes, crise sanitaire, prises de décisions compliquées, valeurs menacées -, mais je suis certain que le désir d'Europe sera plus fort, comme l'espérait Valéry Giscard d'Estaing dans son essai Europa. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; MM. André Gattolin, Yves Détraigne, Christian Bilhac et Yves Bouloux applaudissent également.)
M. Alain Cadec . - Mon analyse différera un peu. La PFUE est un évènement notable, et peu fréquent. En 2008, le contexte était aussi celui d'une crise, mais alors, la présidence d'un pays emportait aussi la présidence du Conseil européen. Depuis le Traité de Lisbonne, elle est confiée à un président permanent.
Emmanuel Macron n'a pas été le président du Conseil européen, et encore moins de l'Europe. Les ministres concernés ont simplement exercé un rôle d'animation, voire de bons offices, pour fixer la position du Conseil face au Parlement européen. Ce rôle est important, mais non décisionnel.
Le document de synthèse de la PFUE fait fi de ces considérations institutionnelles, et relève parfois de la forfanterie. L'ensemble des avancées ne peut être mis au crédit de la seule présidence française. Certains dossiers étaient déjà très bien engagés. D'autres ne sont pas encore arrivés à leur conclusion.
Nos représentants au Conseil ont certes fait du très bon travail, avec, par exemple, l'adoption des DSA et DMA et des avancées pour l'ajustement carbone aux frontières.
Mais certains raccourcis sont audacieux. Non, madame la ministre, la France n'a pas favorisé la mise en place de normes de production identiques entre produits de l'Union européenne et importés. Les clauses miroirs sont considérées par la plupart des experts comme bancales et problématiques au regard des règles de l'OMC. L'idée a reçu un accueil poli, pour ne pas dire froid et la Commission elle-même appelle à ne pas en attendre trop.
Non, la politique commerciale n'a pas non plus été réorientée sous l'impulsion de la France. Des sanctions commerciales ne pourront être envisagées qu'en tout dernier ressort, les conditions pour ce faire sont drastiques. Les progrès réels sont très limités et ne s'appliquent qu'aux futurs accords : celui avec Mercosur, par exemple, ne serait pas concerné.
La France est parvenue à bloquer la conclusion de certains accords - dont acte. Mais la Commission et les États membres les plus libre-échangistes ne faisaient qu'attendre leur heure : l'annonce de la conclusion de l'accord avec la Nouvelle-Zélande, dramatique pour notre agriculture, a eu lieu le 1er juillet, soit le lendemain de la fin de la PFUE. La présidence tchèque en a fait une de ses priorités.
Sur la taxation minimale des multinationales, la France n'a pas su lever tous les blocages. Espérons que les Américains seront plus efficaces face à Budapest, qui a mis son veto.
Voilà la relativité du pouvoir d'une telle présidence. Les autocongratulations ne peuvent faire oublier que l'Europe est à la croisée des chemins ; madame la ministre, un peu de modestie aurait été bienvenue. Mais la modestie n'est pas la qualité première de notre président... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jacques Fernique . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mmes Angèle Préville, Marie-Arlette Carlotti et M. Joël Bigot applaudissent également.) Ces six mois ont été lourdement marqués par un tragique imprévu : l'attaque contre un pays souverain, l'Ukraine, plus grand défi à la sécurité de l'Europe depuis 1945.
La réponse solidaire et déterminée de l'Union européenne a pu surprendre ceux qui misaient sur son inertie et sa mollesse : elle se traduit par des sanctions et par une aide militaire et humanitaire à l'Ukraine.
Cet imprévu tragique a renforcé l'esprit de consensus qui marque le bilan de ce semestre. Oui, de nombreuses avancées ont été enregistrées. Pour autant, ne gommons pas les aspérités, blocages et régressions.
Je déplore d'abord les absences notables de ministres français à certains débats au Parlement européen. La collision de notre calendrier électoral avec la PFUE a effectivement posé problème. L'effet était regrettable quand les gouvernements hongrois et polonais comptaient sur un émoussement de notre attention sur l'État de droit - notre trésor, d'après le Président de la République.
La trajectoire environnementale n'est pas suffisante. Ainsi l'objectif 2030 de production d'énergies renouvelables et d'efficacité énergétique ne nous place pas dans la trajectoire de l'Accord de Paris d'une réduction d'1,5 °C. Le plus difficile sera de faire bifurquer les politiques publiques avec la fin des subventions aux énergies fossiles et la suppression des quotas gratuits pour certains grands émetteurs. Les territoires, par exemple, devraient avoir les moyens de décliner efficacement les objectifs climatiques.
