Menaces des théories du wokisme sur l'université, l'enseignement supérieur et les libertés académiques
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur les menaces que les théories du wokisme font peser sur l'université, l'enseignement supérieur et les libertés académiques, à la demande du groupe Les Républicains.
M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie mon groupe et son président, Bruno Retailleau, d'avoir inscrit ce débat à notre ordre du jour. Grandes, en effet, sont les menaces que fait peser le wokisme sur l'enseignement supérieur et les libertés académiques.
To stay woke signifie : rester éveillé. Devenue projet politique d'ampleur à travers le mouvement Black Lives Matter, cette notion, fondée sur un scepticisme radical à propos de la vérité et une conception manichéenne de la société, est devenue, de l'écriture inclusive à la déconstruction en passant par le communautarisme, la bannière de ceux qui veulent fragmenter l'unité républicaine.
Je ne puis me résoudre à voir prospérer en France, pays des Lumières, des droits de l'homme et de Victor Hugo, une conception si éloignée de notre héritage révolutionnaire.
Je lui préfère de beaucoup la vision de Renan, qui disait en 1882 : « L'homme n'est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d'hommes, saine d'esprit et chaude de coeur, crée une conscience morale qui s'appelle une nation. »
Le coeur de notre citoyenneté, c'est l'adhésion de chacun aux valeurs de la République, sans effacement de son identité personnelle. Ce qui fait une nation, c'est le partage d'une communauté d'intérêts, de souvenirs et d'espérances.
La radicalité de l'idéologie wokiste heurte frontalement les principes constitutifs de notre République. Celle-ci doit réagir fermement face à ces attaques : appels à la repentance perpétuelle, déboulonnage de statues, autorisation de manifestations non mixtes par certaines municipalités, banalisation de l'écriture inclusive au mépris des circulaires officielles. (M. Thomas Dossus s'exclame.)
Comment ne pas réagir quand l'histoire est soumise aux lunettes déformantes du présent ? Quand un professeur est menacé, harcelé pour avoir contesté le fondement scientifique du concept d'islamophobie ?
La diffusion de cette idéologie s'accompagne d'une censure qui me met profondément mal à l'aise. Nos universités sont vectrices d'émancipation, elles doivent favoriser le pluralisme et l'ouverture d'esprit. (M. Thomas Dossus s'exclame.) Au contraire, le wokisme est une idéologie nauséabonde qui vise à dissoudre le débat intellectuel, la confrontation pacifique et régulée des idées.
S'il tient parfois le haut du pavé, le wokisme, n'est que le fait d'une toute petite minorité. Selon un sondage, 86 % des Français n'en ont pas entendu parler ; et sur les 14 % restant, 8 % ignorent de quoi il s'agit... À la vérité, ce n'est qu'un opium d'intellectuels, inadapté et inadaptable aux réalités de notre pays.
Il est grand temps de rappeler que le travail scientifique ne fait pas bon ménage avec la réécriture de l'histoire ; grand temps de combattre une idéologie qui tourne le dos à l'idéal des Lumières et aux fondements mêmes de notre République.
Or au-delà de quelques déclarations, la réaction du Gouvernement est en demi-teinte. La prégnance du wokisme progresse depuis cinq ans. Comme si la fascination du Président de la République pour le modèle anglo-saxon entravait une action résolue. Il arrive même que l'idéologie de la déconstruction trouve un écho dans certains propos présidentiels...
Pour combattre le wokisme, nous devons considérer notre passé avec clairvoyance mais sans suspicion, réarmer intellectuellement nos professeurs, remettre les savoirs fondamentaux au coeur de l'école : en somme, réassurer notre conception de la citoyenneté.
La Nation nous rassemble, la République nous fédère, la citoyenneté nous ouvre au monde. Ces concepts, trempés par notre histoire, demeurent d'une étonnante modernité. Je souhaite que notre débat soit l'occasion d'une réflexion sur cette actualité de notre citoyenneté républicaine.
Protégeons-la et faisons-la prospérer dans le lieu où se forme le sens critique de notre jeunesse, où le débat doit toujours être pluraliste et scientifiquement fondé : notre université ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées du groupe UC ; M. Jean-Pierre Decool applaudit également.)
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de l'engagement. - L'héritage des Lumières et notre conception de la Nation sont, en effet, sous la menace d'une idéologie politique venue des États-Unis.
Le projet du Président de la République et du Gouvernement est émancipateur. Nous voulons aiguiser l'esprit critique, garantir le pluralisme de la recherche et des enseignements.
Nous devons ne laisser s'installer aucune idéologie qui s'imposerait comme seule autorisée ; il nous faut résister à la facilité de ne plus étudier certains auteurs ou de regarder l'histoire avec les lunettes du présent.
Nous voulons des jeunes éclairés, outillés historiquement, prêts au débat. C'est le sens de notre action en faveur du pluralisme ! (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. François Patriat. - Très bien !
M. Max Brisson. - Je crois à la sincérité de votre combat personnel, mais je doute de la volonté constante du Président de la République, qui nous invite constamment à la repentance, notamment sur la guerre d'Algérie.
Je crains qu'il ne soit à la hauteur de votre volonté farouche, madame la ministre... Son « en même temps » penche parfois du côté du wokisme, et c'est très fâcheux !
Mme Esther Benbassa . - Comment définir le wokisme ? Pour ses détracteurs, il ne serait que l'agrégat des idées défendues par la gauche déconstructiviste. Mais cette vision caricaturale laisse de côté nombre d'enjeux. Car le wokisme ne se limite pas aux propositions, extrêmes et peu constructives, de la cancel culture.
