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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
M. Jean Castex, Premier ministre
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères
Mme Florence Parly, ministre des armées
M. Olivier Dussopt, ministre délégué, chargé des comptes publics
SÉANCE
du mardi 1er mars 2022
65e séance de la session ordinaire 2021-2022
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Esther Benbassa, M. Pierre Cuypers.
La séance est ouverte à 19 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral, est adopté.
Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat sur cette déclaration, en application de l'article 50-1 de la Constitution, relative à la décision de la Russie de faire la guerre à l'Ukraine
M. le président. - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat sur cette déclaration, en application de l'article 50-1 de la Constitution, relative à la décision de la Russie de faire la guerre à l'Ukraine.
Alors que l'armée russe intensifie en ce moment même ses attaques en bombardant Kharkiv, en resserrant son étau autour de Kiev, en donnant l'assaut à Marioupol, et en prenant pour cibles les populations civiles, je souhaite que nous rendions ensemble hommage à la résistance du président Zelensky, des autorités et du peuple ukrainiens, qui affrontent avec bravoure l'invasion de leur pays. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement sur toutes les travées.)
C'est pour cette raison que j'ai voulu la présence, dans notre hémicycle, du drapeau de l'Ukraine, aux côtés des drapeaux français et de l'Union européenne.
Je voudrais adresser en votre nom à tous un salut fraternel au Président de la Rada de la République d'Ukraine, M. Ruslan Stefanchuk, et à nos collègues parlementaires ukrainiens. Le parlement ukrainien a toute sa place dans la grande famille du parlementarisme européen.
J'aurais dû m'entretenir cet après-midi même avec le Président de la Rada, mais il a dû se mettre à l'abri des bombardements au moment même où nous devions avoir notre conversation téléphonique.
Dans l'hémicycle du Sénat, le 25 février, à l'initiative de notre collègue Christian Cambon et de la commission qu'il préside, et en présence de l'ambassadeur d'Ukraine en France, les commissions des affaires étrangères et de la défense des parlements des 27 États membres de l'Union européenne et du Parlement européen ont adopté, par consensus, une déclaration solennelle de solidarité à l'égard de l'Ukraine. Cette déclaration intervenait dans le cadre du volet parlementaire de la Présidence française de l'Union européenne (PFUE).
Au-delà de la manifestation de solidarité, la déclaration adoptée s'est voulue exigeante, demandant aux gouvernements européens et à la Commission européenne d'intensifier encore les mesures prises à l'encontre de la Russie et d'amplifier le plan de soutien au gouvernement ukrainien, qu'il s'agisse de l'aide humanitaire, des mécanismes de protection civile, ou de la fourniture à l'Ukraine de tous les moyens nécessaires, y compris militaires.
En cet instant de gravité, il importe que nous soyons à la hauteur des circonstances. Car les destins de l'Ukraine et de l'Union européenne sont intimement liés : en Ukraine se jouent aussi la sécurité et les valeurs de l'Union européenne. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du groupe CRCE)
M. Jean Castex, Premier ministre . - (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du groupe CRCE) En décidant, dans la nuit du 23 au 24 février, de déclencher une attaque militaire massive contre l'Ukraine, la Fédération de Russie a commis un acte de guerre qui enfreint toutes les règles du droit international, rompt avec tous ses engagements et surtout bafoue les valeurs de paix et de liberté sur lesquelles le continent européen a construit son équilibre depuis plusieurs décennies.
Comme le Président de la République l'a souligné, nous faisons face à une situation de guerre mais également à un « tournant dans l'histoire de l'Europe et de notre pays ».
Je veux le redire ici d'emblée : la France condamne de la manière la plus absolue cette agression cynique et préméditée.
En ces instants tragiques, je veux redire tout notre soutien au peuple ukrainien qui vit des moments terribles, ainsi qu'à toutes les victimes de ce drame, absolument inconcevable entre deux pays voisins en Europe au XXIe siècle. Je veux également dire mon admiration au président Zelensky qui, depuis Kiev assiégée, mène le combat et fait face avec courage, responsabilité et dignité. Je veux enfin saluer le travail remarquable de nos agents de l'ambassade de France en Ukraine, et plus largement celui des agents de l'État qui, jour et nuit, se relaient pour porter assistance aux Français et marquer notre soutien aux autorités ukrainiennes. Cette équipe, sous l'autorité de notre ambassadeur Étienne de Poncins, oeuvre dans des conditions particulièrement difficiles. Pour des raisons de sécurité de nos agents, elle s'est déplacée hier de Kiev à Lviv. Nous restons extrêmement attentifs à sa protection.
La gravité de la situation m'a conduit à proposer dès la semaine dernière aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, aux présidents de groupes et des commissions compétentes des deux assemblées de réunir sans délai un comité de liaison, qui nous a permis de partager vendredi dernier des informations importantes et de répondre à l'essentiel des questions qu'ils ont bien voulu nous soumettre. J'ai invité hier, dans le même esprit, les candidats à l'élection présidentielle.
J'ai souhaité également et évidemment répondre à la demande légitime que la représentation nationale tout entière puisse s'exprimer sur ce sujet de la plus haute importance, ce qui me conduit à vous soumettre aujourd'hui une déclaration au titre de l'article 50-1 de la Constitution portant sur le conflit en Ukraine. Cette déclaration sera suivie d'un débat.
Mesdames et messieurs les sénateurs, la France n'a pas ménagé ses efforts ces dernières semaines ni ces derniers mois, pour faire valoir, jusqu'au bout, la voie de la raison et de la paix.
Telle est d'ailleurs la ligne constante qu'a suivie notre diplomatie vis-à-vis de la Russie du président Poutine depuis le président Chirac. Ce fut le cas dans le cadre du conflit en Géorgie avec le président Nicolas Sarkozy. Ce fut le cas encore pour l'Ukraine depuis le premier jour des tensions, en 2013, et dans la suite des accords de Minsk de 2014, signés alors que le président Hollande était à l'Élysée.
En tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, en tant que présidente en exercice du Conseil de l'Union européenne, au regard aussi de ce que sont ses valeurs et l'idée qu'elle se fait de la paix et du mode de résolution des conflits, la France se devait d'assumer son rôle. Les initiatives prises par le chef de l'État se sont multipliées, en liaison étroite avec nos partenaires européens et les États-Unis.
Ces efforts n'ont pas abouti ; Vladimir Poutine a non seulement déchiré les Accords de Minsk mais il a aussi rompu tous ses engagements qu'il avait pris dans les derniers jours. Il en porte la pleine et entière responsabilité.
Évidemment, la France n'a jamais sous-estimé le risque du scénario du pire. Nous observions avec nos partenaires et alliés le déploiement progressif d'un dispositif militaire massif en Biélorussie, aux frontières de l'Ukraine, en mer Noire : plus de 150 000 hommes, équipés des moyens les plus modernes. Un dispositif militaire dont Vladimir Poutine assurait qu'il se retirerait une fois les exercices terminés, tout en appelant au dialogue diplomatique sur des garanties de sécurité pour la Russie et tout en répétant que la Russie ne s'apprêtait pas à envahir l'Ukraine.
Vladimir Poutine a menti. Il a menti au Président de la République, il a menti à la communauté internationale, il a menti à son propre peuple : non, aucun génocide n'a eu lieu contre les populations russophones du Donbass ; non, il n'y a pas d'armes nucléaires sur le sol ukrainien ; non, M. Zelensky n'est pas à la tête d'un régime nazi, terme particulièrement infâme quand il est appliqué à un pays pleinement démocratique.
La suite, vous la connaissez. Le 21 février, les masques sont tombés. La reconnaissance par le président de la Fédération de Russie des deux régions séparatistes de l'est de l'Ukraine, l'ordre donné aux forces russes d'occuper ces territoires et l'invasion de l'ensemble du territoire ukrainien depuis la Russie, la Crimée et la Biélorussie constituent le premier acte de cette crise qui sera sans doute longue.
Vladimir Poutine a fait le choix de la guerre. Il a fait le choix de vouloir inverser le cours de l'Histoire et de revenir sur les acquis qui avaient suivi la fin de l'Union soviétique. Il a pris le prétexte de la situation dans la région du Donbass pour violer la souveraineté territoriale et chercher à renverser le gouvernement légitime d'un pays de 44 millions d'habitants.
Face à cette agression inacceptable, il convient de réagir dans l'unité et dans la durée pour à la fois soutenir nos amis ukrainiens et ne pas laisser cet acte de guerre sans réponse ni conséquence. Nous devons pour cela, mesdames et messieurs les sénateurs, nous appuyer sur quatre principes d'action.
Le premier principe, c'est la fermeté.
D'abord dans l'enceinte des Nations unies : la résolution présentée en urgence devant le Conseil de sécurité n'a pas été adoptée en raison du droit de veto russe mais elle a permis de démontrer l'isolement de la Russie, de même que les échanges en assemblée générale qui ont suivi et donné lieu à une condamnation ferme par la communauté internationale.
Ensuite par la mise en place de plusieurs trains de sanctions que nous avons voulu prendre très rapidement.
Le Conseil européen, sous présidence française, a ainsi approuvé trois paquets de sanctions les 23, 25 et 27 février. Ces mesures prises en coordination avec nos alliés couvrent un éventail large des activités économiques russes.
Tout d'abord, nous avons décidé d'assécher la capacité de financement extérieur de l'économie russe. Depuis hier 4 heures du matin, toutes les transactions avec les réserves de la Banque centrale russe sont interdites, et les avoirs de la Banque centrale russe détenus à l'étranger sont gelés.
Cette mesure est complétée par l'interdiction imposée à la majorité des banques russes d'accéder à la messagerie de transmission des paiements Swift. Ce paquet de sanctions financières est inédit par son ampleur, et ses effets sont déjà palpables : le rouble a dévissé de près de 30 % à l'ouverture des marchés lundi matin.
L'Union européenne a également fermé l'intégralité de son espace aérien aux aéronefs et aux compagnies aériennes russes, y compris l'aviation d'affaires.
En outre, les avoirs et les ressources économiques détenues et contrôlées par les personnes sur lesquelles s'appuie le pouvoir de Vladimir Poutine ont été gelés. Toutes les personnes visées, très précisément 476 à ce jour, ne pourront plus accéder à leurs avoirs détenus dans les pays - y compris, vous l'aurez bien noté, la Suisse et Monaco, depuis aujourd'hui - qui ont pris ces sanctions, et ne pourront plus s'y rendre. Vladimir Poutine fait d'ailleurs partie de la liste des personnes sous sanction, tout comme Sergueï Lavrov.
