Implantation de panneaux photovoltaïques sur des sites dégradés
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi visant à permettre l'implantation de panneaux photovoltaïques sur des sites dégradés, présentée par M. Didier Mandelli et plusieurs de ses collègues.
La Conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du Règlement du Sénat.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et INDEP) L'article 102 de la loi Climat, introduit au Sénat en première lecture, a été censuré par le Conseil constitutionnel. Cette proposition de loi de Didier Mandelli vise donc à faire enfin aboutir une demande consensuelle formulée de longue date par les élus du littoral, freinés par la loi Littoral de 1986, qui n'autorise les constructions nouvelles qu'à proximité des agglomérations et villages existants. Des dérogations ont été autorisées pour les activités marines, agricoles et forestières, mais rien n'a été prévu pour le photovoltaïque, que le juge administratif considère comme de l'urbanisation.
De nombreuses communes littorales se trouvent dans une impasse juridique, comme l'Île d'Yeu, que nous avons visitée le 3 février avec M. Mandelli. Elle porte depuis plus de dix ans un projet photovoltaïque sur une ancienne décharge, afin de ne pas empiéter sur des surfaces naturelles, mais se heurte à l'application de la loi Littoral.
À l'heure où la France affirme ses ambitions écologiques, avec l'objectif de 40 % d'énergies renouvelables dans notre mix énergétique d'ici 2030 - objectif que la loi Climat entend décliner au niveau régional - il est essentiel que chaque territoire exploite tout son potentiel. Le problème est accentué dans les régions insulaires, où l'approvisionnement en énergies fossiles peut être instable et coûteux. En outre, les communes littorales comprennent parfois des territoires situés loin des côtes, surtout dans les outre-mer.
Dès 2015, le législateur a assoupli la loi Littoral pour les éoliennes. Il faut faire de même pour le photovoltaïque.
Cette proposition de loi encadre la dérogation à la loi Littoral en la limitant aux friches, selon une liste fixée par décret. Les projets seront autorisés au cas par cas par l'autorité compétente de l'État, après étude d'incidence. La commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS) sera consultée. En outre, la commission a prévu la consultation du Conservatoire du littoral pour l'établissement de la liste des friches concernées et précisé le champ de l'étude d'incidence.
Le recensement des friches n'a pas encore débuté, mais une vingtaine de sites seraient concernés.
Notre commission approuve pleinement cette proposition de loi. Certains auraient souhaité aller plus loin, mais c'est une première étape.
Ce texte doit aller au terme de la navette. Malheureusement, il ne sera pas à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale avant la suspension des travaux. Son adoption aurait pourtant été une simple formalité. Un examen éclair aurait été possible en faisant preuve de volontarisme politique, madame la ministre, avec la procédure accélérée. Espérons que ce sera le cas lors de la prochaine législature.
Mettons nos actes en cohérence avec nos ambitions énergétiques et aidons le solaire à trouver sa place. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et INDEP)
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État, chargée de la biodiversité . - Je remercie M. Mandelli de cette proposition de loi. Nous avons tous à coeur de développer le photovoltaïque, dans le respect de la loi Littoral.
Cette disposition, introduite dans la loi Climat par l'amendement de M. Mandelli, a été censurée par le Conseil constitutionnel comme cavalier législatif.
La loi Littoral de 1986 concerne plus de 1 200 communes en bordure de mer, de lac, d'estuaire ou de delta. Elle est historique et le Gouvernement y est très attaché. Toute dérogation doit être évaluée. C'est le cas ici, et cette proposition de loi remplit un devoir de prudence.
Le développement des énergies renouvelables est impératif. Si nous souhaitons sortir des énergies fossiles - qui représentent encore deux tiers de notre consommation d'électricité - et renforcer notre autonomie énergétique, nous devons nous appuyer sur les trois piliers que sont la sobriété, les énergies renouvelables et le nucléaire. Il faut donc développer le photovoltaïque.
Nous avons lancé des appels d'offres pour des centrales, dont le cahier des charges a été validé par la Commission européenne à l'été 2021 pour les cinq premières années de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) 2019-2028.
Nous avons également étendu l'arrêté tarifaire à plus de projets photovoltaïques sur bâtiment, afin de monter des projets plus rapidement.