Il est issu des années 1960, quand Martin Luther King appelait la jeune génération noire à rester éveillée et engagée. Popularisé dans les universités américaines à partir des années 2000, le concept de woke est très large, intégrant le boycott, le déboulonnage des statues, le décolonialisme, l'antiracisme ou la lutte contre le sexisme.
Que certaines positions et actions puissent interroger, je le conçois. Certaines relèvent du militantisme et de la liberté d'expression, mais d'autres procèdent de la volonté d'instaurer une pensée unique, poussant à l'autocensure par des pratiques que je dénonce.
L'université est le lieu de la confrontation intellectuelle. Tenter de réduire au silence celles et ceux qui ne partagent pas nos idées est inacceptable.
De mon point de vue, la liberté académique doit être préservée à la fois des pressions gouvernementales et de l'extrémisme pouvant résulter de certains partis pris idéologiques. Comment envisagez-vous de garantir cette liberté, qui me paraît menacée d'un côté comme de l'autre ?
La French culture a su se développer et essaimer à l'étranger - je pense à Derrida, notamment. Pourquoi en irait-il autrement aujourd'hui ? (Mme Monique de Marco applaudit.)
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - La liberté académique et la pluralité de la recherche sont un bien précieux.
Le Gouvernement a oeuvré pour les défendre. Je pense en particulier à l'action de la ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche, notamment dans le cadre de la loi de programmation pour la recherche.
Nous voulons garantir la sérénité à l'université, en évitant que s'installe une pensée autorisée. Noms placardés, colloques chahutés, enseignants pris à partie : ces pratiques ne sont pas compatibles avec des débats sains et sereins.
L'esprit français, l'esprit des Lumières, c'est l'esprit critique !
Mme Esther Benbassa. - Racisme, antiracisme, féminisme et néoféminisme ne sont en rien des dangers ! Au reste, vous savez bien que très peu de postes d'enseignant sont ouverts, à l'université comme au CNRS.
L'université est un lieu où la pensée résiste. Cette pensée critique doit être préservée - comme vous l'avez dit.
M. Yan Chantrel . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Monique de Marco applaudit également.) Nous ne sommes pas dupes de la manoeuvre du groupe Les Républicains, qui, en pleine campagne présidentielle, utilise le Sénat pour faire avancer son agenda démagogique. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Ce débat s'apparente à un banquet totémique, pour ne pas dire une séance d'exorcisme. Il s'agit de conjurer le mal ! (On se récrie à droite.)
Partant, la droite conservatrice du Sénat emboîte le pas de la droite autoritaire du Gouvernement.
Islamo-gauchisme, wokisme : ces mots sont autant d'écrans de fumée destinés à cacher les vrais dangers qui minent nos universités. À la vérité, la droite et ses jumeaux du Gouvernement n'ont cure de l'université et de la recherche. Vous n'avez que mépris pour les chercheurs ! (Marques d'indignation à droite)
M. Max Brisson. - Quelle caricature !
M. Yan Chantrel. - Ces écrans de fumée sont bien commodes pour tous ceux qui défendent le statu quo et son cortège de privilèges, pour tous ceux qui ne veulent parler ni des injustices qui frappent les jeunes, notamment dans l'accès au logement et à l'emploi, ni des discriminations fondées sur le nom, la couleur de peau, l'accent, le handicap, le genre ou la sexualité.
M. Stéphane Piednoir. - C'est honteux !
M. Yan Chantrel. - Nous voulons une égalité et une justice réelles, le respect pour tous les enfants de France.
Nous aurions pu boycotter ce débat ridicule, à l'intitulé grotesque. Mais nous n'avons pas voulu laisser le champ libre à la parole réactionnaire. (On ironise à droite.)
Le wokisme est une chimère, un concept dépourvu de toute définition rigoureuse. Il doit être laissé aux animateurs de CNews et à l'extrême droite, qui l'a propagé.
Ces discussions mêlent rumeurs, complotisme, propos de comptoirs et informations non vérifiées. Elles sont l'illustration même du vrai danger qu'il faut combattre : l'ingérence du politique dans la recherche. En suspendant le financement d'un établissement d'enseignement supérieur, M. Wauquiez a lancé une chasse aux sorcières.
M. Jacques Grosperrin. - Il a fort bien fait !
M. Yan Chantrel. - Le Gouvernement ne fait pas autre chose, en enjoignant le CNRS de mener une enquête sur ses propres chercheurs. Avec ce nouveau maccarthysme, vous pratiquez vous-mêmes la culture de l'annulation que vous dénoncez !
M. Max Brisson. - Dérisoire !
M. Yan Chantrel. - Les menaces qui pèsent sur l'université, parlons-en.
C'est d'abord Emmanuel Macron qui propose d'augmenter les droits d'inscription à l'université. Pourquoi la droite ne dénonce-t-elle pas cette idée pernicieuse venue d'Amérique du Nord ?
C'est ensuite la culture du néo-management qui s'immisce dans la gouvernance des établissements.
Ce sont aussi la baisse de 15 % du taux d'encadrement en dix ans, la précarisation des enseignants et des chercheurs qui conduit nombre d'esprits brillants à choisir une autre carrière, et la paupérisation des étudiants, toujours plus nombreux à faire la queue devant les banques alimentaires.