Par ailleurs, les différentes coopérations entre l'Union européenne et la Russie, dans les domaines industriel, scientifique, culturel ou sportif sont suspendues.
Le Conseil européen a également demandé la préparation d'un paquet de sanctions - ce sera le quatrième - contre la Biélorussie, qui a pris une part très active dans l'agression. Et les échanges se poursuivent pour aller plus loin. Nous y sommes prêts. L'essentiel était d'agir rapidement, de bien cibler nos mesures pour qu'elles produisent un effet massif sur l'économie russe, à court terme bien sûr, mais aussi et surtout dans la durée, quitte à les durcir encore par étapes au cours des prochains jours.
Évidemment, ces sanctions ne seront pas indolores pour nos économies européennes. Nous le savons et nous devons l'assumer, sauf à se contenter de mesures sans réelle portée. Bien sûr, nous savons que la Russie arrêtera à son tour des contre-mesures, mais nous y sommes prêts. Et nous allons accompagner nos concitoyens et les entreprises françaises afin de supporter les impacts économiques de ces mesures, notamment les probables tensions sur les approvisionnements et sur les prix de certains produits. À la demande du Président de la République, le Gouvernement prépare à cet effet un plan de résilience qui sera finalisé dans les tout prochains jours. S'il demandait des mesures législatives, il supposerait la convocation du Parlement.
Je pense en particulier à certaines de nos filières industrielles - nous procédons à un recensement précis actuellement - et agricoles. Je pense aussi aux ménages, en tant que consommateurs d'énergie d'autant qu'ils sont très impactés depuis plusieurs mois par un mouvement de hausse très important. Pour tous ces acteurs de notre vie économique et sociale, des mesures très fortes de protection ont déjà été prises depuis septembre dernier et vous avez eu à débattre de la plupart d'entre elles. Le bouclier tarifaire sur les prix de l'énergie a ainsi permis de consacrer plus de 16 milliards d'euros à la protection de nos concitoyens et de nos entreprises face à la hausse des prix de l'énergie. Ces mesures d'accompagnement et de protection seront prolongées et renforcées autant que nécessaire, sur la base des travaux d'analyse en cours.
Mais c'est bien la Russie qui va souffrir le plus des conséquences de ces sanctions. La guerre unilatérale et injustifiée que Vladimir Poutine a déclenchée aura un coût indéniable pour lui et ses soutiens.
Le deuxième principe de notre action, c'est la solidarité avec le peuple et le gouvernement ukrainiens. Cette solidarité, le Président de la République l'a réitérée au président Zelensky lors de leurs entretiens quasi quotidiens.
Cette solidarité, nous l'exprimons symboliquement par le maintien de notre représentation diplomatique et par l'attention permanente que nous portons à nos ressortissants. Ce sont environ un millier de nos compatriotes - sans doute moins, ce soir - qui vivent encore en Ukraine. Nous sommes en contact avec la plupart d'entre eux et 255 ont déjà été évacués du pays sous la supervision du centre de crise activé au Quai d'Orsay, sous l'autorité du ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Des équipes consulaires ont été déployées aux postes frontières dans les pays limitrophes, pour accueillir nos concitoyens qui veulent et peuvent quitter le pays. Hier, vous le savez, la possibilité de quitter Kiev par la route du sud leur a été signalée et ce matin encore, ils étaient 252 à avoir fait ce choix.
Nous exprimons aussi notre soutien par un appui économique renforcé portant sur 300 millions d'euros d'aide immédiate. Nous soutenons également les forces armées ukrainiennes avec des livraisons de carburant et de matériel militaire, y compris de l'armement, en liaison avec nos partenaires européens. Nous continuerons de le faire aussi longtemps que nécessaire.
Nous nous préparons, au niveau de l'Union européenne, à faire face aux conséquences humanitaires de cette crise. Je pense, évidemment, en particulier à l'afflux de réfugiés dont on peut craindre qu'il soit massif. Le mécanisme de protection civile de l'Union européenne a été activé. Dans ce cadre, 33 tonnes de matériel humanitaire parties de Paris sont déjà arrivées à la frontière ukrainienne. Les acheminements se poursuivent cette semaine, incluant de l'aide médicale.
La France soutiendra aussi les pays frontaliers de l'Ukraine qui accueilleront les réfugiés et nous proposerons dans le cadre de la Présidence de l'Union un dispositif de solidarité qui permette une juste répartition des efforts d'accueil de ces réfugiés entre les pays de l'Union. Je veux à ce stade aussi, pour m'en réjouir, souligner la forte mobilisation spontanée de nos concitoyens, des collectivités territoriales, du milieu associatif, pour apporter une aide humanitaire au peuple ukrainien. Cet élan de générosité fait honneur à la France et l'État, bien entendu, l'accompagne.
Troisième principe de notre action, l'unité. Tout ce que nous faisons, nous le décidons conjointement avec nos partenaires, soit au sein de l'Alliance atlantique, soit au sein de l'Union européenne. Vous l'avez vu et constaté comme tous nos concitoyens : la réponse de l'Europe a été rapide. La réponse de l'Europe a été forte. Et nous entendons amplifier encore cette réponse. Cette unité, cette rapidité, cette intensité ont surpris, y compris sans doute le président Poutine. Cette unité, cette rapidité, cette intensité sont inédites. Nous pouvons être fiers de l'Europe. Nous pouvons être fiers du rôle que la présidence française a pu jouer pour la stimuler. Car la France, le Président de la République et le Gouvernement sont à la manoeuvre et à l'initiative.
Tout cela nous montre le cap et l'enjeu : faire des Européens les acteurs de leur sécurité collective et renforcer leur souveraineté. Cet enjeu que la France porte depuis longtemps - ai-je besoin de faire référence ici au discours prononcé par le Président de la République à la Sorbonne ? - cet enjeu sera au coeur du prochain Conseil européen des 10 et 11 mars prochains, qui examinera notamment le projet de boussole stratégique que nous avions placé dès avant le début de cette crise au premier rang des priorités de la présidence française.
Le quatrième principe enfin, sans doute le plus difficile en ce moment, c'est le maintien du dialogue. Comme je vous l'ai déjà dit, la diplomatie française n'a pas ménagé ses efforts pour éviter cette crise et chercher le chemin de la désescalade. Le Président de la République s'est personnellement engagé et continue inlassablement à le faire. Nous restons persuadés que la diplomatie a encore toute sa place pour mettre fin à la guerre et nous continuerons de dialoguer avec tous les protagonistes de cette crise, sans relâcher nos efforts et, bien entendu, sans céder sur les principes du droit et du respect de la souveraineté des États.
Car le dialogue est indispensable. Mais si Vladimir Poutine ou ses collaborateurs souhaitent négocier, ils doivent d'abord faire taire les armes. Encore hier, le Chef de l'État s'est entretenu longuement avec le président russe. Il a réitéré la demande de la communauté internationale d'un cessez-le-feu immédiat. Il a appelé au respect du droit international humanitaire et de la protection des populations civiles comme de l'acheminement de l'aide, conformément à la résolution portée par la France au Conseil de sécurité des Nations unies.
Mesdames et messieurs les sénateurs, cette crise sera longue et aura des conséquences majeures sur l'avenir de l'Europe mais pour autant c'est bien le droit, la paix et la démocratie qui devront à la fin en sortir vainqueurs.
Nous sommes en train d'assister au premier acte, qui n'est pas terminé et qui fait apparaître à la fois le déséquilibre des forces en présence mais aussi le courage admirable du peuple ukrainien et la mobilisation inédite de la communauté internationale.
Nous avons toujours été clairs et nos amis ukrainiens l'ont d'emblée compris : un pays comme la France ne peut recourir à la force que si elle est directement attaquée ou dans le cadre des systèmes d'alliance dont elle fait partie. L'Alliance atlantique dont nous sommes membres est une alliance défensive. Elle se défend lorsque l'un de ses membres est agressé et l'Ukraine, vous le savez, n'est pas membre de l'OTAN.
Mais il n'y a aucun doute que nous serions amenés à nous engager militairement dans la protection de nos alliés de l'est de l'Europe si le conflit devait connaître d'autres extensions au-delà du territoire ukrainien dans les pays membres de l'Alliance.
Le Président de la République a d'ores et déjà décidé de renforcer notre participation au dispositif de l'OTAN dans les pays baltes, en Pologne et en Roumanie. Tout en restant engagée dans l'approfondissement de l'Europe de la défense, la France tient sa place de membre actif, solidaire et impliqué dans l'Alliance atlantique. Je rappelle à la représentation nationale que nos forces armées participent sans interruption depuis 2017 à la réassurance de nos alliés orientaux, notamment dans les pays baltes où notre engagement va se poursuivre à terre et dans les airs. Nous allons également prendre la tête, en tant que nation-cadre, d'un bataillon multinational qui va se déployer cette semaine en Roumanie.
Nous le faisons car nous le devons, et car nous le pouvons. Nous le pouvons, en large part, je le rappelle à la représentation nationale et à tous nos concitoyens, parce que le Président de la République a su donner depuis 2019 une inflexion forte aux moyens affectés à notre défense nationale. (Murmures à droite) La loi de programmation militaire a programmé 31 à 41 milliards d'euros par an. (Les murmures de désapprobation se font plus insistants sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous devons désormais tout mettre en oeuvre, collectivement, pour écrire les actes suivants de cette crise. Elle va s'inscrire dans le temps long. Le peuple russe va être, lui aussi, la victime collatérale des décisions de Vladimir Poutine. Peut-être n'en a-t-il pas encore conscience, abreuvé par une propagande médiatique qui travestit la réalité des faits. Je ne suis pas certain que ce soit le destin qu'il ait choisi car le peuple russe est un grand peuple.
Les efforts de guerre qu'il faudra payer, les sanctions économiques subies, la mise au ban des nations vont appauvrir et affaiblir la Russie, au détriment de son peuple qui n'a évidemment pas été consulté avant la décision prise par son président. Nous devons donc nous adresser au grand peuple russe et clairement mener la bataille de la communication, là encore dans un cadre partenarial, comme nous avons commencé à le faire avec les chaînes d'information - ou plutôt de désinformation - contrôlées par le pouvoir russe.
Mesdames et messieurs les sénateurs, vous l'aurez compris, l'agression de l'Ukraine par les forces de Vladimir Poutine va bien au-delà d'un simple conflit entre deux pays. Cette agression qu'il qualifie dans son narratif « d'opération militaire » est une atteinte aux principes les plus fondamentaux du droit international, de souveraineté et d'intégrité des États. Ces bruits de bottes à l'est de l'Europe nous replongent dans des périodes de l'Histoire que nous pensions durablement derrière nous.
