Choix du nom issu de la filiation (Nouvelle lecture)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative au choix du nom issu de la filiation.
Discussion générale
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Ce débat, qui se tient dans des circonstances particulières, devrait voir l'adoption de la motion, déposée par votre commission des lois, tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation.
Je le regrette amèrement pour les Françaises et les Français qui espèrent en ce texte. Ils sont des milliers à connaître la difficulté, parfois la souffrance, de supporter leur nom davantage que de le porter. Il ne tenait qu'à vous d'apaiser leurs souffrances en adoptant cette réforme équilibrée et de bon sens.
Je le regrette pour les mères forcées de justifier à tout bout de champ que leur enfant est bien le leur, pour ceux qui traînent leur nom comme un boulet.
À gauche comme à droite, des efforts ont été accomplis pour atteindre un compromis. Hélas, le processus législatif s'est heurté au front du conservatisme. Après l'échec de la CMP, l'Assemblée nationale a donc rétabli l'ossature de son texte.
Son rapporteur avait pourtant répondu aux inquiétudes du Sénat, en particulier à travers le délai de réflexion d'un mois prévu avant le changement à l'état civil. Mais cela n'a pas suffi, et la majorité sénatoriale refuse aujourd'hui le débat. À la vérité, elle refuse de voir que la société évolue et que la loi civile doit s'adapter.
À ceux qui s'arc-boutent, je dis qu'ils font fausse route ; à ceux qui attendent cette réforme, qu'ils peuvent compter sur ma détermination. Oui, n'en déplaise aux esprits chagrins, j'approuve totalement cette réforme de simplification et de justice !
J'ai une affection spéciale pour le Sénat, dont le regard permet le plus souvent de mieux tendre vers l'intérêt général. J'ai apprécié de travailler avec vous, sénatrices et sénateurs de tous les bords. Je salue en particulier la commission des lois et son président.
Eussé-je eu un quelconque doute sur l'utilité du bicamérisme, ces deux années à vos côtés l'auraient à coup sûr dissipé.
Mme Catherine Di Folco. - Très bien !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Nous avons réalisé ensemble de belles avancées, sur l'initiative du Gouvernement ou du Sénat. Je pense notamment à la loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention et à la loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste, initiées respectivement par M. Buffet et Mme Billon.
Je regrette donc l'issue défavorable de la commission mixte paritaire. Il y a des trains qu'on rate et des trains qu'on refuse de prendre. Je suis triste que vous ne soyez pas montés à bord de cette réforme de bon sens.
Cet après-midi même, je serai à l'Assemblée nationale pour l'adoption définitive de ce texte, une oeuvre utile et une oeuvre juste. J'affirme, sans forfanterie, que l'avenir nous donnera raison.
Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Dominique Vérien applaudit également.) Nous sommes appelés à nous prononcer en nouvelle lecture sur la proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation, après l'échec de la CMP.
Important par les principes qu'il met en jeu comme par les conséquences qu'il peut entraîner sur la vie de nombre de nos concitoyens, ce texte a été examiné en toute fin de session, avec une célérité qui ne me paraît pas justifiée.
Nous avons toutefois réussi à mener des travaux sérieux, en faisant appel à l'expertise de nombreux professionnels. Ce sont leurs analyses qui ont fondé notre position, pas des partis pris idéologiques.
Le Sénat n'a pas été hostile à ce texte. Nous sommes conscients de la nécessité de simplifier les démarches de changement de nom pour répondre à certaines situations problématiques. Nous avons convergé avec l'Assemblée nationale sur certains points - ce que les députés ont semblé oublier.
Plus précisément, nous avons accepté une souplesse accrue sur le nom d'usage, pour apporter une réponse rapide aux majeurs qui souffrent du nom qu'ils portent. Nous avons accepté aussi une procédure simplifiée en cas de choix d'un nom issu de sa filiation. Enfin, nous étions d'accord pour redonner aux adultes le même choix que celui des parents à la naissance de leur enfant.
Par ailleurs, le Sénat a adopté conforme l'article 2 bis, pour que la juridiction se prononce sur un changement de nom du mineur en cas de retrait de l'autorité parentale, et l'article 3, qui supprime l'intervention du tuteur en cas de changement de prénom d'un majeur protégé.
Restaient deux points de divergence, sur la situation des mineurs et le rôle des communes, suffisamment importants pour faire obstacle à un accord.
