Accès des experts forestiers aux données cadastrales
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à simplifier l'accès des experts forestiers aux données cadastrales.
Discussion générale
M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation . - Avec plus de 17 millions d'hectares en métropole et plus de 8 millions d'hectares outremer, la forêt est un atout pour la France. L'ingénieur agronome et forestier qui vous parle le sait bien : nous devons préserver sa richesse plurielle.
La forêt assure en effet trois fonctions : une fonction environnementale - la forêt stocke le carbone et préserve la biodiversité - , une fonction économique - elle permet d'utiliser ce si beau matériau qu'est le bois - et un rôle sociétal.
Aucune de ces dimensions ne doit être oubliée. Dans chaque territoire, leur part respective peut varier, mais à nous de les faire coexister.
Cultiver notre forêt nécessite une bonne gestion, avec des actions de renouvellement. Pas question d'avoir une forêt sous cloche !
Pour relever ce défi, l'État investit massivement : plus de 150 millions d'euros du plan France Relance pour renouveler des peuplements, dont 90 millions d'ores et déjà engagés. Je compte sur la mobilisation de toutes et tous pour maintenir cette dynamique. Et plus de 600 millions supplémentaires seront déployés dans le cadre de France 2030. Jamais nous n'avons autant investi pour nos forêts.
Ces investissements devront se déployer dans le dialogue afin que les acteurs « fassent filière ». C'est ainsi que nous avons signé ce matin un accord exemplaire avec la filière chêne, qui témoigne de la mobilisation de l'amont à l'aval face au défi environnemental et de souveraineté que constituent les exportations massives vers l'Asie. Autre exemple, les assises de la forêt et du bois, qui sont en cours, et qui font émerger les actions concrètes à mettre en oeuvre. Je remercie Mme la rapporteure pour son engagement dans ces assises, notamment en tant que présidente d'une des thématiques.
Aujourd'hui encore, madame la rapporteure, vous montrez votre engagement sur la question du morcellement de la forêt française et du rôle crucial des experts forestiers, des organisations de producteurs et des gestionnaires forestiers.
Cette proposition de loi leur donnera accès aux données du cadastre numérique, à la suite de la réussite de l'expérimentation initiée par la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt de 2014. Le cadastre est en effet le seul instrument permettant d'identifier les 3,5 millions de propriétaires forestiers.
Cela a permis d'agir dans des zones non gérées depuis des décennies, en mobilisant les propriétaires, qui ne savaient pas toujours qu'ils détenaient une parcelle forestière !
Je vous invite donc à adopter cette proposition de loi.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure de la commission des affaires économiques . - Cette proposition de loi de Nicolas Turquois a été adoptée à l'Assemblée nationale en janvier 2021 ; elle reprend le dispositif d'un amendement sénatorial transpartisan, adopté dans le cadre de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt de 2014. Il prévoyait l'expérimentation pendant trois ans d'un accès simplifié des experts forestiers, organisations de producteurs et gestionnaires forestiers professionnels aux données cadastrales.
Le plan cadastral est certes ouvert au public, mais l'identité et les coordonnées des propriétaires ne le sont pas. Les petits propriétaires méconnaissent souvent l'existence même de leurs parcelles.
La forêt est aux trois quarts privée : 12 millions d'hectares en métropole pour 3,5 millions de propriétaires et seulement 3 millions d'hectares dotés d'un plan simple de gestion (PSG). C'est dire l'importance de ces forêts dormantes : parcelles « timbre-poste », ou bandes forestières. Des stratégies locales de développement forestier ont vu le jour ces dernières années pour lutter contre ce morcellement synonyme de non-gestion.
Or les tensions grandissantes sur la matière première bois invitent à mieux gérer la forêt. Les assises portent d'ailleurs principalement sur la meilleure gestion de ce grand puits de carbone. Le dispositif est le même que dans le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP), moyennant deux ajouts auxquels notre commission est favorable : un avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et un délai de six mois pour prendre le décret.
