« Mieux protéger notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques »
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport : « Mieux protéger notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques », à la demande de la mission d'information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences.
M. André Gattolin, rapporteur de la mission d'information . - Quatre mois après l'adoption du rapport de la mission d'information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français, je suis heureux que ses conclusions fassent l'objet d'un débat public avec le Gouvernement.
Je remercie le RDPI, qui a accepté d'y consacrer son droit de tirage, et les membres de la mission d'information pour l'adoption unanime du rapport. Je vous remercie enfin, madame la ministre, pour votre implication et celle de vos services.
Quelles suites entendez-vous donner à nos recommandations ? Notre rapport a contribué à alerter sur un phénomène longtemps ignoré, celui des influences et ingérences étrangères qui menacent notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques.
Lorsque nous avons entamé nos travaux en juillet 2021, nous nous sommes appuyés sur des exemples étrangers alarmants, notamment en Australie et au Royaume-Uni, où les universités sont exposées aux influences étrangères en raison de leur dépendance aux droits d'inscription versés par les étudiants étrangers et aux pressions des pays d'origine de ces étudiants. Cela va du contrôle des diasporas à la censure effectuée sur les chercheurs, en passant par l'instrumentalisation des sciences humaines et sociales. Grâce aux législateurs, ces universités ont mis en place un cadre juridique pour protéger leur enseignement supérieur et leur recherche.
En France, la menace est réelle mais méconnue. Notre pays est une cible de choix compte tenu de son haut niveau de recherche scientifique - la France est troisième au classement de Shanghai - et de son relatif manque de moyens tant publics que privés. Cependant, seulement dix cas sérieux ont fait l'objet d'un signalement en 2020.
L'identification des tentatives d'influence reste problématique car elle est peu organisée et ne fait pas l'objet d'un recensement systématique, sans compter l'autocensure croissante des chercheurs qui subissent des chantages aux visas ou des interdictions d'accès à certaines sources.
Il existe un dispositif structuré de protection de la recherche, organisé autour du haut fonctionnaire de sécurité et de défense du ministère et du réseau des fonctionnaires de défense et de sécurité désignés dans chacun des établissements, mais il est mal connu des chercheurs et insuffisamment coordonné. En outre, il ne concerne que les secteurs de la recherche les plus techniques : les sciences humaines et sociales en sont exclues. Cela explique que le ministère ne puisse fournir des cartographies et informations exhaustives sur le sujet.
Notre rapport identifie deux objectifs majeurs. Le premier est de faire du sujet des influences étrangères une priorité politique pour dresser un état des lieux et co-construire des réponses adaptées avec le monde universitaire. Nous proposons la création d'un observatoire ad hoc associant universitaires et spécialistes du ministère.
Le deuxième objectif est d'aider les universités à protéger leur liberté académique et leur intégrité scientifique, dans le respect de leur autonomie. La transparence et la réciprocité des partenariats de recherche doivent être systématiques.
Il faut enfin instaurer des normes européennes en matière de recherche et de propriété intellectuelle.
Notre rapport n'a pas épuisé le sujet mais il joue le rôle de vigie. Nos travaux ont été largement relayés par la presse française. À la suite de sa publication, la Turquie a lancé une campagne d'intimidation contre une chercheuse turque, que nous avons dû signaler au haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.
À la suite de notre rapport, une mission interministérielle a été lancée par le Premier ministre. Les ministères concernés s'y sont également intéressés. J'espère, madame la ministre, que vous saurez mettre en oeuvre les mesures appropriées. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées des groupes SER et UC)
Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation . - À l'initiative du RDPI, le Sénat a consacré une mission d'information à la question cruciale des influences étrangères dans les universités. Je me réjouis de ce débat.
Par nature, l'enseignement supérieur et la recherche sont ouverts sur le monde. Nous devons développer cette richesse avec ambition, mais sans naïveté face à d'éventuelles menaces.
La visibilité de nos établissements attire certains acteurs dont les valeurs diffèrent des nôtres.
Les acteurs de l'administration centrale sont chargés de la stratégie et de la vigilance, dont les règles sont déclinées au niveau local. Les universitaires doivent aussi être directement associés.
