SÉANCE
du mardi 12 juillet 2022
2e séance de la session extraordinaire 2021-2022
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : M. Dominique Théophile, Mme Corinne Imbert.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral publié sur le site internet du Sénat, est adopté.
Éloge funèbre de Catherine Fournier
M. le président. - (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent, ainsi que Mme la ministre.) C'est avec une profonde tristesse que nous avons appris, le 7 décembre dernier, la disparition de notre collègue Catherine Fournier, sénatrice du Pas-de-Calais. Elle nous a quittés à l'âge de 66 ans, à l'issue d'une longue et cruelle maladie contre laquelle elle s'est battue avec un courage incroyable. Jusqu'au bout, elle a continué à s'intéresser aux travaux de notre assemblée. Je me souviens avoir encore échangé avec elle à ce sujet, dans ses tout derniers jours.
J'étais présent à Fréthun, à ses obsèques. Ce fut une émouvante cérémonie d'adieu, à laquelle assistaient de nombreux élus et habitants de sa chère ville et du Pas-de-Calais.
Le don de soi et l'amour du prochain ont sans cesse guidé la vie de Catherine Fournier.
Née le 16 septembre 1955 à Boulogne-sur-Mer, elle a grandi près de Calais, à Fréthun, commune dont son père, René Hochart, que je salue ici, fut longtemps maire. C'est sans doute dans cet environnement familial, au cours des premières années de sa vie, que se forgèrent sa vocation pour le service de l'intérêt général et sa passion pour l'engagement public et politique.
Après un diplôme universitaire de gestion des entreprises et des administrations, obtenu à Lille, Catherine Fournier y fit ses débuts professionnels, dans le secteur des assurances.
Mais dès 1988, à l'âge de 33 ans, elle était de retour à Fréthun où elle fonda une entreprise gérant une résidence hôtelière sous forme pavillonnaire. Elle fut longtemps chef d'entreprise et illustra dans ces fonctions, déjà, l'engagement, en contribuant par exemple, à travers l'édification de motels, à loger des ouvriers et leur famille lors de la construction du tunnel sous la Manche.
Mais, ce don de soi, Catherine Fournier en apporta surtout le témoignage le plus éloquent dans l'exercice de ses différents mandats, et singulièrement son mandat de maire.
En 1995, sept ans après son retour à Fréthun, elle eut la fierté de succéder à son père à la mairie.
Brillamment réélue à trois reprises par la suite, toujours avec de très beaux scores - 90 % au premier tour en 2008 - elle allait rester maire pendant 22 ans. Elle renoncera à ce mandat en 2017, après son élection au Sénat, pour se mettre en conformité avec la législation sur le cumul des mandats.
Pendant plus de deux décennies, elle mit toute son énergie et sa générosité au service des habitants de Fréthun. Elle oeuvra avec beaucoup d'efficacité pour l'emploi et l'aménagement du territoire. Elle s'investit à fond dans le dossier de la gare internationale de Calais-Fréthun, point d'entrée du tunnel sous la Manche. Grâce à son action, la ville s'est métamorphosée, en se développant autour de cette gare TGV internationale et des installations d'Eurotunnel.
Profondément enracinée dans sa commune, Catherine Fournier l'était aussi dans son département et sa région. Élue conseillère générale du Pas-de-Calais de 2006 à 2008, puis conseillère régionale à partir de 2015, aux côtés de Xavier Bertrand, elle contribua au dynamisme économique de la région. Elle exerça en outre d'importantes responsabilités dans les intercommunalités : vice-présidente de la communauté de communes du Sud-ouest du Calaisis puis vice-présidente de l'agglomération du Grand Calais Terres et Mers.
Catherine Fournier ne fut pas seulement une élue locale exemplaire ; elle fut aussi une grande sénatrice.
Son entrée au Sénat, en septembre 2017, marquera sa vie politique.
Après avoir sillonné le Pas-de-Calais au cours de la campagne pour les élections sénatoriales, allant de mairie en mairie aux côtés de Jean-François Rapin et du regretté Philippe Rapeneau, elle a défendu avec passion, au sein de notre assemblée, sa commune, le Calaisis et son département du Pas-de-Calais.
Dès son arrivée, nous avons apprécié cette femme souriante et chaleureuse, dont les premières interventions dans l'hémicycle furent écoutées avec beaucoup d'attention.