Nos forêts seront d'autant plus résilientes qu'elles seront gérées et adaptées au réchauffement climatique. Elles luttent aussi contre les émissions de gaz à effet de serre. On pourra aussi mieux lutter contre les incendies, plus fréquents sur les parcelles non gérées.
Dans la loi Climat, nous avons abondamment discuté de la séquestration du carbone par la forêt. L'idée est de passer de 2 à 20 millions de tonnes équivalent carbone séquestrées d'ici 2050.
France Relance et France 2030 prévoient des investissements massifs. La RE2020 encouragera la substitution de matériaux émissifs par le bois, matériau renouvelable.
Ces dernières années, avant les dépérissements massifs liés au réchauffement climatique, la récolte annuelle était inférieure à l'accroissement naturel : nulle surexploitation...
Notre collègue Daniel Gremillet rappelait combien l'accès des chambres d'agriculture au cadastre avait pu être utile après la tempête de 1999. La CNIL a jugé en 2014 et 2015 que l'accès au cadastre était conforme au droit s'il répondait à des objectifs publics prioritaires. Seules des organisations d'intérêt général agréées par l'autorité administrative pourront accéder à ces données.
La commission des affaires économiques souhaiterait un engagement de votre part, monsieur le ministre : votre administration doit accompagner la filière dans la rédaction d'un code de bonnes pratiques, qui clarifierait la distinction entre information et démarchage commercial abusif, rappellerait les sanctions administratives et pénales encourues en cas d'utilisation des données à d'autres fins et définirait les modalités de suivi et d'évaluation.
Moyennant ces engagements, la commission est favorable à l'adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Christian Redon-Sarrazy . - Je me félicite de cette proposition de loi, qui pérennise une expérimentation introduite sous le précédent quinquennat et dont la réussite est unanimement saluée.
Les experts forestiers participent à la bonne gestion des forêts, mais se heurtent à leur très grand morcellement : 4 millions de propriétaires se partagent 76 % de la forêt privée. C'est un frein à la mobilisation de la matière première et au bon entretien de nos forêts.
Je salue le choix de s'en tenir à la rédaction de 2014, qui donne aux experts forestiers accès au cadastre dans le périmètre géographique de leur mission. Les garde-fous ont été préservés : le maire devra être informé et les informations ne pourront être cédées à des tiers.
Les petits propriétaires pourront ainsi être aidés, sans tomber dans une logique de rentabilité. Il faut protéger nos forêts des prédateurs qui n'y voient qu'une source de profit ; l'exploitation est certes nécessaire, mais pas à n'importe quel prix.
Dans les régions sans grands massifs, des associations de propriétaires font un travail pédagogique et opérationnel précieux.
Les forêts ont longtemps été abordées sous le seul angle de l'économie ou du patrimoine familial, au détriment de nouveaux usages, comme le tourisme ou la préservation de la biodiversité. De nouveaux acteurs pourraient avoir besoin d'un accès à certaines données : il faudra réfléchir à les intégrer.
Le groupe SER votera cette proposition de loi.
Mme Marie Evrard . - La forêt a toujours nourri l'imaginaire des rapports de l'homme et de la nature.
La culture du XIXe siècle l'a sublimée pour ses qualités bucoliques et romantiques, la forêt médiévale revenant dans les lieux délaissés par la révolution industrielle.
Je pense à la forêt d'Othe, dans l'Yonne et l'Aube, encadrée par la Vanne, l'Yonne et l'Armançon. Le pays d'Othe est plein de sources auxquelles on prête des vertus médicinales, voire rédemptrices...
Outre la beauté de ses paysages, la forêt est aussi un potentiel sous-exploité. La France dispose de la troisième surface forestière de l'Union européenne, la première pour la production de chênes. La forêt participe au stockage du carbone et rafraîchit l'air : des nuages se forment dans les forêts par évaporation, générant des précipitations.