Un enfant ne fait pas de différence entre un nom d'usage et un nom de famille. Dès lors, l'article premier présente un défaut de conception, puisqu'il repose sur l'idée qu'il serait légitime de changer le nom d'un enfant pour faciliter la vie quotidienne d'un parent ou restaurer l'égalité parentale. Nous avons été soucieux de ne pas perturber l'enfant dans la construction de son identité et sa vie sociale.
Nous n'avons pas accepté non plus la solution proposée par les députés pour répondre à la demande de simplification formulée par le collectif « Porte mon nom ». En effet, ce système pourrait créer des situations instables dans lesquelles un enfant serait nommé différemment chez son père et chez sa mère.
Quant à la procédure de changement de nom simplifiée prévue à l'article 2, ses effets sur les mineurs n'ont pas été suffisamment expertisés.
S'agissant des communes, nous ne voulons pas que la simplification du fonctionnement du ministère de la justice se fasse au détriment des services d'état civil des mairies. La procédure proposée semble avoir été conçue de façon opportuniste, après l'abandon d'un projet de numérisation et compte tenu des retards accumulés.
En première lecture, nous avons proposé une procédure toujours centralisée auprès du ministère, mais simplifiée - un arrêté aurait suffi - , en prévoyant des garanties, dont une période de réflexion de trois mois.
Les députés ont rétabli leur dispositif initial, prévoyant certes un délai de réflexion, mais d'un mois seulement, ce qui est insuffisant.
En somme, l'Assemblée nationale a repris peu ou prou son texte de première lecture Ce n'est pas une surprise : après l'examen au Sénat, les députés avaient parlé de détricotage, sans relever les avancées votées par notre assemblée. Je dirais plutôt que nous nous sommes livrés à un reprisage : pour le dire dans un langage fleuri, nous avons tenté de faire une robe de bal d'un sac de pommes de terre... (Sourires)
Notre position a été caricaturée, et le refus de mieux prendre en compte l'intérêt de l'enfant et de renoncer au transfert de tâche supplémentaire aux communes a conduit au blocage. C'est pourquoi la commission vous proposera d'adopter une motion tendant à opposer au texte la question préalable.
Derrière moi, les statues de grands législateurs nous surplombent. À les considérer, ma pensée vagabonde. Et je pense à Antoine Blanc de Saint-Bonnet, qui écrivait en 1845 : « On aime les événements ; cependant, au milieu des choses qui passent, on devrait songer aux lois qui restent. » (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Joël Guerriau applaudit également.)
Mme Esther Benbassa . - Tout le monde n'a pas la chance de s'appeler Dupond et de naître en Normandie. (Sourires sur certaines travées) Laissez-moi vous raconter mon histoire.
Née à Istanbul, je suis arrivée en France en 1972. Au moment de ma naturalisation, je n'ai pu produire que les documents remis par Israël, où j'avais vécu sept ans. Les erreurs de transcription et de traduction aidant, je me suis un temps appelée « Benbassat ».
Des années durant, je me suis battue pour porter un nom et un prénom qui soient vraiment les miens. Mais le désordre n'a fait que s'aggraver.
Je me suis crue sauvée en arrachant un certificat de naissance à la Turquie. Las ! En turc, je me nomme « Ester Benbasa ». Mes nom et prénom continuèrent ainsi de varier selon les documents. Ceux que vous me connaissez n'ont longtemps été que de plume...
En 2014, je décidai d'être moi-même une fois pour toutes. Mais pour m'appeler Esther - avec un « h », comme chez Racine - Benbassa - seule graphie qui fasse sonner mon nom correctement pour les francophones -, il me fallut demander un changement de nom, qu'enfin j'obtins en 2016. Je ne suis donc l'Esther Benbassa que vous connaissez que depuis cinq ans et demi, après près d'un demi-siècle d'errances onomastiques.
Les motivations qui conduisent à vouloir changer de nom sont nombreuses et touchent toujours à l'intime. Pensons à celles et ceux qui ont été victimes d'inceste ou abandonnés ; aux mères seules qui doivent sans cesse prouver leur lien de filiation.
Simplifier et faciliter : voilà ce que nous aurions dû faire, de concert avec l'Assemblée nationale. Je regrette le choix de la majorité sénatoriale de nous priver d'un débat attendu et utile. Je voterai contre la motion.
M. Hussein Bourgi . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le groupe SER regrette l'échec de la CMP, mais il était prévisible, le Sénat ayant vidé la proposition de loi de sa substance.