Catherine Fournier adhéra au groupe Union Centriste et devint membre de la commission des affaires sociales.
Particulièrement assidue aux réunions de commission, elle se plongea très rapidement dans les travaux législatifs et fut nommée, dès juin 2018, co-rapporteure de l'important projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, sur le volet relatif à la formation professionnelle.
En octobre de la même année, elle devint présidente de la commission spéciale sur le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises. Elle exerça cette lourde responsabilité avec pragmatisme et engagement, menant à bien, dans des délais brefs, l'examen de ce texte fleuve et quelque peu hétéroclite, qui a donné lieu à près de 360 auditions et débouché sur la loi dite Pacte, riche de plus de 200 articles. Par sa maîtrise des sujets - souvent techniques -, par son sens du dialogue, elle sut immédiatement susciter l'estime et le respect de ses collègues. J'ai en particulier le souvenir de ses interventions en conférence des Présidents.
En 2020, elle participa à la commission spéciale sur le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique.
Catherine Fournier s'impliqua également dans les travaux de contrôle et d'évaluation des politiques publiques. Avec deux de ses collègues membres de la commission des affaires sociales, Michel Forissier et Frédérique Puissat, elle fut l'auteure d'un rapport d'information, remarqué par sa grande qualité, sur le droit social applicable aux travailleurs des plateformes. Elle y a formulé d'intéressantes propositions pour améliorer la protection sociale de ces travailleurs qui se trouvent souvent dans des situations particulièrement précaires.
Elle s'est aussi mobilisée sur le sujet de la pénurie de médicaments, l'un des effets de la crise sanitaire, plaidant alors pour une mutualisation européenne de l'industrie pharmaceutique.
Elle s'est en outre beaucoup investie au sein de la délégation aux entreprises.
À la suite du renouvellement de 2020, Catherine Fournier rejoignit la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes, dont les présidents, Sophie Primas et Jean-François Rapin, peuvent témoigner de la finesse de ses analyses et de sa bonne connaissance des dossiers économiques et sociaux.
Lors des questions d'actualité au Gouvernement, elle s'illustrait par sa pugnacité, qu'il s'agisse de l'apprentissage, de l'impact de la pêche industrielle sur l'écosystème ou encore du Brexit.
Catherine Fournier a toujours eu à coeur de défendre son territoire. Elle s'est battue avec acharnement pour que soient conservés les arrêts de l'Eurostar à Fréthun, tout comme elle s'est battue pour les droits des pêcheurs français lors des négociations du Brexit.
Sa dernière intervention dans notre hémicycle, il y a un peu plus d'un an, fut pour défendre la mise en place d'un statut adapté à la spécificité de la liaison fixe transmanche, à l'instar de celui des ports et des aérodromes.
Au fond, elle ne cédait rien. Je repense à cette phrase du Général de Gaulle : « Soyons fermes, purs et fidèles : au bout de nos peines, il y a la plus grande gloire du monde, celle des femmes et des hommes qui n'ont pas cédé ». Catherine Fournier n'a jamais cédé ; toute sa vie, jusqu'au bout, elle aura conservé la même ténacité, la même droiture.
Passionnée par la vie politique, mais aussi par les voyages ou la musique, c'était, de l'avis de tous ceux qui l'ont connue, une femme travailleuse, compétente, courageuse et persévérante, mais aussi profondément bienveillante, généreuse et charismatique.
Je la vois encore en face de moi, dans cet hémicycle. Une sénatrice chaleureuse, une élue de proximité, une véritable humaniste, dotée d'une profonde empathie envers les autres.
À ses anciens collègues des commissions des affaires sociales, des affaires économiques et des affaires européennes, à ses amis du groupe de l'Union centriste, au président Marseille et à Valérie Létard, qui étaient avec moi dans l'église de Fréthun, j'exprime notre sympathie attristée.
À son père, René, ancien maire de Fréthun, à son époux, Jean-Claude, à ses enfants Antoine et Anne, à sa soeur Michèle, à ses proches, ainsi qu'à toutes celles et tous ceux qui l'ont accompagnée tout au long de sa vie et ont partagé ses engagements, je souhaite redire la part que le Sénat prend à leur deuil. Votre peine est aussi la nôtre. Nous avions noué avec elle des liens d'estime et d'amitié dès la première rencontre.