Mon groupe déplore que la France n'ait pas appuyé la proposition du Parlement européen visant à exclure les ménages du marché carbone des transports routiers et du chauffage des bâtiments.
Les conséquences énergétiques de la guerre en Ukraine seront difficiles à gérer. Il faudrait hâter notre sortie de la dépendance aux énergies fossiles, mais ce n'est pas ce qui se dégage des tendances. Il aurait fallu, comme le propose la Commission, taxer les superprofits des géants de l'énergie.
La fin de la vente de voitures thermiques neuves en 2035 nous impose de déployer une nouvelle stratégie industrielle pour éviter l'explosion sociale. Finissons-en avec les états d'esprit dépassés, comme ceux qui ont conduit - par un vote plus politique que scientifique - à labelliser le gaz et le nucléaire dans la taxonomie verte, qui perd ainsi une bonne part de sa crédibilité.
Nous avons aussi besoin du levier que constitue le changement des pratiques agricoles, mais la présidence française n'a rien fait en la matière sinon s'évertuer à obtenir une déclinaison à la carte de la PAC, ce qui équivaut à raboter les ambitions européennes. Certes, la résolution européenne de la majorité sénatoriale va dans votre sens, mais le GEST n'y souscrit pas.
L'accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande montre que les accords ne sont pas vertueux en matière d'environnement : le compte n'y est pas.
Le cadre social commun favorise la lutte contre le dumping social mais nous regrettons l'attitude de la France face aux plateformes. L'enquête récente du Monde plaide pour une loi de séparation des lobbies et de l'État ! Il n'est pas acceptable que la France ait freiné des deux pieds pour la reconnaissance du salariat d'Uber et autres Deliveroo ou pour l'inversion de la charge de la preuve.
L'enjeu budgétaire n'a pas progressé. Il serait contre-productif de revenir aux règles budgétaires antérieures au Covid, qualifiées en son temps par Romano Prodi de « stupides ». Comment les investissements nécessaires à la transition énergétique pourraient-ils entrer dans ce carcan ? Le Président de la République envisageait une réforme de ces critères : où en est-elle ?
Le plan de relance suppose des ressources propres qu'il reste à mettre en place. La France avait la carrure pour faire avancer ce dossier. L'Union européenne aurait pu imposer une taxation minimum aux multinationales. L'échec, dû au blocage hongrois, conduit à traîner encore.
La conférence sur l'avenir de l'Europe oblige à sortir du statu quo, pour plus et mieux d'Europe. Il faudra modifier le cadre fixé par les traités.
Vous pourriez trouver ces critiques excessives ; elles témoignent au contraire de l'attachement de notre groupe au renforcement de notre Union européenne. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER ; M. Pierre Laurent applaudit également.)
M. Jean-Yves Leconte . - La PFUE, ce n'est pas la présidence de l'Europe par le chef de l'État français, mais un rôle de catalyseur à jouer. D'où l'intérêt d'avoir, comme la France, une administration efficace et mobilisée.
Nous avons été percutés et choqués par l'agression russe contre l'Ukraine. Il fallait y répondre, notamment en apportant une aide aux forces armées ukrainiennes. Mais elle remet en cause plusieurs de nos fondamentaux.
Le défi climatique, à lui seul, justifie plus de solidarité européenne. Le paquet Fit for 55 a un peu avancé, mais la fin des quotas gratuits a été repoussée. L'accompagnement de la compétitivité des entreprises à l'export est peu abordé.
Le modèle de développement allemand appuyé sur le gaz russe est remis en cause.
La PAC devra répondre à la crise alimentaire.
L'approche technique, graduelle, sur le pacte Asile et immigration, a été l'occasion de petites avancées, mais surtout pour la répression. Je songe notamment à Eurodac ou au règlement Filtrage. Les 8 000 relocalisations promises par les pays qui émettent une déclaration de solidarité sont bien faibles par rapport aux besoins. Espérons que le Parlement européen fera progresser les choses.
La protection temporaire a été mise en oeuvre pour la première fois au profit des réfugiés ukrainiens, qui ont disposé dès leur arrivée de la liberté de circulation et du droit au travail. Tous les enseignements doivent en être tirés ; cela ne doit pas rester une exception. (M. Didier Marie approuve.)