Ces mesures portent leurs fruits : le niveau de raccordement atteint des records. Sur un parc photovoltaïque total de 13 gigawatts, on comptait plus de 2 gigawatts de raccordements supplémentaires l'an dernier, soit l'équivalent de deux réacteurs nucléaires !
L'effort doit encore être amplifié. Le parc photovoltaïque devra présenter, en 2050, un potentiel de 100 gigawatts. Cela passe par la mobilisation du foncier sur les bâtiments, avec l'identification de sites par les services de l'État, et au sol, sur des terrains déjà artificialisés. Les appels d'offres prévoient une bonification pour les projets sur friches.
Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) a établi une liste de 874 friches potentielles, pour 7 800 mégawatts, qui sera publiée très prochainement. Tous les acteurs, notamment les collectivités territoriales, pourront se saisir de ces opportunités.
Cette proposition de loi est cohérente avec le grand effort national de déploiement de panneaux photovoltaïques et notre souci de préserver la cohérence du territoire tout en améliorant notre mix énergétique. Elle limite la dérogation aux sites dégradés, dans le cadre d'une liste limitative et uniquement pour le solaire.
Nous encourageons l'installation des panneaux sur les toitures.
Notre priorité est la valorisation des friches, afin de lutter contre l'artificialisation des sols. Au total, le Fonds friches aura été doté de 750 millions d'euros, dont 100 millions d'euros pour l'année 2022.
Cette proposition de loi respecte pleinement la lettre et l'esprit de la loi Littoral. Il ne s'agira que d'installations exceptionnelles, autorisées après avis de la CDNPS et seulement dans le cas où ce projet serait plus bénéfique qu'une renaturation. Nous espérons un décret déterminant une vingtaine de sites possibles dès 2022.
Cette proposition de loi est exigeante et protectrice. Le Gouvernement y est pleinement favorable. Je remercie Didier Mandelli. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Éric Gold applaudit également.)
Mme Nadège Havet . - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Henri Cabanel applaudit également.) Le RDPI soutient pleinement ce texte. Quelque 115 communes sur les 277 de mon département, qui compte 1 250 kilomètres de côtes, sont littorales.
Cette proposition de loi reprend une disposition de la loi Climat, censurée en tant que cavalier législatif. Son article unique vient confirmer la volonté du législateur, mais cette fois, le véhicule législatif est adapté.
Depuis 1986, les constructions nouvelles dans les communes littorales ne peuvent être réalisées qu'en continuité urbaine. La jurisprudence est claire : ces dispositions s'appliquent aux parcs photovoltaïques. Des dérogations sont prévues pour les cultures marines et les activités agricoles et forestières et, depuis 2015, les éoliennes. Mais les tentatives d'inclure les panneaux solaires ont échoué.
Or certaines communes insulaires sont totalement dépendantes des énergies fossiles. Il y a conflit entre la norme d'il y a quarante ans et nos objectifs environnementaux d'aujourd'hui. Une nouvelle dérogation à la loi Littoral serait donc une avancée souhaitable et légitime. À Fouesnant dans le Finistère, il est impossible d'installer des panneaux sur une ancienne décharge, mais la terre ne peut être rendue à l'agriculture.
Des garde-fous doivent néanmoins être prévus et tel est bien le cas.
On voit bien combien il est compliqué de proposer à nos administrés un aménagement équilibré.
Malgré l'attachement des élus, la loi Littoral est perçue comme trop rigide, de surcroît interprétée strictement par le juge. Elle a empêché le bétonnage de nos côtes, mais elle crée des tensions localement. En 2014, le rapport de nos collègues Odette Herviaux et Jean Bizet jugeait son application abstraite, instable et hétérogène.
Offrons un cadre juridique adapté aux enjeux contemporains : nous avons besoin d'antennes pour améliorer la desserte numérique, d'habitations pour nos agriculteurs à proximité de leurs cultures, de combler les dents creuses dans nos villages littoraux. Ces sujets doivent être abordés avec pragmatisme.
Je salue la politique volontariste du Gouvernement qui encourage les reconversions des friches : 750 millions d'euros ont déjà été engagés avec succès. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Pierre Médevielle . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Pascal Martin applaudit également.) Cette proposition de loi doit beaucoup à l'impulsion du Sénat : je salue son auteur et son rapporteur.
Il y a urgence pour nos territoires soumis à la loi Littoral. La dérogation proposée est acceptable, car strictement encadrée.