À cela, nous voulons répondre différemment et collectivement, en privilégiant la plus grande fermeté dans nos actions, l'unité entre alliés et partenaires européens, et surtout la solidarité avec le peuple ukrainien et ses dirigeants - qui par leur résistance, leur dignité, leur courage forcent notre admiration et nous obligent. Nous devrons être à leurs côtés pour les soutenir, aujourd'hui et demain, par tous les moyens utiles.
À la fin des fins, nous devrons toujours chercher à privilégier l'arme de la diplomatie, la seule qui vaille dans nos démocraties. Nous le ferons en nous adressant aux peuples russe et ukrainien, qui composent deux peuples matures et à qui nous rappellerons incessamment que la voie de la force et de l'impérialisme finit toujours par conduire à l'impasse.
Si aujourd'hui les chars russes envahissent Kiev et non pas Budapest ou Prague, c'est justement parce que l'Europe a su construire avec ses partenaires, autour d'aspirations communes, un ensemble sûr, uni, prospère. Le peuple ukrainien aspire, dans sa majorité, à rejoindre cet ensemble, à s'associer à ce mouvement. Ce mouvement reprendra car c'est le sens de l'Histoire. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du groupe CRCE)
M. Bruno Retailleau . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Olivier Cigolotti, Hervé Maurey et Mme Annick Billon applaudissent également.) La guerre est de retour en Europe, avec ces images qui nous semblaient être du passé : les sirènes hurlantes dans les villes, la population qui se masse sous terre, les civils jetés sur les routes de l'exode. L'Histoire se rappelle à nos mémoires. Dans toute la France, l'émotion est légitime.
Nous sommes parlementaires, et nous nous tiendrons à notre devoir d'unité. Je ne détournerai pas mon propos vers une ligne plus politique, et me concentrerai sur deux questions : que faire maintenant ? Que penser de cette guerre ? Le Président de la République a parlé à juste titre d'un tournant : quel sera le monde d'après ?
Que faire ? Il faut parler clair et désigner l'agresseur. Aucune erreur occidentale ne saurait expliquer ni excuser l'agression de Poutine contre un État libre et indépendant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit également.)
Cette agression a été habillée par une rhétorique grossière, avec ces termes de « dénazification » et « génocide » ; la dernière fois que Kiev a été attaquée, c'était en 1941 par les nazis, justement... L'Holodomor, le massacre par la famine, l'Ukraine l'a connu en 1932, sous Staline. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Martin Lévrier applaudit également.)
L'Ukraine est une démocratie, voilà ce que Poutine ne supporte pas. À la fin de cette année, certains fêteront le centième anniversaire de l'URSS ; c'est ce moment qu'il a choisi pour laver la grande humiliation de l'effondrement de l'Union soviétique. « Ceux qui ne regrettent pas l'effondrement de l'URSS n'ont pas de coeur, ceux qui veulent la reconstituer n'ont pas de cerveau », disait-il en 2005...
Nous devons mener une guerre informationnelle, suivant l'exemple magnifique et spectaculaire du président Zelensky qui se filme au portable devant des bâtiments publics de Kiev. Il faut dissocier les dirigeants russes et le peuple russe, un grand peuple, qui nous a donné parmi les plus grands écrivains, Tolstoï, Dostoïevski, Soljenitsyne, sans oublier Andreï Makine, prix Goncourt et Médicis en 1995.
Poutine a parié sur notre incapacité à défendre nos valeurs et nos intérêts, pensant que nous nous en tiendrions à des indignations outragées. Il s'est trompé. De Gaulle a dit que « tout recul a pour effet de surexciter l'adversaire ». Poutine réagit ainsi. Avec lui, il faut un vrai rapport de force, il ne comprend que la force. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. André Gattolin applaudit également.)
Que faire ?
Je trouvais les sanctions trop graduelles la semaine dernière. Mais depuis ce week-end, elles sont massives. Je m'en félicite. Elles sont la mesure de notre détermination. Elles sont efficaces.
Nous allons en pâtir, nous aussi. Il sera légitime cette fois de convoquer le « quoi qu'il en coûte » ! Personne ne veut mourir pour Kiev et nous ne voulons pas ajouter une guerre mondiale à une guerre régionale. Mais nous sommes prêts à nous mettre dans la gêne pour l'Ukraine, car nous ne voulons pas d'un « monde sans Histoire », pour reprendre le mot de Vaclav Havel, un monde seulement occupé aux petits soucis privés.
Il faut renforcer les positions orientales de la France, en Estonie et en Pologne par exemple. C'est un beau message d'unité. Le président russe aura réussi à réveiller l'OTAN, que l'on disait en état de mort cérébrale, voire à créer l'Ukraine, pour ceux qui croyaient qu'elle n'existait pas encore - je n'en suis pas...
L'élan est en tout cas inédit.
Nous devons soutenir le peuple ukrainien, sous toutes les formes possibles. Il faudra accepter de recevoir des réfugiés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; MM. Martin Lévrier et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
Pour ce qui est d'une adhésion accélérée de l'Ukraine à l'Union européenne, ce pourrait être contreproductif, et pour l'Ukraine, et pour l'Europe, qui se diluerait par élargissements successifs. Il ne faut pas jeter d'huile sur le feu ; il y a beaucoup de moyens d'aider l'Ukraine. Une possibilité de désescalade ne doit pas être oubliée. Nous, parlementaires, responsables publics, devons aussi veiller au choix de nos mots, et faire preuve de mesure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Hervé Maurey et Olivier Henno applaudissent également.)
L'ordre de la paix internationale d'après la Deuxième Guerre Mondiale est chancelant. Il faudra être très imaginatif. Vingt et un ans après les attentats du 11 septembre, nous entrons dans le XXIe siècle, mais avec les institutions du XXe. Il va falloir refonder le multilatéralisme. « Ami, allié, mais non aligné », comme disait Hubert Védrine. Quand j'entends le chancelier allemand, je comprends que nous sommes face à une occasion unique de construire une défense européenne. La France est le seul État d'Europe à détenir un siège au Conseil de sécurité des Nations unies, ainsi que l'arme nucléaire.
L'Europe a connu un réveil brutal. Nous avons cru comme Benjamin Constant que l'âge de la guerre était passé, qu'il avait laissé place à l'âge du commerce. Mais des rapports de force archaïques sont de retour. Il faut restaurer notre souveraineté énergétique ou alimentaire, affaiblie par le programme européen Farm to Fork (applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains), et rappeler au juge européen que la directive sur le temps de travail appliquée à nos militaires est un non-sens en l'absence de transfert de compétence en la matière. (Même mouvement) Il nous faut de grands programmes d'armement, en coopération avec les Britanniques et les Allemands.
Penser la puissance, c'est aussi écarter le fédéralisme, car les Nations sont les dépositaires de la volonté des peuples.
Je le dis solennellement. Le Président de la République a eu raison de parler de tournant historique. Il nous faut trouver un chemin français, celui de la souveraineté, de la Nation, cette voie que Malraux évoque lorsqu'il dit que la France n'est la France que quand elle porte une part de l'espérance du monde. Aujourd'hui, elle porte une part de l'espérance de l'Ukraine.
Aujourd'hui, nous sommes tous ukrainiens. Vive la France, vive la République, et vive l'Ukraine libre ! (Mmes et MM. les sénateurs membres du groupe Les Républicains se lèvent et applaudissent ; on applaudit également sur les travées du groupe UC, du RDSE, ainsi que sur quelques travées du RDPI et du groupe SER.)
M. Patrick Kanner . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La Fédération de Russie a décidé, sur ordre de Poutine, l'invasion de l'Ukraine, un autre pays souverain. Une guerre se déroule sous les yeux du monde, mais le courage des Ukrainiens nous fait prendre la mesure de la tyrannie de Poutine. Celui-ci a su se nourrir des reculades et des lâchetés.
Nous pensons à tous les Ukrainiens, à ceux qui craignent pour leur vie sur place, à leurs proches en France qui sont dans l'angoisse. Ma famille, nos familles, issues du centre et de l'est de l'Europe, ont trouvé refuge en France, autrefois. C'est pourquoi nos pensées sont imprégnées d'une émotion particulière.
La guerre est bien la somme de la déraison et de la haine. Beaucoup d'entre nous ont grandi dans un monde coupé en deux, sous la crainte de la menace nucléaire.
Le président Mitterrand l'a dit en janvier 1995, en faisant ses adieux au Parlement européen : « Le nationalisme, c'est la guerre ». Jusque dans notre pays, nous voyons certains attiser les conflits entre les communautés. Nous les combattrons toujours avec énergie. Le patriotisme ne se mesure pas aux coups de menton. Ceux qui crient à une prétendue identité surannée sont aux abonnés absents quand il s'agit de tenir le drapeau.
Il n'y a pas de place pour une parole politique dont l'objet est la destruction de la liberté. (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Poutine s'attaque à toutes les libertés, de conscience, d'expression. Il réveille de vieux démons, ceux d'un continent qui voit les armes revenir tous les trente ans. La mémoire de deux guerres mondiales a poussé la communauté internationale à se doter d'institutions internationales pour contrer la folie des dictateurs. Poutine veut réécrire l'histoire. C'est un prédateur et l'Ukraine n'est que la première marche de son projet impérialiste.
Mais le meilleur de la Russie est dans le coeur du peuple russe. Je salue tous ceux qui sont sortis manifester en Russie, jusqu'en Sibérie (applaudissements), comme je salue le monde sportif qui a pris ses responsabilités. La France, l'Europe et le monde seront à leurs côtés pour reconstruire la paix.
Grâce au soutien des opinions publiques, l'Union européenne avance comme jamais. L'Europe de la défense n'est plus un voeu pieux, elle est la garantie de la crédibilité et de l'indépendance pour la diplomatie européenne. Le projet européen doit être réécrit, fidèle à la pensée de ses pères fondateurs.
Nous devons nous entendre vite pour répondre à la demande de l'Ukraine d'adhérer à l'Union européenne. (Murmures désapprobateurs sur plusieurs travées du groupe Les Républicains) D'ores et déjà il faut accueillir les réfugiés ukrainiens, en leur donnant les mêmes droits que les citoyens européens, afin qu'ils puissent espérer se reconstruire. La France doit prendre toute sa place dans l'application de la protection temporaire. Sept millions de personnes sont concernées à terme. Femmes, enfants, personnes âgées... Je dénonce ici l'ignominie des propos d'un des candidats d'extrême droite à l'élection présidentielle (Mme Sophie Primas approuve.)