Catherine Fournier restera présente dans nos mémoires.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. - Il me revient le funeste honneur de rendre hommage à votre très regrettée collègue. Je le fais sous son regard bleuté, où transparaît sa force de caractère. (Mme la ministre indique le portrait de Catherine Fournier installé à sa place.)
Catherine Fournier, un nom qui porte en lui le vent du littoral et des embruns de la mer du Nord. Elle était du Pas-de-Calais de naissance et de coeur, et fière de cet héritage.
Née à Boulogne-sur-Mer, citadelle ouverte sur le monde, elle a grandi dans sa commune rurale de Fréthun, qu'elle ne quittera jamais longtemps. Son DUT de finance en poche, elle y retourne pour lancer une entreprise de tourisme qu'elle gérera jusqu'en 2004.
En tant que chef d'entreprise, elle a beaucoup contribué au développement économique de ce territoire, en lien avec le Royaume-Uni.
Mais sa vie, c'était aussi et surtout la politique au service de son territoire, des habitants de sa commune, de son département, de sa région. Car elle était aussi du Pas-de-Calais de coeur et d'engagement.
En 1995, comme une évidence, elle reprend le flambeau de la mairie de Fréthun des mains de son père René Hochart. Maire exemplaire pendant 22 ans, elle y fait naître une école, un stade de football, un complexe sportif, de nouveaux logements. La gare internationale de Calais-Fréthun est l'un des combats de sa vie, qui met Bruxelles à une heure, et Londres à trente-cinq minutes pour les véhicules. On doit ce succès à son engagement constant sur le projet d'Eurotunnel.
Membre de la commission « Au travail » au sein du conseil régional, elle défend ses convictions en faveur de la réindustrialisation et de l'emploi. Ses derniers combats, elle les mène ici au Sénat, où elle est élue en 2017, au sein de la commission des affaires sociales, des affaires européennes, des affaires économiques, et enfin de la délégation sénatoriale aux entreprises. Elle y a défendu notre modèle économique, notamment au sein de la commission spéciale sur la loi Pacte. Sa droiture, sa rigueur et sa bienveillance en ont alors fait une présidente respectée de tous.
Elle s'est engagée sur la question des travailleurs des plateformes, à travers un rapport exigeant et complet, mais aussi sur les sujets qui touchent son territoire, comme les conséquences du Brexit sur les pêcheurs de la Côte d'Opale.
Nous avions travaillé ensemble sur le dossier de l'usine Bridgestone de Béthune, et j'ai pu mesurer la sincérité de son engagement et son humanité. Avec son concours, nous avions mis en place le premier dispositif « chocs industriels », qui a permis le reclassement de la plupart des salariés et donné un nouvel élan industriel au territoire.
Catherine Fournier incarnait la belle politique, celle des convictions, des combats pour les autres. Toujours au contact des réalités du terrain, elle donnait une vocation universelle au local. Elle était accessible et à l'écoute.
Elle portait en elle l'âme du Pas-de-Calais, dans toutes ses composantes - un territoire qui aura forgé ses convictions. C'était une femme que l'on n'oubliera pas, attachante, humaine, franche. Sa forte personnalité nous aura marqués. Sur tous les bancs, on évoquait sa capacité d'écoute, mais aussi sa fermeté, sa volonté de faire avancer les choses.
C'est avec ce même courage, cette même force qu'elle a affronté la longue maladie qui a fini par l'emporter. Au nom du Gouvernement, et avec beaucoup de tristesse, en y associant Olivia Grégoire, Gérald Darmanin et Bruno Le Maire, qui la connaissaient de longue date, j'adresse mes plus profondes condoléances à son époux, qui l'a accompagnée jusqu'au bout, à ses enfants qu'elle aimait par-dessus tout, à sa famille, à ses proches, aux habitants de Fréthun, à vous, ses collègues de l'Union centriste et de tous les bords.
Souvenons-nous de son sourire solaire, de ses valeurs, de ses combats.
M. le président. - Je vous invite maintenant à partager un moment de recueillement à la mémoire de Catherine Fournier. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre, observent une minute de silence.)
En signe d'hommage à Catherine Fournier, nous allons suspendre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue à 14 h 50.
présidence de M. Alain Richard, vice-président
La séance reprend à 15 h 15.