Il s'agit de développer le solaire tout en limitant l'artificialisation des sols. L'installation de panneaux solaires sera désormais autorisée sur des friches préalablement identifiées. Je connais l'engagement du Gouvernement sur ce sujet, avec plusieurs gigawatts supplémentaires à la clé.
En installant du photovoltaïque sur des sites dégradés, on contribue à atteindre les objectifs environnementaux tout en préservant nos sols. Dans la région toulousaine, j'ai rendu visite hier à un acteur local qui porte un projet ambitieux : produire de l'énergie renouvelable sur des sols qui continueront à être cultivés. Il faut lever les obstacles administratifs et clarifier le cadre juridique, car l'agrivoltaïsme est synonyme d'espoir pour notre mix énergétique et nos agriculteurs.
L'ambition, l'innovation, la recherche et les moyens adéquats sont les clés de nos ambitions énergétiques et agricoles.
Cette proposition de loi s'inscrit dans cette démarche. L'étude d'incidence sera garante de la qualité du projet, qui devra être sans impact sur la salubrité publique, tout en respectant l'environnement.
Membre du conseil d'administration du Conservatoire du littoral, je me réjouis que celui-ci soit consulté.
Ce texte a déjà fait l'objet d'un accord avec l'Assemblée nationale et reflète la demande des territoires et des citoyens qui y vivent. Le groupe INDEP le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et au banc des commissions ; M. Ludovic Haye et Mme Annick Billon applaudissent également.)
M. Didier Mandelli . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Annick Billon applaudit également.) Enfin ! Il y a quelques années, j'ai été alerté par le maire de l'Île d'Yeu, qui ne réussissait pas à concrétiser un projet de parc photovoltaïque sur ancien site d'enfouissement - qui aurait pourtant couvert 35 % des besoins en électricité de sa commune.
L'obstacle est connu : la loi Littoral, à laquelle nous sommes certes attachés, mais selon laquelle le photovoltaïque est une extension de l'urbanisation. Dès 2017, j'ai donc alerté le Gouvernement.
Cela fait plus de dix ans que des maires, dont celui de l'Ile d'Yeu, ne peuvent concrétiser leurs projets. Une vingtaine de sites pourraient être concernés, ce qu'a confirmé la ministre.
Le sujet a d'abord été abordé dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, puis dans celle sur l'économie bleue, dans la proposition de loi relative au développement durable des territoires ruraux et enfin dans la loi Climat. Enfin, nous avions un accord avec l'Assemblée ; hélas le Conseil constitutionnel a estimé qu'il s'agissait d'un cavalier législatif, ce que je ne comprends pas.
Je remercie le rapporteur pour son travail et sa venue en Vendée.
Le texte ajuste la loi Littoral à nos objectifs environnementaux. Il a été voté à l'unanimité en commission, à l'issue de la procédure de législation en commission, car c'est une mesure de bon sens. Je salue l'accord du Gouvernement porté par Emmanuelle Wargon en commission et par vous, madame Abba, ici. J'appelle à sa large adoption et à son inscription rapide à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC ; Mme Nadège Havet applaudit également.)
M. Ronan Dantec . - Le groupe GEST avait soutenu ce dispositif dans la loi Climat, tout en veillant à ce que toute dérogation à la loi Littoral soit strictement limitée. Le travail en commission mixte paritaire a introduit des garanties : autorisation à titre exceptionnel ; avis de la CDNPS ; étude d'incidence ; obligation pour l'implantation de panneaux photovoltaïques de présenter un bénéfice supérieur à la renaturation de la friche.
Le dispositif ayant été censuré comme cavalier législatif par le Conseil constitutionnel, la proposition de loi apporte de nouvelles garanties. Elle va dans le bon sens et nous saluons le travail de la commission.
Le GEST a proposé que l'étude d'incidence mentionne que le projet ne porte pas atteinte à la biodiversité, ce qui répond à vos préoccupations, madame la ministre. (Mme la ministre le confirme.) La consultation du Conservatoire du littoral est aussi bienvenue.
Les collectivités territoriales pourront ainsi sortir d'une impasse juridique, dans un cadre qui demeure protecteur. L'impact sera cependant limité à une vingtaine de sites.
