Débat sur l'action du Gouvernement en faveur de la souveraineté énergétique française
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur l'action du Gouvernement en faveur de la souveraineté énergétique française, à la demande du groupe Les Républicains.
M. Daniel Gremillet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Alors que la COP26 vient de s'achever, la France est confrontée à une crise énergétique inédite qui risque de l'éloigner des objectifs de l'Accord de Paris.
La flambée des prix de l'énergie entre 2020 et 2021 est sans précédent : doublement pour le gaz, triplement pour le pétrole, multiplication par neuf pour l'électricité. Elle s'est répercutée sur les tarifs réglementés, qui ont augmenté de 12 % pour le gaz en octobre et de 44 % pour l'électricité en février.
Cette hausse était prévisible. La commission des affaires économiques avait alerté dès juin 2020 et proposé une augmentation du chèque énergie. Je regrette le temps perdu. L'énergie représente 10 % des dépenses des Français. Selon le médiateur de l'énergie, 95 % des ménages constatent une hausse des coûts et 25 % diffèrent leurs paiements. La flambée des prix pèse sur le pouvoir d'achat et sur les coûts de production des entreprises. Le surcoût atteindrait 1 milliard d'euros pour les 400 énergo-intensifs, qui consomment 50 % de l'électricité consommée par l'industrie.
Les litiges se multiplient : l'activité du médiateur a crû de 15 % en six mois. Certains fournisseurs font défaut, or les fournisseurs de secours n'ont été désignés que la semaine dernière pour l'électricité et ne l'ont pas été pour le gaz.
Notre système énergétique connaît aussi un risque d'approvisionnement. Notre dépendance s'accroît, avec 43 jours d'importation en 2020 contre 25 en 2019, d'autant que nous n'arrivons pas à tenir nos objectifs en matière de renouvelable : l'écart est de 53 % pour le photovoltaïque, 25 % pour l'éolien et de 1 % pour l'hydroélectricité. Le premier budget carbone a été dépassé de 62 millions de tonnes.
Notre avenir énergétique s'assombrit : selon le rapport de RTE, l'électrification des usages et le renouvellement du nucléaire pourraient entraîner un effet falaise dès 2040.
Pourtant, la politique du Gouvernement demeure indécise. Les mesures financières pour les ménages sont dérisoires au regard de la hausse des prix : 100 euros, c'est l'équivalent d'un plein ! Les tarifs réglementés ne s'appliquent qu'à une minorité des consommations. Les entreprises énergo-intensives n'ont perçu qu'une avance de 150 millions d'euros, six fois moins que les besoins.
Avec 47 milliards d'euros, la France est leader européen de la fiscalité énergétique. Elle aurait pu faire le choix d'une baisse massive des taxes, comme l'Espagne ou l'Allemagne.
Les réformes énergétiques comme Hercule et le contentieux hydroélectrique sont embourbés, faute d'accord avec la Commission européenne. Le Gouvernement doit clarifier ses intentions. À ce propos, envisager une réforme du groupe EDF dans le cadre de la loi quinquennale de 2023, comme l'a évoqué Mme Abba, n'est pas admissible ; le sujet mérite une loi spécifique. (M. Franck Menonville renchérit.)
Les choix du Gouvernement sont inconstants. Je suis sidéré qu'il ait fallu attendre d'être à six mois de l'élection pour observer un retour en grâce du nucléaire. Je prends acte de l'annonce de 500 millions d'euros pour de petits réacteurs modulaires, mais cela reste en dessous des efforts des États-Unis et du Royaume-Uni. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour annoncer de nouveaux réacteurs ? Pourquoi en avoir fermé deux à Fessenheim ? Pourquoi avoir fermé le démonstrateur Astrid en 2019 ?
Notre commission des affaires économiques a toujours suivi le même cap sur le nucléaire - je me réjouis que le Gouvernement finisse par nous rejoindre. (MM. Stéphane Piednoir et François Bonhomme renchérissent.)
Le Gouvernement va-t-il revenir sur les fermetures prévues et relever la part à venir du nucléaire ?