Ce sont enfin le manque de crédits pour la recherche, le système dual qui donne deux fois plus de moyens à un élève de classe préparatoire qu'à un étudiant de licence...
M. Stéphane Piednoir. - Rien à voir !
M. Yan Chantrel. - ... et le manque de transparence de Parcoursup et de ses algorithmes, qui nourrit l'anxiété et le sentiment d'arbitraire.
M. Max Brisson. - Quel est le rapport ?
M. Julien Bargeton. - Le tirage au sort, c'était mieux ?
M. Yan Chantrel. - Voilà les sujets dont nous devrions débattre ! (M. Patrick Kanner renchérit.)
Notre devoir est de garantir la liberté académique et d'empêcher toute ingérence du politique dans les débats scientifiques. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mmes Monique de Marco et Esther Benbassa, ainsi que M. Pierre Ouzoulias, applaudissent également.)
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Ce qui menace l'université, ce sont les propos sans nuance.
M. Laurent Lafon. - Bravo !
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Nous luttons contre toutes les précarités et inégalités de destin. Nous y avons consacré 5 milliards d'euros, avons gelé les loyers des Crous, rénové les logements étudiants. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE)
M. Pierre Ouzoulias. - Assumez votre bilan !
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Je suis toute disposée à en débattre, car nous n'avons pas à en rougir.
Contre le wokisme, nous avons saisi le collège des déontologues afin de protéger les libertés académiques.
Nous avons deux priorités : garantir un climat favorable aux études et favoriser la recherche.
Si nous avons renforcé Parcoursup, c'est pour que ce ne soit plus le hasard qui décide ! (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe UC ; MM. Max Brisson et Gérard Longuet applaudissent également.)
M. Yan Chantrel. - Votre niveau de déconnexion me laisse pantois. (Exclamations sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Je suis un enfant de l'université, j'ai étudié à Villetaneuse. Si vous veniez sur le terrain, vous seriez effarée : les locaux, vétustes, ne sont pas chauffés. Imaginez la violence ressentie par les étudiants et les enseignants quand vous expliquez que tout va bien...
De nombreux talents partent à l'étranger - comme sénateur des Français de l'étranger, je puis en témoigner. Les chercheurs sont sous-payés et sous-considérés. Et maintenant, vous lancez même des enquêtes contre eux !
M. André Gattolin . - La vocation du politique est de débattre de tout ; rien de ce qui se rapporte à la polis ne nous est étranger.
Je remercie donc l'initiateur de ce débat, qui aurait été encore plus intéressant si nous avions pu y associer des universitaires et des chercheurs. Quant à une proposition de loi, elle aurait posé la très délicate question des concepts et des mesures à mettre en oeuvre.
Le choix des contenus enseignés relève du monde universitaire dans son pluralisme. C'est le sens de la liberté académique, dont il sera aussi question ce soir. Le Sénat a adopté ma proposition de résolution européenne insistant sur le nécessaire soutien à ce principe en Europe.
Si « mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde », comme le disait Camus, bien les nommer est une forme d'hygiène démocratique.
C'est vrai aussi s'agissant du wokisme, qui n'a aucune définition académique. Il n'a rien à voir avec le wok, cet ustensile permettant de cuire toutes sortes d'aliments sans trop de matière grasse - encore qu'il autorise le mélange des idées sans trop de matière grise... (Sourires)
Nous devons distinguer nettement le domaine de la science et celui du débat d'idées.
M. Julien Bargeton. - Tout à fait !
M. André Gattolin. - Les controverses ont toute leur place dans le monde académique, sous forme de débats contradictoires et argumentés.
La liberté académique s'accompagne d'une nécessaire responsabilité : intégrité scientifique pour les enseignants, respect du pluralisme pour les établissements.
L'existence d'une pensée critique est tout sauf incompatible avec la culture académique démocratique ; sans elle, pas de controverse de Valladolid et des générations de Galilée condamnées au silence... À cet égard, Bourdieu disait juste : un champ scientifique est un espace où les chercheurs s'accordent sur leurs désaccords, ainsi que sur les instruments pour les résoudre.
Un problème se pose lorsque, au-delà de la pensée critique, se développe une pensée dénonciatrice, agressive, qui ne respecte pas les règles académiques.
Le wokisme a-t-il une résonance dans les travaux de recherche menés en France ? Nous disposons de peu d'éléments à cet égard. Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche pourrait travailler à un état des lieux permettant d'apprécier la réalité de ce courant - ou de cette mode, car il y a aussi des modes dans la recherche. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Dans vos propos nuancés, vous avez bien distingué travaux de recherche et discours prescriptifs, qui cherchent à imposer une pensée autorisée.
Nous consolidons les outils pour mesurer la réalité de la situation. Nous porterons ces éléments à votre connaissance.
Le renforcement des moyens du CNRS, la création de 360 congés spécifiques et l'augmentation du budget des laboratoires visent à renforcer nos universités. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. André Gattolin. - J'ai travaillé avec mes étudiants sur l'écriture inclusive : une majorité s'y déclarait favorable, mais sans l'avoir étudiée et sans l'utiliser dans leurs travaux. Il ne faut pas confondre les débats qui traversent la jeunesse avec les travaux réellement produits par la recherche.
M. Jean-Pierre Decool . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je remercie M. Brisson pour ce débat.
Stay woke : le titre d'un documentaire de Laurens Grant sur le mouvement Black Lives Matter est devenu aux États-Unis le mot d'ordre de tous ceux qui considèrent les sociétés occidentales comme structurellement racistes, sexistes, islamophobes et homophobes. Soyez sur vos gardes, car les discriminations sont partout. Bref, nous sommes tous coupables à notre insu...