Mais son morcellement a des conséquences néfastes pour l'environnement, l'entretien et la valorisation. Nous avons abordé ce problème avec la proposition de loi de Jean-Noël Cardoux contre les abus de l'engrillagement, que j'espère voir prospérer.
Cette proposition de loi ne mettra pas fin à la parcellisation, mais constitue néanmoins une avancée. Un certain nombre de parcelles appartiennent à des propriétaires qui s'ignorent. Beaucoup de ces espaces non entretenus sont inexploitables, notamment à cause de l'accumulation de chablis.
Les experts doivent pouvoir identifier les propriétaires d'un massif pour coordonner leurs actions et aboutir à une gestion plus harmonieuse. C'est une initiative de bon sens.
Beaucoup reste à faire pour notre forêt française, force motrice pour notre environnement et notre économie. Le constat est posé, les solutions commencent à être mises en oeuvre : relevons le défi. (Mme la rapporteure, applaudit.)
M. Emmanuel Capus . - Pérenniser une expérimentation revient à en reconnaître les effets positifs. C'est une réussite collective que l'on inscrit dans le long terme. Ici, il s'agit de faciliter le travail des experts forestiers en leur donnant accès aux données nécessaires à leurs fonctions. Plus largement, on veut ainsi favoriser une gestion durable de la forêt.
Le débat de 2019, à l'initiative de notre groupe, avait été l'occasion de mettre en lumière tant les richesses de la forêt française que les obstacles auxquels elle fait face, au premier rang desquels le nombre énorme des propriétaires et le morcellement des parcelles.
C'est précisément ce problème qu'affronte le présent texte. Il exprime un travail de conviction des élus pour nos territoires.
Je veux revenir sur l'avis de la CNIL, nécessaire dans le processus d'adoption du décret s'agissant des données qui seront transmises aux experts forestiers. Les données sont toujours un sujet sensible, la CNIL est là dans son rôle.
L'encadrement très strict du périmètre de l'exception au secret professionnel en matière fiscale est important.
Le travail des experts forestiers, dont nous souhaitons généraliser l'expérimentation, est crucial pour une gestion durable de la forêt : il faut proposer des solutions communes aux multiples propriétaires de parcelles qui composent un massif et faire entendre les considérations environnementales aux côtés des impératifs économiques.
Ainsi, on construira une forêt capable de s'adapter au changement climatique.
Je soutiens donc l'élaboration d'un code de bonnes pratiques de la filière bois.
Nous soutenons l'adoption conforme de ce texte, fruit d'un long travail de concertation et d'une expérimentation réussie. (Mme la rapporteure applaudit.)
M. Daniel Gremillet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cultiver notre forêt est essentiel. J'avais eu à connaître de ces dispositions en tant que rapporteur de la loi ASAP. Je salue le travail d'Anne-Catherine Loisier comme rapporteure de ce texte.
La forêt a besoin d'hommes et de femmes sur le terrain. Donner des moyens aux experts qui oeuvrent pour la forêt aura des répercussions sur son renouvellement, sur l'aspect sanitaire, la biodiversité et la valorisation de la forêt. Soyons volontaristes !
Combien de propriétaires sont incapables de désigner leur parcelle forestière ? Combien de massifs sont méconnus de leurs détenteurs ? Le gisement de ressources forestières sur nos territoires est considérable et il se trouve essentiellement dans la forêt privée.
En tant que président de la chambre d'agriculture des Vosges, peu avant la tempête de 1999, j'avais investi dans la forêt et son cadastre, ce qui avait permis d'éviter bien des dommages, car nous avions pu démêler les arbres...
La forêt, outre son importance pour la construction, l'ameublement, l'isolation, pour la chimie verte, pour la biomasse, constitue un poumon d'oxygène pour notre pays ; il faut le préserver.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué les assises de la forêt et du bois. J'avais participé aux assises régionales du Grand Est sur cette question ; les experts forestiers nous y ont présenté leur travail au service des propriétaires et de l'intérêt général.