Au-delà des sanctions prises, nécessaires, le Gouvernement doit s'engager à ne reconnaître aucun pouvoir fantoche dont Poutine tirerait les ficelles. Nous devons aussi anticiper les conséquences de ces sanctions. Face à l'aggravation d'inégalités déjà insupportables, nous devons protéger les Français, à commencer par les plus vulnérables, à travers un bouclier de justice sociale ; ceux qui ont le plus profité de ce quinquennat peuvent être mis à contribution.
Prenons conscience que les inégalités préparent les crises à venir, de même que les défis énergétiques et environnementaux. Sur ce dernier point, nous devons prendre la mesure de la situation et agir sans délai, comme nous y exhorte le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).
Les Pays Baltes, les Balkans et l'ensemble des pays voisins de la Russie doivent savoir que nous sommes à leurs côtés.
Notre engagement pour la paix va de pair avec la confiance dans nos armées. Le groupe SER a toujours soutenu le renforcement de nos capacités opérationnelles, et vous pouvez compter sur nous, monsieur le Premier ministre, pour poursuivre dans cette voie. J'exprime à nos militaires notre profond respect. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du RDSE et du RDPI, ainsi que sur de nombreuses travées du GEST et des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
De fait, c'est par le rapport de force, y compris militaire, que la voie de la diplomatie pourra être retrouvée. Poutine ne nous laisse pas le choix, lui dont les crimes relèveront de la Cour pénale internationale. (Applaudissements sur de nombreuses travées des groupes SER et RDSE, ainsi que sur plusieurs travées des groupes UC et Les Républicains)
Nous sommes une démocratie : c'est notre différence. L'exécutif a le devoir d'informer le Parlement sur les moyens fournis à l'Ukraine, l'accueil des réfugiés, les positions prises par la France. À cet égard, monsieur le Premier ministre, je salue votre initiative de réunir les présidents des assemblées et des groupes parlementaires ; j'espère que cette volonté d'associer le Parlement sera durable.
Plus que jamais, le multilatéralisme est un outil de conquête de la paix et du progrès pour tous les peuples du monde. Comme sénateur socialiste et comme citoyen, je rappelle que la force et la beauté de la République tiennent au projet de fraternité universelle que la Nation s'est donné il y a plus de deux siècles. Nous devons défendre cette flamme, phare pour le monde, sans concession aucune sur la richesse de nos différences et du débat démocratique.
L'Ukraine martyre mène un combat à mort pour la liberté, la sienne et la nôtre. Elle nous oblige. Le président Zelensky, dont la bravoure ira peut-être jusqu'au sacrifice suprême, déclarait aux parlementaires européens ce matin même : « Ne nous lâchez pas ! La lumière doit vaincre l'obscurité. » Gloire à l'Ukraine ! (Les membres du groupe SER se lèvent et applaudissent vivement ; on applaudit également sur les travées du RDSE et du RDPI, ainsi que sur de nombreuses travées du GEST et des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. Olivier Cigolotti . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains) Au moment où les chars russes sont aux portes de Kiev, mes pensées vont au peuple ukrainien et à ses dirigeants. Leur héroïsme force l'admiration.
Je pense aussi à nos compatriotes pris au piège.
Après avoir reconnu l'indépendance des territoires séparatistes du Donbass, Vladimir Poutine a commis l'irréparable en envahissant l'Ukraine, annihilant par là les accords de Minsk.
Pis, il prétend dénazifier le pays et le protéger d'un génocide... Cette guerre est décidément celle de la désinformation et de la déstabilisation psychologique.
Mais c'était sans compter la résistance de l'armée ukrainienne, la détermination du président Zelensky et la réaction unie de l'Europe.
Dans son délire paranoïaque, Vladimir Poutine a invoqué l'article 51 de la Charte des Nations unies, relatif à la légitime défense. « La sécurité absolue d'un acteur implique l'insécurité absolue de tous les autres » : ce propos de Kissinger résume bien la schizophrénie de Vladimir Poutine.
Après l'Ukraine, de qui sera-ce le tour ? La Moldavie ? La Géorgie ? Le maître du Kremlin n'a eu de cesse d'expliquer que la dislocation du bloc communiste était la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle.
Comment est-il possible qu'un homme seul décide du destin de tout un peuple ? En bafouant le droit international, Vladimir Poutine s'est isolé du reste du monde. De son côté, l'Occident a retrouvé l'unité qui lui a longtemps manqué. En quelques heures, l'Europe de la défense a pris forme, certains pays sortant même de leur neutralité.
Les sanctions économiques sont une première réponse. À cet égard, les dernières mesures de rétorsion prises, comme l'isolement du réseau bancaire Swift des marchés internationaux, sont parfaitement adaptées.
Cela suffira-t-il à dissuader Vladimir Poutine de mener une offensive destructrice sur tout le territoire ukrainien ? Il est permis d'en douter.
Même si l'intensité des combats ne faiblit pas, nous devons continuer de privilégier la voie diplomatique pour résoudre ce conflit.
Les événements des derniers jours marquent un tournant historique. Pour autant, ne laissons pas croire que l'Ukraine pourrait adhérer à l'Union européenne selon une procédure simplifiée qui n'existe pas. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; Mme Victoire Jasmin et M. Mickaël Vallet applaudissent également.)
M. Loïc Hervé. - Très bien !
M. Olivier Cigolotti. - Nous devons nous préparer aux dommages collatéraux de cette crise majeure. Une flambée des prix est à craindre sur nombre de marchés internationaux de matières premières, à commencer par le blé. Notre approvisionnement en métaux risque d'être compliqué, notamment pour le palladium et le titane, indispensables à nos industries aéronautique et de l'armement, et pour le nickel, essentiel à la fabrication de nos batteries.
Ces heures sombres montrent que les 27 pays de l'Union européenne sont capables de formuler des réponses communes fortes et rapides. Nous devons renforcer davantage encore nos partenariats européens et transatlantiques pour garantir la sécurité de nos territoires et de nos alliés.
J'en suis persuadé, la solution viendra du peuple russe, en contradiction avec la vision paranoïaque du dictateur du Kremlin.
Oui, monsieur le Premier ministre, l'heure est à l'unité et à la solidarité. Vive l'Ukraine et vive la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur de nombreuses travées des groupes Les Républicains, INDEP, du RDPI et du RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER)
M. François Patriat . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Si le peuple ukrainien et son président suscitent tant l'admiration, c'est parce qu'ils ne défendent pas seulement, avec courage, leur nation. Ils incarnent la volonté farouche de résister à l'arbitraire et l'aspiration à la souveraineté et à la démocratie. Ils défendent nos valeurs, au prix du sacrifice ultime. Nous leur devons un soutien sans faille.
En particulier, le président Zelensky est le chef dont rêve tout peuple en guerre : héroïque au milieu de ses hommes et prêt à mourir pour son peuple.
Jeudi dernier, l'Europe s'est brutalement réveillée dans une ère de guerre. Le Président de la République et le chancelier allemand ont tout fait pour l'éviter. Mais le président russe, ivre de puissance, a décidé d'envahir l'Ukraine, quand bien même son pays n'était ni agressé ni menacé.
Voilà deux heures, une frappe russe a touché la tour de télévision de Kiev et, avec elle, ce qu'il y a de plus cher à nos yeux : la liberté d'expression et d'information.
Je pense à nos ressortissants sur place et je remercie l'équipe de notre ambassadeur, M. de Poncins.
Avec le recul, le président russe annonçait ses intentions réelles dans son allocution télévisée sur la reconnaissance des républiques autoproclamées de Donetsk et Louhansk : cinquante minutes de réécriture de l'histoire et de fausses accusations contre l'Ukraine.
En quelques jours, les masques sont tombés. Le président russe invoque des motifs hallucinants : qui peut croire qu'un génocide est en cours en Ukraine, qu'une dénazification du pays est nécessaire ? Devant des résultats militaires limités et face à la multiplication des gestes de soutien envers Kiev, Vladimir Poutine est allé jusqu'à annoncer la mise en alerte de la force de dissuasion russe.
Comment la Biélorussie peut-elle continuer d'être complice d'une telle escalade ?
Vladimir Poutine voulait recréer I'URSS ; il a fait l'unanimité contre lui, réveillé l'Europe et redonné sens à I'OTAN. Ensemble, nous avons décidé d'accélérer la lutte contre la désinformation russe, interdisant notamment RT et Sputnik, deux outils de propagande du Kremlin. Avec les autres pays occidentaux, nous avons mis en oeuvre de nombreuses sanctions économiques, d'une ampleur sans précédent.
L'objectif est clair : provoquer une onde de choc dans la société russe, pour pousser les citoyens à remettre en question la propagande du Kremlin. Les premiers résultats sont là.
Les Européens font le choix de la solidarité face aux conséquences humanitaires et migratoires de cette guerre. Pour la première fois, nous avons mis en oeuvre la protection temporaire automatique, avec des mesures de répartition des réfugiés entre pays membres.
Je remercie nos communes et régions, nos associations, nos concitoyens mobilisés. Leur élan de générosité fait honneur à la France.
L'autonomie stratégique de l'Union européenne n'a jamais été aussi nécessaire. Le Président de la République la défend depuis son discours de la Sorbonne.
L'Union européenne a débloqué 450 millions d'euros pour livrer des armes aux forces ukrainiennes, un fait sans précédent La Suède et l'Allemagne ont rompu avec leur doctrine en la matière. Le chancelier Scholz a opéré un virage à 180 degrés sur la posture militaire allemande. Même la Suisse sort de sa neutralité. C'est un tournant majeur.
Notre action est tendue vers un unique but : la paix. Je salue la démarche du Président de la République, qui a toujours cru en la diplomatie et poursuit le dialogue avec lucidité et fermeté.
Nous sommes conscients des incidences que les sanctions prises risquent d'entraîner sur notre quotidien. Nous les acceptons au nom de la sécurité collective et de la paix, parce que nous savons pouvoir compter sur le Gouvernement pour mettre en oeuvre un plan de résilience à la hauteur. Monsieur le Premier ministre, vous pourrez compter sur nous pour identifier les mesures les plus utiles à nos citoyens.
Reculer devant le coût des sanctions, ce serait nous exposer à devoir payer un prix infiniment plus lourd si le président russe atteint son objectif. Car d'autres bruits de botte, dans d'autres parties du monde, n'attendent que le moment de lui emboîter le pas. (Applaudissements sur les travées du RDPI, sur plusieurs travées du RDSE et des groupes SER et INDEP et sur certaines travées du groupe UC)
M. Pierre Laurent . - La guerre déclenchée par Poutine contre l'Ukraine est inacceptable et irresponsable. Elle plonge le peuple ukrainien dans un cauchemar. Le risque d'une escalade incontrôlable augmente chaque jour. La situation est d'une extrême gravité.
