Interdire les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi interdisant les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une personne.
Mme Dominique Vérien, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Bruno Belin applaudit également.) La commission mixte paritaire (CMP) est parvenue à un accord, assez rapidement. Le Sénat a cherché à apaiser les craintes, par exemple en rappelant que l'incitation à la prudence pour toute démarche de changement de sexe ne pouvait tomber sous le coup de la loi.
Ce texte condamne des pratiques d'un autre âge. Si elles sont peu répandues, il était néanmoins important que la représentation nationale leur oppose des interdits clairs dans le code pénal. Je vous invite donc à approuver les conclusions de la CMP, pour une entrée en vigueur rapide des dispositions.
Ce texte est l'aboutissement du long travail de la députée Laurence Vanceunebrock. Nous comptons sur les acteurs judiciaires et associatifs pour faire vivre ce texte. Les discriminations et les préjugés doivent reculer. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Colette Mélot applaudit également.)
Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances . - Tout le sens de notre engagement politique est de rendre possible ce qui est souhaitable, comme protéger les plus vulnérables. C'est la force de la loi de rendre cela concret.
Les thérapies de conversion n'ont pas lieu d'être dans notre pays. Elles sont à l'antipode de nos valeurs. On ne choisit pas son orientation sexuelle ou son identité de genre. En cette matière, il n'y a rien à guérir. Être soi n'est pas un crime.
Il y a quarante ans, la dépénalisation de l'homosexualité était votée, à l'initiative de Robert Badinter et de Gisèle Halimi. Mais trop souvent, dans le monde, elle est condamnée ou appelée à être soignée.
Je me réjouis de l'accord rapide de la CMP. Grâce à ce vote, vous allez protéger contre des violences physiques et morales, comme des traitements hormonaux, des exorcismes ou des électrochocs.
Les thérapies de conversion sont déjà sanctionnées mais il fallait aller plus loin en créant un délit spécifique : l'actualité nous l'a rappelé, avec le cas d'Enzo, adolescent transgenre envoyé en thérapie de conversion contre son gré.
Ce texte favorise une prise de conscience collective. Les victimes passeront plus facilement les portes des commissariats. Ces actes seront mieux condamnés.
Le signal envoyé aux personnes qui cherchent à contraindre d'autres à renier leur identité est clair.
La France préside le Conseil de l'Union européenne, dont des membres remettent en cause les droits des LGBT+. L'Union européenne ne doit pas seulement être une union économique, mais aussi une union de valeurs.
Sans le travail acharné de Laurence Vanceunebrock et des associations comme Rien à guérir, nous n'aurions pas été saisis de ces questions de manière si volontariste. Je remercie Mme la rapporteure et l'ensemble des sénateurs. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE ; Mme la rapporteure applaudit également.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Nous sommes ce matin devant un événement trop rare, un travail parlementaire transpartisan qui a permis d'avancer sur un sujet sur lequel le Gouvernement n'était pas vraiment allant - même si, madame la ministre, je ne mets pas en doute votre engagement personnel.
Le travail de Laurence Vanceunebrock, le travail militant - au sens noble du terme - de Rien à guérir, sont remarquables. Malgré un calendrier qui a traîné en longueur, il faut être optimiste. Il est suffisamment rare de voir un tel rassemblement : ce fut le cas à l'Assemblée, un peu moins au Sénat. Je remercie la rapporteure qui a oeuvré pour qu'un collectif se dégage et que la CMP trouve une issue très rapide.
Il était temps pour la France. Depuis 2018, le Parlement européen nous y exhorte. Des pays d'Amérique latine et des États américains ont d'ores et déjà interdit ces pratiques. Les Français, pour la plupart, les découvrent. Elles sont barbares et moyenâgeuses. Il n'y a rien à guérir ; militons donc pour ouvrir les yeux de nos compatriotes.
Nous avons toujours soutenu cette démarche. En cette fin de législature à l'Assemblée nationale, ce rassemblement est très appréciable. Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du RDPI et du RDSE)
Mme Nadège Havet . - Début décembre, nous votions très majoritairement cette proposition de loi contre ceux qui visent à imposer l'hétérosexualité aux personnes LGBT. Non, l'homosexualité et la transidentité ne sont pas des maladies ; non, il n'y a rien à guérir.
Qu'elles soient réalisées par hypnose, électrochoc, mariage forcé ou exorcisme, les thérapies de conversion seront punies de deux ans de prison et 30 000 euros d'amende, alourdies à trois ans de prison et 45 000 euros d'amende si elles concernent des mineurs. Leurs victimes gardent de nombreuses séquelles, allant jusqu'au suicide. Ce délit facilitera la condamnation par une qualification immédiate.