Comme notre rapporteure, je pense qu'il faut un code de bonnes pratiques pour éviter les dérives et renforcer le poids des experts dans la valorisation de notre patrimoine forestier.
Un autre sujet aurait mérité d'être abordé : il vous faudra évoluer, monsieur le ministre, sur le droit de préférence octroyé aux voisins pour l'acquisition de parcelles forestières. Cela peut priver les communes de la capacité de mieux organiser leur territoire forestier.
On parle souvent de l'arbre qui cache la forêt ; grâce à ce texte, l'ambition pour la forêt pourra être mise au grand jour ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Daniel Salmon . - L'extrême morcellement de la forêt privée en France est un obstacle regrettable à sa gestion durable. L'accès des experts forestiers au cadastre est donc un outil bienvenu.
Les objectifs de la réglementation européenne, la RE2020, sur la construction en bois ne pourront être atteints qu'avec une meilleure gestion de la forêt privée, ni intensive ni purement comptable, mais résiliente face aux menaces sanitaires et au changement climatique.
Ce texte ouvre l'accès aux données non seulement aux experts, mais aussi aux coopératives forestières, qui ont souvent un modèle trop industriel de gestion et ont acquis un quasi-monopole de la gestion des forêts privées. Elles préconisent des coupes rases pour mieux vendre les plantations qui les financent. Nous craignons les conséquences de cette disposition.
Nous rejoignons donc les demandes de Mme la rapporteure sur un code de bonnes pratiques, mais cela ne nous paraît pas assez contraignant : il faudrait conditionner l'accès au cadastre à des pratiques sylvicoles durables, notamment en interdisant les coupes rases, très nuisibles pour l'environnement. Elles doivent être l'exception et résulter d'impasses sanitaires avérées. Du reste, elles sont de plus en plus contestées par la population et les élus locaux.
Le petit foncier forestier ne dispose pas de documents de gestion agréés qui pourraient limiter l'intensité de ces coupes. Il faudrait en concevoir, avec l'appui des professionnels et de l'ONF, comme le proposait le député Dominique Potier.
Il est crucial de respecter la multifonctionnalité de la forêt, entre production de bois, loisirs, préservation du climat, de l'environnement et de la biodiversité. Elle n'est pas simplement un capital à faire fructifier, mais un écosystème vivant à préserver.
Oui à une gestion durable, responsable, s'appuyant sur des pratiques de futaies irrégulières et de régénération naturelle, quand c'est possible.
Une sylviculture douce et résiliente serait plus rentable à terme pour les propriétaires que l'exploitation intensive actuelle.
« Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent », écrit Chateaubriand.
Chérissons notre forêt qui génère l'humus et donc l'humanité, qui fertilise notre imaginaire, qui est l'essence de nos cultures ! Il faut la préserver et non la cultiver dans un esprit de rentabilité.
Nous conditionnerons notre vote aux garanties qu'apportera le Gouvernement sur la question des coupes rases et des plantations mono spécifiques.
M. Fabien Gay . - Nous partageons l'objectif d'une meilleure connaissance de la propriété forestière privée. En France, 12,6 millions d'hectares appartiennent à 3,5 millions de propriétaires, dont ce n'est que rarement l'activité principale ; souvent, ils possèdent moins d'un hectare et n'en tirent aucun revenu. Ces parcelles sont peu ou pas gérées ; certains propriétaires ignorent jusqu'à leur existence.
Si elle protège du danger de l'uniformité mono-espèce, l'extrême parcellisation est responsable d'un mauvais entretien des forêts et fait obstacle à une gestion raisonnée.
La connaissance de la forêt privée passe par une meilleure identification des propriétaires. Cela permettrait aussi la mise en gestion durable des ressources forestières, notamment pour la production de bois.
L'accès facilité des experts au cadastre doit être soumis à des impératifs de bonne gestion, tels qu'élaborés par l'ONF pour le domaine public. Un code de bonne conduite est nécessaire, comme nous y appelle Mme la rapporteure.