Quoi que l'on pense des causes de l'entrée en guerre de la Russie, nous condamnons sans réserve ce crime contre la souveraineté d'un État, le droit international et la paix.
Dans un monde interdépendant, cette guerre est un échec pour tous, un échec pour la sécurité collective de l'Europe. Elle illustre les limites de la militarisation des relations internationales, avec son cortège de haines et de nationalismes.
La première des exigences, que nous clamons haut et fort, c'est un cessez-le-feu immédiat, pour épargner les vies, faire cesser l'exode et permettre des discussions de paix. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SER ; Mme Nadia Sollogoub et M. Pierre Louault applaudissent également.)
La pression internationale la plus large possible doit s'exercer. À cet égard, le vote de l'assemblée générale de l'ONU sera important. Nous devons aussi faire entendre les mobilisations citoyennes qui réclament le cessez-le-feu. Demandons la liberté pour ceux qui, en Russie, s'opposent à cette sale guerre. Nous ferons tout pour encourager la mobilisation populaire en faveur de la paix.
Les sanctions internationales peuvent faire partie de la solution, si elles frappent juste. Il s'agit de punir non pas le peuple russe, mais les dirigeants impliqués dans les décisions guerrières et les oligarques qui pillent leur pays sans vergogne, avec la complicité tacite de la finance internationale - les tergiversations sur Swift le montrent bien. Preuve est faite qu'il est possible, quand on en a la volonté politique, de cibler les flux financiers au plus haut niveau ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)
L'urgence, c'est aussi l'aide humanitaire et l'accueil des réfugiés dans tous les pays de l'Union européenne. Nous nous réjouissons que, là aussi, des tabous se lèvent. Reste que le tri ethnique que semblent vouloir organiser la Pologne et la Hongrie est indécent. L'Union africaine s'en est émue. On ne trie pas les victimes de guerres ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE)
Face à l'agression russe, qui oserait dénier à l'Ukraine le droit de se défendre ? La France annonce des fournitures d'armes. On entend parler aussi d'avions de chasse, ce qui pourrait impliquer le système de I'OTAN. Le Parlement doit être clairement informé de ce qui a été et sera livré.
J'entends des « hourras ! » saluer le soudain emballement militaire de l'Union européenne et l'annonce d'un réarmement de l'Allemagne à hauteur de 100 milliards d'euros - le double de notre budget militaire. La gravité des enjeux devrait nous inciter à plus de clairvoyance. Le risque d'escalade entraînant dans la guerre des pays européens membres de l'OTAN est réel, avec des conséquences incalculables.
Les annonces de Vladimir Poutine sur la dissuasion russe sont parfaitement irresponsables. Les puissances nucléaires ont l'immense responsabilité de ne pas entraîner le monde dans la catastrophe. De ce point de vue, la déclaration de Bruno Le Maire sur une guerre totale à la Russie jette dangereusement de l'huile sur le feu. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur de nombreuses travées du groupe SER, ainsi que sur plusieurs travées des groupes UC et Les Républicains)
J'entends les boutefeux, mais le peuple ukrainien est la première victime de la guerre. Notre objectif doit être le cessez-le-feu et la reprise de discussions pour un accord de paix et de sécurité pour tous.
La guerre en Ukraine le montre : la militarisation des relations internationales a dépassé la cote d'alerte. Pourtant, après la dissolution du Pacte de Varsovie, une opportunité historique s'ouvrait pour un désarmement massif. C'est le contraire qui s'est produit : tandis que les oligarques pillaient la Russie sous le regard complice des puissances occidentales et des multinationales, la seule logique fut l'extension de l'OTAN et l'hégémonie mondiale.
Après l'arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir, les États-Unis ont poussé les feux de cette confrontation. Quant à l'Europe, elle n'a jamais su parler d'une seule voix pour ouvrir le dialogue avec la Russie sur ce qu'Emmanuel Macron appelle une nouvelle architecture de sécurité européenne, et nous une initiative multilatérale pour un nouveau traité paneuropéen de paix et de sécurité.
Vingt ans d'obsession de l'OTAN pour le surarmement, vingt ans de réarmement russe, vingt ans d'exacerbations des nationalismes : le résultat est désastreux. Que de temps perdu, qu'il faudra regagner en faveur de la paix ! (Mme Éliane Assassi applaudit.)
La paix doit être notre projet politique - la paix, pas l'équilibre de la terreur ou la confrontation des puissances, la paix pour l'Ukraine, avec cessez-le-feu immédiat et départ des troupes russes. La paix pour la Russie, qui doit trouver avec l'Europe les conditions de sa sécurité, sans l'OTAN à ses portes. La paix pour tous les Européens, qui doivent assurer leur sécurité souverainement, dans le respect mutuel des États et sans la tutelle américaine.
La France doit faire entendre sa voix forte pour promouvoir le dialogue et la paix partout dans le monde. Il faut aussi mettre un terme aux opérations militaires extérieures.
Comme l'a déclaré le secrétaire général des Nations unies en recevant la lampe de la paix de Saint François, « dans un monde où nous pouvons tout choisir, choisissons la paix ! » (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées des groupes SER, UC et du RDSE)
M. Jean-Claude Requier , rapporteur. - À la chute du rideau de fer, beaucoup annonçaient l'avènement d'un modèle universel de démocratie libérale.
Malheureusement, comme si l'ex-Yougoslavie n'avait pas suffi, l'invasion inqualifiable de l'Ukraine sonne comme un tragique retour en arrière. D'une conférence de Munich à l'autre, la séquence diplomatique a laissé la place aux armes.
La guerre est au coeur de l'Europe, menaçant l'ordre international établi depuis la Seconde Guerre mondiale, fondé sur le droit international et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Le RDSE est pleinement solidaire des Ukrainiens, dont je salue le courage, ainsi que celui de leur président. J'ai également une pensée pour les Ukrainiens de France, inquiets pour leurs proches. L'Union européenne doit accueillir dans les meilleures conditions les réfugiés qui affluent.
Je pense également au peuple russe, qui paiera le prix de l'isolement économique et politique. Nombre de Russes subissent la posture martiale de leur dirigeant par peur, résignation ou un patriotisme mal alimenté ; la propagande intérieure est très efficace.
La situation de nos amis et alliés baltes et moldaves doit retenir toute notre attention. Je pense aussi à nos amis suédois et finlandais, nommément menacés par le président russe.
Je pense enfin à nos concitoyens, qui, après deux ans de guerre contre un virus, aspiraient à reprendre une vie normale. Les voilà sous la menace d'une guerre, sans savoir quand ni comment elle s'arrêtera.
Nous devons tenir un langage de vérité. Le Président de la République s'est exprimé en ce sens. Il faut nous préparer à parer à toute situation.
Entre la politique de sanctions économiques et la riposte armée, les mesures possibles ne sont pas aisées. Vladimir Poutine le sait bien : les démocraties ne sont pas prêtes au conflit frontal.
Sanctionner l'économie russe et les oligarques semble le meilleur outil de pression, même si la population sera la première à en souffrir. Cependant, cette stratégie sera coûteuse pour les Ukrainiens, qui vont devoir résister en espérant tenir.
La décision historique de l'Union européenne d'envoyer du matériel militaire létal pourrait catalyser la constitution d'une Europe enfin souveraine sur le plan stratégique et militaire.
Il y aura un coût, à commencer par la hausse des prix de l'énergie et des matières premières, qu'il nous faudra assumer.
Le RDSE soutient sans réserve les sanctions décidées. Leurs premiers effets seront bientôt mesurés. Soyons toutefois attentifs à ce que le géant russe ne se tourne pas bientôt vers son allié chinois.
L'activité diplomatique doit bien entendu se poursuivre. Le maintien d'un dialogue exigeant est la clé de l'issue du conflit. Toutes les initiatives en ce sens doivent être soutenues. Néanmoins, à ce jour, les conditions de règlement du conflit posées par le président russe sont inacceptables.
Nous devons continuer à isoler Moscou. Chine et Turquie ont émis des signes de retenue qui doivent être préservés. « La guerre n'est pas seulement un acte politique, mais un véritable instrument de la politique », selon Clausewitz. Poutine l'a très bien compris.
Il est facile de réécrire l'histoire. Oui, une fois le mur de Berlin tombé, peut-être aurait-il fallu créer une véritable organisation de la sécurité en Europe qui n'aurait pas constitué un épouvantail pour le Kremlin - mais n'inversons pas les responsabilités. Oui, notre main a sans doute tremblé lorsque les troupes russes sont entrées en Transnistrie, puis en Géorgie, avant d'annexer la Crimée. Oui, il est possible que nous ayons sous-estimé le rêve poutinien d'une grande Russie.
Mais l'heure n'est plus au regret, d'autant que nul ne sait ce qui aurait pu arrêter le dirigeant russe dans sa volonté d'expansion.
Dans ce climat d'une extrême gravité, je tiens à souligner un point positif : la remarquable unité de l'Union européenne. Après la solidarité sanitaire et la solidarité budgétaire, la solidarité est au rendez-vous pour assurer notre sécurité collective. Puisse cette unité contribuer à sauver la paix. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI et du groupe INDEP, ainsi que sur certaines travées des groupes SER, UC et Les Républicains)
M. Claude Malhuret . - L'invasion de l'Ukraine pourrait être le premier clou sur le cercueil de la dictature de Poutine, comme l'invasion de l'Afghanistan fut le premier clou sur le cercueil de l'Union soviétique.
Poutine est fou comme le sang est rouge : ce n'est pas une insulte, c'est un diagnostic. Son discours sépulcral du 21 septembre 2021 ne laisse aucun doute.
Paranoïaque et mythomane, ce Caligula botté souffre d'une autre infirmité : la table immense où il reçoit révèle que le Covid le terrorise. Staline faisait goûter ses aliments. Lui, le chef de la deuxième puissance nucléaire, pétoche devant le virus, comme un matamore devant une souris... (Applaudissements) En face de lui, un homme debout : Zelensky.
Poutine voulait diviser l'Europe, il la cimente ; ridiculiser l'OTAN, il la retrempe. Il pensait prendre l'Ukraine en trois jours, il est embourbé pour longtemps. Confiné dans son bunker, il n'a pas compris que, en 2022, personne, même en Russie, n'est prêt à accepter les bombardements de Kiev.
S'il en est arrivé là, c'est en partie à cause de nos propres lâchetés. Géorgie, Crimée, Donbass, assassinats et emprisonnements : quelques discours à l'ONU sur les droits de l'homme et puis circulez, il n'y a rien à voir...