Grâce aux remontées des chercheurs et des 150 fonctionnaires de sécurité et défense, le ministère connaît les menaces et ingérences qui affectent l'écosystème de l'enseignement supérieur. Nous protégeons les savoirs, les savoir-faire et les établissements de recherche les plus sensibles, au moyen de dispositifs dédiés.
Le comité de liaison en matière de sécurité économique joue notamment un rôle majeur. Au niveau régional, les délégués académiques dédiés à la sécurité servent de relais.
Le déploiement de ces dispositifs se poursuivra en 2022. Le Gouvernement souhaite en effet renforcer la protection de notre souveraineté dans les technologies clés. Certains investissements publics y sont corrélés, notamment dans le cadre du Plan de relance ou des programmes prioritaires de recherche au sein du programme d'investissement d'avenir (PIA).
La circulaire du 11 octobre 2021 du Premier ministre a été relayée auprès de chaque établissement. Les projets d'accord doivent répondre à des règles précises, ce qui a été rappelé par circulaire le 28 janvier aux responsables d'établissement.
Des préconisations ont été établies conjointement avec la DGSI pour mieux comprendre les tentatives d'ingérence étrangères.
La sécurité numérique représente une autre priorité. Nous avons établi une feuille de route avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) et le ministère de l'Éducation nationale et un comité stratégique de la sécurité numérique sera mis en place ce mois-ci. Le directeur général de l'Anssi est intervenu devant les recteurs et les délégués régionaux à la recherche et à l'innovation pour les sensibiliser aux risques. Chaque société d'accélération du transfert de technologies (SATT) disposera d'un référent sécurité.
Une cohérence européenne est également nécessaire. La Commission européenne a publié le 18 janvier une boîte à outils pour l'ensemble des établissements supérieurs de l'Union afin qu'ils se prémunissent des influences étrangères.
Nous prenons ce sujet très au sérieux et nous vous remercions pour votre travail. (M. Julien Bargeton applaudit.)
Mme Vanina Paoli-Gagin . - Certaines vérités sont si évidentes qu'on a tendance à les oublier. Il n'y a pas de grande nation qui ne soit scientifique ; sa grandeur dépend de ses savoirs et de sa capacité à les transformer. La mission d'information l'a rappelé. Je remercie André Gattolin de placer ce sujet stratégique au coeur de nos débats.
La recherche doit redevenir la filière d'excellence qu'elle était. Elle se protège aussi en devenant un tremplin vers l'entreprenariat et le marché. La loi de programmation de la recherche (LPR) a posé à cet égard un cadre ambitieux en renforçant les moyens des chercheurs. Il faut nous engager dans cette voie plus massivement encore pour rester dans la course.
De quels indicateurs disposez-vous pour évaluer l'attractivité des métiers de la recherche ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Oui, nous devons réinvestir dans notre recherche pour qu'elle soit un domaine d'excellence et qu'elle nourrisse l'innovation au profit de la société.
Au-delà de l'augmentation des crédits prévus dans la LPR, le plan France 2030, dont le comité de suivi a été mis en place hier, vise à reconstruire une souveraineté économique et industrielle fondée sur la recherche.
L'échec, en matière de recherche, doit être considéré comme une expérience. Nous devons continuer à soutenir l'entreprenariat, notamment à travers les plans « esprit d'entreprendre ».
La France se place en troisième position en matière de recherche à l'université ; elle doit prévenir les ingérences.
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Notre groupe a lancé une mission d'information sur un sujet connexe. Quel paradoxe : le manque de champions français est patent, malgré une recherche de grande qualité !
M. Stéphane Piednoir . - Depuis longtemps, nous subissons un espionnage industriel et économique, mais les stratégies insidieuses à l'oeuvre dans l'université sont moins connues. Cette mission d'information était donc utile et j'en remercie le président et le rapporteur.
Nous faisons face à de nouvelles menaces, organisées à grande échelle, contre lesquelles nos universités ne semblent pas suffisamment armées, malgré la présence de fonctionnaires sécurité défense en leur sein. La coordination des acteurs doit être améliorée, comme la formation des chercheurs au risque.
Qu'est-il prévu en termes de formation pour les instances de gouvernance universitaire, les doyens, les directeurs de laboratoires et l'ensemble des chercheurs ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Vous avez raison de souligner le manque de coordination des différents acteurs. Nous devons y travailler. Le secrétariat général à la défense et la sécurité nationale et l'Anssi doivent davantage travailler ensemble et proposer des formations communes aux chefs d'établissements comme aux chercheurs et aux enseignants-chercheurs, qui sont en première ligne.
Il faut aussi mieux prendre en compte les sciences humaines et sociales, comme le préconise le rapport. Des intimidations peuvent en effet avoir également lieu dans ces disciplines.
M. Thomas Dossus . - La mission d'information a découvert un nouveau champ d'action pour le Gouvernement : la protection des universités contre les ingérences, qui peuvent prendre diverses formes, sans remettre en cause les libertés académiques. Celles-ci sont des outils indispensables de notre recherche, et une vraie richesse. Nos universités sont libres de nouer des partenariats avec qui elles souhaitent.
Il ne faut donc pas que le remède soit pire que le mal. Aussi, les projets d'accords internationaux entre les universités ne doivent pas faire l'objet d'une autorisation du ministère, mais d'un simple avis. Sur ce point, les propos tenus par Mme Sarah El Haïry et par le groupe Les Républicains lors du débat de cet après-midi ne m'ont pas rassuré.
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Il s'agit effectivement d'un avis simple, comme pour les accords de coopération entre établissements. En cas de doute, nous faisons état des risques à signer un tel accord, mais cela ne va pas plus loin.
Les collaborations entre chercheurs sont encore plus libres ; elles se font au gré des relations interpersonnelles. Aussi, il est important de former tous les acteurs sur les risques d'ingérence. Dans les programmes d'accueil des scientifiques en exil, ces derniers font part des pressions qu'ils ont subies.
Nous tiendrons une conférence de deux jours à Marseille dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne sur le thème de la préservation des libertés académiques et du soutien aux échanges universitaires. La réciprocité et le respect des valeurs sont essentiels en ces matières.
M. Pierre Ouzoulias . - Nous avons parlé cet après-midi du woke, et maintenant des ingérences chinoises... Quelle continuité dans les débats du Sénat ! (Sourires)
La fragilité des universités peut venir de leur trop grande dépendance aux droits d'inscription des étudiants étrangers et aux financements privés, dont la provenance n'est pas toujours parfaitement connue. Le classement de Shanghai est un outil de repérage et de ciblage potentiel pour ceux qui veulent influer.
La modicité de nos frais d'inscription et les financements publics élevés sont une protection contre ces influences. Le modèle de l'université française, qui semblait archaïque, pourrait donc s'avérer être une protection essentielle et moderne. Je propose de renommer le classement de Shanghai le classement Leclerc de l'indépendance nationale. (Sourires)
M. Stéphane Piednoir. - Incorrigible !
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Le classement de Shanghai a été créé pour suivre la visibilité des investissements chinois dans le monde universitaire. Dès lors, toutes les universités de la planète y ont été incluses.
Notre système universitaire est majoritairement financé par des fonds publics, à hauteur de 80 % par l'État, auxquels s'ajoutent les financements des collectivités et de la formation continue. Les financements privés se font au travers de fondations extérieures aux établissements.
Un tel financement nous protège. Mais ce qui nous protège moins, c'est le fait que les enseignants-chercheurs sont parfois un peu naïfs quant à certaines relations personnelles, sans voir le tableau d'ensemble. Nous devons davantage les alerter et les former.
M. Pierre Ouzoulias. - Dans le cadre de la PFUE, il faudrait promouvoir un classement alternatif, pour parvenir à une expertise dégagée de tout conflit d'intérêts.
M. Olivier Cadic . - Ce rapport met en lumière les travaux d'Antoine Bondaz sur l'intégration des investissements militaires dans les universités civiles chinoises, dont une quinzaine semblent impliquées dans des actions d'espionnage ou d'ingérence.
Des étudiants chinois ont ainsi signé des clauses de confidentialité avec des entreprises, qui semblent rendre impossibles les contrôles. Quels garde-fous le ministère a-t-il prévus ?
L'institut Pasteur de Shanghai et le P4 de l'institut de virologie de Wuhan ont signé un partenariat. Leurs coopérations se poursuivent-elles ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - En Chine, les présidents d'université sont toujours accompagnés d'un membre du parti. La liberté académique n'est pas partout la même ...
La recherche duale, civile et militaire, existe dans de nombreux pays, à l'image de ce qui se passe au Centre national d'études spatiales (CNES) en France.
Il existe un référent sécurité au sein de l'Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT). Les doctorants peuvent faire l'objet de signalements et des contrôles ont lieu.
La coopération entre l'Institut Pasteur de Paris et celui de Shanghai se poursuit, mais elle n'a rien à voir avec le P4 de Wuhan qui était lié avec le P4 de Lyon mais dont les accords se sont éteints d'eux-mêmes par manque de réciprocité.
M. Bernard Fialaire . - Le partage des connaissances est une dimension vitale du travail scientifique. Il permet des progrès qui bénéficient à l'humanité : voyez le cas du vaccin contre le Covid-19 qui a été développé en un temps record.
Cependant, les stratégies d'influence, orchestrées par des États extra-européens, existent bel et bien. Nous sommes au-delà du soft power : ces offensives ont pour but d'instrumentaliser l'enseignement et de collecter des données sensibles.
Il faut mieux normer et sanctionner ces interférences, à l'échelle européenne, afin de protéger notre recherche. La PFUE pourrait en être l'occasion. Les ministères de l'Enseignement supérieur et des Affaires étrangères collaborent-ils sur cette question ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - La Commission européenne a déjà proposé une sorte de boîte à outils, car les systèmes universitaires et de recherche au niveau de l'Union sont encore assez diversifiés.
Dans le cadre de la PFUE, nous avons prévu deux journées de travail à Marseille, début mars, la première entre ministres des États membres, la seconde avec des pays tiers, pour réaffirmer les principes de liberté académique et d'intégrité scientifique. Il s'agira aussi de définir dans quel cadre nous pouvons établir des coopérations équilibrées. Dans certains pays, de tels partenariats permettent de protéger les chercheurs nationaux.
M. Jean-Michel Houllegatte . - Le 20 octobre 2020, la déclaration de Bonn sur la liberté de la recherche scientifique a été adoptée par les 27. Elle définit ce qu'est la liberté scientifique et rappelle l'exigence d'échanges libres des recherches et des données.
Ce texte engage les gouvernements à établir des protections européennes contre toute ingérence politique. Mais cette déclaration n'a eu hélas aucun écho en France, hormis un communiqué du ministère des Affaires étrangères.
Le rapport de la mission d'information recommande de profiter de la PFUE pour promouvoir une norme européenne et internationale de clarification, dans une démarche offensive.
Madame la ministre, qu'allez-vous concrètement proposer ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - La déclaration de Bonn a effectivement proposé une définition consensuelle des libertés académiques. Elle a bien eu un écho dans les universités, où elle a été déclinée dans des chartes. Il importe désormais qu'elles se traduisent concrètement.
La surveillance mondiale des libertés académiques a été proposée par des universités du nord de l'Europe et du Canada, au sein de l'Observatoire mondial des libertés académiques, auquel l'Europe a adhéré. La France affiche un score de 0,881 sur 1, ce qui veut dire que nous pouvons encore nous améliorer en matière de libertés académiques.
M. Jean-Michel Houllegatte. - J'ai trouvé sur internet cette déclaration en anglais mais pas en français !
M. André Gattolin . - Nous avons travaillé d'arrache-pied pour élaborer ce rapport en deux mois. Or, quatre mois plus tard, je reste sur ma faim : on nous égrène quelques propositions, qui reprennent beaucoup l'existant...
Rappeler qu'il faut respecter la déclaration de Bonn n'est pas suffisant. L'État doit mettre en oeuvre une vraie politique !
Comment expliquer qu'une université aussi renommée que ParisTech signe des partenariats avec des universités en lien avec l'armée chinoise ?
Un rapport a été remis au Premier ministre, mais allez-vous nous proposer des solutions ? Et quid des propositions européennes ? Pour le moment, c'est business as usual...
Mme Frédérique Vidal, ministre. - En effet, il ne suffit pas de rappeler des préconisations - même si ces rappels n'ont pas été inutiles.
Nous avons un plan de protection, élaboré conjointement avec l'Anssi et la DGSI. Des référents ont été nommés, une formation est dispensée aux recteurs et délégués académiques, ainsi désormais qu'aux présidents d'université et directeurs d'établissement. Nous allons travailler aussi sur la question des délais.
La fondation ParisTech est de droit privé. Elle ne sollicite pas le ministère pour passer des accords...
M. Édouard Courtial . - Je tiens à souligner la cohérence de nos débats : sur le wokisme cet après-midi, sur les libertés académiques ce soir.
Les frontières sont ténues entre diplomatie, influence, interférence et ingérence.
Le financement des établissements par des fonds privés est un enjeu essentiel. Les fonds d'investissement dans l'éducation et les nouvelles technologies sont à surveiller de près, à l'instar du fonds chinois Weidong, qui a racheté la Brest Business School. Cette démarche fait partie intégrante des nouvelles routes de la soie et de la stratégie Made in China 2025. La Chine entend ainsi imposer ses normes sur tous les marchés.
Comment pouvons-nous suivre ces investissements privés et veiller à la défense de notre potentiel scientifique et technique ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Dans la LPR, j'avais proposé une ordonnance sur l'encadrement du financement des établissements privés, finalement retirée à la demande du Sénat. Je suis heureuse de constater que mon idée progresse...
Je suis convaincue de l'intérêt d'un système mixte, avec un enseignement privé au côté du public. Certains établissements à but non lucratif jouent un rôle important.
Oui, des structures d'enseignement privé peuvent s'organiser librement. Lorsque j'ai proposé un meilleur encadrement, vous m'avez reproché d'être contre l'enseignement privé.
Un réseau de surveillance et une veille à grande échelle sur les établissements doivent être mis en oeuvre.
M. Jean-Pierre Moga . - L'université est un haut lieu de la République où doit régner la liberté d'expression. Mais elle est aussi un lieu de conflits où la recherche d'influence peut aller jusqu'à l'interférence.
Nous devons aider nos universités à protéger les libertés académiques et l'intégrité scientifique.
Pour cela, il faut d'abord lutter contre la censure d'intervenants. Toutes les opinions doivent pouvoir s'exprimer, dans les limites prévues par la loi.
Ensuite, nous devons réaffirmer l'autonomie de la recherche et sa neutralité axiologique. La recherche ne doit pas traduire un jugement moral ou une opinion politique.
Comment le Gouvernement entend-il protéger les libertés académiques et lutter contre les influences étrangères ? Comment garantir une meilleure sécurité numérique ? (M. Olivier Cadic applaudit.)
Mme Frédérique Vidal, ministre. - L'université n'est pas un lieu de conflits, mais de débats. Débattre empêche de se battre.
La méthode scientifique permet de construire un consensus à travers un débat argumenté, sans invectives ni disqualification préalable. C'est ce contradictoire qu'il importe de préserver.
La cybersécurité est un enjeu central : nous travaillons avec l'Anssi à la formation des acteurs, avec des tests grandeur réelle.
M. Christian Redon-Sarrazy . - Dans la continuité de celle de M. Moga, ma question porte sur la sécurisation des données dans l'espace numérique. Tous les experts prévoient une dégradation de la sécurité numérique dans les années à venir.
Le rapport de la mission d'information propose de généraliser l'audit par l'Anssi de la sécurité des systèmes des universités. Les hôpitaux sont déjà victimes d'attaques extérieures, comme les rançonnages.
La Commission supérieure du numérique recommande au Gouvernement de se doter d'un cloud de confiance, indispensable depuis l'adoption du Cloud Act aux États-Unis. Le Gouvernement a estimé que les données nationales pouvaient être stockées sur le cloud de Google et Microsoft. Les acteurs du nucléaire français ont recours au service Microsoft Azure.
Le Gouvernement a-t-il conscience de notre vulnérabilité sur le plan numérique ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Le sujet est pris au sérieux par le Gouvernement, et les audits de l'Anssi recommandés par le rapport sénatorial ont débuté.
Nous travaillons aussi sur les centres de calcul, qui appellent une protection particulière.
Le cloud de confiance est un enjeu européen.
Enfin, l'éducation à la cybersécurité pour tous les citoyens est essentielle : les gens ne comprennent pas tous l'importance de la protection de leurs données personnelles...
M. Yves Bouloux . - Je salue l'excellent travail accompli par la mission d'information. Ses conclusions sont sans appel : la menace est réelle.