L'Ukraine paie le prix fort depuis 2014 parce qu'elle a choisi la voie européenne. Les pays des Balkans occidentaux aussi, mais leur dossier n'avance pas. Je suis heureux que les candidatures de la Moldavie et de l'Ukraine aient été dynamisées, mais il faudra aussi répondre aux peuples des Balkans qui ont besoin de ce projet pour améliorer leur gouvernance.
Je suis inquiet des concessions faites à la Pologne en termes d'État de droit pour tenter d'obtenir un accord sur la taxation des multinationales. Nous ne pouvons accepter d'accorder le plan de relance européen à un pays où la justice n'est pas indépendante.
Notre moment hamiltonien a été manqué, puisqu'il semble que ce plan de relance ne sera qu'un one shot. Nous avons pourtant besoin de ressources propres, dans une démarche de long terme, pour doter l'Europe d'une économie forte et attractive. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
Mme Marta de Cidrac . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 9 décembre dernier, le Président de la République, présentant les priorités de la PFUE, affirmait que sans la sécurité et la stabilité de notre voisinage, on ne pouvait bâtir une Europe de la paix, et réclamait un réengagement fort de l'Union européenne dans les Balkans occidentaux. Six mois plus tard, c'est plus que jamais d'actualité, mais le réengagement promis à ces pays fait toujours défaut. En tant que présidente du groupe d'amitié France - Balkans occidentaux, je ne peux que le regretter.
Le Conseil européen a accordé le statut de candidat à l'Ukraine et à la Moldavie. Je me félicite de ce geste de solidarité, même si, de l'aveu même du Conseil européen, le chemin d'adhésion sera long.
La nouvelle donne a bouleversé la situation dans les Balkans occidentaux, mais la réponse européenne est faible. Tout juste l'Europe a-t-elle réaffirmé son engagement à une adhésion de ces pays. On a l'impression que la région reste au milieu du gué, alors qu'il y a urgence. D'abord parce que les efforts sont là, et qu'il faut les récompenser : les tensions bilatérales s'apaisent. Ensuite, parce que l'influence de la Chine, de la Russie et de la Turquie s'accroît dans la région, reflétant une frustration grandissante vis-à-vis de l'Union européenne. Les conclusions du Conseil européen sur les Balkans occidentaux doivent être mises en oeuvre.
La guerre en Ukraine a montré le caractère crucial des approvisionnements en énergie. Les principes mis en avant lors de la PFUE en la matière sont ambitieux mais fragiles : la dépendance vis-à-vis de certaines matières premières nécessaires au développement des énergies renouvelables demeure ; le rôle du nucléaire a été confirmé in extremis, mais reste sous le feu de critiques virulentes... L'Europe est revenue à plus de raison en la matière, mais il reste un long chemin à parcourir. La France doit se faire entendre en ce domaine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Férat et M. Yves Détraigne applaudissent également.)
M. Guillaume Chevrollier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a plus de six mois, la France a voulu faire du climat une priorité. Notre pays a obtenu un accord global sur le paquet Climat, autour d'une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % en 2030 par rapport à 1990. C'était loin d'être évident, tant les positions étaient divergentes.
Sur le fond, nous pouvons être satisfaits, car cela correspond aux points d'attention soulevés par le Sénat dans sa résolution sur le paquet Climat et dans le rapport d'information de sa commission du développement durable.
Nous avions rappelé que la France devait maintenir le niveau d'ambition affiché par la Commission européenne, tout en préservant l'acceptabilité sociale du paquet. Cet équilibre est respecté avec le fonds social sur le climat, sans doute insuffisant mais adopté malgré l'opposition des États dits frugaux.
L'ambition a été abaissée quelque peu en raison de la frilosité de certains États. La copie du Parlement européen est plus ambitieuse. (M. Didier Marie le confirme.)
Certaines échéances sont très tardives, comme l'extinction des quotas gratuits en 2035 seulement.
Le Conseil aurait pu aller plus loin en intégrant à la taxe carbone aux frontières d'autres catégories de biens, comme les produits chimiques organiques, les plastiques ou l'hydrogène, comme nous l'avions proposé et comme le propose le Parlement européen.
L'accord au Conseil ne comble pas l'angle mort des émissions que constitue le transport aérien international, couvert par un dispositif Corsia (Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation) particulièrement peu ambitieux.