L'accès à ces données ne doit toutefois pas conduire à affaiblir la biodiversité et la capacité de régénération, à faciliter les coupes rases et la malforestation par des plantations monospécifiques. Il ne faudrait pas remplacer des forêts variées de feuillus par des massifs de sapin Douglas : la forêt qui dort ne doit pas devenir une usine à bois, dans un contexte de pénurie de matière première.
Nous resterons donc vigilants. Les arbres ne peuvent déployer leurs capacités en matière de stockage de CO2 et de préservation de la biodiversité que quand ils s'inscrivent dans une forêt en bonne santé.
Malgré ces quelques remarques, nous voterons ce texte. (Mme la rapporteure applaudit.)
M. Jean-François Longeot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Emmanuel Capus applaudit également.) En tant qu'ancien président de la commission spéciale sur la loi ASAP, je me réjouis du consensus autour de cette proposition de loi. Ce très bon texte répond à la censure par le Conseil constitutionnel de ces dispositions comme cavaliers législatifs.
Valoriser nos bois et nos forêts est une ambition partagée sur ces travées ; le Sénat est avant-gardiste en la matière et peut en être fier. Je pense notamment aux travaux du groupe d'études présidé par Anne-Catherine Loisier.
Face à une forêt publique à l'exploitation multifonctionnelle, la forêt privée reste caractérisée par un extrême morcellement et une sous-exploitation. Elle reste dormante sur 60 % du territoire forestier ; on le constatait déjà en 1978.
L'identification des 3,3 millions de propriétaires privés est une difficulté de taille. Permettre aux experts d'accéder aux données du cadastre est donc une mesure de bon sens.
La pérennisation de cette expérimentation permettra un meilleur dialogue entre propriétaires, indispensable pour préserver la multifonctionnalité de la forêt et répondre à tous ses défis.
Défi économique, d'abord, pour répondre à la demande des marchés, notamment en résineux, et réduire le déficit commercial. Défi écologique, ensuite, avec le maintien d'un niveau élevé de biodiversité et le développement de pratiques favorables à celle-ci. Défi sanitaire, enfin, très criant dans mon département à la suite de l'épidémie de scolyte - une meilleure vision d'ensemble pourrait ralentir la diffusion de ces parasites dans un contexte de sécheresse liée au changement climatique.
Le groupe UC soutiendra naturellement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Jean-Claude Requier . - En 1830, la forêt française couvrait 9 millions d'hectares ; aujourd'hui, 17 millions d'hectares, en progression continue depuis une trentaine d'années. Notre pays est parmi les plus boisés d'Europe. La forêt française est en évolution constante, à l'image des modes d'utilisation du bois, et notamment du bois énergie.
La forêt est au carrefour de multiples enjeux. Un enjeu environnemental, d'abord, par son rôle dans le stockage de carbone et la préservation de la biodiversité. L'enjeu de protection des biotopes s'accompagne d'une dimension gastronomique : je pense aux champignons, cèpes, girolles et autres. (Sourires)
Un enjeu social, elle permet de déconnecter nos enfants de leurs écrans au profit d'activités de plein air ; un enjeu patrimonial et paysager aussi.
Un enjeu économique enfin, alors que nos massifs restent sous-exploités et sous-valorisés, dans un contexte de tension extrême du marché du bois.
Près de 75 % des forêts appartiennent à 3,8 millions de propriétaires privés. Deux millions de parcelles font moins d'un hectare. Les acteurs forestiers ont toujours plus de mal à identifier les propriétaires de ces parcelles, dont les limites sont souvent brouillées par les chutes d'arbres dues aux tempêtes.
Notre rapporteure a souligné à raison l'importance du travail de terrain pour mettre en oeuvre le plan de gestion des forêts. Les données cadastrales sont un outil indispensable pour la mission des experts forestiers. Notre groupe soutiendra donc évidemment ce texte, qui leur en ouvre l'accès.
L'ONF continue de jouer un rôle fondamental ; je tiens à saluer le travail précieux de ses agents. La puissance publique a toute sa place pour aider les propriétaires privés à gérer leurs parcelles.