La France accuse un lourd retard dans les énergies renouvelables : selon Eurostat, nous sommes le seul pays européen à manquer notre objectif de 23 % d'énergies renouvelables en consommation finale d'électricité en 2020, en dépit d'un très fort potentiel. Si nous voulons la neutralité carbone en 2050 et tenir l'objectif européen Fit for 55, il faut accélérer. Le volontarisme auquel j'appelle va au-delà de la simple inscription du texte à l'Assemblée nationale, monsieur le rapporteur !
N'oublions pas que c'est d'abord l'éolien terrestre, moins coûteux et plus facile à installer, qui offre le meilleur retour sur investissement. Monsieur le rapporteur, si l'on veut mettre les actes en cohérence avec nos ambitions, il faut étendre l'assouplissement à l'éolien, clé de notre indépendance énergétique dans un contexte de fortes tensions internationales.
Mme Marie-Claude Varaillas . - L'adaptation de la loi Littoral à la réalité de nos territoires est une question récurrente et légitime. Pour autant, le groupe CRCE est très attaché à l'acquis que représente cette loi pour la préservation de l'environnement et des paysages. Elle est malheureusement trop souvent remise en cause pour de mauvaises raisons.
La dérogation prévue par le texte n'est pas à la main des élus, mais autorisée par le préfet, après avis de la CDNPS, et encadrée par une étude d'incidence. La liste de friches concernées sera fixée par décret.
Le texte a favorablement évolué en commission, avec une extension de l'étude d'incidence à la biodiversité et la consultation du Conservatoire du littoral pour établir la liste des friches, notamment. Nous regrettons cependant que l'avis du maire ou du président de l'EPCI concerné ne soit pas sollicité.
Nous considérons que la place du solaire dans notre mix énergétique doit être défendue : elle n'est pour l'heure pas acceptée à moins de 100 mètres de l'eau et soumise au principe de continuité urbaine prévu par l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme - jurisprudence confirmée par la cour administrative d'appel de Marseille sur le projet de parc photovoltaïque « Soleil participatif du Narbonnais ».
Cette proposition de loi est bienvenue pour implanter des parcs photovoltaïques sur des sites impropres à l'agriculture comme des anciennes carrières ou décharges. Le terme de friche est trop large : il faudrait cibler les terrains pollués et friches industrielles, et donner la priorité aux installations sur des bâtiments et des espaces anthropisés : l'installation en zone littorale doit rester exceptionnelle.
Par ailleurs, les élus locaux doivent être mieux associés. Le schéma de cohérence territoriale (SCoT) et le plan local d'urbanisme (PLU) devront intégrer le développement du photovoltaïque.
Enfin, il conviendrait de développer les énergies renouvelables en les plaçant sous l'entière maîtrise publique alors que le secteur est actuellement très morcelé. Nous avons besoin d'un véritable plan de développement et d'aménagement du territoire.
Cela étant, le CRCE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Stéphane Demilly . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi répond à une demande de longue date des élus des communes littorales, dont l'aménagement est strictement encadré par la loi Littoral, qui ne prévoit pas de dérogation pour l'énergie solaire. Cette proposition de loi y remédie.
Entamant son troisième mois de présidence de l'Union européenne, la France doit montrer l'exemple : faisons du local le vecteur de la transition énergétique !
La consommation d'énergies fossiles est la principale cause du dérèglement climatique et est à l'origine de désastres tels que marées noires et explosions de plateformes pétrolières. Je pense à celle de Deepwater, en 2010, dans le Golfe du Mexique et ses 678 000 tonnes de brut dégagées. La soif d'or noir des pays développés et la demande croissante des pays émergents est à l'origine de tensions internationales.
Bref, nous avons tout à perdre à ne pas soutenir les énergies renouvelables. Cette proposition de loi est une évidence, mais j'aurais souhaité aller plus loin en autorisant les panneaux solaires le long des routes ; Denise Saint-Pé voulait favoriser leur installation en montagne et Évelyne Perrot en bordure de plan et de cours d'eau.
Cette proposition de loi est un premier pas vers plus de souplesse. Annick Billon se réjouit de cette initiative favorable au projet de la commune de l'Île d'Yeu qu'elle a défendu auprès du préfet.
Le groupe UC votera cette proposition de loi. Nous ne sommes pas toujours d'accord sur l'hydrogène, l'éolien, la biomasse ou le nucléaire, mais nous avançons à petits pas. Comme le disait Jean-Louis Borloo, il faut un bouquet de solutions pour remplacer l'énergie fossile. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et au banc de la commission)