Notre dépendance énergétique ne saurait être passée sous silence, à l'heure où les centrales à charbon rouvrent. La perspective d'une coupure totale du gaz russe, combinée à l'arrêt de plusieurs réacteurs nucléaires, nous font craindre le scénario du pire, pour reprendre les propos du Gouvernement. Les prix de l'essence et du gaz s'envolent.
Il faut une politique cohérente, notamment contre les passoires thermiques. Pour atteindre nos objectifs climatiques, construisons une vraie indépendance énergétique. La treizième PFUE n'a pas tout réglé, et il reste du travail. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Didier Marie, Jean-Yves Leconte et Franck Menonville applaudissent également.)
Mme Catherine Colonna, ministre . - J'ai entendu quelques compliments... Je suis très sensible aux remerciements du président Malhuret et du sénateur Lemoyne, qui a directement contribué au succès de la PFUE en tant que ministre délégué.
L'Union européenne a entrepris de reprendre le contrôle. C'est par l'Europe que nous pourrons demain peser dans le monde, défendre nos concitoyens, définir nos standards et nos choix. C'est une réhabilitation de la politique industrielle et énergétique de l'Europe.
Beaucoup d'entre vous ont évoqué la hausse des prix de l'énergie. Le Gouvernement a mis en place le bouclier tarifaire, qui gèle le tarif réglementé du gaz naturel, et qui sera prolongé jusqu'à la fin de l'année. La coordination et la solidarité des partenaires européens seront déterminantes pour nous préparer à l'hiver prochain. Le Gouvernement présentera le 20 juillet un plan de réduction de la demande d'énergie.
La commission a prévu une boîte à outils pour les aides d'État aux consommateurs et aux entreprises. Nous poursuivrons nos efforts.
J'ai aussi entendu quelques regrets... L'Europe serait une puissance passive, a dit le sénateur Laurent. Au contraire, tous les États européens ont convenu que la PFUE avait été active et réussie, qu'ils aient des gouvernements de droite, de gauche ou du centre. Ils nous ont félicités d'avoir rendu l'Europe plus forte et plus unie dans une période particulièrement dramatique.
Nous avons marqué un record d'ambition et de réactivité sur le climat. Le vice-président de la commission européenne chargé de ces questions, M. Frans Timmermans, a félicité la PFUE, soulignant même qu'en tant que socialiste, il aurait préféré ne pas avoir à le faire !
Les avancées sociales obtenues ne sont pas en trompe-l'oeil : pourquoi, sinon, y aurait-il eu des années de négociations et de blocages ? Nous sommes parvenus à un consensus européen. Nous devrions nous en féliciter.
On ne peut dire que la PFUE ne s'est pas battue pour l'État de droit. Nous avons combattu les régressions démocratiques. J'ai entendu les déceptions du sénateur Marie, mais l'État de droit a été le fil conducteur du semestre, notamment vis-à-vis de la Hongrie et de la Pologne. Notre présidence a activé le mécanisme de conditionnalité sur l'État de droit, étendu la protection des journalistes, obtenu un accord au Conseil sur le financement et sur le statut des partis politiques européens, et soutenu la révision de la charte des droits fondamentaux pour y inclure l'avortement, ce qui a été repris par le Parlement européen.
Nous n'avons évité aucun débat ni accepté aucune compromission pour faire avancer notre agenda législatif.
La situation de l'État de droit en Pologne est suivie avec attention depuis plusieurs années, compte tenu de défaillances structurelles constatées en matière d'indépendance de la Justice. Une première suspension du plan national de reprise et de résilience (PNRR) a donné lieu à des engagements de la Pologne. Si le 1er juin, la Commission européenne a donné son feu vert au PNRR polonais, le 1er juillet, Ursula von der Leyen a considéré que les progrès étaient insuffisants pour débloquer le premier paiement. En effet, la loi polonaise ne garantit pas l'exclusion de poursuites disciplinaires contre un juge qui aurait mis en doute l'indépendance d'un autre juge. Le dialogue se poursuit et nous restons vigilants.
Monsieur Rapin, ne mélangeons pas le départ de M. Leggeri de Frontex - une enquête est en cours, elle concerne son cas personnel et a conduit à sa démission - et le nécessaire renforcement des moyens de Frontex depuis plusieurs années. Sous notre présidence, le recrutement de corps permanents de garde-frontières et de garde-côtes a été entériné, la procédure de signalement d'incidents graves a été renforcée et les renvois aux frontières sont montés en puissance.