Nous avons aussi été victimes d'une cinquième colonne, celle de la propagande de Poutine, qui prospère notamment sur les réseaux antisociaux.
De cette cinquième colonne, Vladimir Zemmour, Joseph Mélenchon et Anastasia Le Pen (sourires et applaudissements sur de nombreuses travées) sont depuis longtemps les généraux. « Mon point de vue sur l'Ukraine coïncide avec celui de la Russie », a dit Le Pen. Selon Zemmour, c'est Poutine l'agressé...
Depuis que tout le monde a compris leurs mensonges, ils ont inventé le « oui, mais » : ils condamnent, mais ne changent pas d'avis. Mélenchon continue ses bobards : « Je n'ai jamais soutenu Poutine », prétend-il... Le pire est atteint quand Zemmour crache sur les résistants ukrainiens et les réfugiés, lui qui donne des leçons de patriotisme après s'être soustrait au service militaire. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP)
Ces paillassons de Poutine condamnent le dictateur du bout des lèvres, mais leurs trolls inondent les réseaux sociaux de messages à sa gloire.
Les Allemands se sont mis dans les griffes de l'ours et de son gaz par l'incroyable erreur d'avoir cédé aux Verts sur le nucléaire. En France, le fond de l'air est fait d'un gaullisme du pauvre et d'un antiaméricanisme héritier de la veille droite anti-anglosaxonne autant que de la vielle gauche anticapitaliste.
Certains prêchent équidistance entre l'Amérique et la Russie, demain entre l'Amérique et la Chine, sans comprendre que d'un côté il y a la démocratie, de l'autre les dictatures. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur plusieurs travées des groupes UC et Les Républicains)
Poutine nous a ouvert les yeux. Nous nous sommes réveillés bien tard, mais nous nous sommes réveillés. Toutes les mesures prises par l'Union européenne, dont la chasse aux agents de désinformation, me réjouissent. On vient enfin de comprendre que les organes de propagande du FSB n'ont rien à voir avec la liberté d'information... (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du RDPI et des groupes UC et Les Républicains)
Les résistants ukrainiens ne tiendront pas longtemps seuls. Nous leur devons une aide extrêmement rapide. Poutine doit savoir que l'assassinat de Zelensky entraînerait une riposte massive. Comment penser qu'un hypocondriaque soit prêt à mourir dans son bunker ?
Il faudra ensuite relever le défi du rétablissement de la puissance de l'Europe. « L'Europe ne se fera qu'au bord du tombeau », prophétisait Nietzsche. La covid a permis un pas de géant, avec la mutualisation des dettes. L'invasion sanglante de l'Ukraine a fait comprendre à tous ce que le Président de la République ne cesse de répéter : l'Europe ne sera jamais une puissance si ses États ne se réarment pas et si une défense commune ne voit pas le jour. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDPI)
Nous devons être fermes face au tyran lancé dans une aventure sans issue. Mais les seuls qui peuvent gagner cette guerre ce sont deux peuples.
Le peuple russe est en train de comprendre que Poutine le mène au gouffre. Le sursaut viendra-t-il de la rue ou d'un Brutus ? Le dénouement pourrait bien surprendre.
Quant aux Ukrainiens, ils nous donnent une grandiose leçon de courage, guidés par un Zelensky qui a la trempe d'un De Gaulle ou d'un Churchill. Puissions-nous admirer le peuple ukrainien, le soutenir et nous montrer dignes de lui ! (Les membres du groupe INDEP et du RDPI se lèvent et applaudissent vivement ; on applaudit également sur plusieurs travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Guillaume Gontard . - Depuis six jours, nous vivons dans un état de sidération : la guerre est de retour, à l'initiative d'une puissance nucléaire.
Nos pensées vont à tous les Ukrainiens qui ont déjà perdu des proches, subissent des bombardements ou ont dû tout abandonner pour sauver leurs enfants.
Nous avons une conscience aiguë du courage des Ukrainiens qui défendent leur liberté et la démocratie. Le président Zelensky fait montre d'un courage extraordinaire, prouvant que c'est l'histoire qui fait les grands hommes bien plus que l'inverse.
L'Europe doit devenir un acteur géopolitique : c'est une nécessité, chacun l'a compris. Nous saluons l'action de la France et l'unanimité des 27 pays de l'Union européenne. Poutine a ouvert la voie de notre unité en matière de défense.
Les sanctions vont frapper aussi les Russes, alors qu'ils n'ont pas choisi cette guerre. Nous leur témoignons notre amitié.
Poutine n'avait pas prévu la résistance des Ukrainiens. On ne peut occuper un pays contre son peuple.
L'urgence est d'aider les Ukrainiens. Nous saluons les livraisons d'armes et de matériel humanitaire, tout comme nous approuvons les sanctions. Mais nous alertons le Gouvernement : il faudra préserver les citoyens français les plus modestes de la hausse des prix de l'énergie.
Enfin, la puissance publique doit faciliter le transit des réfugiés, et nous saluons l'application de la directive européenne. Je rappelle avec force qu'il n'y a pas de bons et de mauvais réfugiés ! (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER, ainsi que sur plusieurs travées du groupe CRCE) Nous avons le devoir d'accueillir tous les réfugiés. La présidence française doit faire preuve de la plus grande vigilance à cet égard.
Monsieur le Premier ministre, nous saluons votre action ; cette crise conforte notre attachement à la démocratie. Le chemin de la paix sera encore long, mais il passera par la sauvegarde de l'unité de la nation ukrainienne. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER ; M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)
M. Jean Louis Masson . - Je suis très inquiet, comme vous tous. J'appelle de mes voeux un cessez-le-feu et le rétablissement de la paix. M. Poutine a été au-delà du raisonnable dans cette affaire. (Marques d'ironie sur de nombreuses travées) Reste que ce n'est pas forcément en jetant de l'huile sur le feu qu'on règle les problèmes. (Exclamations sur de nombreuses travées)
Nous venons d'assister à un concours de virulence, mais certains ont été plus raisonnables. Je salue la modération de M. Laurent, même si je n'ai quasiment jamais voté comme lui.
M. Loïc Hervé. - On aura tout vu !
M. Jean Louis Masson. - À force d'en rajouter, où irons-nous ? Une solution négociée tenant compte des problématiques de chacun serait préférable.
Plusieurs orateurs ont dit : la démocratie, c'est le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Je suis d'accord. (Exclamations amusées sur plusieurs travées) Les Ukrainiens doivent pouvoir disposer d'eux-mêmes. Mais, en Crimée, un référendum a eu lieu !
M. Jean-Yves Leconte. - Sous la menace des baïonnettes ! C'est inacceptable !
M. Jean Louis Masson. - L'Arménien fait partie de l'Europe. Or, quand le Turc Erdogan a financé la guerre au Haut-Karabakh, qu'a-t-on fait ? Ces gens ne peuvent-ils pas, eux aussi, décider de leur destin ? Il n'y a pas de bons et de mauvais dictateurs : il n'y en a que de mauvais !
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Jean Louis Masson. - L'OTAN et l'Union européenne ont été absolument nuls dans le dossier du Haut-Karabakh. Aujourd'hui, la France est fière de vendre des avions à l'Arabie saoudite, qui veut détruire les Houthis... C'est honteux ! (La voix de l'orateur se perd dans les protestations.)
Mme Nadia Sollogoub . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Les couleurs de l'Ukraine sont le bleu d'un ciel d'azur et l'or des champs d'une terre fertile. Aujourd'hui, ce drapeau est taché de sang.
C'est aussi en tant que présidente du groupe d'Amitié France-Ukraine que je m'exprime. L'amitié entre deux pays, en temps normal, doit être le terreau de relations culturelles, économiques et commerciales qui prospèrent. En temps de guerre, l'amitié entre deux pays, ce sont des nuits d'angoisse, les nouvelles auxquelles on ne peut pas croire, la douleur de l'impuissance.
Alors que les missiles pleuvent, nous voulons une trêve. Femmes et enfants fuient, sous les frappes aériennes. Il y a 80 heures d'attente pour entrer en Pologne, 30 heures pour la Moldavie... Quelque 600 000 Ukrainiens ont déjà fui ; bientôt, ils seront 6 millions.
Monsieur le Premier ministre, comment pouvons-nous aider ces populations à passer la frontière ? Alors que les approvisionnements vont manquer, nous devons tout faire pour éviter un nouveau Sarajevo à Kiev.
L'évacuation aérienne n'est actuellement pas possible. Les pires menaces prospèrent dans l'ombre. Je m'inquiète pour la sécurité des installations nucléaires, notamment pour Tchernobyl, tombée aux mains des Russes.
L'Ukraine n'est que danger et douleur ; l'Ukraine n'est que courage.
Nous croyons à l'action de l'Europe, mais nous en verrons les conséquences très vite : des pénuries vont arriver, l'augmentation des prix sera importante. La paix est à ce prix. Nous mesurons ces enjeux, mais nous soutenons la politique européenne.
Dans mes veines coule autant de sang russe que de sang ukrainien. Nous sommes nombreux dans ce cas.
Au péril de leur vie, 500 scientifiques russes ont publié une tribune dénonçant une guerre absurde. Poutine, l'homme sans vérité, doit perdre ses alliés. Il doit être seul, pour que le fil de l'histoire du peuple russe puisse reprendre son cours.
Nos décisions collectives doivent être à la mesure du courage du président Zelensky et de tous les Ukrainiens. « L'Ukraine se bat avec la certitude qu'elle défend le monde entier », nous a dit l'ambassadeur Omelchenko. Répondons-lui que le peuple ukrainien n'est pas seul. Slava Ukraini, gloire à l'Ukraine ! (Applaudissements)
Mme Mélanie Vogel . - (Applaudissements sur les travées du GEST) L'Ukraine n'a jamais menacé la Russie, et encore moins les Russes, qui par milliers sont dans les geôles poutiniennes pour avoir manifesté. La volonté de l'Ukraine d'être une démocratie menace la dictature de Poutine. C'est en fait la guerre entre la volonté de liberté des Ukrainiens et la dictature d'un tyran. Voilà qui a réveillé la conscience de ce que nous sommes en tant que citoyens européens. Poutine voulait affaiblir et diviser l'Europe, il n'a su récolter que sa force et son unité. Jamais les institutions n'ont agi si vite et de façon aussi efficace. L'Europe renaît à Kiev, au milieu des bombes. En voulant adhérer à l'Union, Zelensky a réaffirmé l'identité politique de l'Europe. Il nous rappelle que, oui, nous devons nous doter d'une politique de défense commune, sortir de la dépendance des énergies fossiles vis-à-vis de la Russie, et investir massivement dans les énergies renouvelables, qui sont des énergies de paix. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Ce n'est pas une lubie des écologistes (on en doute à droite) mais un enjeu vital.