Le wokisme est d'abord une faute d'orthographe : il aurait fallu dire : Stay awoken. Au commencement était l'erreur - déjà !
En France, nous subissons les assauts de cette idéologie moralisatrice, qui frappe la langue du quotidien à travers l'écriture inclusive - qui exclut, opposant sans cesse sans jamais accorder. L'écriture inclusive se propage partout, notamment à l'université, malgré l'interdiction claire posée par le ministre de l'Éducation nationale. Nous en avions débattu en mai dernier, sur mon initiative. Je salue l'initiative de Mme Gruny, qui a déposé une proposition de loi sur le sujet.
Cette idéologie touche aussi le langage artistique. Certaines manifestations ne peuvent se tenir au prétexte qu'elles véhiculeraient des stéréotypes racistes ou sexistes, jusqu'en Sorbonne où la pièce Les Suppliantes d'Eschyle n'a pu être jouée, car certains acteurs portaient des masques noirs - un retour à l'usage antique.
Il est choquant que des groupuscules s'arrogent un rôle de censeur. La culture doit rester libre !
Nous ne devons pas baisser la garde mais mener la bataille sur le plan des idées, expliquer pourquoi on ne lutte pas contre le racisme en interdisant des pièces de théâtre, pourquoi on ne défend pas l'égalité en excluant les hommes de certaines réunions, pourquoi on ne grandit pas le débat en empêchant de s'exprimer ceux qui ne pensent pas comme il faut.
Le wokisme n'a pas sa place à l'université. Il y va de la préservation de notre langue et de notre culture ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal ont été clairs : l'écriture inclusive n'a pas sa place dans les établissements scolaires et universitaires, car ce n'est pas du français.
Je vous rejoins totalement en ce qui concerne l'annulation de la pièce d'Eschyle. Jamais nous n'accepterons une censure qui nous prive de la grandeur de telles oeuvres. Cette pièce a d'ailleurs été rejouée, en présence de Frédérique Vidal et Franck Riester, alors ministre de la Culture.
M. Jean-Pierre Decool. - La pédagogie est l'art de la répétition : je vous remercie donc d'avoir rappelé la position ferme de Jean-Michel Blanquer.
M. Jacques Grosperrin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Science et connaissance doivent être respectées dans leur autonomie : le savoir n'est pas une opinion politique.
L'université est attaquée par les tenants d'une déconstruction assumée. Ce n'est ni une obsession ni un fantasme, car les exemples abondent, dénoncés par une majorité d'enseignants-chercheurs.
Ma préoccupation est laïque et républicaine. Ne baissons pas la tête devant la bien-pensance moralisatrice d'une gauche communautariste en panne d'idées !
Je pense à tous ces étudiants sérieux, qui aspirent à penser par eux-mêmes et auxquels on veut imposer un nouveau terrorisme intellectuel. Il ne leur est plus possible d'avancer que le voile est un symbole d'oppression de la femme, car un discours extrémiste sature l'espace universitaire.
Certains universitaires cherchent au travers du wokisme une revanche - contre quoi ? Ils pensent pouvoir cumuler la position du chercheur et celle de l'acteur. L'avenir des étudiants leur importe peu. Personne n'est dupe de leur technique de déconstruction, même si l'intimidation empêche parfois de la dénoncer.
Cette confusion entre la recherche et le militantisme s'ajoute à la cancel culture pour imposer l'égalitarisme dans la production académique.
L'État doit y mettre un terme et renforcer les garanties entourant la liberté académique.
Les moyens d'agir existent, car de nombreux articles du code de l'éducation énoncent clairement que l'activité d'enseignement et de recherche s'exerce dans l'indépendance et la sérénité et que le service public de l'enseignement supérieur est laïc et indépendant. Il faut avoir la volonté politique de le rappeler efficacement et d'opérer les contrôles nécessaires.
Il faut aussi que les textes ne soient pas modifiés par l'État lui-même dans le sens du wokisme. À cet égard, une récente modification du code de l'éducation interroge : le service public de l'enseignement supérieur doit contribuer à la lutte contre les discriminations et à la réduction des inégalités sociales ou culturelles. (M. Thomas Dossus s'exclame.)
Un autre article dispose désormais que l'enseignement supérieur lutte contre les stéréotypes sexués... Que le ministère lui-même utilise un vocabulaire militant traduit une forme d'inconscience des enjeux de la liberté académique.
Chacun doit prendre conscience de l'emprise croissante de ce militantisme dévoyé ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Vous avez parlé d'égalité des chances et d'émancipation : ce sont, en effet, des valeurs essentielles de notre République.
Les modifications que vous avez évoquées sont le fruit du travail parlementaire. Nous devons lutter contre toutes les discriminations, c'est la grandeur de la France universaliste. Toute la Nation doit se lever contre les actes racistes.
Les seules limites à la liberté académique ont été posées par le législateur : négationnisme et appel à la haine.
M. Jacques Grosperrin. - Je connais votre engagement, mais la situation est grave. Le Président de la République doit s'exprimer sur ce sujet capital pour l'avenir du pays !
M. Thomas Dossus . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Quel soulagement, à la lecture de l'ordre du jour : enfin, le grand danger est nommé ! Le wokisme ! Enfin, la droite française suit Bolsonaro et Trump dans leur panique morale ! Après la théorie du genre, l'écriture inclusive et l'islamo-gauchisme, bienvenue au nouveau danger qui unifie tous les réactionnaires.
Pour moi, c'est un mouvement de jeunes gens éveillés qui s'interrogent sur les dominations de nos sociétés et nos grands hommes, demandent un égal traitement des humains quels qu'ils soient ou s'intéressent à la manière dont le langage produit des normes. Pour vous, ce sont des extrémistes plus dangereux que l'extrême droite, qui pourtant menace de mort des personnalités politiques, appelle à la guerre civile et a fomenté dix attentats déjoués depuis 2017 !
Vous êtes en accord avec le Gouvernement. La priorité de M. Blanquer, alors que l'éducation est en crise, a été d'organiser un colloque sur le wokisme...
M. Jacques Grosperrin. - Il a bien fait.
M. Thomas Dossus. - ... où l'on n'a entendu que des propos de comptoir.
La priorité de Mme Vidal a été de demander une enquête sur l'islamo-gauchisme...
M. Jacques Grosperrin. - Elle a bien fait.
M. Thomas Dossus. - ... et celle M. Wauquiez, de couper les subventions à Sciences Po Grenoble.
M. Jacques Grosperrin. - Il a bien fait !
M. Thomas Dossus. - Les députés Abad et Aubert ont demandé une mission d'information sur ce même sujet. Avec la finesse d'analyse qui les caractérise, ils ont dressé des parallèles avec le nazisme et le stalinisme et écrit qu'islam conservateur et écriture inclusive marchaient main dans la main. Une opération de communication de plus - mais le mal était fait.
Avec le Gouvernement, vous jetez le poison de l'anathème sur les sciences humaines et sociales. Vous n'avez que faire de la paupérisation de la recherche, de la précarisation des chercheurs, des étudiants faisant la queue devant les guichets de la banque alimentaire. Vous avez un rapport hermétique avec le réel et proposez un débat au ras des pâquerettes, stigmatisant et foncièrement inutile.
Lorsque la recherche va à l'encontre de votre projet politique - qu'on ne peut plus distinguer de l'extrême droite - vous voulez l'annuler. C'est votre camp qui s'oppose à la liberté académique, au détriment des vrais sujets comme la précarité étudiante. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Max Brisson. - Les nuances ?
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Vous appelez au pluralisme, mais condamnez les débats. Le colloque voulu par Jean-Michel Blanquer a posé des principes et les a challengés. Nous n'avons qu'une boussole : garantir un climat sain et serein pour que les étudiants construisent eux-mêmes leur pensée. Ne laissons pas s'installer une pensée unique ni une autocensure. Outre-Atlantique, des universités tentent de recréer ce pluralisme. Au sein de nos universités, nous le défendons. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Thomas Dossus. - Il n'y avait aucun pluralisme lors de ce colloque qui allait dans un seul sens.
M. Jacques Grosperrin. - Vous n'y étiez pas !
M. Thomas Dossus. - Le niveau était très faible. Une discussion de comptoir ! (Protestations à droite)
M. Pierre Ouzoulias . - (M. André Gattolin applaudit.) Le Sénat unanime alertait le Gouvernement par une résolution, le 4 janvier dernier, sur les difficultés de l'université, où la qualité de l'enseignement pâtit du manque de financements.
Nous avons eu la satisfaction d'entendre le Président de la République reconnaître, le 13 janvier devant la conférence des présidents d'université, que son Gouvernement n'avait fait que colmater les brèches. La priorité est de donner des moyens à l'enseignement supérieur. Alors que le paquebot universitaire ressemble au Titanic, je me demande si l'objet de ce débat n'est pas de déterminer si la musique jouée par l'orchestre serait responsable du naufrage !
Néanmoins, je partage la volonté de mieux défendre la liberté académique.
Mon amendement n°97 à la loi de programmation de la recherche garantissait l'indépendance des universitaires et leur liberté d'expression et accordait une protection fonctionnelle de droit aux enseignants-chercheurs. Vous l'aviez repoussé, mais semblez avoir changé d'avis. Voterez-vous la proposition de loi de mon groupe sur le sujet ?
Paul Ricoeur, depuis Nanterre occupée en 1968, définissait le droit de l'enseignant comme « le droit afférant à la compétence et à l'expérience, tel qu'il a été sanctionné non par les étudiants, mais par les autres compétents, ses pairs ; le droit à la liberté de pensée et d'expression, en dehors de toute censure politique et idéologique ; le droit d'accomplir son propre dessein de connaissance et de science, dans l'enseignement et hors de l'enseignement. »
La liberté académique est une liberté professionnelle, personnelle et corporative, avec des normes déontologiques. Elle suppose l'autonomie professionnelle et une communauté régie par la collégialité et la cooptation, selon le professeur Olivier Beaud. Ces deux principes ont été transgressés depuis la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU).
N'y a-t-il pas une contradiction à discourir des libertés académiques et des théories académiques qui les menaceraient ? Alors que l'indépendance des professeurs est garantie par la Constitution, est-ce au Parlement de débattre des théories enseignées ?
Des menaces planent sur la liberté d'expression à l'université, c'est vrai. Cependant, selon l'avis du 21 mai 2021 du collège de déontologie de l'enseignement supérieur et de la recherche, saisi par la ministre, les présidents d'université disposent de tous les outils pour y faire face.
Le Parlement, lui, doit défendre l'État de droit. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER ; MM. François Bonhomme et Gérard Longuet applaudissent également.)
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - La priorité, c'est la liberté académique. La ministre a en effet saisi le collège de déontologie. Le Gouvernement accompagne les présidents d'université contraints de reprogrammer la vingtaine d'événements qui n'ont pu avoir lieu à cause de perturbateurs. C'est là sa seule doctrine.
M. Pierre Ouzoulias. - Dommage que nous soyons en fin de mandature, puisque vous auriez manifestement soutenu notre proposition de loi ! C'est à souhaiter que le président Macron soit réélu. (Sourires)
La protection fonctionnelle de droit des professeurs, que nous défendons, a manqué à Samuel Paty. Elle aurait pu sauver sa vie.
Enfin, la collégialité et la cooptation sont mises en danger par la loi.
M. Pierre-Antoine Levi . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le wokisme, la cancel culture, la pensée décoloniale ont fait irruption dans le paysage universitaire de notre pays. Quel paradoxe : le décolonialisme est en fait une colonisation nord-américaine de nos esprits. Pourtant, notre histoire est différente de celle des États-Unis. Pourquoi calquer ce qui n'est pas la réalité de notre pays, sinon parce que ces penseurs ont quitté le champ républicain ? (M. Max Brisson renchérit.)
Le passé doit être regardé en face sans complaisance ni repentance.
Il n'est pas question de transiger avec les libertés académiques ou d'expression, mais attention : la liberté académique est un prétexte pour développer un discours qui réduira in fine les libertés. Les tenants de ce courant mortifère obtiennent habilement bourses et crédits de recherche. C'est peut-être politiquement incorrect, mais j'assume de le dire.
Qui peut nier que depuis soixante ans, les sciences humaines sont politisées ? Un observatoire européen des libertés académiques a été créé. Comment ne pas s'inquiéter quand la commissaire européenne Helena Dalli interdit de parler de Noël ?
J'espère qu'il n'est pas trop tard. Ayons le courage de dénoncer les extrêmes dans leur volonté de division. On doit pouvoir défendre son pays, son histoire sans être taxé de nationalisme. (MM. Jacques Grosperrin et Max Brisson approuvent.) On doit pouvoir défendre notre gastronomie sans être taxé de suprémacisme blanc, comme un candidat à la présidentielle. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Face à cet horrible anglicisme qu'est le wokisme, luttons ensemble contre la déconstruction de la France. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - La définition de la Nation par Ernest Renan est le plus beau des héritages. Être français, c'est vouloir l'être, partager les valeurs et l'héritage de la France et vouloir construire son avenir.
Il faut rejeter l'autocensure et avoir un débat politique, idéologique. Les débats en sciences sociales doivent avoir lieu.
Il y a 55 ans, Gaston Monnerville présidait cette Haute assemblée. Il est la preuve que s'il existe un État sans racisme systémique, c'est bien la France.
M. Pierre-Antoine Levi. - Merci pour ces propos. Mme Vidal avait demandé un rapport au CNRS sur l'islamo-gauchisme et le wokisme : où en est-il ?
M. Jacques Grosperrin. - Il n'arrivera pas !
M. Bernard Fialaire . - De quoi le wokisme est-il le nom ? Pourquoi faut-il être vigilant vis-à-vis de cet appel à la vigilance ? Il a le goût des revendications des Noirs américains et l'odeur de la révolte des descendants d'esclaves, mais il n'en est qu'une indigeste mixture et une usurpation indigne.
Au-delà d'une indignation adolescente érigée en vertu suprême, du « ni pour, ni contre, bien au contraire » de Coluche, s'installe l'intolérance. Voltaire s'est battu pour le droit de s'exprimer de ceux qui ne pensaient pas comme lui ; aujourd'hui, les adeptes du wokisme se battent contre ceux qui exprimeraient leurs idées sans leur légitimité !
Barack Obama ne serait qu'un blanc à la peau noire, certains homosexuels, des hétérosexuels en couple avec une personne de même sexe... La cancel culture pousse l'intransigeance jusqu'à l'intolérance. On déboulonne les statues, suivant une réinterprétation bien mauvaise de Derrida qui éteint nos Lumières.
En disciple d'Alain, je ne veux pas répondre au mépris par le mépris. « Au fond du radical qui obéit toujours, il y a un esprit radical qui n'obéit jamais, qui ne veut point croire, qui examine, et qui trouve dans cette farouche liberté quelque chose qui nourrit l'immense amitié humaine ; et c'est l'égalité », résumait-il. L'esprit d'égalité, c'est la résistance, et la confiance en l'homme.
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien.
M. Bernard Fialaire. - Comment supporter que l'on empêche une universitaire de s'exprimer à l'université ? Sous couvert de vigilance contre la discrimination, le wokisme est une idéologie dogmatique qui porte atteinte à l'unité républicaine et s'oppose à nos valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité.
L'esprit critique doit s'exprimer, mais pas au détriment de nos valeurs. Notre jeunesse est dépourvue de repères entre ou contre lesquels se construire. Ne réécrivons pas l'histoire, comme c'est parfois le cas en cette campagne naissante. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; MM. Gérard Longuet et Daniel Gueret applaudissent également.)
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Votre plaidoyer en faveur de l'unité républicaine montre que ce débat dépasse l'université. Merci.
M. Bernard Fialaire. - Une société a besoin d'autorité, d'une autorité de compétence qui réhabiliterait la science. Quand on voit des gens arborer une étoile jaune car on leur propose un vaccin gratuit, il y a lieu de s'inquiéter. Notre jeunesse a besoin de repères.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le terme wokisme n'ayant pas encore intégré le Petit Robert, je partage avec vous la définition de Pierre Valentin dans L'Idéologie woke. Anatomie du wokisme. Selon lui, « il s'agit ici d'être éveillé aux injustices que subissent les minorités dans les pays occidentaux ». Dans cette idéologie postmoderniste en forte progression, cette nouvelle culture morale, le statut de victime devient une « ressource sociale ». Les campus américains sont les premiers concernés. Pierre Valentin décrit des militants issus de familles aisées, qui recherchent une autorité instituée en cas de conflit, plutôt que de le régler eux-mêmes, avec pour conséquence « la croissance d'une bureaucratie universitaire chargée de poursuivre et de prolonger cet état de surprotection ».
Soyons vigilants face à l'américanisation de notre société et aux tentatives fallacieuses d'assimiler la France aux États-Unis. Revenons aux faits : il y a 80 ans, des Noirs étaient lynchés et pendus aux États-Unis au nom de la justice ; le dernier lynchage date de 1981. À la même époque, des députés de couleur siégeaient en France. Pendant la Première Guerre mondiale, un régiment d'Afro-Américains est incorporé à l'armée française à la demande du Maréchal Foch, quand le commandement américain estime que le « manque de conscience civique et professionnelle » des soldats noirs constitue une « menace constante pour les Américains ». Je pourrais aussi citer Eugene Bullard, engagé en 1914 dans la Légion étrangère, premier pilote de chasse noir dans l'armée française, soutien de la France libre pendant la Seconde guerre mondiale, qui vit des soldats d'Afrique se battre pour libérer la France. Leclerc dut se séparer de soldats noirs de la 2e DB à cause de la ségrégation américaine.
Je ne nie pas l'existence du racisme mais je souhaite apporter des nuances. Notre pays n'est pas comparable aux États-Unis et le racisme systémique n'est pas dans notre ADN.
Le wokisme fait peser des menaces sur notre université. Jean-Michel Blanquer a appelé à « déconstruire la déconstruction en cours » lors du colloque en Sorbonne le 7 janvier : je le rejoins. Cessons de battre notre coulpe sur des faits du passé analysés avec les yeux d'aujourd'hui ! Combattons les inégalités mais restons éveillés et fiers de notre histoire, fidèles aux Lumières. L'université doit rester ouverte et libre, tout en sachant résister aux sirènes du Nouveau Monde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Jean Hingray . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) J'espère que, dans un futur proche, on rangera le wokisme dans la rubrique du fait colonial. En s'infiltrant à l'université, il a gagné quelques esprits insuffisamment construits pour éviter d'être déconstruits. Le wokisme est une tentative de colonisation des esprits. Plus c'est gros, mieux ça passe ! Même si l'on sait le monde universitaire sensible à l'humanisme, il est avant tout fondé sur la rigueur du savoir et la fermeté de la raison : on pourrait en attendre plus de résistance.
Dans « université », il y a « universel ». Dans le wokisme, c'est la lutte des uns contre les autres. Jusqu'où va la contrition ? On se croirait revenu aux Cathares ! Tuez-les tous, le wokisme reconnaîtra les siens... Mais l'université n'a pas besoin de catharsis. J'interpellais Mme Vidal lors des questions au Gouvernement : elle m'avait dit que la main du Gouvernement ne tremblerait pas face au wokisme. Mais ma soeur Anne ne voit rien venir. Nous attendons des actes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Quel plus bel endroit pour débattre que l'université ? La sérénité des travaux, sans angélisme, y est primordiale.
M. Gérard Longuet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie Max Brisson d'avoir obtenu ce débat : le Sénat est ainsi au coeur de ses responsabilités. Nous sommes peut-être en avance, je l'espère, d'un problème qui ne se poserait pas chez nous.
Mme Eustache-Brinio a rappelé avec raison que notre culture à l'égard des anciens colonisés n'était pas celle des États-Unis : ancien ministre de la Défense, je tiens à souligner le sacrifice de ceux que nous appelions Sénégalais mais qui ne l'étaient pas tous, et l'intégration de soldats Noirs américains durant la Première Guerre mondiale.
Nous avons le devoir de réfléchir. Il est absurde de prétendre que le savoir serait le résultat de l'oppression, au sommet de laquelle on trouve cet épouvantable individu, le mâle hétérosexuel blanc. Poser toutes les minorités en victimes et inviter chacun à trouver sa part de victimisation est dissolvant pour notre identité. Nous avons l'habitude de nous affronter, mais la règle de la majorité républicaine risque de voler en éclats si le wokisme nous emprisonne dans notre identité. C'est en fait la renaissance du racisme le plus fermé et le plus sectaire : on ne pourrait échapper à notre ascendance, alors que la République, c'est partager des valeurs communes à chacun, quel que soit son parcours.
Dans votre action, madame la ministre, il y a du bon et du moins bon. Vos réponses et l'engagement de M. Blanquer lors du colloque en Sorbonne nous rassurent.
En revanche, je vois dans l'émergence des déontologues poindre cette bureaucratie du contrôle dénoncée par Mme Eustache-Brinio, avec un risque de débordement sans limites. Il faut plutôt renvoyer devant la justice les expressions racistes ou révisionnistes.