Sur la réforme du pacte de stabilité et de croissance (PSC), la Commission européenne fera prochainement des propositions reposant sur plusieurs principes. Il s'agit d'abord d'instaurer une politique économique coordonnée pour conforter la stratégie de relance de l'Union et mettre fin aux goulets d'étranglement sur les prix, notamment de l'énergie.
La clause dérogatoire générale du PSC a été étendue jusqu'en 2023. Il faudra ensuite engager une trajectoire de désendettement, en tenant compte des choix de chaque pays. Nous nous inscrivons, après la flexibilité exigée par l'urgence, dans une approche de moyen terme, marquée par une plus grande prévisibilité.
L'appartenance a-t-elle été la grande absente de notre présidence ? Monsieur Rapin, j'entends vos regrets, mais l'appartenance faisait partie d'un triptyque au coeur de notre présidence. Vos regrets sont presque paradoxaux, alors que les peuples ukrainien, moldave et géorgien ont affirmé avec force leur volonté de rejoindre l'Union européenne. Nous sommes conscients que l'Union européenne reste trop souvent une entité considérée comme lointaine. Conquérir les coeurs et les esprits a été un des axes de notre présidence, notamment à travers les débats citoyens, et il faut aller plus loin. L'appartenance, c'est aussi la défense de nos valeurs et droits fondamentaux. Au cours de ce semestre, face à la guerre en Ukraine, le sentiment d'appartenance des Européens s'est accru.
Monsieur Laurent, l'accord entre l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande n'est pas un accord mixte, mais un accord relevant des compétences de l'Union européenne ; à ce titre, c'est au Parlement européen qu'il appartient de se prononcer. C'est par ailleurs l'accord le plus ambitieux en matière de développement durable que l'Union européenne ait jamais signé : il contient des clauses environnementales et protège nos filières agricoles sensibles ainsi que 200 indications géographiques. Je m'engage à venir vous le présenter.
Madame Guillotin, en matière agricole, notre action a été percutée par la guerre en Ukraine, mais elle a conforté trois objectifs cardinaux : produire d'abord, face à l'insécurité alimentaire entretenue par la Russie, et exporter ; ensuite, réduire nos dépendances, notamment vis-à-vis des intrants venus de Russie ou de Biélorussie (M. Laurent Duplomb maugrée.) et reconquérir notre autonomie stratégique ; enfin, contribuer à la lutte contre le réchauffement et pour la diversité. Ces trois objectifs ne sont pas incompatibles.
Le 23 mars, la Commission européenne a autorisé la mise en culture de jachères pour libérer de nouvelles capacités de production. Il faudrait, si la guerre s'inscrivait dans la durée, réfléchir à de nouvelles évolutions (M. Laurent Duplomb proteste.).
Nous avons veillé à maintenir nos marchés ouverts, notamment dans le cadre de l'OMC qui a interdit les restrictions à l'exportation. Nous avons également doté le programme alimentaire mondial (PAM) de moyens supplémentaires.
Nous devons protéger nos marchés contre des acteurs qui n'ont pas les mêmes standards environnementaux. C'est le sens des clauses miroir (nouvelles protestations de M. Laurent Duplomb) qui permettent d'assurer que les efforts demandés n'entraînent pas une perte de compétitivité pour les producteurs.
Croyez bien que je ne tomberai pas dans l'autosatisfaction, en laissant penser que rien n'aurait été fait avant nous. Nous avons pris l'Europe telle qu'elle nous était confiée ; nous avons essayé de la rendre en meilleur état. Le travail accompli n'a été possible qu'avec votre aide et avec le soutien de nos forces vives et de nos concitoyens.
Pour conclure, monsieur Marie, madame Guillotin, la transposition de l'accord de principe trouvé à l'OCDE sur la taxation du numérique n'a certes pas pu aboutir, mais le débat que vous appelez de vos voeux sur la réforme du fonctionnement de l'Union européenne, et notamment la fin de l'unanimité, portera aussi sur la fiscalité : nous nous en assurerons.
Les chantiers à venir sont nombreux et j'ai toute confiance en la présidence tchèque pour construire une Europe plus souveraine et plus unie, qui réponde aux attentes de nos peuples. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe INDEP ; M. Pierre Louault applaudit également.)
La séance est suspendue quelques instants.