Mon groupe votera ce texte.
Il a été précisé que les propos invitant à la prudence un mineur qui s'interroge sur un changement de sexe sont exclus de ces dispositions. L'objectif du législateur n'est pas de le priver d'accompagnement !
Je salue la rapporteure pour son travail, ainsi que la députée Laurence Vanceunebrock, selon laquelle parler de thérapies de conversion en France en 2021 peut paraître surprenant tant ces pratiques sont barbares. Pourtant, certains de nos concitoyens en sont victimes.
M. Pierre-Jean Verzelen . - Les thérapies de conversion, expression générique née dans les années 1950 aux États-Unis, reposent toutes sur l'idée que l'orientation sexuelle ou l'identité de genre doivent être changées. Il s'agit de transformer des homosexuels ou des bisexuels en hétérosexuels ou des transgenres en cisgenres.
Ces pratiques déshumanisantes pour leurs victimes prennent plusieurs formes : pressions psychologiques, violences physiques, injections d'hormones, retraites spirituelles. Une personne peut se voir contrainte d'aller voir un psychologue qui lui dira qu'elle n'est pas qui elle croit être. C'est une atteinte impardonnable à l'intimité des personnes.
Cette proposition de loi pose un interdit clair - auparavant, ces pratiques pouvaient être punies via d'autres qualifications - et rend la loi plus lisible pour les victimes. C'est un message clair.
La France rejoint plusieurs pays européens comme l'Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas.
Nous devons rester vigilants cependant quant aux mineurs. Nous saluons la précision apportée par le Sénat excluant les propos appelant à la prudence et à la réflexion. Il faut distinguer celui que l'on contraint de celui que l'on invite à s'interroger. Soyons prudents : nombre de psychologues, de praticiens, nous demandent à nous, législateurs, de ne pas copier ce qui s'est fait au Canada, où la loi permet de changer de sexe à des mineurs qui, plus âgés, veulent revenir en arrière. La liberté absolue et débridée peut déconstruire ce qui fait le vivre ensemble : le dialogue, un cadre et des repères.
Le groupe INDEP votera ce texte.
M. Laurent Burgoa . - Je ne reviendrai pas sur les débats occasionnés par ce texte. Nous nous réjouissons que la CMP ait abouti à une rédaction d'équilibre.
La loi fait en effet la différence entre les pseudo-thérapies et les propos incitant à la prudence - qui ne doivent pas tomber sous le coup de la loi pénale. La justice pourra ainsi faire la part des choses entre ce qui doit être puni et les conseils de prudence.
Le procureur de la République pourra désormais s'appuyer sur des dispositions spécifiques, mais il sera toujours libre d'engager des poursuites pour plusieurs motifs si le mis en cause a commis plusieurs infractions.
La majorité du groupe Les Républicains votera ce texte. Merci à Mme la rapporteure pour la pertinence de ses travaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Mélanie Vogel . - Je me réjouis de l'accord en CMP sur un texte d'une portée à la fois réelle et symbolique. Je salue les rapporteures de l'Assemblée nationale et du Sénat, Laurence Vanceunebrock et Dominique Vérien, pour leur travail de consensus sur un texte qui dépasse les clivages partisans et vise à sauver les vies brisées de ceux qui ne se conformaient pas aux normes sociales.
Je remercie le collectif Rien à guérir.
Les thérapies de conversion n'en sont pas : l'orientation sexuelle et l'identité de genre ne sont pas des problèmes, mais des états de fait qu'il faut respecter. Ces pseudo-thérapies sont des tortures.
Le vote de cette loi a une portée internationale. Je lance un appel à la Diète polonaise, qui a voté la semaine dernière un texte qui rend encore plus difficile le travail des associations oeuvrant à l'acceptation des LGBTI dans les écoles et les collèges, où elles enseignent la tolérance. Je veux dire aux jeunes Polonais et Polonaises à qui l'on dit qu'ils et elles ne sont pas normaux qu'il y a des parlements dans le monde qui seront toujours de leurs côtés, et qu'ils et elles ont toute leur place au sein de notre Europe. Nous appelons à un sursaut européen pour la protection des droits fondamentaux et la préservation de l'État de droit. (Mmes Nadège Havet et Michelle Meunier, ainsi que M. Didier Rambaud, applaudissent.)
Mme Laurence Cohen . - Merci à Mme la rapporteure en mon nom et en celui d'Éliane Assassi.
En 2015, un rapport du Haut Conseil aux droits de l'Homme des Nations unies appelait à l'interdiction des prétendues thérapies de conversion. Désormais, grâce à ce texte, elles seront condamnées. Nous sommes satisfaits que l'identité de genre soit concernée et que la transidentité des mineurs soit protégée.