Nous souhaitons qu'il reprenne l'effort de recherche sur la fermeture du cycle du combustible et soutienne le projet ITER. Il faut relancer et investir. Enfin, le Gouvernement doit veiller à l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie verte. Le nucléaire est décarboné, pas le gaz ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée, chargée du logement . - L'enjeu de la souveraineté énergétique est crucial. Je vous prie d'excuser Mme Pompili, en déplacement avec le Président de la République pour promouvoir l'hydrogène.
Une voix à droite. - Elle est en campagne, oui !
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - La ligne du Gouvernement est claire. Notre souveraineté énergétique suppose de sortir de la dépendance aux énergies fossiles, qui représentent 63 % de notre consommation énergétique, alors que notre électricité est largement décarbonée. D'après les travaux de RTE, c'est la condition pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
Le triptyque efficacité énergétique, énergies renouvelables et relance du nucléaire est la clé de notre action.
Premier pilier : la sobriété et le soutien au pouvoir d'achat, avec le bouclier énergétique et la prime inflation.
Le défi de la réduction de la consommation est de grande ampleur, mais les politiques menées depuis 2017, avec la rénovation énergétique des bâtiments, le succès de MaPrimeRénov', la réglementation environnementale, portent leurs fruits. Toutefois, pour sortir des énergies fossiles, il faut électrifier divers usages, tels que la mobilité, le chauffage et l'industrie. Selon RTE, la consommation d'électricité devrait croître de 30 à 60 % d'ici à 2050. Cela implique de produire entre 650 et 750 térawattheures d'électricité en 2050, contre 500 térawattheures actuellement...
Deuxième pilier : accélérer le développement des renouvelables. Il faut doubler les capacités d'ici à 2030 et continuer à les accroître après. La capacité de production nucléaire va décroître dans les quinze prochaines années avant la mise en place de nouvelles centrales.
Nous allons massivement développer l'éolien terrestre et en mer, avec une multiplication par deux à quatre du parc terrestre et 2 000 à 4 000 nouvelles éoliennes offshore d'ici à 2050. Nous voulons multiplier les capacités en photovoltaïque par sept.
Le biogaz sera appelé à se substituer au gaz naturel pour au moins 10 % en 2030, contre 1 % aujourd'hui.
Mais la souveraineté énergétique passe aussi par des filières compétitives : France relance consacre 7 milliards d'euros à l'hydrogène décarboné.
Troisième pilier : le nucléaire, qui est majoritaire dans le mix électrique et restera un socle important en 2050. RTE confirme que relancer le nucléaire produira une électricité compétitive en 2050. Le Président de la République a invité la filière industrielle à s'y préparer. Cela permettra de poursuivre l'électrification des usages à partir de 2035.
La mise en service des nouveaux réacteurs permettra de conserver ce socle.
Telle est la ligne du Gouvernement. Nous n'avons pas connu de tel défi depuis un demi-siècle, mais c'est une opportunité de renforcer notre économie et notre résilience. Ensemble, saisissons-la !
M. Jean-Claude Tissot . - Nous partageons l'objectif de reconquérir notre souveraineté énergétique. Quels leviers privilégier ? La privatisation a abouti à la perte du contrôle de l'État sur l'énergie, avec une hausse du prix de l'électricité de 60 % depuis l'ouverture du marché en 2007. L'État en est réduit à sortir son carnet de chèques, et nous sommes devenus dépendants de l'étranger.
Il n'y aura pas de véritable souveraineté énergétique sans un service public de l'énergie, plus efficace que les opérateurs privés pour réduire la consommation et développer le renouvelable. Le développement anarchique des éoliennes suscite des réticences, on le voit dans la Loire : un projet, porté par un promoteur étranger à La Tuilière dans un total déni de démocratie, suscite l'hostilité de tous les élus locaux, alors qu'un autre, les Ailes de Taillard, à Burdignes, a su susciter l'adhésion en adoptant une démarche participative. La participation des collectivités et des citoyens est gage d'acceptation.
Envisagez-vous d'aller vers ce service public de l'énergie ?
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - En matière de souveraineté, la clé est la réduction des énergies fossiles, d'où un effort de sobriété et de substitution avec le développement du nucléaire et du renouvelable. EDF, fournisseur historique, y a toute sa place.