Il faut moderniser notre patrimoine forestier avec de nouveaux outils de regroupement des parcelles forestières, comme il y eut jadis une politique ambitieuse de remembrement agricole. Il faut aller plus loin que le droit de préférence et les bourses aux parcelles. Une politique volontariste de planification et de gestion forestières participera au développement harmonieux des territoires ruraux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme la rapporteure applaudit également.)
M. Serge Mérillou . - Espace de loisir, filière économique, puits à carbone, la forêt revêt bien des enjeux et peut constituer la réponse à de nombreux défis.
Ce texte pérennise l'accès des experts forestiers aux données cadastrales, initialement engagé pour trois ans, à l'initiative des groupes socialiste et centriste de notre Haute Assemblée. Une exception au secret fiscal avait alors été accordée à ces professionnels.
Le temps nous a donné raison : les experts demandent le prolongement de ces dispositions. Il a été voté dans la loi ASAP en 2020, mais censuré par le Conseil constitutionnel.
La forêt française se caractérise par son morcellement : 12 millions d'hectares pour 3,8 millions de propriétaires, qui ne détiennent en moyenne que 3,40 hectares.
Cela constitue un frein tenace à l'usage raisonné et durable des forêts. Privée à 98 %, la forêt périgourdine est partagée par 90 000 propriétaires dont 70 000 ne détiennent pas plus de 4 hectares. Des parcelles oubliées par leurs propriétaires sont laissées à l'abandon, jusqu'à mettre en péril notre sécurité face au risque d'incendie. Sans compter le manque à gagner patrimonial ou économique.
Ce phénomène sera en partie endigué grâce à ce texte, qui facilitera l'identification des propriétaires de parcelles pour une gestion plus rationnelle de notre patrimoine forestier.
Je salue le caractère consensuel du dispositif. Il y va du paysage, de notre capacité de développement, de notre résilience écologique, de notre sécurité incendie et de la protection de notre environnement.
M. Laurent Burgoa . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les experts forestiers mènent des actions d'information sur la valorisation de la forêt auprès des propriétaires. À cet effet, ils doivent pouvoir les identifier grâce aux données cadastrales. Ce texte en simplifie l'accès.
Ainsi, les opérateurs pourront proposer aux propriétaires une gestion commune des parcelles contiguës.
Limités auparavant dans leurs demandes à l'administration fiscale, les experts ont été habilités pour trois ans, en 2014, à accéder aux données cadastrales. La fin de l'expérimentation a signifié un retour à l'opacité de la propriété forestière.
Nous avons voulu pérenniser cette habilitation dans la loi ASAP, mais nous sommes heurtés à la censure du Conseil constitutionnel qui a considéré l'amendement comme un cavalier législatif, d'où ce véhicule législatif dédié.
Ainsi, les experts auront accès sans limitation aux données cadastrales dans le périmètre de leur exercice. Les données recueillies ne pourront être cédées à des tiers. Un décret pris après avis de la CNIL précisera le dispositif.
Je remercie la rapporteure pour la qualité de son travail. Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Julien Denormandie, ministre. - Je remercie aussi Nicolas Turquois qui a porté ce texte à l'Assemblée nationale.
Ce texte a recueilli un soutien transpartisan, signe de sa pertinence.
Je m'engage à établir un code de bonnes pratiques comme l'a demandé la rapporteure.
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
Article unique
M. Marc Laménie . - Je salue le travail réalisé par la commission et la rapporteure.
Les Ardennes sont un département forestier. Nous sommes très attachés à la forêt, qui appartient à notre patrimoine et qu'il convient de valoriser.
Le morcellement de la propriété est un vrai problème : j'ai pu le constater dans le village de 170 habitants dont j'ai été le maire.
La complexité du cadastre constitue également un obstacle à la bonne gestion de la forêt. Ce texte est donc bienvenu.
L'article unique est adopté.
En conséquence, la proposition de loi est définitivement adoptée.