Certaines victimes de ces thérapies ont subi de véritables tortures. Le Sénat a eu raison de conserver la possibilité pour les associations de se porter partie civile contre des agressions homophobes, lesbophobes et transphobes.
Nous nous réjouissons de la possibilité de retirer l'autorité parentale, entre autres.
Ce texte marquera un geste fort contre ces pratiques indignes.
Nous approuvons sans ambages les sanctions, mais il faut leur adjoindre un dispositif de prévention - pas encore au point aujourd'hui, et qui nécessite des moyens. Ce sont ces derniers qui font la différence entre les paroles et les actes. Ils ne doivent pas manquer à la lutte contre les discriminations contre les LGBTQI+. Pourquoi ne pas en faire une grande cause du prochain quinquennat ? Avis à tous les candidats à la présidentielle !
Le respect crée du commun dans une société où chacun, avec ses différences, peut s'épanouir. Nous voterons les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme Nadia Sollogoub . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ce texte pose un interdit clair contre les thérapies de conversion, qui ont des conséquences dramatiques sur le bien-être des personnes qui y sont soumises. On parle de thérapie, mais homosexualité et transidentité ne sont en rien des maladies. Il n'y a rien à guérir : ce doit être inscrit dans la loi.
Électrochocs, médicaments, exorcisme, toutes ces pratiques conduisent à un profond désespoir, voire au suicide. Elles doivent être condamnées. Nous saluons donc ce texte, qui est un modèle de travail parlementaire qui honore nos deux chambres.
Je remercie Laurence Vanceunebrock pour son travail.
Au Sénat, nous avons surtout mieux pris en compte les exigences de prudence avant les parcours de transition. Les tumultes de l'adolescence ne permettent pas toujours le plus grand discernement et il faut s'assurer que les décisions sans retour ne soient jamais regrettées.
Pour sécuriser la phase de conseil, le Sénat a ajouté des dispositions interprétatives bienvenues.
Le groupe UC se félicite de l'accord en commission mixte paritaire. Je remercie Dominique Vérien pour son empathie et sa précision. Nous soutiendrons ce texte.
Je souhaite que le respect des identités de genre et des orientations sexuelles dépasse le cadre national, que partout dans le monde, elles soient respectées, et que l'on ne vienne pas donner - pour reprendre le mot d'une victime - des « leçons d'amour ». (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC)
Mme Maryse Carrère . - Je salue cette bonne nouvelle. Elles sont rares en ce moment...
Ce délit spécifique est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Il pose un interdit social clair. La prise en charge des victimes sera facilitée.
Le RDSE est mobilisé depuis longtemps sur cette question. En 2019, Françoise Laborde avait déposé une proposition de loi contre les thérapies de conversion. Nous avions aussi déposé avec Christian Bilhac des amendements - malheureusement jugés irrecevables - au texte renforçant les valeurs de la République. Vous comprenez donc notre satisfaction aujourd'hui. Certains collègues voulaient exclure la transidentité du texte. Nous sommes très heureux que ce n'ait pas été le cas.
Il faut punir tous ceux qui infligent ces thérapies de conversion, sévices moraux insupportables contraires à toutes les libertés individuelles. La série d'entretiens publiée par un grand journal en ce moment rappelle la dure réalité vécue par les homosexuels avant 1981, avec les paniers à salade et les mises en examen pour attentat à la pudeur. Quel chemin parcouru ! Pourtant, des discriminations demeurent. Nous nous réjouissons que, depuis le 1er janvier, les homosexuels ne soient plus soumis à un délai d'abstinence avant de donner leur sang.
Le RDSE approuve ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC)
Mme Esther Benbassa . - Nous ne pouvons qu'accueillir avec satisfaction ce texte. Les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre sont clairement définies comme des délits, afin de mieux protéger les victimes. J'espère que la parole sera ainsi libérée sur ces sources d'une souffrance terrible.
En 2022, ces thérapies de conversion existent encore. Toutes les personnes qui s'émancipent du cadre hétéronormé doivent subir des violences. En Europe, des pays stigmatisent les LGBTQIA+.
Les pressions sont de plus en plus pesantes en France. Selon une étude, 55 % des personnes LGBTQIA+ ont déjà été agressées ; 22 % ont subi des violences physiques ; moins de 20 % portent plainte. Un candidat à l'élection présidentielle - dont je tairai le nom dans cette honorable assemblée - tient des propos inacceptables.
La pédagogie en milieu scolaire et la formation du personnel de l'éducation nationale, de la police et de la justice doivent être développées.
Je voterai ce texte et vous assure de ma détermination pour défendre les droits des LGBTQIA+.
La proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER du RDPI et du RDSE)