Le développement des renouvelables doit être territorialisé et le débat local doit être apaisé. Barbara Pompili a proposé dix mesures pour renforcer l'acceptabilité de l'éolien, dans la ligne de la loi Climat et résilience qui prévoit des commissions régionales de l'énergie. Parmi ces mesures, on retrouve l'avis systématique du maire et l'interprétation stricte par le préfet de la compatibilité avec le patrimoine et les paysages.
Enfin, nous soutiendrons les projets citoyens dont vous avez parlé.
Mme Marie Evrard . - La question de l'énergie revient au coeur des débats dans un contexte de reprise économique. Le chèque énergie de 100 euros va bénéficier à 5,8 millions de ménages, c'est une bonne nouvelle !
La politique énergétique du Gouvernement est équilibrée. Pour atteindre la neutralité carbone, nous allons développer le renouvelable, a dit le Président de la République, et investir un milliard d'euros dans la recherche sur les technologies de rupture du nucléaire, avec le développement des réacteurs de petite taille (SMR), dix fois moins puissants que les centrales classiques.
Le rapport de RTE estime que la construction de nouveaux réacteurs nucléaires est pertinente. Quelle est la place des SMR et comment s'articulent-ils avec un parc vieillissant ?
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Oui, nous protégeons le pouvoir d'achat des Français à court terme, et poursuivons un objectif de décarbonation à moyen terme. Nous allons donc développer les capacités de production, dont le nucléaire, avec des technologies diversifiées : le nucléaire de grande puissance avec les réacteurs pressurisés européens (EPR), déjà existants en Europe et en Chine, qui sont adaptés aux réseaux de transport français, et le nucléaire de faible puissance, avec les réacteurs modulaires SMR, en développement. Les SMR sont plus simples et compacts, leur préfabrication plus standardisée. Ils pourront approvisionner des sites isolés. Le soutien de France Relance et France 2030 aux SMR en démontrera la faisabilité.
La relance à court terme s'appuiera sur des technologies éprouvées comme l'EPR ; les SMR arriveront dans un second temps.
M. Franck Menonville . - La souveraineté énergétique repose notamment sur la maîtrise de la technologie nucléaire, qui produit une énergie décarbonée et stable. Le contexte géopolitique rappelle que l'indépendance énergétique est un levier de souveraineté.
La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) 2019-2023 prévoit que la part du nucléaire dans le mix électrique tombe à 50%. Attention ! La fermeture de Fessenheim, plus politique que technique, a conduit à repousser la fermeture des dernières centrales à charbon. RTE a démontré que même avec des objectifs très ambitieux en termes d'énergies renouvelables, nous ne pourrions nous passer du nucléaire.
Madame la ministre, à quelle échéance réactualiserez-vous la PPE, et quelle sera la place du Parlement ? L'énergie ne mériterait-elle pas un ministère dédié ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Stéphane Piednoir. - Très bien !
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - La PPE prévoit la réduction de la consommation d'énergie et la diversification du mix. Dans ce cadre a été pilotée la fermeture de trois des quatre dernières centrales à charbon : le Havre et Saint-Avold d'abord, puis Gardanne. La fermeture de Cordemay est retardée car elle approvisionne la pointe bretonne ; il n'y a guère de rapport avec la fermeture de Fessenheim...
La PPE sera adaptée à la mi-2024, et couvrira la période 2024-2033. Le Gouvernement a lancé le 2 novembre dernier une consultation ouverte à tous sur un site dédié autour de douze grands thèmes. Les travaux se poursuivront jusqu'à l'automne 2022, avec une concertation préalable PPE dès l'automne 2023. Vous le voyez, le Parlement sera pleinement associé.
M. Stéphane Piednoir. - C'est nouveau !
M. Gérard Longuet . - À la veille de la présidence française de l'Union européenne, nous entendons le ministre de l'économie parler de réformer le marché européen de l'énergie. Pourrions-nous avoir des précisions - à supposer qu'il parle bien au nom du Gouvernement ? La question est majeure, car le marché européen de l'énergie doit donner à nos deux principales filières - le nucléaire, auquel je crois, et l'éolien maritime, dont la rentabilité reste à prouver - les moyens de se financer.
Or la sortie de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) et la taxonomie sont deux obstacles. Quelles sont vos perspectives de succès dans ce domaine ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP ; M. Jean-Pierre Moga applaudit également.)