Ce doit être notre honneur que d'aider ceux qui vont payer le prix le plus fort pour protéger la paix de tous. L'Europe doit être libre, solidaire et en paix (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'offensive russe contre l'Ukraine provoque une onde de choc en Ukraine, mais aussi sur tout le continent. L'Union européenne se retrouve très directement menacée à ses frontières. L'ordre international est ébranlé. Face à ce séisme, l'Union a su réagir rapidement en adoptant des sanctions fermes : bannissement des médias russes, exclusion des banques russes du système Swift, et gel des avoirs de la Banque russe.
Tous les pays frontaliers sont satisfaits de cet arsenal de sanctions.
La facilité européenne pour la paix a été activée, c'est la première fois. Cinq cents millions d'euros ont été débloqués, et s'ajoutent aux livraisons d'armes nationales. Des pays comme l'Allemagne et la Finlande, rompent avec un tabou ancien en livrant des armes à l'Ukraine.
Les règles de Schengen ont été suspendues, pour ne pas entraver les déplacements des Ukrainiens qui fuient la guerre. La protection temporaire a été accordée à tous les réfugiés ukrainiens.
Cette crise ébranle l'Union. Le moment est déterminant pour sa sécurité. Les Ukrainiens luttent pour toute l'Europe. Nous leur devons reconnaissance, admiration et soutien. Les États baltes sont très inquiets, comme la Géorgie et la Moldavie. Il faut préserver notre espace démocratique. La stratégie européenne de défense doit désormais être opérationnelle.
Déjà, 677 000 Ukrainiens ont quitté leur pays. Une crise humanitaire historique se prépare, qui pourrait concerner 7 millions de personnes. Le défi est gigantesque. Aujourd'hui, l'ensemble des États membres se dit prêt à accueillir les réfugiés, mais la solidarité entre États risque d'être mise à rude épreuve.
Cette crise a mis en lumière la fragilité de l'Union européenne, notamment au regard de sa dépendance au gaz russe. L'Allemagne a renoncé au gaz de Nord Stream II afin de ne pas en priver l'Ukraine. Il faut penser la transition énergétique au prisme de la souveraineté politique. L'Europe pense ainsi déclencher de nouveaux mécanismes d'aides à l'énergie. Difficultés agricoles, importations de matières premières, ruptures de chaînes de production, représailles russes... Les conséquences seront très importantes. Les prévisions de croissance ont déjà été revues à la baisse tandis que l'inflation s'accroît.
Le dernier défi est la demande de l'Ukraine d'entrer sans délai dans l'Union européenne. Cette demande est ancienne, mais de telles décisions engagent durablement et doivent être mûries. Il faut du temps pour converger, par exemple en matière juridique. Même le statut de pays candidat demande l'unanimité des 27. L'Ukraine est liée à l'Union par l'accord d'association de 2014, dans le cadre du partenariat oriental, qui prévoit des relations économiques plus étroites, mais sans promesse d'adhésion.
C'est le refus de signer l'accord d'association à l'Union européenne du pouvoir Ukrainien qui a conduit aux évènements de 2014. En 2019, le volume des échanges bilatéraux représentait plus de 43 milliards d'euros et l'union représentait plus de 40 % des échanges commerciaux en Ukraine. Cet outil de partenariat oriental doit être l'outil à privilégier.
Il ne faut pas être aveuglé par l'urgence. Soyons actifs, mais prudents. La véritable urgence est de retrouver la paix. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du groupe CRCE)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) En une semaine, nous avons changé d'époque. L'invasion dramatique de l'Ukraine par la Russie a rebattu toutes les cartes géopolitiques et changé les perspectives. Il faut dresser un constat lucide de la situation et déterminer dans quelle voie il convient d'avancer.
Nous assistons à un choc de valeurs : la mobilisation rapide de toutes les démocraties contre cette guerre sale voulue par un homme seul. Les gouvernements et les opinions ont conscience d'une agression contre la démocratie et la liberté.
Les Ukrainiens veulent vivre libres et Poutine ne le supporte pas. L'Allemagne et la Suède vont pour la première fois depuis la Seconde guerre mondiale livrer des armes à un pays en guerre. La Finlande envisage d'adhérer à l'OTAN et même la Suisse s'aligne sur les sanctions européennes. La Russie se retrouve aussi exclue de toutes les grandes compétitions sportives.
Ceux qui ont cru à la nécessité de dialoguer avec la Russie de Poutine doivent se rendre à l'évidence : pour dialoguer il faut être deux. L'Ukraine ne menace nullement la sécurité de la Russie. Nul ne peut interdire à son voisin de faire les choix de société qu'il entend. Les Ukrainiens veulent la démocratie et c'est leur droit.
En cinq jours, Poutine a tiré l'OTAN de sa léthargie et fait avancer la défense européenne de 50 ans réveillant ainsi l'esprit de défense qui sommeillait dans le coeur des Européens. (M. Castex le confirme.)
Les régimes autoritaires sont convaincus, à tort, que les démocraties sont faibles et incapables de faire face à la violence. Cela est faux, mais le prix à payer est immense : près de 700 000 réfugiés sont sur les routes et des milliers de morts sont à déplorer.
Je rends hommage au président Zelensky qui nous donne une grande leçon de courage et de dignité.
Les Russes viennent de bombarder la tour de télévision pour faire taire la voix de l'Ukraine libre. Que le peuple ukrainien sache que nous continuerons à entendre sa voix !
Poutine accorde peu d'importance à la vie humaine et aux libertés : en témoigne le bilan effroyable en Tchétchénie, dans les conflits gelés ou contre ses opposants.
Le pseudo-référendum biélorusse de dimanche est préoccupant. C'est une preuve supplémentaire que le destin de Poutine dépasse la seule Ukraine. Il sera au moins parvenu à rendre à l'Union européenne son unité et sa détermination.
Qui aurait cru dans cet hémicycle il y a dix jours que l'Union européenne allait financer la livraison d'avions de chasse à un pays tiers ?
Autre conséquence, plus étonnante, la Turquie se range clairement du côté de l'OTAN. Cela change-t-il la donne en Méditerranée ? Il est trop tôt pour le dire. Au moins le monde entier voit qu'un coup de force militaire est une option qui peut se révéler très coûteuse. Le droit international existe et nous pouvons le faire respecter si nous le voulons.
La LPM que le Sénat a votée à plus de 95 % montrait un effort salutaire, mais le monde a changé plus vite que prévu. Nous devons faire un énorme effort pour augmenter notre stock de munitions, en particulier nos munitions complexes. À Kharkiv, les Russes ont tiré en une minute ce que l'armée française tire en un an dans ses camps d'entraînement. Voilà la mesure de cette guerre.
Notre aviation de combat pose problème. Le Sénat reste inquiet du prélèvement de 10 % de nos Rafale pour des contrats à l'export que nous avons certes soutenus. Nous ne pouvons rester au niveau envisagé. Nos armées doivent gagner en masse et en épaisseur pour faire face le cas échéant à des conflits de longue durée.
En doublant son budget de défense, l'Allemagne vit une révolution. Construisons avec elle cette Europe de la défense qui renforcera notre sécurité collective.
Livrons le plus vite possible des armes à l'Ukraine. C'est une priorité.
Protégeons les frontières de l'Union européenne. La France est présente aux côtés de nos alliés. Deux fois par jour, des Rafale protègent la frontière polonaise ; l'Europe d'aujourd'hui, c'est du concret !
Il faudra faire des choix. L'exécutif qui sortira des urnes ce printemps devra aller plus loin que la LPM actuelle. Il faudra avoir le courage de respecter les augmentations prévues de 3 milliards d'euros à partir de 2023. Nous devrons faire plus encore car c'est ainsi que nous serons à la hauteur des menaces à venir.
Le drame affreux que vit l'Ukraine doit nous servir de leçon.
Nous mesurons toute l'importance de compter de grands professionnels dans notre corps diplomatique, car la négociation est fondamentale. Cet atout a trop souvent été victime de logiques comptables à courte vue. Tôt ou tard, la diplomatie succédera à la violence, pour le retour à une paix durable. D'autres conflits d'une telle atrocité peuvent surgir ailleurs dans le monde. La France et l'Europe renoncent enfin à leur naïveté. Nous montrons enfin que nos combats pour la liberté et la démocratie sont tout aussi redoutables que les armes pour garantir la paix dans le monde. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI, INDEP et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Florence Parly, ministre des armées . - Ce débat fait honneur à notre pays. Il marque l'unité de la Haute Assemblée témoignant aux Ukrainiens l'amitié, la solidarité et le plein soutien du peuple français.
Le 24 février, la Russie a lancé une attaque illégale et massive contre l'Ukraine. Pendant des semaines, nous avons assisté au déploiement d'un dispositif militaire massif sous couvert d'exercices militaires en Russie et Biélorussie. Poutine s'était engagé à retirer les troupes, ce qu'il n'a pas fait, malgré tous les efforts diplomatiques déployés, dont ceux du chef de l'État.
Nos moyens de renseignements nous apportent une appréciation souveraine de la situation. Les Russes poursuivent leur offensive sur tous les fronts, au sud, à l'est et au nord. Kiev est encerclé et des frappes sont en cours.
Les frappes des premiers jours ont principalement ciblé des lieux stratégiques, pour s'assurer la supériorité aérienne. Aujourd'hui, la situation est plus confuse. Les forces russes maintiennent un blocus naval en mer noire et en mer d'Azov. Les forces ukrainiennes mènent des combats acharnés et résistent mieux que ce que les Russes avaient anticipé. Cela illustre le courage de tout un peuple qui s'est levé pour défendre ses valeurs qui sont aussi les nôtres.
La France agit pour aider les Ukrainiens à se défendre et pour assurer sa posture de défense, afin que la Russie comprenne bien à quoi elle s'exposerait si elle s'en prenait à l'alliance.
Nous ne pouvons être des cobelligérants dans ce conflit. La France ne peut recourir à la force que si elle ou l'un de ses alliés est directement attaqué. Pour autant, nous ne pouvons rester les bras croisés.
Aussi, nous avons répondu à l'appel de l'Ukraine et livré des équipements de défense, dont je ne peux donner le détail. Nous parlons d'équipements de protection, de carburants, de missiles et de munitions. Nous avons pu donner plus de détails à la commission de la défense ce matin, à huis clos. (M. le président de la commission des affaires étrangères le confirme.)