Comme le garde des Sceaux, je déplore l'absence de compromis sur un tel sujet. Mais Patrick Vignal, l'auteur du texte, ne pouvait tout simplement pas renoncer à l'essence même de son initiative. Or la majorité sénatoriale a opposé un refus de principe.
Nul pourtant ne conteste l'utilité d'une réforme attendue par des milliers de nos concitoyens. C'est un texte de liberté, qui n'impose rien à personne.
Il s'agit de donner aux mères la place qui leur revient dans le nom de leur enfant, particulièrement dans les familles monoparentales, et de soulager la souffrance de nos concitoyens contraints de porter le nom d'un parent violent. Cette proposition de loi représente un espoir pour ceux qui portent le même nom qu'un terroriste, un violeur en série ou un assassin tristement célèbre. Elle simplifie des procédures dont la durée et le coût représentent souvent des freins.
Je peine donc à comprendre la majorité sénatoriale, qui a vu dans ce texte un énième coup porté au modèle familial traditionnel. (Mme le rapporteur le conteste.) Pourtant, nulle intention d'invisibiliser les pères. Il s'agit d'embrasser la diversité des situations familiales.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale allait dans la bonne direction, et nous aurions dû l'enrichir. Il aurait été de bon ton que l'ultime CMP du quinquennat se termine dans la concorde. Hélas, la position de la majorité sénatoriale risque de réduire l'influence de notre assemblée.
Je salue néanmoins notre rapporteur, Marie Mercier, qui a beaucoup travaillé, comme plusieurs d'entre nous, pour améliorer cette proposition de loi.
Ce qui me chagrine le plus, c'est que nos concitoyens qui attendent cette loi puissent penser, à tort ou à raison, que le Sénat a été insensible à leur souffrance. Oui, cela me chagrine pour nous tous. Mais je ne doute pas que nos collègues députés adopteront un texte répondant aux attentes.
À l'occasion de ma dernière intervention du quinquennat, je salue l'ensemble de nos collègues, les services du ministère et les collaborateurs de M. le garde des Sceaux. Depuis mon arrivée au Sénat, voilà dix-huit mois, je me suis plus souvent retrouvé à vos côtés que face à vous. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme Nadège Havet . - La proposition de loi de Patrick Vignal a été adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture à une large majorité.
Elle facilite le changement de nom, qui est possible mais difficile, coûteux et aléatoire. La procédure sera simplifiée, sous la forme d'une démarche en ligne. Tout majeur pourra également ajouter à son nom celui de son deuxième parent.
Cette proposition de loi facilite aussi la vie des parents dont l'enfant ne porte que le nom de l'autre parent. Certaines mères sont contraintes de présenter systématiquement le livret de famille pour prouver leur filiation dans des démarches banales.
Le texte a été substantiellement modifié par le Sénat, qui a supprimé la faculté de substituer le nom d'un parent à celui de l'autre comme nom d'usage et rétabli l'accord de l'autre parent pour adjoindre un autre nom au nom d'usage de l'enfant.
L'Assemblée nationale a, pour l'essentiel, rétabli son texte initial, acceptant toutefois un délai de réflexion d'un mois après réception de la demande, conformément au voeu du Sénat.
Nous soutenons le texte des députés et voterons contre la question préalable. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Michelle Meunier applaudit également.)
M. Joël Guerriau . - Nous regrettons l'échec de la CMP, alors que nos deux chambres partagent le constat d'une procédure de changement de nom trop complexe.
Le nom de famille est parfois un héritage trop lourd à porter. Certains renvoient à des violences ou des abus. D'autres prêtent à rire, mais ne font même plus sourire ceux qui les portent.
La proposition de loi simplifie la procédure de changement, qui suppose pour l'heure un décret. La commission des lois partageait cet objectif, mais entendait maintenir la solennité de la démarche. Il ne s'agit certes pas d'un acte anodin, mais rien ne permet de craindre que nos concitoyens se saisiront de cette opportunité à mauvais escient.
Les points de convergence étaient nombreux. (Mme le rapporteur le confirme.) Je regrette d'autant plus l'échec de la CMP.
Il est opportun de décentraliser la procédure : gérée par le ministère de la justice, elle peut durer jusqu'à sept ans. Mais il faudra donner aux services d'état civil municipaux les moyens dont ils ont besoin.