La Chine, en particulier, cible nos activités économiques à travers les partenariats des instituts Confucius. De tels partenariats doivent être réalisés en toute transparence et vigilance.
Quelles suites entendez-vous donner aux recommandations sénatoriales ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Des dispositions réglementaires applicables aux partenariats internationaux existent déjà.
Le système d'information de l'établissement doit rester indépendant de tout partenariat.
Les actions de coopération sont sous la responsabilité des directeurs d'établissement, qui doivent respecter les règles de protection du patrimoine scientifique et technique. Les sciences humaines et sociales doivent intégrer cette notion.
En cas de difficulté, les établissements se tournent vers nous. Nous leur conseillons parfois de rompre leur partenariat avec l'institut Confucius.
M. Yves Bouloux. - Dans un monde toujours plus dur, nous devons instamment renforcer la protection de notre patrimoine !
M. Jean-Yves Leconte . - Le partage des connaissances et la circulation des idées sont au fondement de l'université. Néanmoins des menaces existent, certaines relevant de l'espionnage, d'autres de l'influence.
Parfois, nos chercheurs sont visés par des pressions ou des menaces. Je pense à Cécile Vaissié, à la suite de son travail sur les réseaux du Kremlin en France. Elle a été attaquée en diffamation. La justice lui a donné raison.
Quelles conséquences avez-vous tirées de cette expérience ? Comment protéger nos chercheurs des procédures bâillons ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Il est inadmissible qu'un chercheur soir forcé à la non-intégrité, c'est-à-dire à publier des résultats contraires à ses travaux.
Le monde académique, souvent, se protège lui-même, à travers la validation par les pairs, qui fonctionne dans le monde entier. C'est elle qui fait la force de la recherche.
En cas de besoin, les chercheurs doivent demander la protection fonctionnelle et ne jamais rester seuls. L'institution est là pour protéger la liberté académique.
M. François Bonhomme . - Beaucoup s'inquiètent de manoeuvres d'influence visant à déstabiliser notre pays. Les travaux de la mission d'information ont permis de mettre en lumière cette réalité.
La menace pour notre souveraineté nationale, longtemps peu documentée, est bien réelle. Des États comme la Chine, la Russie ou la Turquie détournent nos valeurs de liberté académique au service de leur stratégie d'ingérence.
Trois facteurs jouent dans ce domaine : la dépendance budgétaire, la faiblesse des administrations, parfois soumises à des injonctions contradictoires, et la culture d'un monde universitaire qui a du mal à se penser comme sujet de conflits.
Quelles mesures envisagez-vous pour pallier ces fragilités ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - S'agissant des ressources budgétaires, nous avons la chance d'avoir un système protecteur. Les ressources de nos universités sont très majoritairement publiques, en sorte que les puissances étrangères ont peu de prise.
La loi sur l'autonomie des universités a été défendue par Mme Pécresse : ce n'est pas vous, je pense, qui la critiquerez. Il n'y a pas d'injonctions contradictoires pour les établissements.
Certains laboratoires doivent être protégés plus que d'autres. Les chefs d'établissement le savent - j'ai été dans ce cas.
Certains chercheurs estiment naïvement qu'il est plus important de partager que de protéger ; ils ne voient pas toujours l'intérêt de leurs recherches pour d'autres que des collègues. Un travail de persuasion doit être mené, en leur montrant des exemples précis.
M. Cédric Vial . - Nous péchons par naïveté face à l'influence méthodique d'États étrangers.
Notre liberté académique et notre souveraineté ne sauraient faire l'objet de compromis. Or elles sont menacées par des formes de censure, de pression ou de désinformation.
Le système de protection est mal adapté aux sciences humaines et sociales. Il faut réaffirmer le rôle des fonctionnaires de défense et de sécurité et mieux associer les collectivités territoriales, notamment les régions, dont la connaissance du terrain est précieuse.
Comptez-vous agir en ce sens ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - La formation et la sensibilisation sont essentielles. Les fonctionnaires de sécurité et de défense vont être mobilisés à cet effet.
Les formations doivent être adaptées aux disciplines. En particulier, les sciences humaines et sociales doivent être davantage prises en compte ; elles le sont déjà dans les recommandations de la Commission européenne.