L'Europe aussi est pleinement engagée dans cette voie. Elle livrera pour 500 millions d'euros d'équipements de défense à l'Ukraine. C'est la première fois que la facilité européenne de paix est utilisée depuis qu'elle a été créée il y a un an, grâce à l'impulsion du président de la République. C'est un pas historique pour l'Europe qui a su agir vite et fort. À l'heure de la présidence française de l'Union européenne, nous sommes déterminés à aller plus loin pour doter l'Europe de la défense de tous les outils dont elle a besoin. Nous coordonnons aussi nos aides bilatérales à l'Ukraine. L'Union européenne s'appuiera sur un hub logistique en Pologne.
La France est contributrice majeure du soutien apporté par l'Alliance à ses membres. Au lendemain de l'agression de la Crimée par la Russie en 2014, nous nous étions accordés sur une présence renforcée dans les États baltes et en Pologne, pour montrer que ces territoires étaient bien couverts par la garantie de l'Alliance.
La situation créée par l'agression russe nous a poussés à renforcer ces dispositifs, pour défendre et rassurer nos alliés de l'Est. Le Président de la République a été très clair sur ce point lors du Conseil européen de jeudi dernier et lors du sommet de l'Alliance le lendemain. Nous allons renforcer le déploiement de nos avions de chasse dans les États baltes avec des Mirages et des avions ravitailleurs. D'ores et déjà, nous effectuons des patrouilles quotidiennes sur le flanc est de l'Europe. Nous allons renforcer ponctuellement nos bataillons en Estonie, ainsi qu'en Roumanie, avec 500 militaires accompagnés de leurs blindés. Nous serons bientôt rejoints par nos alliés.
À quoi nous préparons-nous ? La crise a fait comprendre à l'opinion publique que la guerre n'était pas lointaine. Notre sécurité est en jeu. Ce constat n'est pas nouveau pour le ministère des armées, qui connaît le retour de la stratégie des puissances. Notre LPM de remontée en puissance 2019-2025 s'est aussi accompagnée d'un travail conceptuel sur la notion de haute intensité.
Quelle est notre crédibilité face à un agresseur puissant et déterminé ? Après des décennies de sous-investissement, grâce à la LPM nous avons inversé la tendance pour sécuriser un modèle d'armée complet d'ici à 2030.
Il s'agit aussi de coopérer avec nos partenaires car il est peu probable que la France se retrouve engagée seule dans un conflit de haute intensité. Notre engagement au sein de l'Union européenne et de l'OTAN est une composante essentielle de notre défense. Depuis cinq ans, nous avons beaucoup oeuvré pour faire grandir l'Europe de la défense. Nous sommes désormais capables de réagir vite et fort.
Quel est le niveau de résilience de la Nation, et pourra-t-elle encaisser le choc ? Nous avons bâti une capacité à surmonter des cyberattaques massives et des attaques de satellites.
Nous vivons un moment historique. L'Ukraine, en tant que Nation, lutte pour sa survie et pour les valeurs de l'Europe. Soit l'Europe fait face, soit elle s'efface. Avec les mesures fortes prises dans l'unité, l'Europe fait face. La France continuera à jouer un rôle moteur dans cette action européenne. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du groupe CRCE ; Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit cependant.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué, chargé du tourisme, des Français de l'étranger et de la francophonie, et des PME . - Katyne, Budapest, Prague, Sarajevo, Kharkiv, Kiev... L'Ukraine s'ajoute à cette liste tragique des cauchemars européens.
Ce choix injustifiable et irresponsable de Poutine est une rupture avec tous les principes et engagements grâce auxquels nous avons pu sortir de ce passé tragique, aidés par nos institutions et conventions internationales. Le 24 février marque une régression majeure pour la paix et le droit international. La Russie est revenue sur le primat du droit sur la force. Elle a voulu anéantir un état souverain, et a affiché son mépris envers les droits fondamentaux de 44 millions d'Ukrainiens.
Il nous faut repenser le multilatéralisme. Le président Retailleau a dit qu'il fallait faire preuve d'imagination. Nous agissons pour redéfinir notre architecture européenne de sécurité, nous agissons aussi pour revoir des règles de concertation, par exemple en matière de limitation du droit de veto aux Nations unies en cas d'atrocités commises.
Comme l'a dit le Président de la République et comme l'ont dit nombre d'entre vous, nous sommes à un tournant historique. L'histoire dépendra de nos actes. La France, l'Europe, comme les institutions internationales, se devaient de réagir sans faiblesse. La Cour internationale de justice a lancé une procédure pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.
Nous sommes unis, avec nos alliés, pour encourager la désescalade. Le Président de la République a proposé des solutions. Poutine a toujours pris les mauvaises options. Il a menti, et porte seul l'entière responsabilité de cette guerre. Poutine a fait le choix de la guerre, le président Zelensky celui de la résistance. Le président Zelensky est le seul gouvernant que nous reconnaissons, car il est issu des urnes.
Quelque 1,2 milliard d'euros a été débloqué. La France mobilise 100 millions d'euros pour les populations ukrainiennes. Environ 33 tonnes de matériel sont arrivées en Pologne, demain 40 tonnes partiront vers la Moldavie... Les collectivités territoriales et les associations font preuve d'une très grande solidarité, et nous accentuons la collaboration entre collectivités territoriales et État.
Nous allons étendre les visas pour les personnes qui sont sur notre sol, et les préfets vont recenser toutes les propositions d'accueil et d'hébergement.
En matière de solidarité, nous sommes aussi aux côtés de la Moldavie et de la Géorgie, inquiètes de la situation. Nous sommes aussi solidaires avec nos compatriotes, dont 800 à 1 000, sur 1 500, sont encore présents en Ukraine. Nous avons encore une emprise diplomatique à Lviv, et nous aidons tous nos ressortissants qui veulent quitter le pays. Je salue le travail de tous les agents du ministère, qui aident au quotidien nos ressortissants : le fil est ténu, mais ô combien précieux.
Nous encourageons les regroupements en convoi - nous ne pouvons garantir leur sécurité, mais nous passons de nombreux messages aux belligérants pour qu'ils puissent passer. Je salue le courage de notre ambassadeur Étienne de Poncins et de ses équipes.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. - Très bien !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué. - Les sanctions actuelles sont les plus dures jamais prises. Cette fermeté se traduit aussi dans les enceintes internationales, où la Russie est désormais isolée. Demain, à l'assemblée générale des Nations unies, un nouveau vote devrait renforcer cette unité. La Russie est aujourd'hui suspendue du Conseil de l'Europe.
L'Europe est sortie de la naïveté et a compris son rôle dans une nouvelle architecture équilibrée de défense.
Cette épreuve concerne tout le monde : les Ukrainiens, l'Europe, notre pays. Nous vivons dans un monde lourd de menaces, mais les valeurs de notre République nous ont toujours sauvés, après les attentats et la crise sanitaire. J'en suis convaincu : nous saurons faire face à ce choc immense. (Applaudissements sur quelques travées des groupes RDPI, SER, RDSE, UC, Les Républicains et INDEP)
M. Olivier Dussopt, ministre délégué, chargé des comptes publics . - Les sanctions ont fait l'objet hier d'un quatrième paquet au niveau de l'Union européenne afin d'y intégrer la Biélorussie. Quelque 500 personnes ou entités sont sanctionnées. Le règlement des sanctions est en cours d'élaboration pour définir précisément les modalités d'intervention. Nos services sont mobilisés pour parvenir rapidement à des résultats concrets. Des avoirs sont en cours d'identification, et nous nous satisfaisons de la décision de la Suisse et de Monaco, qui vont appliquer l'ensemble des sanctions européennes. Depuis vingt-quatre heures, les actifs de la Banque centrale russe sont gelés, au sein des banques privées françaises. À l'échelle européenne, ce sont environ 100 milliards d'euros d'actifs qui ne sont plus disponibles pour soutenir le rouble.
Quelque 1,2 milliard d'euros d'aides ont été accordés à l'Ukraine, en parallèle des livraisons d'armes. La France, quant à elle, a débloqué 300 millions d'euros pour ce pays.
La France n'est pas la plus touchée par les conséquences économiques de la guerre en Ukraine : nos exportations vers la Russie se montent à 6,4 milliards d'euros. Les exportations s'élèvent à 9,7 milliards d'euros et, pour les trois quarts, il s'agit de produits énergétiques.
À l'échelle de l'Europe, les exportations se montent à 92 milliards et les importations à 145 milliards, dont 75 % sont des produits énergétiques. De fait des sanctions, transports, chimie, cosmétiques, pharmacie, machines industrielles et agricoles seront touchés, tout comme le secteur agroalimentaire. Les deux secteurs de préoccupation sont les engrais azotés, dont le coût va augmenter, et le blé, dont le cours s'envole. Des mouvements sociaux risquent de se produire dans les pays où le pain est la base de l'alimentation, notamment en Afrique du Nord. En matière de métaux rares, comme le titane, nous travaillons à un plan de résilience qui ne demande pas d'intervention législative, ce qui fera gagner du temps.
Nous ne pouvons pas mesurer l'impact de ces évènements sur la confiance des ménages et des investisseurs. Nous ne pouvons pas non plus mesurer toutes les conséquences en matière d'énergie, mais il y en aura. En effet, 40 % du gaz consommé en Europe est russe. Les mécanismes de régulation indexent en grande partie le prix de l'électricité sur le prix du gaz. Il faudra traiter cette question et nous prolongerons autant que nécessaire le bouclier tarifaire sur le gaz et l'électricité. En outre, de nombreuses entreprises non couvertes par ce bouclier devront faire l'objet de notre attention.
Si la crise reste brève, la perte de croissance mondiale s'élèverait à 0,2 point. Dans un scénario plus dur, la perte pourrait atteindre un point. Pour la Russie, ce serait beaucoup plus. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI, du RDSE, du GEST et des groupes SER, UC, Les Républicains et INDEP)
Ajournement du Sénat
M. le président. - Je constate que le Sénat a épuisé son ordre du jour. Dans ces conditions, le Sénat va suspendre ses travaux en séance publique.
Cette suspension ne concerne que nos travaux en séance publique. Durant cette période, notre assemblée poursuivra les divers travaux engagés au sein de ses commissions, délégations, missions d'information et commissions d'enquête.
Nous pourrons cependant nous réunir à tout moment si nécessaire, si le Gouvernement le juge nécessaire, ou si nous en formulons la demande, en fonction de l'évolution de la situation.
Je tiens à vous remercier pour ce débat ainsi que nos nombreux collègues qui étaient présents ce soir.
Nous avons tous une pensée ce soir pour nos soldats et pour l'Ukraine. Ce sont eux qui guident notre engagement ! (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement.)
La séance est levée à 22 heures.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication