Suivi des ordonnances
M. le président. - Nous débattons, pour la première fois, du suivi des ordonnances prises en application de l'article 38 de la Constitution.
Depuis des années, le Sénat veut encadrer et améliorer le suivi des ordonnances. Ce débat fait suite aux conclusions du groupe de travail sur les méthodes de travail du Sénat, qui a rendu ses conclusions le 25 mars 2021.
Les rapporteurs de chaque texte suivent les ordonnances prises en application de celui-ci, et le Gouvernement publie désormais un programme prévisionnel des ordonnances. Depuis un an, le Sénat publie un suivi hebdomadaire des habilitations, des ordonnances publiées et de celles qui sont ratifiées.
Ces chiffres illustrent un recours soutenu et banalisé aux ordonnances sur des sujets moins techniques, et une raréfaction des ratifications : 20 % durant ce quinquennat, et 10 % pour celles publiées ces trois dernières années, niveau le plus bas jamais observé.
Je juge cette évolution préoccupante pour le Parlement. Ce débat sera l'occasion de faire le point.
Mme Pascale Gruny, vice-président chargé du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances . - (Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, et M. Rémy Pointereau applaudissent.) Le Sénat organise pour la première fois un débat en séance sur les ordonnances : je m'en félicite, tant elles concurrencent désormais la loi.
Le Sénat, depuis longtemps, fait part de sa préoccupation sur les ordonnances. Personne ne nie leur utilité, notamment quand elles traitent de sujets techniques ou concourent à la codification à droit constant. Mais les ordonnances sont devenues un mode normal d'élaboration de la loi. En 2021, malgré les efforts du Sénat, les chiffres sont alarmants : 90 ordonnances publiées, un record sous la Ve République. C'est le double de la moyenne annuelle depuis 2007.
Contrairement à l'année 2020, ce recours n'est pas justifié par la crise sanitaire, puisque seules dix ordonnances s'y rattachent.
On atteint 326 ordonnances pour le quinquennat, soit trois fois plus que pour la période 2007-2012 et moitié plus que pour 2012-2017. En 2021, 58 % des textes intervenant dans le domaine de la loi sont des ordonnances.
En parallèle, seules 65 ordonnances ont été ratifiées depuis le début du quinquennat, en partie grâce aux efforts du Sénat qui a intégré des ratifications par amendement. À cet égard, le Conseil constitutionnel s'est reconnu compétent pour connaître des ordonnances non ratifiées et dont le délai d'habilitation a expiré
En juin 2021, vous disiez, monsieur le ministre : « Le constat d'une forme de banalisation me semble difficile à contester ». Vous la justifiez par la lutte contre l'inflation législative, le gain de temps et les circonstances sanitaires.
S'agissant de l'inflation législative, le Gouvernement en est le premier responsable. En outre, une ordonnance ne permet pas de gain de temps puisqu'elle fait l'objet d'une demande d'habilitation. Il a ainsi fallu 436 jours en moyenne entre la demande d'habilitation et la publication de l'ordonnance, contre 250 jours pour l'adoption définitive d'un projet de loi par le Parlement, hors textes financiers.
Les ordonnances de 2021 ont porté sur des sujets variés, comme la réforme de la haute fonction publique ou la cinquième branche de la sécurité sociale, qui auraient pu faire l'objet d'une loi ordinaire. Ce recours apparaît donc davantage comme un moyen de contourner le débat parlementaire.
Sans compter que chaque habilitation dessaisit le Parlement, quand bien même l'ordonnance n'est pas publiée. En effet, le Parlement ne peut légiférer sur le sujet tant que le délai d'habilitation n'a pas expiré.
Cette banalisation est-elle revendiquée par le Gouvernement ? En juin 2021, vous disiez que le Gouvernement s'engagerait, lors de la demande d'habilitation, à inscrire le projet de loi de ratification. Or s'ils ont tous été déposés à temps, seuls trois projets de loi de ratification sur 61 ont effectivement été inscrits à l'ordre du jour !
À deux reprises ces dernières semaines, le Gouvernement a transmis des demandes de désignation dans des organismes extraparlementaires en vertu d'ordonnances non ratifiées. Les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat ont refusé, à juste titre, d'y donner suite. L'une d'entre elles avait même été envoyée en cours d'examen de l'ordonnance créant l'organisme en question ! La présence de parlementaires à ce conseil ne figure d'ailleurs plus dans la version finale du texte : ces nominations étaient donc bien inutiles. Face à cet engagement non tenu, comment la politique du Gouvernement en matière de ratification évolue-t-elle ?
Le Parlement est la voix du peuple, il ne faut pas la négliger. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Marc Fesneau, ministre délégué, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne . - Je remercie la présidente Gruny et les présidents de commission du Sénat pour leur travail de grande qualité. Le sujet des ordonnances est sensible, et votre assemblée prévoit, depuis la dernière réforme de son Règlement, son suivi.
Le Gouvernement salue cette initiative avec intérêt. Je forme le voeu que ce débat soit fructueux. Le recours aux ordonnances nous apparaît souvent comme une nécessité face aux contraintes du calendrier parlementaire et à la technicité de certains sujets. Il n'y a aucune volonté de la part du Gouvernement de court-circuiter le Parlement.
C'est vrai, le Gouvernement a pris un nombre record d'ordonnances en deux ans, mais beaucoup l'ont été du fait de la crise sanitaire et de l'impossibilité de réunir le Parlement en continu. Nous avons voulu répondre aux préoccupations de nos concitoyens.
Sur 327 ordonnances prises depuis 2017, 93 sont liées à la pandémie. Cela représente 234 ordonnances, hors crise, prises au cours de ce quinquennat, contre 271 sous François Hollande et 152 sous Nicolas Sarkozy.
Hors conventions internationales, les ordonnances représentent 53 % de la production législative, soit deux points de plus qu'au cours du quinquennat précédent. Nous sommes donc loin d'une quelconque dérive.
Tout le monde a sa part de responsabilité dans l'inflation législative. D'ailleurs, le Gouvernement a travaillé, notamment avec le Sénat, pour transformer des demandes d'habilitation en articles de loi.
J'entends dire aussi que la législation par ordonnance serait plus lente que la législation classique. Le Gouvernement actuel adopte les ordonnances plus rapidement que sous les deux précédents quinquennats, en n'utilisant que les deux tiers des délais d'habilitation.
Enfin, concernant la ratification, certains parlementaires déplorent d'être privés d'un débat. Vu la densité de l'ordre du jour, cela n'est pas toujours possible ni souhaitable sur des sujets techniques. En revanche, s'agissant de domaines sensibles, comme la justice pénale des mineurs, le Gouvernement s'engage à inscrire le projet de loi de ratification à l'ordre du jour.
En outre, le Parlement peut inscrire lui-même des textes de ratification. Je rappelle que le Sénat lui-même avait refusé la ratification de l'ordonnance sur la haute fonction publique qu'il avait inscrite à l'ordre du jour.
On peut regretter que le Parlement se sente dessaisi, mais après une année de tous les records, il n'aurait pas été envisageable de soumettre à votre examen des textes supplémentaires. Un meilleur dialogue entre le Parlement et le Gouvernement permettrait de mieux identifier quels textes requièrent ratification.
Pour conclure, je rappelle que les ordonnances sont un outil précieux pour le Gouvernement. Il ne remplace pas les débats parlementaires, qui aboutissent souvent à mieux définir la portée des habilitations.
Le travail du Sénat et du Secrétariat général du Gouvernement participent de cet objectif. Le débat d'aujourd'hui trouvera, j'en suis certain, la même utilité que le débat annuel sur l'application des lois.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques . - Le constat de Mme Gruny est éloquent : nous n'aimons guère les ordonnances.
Aussi, la commission des affaires économiques a été vigilante, lors de l'examen de la loi Climat et résilience, sur la réforme du code minier par ordonnances. À l'heure où la souveraineté minière est une nécessité, nous voulons que le Parlement prenne toute sa part à ce travail. Où en est l'avancement de cette réforme très attendue ? Le travail du législateur inscrit dans le dur de la loi sera-t-il préservé ?
Où en est l'association des parties prenantes à l'élaboration des ordonnances ?
Enfin, le Gouvernement pourra-t-il garantir l'entrée en vigueur de la réforme avant la fin de la législature ?
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Cette réforme est en effet attendue et stratégique. L'article 81 de la loi Climat et résilience contient 30 mesures d'habilitation qui expirent le 21 novembre. La rédaction des textes portant réforme du code minier est en cours de finalisation et les consultations obligatoires sont imminentes. Le texte de la loi ne sera pas remis en cause, mais complété.
Les parties prenantes ont été associées, avec les ministres de la transition écologique et de l'économie. Une réunion sur la Guyane a eu lieu le 19 novembre 2021 et une réunion interministérielle s'est encore tenue hier.
Tout est mis en oeuvre pour que la réforme paraisse dans les délais impartis.
M. Olivier Cigolotti, vice-président, en remplacement de M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Le travail de notre commission et le vote du Parlement déterminent en profondeur l'action de nos forces armées et de notre réseau diplomatique. Le Parlement doit avoir son mot à dire sur des décisions qui nous engagent à long terme.
La loi de programmation militaire prévoyait quatre ordonnances. Or, aucune ratification n'a été inscrite à l'ordre du jour, à rebours de l'esprit même de ce texte et alors que les sujets sont centraux - reconversion des militaires dans la fonction publique et extension du congé du blessé, notamment.
De même, nous regrettons le choix de ne pas associer la représentation nationale au travail d'adaptation de notre droit aux conséquences du Brexit. Le Sénat a pourtant développé une réelle expertise sur le sujet, à travers le groupe de travail de Jean-François Rapin et Christian Cambon.
Notre commission salue le renforcement du suivi des ordonnances par le Bureau du Sénat. Nous souhaitons une inscription systématique des projets de loi de ratification, pour qu'un débat contradictoire ait lieu.
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Vous insistez sur deux sujets d'importance.
En ce qui concerne le Brexit, le débat a eu lieu et a été fourni. Le délai d'habilitation a été réduit par la commission mixte paritaire de trente à douze mois. Le Sénat avait approuvé l'essentiel de l'habilitation.
S'agissant de la loi de programmation militaire, je connais l'attachement de votre commission au suivi de sa mise en oeuvre. Un travail de concertation doit être mené entre le Gouvernement et les assemblées pour identifier les ratifications qui doivent faire l'objet d'un débat.
Nous ne pourrons parler de tout, mais, en anticipant, nous pouvons nous concentrer sur les sujets centraux.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales . - Deux ans et cinq mois : c'est le temps qu'il aura fallu pour adopter l'ordonnance du 19 mai 2021 sur les services aux familles. Pendant ce temps, le Parlement a été dépossédé de son pouvoir sur ce sujet essentiel.
Le Gouvernement a été incapable de légiférer par ordonnance dans le délai de six mois fixé par la loi ASAP. Le délai de publication a été allongé, et l'habilitation semble se recharger d'elle-même, sous le prétexte de mesures complémentaires à prendre, pratique que nous dénonçons.
L'habilitation de la loi ASAP est en fait plus large que celle de la loi ASE.
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Un délai de six mois était prévu pour cette ordonnance. Mais il a fallu consulter les acteurs, ce qui a pris du temps, avant de porter le projet de texte à la connaissance du Conseil d'État. Le délai a finalement été respecté.
L'ordonnance est appliquée à 90 %. Le texte de ratification devrait être transmis au début de cette année, le travail de finalisation est en cours.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Le recours aux ordonnances est fréquent. Certaines sont d'ailleurs de confort, le Gouvernement n'utilisant finalement pas l'habilitation qui lui a été consentie - comme sur les conditions de prise en charge par l'employeur de certains frais de transport.
Le Gouvernement n'évalue pas toujours l'opportunité des mesures qu'il souhaite prendre, et le législateur se trouve dessaisi de sa compétence. Pourquoi ne pas faire davantage confiance aux parlementaires ? Est-ce une question de temps, d'agenda médiatique ?
D'autant que la voie parlementaire s'avère souvent plus rapide. Ainsi, sur la réforme du code minier, l'adaptation des territoires littoraux au changement climatique et la création du bureau d'enquête sur les risques naturels, nous aurions travaillé plus vite et mieux en avançant ensemble.
L'exemple de notre réflexion sur la taxe sur le transport routier de marchandises en Alsace est malheureusement trop rare.
Nous aspirons à une confiance et une sérénité plus grandes dans notre travail avec le Gouvernement.
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Dans 95 % des cas, les habilitations ont abouti à la parution d'une ordonnance ; ce taux était de 87 % sous François Hollande et de 79 % sous Nicolas Sarkozy.
S'agissant de l'habilitation dont vous avez parlé qui n'a pas encore été prise, son délai, prolongé de quatre mois, expirera le 23 avril 2022. De plus, les parlementaires ont modifié les montants du forfait mobilités durables. Les retours d'expérience sont encore insuffisants pour envisager de rendre le dispositif obligatoire.
Un baromètre de suivi a été créé, et le Gouvernement a mis en place un plan d'action pour mieux faire connaître le dispositif et envisager son déploiement au-delà des entreprises. L'évaluation des accords prévue par la LOM est actuellement pilotée par l'Ademe, pour un bilan au printemps prochain.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - Les ordonnances sont devenues les outils principaux de transposition des directives européennes. Cela n'est pas forcément condamnable, surtout en cas de refonte de codes.
Mais il faudrait mieux connaître le périmètre des habilitations demandées afin d'éviter toute surtransposition, et le Parlement devrait être mieux informé des intentions du Gouvernement. Les habilitations demandées sont souvent trop imprécises.
Depuis janvier 2018, notre commission surveille la transposition et évalue les marges de manoeuvre. Il s'agit de nous assurer que toute surtransposition est justifiée. Mais notre travail est compliqué par le morcellement des transpositions. (Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, approuve.)
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Je salue la qualité du travail de la commission des affaires européennes du Sénat, notamment en matière de suivi des transpositions.
Afin de transposer diverses mesures, le Gouvernement a régulièrement recours à des textes portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (Dadue).
Le Parlement ne peut étendre le champ d'une habilitation, mais il peut le réduire. Le Gouvernement partage votre préoccupation de ne pas surtransposer.
En cas de choix politique en faveur d'une surtransposition, nous fournissons les précisions nécessaires, et les éléments complémentaires sont soumis au Conseil d'État : tout cela est contenu dans les études d'impact.
J'ai pris bonne note de votre demande de plus grande précision dans les demandes d'habilitation.
M. Vincent Éblé, vice-président, en remplacement de M. Claude Raynal, président de la commission des finances . L'unification du recouvrement des taxes et impositions et la refonte des amendes ont fait l'objet d'ordonnances. Nous y étions opposés, estimant l'habilitation trop large.
En outre, la codification ne s'est pas faite à droit constant. La doctrine fiscale est ainsi réinterprétée par le Gouvernement.
La loi de finances pour 2022 comporte une nouvelle habilitation de 24 mois sur le sujet. Il nous faudra un bilan en la matière.
La généralisation de la facturation électronique pour les entreprises a également fait l'objet d'ordonnances, publiées dans les temps. Les délais de mise en oeuvre ont cependant été décalés à 2024 pour les grandes entreprises, 2025 pour les entreprises de taille intermédiaire et 2026 pour les PME. Pourquoi ne pas être passé par le législateur ?
Enfin, le statut et la responsabilité pécuniaire des comptables publics ainsi que la refonte des juridictions financières ont fait l'objet de longues discussions, mais les parlementaires auraient dû être associés à la rédaction de l'ordonnance.
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - La généralisation de la facture électronique pour les entreprises est un chantier très important. Les entreprises doivent disposer de visibilité pour anticiper, raison pour laquelle nous avons assoupli les délais de mise en oeuvre.
En ce qui concerne l'unification du recouvrement des taxes et impositions et la refonte des amendes, j'ai bien entendu votre demande de bilan.
S'agissant de la refonte des juridictions judiciaires et de la réforme du régime de responsabilité des comptables publics, le Gouvernement en a, dès de début, précisé les grandes lignes. L'article d'habilitation a permis au Parlement de débattre des grandes orientations. Le texte devrait être publié en mars prochain. Les ordonnances étaient justifiées par la technicité et l'ampleur des mesures à prendre.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois . - Dans les domaines de compétence de la commission des lois, je distingue trois usages de l'article 38 de la Constitution.
D'abord, le Gouvernement utilise parfois les ordonnances comme filets de sécurité. Le Parlement se voit ainsi privé d'exercer son pouvoir : c'est le cas pour l'ordonnance sur les débits de boissons, dont le délai a expiré en avril dernier sans que le Gouvernement ait légiféré...
Ensuite, le Gouvernement prétexte parfois de la nécessité de négocier avec les acteurs. Ainsi, il s'autorise des blancs-seings, que nous déplorons.
Enfin, le Gouvernement argue souvent de la complexité de la réforme envisagée. Ainsi l'ordonnance sur les procédures collectives a-t-elle été prise au nom d'une très grande technicité. Nous avons déposé une proposition de loi de ratification. Le Gouvernement va-t-il consulter le Parlement ?
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - En ce qui concerne les débits de boissons, le délai a, en effet, expiré. Mais le Gouvernement a peu recours à ce que vous avez appelé le filet de sécurité : je le répète, seules 5 % des ordonnances autorisées ne sont pas prises.
Dans le contexte de crise, et compte tenu de la situation des débits de boissons, il ne nous a pas paru opportun de modifier les conditions de vente des boissons alcoolisées.
S'agissant des procédures collectives, le Gouvernement a bien déposé le projet de ratification sur le bureau du Sénat dans les temps, soucieux de débattre d'un sujet aussi important pour nos entreprises. Le texte n'a pas encore trouvé sa place dans l'ordre du jour.
Sur le troisième point que vous avez soulevé, je n'ai pas la réponse ; je vous la fournirai le plus rapidement possible.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Merci, monsieur le ministre.
M. Stéphane Piednoir, vice-président, en remplacement de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture . - Je veux parler de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris. L'ordonnance demandée autorisait l'État à prendre des mesures dérogatoires au droit de l'urbanisme pour réaliser plus rapidement les travaux. Le Sénat s'y est opposé, ce qui a fait échouer la CMP.
Pourquoi donc le Gouvernement n'a-t-il jamais pris l'ordonnance en question ? Le Gouvernement et l'Assemblée nationale nous ont privés d'un accord cohérent avec l'exigence d'unité nationale face à un tel drame et avec la garantie d'un chantier exemplaire.
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - En l'absence d'une définition précise du projet de restauration, il nous a paru nécessaire de prendre cette précaution. Certes, c'était une forme de filet de sécurité. Mais nous voulions tous avancer rapidement.
Une seule dérogation a été prise, concernant l'exploitation des carrières, étant donné l'ampleur du chantier et l'exigence de cohérence de l'architecture de la cathédrale.
Vous pouvez vous féliciter d'avoir eu raison trop tôt ; mais il est parfois préférable de prendre des précautions...
M. Alain Richard . - Ce débat est bienvenu. Nous le tenions précédemment au titre de l'application des lois.
Il convient de relativiser les propos de Mme Gruny sur la masse des ordonnances. Elle a intégré les ordonnances de 2020 sur la crise sanitaire pour ses comparaisons avec les autres quinquennats, mais, en dehors de ces textes, le nombre d'ordonnances est inférieur sous ce quinquennat.
Par ailleurs, on ne peut pas tenir compte seulement du nombre d'ordonnances ; il faut s'attacher à leur volume. Comme je l'ai plusieurs fois signalé, sans résultat, Légifrance tient une comptabilité par mots.
Les considérations de délai doivent tenir compte des travaux préparatoires et concertations nécessaires à une ordonnance. C'est le cas notamment pour la réforme du code minier.
Il faut certes améliorer les ratifications, mais 80 à 90 % d'entre elles ne nécessitent pas de débat. Un tri pourrait être opéré par le bureau de chaque commission, et ces débats pourraient se tenir dans le cadre de la législation en commission.
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - La comptabilisation des ordonnances est effectivement délicate ; nous devons avancer sur le sujet pour disposer, Gouvernement et assemblées, de critères partagés.
Il est vrai que nous avons mené un travail atypique de concertation sur le code minier.
Je le répète, nous sommes prêts à réfléchir avec les assemblées sur les ratifications nécessitant prioritairement un débat en séance.
M. Alain Marc . - Le nombre d'ordonnances ne cesse d'augmenter. Entre 2012 et 2018, elles ont été plus nombreuses que les lois. Cette progression s'est accentuée avec la crise sanitaire.
Nous avons le sentiment que la loi n'est plus considérée comme le mode normal de législation. L'exécutif dépossède ainsi les parlementaires de leur pouvoir législatif, d'autant que les ratifications sont rarement inscrites à l'ordre du jour.
Le 28 mai 2020, le Conseil constitutionnel a accentué nos inquiétudes en imaginant qu'une ordonnance non ratifiée puisse acquérir une valeur législative rétroactive.
Le Gouvernement compte-il faire preuve d'une vigilance accrue sur les ratifications ?
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Lors de la session 2019-2020, le nombre d'ordonnances a augmenté du fait de la crise sanitaire.
Dans la décision du Conseil constitutionnel que vous avez mentionnée, l'ordonnance non ratifiée n'est considérée comme législative que pour assurer la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel l'a rappelé le 3 juillet 2020. L'ordonnance non ratifiée reste un texte réglementaire, susceptible de recours devant le juge administratif.
Cette jurisprudence ne modifie en rien les prérogatives du Parlement en matière de ratification, mais garantit une meilleure protection pour nos concitoyens.
S'il fallait ratifier toutes les ordonnances, nous aurions un problème d'ordre du jour. Mais, je le redis, nous pouvons travailler ensemble à l'identification des textes les plus importants.
M. Stéphane Le Rudulier . - La banalisation des ordonnances pose problème pour l'équilibre de nos institutions. Un acte du Gouvernement ne peut avoir valeur législative.
La récente jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les ordonnances non ratifiées a donné le coup de grâce au rôle du Parlement. Notre Constitution a rationalisé le parlementarisme pour stabiliser les gouvernements, à une époque où l'on pensait qu'il n'y aurait pas de fait majoritaire. Désormais, l'esprit en est inversé.
Pensez-vous que l'on puisse réformer et gouverner par ordonnances, alors que les Français perdent confiance en leurs dirigeants ? Je regrette que la proposition de loi de M. Sueur n'ait pas prospéré à l'Assemblée nationale.
M. Jean-Pierre Sueur. - Et moi donc ! (Sourires)
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - J'ai déjà expliqué la portée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Quant à la banalisation des ordonnances, il est vrai qu'il a été beaucoup fait usage de cette procédure sous les trois derniers quinquennats. Plus largement, nous légiférons beaucoup - lois ou ordonnances.
Mme Sophie Primas. - Même sur les menus des cantines...
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Peut-être devrions-nous réfléchir à une régulation ?
M. Guillaume Gontard . - Le recours aux ordonnances a doublé en dix ans, tandis que le taux de ratification a chuté à 20 %.
La jurisprudence récente du Conseil constitutionnel a semé le trouble. Elle est d'ailleurs contestée par le Conseil d'État - et par le Sénat. De fait, elle prive le Parlement de son rôle législatif.
Le Gouvernement ne fait même plus semblant de mettre les formes. Comment expliquez-vous un tel recours aux ordonnances et l'abandon des ratifications ?
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - J'espérais vous avoir rassuré sur la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel... J'insiste : elle ne concerne que les questions prioritaires de constitutionnalité. D'éminents juristes ont confirmé qu'elle ne changeait pas la nature des ordonnances.
Le Conseil constitutionnel censure un recours trop large aux ordonnances, comme dans le projet de loi Sécurité globale.
Nombre d'ordonnances récentes sont liées à la crise sanitaire, il ne faut pas le perdre de vue.
S'agissant des ratifications, je répète que nous pouvons prévoir un débat sur les sujets les plus importants.
Mme Cécile Cukierman . - Le recours aux ordonnances a dangereusement augmenté, avec 345 demandes d'habilitation depuis 2017, soit 6 % de plus que sous le quinquennat précédent. Dans le même temps, les ratifications sont de moins en moins nombreuses.
Oui, la jurisprudence du Conseil constitutionnel nous inquiète. Elle exonère le Gouvernement d'une ratification.
Comme nous inquiètent les propos rapportés par Marianne d'un futur candidat à la présidentielle, actuellement Président de la République, sur la réduction du temps de débat parlementaire.
Jour après jour, la verticalité du pouvoir se renforce. Le Gouvernement envisage-t-il d'aller plus loin, avec un Parlement qui ne voterait plus la loi ?
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Le recours aux ordonnances est certes élevé, mais depuis plusieurs quinquennats, sans compter les contraintes de la crise sanitaire...
Les ordonnances ne servent nullement à contourner le Parlement, et la décision du Conseil constitutionnel n'y change rien.
Travaillons sur les débats de ratification qui pourraient être inscrits à l'ordre du jour.
Mme Annick Billon . - Le Sénat est en pointe sur le suivi des ordonnances, renforcé par la dernière réforme de notre Règlement.
Oui, la crise sanitaire a nécessité de prendre de nombreuses ordonnances, mais elles restent insatisfaisantes pour le législateur.
Plus inquiétant me paraît être le taux de ratification, nettement plus faible que sous les quinquennats précédents. Comment l'expliquez-vous ?
Avant 2007, il n'y avait que 14 ordonnances publiées par an en moyenne : depuis 2017, il y en a 64 !
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Le Gouvernement a pris 28 ordonnances en 2017 et 27 en 2018, puis 57 en 2019 et 124 en 2020. Avant la crise sanitaire, leur nombre était tout à fait comparable à la pratique antérieure.
Nous devons être vigilants sur les ratifications pour en améliorer le taux, trop faible. Nous y travaillons avec le Secrétariat général du Gouvernement.
M. Jean-Yves Roux . - Vous connaissez la faible appétence du RDSE pour les ordonnances. (M. Jean-Claude Requier renchérit.)
La récente jurisprudence du Conseil constitutionnel ne nous rassure pas, car l'article 38 est banalisé.
Nous légiférons précipitamment, au risque que les mesures prises tombent dans des abysses ou soient dévoyées par quelque représentant d'intérêts.
Les majorités nouvelles n'auront pas les ratifications comme priorité.
La loi 3DS prévoit de nombreuses ordonnances, sur des sujets majeurs comme la clarification du rôle des foncières solidaires, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), l'amélioration de la prise en charge de la sécheresse et l'adaptation de la loi en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie - excusez du peu.
Il en va de même pour le projet de loi sur les outils de gestion des risques climatiques en agriculture, que nous examinerons dans quelques jours. Nous ne pourrons ratifier les ordonnances dans les délais impartis. Est-il bien raisonnable de procéder ainsi ? (Applaudissements sur les travées du RDSE)
Mme Nathalie Delattre. - Très bien !
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Le projet de loi 3DS est en cours de finalisation, car la CMP a abouti hier à un accord dont je me félicite. Il prévoit douze mesures d'habilitation.
D'autres sont prévues en cette fin de quinquennat. Cela n'a rien d'inédit : on l'a vu sous Nicolas Sarkozy comme sous François Hollande. Comment en faire grief au Gouvernement ? Il faut agir jusqu'au dernier moment. En outre, il existe, heureusement, une forme de continuité républicaine.
M. Jean-Pierre Sueur . - Refusant que le Parlement ne soit jamais en état de débattre d'une réforme aussi importante que celle de la haute fonction publique, le Sénat a adopté, le 6 octobre 2021, à 225 voix pour et 32 contre, une proposition de loi marquant son opposition à la ratification de cette ordonnance. Je réitère ma question - à laquelle je n'ai pas eu de réponse - : quelles conclusions le Gouvernement tire-t-il de ce vote ?
Le 4 novembre 2021, le Sénat a adopté, à 322 voix pour et 22 contre, une loi constitutionnelle garantissant le respect des principes de la démocratie représentative et de l'État de droit en cas de législation par ordonnance. Mme la ministre n'ayant articulé aucune réponse à ma question, réitérée, je la pose à nouveau : quelles conclusions le Gouvernement tire-t-il de ce vote massif ?
M. Stéphane Le Rudulier. - Bravo !
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Le Sénat était fondé à se saisir de la ratification par la voie d'une proposition de loi - même si celle-ci a été rejetée.
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous étions contre la ratification !
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - C'était dans vos prérogatives. Acceptez que le Gouvernement ait eu une position différente sur ce sujet. (M. Jean-Pierre Sueur proteste.) Assumons nos différences.
Le débat démocratique est sain. En cette période électorale, il appartiendra à chacun de faire des propositions pour améliorer les voies et moyens du travail parlementaire. Nous avions initié une révision constitutionnelle qui n'a hélas pu prospérer ; ces questions sont donc devant nous.
Au demeurant, la ratification en séance de toutes les habilitations, comme vous le souhaitez, poserait un problème d'encombrement de l'ordre du jour parlementaire.
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous pouvons les ratifier en commission !
M. Marc Fesneau, ministre délégué. - Je ne suis pas sûr que nous ayons besoin d'une loi sur un sujet qui relève plutôt des bonnes pratiques et du dialogue démocratique entre les assemblées et le Gouvernement, quel qu'il soit.
M. le président. - Je ne sais s'il faut une loi, monsieur le ministre, mais le Parlement doit pouvoir débattre et échanger avec l'exécutif. En tant que président du Sénat, je suis très attentif à ce que les droits du Parlement soient respectés. Chacun a des progrès à faire.
Je remercie le groupe de travail et sa présidente d'avoir proposé ce débat, dont il faudra tirer les enseignements. Il ne doit pas relever de la liturgie, mais contribuer à renforcer la qualité de la législation et le rôle de la démocratie représentative.
La séance est suspendue à 19 h 35.
présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente
La séance reprend à 21 h 30.