Les régions peuvent participer à ces actions dans le cadre de leur mission de surveillance du territoire. Il faut travailler à la sensibilisation de tous, et que toutes les bonnes volontés s'impliquent.
Mme Béatrice Gosselin . - Ayant participé aux travaux de la mission d'information, j'ai été frappée par les témoignages de personnalités dont les pays sont plus vigilants que le nôtre face aux influences extérieures.
Le phénomène est amplifié, dans des pays comme l'Australie, par la dépendance des universités aux financements étrangers.
Il faut d'abord évaluer le niveau de la menace. Or notre mission a observé un manque d'informations à cet égard.
Le dispositif de sécurité français ne concerne que les risques élevés réprimés par le code pénal, comme l'intrusion dans les lieux stratégiques ou le vol de documents. Les sciences humaines et sociales sont laissées de côté.
Il faudrait un cadre juridique spécifique pour mieux protéger notre enseignement supérieur. Qu'en pensez-vous ? Ne serait-il pas pertinent de prévoir une coordination internationale sur ce sujet ? Dans le cadre de la PFUE, nous pourrions faire de la déclaration de Bonn un texte fondateur pour la recherche européenne.
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Les ressources des universités australiennes proviennent parfois à 70 % d'étudiants internationaux dont les neuf dixièmes sont chinois : le risque d'ingérence est patent.
Les pays qui fondent le modèle économique de leurs établissements sur des droits d'inscription élevés veillent particulièrement à leur protection face aux ingérences étrangères. Ils y arrivent avec plus ou moins de succès.
La meilleure protection des libertés académiques est assurée par le monde académique lui-même, à travers la validation par les pairs. Il faut lui laisser la main sur ce plan.
M. Étienne Blanc, président de la mission d'information . - Je me félicite de ce débat très riche sur un sujet essentiel, que notre mission d'information a su mettre au coeur du débat politique, alors que les gouvernements et les pouvoirs publics en général y ont, jusqu'à présent, très insuffisamment répondu.
En seulement huit semaines, au coeur de l'été, nous avons beaucoup travaillé. L'audition de M. Paterson a été particulièrement dense et éclairante sur les agissements de la Chine contre les libertés académiques en Australie.
Notre rapport contient 26 propositions à la fois réalistes et ambitieuses.
Permettez-moi d'insister sur trois idées essentielles.
D'abord, la connaissance de la zone grise est cruciale, pour mieux nous protéger des pratiques qui en relèvent. L'échange est au coeur des universités : c'est une tradition ancienne, bien française d'ailleurs. Mais des pays, souvent non démocratiques, fonctionnent différemment : ils cherchent à influencer, sans égard pour la liberté d'analyse. Je pense notamment à la situation des Ouïghours ou au génocide arménien.
Ensuite, nous devons travailler en réseau pour mieux comprendre les méthodes dont nous sommes victimes, en associant les services de renseignement et les services militaires.
Enfin, une plus grande volonté politique s'impose. Vous avez dit, madame la ministre, qu'une prise de conscience est en cours. Mais nous ne sommes pas à la hauteur de l'enjeu.
Les pays qui nous attaquent s'en prennent, au fond, à la liberté d'enseigner, à la liberté de penser. Il est grand temps de réagir puissamment ! (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du CRCE)
M. Olivier Cadic. - Très bien !
Prochaine séance demain, mercredi 2 février 2022, à 15 heures.
La séance est levée à 23 h 5.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 2 février 2022
Séance publique
À 15 h, à 16 h 30, de 18 h 15 à 20 h 30, puis de 22 h à 23 h 45
Présidence :
M. Gérard Larcher, président
M. Roger Karoutchi, vice-président
M. Vincent Delahaye, vice-président
Secrétaires :
Mme Victoire Jasmin - M. Jacques Grosperrin
1. Questions d'actualité
2. Débat d'actualité sur le thème : « Énergie et pouvoir d'achat : quel impact de la politique du Gouvernement ?»
3. Proposition de loi tendant à redonner un caractère universel aux allocations familiales, présentée par M. Olivier Henno et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°400, 2021-2022) (ordre du jour réservé au groupe UC)
4. Débat sur le thème : « L'amélioration de la prise en charge des personnes atteintes du trouble du déficit de l'attention »