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - La formation des prix sur le marché européen de l'électricité est basée sur le coût marginal de production. Les marchés européens étant connectés, c'est le dernier moyen de production qui est appelé : en ce moment, le gaz, car les moyens de pointe sont fossiles. D'où une persistance de prix élevés qui nous préoccupe. La France souhaite que les prix payés par le consommateur reflètent le mix national et non le prix marginal du fossile. Cela serait compatible avec le marché de gros.
Le Gouvernement est mobilisé et le sera pendant la présidence française de l'Union. Avec Barbara Pompili et Bruno Le Maire, nous avons ainsi porté les positions françaises au Conseil de l'énergie il y a quelques semaines. Nous voulons introduire dans la directive la possibilité de contrats garantissant une stabilité des prix. Enfin, nous nous battons pour inclure le nucléaire dans la taxonomie.
M. Gérard Longuet. - J'espère que vous obtiendrez des résultats. Le système de coût marginal sur la dernière centrale à lignite allemande est absurde ! Si d'autres pays européens refusent une énergie moderne, ils n'ont pas à nous faire payer leurs choix. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Sophie Primas. - Très bien !
M. Daniel Salmon . - Nous voulons tous développer de nouveaux modes, renouvelables et compétitifs, de production d'électricité. Un mix 100 % renouvelable d'ici à 2050 est possible, et l'éolien est une clé de la transition. Cette filière crée de l'emploi sur tout le territoire : exploitants, bureaux d'études... Plus de 900 entreprises et 23 000 emplois en dépendent. Le premier parc éolien offshore va être inauguré à Saint-Nazaire - vingt ans après le Royaume-Uni, la Belgique et le Danemark, alors que la France est la deuxième zone maritime mondiale, avec 11 millions de km2 ! Nous devrions passer de 17,8 gigawatts à 31,4 gigawatts en 2028. L'État doit être plus proactif : comment compte-t-il rattraper ce retard ? (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Le rapport de RTE démontre que les énergies renouvelables sont indispensables, et qu'il faudra être volontariste concernant l'éolien sur terre et en mer. RTE a calculé qu'en 2019, le photovoltaïque et l'éolien ont permis d'éviter 22 millions de tonnes d'émissions. L'éolien, avec 8 %, est la troisième source de production d'électricité en France, devant le gaz.
Le Gouvernement compte poursuivre son développement pour atteindre les objectifs de la PPE. Nous lançons un appel d'offres pour l'éolien terrestre, pour déployer 25 gigawatts de 2021 à 2026.
Je rappelle les dix mesures annoncées par Barbara Pompili, dont le médiateur de l'éolien et les expérimentations pour éviter les nuisances. L'appropriation des projets par les territoires passera aussi par la concertation locale.
M. Daniel Salmon. - Ni durable, ni renouvelable, le nucléaire est coûteux et dangereux. Consacrons nos énergies aux vraies énergies renouvelables !
M. Fabien Gay . - Peut-on parler de la souveraineté énergétique française sans remettre en en cause le marché européen de l'énergie, en vendant nos fleurons industriels énergétiques et en voulant démembrer l'entreprise historique EDF ?
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Le Gouvernement souhaite revoir la fixation des prix au niveau européen en tenant compte des modes de production.
Nous voulons faire d'EDF un acteur majeur de notre transition énergétique, avec des capacités d'investissement accrues.
Nous poursuivons les discussions avec la Commission pour convenir d'un projet de réorganisation d'EDF équilibré. Nous souhaitons revoir les règles pour le parc nucléaire et hydroélectrique, pour protéger les consommateurs tout en respectant les intérêts d'EDF. Les négociations sont en cours avec les organisations syndicales, en intersyndicale et en bilatéral, pour définir une approche commune.
M. Fabien Gay. - Allons-nous continuer de libéraliser le secteur de l'énergie ? Le marché européen de l'énergie, qui date de 2002, ne marche plus ! Le prix de notre électricité est lié à celui du gaz, si bien que la France paie la facture alors que son énergie est décarbonée. Nous marchons sur la tête !
Nous scindons Engie, dont la filiale Equans sera rachetée par Bouygues. Une fois Enedis privatisé, comment l'État pourra-t-il investir dans la filière nucléaire ? Vous faites tout le contraire de ce qu'il faudrait, à savoir sortir l'énergie des mains rapaces du privé. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SER)
M. Jean-Pierre Moga . - En juin 2020, la commission des affaires économiques alertait sur le risque inflationniste lors de la sortie de crise. Nous y sommes. Alors que 67 % de notre consommation d'énergie finale provient d'énergies fossiles importées, la relance du nucléaire est une des réponses. L'énergie nucléaire a évité 63 gigatonnes d'émissions de CO2 depuis les années 1970. Impensable de ne pas s'appuyer sur cette énergie pour décarboner et électrifier notre économie : elle doit figurer dans la taxonomie européenne.
Les annonces du Président de la République vont dans le bon sens, mais nous déplorons le temps perdu. Des incertitudes demeurent : nombre de réacteurs, calendrier de déploiement, maîtrise des coûts...
Énergie renouvelable et nucléaire nous permettront de retrouver notre souveraineté énergétique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Nous voulons baisser la consommation et développer les énergies décarbonées, sans opposer les énergies renouvelables au nucléaire.
Nous nous appuyons tant sur les technologies EPR que SMR, soutenues par le plan de relance et le plan France 2030, afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050, comme le prévoient les Accords de Paris. Le président de la République précisera les orientations dans les jours ou les semaines à venir.
Nous souhaitons que toutes les énergies décarbonées soient incluses dans la taxonomie européenne.
M. Jean-Yves Roux . - Je pense à nos concitoyens qui ne peuvent remplir leur cuve de fioul et qui n'allument pas leur chauffage... Dans nos départements et nos mairies, tous les services oeuvrent auprès des habitants pour les soutenir.
D'ici à 2035, nos besoins en électricité auront augmenté de plus de 15 % et de 35 % d'ici à 2050.
Le projet de renouvellement d'un tiers des concessions hydroélectriques en 2023 inquiète. Leur privation serait catastrophique pour les autres usages. Or une gouvernance technocratique et totalement libéralisée se profile.
À quelques jours de la présidence française de l'Union européenne et 70 ans après la création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), quelle initiative européenne allez-vous prendre pour assurer la pérennité de notre modèle hydroélectrique qui fait la fierté de notre pays ?
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - La lutte contre la précarité énergétique est une priorité du Gouvernement, comme en témoignent le chèque énergie et toutes nos actions en faveur de la rénovation des logements.
L'hydroélectricité fait partie de notre mix énergétique ; elle est très compétitive. Les concessions doivent être renouvelées par mise en concurrence, comme le prévoit le droit européen. Or depuis 2011, les gouvernements successifs se sont donné le temps de préparer la mise en concurrence avec l'ensemble des acteurs. La Commission européenne a engagé une procédure contentieuse en 2015, puis mis en demeure la France, comme d'autres pays, en mars 2019.
La France négocie avec la Commission : la quasi-régie est envisagée, même si aucune décision n'a encore été prise.
Mme Viviane Artigalas . - La hausse des prix de l'électricité est liée à leur indexation sur les prix des énergies fossiles. La libéralisation du marché européen de l'énergie touche chaque citoyen et met à mal notre souveraineté énergétique.
Pour gagner en indépendance, nous devrions stocker notre propre énergie, ce que permet l'hydroélectricité. Miser sur cette énergie est essentiel pour assurer notre indépendance et couvrir les besoins de nos industries électro-intensives.
Quelle place comptez-vous lui accorder dans notre mix énergétique ?
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Le système actuel de fixation du prix européen est effectivement obsolète. La France a donc ouvert un débat avec les États membres pour limiter l'effet inflationniste.
L'hydroélectricité est une énergie renouvelable vertueuse. Nous souhaitons trouver avec la Commission une solution pérenne de mise en concurrence des concessions. Le Gouvernement défend les intérêts français.
Mme Viviane Artigalas. - La stratégie doit être très offensive. L'État doit garder la main sur les gestionnaires des barrages. Les trois entreprises concernées - la Compagnie nationale du Rhône (CNR), la Société hydroélectrique du Midi (SHEM) et EDF - ont aussi un rôle d'investissement, de stratégie industrielle et de développement des territoires.
M. Serge Babary . - La France connaît une crise énergétique inédite : multiplication par deux du prix du gaz, par trois pour le pétrole, par neuf pour l'électricité. L'Union des industries utilisatrices d'énergie (Uniden) prévoit que la facture augmente d'un tiers pour les entreprises, sans compter la hausse du prix des matières premières.
Les entreprises françaises attendent du Gouvernement une vision à long terme. Nous devons mettre en place une politique qui sécurise les approvisionnements, le prix de l'énergie, et qui préserve la compétitivité de nos entreprises.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - L'augmentation des prix est effectivement inquiétante. Le coup de pouce à la compensation carbone versée aux entreprises les plus électro-intensives améliorera leur trésorerie en cours d'année.
Les entreprises françaises, grâce à l'Arenh, bénéficient d'un cadre plus favorable et plus protecteur qu'ailleurs. La France porte auprès de la Commission des propositions de réforme du marché européen de l'énergie.
M. Serge Babary. - La balance du commerce extérieur est catastrophique. Les entreprises françaises ont un seul avantage concurrentiel, le prix de l'énergie... Soyons vigilants et allons vite. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Denise Saint-Pé . - La COP26 nous rappelle l'urgence à agir en faveur d'un mix décarboné. RTE trace deux voies : développement des énergies renouvelables et maintien du nucléaire. Je salue les annonces du Président de la République en faveur du nucléaire. Ce n'est pas trop tôt ! L'intermittence des énergies renouvelables nous met à la merci des énergies étrangères, qui ne sont pas toujours aussi vertueuses que les nôtres.
Les zones rurales seront les premières impactées par les parcs éoliens et les centrales nucléaires : il ne faut pas l'oublier alors que les certificats d'urbanismes sont rejetés au motif de la non-artificialisation des sols...
Comment le Gouvernement compte-t-il aborder la concertation avec ces acteurs incontournables ?
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Le rapport de RTE montre qu'indépendamment de nos choix sur le nucléaire, il faudra accélérer le développement des énergies renouvelables. Nous devons encore trouver les modalités de concertation avec les élus locaux et les habitants.
Concernant le nucléaire, le débat public devra avoir lieu.
Pour les énergies renouvelables, territorialisation et concertation sont clé. Nous souhaitons une planification à l'échelle locale. Les préfets de région établiront une cartographie des zones favorables au développement de l'éolien, qui sera finalisée en 2022. Nous aurons ainsi une planification au plus près des territoires, avec des actions d'information du public.
M. Franck Montaugé . - La souveraineté énergétique passe aussi par notre capacité à respecter l'équilibre de notre mix. Nous devons disposer de tous les modes de production. Les territoires peinent à développer l'éolien, le photovoltaïque ou la méthanisation. La coopération est nécessaire pour répondre aux exigences des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet). Or la gouvernance et la concertation sont souvent inexistantes... Comment comptez-vous encourager cette concertation, au niveau départemental, régional ou national ?
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Nos territoires doivent s'approprier les énergies renouvelables. Le plan présenté par Barbara Pompili comprend dix mesures pour l'éolien. Nous avons demandé aux préfets d'être très vigilants quant à l'acceptabilité des projets. La loi Climat et résilience renforce aussi le rôle du maire. Un réseau de conseillers photovoltaïques sera mis en place. Les préfets ont de nouvelles prérogatives en matière d'acceptabilité de l'éolien : recyclage, excavations des fondations, réduction des nuisances lumineuses.
M. Franck Montaugé. - Comment prendre en compte le photovoltaïque sans diminuer les surfaces agricoles productives ? Quelles recommandations pour la méthanisation ? Comment faire en sorte que la valeur générée n'échappe pas aux territoires ? L'État doit apporter son concours pour davantage d'efficacité collective.
M. Cédric Perrin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a un an, on annonçait 7 milliards d'euros pour l'hydrogène afin de réduire notre dépendance aux importations d'hydrocarbures. Mais ce n'est que la semaine dernière que le président de la République a annoncé le retour en grâce du nucléaire... Sa conversion récente est une bonne nouvelle, mais les incertitudes doivent être levées. La commission des affaires économiques exige la clarté sur l'arrêt des réacteurs existants et la construction d'EPR ou de SMR.
La défense du nucléaire passe aussi par Bruxelles. La Commission européenne considère que la filière n'est pas durable ; or notre capacité de production renouvelable n'étant pas suffisante, cela pourrait se traduire par des obligations supplémentaires pour la France. L'argent ne suffira pas au développement d'une filière hydrogène compétitive si le nucléaire n'y est pas associé. Évitons, comme sur les batteries, de perdre une guerre sans mener la bataille. Le Gouvernement oeuvrera-t-il auprès de ses partenaires européens pour assurer notre indépendance technologique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - L'hydrogène est une solution de stockage d'énergie pertinente lorsqu'il est produit à partir d'énergie décarbonée. Notre stratégie repose sur une production nationale à partir de notre mix national pour réduire notre dépendance aux hydrocarbures. Notre objectif : 6,5 gigawatts d'électrolyseurs installés en 2030 grâce à un plan ambitieux.
La disponibilité de l'électricité bas-carbone au-delà de 2030 est un enjeu bien identifié qui sera pris en compte dans la prochaine PPE.
L'une des priorités est le soutien à la recherche et à l'innovation, pour augmenter le rendement du processus d'électrolyse. L'électrolyse haute température pourrait être alimentée par la chaleur produite par les centrales nucléaires, mais cette technologie ne pourra être développée qu'après 2030.
M. Alain Cadec . - Avec 56 réacteurs sur 19 sites, la France possède le parc nucléaire le plus important d'Europe. Sa part d'émissions de CO2 au niveau européen est de 1,1 %, contre 10 % en Allemagne et 12% aux Pays-Bas.
La France fournit 30 % de l'électricité de l'Union européenne, ce qui réduit d'autant notre dépendance aux énergies fossiles, dont le prix augmente.
Pour anticiper les besoins futurs, la France devra installer de nouvelles capacités de production électrique. Il faut pour cela s'appuyer sur notre parc nucléaire. Après un déni de trois ans - rappelez-vous le discours du 27 novembre 2018 ! - le Président de la République vient de le découvrir. Les échéances électorales rendent lucide...
Il faut poursuivre le développement des EPR et se lancer dans des microcentrales SMR.
L'éolien et le photovoltaïque ont aussi toute leur place, mais n'implantons pas d'éolienne n'importe où, n'importe comment, à n'importe quel prix. Je songe au parc de la baie de Saint-Brieuc. Quelle est votre position sur cette installation qui fait l'unanimité contre elle ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Nous sommes d'accord sur la trajectoire à moyen terme : réduction de la consommation et production assise sur les renouvelables et le nucléaire. La PPE prévoyait déjà, en 2018, 50 % de nucléaire en 2035. Pour satisfaire nos besoins en électricité, nous allons poursuivre le développement des énergies renouvelables et de la technologie EPR, en prolongeant nos réacteurs et en accompagnant les fermetures pour éviter l'effet falaise.
Le développement de l'éolien offshore sera planifié par façade maritime. Le parc de Saint-Brieuc a fait l'objet de débats et d'échanges renouvelés avec les élus.
M. Stéphane Piednoir . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les propos du Président de la République sur le nucléaire, le 9 novembre dernier, ont fait sensation. Mais quelles sont les réelles intentions de l'exécutif ? Le flou artistique règne en la matière.
S'agit-il des SMR, des EPR de deuxième génération, ou d'une orientation reposant sur des éléments nouveaux ?
Quelle est la position du Gouvernement sur le nucléaire du futur, qui s'appuie sur le cycle fermé du combustible inscrit dans les lois de 1991 et de 2006 ? Pourquoi abandonner le programme Astrid de recherche sur les réacteurs à neutrons rapides de quatrième génération ?
À défaut d'avoir été consulté, le Parlement attend des réponses claires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Le Président de la République a annoncé la poursuite de l'investissement dans le nucléaire, parallèlement au développement des énergies renouvelables.
Les centrales actuelles seront fermées ou prolongées en fonction de leur situation ; la production nouvelle passera d'abord par les EPR, la technologie la plus mature, les SMR étant une technologie d'appoint qui arrivera après 2030.
Le besoin d'un démonstrateur industriel de type Astrid s'est éloigné car l'uranium est abondant et disponible à bas prix. Les réacteurs de quatrième génération ne suppriment pas problème du stockage des déchets. C'est pourquoi Astrid a été suspendu fin 2019, les efforts étant désormais concentrés sur le multi-recyclage des réacteurs de troisième génération. Le plan France 2030 s'inscrit dans cette logique. Pour autant, la PPE maintient un programme de recherche sur la quatrième génération, notamment pour conserver un socle de compétences.
M. Stéphane Piednoir. - La souveraineté ne se construit pas sur le temps court et à la faveur d'une campagne électorale. Les décisions prises depuis dix ans sont incohérentes, et les récentes annonces du Président de la République sont frappées du soupçon d'insincérité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Bernard Fournier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La crise sanitaire a fait évoluer nos paradigmes et même les plus libéraux redécouvrent les bienfaits de l'indépendance économique et industrielle. L'augmentation des cours de l'énergie nous oblige à réhabiliter ce qui était récemment vilipendé : le nucléaire. En 2019, le projet de recherche sur les réacteurs de quatrième génération était interrompu, suscitant l'incompréhension du secteur...
Le nucléaire est une triple chance pour la France : faible coût de l'énergie ainsi produite, faibles émissions de CO2, relative indépendance énergétique. Je suis donc ravi de l'aggiornamento du Président Macron.
L'investissement de 1 milliard d'euros dans le nucléaire d'ici à la fin 2030 va dans la bonne direction. Quelles seront les modalités du nouveau plan pour le développement du nucléaire ? Combien d'EPR le Gouvernement compte-t-il construire ?
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée - Dès 2018, la PPE posait les bases de notre stratégie énergétique : baisse de la consommation, appui sur le renouvelable et le nucléaire. Tous les scénarios tournent autour du développement des énergies renouvelables et du maintien du nucléaire. Cela nécessite de renouveler nos installations. L'objectif de 50 % de nucléaire en 2035 fixé par la PPE est prolongé jusqu'en 2050. La PPE prévoit la prolongation de quatorze des vingt-six installations.
Un milliard d'euros sera investi en faveur du nucléaire. Les modalités seront soumises à débat public. Les orientations générales sont la fermeture programmée des réacteurs en fin de vie, le soutien à la technologie et le développement des EPR.
Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La commission des affaires économiques est très attachée à la souveraineté énergétique. Une énergie peu chère et peu émissive soutient notre économie et sa décarbonation. C'est la condition d'une insertion harmonieuse dans la mondialisation.
Longtemps, notre souveraineté énergétique allait de soi. Les choses ont changé. Jugez-en ! La loi relative à la transition énergétique de 2015 impose la fermeture de quatorze réacteurs nucléaires ; ceux de Fessenheim se sont arrêtés en 2020. Mme Pompili y est pour quelque chose. C'est un immense gâchis, une perte de valeur et un non-sens. Dans la loi Climat et résilience, notre commission a conditionné toute nouvelle fermeture à une étude d'impact.
Tout autant que les recherches sur les réacteurs de quatrième génération, les perspectives de construction de réacteurs de troisième génération sont très floues : rien sur leur nombre, leur type, leur coût, le calendrier - alors qu'un chantier dure de dix à quinze ans, et qu'un effet falaise se profile dès 2040.
La recherche sur le nucléaire n'est pas assez soutenue, avec l'abandon du programme Astrid en 2019, pourtant prometteur. C'est une faute. Quid du réacteur ITER à fusion nucléaire ?
La reconnaissance du nucléaire dans la taxonomie européenne est mal engagée, signe d'un manque d'influence de notre pays au sein de l'Union.
Les filières des énergies renouvelables ne sont pas assez valorisées. Il a fallu batailler pour faire valoir l'intérêt de la production hydroélectrique ! La proposition de loi sur l'hydroélectricité, adoptée à l'unanimité du Sénat en mars, a été intégrée à grand-peine dans la loi Climat et résilience. Pourquoi ces hésitations ?
La face sombre des énergies renouvelables, c'est leur dépendance aux métaux rares. C'est pourquoi il faut favoriser l'extraction de métaux en France et en Europe. La loi Climat et résilience a consacré l'objectif de souveraineté minière.
Il est urgent de revaloriser l'énergie nucléaire, de consolider les énergies renouvelables et de reconquérir la souveraineté minière, pilier de notre souveraineté énergétique. Notre commission y veillera lors de l'examen du texte annoncé pour 2023. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)