Votre réponse implicite au procès de la domination du mâle blanc hétérosexuel bourgeois, c'est le recrutement d'étudiants sur des critères qui ne sont pas ceux du travail et de la réussite intellectuelle. (Marques d'approbation à droite) Comme président de région, j'ai été l'un des premiers à ouvrir des classes d'accès à Sciences Po pour les lycées professionnels - mais il fallait travailler pour réussir. Aujourd'hui, on refuse des étudiants, malgré leur mérite, parce qu'ils ont le malheur de venir d'un bon lycée ! Nous risquons de perdre des étudiants et de voir des enseignants s'autocensurer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Le rappel historique de Mme Eustache-Brinio est fondamental : la grille de lecture anglo-saxonne n'est pas la nôtre, elle fausse notre perception.
Monsieur Longuet, il n'est pas question de nouvelle bureaucratie : les déontologues accompagnent les présidents d'université dans la lutte contre les conflits d'intérêts, les conflits entre chercheurs et surtout contre l'autocensure. Nos deux lignes rouges sont définies par la loi de notre pays : non à l'appel à la haine, non au négationnisme. Pour le reste, la liberté académique est pleine et entière.
M. Gérard Longuet. - Le diable se niche dans les détails : c'est pourquoi nous avons le devoir d'être attentifs, face à ceux qui achèteraient la sérénité dans leurs établissements par des complicités inacceptables. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État, chargée de la jeunesse et de l'engagement . - Ce débat est à l'image de celui qui traverse le pays. Il ne faut faire preuve d'aucun angélisme face aux dérives que nous observons dans certaines universités.
Au-delà, notre unique enjeu est la défense des libertés académiques, ce que nous avons fait avec la loi de programmation de la recherche. Mais ne nous trompons pas de débat : il ne faut pas que l'autocensure s'installe au sein de nos universités, que les chasses aux sorcières conduisent à une régulation insidieuse par la peur d'être jeté en pâture.
Le débat, l'échange, la controverse, voilà qui est français. L'histoire doit être étudiée dans sa totalité. Il y a une différence entre combat politique et thèse de recherche ! Il n'est pas question de limiter le débat scientifique ; nous devons garantir un climat serein dans les universités et protéger les enseignants-chercheurs et les doctorants.
Pour garantir la pluralité des débats, il faut plus que jamais des valeurs fermes et des objectifs clairs. Pour accompagner les citoyens en devenir que sont les étudiants, il faut des repères, des rappels historiques, sans céder à la tentation de certains de réécrire l'histoire, de déboulonner les statues, de changer les titres d'oeuvres ou d'interdire des pièces de théâtre.
À chaque fois qu'il y aura une tentative de faire annuler un colloque, une pièce de théâtre, nous serons aux côtés des présidents d'université.
Pour autant, nous luttons contre les discriminations, parce que nous voyons notre pays comme une Nation et chacun comme un citoyen.
Le racialisme essentialiste est un nouveau racisme. Il sépare, fragmente, crée des communautés. Face à ce mal qui s'installe dans le débat politique, nous défendons l'universalisme français, au nom de l'unité nationale.
Nous accompagnons l'université et le CNRS par des moyens financiers, nous agissons contre la précarité des étudiants. La négation des dérives est importante. Nous nous battons pour protéger le pluralisme au sein d'une République universaliste qui reconnaît chacun de ses enfants comme citoyen, et rien d'autre. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde ». Selon l'IFOP, en 2021, seuls 14 % des personnes comprenaient le sens du mot woke. Cet anglicisme paresseux masque l'idéologie de l'intersectionnalité, qui postule que plusieurs formes de discriminations se conjuguent. Il faudrait collectivement nous réveiller et prendre conscience de tout ce que l'humanité a produit d'injustices depuis la nuit des temps.
Sommes-nous endormis ? Incultes ? Le privilège cognitif est-il l'apanage d'une minorité éclairée ? Ce courant est plutôt une vaste entreprise de déconstruction, une autoflagellation intellectuelle, une repentance perpétuelle, jugeant avec le recul de plusieurs siècles tous les événements historiques : Adam était-il misogyne, l'homme des cavernes était-il respectueux de l'environnement ? Voyez les questions, ils trouveront toujours une réponse. Sans doute savent-ils exactement ce qu'ils auraient fait s'ils étaient nés en 1917 à Leidenstadt.
Nous voulons préserver le débat contradictoire et la liberté d'expression dans l'enseignement supérieur. Mais la censure est l'outil préféré de ces prétendus progressistes, taxant les autres de fascisme. Nous déplorons l'interdiction faite à ceux qui ne sont pas dans cette orthodoxie de pensée.
Pour avoir refusé de s'excuser d'exister, d'être blanc ou français, des étudiants ont été expulsés par ceux qui confondent le comptoir des Indes et celui du café du commerce. La rhétorique woke repose sur la censure et ne parle jamais du fond.
Je m'inquiète en voyant des chercheurs défendre cette idéologie pleine de mots creux. Cela n'a pas de sens ni de valeur : islamophobie, embyphobie, grossophobie... Ces déconstructeurs préfèrent médicaliser le débat en inventant de nouvelles pathologies afin de condamner moralement un adversaire sur l'autel de la modernité. Le féminisme est-il grandi lorsqu'on taxe de transphobie des femmes qui ne veulent pas partager leur vestiaire avec des hommes ?
J'accuse les tenants de cette pensée de fragiliser la démocratie en apprenant à tous à se détester mutuellement.
Je conclus par ces mots de Barbara : « Ô faites que jamais ne revienne / Le temps du sang et de la haine ». (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)
La séance est suspendue quelques instants.